Lola se faisait belle. Si, si, ça vaut la peine de le signaler, parce que d’habitude, elle jetait des vêtements sur sa peau, sans vérifier ni la météo, ni la mode. Mais là, elle allait voir Arthur, et, sans qu’elle puisse ne se l’expliquer, ça lui donnait envie de se faire belle. Elle fit comme avec ses toiles, quand elle étudiait la palette de couleurs : elle lança des vêtements sur le lit, et examina les accords de texture et teintes. Elle choisit ce qu’il y avait de plus extravagant — car après tout, c’est bien quand on passe du temps avec un clown qu’on peut se montrer exubérant, non ? Les clés dans la main, sur le point de sortir, elle se dit quand même que c’était une idée improbable de se lancer en marathon de western spaghetti, comme ça, un samedi matin, et d’y passer, selon Arthur, « autant de temps qu’il faudra pour que tu deviennes fan du genre ». Elle en avait vu quelques-uns enfant, et pour qu’elle devienne fan, ils n’étaient pas rendus. Mais elle ne résistait jamais à la possibilité de voir le monde à travers les yeux de quelqu’un d’autre, et puis au moins comme ça, elle ne risquait pas que la journée parte sur des questions pour apprendre à mieux se connaître.
Direction le 44, James Street. Elle se mit un podcast sur l’histoire de l’art et entama le long chemin qui la séparait de chez Arthur. Sur le chemin, elle se demanda s’il voudrait bien faire une sieste entre deux films, parce qu’elle aimait beaucoup dormir dans ses bras. Elle se dit aussi, avec un formidable éclat de rire qui terrifia un écureuil et une vieille dame, que c’était quand même fou qu’elle aille chez un homme qu’elle avait rencontré lorsqu’il avait bondi de derrière une poubelle, au milieu de la nuit, déguisé en clown. Dire qu’elle avait failli mourir d’une crise cardiaque puis le tuer à force de minuscules coups de poing inoffensifs. Elle était ravie que son humour ait repris le dessus et qu’ils aient commencé à parler. De façon étrange, elle sentait que la vie n’aurait plus la même saveur sans ses excursions avec Arthur.
D’ailleurs, se dit-elle, il lui avait dit : « Viens samedi matin ». Mais il n’avait pas du tout spécifié un horaire. Et elle n’avait pas regardé l’heure avant de partir de chez elle, bien évidemment. Et son téléphone indiquait... huit heures et demie. Elle grimaça. Pas top. D’un autre côté, elle était presque arrivée, et elle n’allait pas revenir en arrière. Elle fit un détour par la boulangerie (huit heures quarante, deux cafés, et des pâtisseries, c’était déjà ça de gagné), puis se mit le visage sous le soleil levant (huit heures quarante-deux, pas très payant), prit une photo de la cime de l’arbre (huit heure quarante-quatre, cette cime faisait des siennes), et enfin alla sonner à la porte d’Arthur, en tendant bien droit devant elle le café.
On m'appelle Malabar8h du mat', on n'est pas du tout à fond... Ce matin ne va pas être une pure soirée. Il n'y avait qu'à jeter un oeil à cet ours en pleine hibernation sur son lit défait, à plat ventre comme une crêpe ronronnante. En parlant de crêpe, il sauta comme l'une d'elles lorsque la sonnerie retentit à travers son appartement. Le réveil affichait 8h47, une heure à crever la gueule ouverte sur le bitume, mais Arthur souleva sa vieille carcasse tant bien que mal dans un gémissement d'effort, ne portant qu'un simple jogging faisant office de pyjama et se porta jusqu'à la porte. Il l'ouvrit machinalement, sans une once de conviction, avec un air assoupi digne d'un chinois ayant enchaîné 29h de travail à la suite, avant d'écarquiller les yeux vivement à la vue de la personne qui se tenait sur le paillasson. Le genre d'élément qui vous réveillait plus efficacement qu'une bassine d'eau en pleine face.
Le marathon pardi !
La venue de Lola lui était complètement passée au-dessus de la tête, un abruti fini. Il se présentait à elle, tout débraillé, avec ses cheveux de paille éparpillés, alors qu'elle avait pris soin de se pomponner bien joliement de son côté. Il ressemblait à un épouvail crasseux tandis qu'elle respirait la fraîcheur d'une pomme verte. Pitoyable. En tout cas, il constata qu'elle était matinale la p'tite.
- Te voilà ! J'étais justement entrain de me demander ce que tu branlais.. t'en as mis du temps , tu t'es perdue en chemin ?
La Mauvaise Foi Absolue.
Evidemment, il ne s'adressait pas à une idiote. Observatrice et fine psychologue, il se savait cramé illico presto, surtout au vue de sa tenue, mais cela ne lui coûtait rien d'essayer. Si elle était gentille, elle accepterait de jouer le jeu de la naïve née de la dernière pluie. Il se frotta l'arrière de la tête et fit quelques mouvements dans le but de s'extirper de sa brume.
- Entre donc, les cow-boys ne se font pas attendre.
Ajouta-t-il alors qu'il baillait aux corneilles.
Il se plaça derrière la porte afin de lui laisser la route libre vers l'enceinte de son salon, ou ce qui s'apparentait à un salon car on était plus proche d'un souk à Bamako que d'un salon à Buckingham palace. Des objets hétéroclites squattaient nonchalamment les étagères, les rares livres se cassaient la gueule l'un sur l'autre et des chaussettes dansaient la macarena un peu partout dans la pièce, sans compter ce foutu cendrier qui trônait au milieu de la table basse à vider depuis 107 ans. Il se demandait s'il l'avait vidé depuis sa dernière venue par ailleurs.. Enfin bref, Lola était une habituée des lieux, heureusement. Elle connaissait le spécimen et son sens accru pour l'ordre et la discipline. D'ailleurs, si Lola lui plaisait autant, c'était en partie pour cette ouverture aux autres, et cette tolérance pour leurs défauts. Elle possédait cette fabuleuse qualité de s'amuser des désagréments, d'extraire le positif de chacun, et de chaque situation. Parfois, il la surnommait " Mère Théresa " tant sa bonté et sa foi en l'humanité ne rencontraient aucune limite.
Arthur invita la demoiselle à poser ses encas sur la table, le café était plus que bienvenu ! Elle pensait à tout, cette fille frôlait la perfection, et il lui en témoigna de la reconnaissance par un sourire en guise de "merci". Il communiquait bien plus avec les gestes et les expressions qu'avec les mots, surtout lorsqu'il s'agissait de remercier, de s'excuser ou de complimenter.
- Tu veux manger avant le grand spectacle pour gagner des forces ou pendant ?
L'interrogea-t-il après avoir fermé la porte derrière elle. Il en profita également pour fermer les volets pourris du salon afin de se plonger dans la meilleure ambiance possible. Il prépara la télé, vérifia les enceintes pour du gros son, vira les affaires du canapé, afin de la mettre bien. Son logement était, certes, loin du 5 étoiles mais question matos technologique, il s'avérait plutôt bien équipé entre son écran home cinéma et ses enceintes dernier cri. Il ne plaisantait pas avec ces choses là. Arthur vénérait le cinéma et la musique alors il s'assurait toujours de placer ses thunes dans l'équipement plutôt que la décoration. D'ailleurs, les seules décorations présentes se situaient sur les murs : des posters de vieux groupes, ou de films cultes, dont pas mal de westerns tout de même.
Arthur avait la tête d'un pompier qui s'est fait cramer la moitié du visage pendant un incendie. Ou d'un assistant social qui venait de séparer des frères et soeurs entre différents orphelinats. Ou d'un crocodile qui aurait pris un coup de soleil. Bref, il n'avait pas l'air en pleine forme. Ce qui, bien sûr, fit beaucoup rire Lola. "Mais je sais, quand je te dis que j'arrive tout le temps en retard ce moment. Je ne sais pas ce qu'il m'arrive. Ma mère dirait que je dois aller à l'Eglise plus souvent. Mon médecin traitant que j'ai besoin d'infusions de verveine." Elle pausa en se faisant la réflexion : "Je devrais peut-être changer de médecin traitant." Puis, elle fit une révérence suite à l'invitation d'Arthur, et entra dans l'appartement. Jeta un oeil autour d'elle et, sans surprise, constata que le mode taverne était toujours de mise. Elle s'avança en dansant dans l'espace chaotique, se sentant chez elle ici, ce qui lui arrivait rarement. Ce sentiment d'appartenir. D'être au bon endroit, au bon moment. En présence d'Arthur, elle se sentait toujours chanceuse, comme si elle venait de gagner à la loterie.
Lola posa ses offrandes sur la table, et le rituel commença. Arthur ferma les volets, fit de la place. Elle se sentait comme une princesse, et même si c'était la princesse de la Caverne à Chaussettes, eh bien c'était son royaume malgré tout, et elle en était toute réjouie. Elle s'écrasa sur le canapé sans aucune grâce, prit toute la place, et répondit : "PLATEAU TELE !" Elle se retenait tout juste de bondir partout. Mais pas assez, puisqu'en deux secondes, elle se retrouva dans la cuisine, aux côtés d'Arthur. "On prépare quoi ?" Elle ouvrit tous les placards à la suite, le frigo, le congélateur, revint sur ses pas, planta ses yeux dans ceux d'Arthur. "J'ai faim, j'ai faim, j'ai faim, j'ai faim." Elle fit un sourire, genre : combien de temps tiendras-tu à peine réveillé face à mon enthousiasme ? Et tout aussi vite que le reste, elle lui fit un câlin. "Je suis contente de te voir." Puis saisit tout ce qu'il y avait de comestible, l'amena en tas sur la table du salon, et s'assit sur le canapé.
