J'ai encore le nez qui élance. En vrai c'pas si pire, j'ai déjà eu des os cassés qui ont fait bien plus mal sur le long terme. L'ecchymose est partie au bout de quelques jours, les saignements après quelques heures. Ça a pas trop fait peur aux clients pendant le temps des Fêtes, c'est pas comme si j'avais pas maîtrisé l'art de mettre du fond de teint du temps de la fac avec toutes les bagarres dans lesquelles je me fourrais. Bon, y'a Charles aussi qui s'est laissée aller à ses techniques de contouring et qui m'a fait un joli pif à la poudre pour cernes, c'était du bon, c'était du solide, ça rendait bien.

Mais c'est le dernier de mes soucis, qu'il m'ait pété le nez. C'est le dernier de mes soucis parce que c'est un enfoiré et parce qu'un nez éclaté c'est rien à comparé d'une existence à être un vrai raté, à être une cible ambulante. À être le gars que je fabulais presque autant de défoncer qu'Ezra, c'est pour dire.

« C'est le dernier moment pour abandonner McGrath ! Prêt ? » « Dégage t'es pas assez rapide. » et je suis pas sympa, j'avoue. Je suis pas sympa quand je la pousse, quand je pique son matériel pour crocheter, quand je fais ce que je l'ai vu faire des dizaines de fois déjà, que je m'y applique comme si c'était une solution scientifique méga complexe à élucider. La serrure craque sous mes manoeuvres, je me redresse fier comme un coq, poussant la porte de l'épaule sans la moindre intention de reculer. Il est pas là et c'est la merde, peut-être que si on fait assez de bruit ses oreilles qui doivent crever sous l'acouphène tant je rage sur son cas le mèneront à son appartement avant qu'on ait tout éclaté. Lol, j'en doute. Mais dans ce cas-là le plan B pour Battre à mort aura lieu aussi et là, ce sera Noël une seconde fois pour moi.

« 15 minutes. On traîne pas, on brise tout. » je sais, je sais, il a des colocs. Il aurait dû penser à ça quand il a emmené ma soeur à l'autre bout du monde. Il y pensera je le jure, quand il entrera dans son bel appart avec vue sur la ville, vue qu'il aura pas le choix de regarder parce que ce sera certainement pas la télé qu'il lui filera un beau panorama. Après que j'y ai foutu un coup de pied violent et rageur dedans. L'écran éclate, elle tombe au sol en se fracassant un peu plus. Mes mots volent vers Jill, mes yeux cherchent mon nouveau punching ball. « Rends-moi fier et à ton anniversaire j't'achète un poney. » allez Jillian, trouve un truc qui fait encore plus de bruit quand tu le démolis, vas-y, fais-le.

« Oui chef ! » de la musique, de la putain de musique à mes oreilles. Elle obéit jamais Jill, elle en a rien à foutre des ordres de qui que ce soit et encore plus des miens alors je perds pas de temps avec ça. Pourtant là, le seul et unique but commun est clair, précis, évident, et atteignable, tellement atteignable.

Et on entre, et elle se tire de son côté, moi du mien. « Je trouve sa chambre » t'as qu'à suivre les traces de sang au sol parce que c'est là qu'il y amène ses cadavres pour les empiler dans son garde-robe et se féliciter d'être une maniaque psychopathe sans que personne s'en soit rendu compte ouais. Continue de penser que ce sont que des corps désarticulés qu'il y a eus dans sa chambre Matt, continue de te bombarder d'images gores et sanglantes et dégueulasses, comme ça t'auras pas la moindre place pour y glisser une vision de ta soeur qui passe la porte, de la paume collante de sucre et de peinture de Gin qu'elle aurait jamais, jamais, jamais posé sur sa poignée - ah tiens, un téléviseur à éclater. « Ooooh un poney j'en ai toujours rêvé ! » y'a des bruits de verre qui casse, j'entends au loin un truc qui tombe par la fenêtre qui chute et qui crève en mille morceaux sur le trottoir. « Assez fier là ? »

« Meh, t'es capable de mieux. » c'est juste ça que j'ai besoin de dire pour qu'elle presse le rythme et pour qu'elle fasse le plus pire du pire. Je la connais ma soeur, et elle me connaît tout autant, quand on est partisans des actions dans la famille bien plus que des mots, et que d'office, je lui montre ce que je veux dire. « Genre, ça c'est mieux. » j'assène une immense coup avec la première chaise trouvée du bord sur la porte de sa chambre, sur la porte qu'il fermera plus jamais le connard, sur la porte qui restera ouverte pour qu'il puisse jamais y avoir d'intimité là, et merde pense aux cadavres encore Matt, pense qu'à ça. « Faut toujours que je joue le mentor avec toi, c'est lourd à force. » ce qui est lourd aussi, c'est l'immense meuble qui contient des tas de livres et de carnets. Des trucs en genre de poterie de merde qu'il a dû faire et mettre là à exhiber au plus stupide. Et des prix qu'il a gagnés le raté, parce qu'il y a encore des gens dans ce monde qui pensent qu'il sait faire autre chose de ses dix doigts que tout détruire sur son passage. Ce même meuble que je pousse en sens inverse du mur de toute mes forces, qui s'effondre. Qui amène avec lui tout son contenu dans un vacarme qui aurait tout pour alarmer les flics même s'ils étaient pas dans le quartier. Un coup d'oeil à ma montre, et on continue le carnage.