"On regarde quoi d'abord ?" Lola se demandait si Arthur avait vraiment préparé des films à regarder dans un ordre particulier, ou s'il allait, comme d'habitude, improviser quelque chose à la dernière minute. Au fond, elle s'en foutait un peu. Ce qu'elle voulait surtout, c'était voir son visage à lui pendant qu'il regardait les westerns, mais en toute discrétion (ce qui était mal barré, parce que la discrétion n'était pas sa qualité numéro un, disons). Elle comptait aussi faire beaucoup de commentaires et poser énormément de questions, mais ça, il devait déjà le savoir. Elle commença à boire son café et à grignoter. "T'as un classement de tes réalisateurs de western préférés ? Et acteurs préférés ? Et compositeurs préférés ? Je demande pas actrice, parce que je sens que ça va me rendre jalouse." Elle lui tira la langue. Ils n'avaient pas du tout un rapport amoureux, mais qu'est-ce qu'elle aimait l'embêter avec ça. "Et aussi, avant qu'on commence, t'as passé une bonne semaine ?"
On m'appelle MalabarQuand Lola commença à lui raconter sa vie avec une pêche d'enfer, dés 8h50 du mat', Arthur ricana légèrement, l'air complètement stone. Il ne comprenait rien à ce qu'elle disait avec son histoire de médecin, d'église et de verveine.. ? Il essayait tant bien que mal de connecter ces termes entre eux mais impossible, les mots énoncés par Lola traçaient à la vitesse d'un TGV alors que de son côté, son cerveau était encore en off, entrain de roupiller jusqu'à au moins 13h. L'enthousiasme illimité de cette jeune femme brutalisait le zombi Arthur, et elle n'avait pas encore pénétré dans l'appartement. Il n'était clairement pas prêt pour la suite.
Cependant, il s'en contrefichait de ne pas toujours la comprendre, il l'aimait bien cette petite pile électrique. Elle semait les graines de la joie partout où elle se pavanait et parvenait à décrocher un sourire à cet homme dés le matin alors que tout le quartier était au courant de la relation tendue qu'Arthur entretenait avec le matin. Il avait l'impression d'avoir invité le soleil à entrer chez lui, elle éblouissait aussi fort que lui. Une lumière qui lui suicidait ses yeux chocolatés encore endormis. Il la laissa faire sa vie dans la cuisine, c'est-à-dire vider tous les placards comme une furie, à croire qu'elle revenait d'un naufrage et n'avait pas vu quelque chose de comestible depuis 18 jours.. Pendant ce temps là, il préparait un petit nid douillet sur le canapé. Il n'était pas étonné du choix de sa première destination : la pièce où se cachait la bouffe.
Il l'entendait brailler comme un animal dans la salle d'à côté sans réellement écouter le sens de ses mots, concentré à ranger le canapé, et alors qu'une énième porte de placard claqua violemment dans la cuisine, Arthur fit une découverte des plus passionnante : une culotte en fine dentelle rouge se trouvait sous un coussin qu'il venait de soulever. Il le chopa des bouts des doigts, l'inspectant de tous les côtés, les sourcils froncés, l'air de se remémorer à qui appartenait ce joyau des caverne, et surtout à quand cette aventure remontait. Une de ses Cendrillon avait vraisemblablement abandonné un " bien " en cours de route et était repartie cul nue sous sa robe, mais il ignorait laquelle. La situation s'avérait plutôt cocasse, surtout avec l'autre fêlée à côté qui déménageait toute sa cuisine... Il se passait beaucoup trop de choses surprenantes d'un coup pour son cerveau en léthargie qui galérait pour suivre, alors il finit par partir en fou rire sans trop savoir pourquoi, sûrement la fatigue, avant de balancer le sous-vêtement féminin derrière le canapé. Lola revint vers lui pour crier famine en boucle. Une vraie gamine. Elle était si mignonne qu'il ne sut répondre autrement que par un sourire, suivit d'une bise sur le front quand elle l'entoura de ses bras frais :
- Heureusement que tu me le dis, je ne sais pas si je l'aurais deviné sinon..
Rétorqua-t-il avec une sympathique ironie, l'observant par la suite amener à plein bras un tas d'aliments différents au pif, tout ceux qui avaient eu le malheur de se trouver sur son chemin, y compris un sachet de pâtes. Une charmante déglinguée. Lola s'installa sur le canapé, "bien sagement", grignotant et ingurgitant son café, tout en harcelant Arthur de questions alors que le pauvre essayait d'insérer le Blue-ray dans le lecteur. Une épreuve complexe dans son état. Il prit un temps pour réfléchir aux interrogations de la demoiselle sur ses goûts, pendant que le lecteur chargeait, et se retourna vers elle, télécommande en main :
- On commence par le commencement : "Pour une poignée de dollars". Le premier de la trilogie du dollar. Tu verras, les films montent en crescendo.
Il brandit la boîte du Blue-ray en l'air avant de la jeter sur le canapé aux côtés de Miss Wright pour qu'elle puisse l'analyser à sa guise, puis finit par la rejoindre avec la télécommande dans une main, et le café, capturé en route, de l'autre.
- J'apprécie essentiellement les western spaghetti, t'façon personne se souvient du western américain avec John Wayne, les titres cultes que tu connais certainement, au moins de nom, sont italiens. Sergio Leone est évidemment le maître suprême du genre, sa collaboration avec Ennio Morricone est légendaire, aucun mec ne lui arrive à la cheville. Morricone, tu vois qui c'est ? C'est le gars qui a composé toutes les musiques de western qu'on entend partout, tu vas les reconnaître tu verras. Sinon, il y a aussi Sergio Corbucci, encore un italien, encore un mec qui s'appelle Sergio, à croire que tous les Sergio sont destinés à créer les meilleurs western... Mais on se contentera de Leone aujourd'hui, c'est l'incontournable.
Il fit une pause afin d'appuyer sur "play", et continua le temps que le film se lance. Arthur pouvait monologuer sérieusement sur ses passions durant des heures, cela contrastait avec ses répliques brèves et "déconnantes" habituelles. De plus, on était le matin, c'en était donc encore plus impressionnant de le voir s'étaler comme ça. Lola l'avait très bien cerné, elle savait mieux que personne comment faire en sorte qu'Arthur crache plus d'une phrase à la suite :
- Si tu connais bien les films de Tarantino, tu vas capter un paquet de références. Tarantino est un fan de western, et de Leone plus particulièrement, il a beaucoup emprunté à ces films pour faire les siens, que ce soit en terme de mise en scène ou de musique.. Le bon, la brute et le truand est le meilleur film de tous les temps selon lui alors tu vois, si même Tarantino le dit, c'est que ça envoie du pâté..
Un argument d'autorité incontestable. En vérité, il n'était pas certain que ces films correspondent au style de Lola. Mais en fait, quel était le style le Lola ? Il se garda la question dans un coin de la tête pour plus tard. Pour en revenir au western, cela restait un genre très masculin, avec des affaires de flingue, de prime, de gang, où les femmes ne tenaient qu'un rôle secondaire ou peu flatteur. Il n'avait jamais rencontré une seule fille qui adorait le western alors s'il parvenait à convertir Lola, ce serait une première, et une sacrée réussite pour son ego. Remarque, elle possédait une telle ouverture d'esprit, et un tel intérêt pour les goûts d'autrui qu'elle était tout à fait en capacité d'apprécier ce moment de cinéma mémorable. Et si elle n'appréciait pas ou ne comprenait pas la réputation phénoménale de ces films après le marathon, il comptait bien lui expliquer les raisons de leur succès et de leur excellence. - Ma semaine s'est bien passée et toi p'tite jalouse ?!
Lui répondit-il, suite à son tirage de langue coquin auquel il sourit en coin. Madame jouait les jalouses, intéressant. - Je te parlerai de mes acteurs préférés après le marathon, tu dois les voir à l'oeuvre d'abord. Maintenant, j'ai une question importante à te poser : est-ce que tu es prête à regarder quelques uns des films les plus cultes de tous les temps ?
Il lui posa la question de façon solennelle, comme si sa vie était en jeu, plongeant sérieusement son regard assombri dans les iris scintillantes de sa convive. Elle s'apprêtait à vivre une aventure cruciale.
- Pour que tout soit parfait, tu dois t'immerger dans l'ambiance jeune cow-girl.
Ajouta-t-il joyeusement tandis qu'il passa son bras derrière elle pour attraper un chapeau de cow-boy trônant sur l'accoudoir. Il l'avait sorti des placards poussiéreux hier soir spécialement pour l'occasion. Il s'empressa de lui placer sur la tête avec tendresse et amusement. Ce chapeau appartenait à son grand-père à la ferme, du pur cuir. Les souvenirs de son grand-père se comptaient sur le doigt d'une main, étant décédé prématurément, il détenait seulement quelques images dans sa tête : un homme taciturne, versant très peu dans l'affectif, qui se basculait sur son rocking-chair à longueur de journée en veillant sur la propriété comme dans les clichés. Son enfance entière ressemblait à un vieux cliché de l'arrière pays de toute façon.
Lola descendait le café à une vitesse inquiétante et se dit que ce qu'il faudrait vraiment, ce serait une machine qu'on pourrait transporter partout avec soi, et qui ferait du café chocolaté chaud, onctueux, pas trop crémeux mais un peu, juste assez pour qu'il y ait de la texture, bref une sorte d'instrument paradisiaque de la caféïne et du cacao. Elle envisagea de partager cette pensée avec Arthur, mais elle le voyait tellement galérer avec le Blu-Ray qu'elle ne voulait pas prendre le risque de l'interrompre. Et puis, il y avait bien trop à manger pour discuter. Arthur, heureusement, avait décidé de parler pour deux, ce qui n'arrivait jamais. Lola entendit beaucoup de noms italiens, qu'elle se mit immédiatement à confondre avec grande joie. "Je connais Morricone. J'écoute souvent ses bandes-originales pour peindre." Arthur était une des rares personnes avec qui Lola pouvait parler de sa passion sans être gênée. Déjà parce qu'elle lui avait tiré le portrait la toute première fois qu'ils s'étaient rencontrés, mais aussi parce qu'Arthur n'étais pas un membre tout à fait classique de la société. Il était à part, décalé, cassé presque. Et cela rassurait infiniment plus Lola que tous ceux qui se sentaient à l'aise dans ce monde de brutes et de truands.
"Jalouse, jalouse, ça se voit que tu ne m'as jamais connue en couple. Je suis un enfer sur Terre." Elle riait rien que d'y penser, et s'imita elle-même en prenant une voix nasillarde : "T'étais avec qui ? Où ? Pendant combien de temps ? Pourquoi ? Mais tu la trouves jolie ou belle ? Si, il y a une différence. SI, JE TE DIS." Elle leva les yeux au ciel, exaspérée par ses propres comportements. "C'est même pas de l'amour, c'est juste des réflexes de - mais on s'en fout, en fait." Elle se remit à rire, tellement cette fois qu'elle faillit s'étouffer en plein biscuit. Une rasade de café, et tout se remit en place.
"Un des films les plus cultes de tous les temps..." Elle fit mine de réléchir. Est-ce qu'elle était prête ? Voyons voir. "Si je m'évanouis, tu pourras me sauver ? Pas en faisant du bouche-à-bouche, s't'euplaît, c'est dégueu. En me faisant sentir du chocolat, plutôt. Tu le passes sous le nez, et pouf, je me réveille." Elle hocha de la tête, pour confirmer sa théorie scientifique qui semblait, si vous me demandez mon avis, tout à fait crédible. Elle sentit la main d'Arthur passer derrière elle, se demanda ce qu'il fabriquait, et se retrouva soudain affublée d'un chapeau de cowboy. Elle en fut tellement heureuse que ça resta coincé dans sa gorge, comme des larmes, mais en joyeux (oui, c'est possible, mais faut recevoir un chapeau de cowboy pour ça, je vous laisse vous débrouiller). Elle se concentra sur le film, plutôt, histoire d'éviter l'affection larmoyante qu'elle éprouvait envers le clown.
Dès que le générique commença, elle fut réconfortée. La bande-son était extraordinaire, et les effets sonores étaient d'un kitsch qui la fit éclater de rire. Le film n'avait pas commencé, et elle était déjà pliée en deux. Et ça n'alla pas en s'arrangeant. A la première scène, elle fronçait les sourcils, essayant de comprendre : "Pourquoi il y a un gamin chinois qui court ?" Elle adorait le regard de Clint Eastwood : le mec qui boit de l'eau le plus intensément du monde. On partait ensuite dans un village, où Clint se faisait harceler par un nain. "On dirait toi et moi ce matin !" Elle se rendit compte trop tard que ça faisait d'elle le nain et de lui, Clint. Elle se tourna vers lui. "C'est vrai que tu lui ressembles un peu, en fait." Se concentra de nouveau sur l'image. Elle trouvait ça incroyablement drôle, mais elle ne savait pas si c'était l'effet escompté. Clint se laissait raconter des histoires d'horreur par un tenancier de restaurant, tout ça dans une ambiance décontractée, et quand ils ouvraient la fenêtre, il y avait un type qui fabriquait des cercueils. JE VOUS JURE. C'en fut trop pour Lola, qui partit en fou rire incontrôlable. "J'aime beaucoup, le film", dit-elle entre deux hoquets d'hilarité, "c'est vachement plus sympa que ce à quoi je m'attendais."
La demoiselle au sourire rayonnant marquait un bon point dans le cœur du mâle lorsqu'elle confessa écouter ses compositions pour peindre. Il comprenait mieux d'où elle tirait une inspiration aussi grandiose. La base de leur lien tenait sur cette première rencontre où le jeune homme accepta de poser pour elle, jugeant l'idée amusante et parce qu'aucune autre énergumène ne lui avait fait une telle proposition, surtout pas le premier jour. Toute l'originalité du personnage se dessina à cette demande atypique. De plus, Arthur manifestait une certaine sensibilité envers son art, il se reconnaissait dans quelques unes de ses toiles et le reste de son univers le stimulait bien qu'elle gardait quelques œuvres secrètes. Un jour, elle accepterait peut-être de les lui montrer, cette peintre pudique.
- J'suis fier de toi.
Elle gagna un sourire aussi fugace que sincère en guise de réaction, avant qu'elle ne reparte en couilles à nouveau, adoptant une voix canardée pour imiter ses propres répliques chiantes. Encore accroupi devant le lecteur à cet instant là, il se contenta de tourner sa tête vers elle, intrigué par ce show improvisé. Il se contenta de rire aux éclats, et de répondre rapidement :
- Au moins, on sait que dans le couple, c'est toi qui gère l'animation !
Décidément, se foutre de sa propre gueule devenait l'une de ses activité favorite, mais elle faisait marrer Arthur intérieurement, il affectionnait particulièrement les gens capables d'auto-dérision, quand ils ne viraient pas non plus dans l'auto-dénigrement bien entendu. C'était une preuve de bonne santé mentale, que la faculté de prendre du recul sur soi fonctionnait bien.
La suite, on la connaissait, il l'avait rejointe sur le canapé, s'était lancé dans un speech interminable, et commenta son dégoût du bouche-à-bouche, non sans malice :
- Tu préfères sniffer du chocolat que de sentir ma bouche contre la tienne ? T'es bien la première à me sortir ça..
Une fois le chapeau mis en place sur le crâne chevelu de l'initiée, comme le rituel l'exigeait, le film démarra sur les chapeaux de roues, enchaînant les scènes à la fois cultes et cocasses.. Surtout cocasse pour la jeune fille aux côtés d'Arthur, dont l'hilarité montait en crescendo au fur et à mesure que les plans se déroulaient sous ses yeux curieux. Elle réagissait comme une enfant devant un film, à poser des questions toutes les 17 secondes, mais contrairement à la plupart des individus que cette attitude insupporterait, Van Der Leen appréciait ses commentaires. Au moins, il était certain qu'elle suivait bien le film de cette manière, éveillée plus que jamais. Par moment, il en vint même à se taper des barres comme " Pourquoi il y a un gamin chinois qui court ? ". Mais qui d'autre sur cette putain de planète posait ce genre de question ? Absolument personne. Il mit un petit temps avant de s'en remettre et de la rectifier :
- Où est-ce que tu vois un chinois toi ? C'est un bambin mexicano, oh amiiiigoooo !!!
Et il n'en avait pas fini avec ses commentaires inattendues, comme la comparaison avec le "nain" et " Clint Eastwood", qu'Arthur encaissa par ailleurs silencieusement comme un roi. Pas tous les jours qu'on osait la comparaison avec son idole, la légende de l'Ouest, au charisme infaillible. Ensuite, elle se fendit la poire, faute d'une introduction un peu "spéciale" pour une non habituée du genre. Arthur n'avait jamais pensé à rigoler de ce film mais maintenant que sa voisine de canapé soulignait le risible par ces ricanements, il admit volontiers que certaines situations de ce film étaient assez loufoques.
- Je n'ai jamais vu quelqu'un autant rire devant un western. Ravi que ça t'emballe autant.
Question:
Tu préfères que j'te laisse avancer le film pour pouvoir réagir à tout ce que tu veux librement, ou je dois aussi l'avancer dans mes posts ? (là je l'ai pas fait parce que je ne connais pas encore ta rep du coup mdr)
Arthur semblait étonné du potentiel comique du film. Lola se demanda si d'habitude, il prenait tout ça au premier degré : les longs plans sur Clint qui réfléchit à la phrase culte qu'il va sortir ; les insultes qui défilaient aussi vite que les coups de feu. Elle riait tellement, Lola, qu'elle se cracha un peu de café dessus. Elle l'essuya vaguement de la main tout en gardant les yeux fixés sur l'écran. "Tu me prêtes un pull ? Le mien est tâché." Elle attrapa la télécommande pour signifier qu'ils n'allaient pas du tout mettre sur pause. Elle était généreuse comme ça, même que. Tandis qu'Arthur s'éloignait, elle continuait à lui commenter le film en criant. "Y a Clint qui dit au mec de préparer trois cercueils ! IL A GRAVE LA CLASSE !" Elle explosa de rire une minute après : "SA MULE EST VEXEE !" Et d'un coup, Clint tua trois hommes. Lola mit immédiatement sur pause. On ne déconnait plus. Quand Arthur revint, elle rejoua la scène. "Non, mais là il les a tués. Genre ils sont morts pour le reste du film, en fait."
Son sérieux dura peu longtemps, car elle enfila le pull d'Arthur à la vitesse de la lumière, et déjà, elle entendait : "You're stupid, Esteban, even if you are my brother." Elle resta hébétée d'hilarité. "Mais non. Mais il a pas dit ça." Elle n'y croit même pas. C'était si magique. "Pourquoi cette phrase n'est pas sur tous les posters du monde ? Tous les vêtements avec des imprimés là, où il y a écrit PEACE AND LOVE, mais mettez ça à la place. You're stupid, Esteban, even if you are my brother." Heureusement pour Arthur, elle mit deux biscuits entiers dans sa bouche, donc elle mâcha pendant plusieurs minutes. Elle fronçait les sourcils, ceci dit, car elle n'y comprenait déjà plus rien. Forcément, à parler tout le temps. "Mais attends, il travaille pour quelle famille là ? Celle qui vend des armes ou celle qui vend de l'alcool ? Et pourquoi il travaille que pour une famille ? Il a un plan, en fait ? Il veut tous les tuer et garder tout l’argent ? Mais faudrait qu’il s’installe là, et il a pas du tout l’air de quelqu’un qui veut se poser quelque part."
Un chariot passait. Et le tenancier disait : "Get up close to it and take a look at what's in it. If they fire at you, you know it's gold." Et Lola riait, riait. C'était une très bonne façon de présenter les choses. Pourquoi se poser mille questions avant d'agir plutôt que de juste y aller et risquer de se faire tirer dessus ? La vie serait plus simple si Lola prenait exemple sur Clint.
Clint, qui, dans son lit, se faisait stalker par le tenancier (décidément un humain tenace) qui demandait : "Why aren't you sleeping?" Lola sourit : "Tiens, on dirait moi quand tu dors." Elle fit un grand sourire à Arthur et se terra dans ses bras, sans lui donner le choix. Elle remarqua que le chapeau dérangeait son visage, et le retira pour le poser délicatement sur la table. Les personnages suivaient maintenant le convoi dans le désert, tout ce qu'il y a de plus normal. "I feel like I'm playing cowboys and Indians." Lola tourna son visage étonné vers Arthur : "Eh, mais c'est hyper méta, en fait." D'un autre côté, il n'y avait pas d'indiens d'Amérique dans le film. Il y avait des chinois, mais ça, c'était autre chose.
Et d'un coup, l'action repartait, et quand elle repartait, elle ne faisait pas semblant. Quelque chose qui ressemblait à une mitraillette démontait des corps à la vitesse de la lumière. "WHAT THE FUCK IS HAPPENING?" Lola mit ses mains sur sa bouche. Elle n'aimait pas les gros mots. Elle n'en lâchait jamais. Mais là, quand même. "What's going on? Who's killing who? Why?" Et hop, tout ce petit monde revenait au village, l'air de rien, et Clint rencontrait enfin Ramon, et il y avait discussion où Ramon passait pour un con (ce qui aurait pu être le titre du film, 'RAMON PASSE POUR UN CON', mais ç'aurait été moins vendeur peut-être), et Clint disait : "This is all very, very touching", d'une voix si sensuelle que Lola fondit. Elle mit sur pause, se redressa, plaça le chapeau sur la tête d'Arthur, et demanda : "Tiens, Arthur, dis 'This is all very, very touching' juste pour voir."
On aurait pu penser que Lola finirait par se lasser au bout de 20 minutes mais au contraire, elle ricanait de plus bel, à se demander si elle ne faisait pas une crise d'épilepsie. Et quand on savait qu'ils en avaient encore pour au moins 12h sur cette même lignée, le premier film étant le plus court dans ses souvenirs, on était pas sortis de l'auberge (contrairement à Clint qui faisait des allées et venues en continue dans celle du film). Ce soir, Arthur en connaissait une qui tomberait comme une mouche dans les bras de Morphée, ou plutôt dans ses bras. Elle paya le prix de son excitation en tâchant son charmant petit haut. Dommage, il l'aimait bien dans cette tenue légère :
- Irrécupérable cette fille..
Laissa-t-il échapper en un petit rictus, décampant aussitôt du canapé pour aller lui chercher le pull. De toute façon, à chaque fois qu'elle se ramenait ici, cela se finissait toujours de la même manière : on retrouvait Lola, à la fin de son séjour, portant uniquement les affaires d'Arthur sur le dos. Il chopa un pull léger, bordeaux, alors qu'elle vociférait comme une fangirl à travers tout l'appartement. A son retour, il écouta sa subtile réflexion : " Genre, ils sont morts pour le reste du film en fait " en émettant un début de sourire désespéré, tout en lui balançant le pull en pleine face :
- Bravo Einstein, maintenant, enfile-ça allez ! Et qui t'a dit de mettre en pause bordel ?
Il lui arracha la télécommande des mains, mimant un air bougon, afin de relancer le film. Lola trouvait le moyen de s'extasier sur chacune des répliques anodines, comme celle lâchée pendant l'altercation des deux frères Rojo, imaginant tout un délire autour d'un slogan de pub. Elle partait si loin qu'il était parfois difficile de la rattraper. Pour tout vous dire, il n'y avait qu'à côté de Lola que la santé mentale d'Arthur paraissait tout à fait saine.
- C'est Clint Eastwood, le loup solitaire, il ne travaille que pour son compte.
A l'instar de sa partenaire, Arthur s'empiffrait de biscuits. Sur ce terrain là, il la suivait sans aucun problème. Puis, elle se vautra dans ses bras après avoir noté une énième similitude entre une situation du film et la leur. Il se redressa comme il put afin de mieux la recevoir et déposa son bras autour d'elle. Evidemment, elle péta les plombs au moment de la mitrailleuse : " Elle n'est pas au bout de ses surprises avec les films à venir " songea-t-il à l'arrache, l'observant s'agiter dans tous les sens car elle s'égarait dans les intrigues, ne comprenant plus rien. Enfin, elle supplia Arthur d'imiter Clint Eastwood. Décidément, elle possédait la faculté de rendre n'importe quelle phrase épique, même quand celle-ci était de base sans grand intérêt :
- This is aaaalll.... Very... Very touching
Prononça-t-il en respectant chaque intonation, chaque micro-pause dans le jeu de Clint. Il se prêtait au jeu avec joie, très content de partager une passion avec Lola. La scène qui suivit, avec les deux morts dans le cimetière mis en scène par Clint et l'aubergiste, pour piéger les familles et générer une fusillade ne manqueraient pas de commentaire de la part de Lola, mais ce qu'il préférait était la scène qui la succédait, concernant l'échange entre Marisol, la femme aux yeux azurs et le le fils Baxter.
On touchait à ce qu'Arthur adorait le plus dans ces films. Pour la petite histoire, ce film était le tout premier western d'Arthur, non son favori mais le premier et ce fut par le biais de la scène en question qu'il scella son amour pour les westerns spaghetti. Il sut, par l'intensité des regards, le jeu des silences, bercés par une musique incroyable, que ces films s'apparentaient à des OVNI. Et encore, cette scène n'était rien en comparaison des duels finaux présents dans pratiquement chacun des films qu'ils allaient regarder. Dans le reste du cinéma, il était rare de laisser une telle place aux regards, aux silences, et encore moins à la musique qui se contentait d'amplificateur émotionnel ou d’accompagnement. Mais dans ces westerns, la bande-originale de Morricone n'était ni un fond de décor pour poser une ambiance, ni un élément d'accompagnement pour donner du caractère à une scène, elle était un personnage à part entière, si ce n'était pas le rôle principal. Quand la musique se lançait, les personnages se taisaient, le seul moyen de communication à leur disposition devant passer par les yeux, laissant la musique dialoguer à leur place. C'était la scène qui s'ajustait à la musique et non la musique qui s'adaptait à la scène, ce qui offrait ce panorama si harmonieux avec les échanges intenses de regard, la coordination de leurs mouvements lancinants et les silences prenants qui enflammaient l'âme du Van Der Leen. Un respect démentiel pour la musique d'un génie, et l'art d'unir image et son avec suprématie. Il était absorbé par les visages expressifs mais silencieux, hypnotisé par la bande-originale : de la contemplation à l'état pur, l'éveil des sens, il éprouvait une puissante fascination dés qu'une scène de la sorte se présentait, comme s'il assistait à une cérémonie sacrée. Par ailleurs, Arthur avait une petite anecdote sur le sujet, mais il la préservait pour la fin du film.
- Cette trompette.. MAIS CETTE TROMPETTE !
S'autorisa-t-il comme simple commentaire au moment de la scène.
Musique en question : https://www.youtube.com/watch?v=ILB0yIn6jBg
"C'est moi, Einstein ?" Lola battit des cils, ravie d'être comparée à un génie qui avait changé l'histoire de l'humanité, même si Arthur l'avait prononcé comme une insulte. Elle prenait, elle prenait. Et puis, elle était si bien, un instant dans les bras d'Arthur, dans la chaleur et la tendresse du moment, et l'autre à le regarder imiter Clint Eastwood. C'était un jeu constant, une partie de ping-pong où il n'y avait ni gagnant, ni perdant, juste des participants qui s'amusaient avec bienveillance. Elle vit quel soin il prenait à prononcer la phrase comme Clint, et ça marchait très, très bien. Elle fit semblant qu'elle s'évanouissait. "Damn, Arthur, t'as trouvé ton créneau de drague, je crois. Un soir, on va au bar, et tu refais exactement ça, et juré tu repars avec n'importe quelle femme." L'optimiste éternel de Lola.
Puis, chose qui n'arrivait jamais, Lola arrêta de parler. Si, je vous jure. La bande-originale devint tellement puissante qu'elle en eut la chair de poule, et elle leva juste son bras vers Arthur pour qu'il voie les poils dressés vers le ciel. "Cette trompette. MAIS CETTE TROMPETTE !" Lola ne put que hocher de la tête sans répondre (ce qui en devenait inquiétant). Mais heureusement, le film avançait, et redevenait psychologique, et ça, Lola, la psychologie des personnages, c'était son truc préféré. Lorsque Clint réunit la famille, leur donne de l'argent et les envoie se sauver, Lola eut un : "AHA ! La rédemption du serial killer mythomane. Tu penses que c'était sa mère qui avait souffert de ça ? Tu penses qu'il s'identifie au petit chinois ?" Oui, elle ne renonçait pas au fait que le gamin avait l'air chinois, tant pis pour la vérité.
Elle ne s'attendait en revanche pas du tout aux scènes de torture qui suivaient. Elle avait peur que ce soit violent, mais c'était fait avec les moyens du bord, et franchement, "ils ne sont pas très équipés, niveau instruments de torture, hyper bizarre d'utiliser une rampe en bois". Mais elle fut obligée d'admettre que l'insistance de la chaussure sur la main de Clint était douloureuse à voir. En revanche, quand il se retrouvait seul et se retournait, elle se demanda à haute voix, impressionnée, "Comment le mec est encore beau, alors qu'il vient de se faire battre ?" Elle le vit qui se sortait de cette situation, qui balançait des tonneaux sur les gardes débiles. Puis, un nouveau éclat de rire (ça faisait longtemps), lorsque Clint se mit à rouler sur la rampe en bois pour s'enfuir : "C'EST COMME DANS KUNG FU PANDA. T'as vu Kung Fu Panda ? Bah, ils font exactement pareil." Non, ce n'était pas du tout, du tout pareil, et c'était dans Kung Fu Panda 3, et c'était des bébés pandas qui roulaient, grosso modo rien à voir.
Lorsque Ramon alla chercher Clint dans la salle des tonneaux, Lola leva les yeux au ciel. "Voilà, c'est bien ce que je disais", dit-elle en ne réalisant pas qu'elle ne l'avait de fait pas dit à haute voix jusqu'à présent, "ce film devrait s'appeler : prenons Ramon pour un con". La scène de poursuite n'avait pas grand-intérêt, hormis le moment où Clint se traînait par terre sous les bâtiments et se réfugiait chez les cercueils, "c'est fou, il a un petit air de Terminator là, un côté un peu Schwarzy". En revanche, elle n'apprécia pas du tout que les Rojos aillent taper le tenancier. Elle se tourna vers Clint, furieuse : "Ah ouais, tu les laisses me taper comme ça, toi ? Relève-toi et viens leur mettre la misère !" Oui, parce qu'elle avait décidé qu'il était Clint et qu'elle était le tenancier de la cantina, et donc elle prenait comme un affront personnel le fait qu'il se traîne là sans venir défendre son pote.
Il fallait voir tout ce qu'il était prêt à faire pour amuser cette demoiselle, quand il ne le faisait pas déjà, comme imiter le grand Clint et son fidèle cigare iconique. En revanche, notre excitée de service piqua involontairement l'ego de son cow-boy lorsqu'elle constata un nouveau plan d'attaque pour attraper de la poulette au bistrot. Que sous entendait-elle au juste avec ses tutos dragues ?
- Je ressors déjà avec n'importe quelle femme. Sachez que mon légendaire charisme suffit amplement ma p'tite dame. On me surnomme Casanova dans le quartier !
Non mais oh, si ça continuait, il finirait par la séduire elle aussi pour lui prouver l'existence de son sex appeal. Puis, Lola analysa à la volée les nouvelles situations, proposant des théories toutes plus farfelues les unes que les autres :
- Tu forces avec ton chinois toi !
Constata-t-il, non sans se marrer face à cette persistance à toute épreuve alors qu'il lui avait répété 257 fois que ce n'était pas un chinois, mais une espèce de mexicano. Les femmes... Têtues comme la mule de Clint. En parlant d'Eastwood, il effectua sa bonne action du film que Lola s'empressa de qualifier de rédemption. Son personnage s'avérait intéressant à examiner dans la mesure où une sorte de morale ou sens de la justice semblait l'animer, et en même temps, il se la jouait solo sous ses airs indifférents, prétextant agir au nom de l'argent. Les effets mis en place lors de la scène de la torture sonnaient très kitsch et Madame le souligna implicitement par ses nouveaux ricanements à contrario du visage de son voisin qui s'assombrissait dans son coin, agrippant brutalement le poignet de l'odieuse criminelle.
- Ose encore comparer une seule autre fois Clint Eastwood à un panda obèse et ta tête roule dans le caniveau avant la tombée de la nuit..
Émit-il faussement menaçant à son égard. Bien entendu, il ne tenait pas ses mots sérieusement mais son regard de Scarface fixant Lola pouvait en faire douter plus d'un. Cela ne la freina pas pour autant dans son besoin compulsif de tout comparer à n'importe quoi mais au moins la suivante était légèrement plus flatteuse. Scwharzy était un bon, mais Lola restait sous radar et à la moindre boulette, elle rejoindrait en un claquement de cil la regrettée Sarah Connor. Qu'elle s'en tienne au tenancier, un bon gars par ailleurs, Arthur n'appréciait jamais de le voir se faire malmener par ces sombreros, ou plutôt sombres héros... Les Baxter en subirent funestement les conséquences, bien que la mort de la femme accrochée au poteau comme un koala suscita un petit rire étouffé de la part d'Arthur. En fait, ce n'était pas la scène en soi qui le faisait marrer mais l'anticipation de la réaction de Lola. Elle n'allait pas laisser cette pauvre femme mourir en paix sans une p'tite remarque n'est-ce pas ? Il en mettrait sa main à couper.
Enfin, le duel final ne tarda pas à retentir, laissant la plus grande icône du western spaghetti effectuer son épique entrée à travers la fumée, marchant triomphalement au son de grandioses trompettes et à la vue de mexicanos vénères. Cet enfumeur de Clint enfuma la tribu des trous du cul avec son inestimable classe, délivra le tenancier et se tira de la taverne sur son dada comme on sortait d'un bar PMU après 7 bières un mercredi après-midi. Ce n'était pas comme s'ils venaient d'échapper à la mort tous les deux... Le traitement relationnel nonchalant qu'entretenait le personnage de Clint avec les gars rencontrés valait le détour. Mythique personnage. Le générique de fin pointa le bout de son nez, le premier film étant achevé.
- Si tu veux faire une pause caca, c'est maintenant.
Il décampa du canapé dés les premiers noms affichés sur l'écran pour se jeter sur le lecteur et échanger les disques. Désormais, on passait à " Et pour quelques dollars en plus "... Et après celui-ci, les trois meilleurs ! Les deux premiers faisaient office de mise en bouche, bien que très cool, ils permettaient à Lola de s'apprivoiser avec le genre toute en douceur car après, on grimpait en intensité. Et pour quelques dollars en plus se fixait sur une ambiance similaire au 1er, usant d'un scénario de western tout à fait classique à base de bandits mexicains fauteurs de trouble qu'un chasseur de prime remettait à leur place, quand ce n'était pas les indiens. Les codes que chacun connaissait. Le troisième se démarquait très clairement par ses enjeux, avec un enchaînements de situations riches et peu communes pour un western, à l'époque. De plus, le dernier de la trilogie se focaliserait principalement sur la relation d'un trio comme son nom l'indiquait : Le bon, la brute et le truand, ce qui en faisait l'un des western les plus connus de tous les temps, si ce n'était pas le plus en concurrence avec Il était une fois dans l'Ouest du même auteur, à l'intrigue tout aussi atypique.
Le duel final colossal : https://www.youtube.com/watch?v=evd_WJA0gvY
Arthur qui se voulait casanovesque, ça faisait beaucoup rire Lola, mais moins que son expression de Scarface menaçant, genre menace de mort. Cela ne l'inquiétait pas beaucoup, car Arthur avait beau être un alien, il ne lui semblait pas bien dangereux. Elle se contenta donc de lui tirer la langue, car ça réglait bien tout débat selon elle, et en tout cas un dont le sujet était de comparer Clint Eastwood à un panda. Le film, de toute façon, reprenait en rythme, lorsque les Rojos allèrent trucider les Baxter, pas tout à fait comme dans un Tarantino, bien qu'il y ait une inspiration évidente. Ce qui différait, c'était le point de vue. Alors que Tarantino nous met au coeur des fusillades, du point de vue de celui qui tire joyeusement et dézingue à tout va, on était là avec Clint, en retrait, à regarder, et il y avait quelque chose qui mettait presque mal à l'aise Lola dans cet affrontement inégal. Elle sentit une subtilité à laquelle elle n'attendait pas, et qu'elle perdit complètement de vue lorsque même la femme Baxter se fit assassiner, "Ah, bah, ça, c'est chouette, ça c'est féministe, voilà, je pensais qu'ils allaient la laisser vivre, genre pauvre femme innocente, et en fait, non, tout le monde à égalité. Ca me plaît."
La musique reprit le contrôle du film tandis que Clint, écoeuré par tous ces agissements, allait s'entraîner à tirer. Et on voyait Silvanito qui avait drastiquement besoin que Clint arrive vite. "Mais j'ai compris, c'est une bromance, en fait. Genre d'habitude faut sauver la princesse, et là, la princesse, c'est Silvanito." Elle se recroquevilla sur le canapé, assise, concentrée. "J'espère qu'il va y arriver, ce serait trop triste, sinon." Elle n'avait pas intégré que bien sûr qu'il y arriverait, que ce n'était pas une tragédie grecque qu'on jouait là, c'était un western où le héros gagnait. Non, elle vivait le truc comme si la fin allait être une surprise rocambolesque, et tant mieux, elle profitait de chaque seconde. Et elle vivait tellement ce film dans l'émotion que lorsque Silvanito vit enfin Clint apparaître, et que les plans insistèrent sur ce regard, cet échange, ses yeux à elle s'embuèrent de larmes. Elle mit sa main contre sa joue pour qu'Arthur ne la voie pas émue comme ça, c'était gênant après tout, mais quelle belle amitié à l'écran.
Les choses sérieuses reprenaient et elle prit une grande inspiration, sécha ses larmes, et déjà on arrivait lentement au duel final. Elle s'étonna du fait que Clint ne tue pas directement Ramon. Il y avait toute un coup de théâtre avant. "Trop drôle, c'est une veste bulletproof de l'Ouest", commenta-t-elle en voyant Clint se prendre mille balles tranquillement. "Mais pourquoi il lui montre qu'il l'a touché dans le coeur ? Ca va juste rendre Ramon trop content." Et déjà, Clint shootait les trois zigotos dans le fond, et Ramon n'en avait rien à foutre, et Lola levait les mains au ciel, indignée : "Non, mais la vie humaine n'a AUCUNE valeur dans ce film, en fait, le mec ses trois proches sont morts, et il est en mode : aucun problème, on continue." Il y eut comme une danse finale de la mort, et Lola l'observa sans un mot, ce point de vue qui s'affolait, le soleil, le ciel.
A la fin du film, Lola éclata de rire de voir le constructeur de cercueils aussi content. "Il est un peu con, le mec quand même, parce que là il ne reste plus personne pour le payer, tout le monde est mort, et qui va se tirer dessus maintenant ?" Elle soupira, comme s'il manquait un vrai sens business au personnage et qu'elle trouvait ça profondément regrettable. Déjà, Arthur s'apprêtait à changer le film pour passer au suivant, et Lola courait vers la salle de bains. Elle fouina dans les produits, les placards, comme à chaque fois, prit son temps aux toilettes, se lava les mains puis le visage, s'étira, et revint, d'attaque. Elle se jeta en vol plané sur le canapé, imita un pistolet avec ses mains, et pointa vers Arthur. "This is all very, very touching", dit-elle en imitant l'accent de Clint, les lèvres retroussées genre suspicieuse. Elle fit un grand sourire ravi. Le premier film l'avait beaucoup plus amusée qu'elle ne l'aurait cru, et elle se doutait que ça ne ferait qu'aller de mieux en mieux. Elle s'allongea sur le canapé, posa sa tête sur les genoux d'Arthur, yeux rivés sur l'écran de télévision, et lui fit un signe du pouce : "Je suis prêêêêête !"
Cette fille passait son temps à tirer la langue pour un oui ou pour un non, souvent pour un non tout de même, en croyant sincèrement que tous les "conflits" se réglaient par ce geste.. Et en effet, elle était terriblement craquante quand elle faisait mine de bouder de la sorte. Elle ne le craignait pas le moindre du monde, et pourtant.. Si elle savait.. Ses commentaires féministes ne manquèrent pas d'amuser la galerie mais ce qu'il retint tout particulièrement, ce fut sa remarque sur la "bromance", autrement dit un duo amical entre deux hommes au sein d'une fiction. Elle pointait du doigt un détail auquel Arthur n'avait jamais prêté attention dans toute sa carrière de fanboy. En effet, dans chacun des cinq films, une forme de bromance s'installait. Si la première amitié de ce film l'émoustillait à s'en planquer honteusement avec sa main, notre grande émotive n'était définitivement pas au bout de ses peines. Le duo du film à venir risquait de lui plaire également car Clint, le héros du film, allait laisser la vedette à son camarade. Elle comprendrait à la fin. Quant au dernier de la trilogie basée sur un trio (Le bon, la brute et le truand), Leone développait une complexe rivalité/complicité entre deux personnages du film, qui s'avérait être le lien préféré d'Arthur parmi ces cinq westerns... Quoique, il se demandait si au final, il n'avait pas plutôt un petit faible légèrement supérieur pour le 5e film qu'ils regarderaient en fin de journée, à savoir Il était une fois la révolution (ou Duck, you sucker pour les bilingues), car il s'agissait sûrement de l'amitié la plus forte et évidente mise en scène par Sergio Leone à l'écran.
Une fois que Lola eut terminé de se foutre de la gueule de Ramon, qui le méritait, et à philosopher sur la valeur des vies humaines, la gazelle bondit hors du canapé pour se précipiter dans la salle de bain se vidanger, adressant un ultime commentaire à destination du fossoyeur pour lequel elle semblait s'être prise d'affection. Un péquenaud comme on en faisait plus au cinéma. - Bouche pas les chiottes cette fois !
Hurla-t-il en référence à la dernière fois où la pauvre puce s'était confrontée aux toilettes merdiques d'Arthur. Elle revint en furie aussi vite qu'elle s'était barrée 3 minutes auparavant et entreprit le saut de la mort sur le pauvre canapé en souffrance, imitant au passage la réplique la plus marquante de Clint selon elle :
- Doucement la cascadeuse, tu martyrises mon canapé... C'est pas à toi qu'il vient se plaindre après.
Puis, la scène d'ouverture se lança avec le traditionnel mec à cheval au loin dans le désert, sauf que cette fois-ci il se fit désarçonné, faisant office d'alarme pour déclencher la musique d'ouverture. Pendant ce temps là, Lola coucha sa tête sur les genoux du blondinet tel un chat venant réclamé des papouilles. En contrepartie, il posa sa main sur son crâne et le caressa délicatement. La main dans ses cheveux, il en appréciait la douce texture.
Au début du film, on nous vendait les talents d'un chasseur de prime nommé Colonel Mortimer, interprété par le légendaire Van Cleef, lorsqu'il dézingua un rouquin gringalet à la dentition approximative avec professionnalisme. Arthur en sentait une venir râler pour la mort du pauvre cheval innocent. Ensuite, Clint fut intégré au film dans une scène de poker où Clint fit du Eastwood.
Mais enfin, les choses sérieuses commencèrent lorsque l'antagoniste principal s'évada de la prison où il roupillait, non sans buter son compagnon de taule au passage dans un sublime : " Hasta luego, amigo ". Bordel de queue, Arthur adorait ce méchant au regard perçant, un véritable psychopathe déluré qui se traduisit par la gueule de hyène qu'il tirait sur sa prime, placardée devant le saloon. Ce sourire béant et sans limite, il ressemblait au Joker mais il répondait au nom d'El Indio, aka l'Indien pour ceux qui n'auraient pas compris. Evidemment, cette affiche n'échappa pas aux yeux affûtés des deux chasseurs de prime d'élites, d'abord rivaux sur cette affaire : la pipe de Lee Van Cleef versus le cigar de Clint Eastwood. Niveau badassitude, on assistait à un sacré duel titanesque. Qui allait se faire le redoutable EL indio ??? Le suspens s'avérait insoutenable.
En parlant d'El Indio, on le retrouva aussitôt pour l'une des scènes favorite d'Arthur concernant ce film. El Indio revenait éclater l'homme qui l'avait vendu et foutu au trou, le torturant sans scrupule avant d'assassiner sa femme et son enfant dans la salle d'à côté, sadiquement. Ce méchant prenait du plaisir à causer de la douleur, il se nourrissait de la rage des autres pour prendre son pied et ce fut pourquoi il provoqua son délateur en duel juste après avoir éclaté la cervelle de sa famille. Il se délectait du visage ravagé et suintant de son adversaire. Bon dieu, cette échange de regard, quelle froideur du côté d'El Indio qui soutenait cruellement le regard implorant et agonisant du père de famille. Toute cette scène sur une bande-son aussi funeste qu'épique, collant parfaitement à la terreur envoûtante que véhiculait El Indio. Ce dernier fascinait d'autant plus qu'il signalait le début de son duel d'une bien étrange façon : en effet, au lieu de jeter un foulard dans le ciel et d'attendre son atterrissage contre le sol, il utilisait une montre gousset mélodieuse et dégainait à la dernière note seulement. Ce procédé accordait une certaine sensibilité artistique à ce psychopathe sans foi ni loi qu'Arthur prenait sérieusement en considération. Il en venait presque à avoir de la sympathie pour ce sadique criminel car ce dernier respectait la musique, il ne pouvait donc pas être foncièrement mauvais ? Une scène contemplative si solennelle. Une dernière valse pour la mort. - Génial !
Lança-t-il quand le coup de feu fatal abattu le veuf, il adorait cette scène, tout comme celle de la fin dans le même genre mais en encore plus mythique. Le père de famille ne serait pas resté longtemps loin de sa famille au moins.
Indication:
Si on arrive à raconter 30 min de film à chaque fois, c'est super cool, comme ça on va ni trop vite ni trop lentement
Le deuxième film du marathon, la main d'Arthur dans ses cheveux, un canapé confortable, le ventre rempli, la vessie vidée, que demande le peuple ? Lola était installée confortablement et prête pour le spectacle. Et ça ne rata pas. Dès la première minute, elle était lancée. On voyait, de très loin, un homme à cheval - ou une femme, d'ailleurs, mais après le premier film, elle penchait plutôt pour que ce soit un homme. On entendait un sifflement, le sifflement de l'Ouest, et puis, d'un coup d'un seul, un tir, le personnage s'effondrait, le cheval s'affolait, le titre apparaissait, et la musique commençait. "Mais quelle classe !" s'exclama Lola, qui se laissait séduire par le style cinématographique complètement à part des westerns. Le générique était chaotique, avec des effets de texte qui dataient de la Rome Antique, mais l'important était ailleurs, l'important était : "Mais cette bande-son, mais cette bande-son", parce que ça s'entendait rarement, des puretés musicales comme ça.
Un texte apparaissait à l'écran, rappelant que la vie n'avait aucune valeur dans les westerns, et Lola eut un grand sourire : "T'as vu, c'est ce que je te disais ! Je suis un génie." On entrait dans un wagon de train, avec un très gros plan sur une Bible, "Je l'ai jamais lue, tu l'as lue toi ?", et un homme qui parlait sans arrêt pour ne rien dire. Lola attendait que la Bible se baisse pour retrouver Clint Eastwood, mais non, que nenni, c'était un homme inconnu, charismatique et un peu flippant. ET MAFIEUX. "Ah ouais, le train s'arrête là où il veut, le mec." Ce serait pratique, ça, avoir confiance en soi à ce point-là. Je m'arrête là, merci beaucoup, c'est gentil. Et il arrivait à une gare, et le type à la gare se mettait à parler et ne s'arrêtait plus. "Ils sont beaucoup trop bavards dans ce film", un moment de réflexion, puis, "oui, je sais, je peux parler."
Donc, le type en question, qui faisait peur, et qui lisait la Bible, ne buvait pas d'alcool. En revanche, il tuait des gens. C'était une moralité un peu à part. Et le voilà qui montait les escaliers, et faisait peur à une femme dans le bain. "Donc, elle pousse un cri quand il rentre dans la chambre mais pas quand son mec tire trois coups de feu. C'est vraiment un pays chelou, les States." Lola parlait sans savoir, puisqu'elle n'y était jamais allée, mais le Far West, là, ça ne lui donnait pas très envie. "Quand est-ce qu'il arrive, Clint ?" Est-ce qu'elle était un peu tombée sous le charme de l'acteur ? Peut-être, peut-être, toujours est-il qu'elle l'attendait avec impatience.
"MAIS TROP MECHANT DE TUER UN CHEVAL", s'écria-t-elle en se redressant d'un coup. Elle se tourna vers Arthur puis vers la télé puis vers Arthur puis vers la télé. Pendant ce temps, le type flippant dézinguait un homme très moche, avec une précision qui était assez impressionnante, somme toute. Puis allait réclamer 1000 dollars, pour une journée de travail. "Wow, je devrais peut-être reconsidérer ma vocation." Mercenaire, ce serait très classe. Mais l'espérance de vie était trop courte à son goût. Et puis, il y avait plus important que ça à l'écran, il y avait "CLIIIINT". Elle éclata de rire : "Le manchot ? Mais c'est nul, comme surnom, le manchot." Le thème musical de Clint commençait, et Lola dansait de la tête, elle adorait cette bande-son.
On suivait Clint dans un saloon, où des hommes jouaient aux cartes ("Ils jouent au poker ? Je suis nulle au poker, je ne sais pas mentir"), et Clint avait le droit à une réplique badass quand on lui demandait le pari ("Your life"), et puis il y avait une bagarre qui n'intéressa pas du tout Lola mais beaucoup plus Arthur, et puis Clint tuait trois gars d'un coup ("La classe") et repartait à cheval, normal. "J'aimerais bien apprendre à monter à cheval. J'ai jamais voulu avant, mais là t'imagines ? Tu mets la musique et tu trottes. Tu te sens voler, je suis sûre. Tu sais monter à cheval, toi ?" Sous-entendu : tu m'apprendrais ?
Et hop, on allait en prison. Le style architectural faisait un peu caverne préhistorique, et Lola s'attendait à moitié à voir une lampe et un génie. "MAIS C'EST QUI CET HOMME SUBLIME ?" Elle parlait, oui, de l'Indien, el Indio, le psychopathe magnifique. "Mais pourquoi il tue le vieux ?" Ca n'avait aucune utilité, il aurait juste pu lui voler ses affaires. Il s'appelait Nino. Elle retint bien cette information, au cas où elle le croisait un jour (dans ses rêves). "Okay, cette intro de grand méchant est incroyable. Et ce poster, my god, ce poster. On peut l'acheter en ligne ? Je l'aimerais tellement dans ma chambre."
On suivait le psychopathe dans sa quête de vengeance. Dix-huit mois pour une femme et un bébé qui meurent en une seconde : c'est bien la preuve que ça ne sert à rien de se marier et d'avoir des enfants. Lola attendait la suite avec impatience, car elle sentait bien que l'Indien réservait un sort particulier au père de famille éploré. Et oui, et oui, et oui, il y eut un duel de regards sur fond de musique, "Mais quelle classe, bon sang, je me répète, mais là c'est pas possible". N'empêche que c'était improbable que l'homme attende sagement la fin de la musique pour venger sa femme et son enfant, mais admettons, et ensuite il mettait un milliard d'années à dégainer. Et tout ce que cela inspira à Lola fut : "MAIS C'EST TELLEMENT MIEUX QUE TARANTINO !" Elle avait l'impression de comprendre des années de cinéma d'un coup. De découvrir un pan complètement inconnu de la culture de l'humanité. Elle était heureuse comme une enfant.
On m'appelle MalabarOui, la vie n'avait aucune foutue valeur dans les westerns et ce n'était pas ce film là qui contredirait la phrase d'ouverture. Quand Lola vint à réagir à la Bible posée sur la table, constatant qu'elle ne s'était jamais donnée la peine d'ouvrir le livre sacré, Arthur arqua un sourcil étonné. Puis, le deuxième se leva à son retournement de question :
- Ce n'est pas comme si j'avais un crucifix au-dessus de mon lit..
Sous ses airs désordonnés et sauvages vivaient un homme excessivement pieux, résultat d'une éducation à l'ancienne, baignée dans la religion. Il n'avait rien connu d'autres, il ne s'imaginait même pas l'effet que cela procurait d'être athée. Un néant considérable, un gouffre sans fond dont il ne désirait pas s'approcher, par crainte d'y chuter. Tandis qu'elle s'impatientait pour Clint, la scène du cheval reçut le succès escompté avec une Lola s'agitant dans tous les sens, tel un macaque en panique. Mais la vue de Clint, et du magnifique psychopathe la radoucit :
- Sérieusement ? Tu ne sais pas monter à cheval ? Ok ok... Va falloir remédier à ça, je ne te laisserai pas rater ta vie plus longtemps Lola..
Le duel dans l'honneur plut à l'immontée à cheval, lui rappelant les meilleures heures de Tarantino et plus si affinités visiblement. Elle semblait bien plus sous le charme de cet antagoniste que celui du précédent volet, Ramon, qu'elle avait traité d'idiot pendant tout le film. Puis, le manchot agressa un gosse pour lui faire cracher le morceau, la rouquine au comptoir rêvait de se faire dérouiller le cul par Clint, l'autre chasseur de prime cherche la merde à un des mecs d'El Indio en allumant sa clope sur lui. LA PROVOCATION INTERDITE ! Qui frottait une allumette contre quelqu'un ? On ne voyait ça que dans les Western mais dans le genre, El Mercenario, qui n'était pas au programme aujourd'hui faisait 10x mieux avec un personnage qui ne cessait de prendre les autres pour des chandelles durant tout le film. Les deux hommes, Eastwood et Leef se provoquèrent au beau milieu de la nuit, mais ce jeu découla rapidement sur une association des plus cool. Puis, Lola découvrirait que le Colonel Mortimer portait la même montre gousset qu'El Indio, supposant un lien. Une affaire de meuf unissait vraisemblablement les deux et le Colonel pria le Manchot de lui laisser El Indio, en plus de partager la somme :
- Y'a toujours une histoire de meufs ou de frics derrière les embrouilles...
Clint, el famoso manchot du far west s'infiltra dans la bande d'El indio dans un numéro Eastwoodien qui charma le mexicain aux yeux clairs. Puis, l'attaque de la banque survint le lendemain, avec la récupération du meuble conçu par le compagnon de taule abattu par El Indio. Problème, comment l'ouvrir ? Ce fut à cet instant là que le Colonel remplit sa part du marché en prétendant pouvoir ouvrir le coffre mais le pot-aux-roses fut découvert et les deux nigots équipiers passèrent un sale quart d'heure.
- Leone aime bien torturer Clint dans ces films. A chaque fois, il se prend une dérouillée par la tribu des enculés à un moment donné.
Arthur fit sourire Lola en montrant autant de surprise lorsqu'elle parla de la Bible. Elle en avait lu bien des passages dans son éducation catholique, ou plutôt elle en avait écouté, de la bouche des prêtres, de ses parents, pendant les fêtes religieuses, les messes. Ca lui était un peu (beaucoup) passé au-dessus de la tête, ceci dit. Les paraboles ne l'intéressaient pas plus que ça. La moralité dogmatique non plus. Entre morale et éthique, elle choisirait toujours éthique.
"C'est vrai, tu vas m'apprendre à monter à cheval ?" se réjouit Lola, les yeux soudain remplis d'étoiles. Mais c'était merveilleux, ça ! Elle s'imaginait habillée en cow-boy, galopant à travers la plaine, le vent dans les cheveux. Elle n'avait aucune idée de comment elle ferait comprendre au cheval qu'il était temps de rentrer, mais ça, Arthur le lui dirait. "Mais où ?" lui demanda-t-elle soudain. Elle ne connaissait pas vraiment d'endroits où on pouvait juste aller et monter à cheval.
Clint arrivait dans le village et parlait avec un enfant de la femme qui tenait l'hôtel. "The landlady is married ? - Yes, but she doesn't mind." Lola s'écroula de rire. Ah, d'accord, ce gamin était très informé. Son rire continua en voyant à quel point la dame en question se pâmait pour Clint, ce qui par ailleurs était compréhensible, sauf par son mari. "Il abuse à être vexé, Clint est objectivement sublime", remarqua Lola en secouant la tête. Puis on allait chez El Indio, et il y avait des plans sublimement composés, et Lola ne put retenir une remarque d'artiste, "On dirait des tableaux religieux, c'est magnifique". Et la bande de méchants préparait le braquage, et Lola se pencha en avant pour tout bien écouter - ce qui ne l'empêcha pas de commenter : "J'adore la préparation des braquages. T'as vu Ocean's Eleven ? Twelve ? Thirteen ? Casa de Papel ? Dog Day's Afternoon ? Inside Man ?" Oui, elle était vraiment fan de ce genre de film.
Puis, El Indio partait dans un monologue, et Lola paniqua, "Attends, attends, je m'attendais pas à un monologue, on peut rembobiner ?", et ils revinrent en arrière, et Lola regarda, okay, okay, okay, "attends, j'ai encore décroché, mais c'est parce que", elle mit sur pause, "c'est parce qu'il y a un arrière-fond religieux, il y a mille symboles, chaque plan est réfléchi, je peux pas, c'est trop beau", elle appuya sur play de nouveau, mais décidément ça ne rentrait pas, "putain j'ai rien écouté de nouveau, ça parle d'un prêtre qui tue ?" Au stade où on en était, Arthur risquait de l'assassiner. Certes. Mais bon.
Alerte à la phrase culte : "Only a complete fool would attempt it. - Yeah, or a complete madman." Lola souriait de toutes ses dents. C'était bien dit. Clint entrait dans un saloon, avec une petite veste étrange en peau de mouton, et Lola se demanda si ça avait vraiment existé tout ça, les saloons, les villes de sable, les meurtres toutes les cinq secondes, les braquages de banque à tout va. Il y avait une nouvelle scène de regards, et Lola éclata de rire, "Yo, mais à l'époque où il n'y avait pas Internet, en fait les gens passaient juste leur temps à se regarder".
La scène de l'allumette arriva, et là, Lola n'y comprenait plus rien. "Bah, pourquoi ils sont partis ? C'est genre une méga insulte dans le coin ?" Et tout le monde partait et personne ne finissait son verre, c'était un vrai gâchis. Clint allait ensuite parler à un petit vieux dans une maison étrange, et ça devenait une comédie dialoguée sur l'histoire socio-économique des trains et la paupérisation à cause de la révolution industrielle, et Lola hochait de la tête, tout en s'étonnant de la portée politique du film.
Clint et le mec flippant se retrouvaient à la nuit tombée, et un type ne savait pas quoi faire des valises, et "C'EST UN CHINOIS JE T'AVAIS DIT QU'IL Y AVAIT DES CHINOIS". Et ça partait en duel de coqs, qui est le plus fort, le plus rapide, le plus beau. "Les gens se provoquaient vraiment bizarrement à l'époque, genre viens j'allume mon allumette sur ton manteau, viens je prends ton cigare pour allumer ma pipe, viens je frotte ma botte sur la tienne." Elle se dit qu'il y avait beaucoup de connotations homosexuelles aussi, mais elle connaissait assez Arthur pour ne pas oser un tel commentaire devant lui.
La pression montait. On voyait les forces et les faiblesses de chacun des deux héros. "What, trop cool, ce plan du chapeau qui vole, on dirait un peu un Détraqueur." Difficile d'échapper aux références à Harry Potter quand Lola était dans la pièce. Puis les deux mecs, après tout ça, allaient prendre un verre ensemble, et Lola éclatait de nouveau de rire, "Trop drôle comment on se fait des amis là-bas, viens je tire sur ton chapeau et après on boit un verre". Clint parlait de prendre sa retraite, "Oh my, attends-moi Clint, j'arrive, on se marie, on a des enfants", et Lola hochait de la tête en espérant que le personnage pouvait l'entendre de l'autre côté de l'écran.
Les héros s'accordaient sur un plan. Et quelqu'un allumait une allumette sur un vêtement, "MAIS COMMENT ILS FONT, tu sais le faire, toi ?" demanda-t-elle à Arthur en se tournant vers lui, "t'as un jean et des allumettes dans la maison ?". C'état intrigant comme technique, quand même. Et puis la conversation entre les deux hommes se terminait sur un plan de la petite montre à gousset, d'une photo à l'intérieur, et ça coupait sur El Indio, et Lola, qui n'avait rien compris (la pauvre enfant), se dit que peut-être le mec flippant était le père d'El Indio.
Le thème musical d'El Indio reprenait, et Lola en avait des frissons, c'était une musique tellement parfaite. On partait sur un flashback, où il y avait des gens riches mais surtout propres, très bizarre. Lola fit ensuite attention aux mouvements et gestuelles des méchants, et remarqua : "C'est fou, même les Peaky Blinders héritent énormément des westerns, en fait, dans la musique et le portrait de l'homme violent qui a des valeurs." Elle se sentait de plus en plus à l'aise dans le rythme étrange de ce genre cinématographique, où tout se jouait sur l'attente, le temps qui passe, la pause, comme si c'était une danse, une symphonie.
Le braquage de banque eut lieu, et ce fut parfaitement exécuté. "Okay, je suis impressionnée", reconnut Lola, elle ne s'attendait vraiment pas à ça. "Ahhhhh, okay, il a tué le menuisier, le mec là dans la prison, parce que c'était la seule autre personne à savoir l'emplacement secret de l'argent." Mille ans de retard. No problem. Les paysages étaient si beaux. Et puis Lola repartait en fou rire car El Indio disait "allons à Agua Caliente", et il y avait un cut, et il disait que voilà, ils étaient arrivés à Agua Caliente. "Quelqu'un s'est raté en salle de montage." Clint entrait en ville, et tout le monde partait en courant. Lola observait les femmes voilées, l'architecture. On avait changé d'univers. Clint faisait face à trois hommes. "C'est intéressant ce leitmotiv du chiffre trois, Clint tue toujours par trois, je me demande ce que ça symbolise."
Lola remarqua aussi que le film jouait énormément sur la psychologie inversée et la manipulation de personnage en personnage, ce qui lui fut confirmé lorsque le mec flippant attendait Clint sur le balcon, tranquillement. Et il rejoignait la bande à son tour. "C'est un film d'agents infiltrés, en fait, c'est trop bien", dit-elle en regardant l'ouverture du coffre. Ce qui la déconcertait, en revanche, c'était l'éthique incohérente d'El Indio, qui avait l'air de tenir à son argent, alors que ce n'était pas logique par rapport à son style de vie.