Je vais le tuer. Je vais le tuer et il arrêtera de m’emmerder, ce putain de McGrath. Et la mini McGrath qui l’accompagne, là, c’est du pareil au même. Je vais la tuer elle aussi parce qu’elle manquera à personne et si tel est le cas ils n’auront qu’à la suivre en enfer et me chauffer la place pour plus tard, ces espèces d’abrutis tous joyeusement réunis. J’ai une ouverture de trois secondes à peine avant que soeur McGrath numéro trois, alias Ginny, ne débarque à son tour au beau milieu de la cacophonie générale. Ca ne change rien à d’habitude, soit dit en passant. Elle a été chargée de remonter les poubelles jusque dans leur abri parce que j’avais personnellement aucune envie de poser mes mains au milieu de tout ça alors que les siennes sont habituées à toujours être sales alors cela ne la chamboulera pas. Ca me donnait aussi du temps pour trouver les croquettes de Pizzasagne que j’ai si bien rangé que j’en ai oublié le lieu, histoire qu’elle monte les trois étages pour avoir l’incroyable honneur de pouvoir les redescendre aussitôt. Ca devait être l’affaire d’une minute, d’un bonjour arrivé aussi vite que le au revoir. C’était sans compter le reste de la joyeuse troupe McGrath.

« Ca donnera peut-être envie à des inconnus de venir cambrioler l'appartement ! » C’est drôle, ça, McPuttana, vas-y répète le pour voir ?

Finalement c’est surtout l’agacement qui l’emporte devant la surprise, l’idée de voir ces deux là réunis chez moi me donne envie de simplement déménager pour ne pas avoir à retrouver leur empreinte de partout. Mais je ne réagis pas sous le coup de la colère, pourtant, je le jure. Si j’attrape une poêle, c’est parce qu’il est l’heure de cuisiner, non ? Non. C’est surtout l’heure de profiter de leur euphorie pour m’avancer sans qu’ils m’entendent, tous deux bien trop occupés à détruire du matériel auquel je n’accorde aucune importance et à crier à en réveiller tout l’immeuble. Rien d’étonnant une fois encore, bien moins étonnant en tout cas avant que la poêle en question ne vienne se déposer d’une manière tout sauf délicate avec l’arrière du crâne de Matt. Ca résonne, son crâne, à tel point que la poele tremble à son tour. Il a de la chance que je n’ai frappé que l’arrière de son crâne et que la plaie sera largement cachée par ses cheveux, parce que s’il avait été face à moi je n’aurais pas hésité un seul instant à le frapper de face. Alors Matt est out pour deux secondes au moins et mes yeux se posent seulement sur la brune qui n’aura jamais aucun traitement de faveur à mes yeux, femme ou pas. Elle aurait pu être celle à prendre le coup de poêle si elle avait été la plus proche ; sans doute même que le prochain sera pour elle parce qu’il est bien connu qu’un poignet inutilisable est toujours remplacé par une poêle en fonte flambant neuve. ”Dehors. Vous deux. Maintenant.” Elle va arriver et elle va encore vouloir nous faire la peau à tous. Mais cette fois ci au moins on sait tous que ce n’est pas moi qui ai commencé quoi que ce soit.

Il a appris à donner la patte. Il. A. Appris. À. Donner. La. Patte.

Et vite comme ça, ma vie a enfin un sens. C'est pas grand chose j'en conviens, c'est pas le truc le plus complexe à apprendre, limite ils naissent tous avec ce référent là en tête tellement c'est facile à faire. Et pourtant depuis que je lui ai montré, c'est la seule et unique chose que je suis en mesure de placer à l'horaire. J'ai fait la démo avec lui à Lola, j'ai répété devant Robin. J'ai envoyé des vidéos infinies à Noah pour qu'il le voit en temps réel même s'il est en cours et c'est là où je réalise que je suis vraiment une très, très, très horrible mère.

Y'a eu le drame aussi. Celui d'être passée à travers le sac complet de friandises au beurre d'arachide et à la banane, son treat pref de chez pref selon moi. Mais pas selon Auden, qui se vante qu'il a les meilleurs biscuits chez lui, que c'est pas avec quoi que ce soit d'autre que ses croquettes que Pizzasagne saura comment stimuler ses papilles. Et on endure les embouteillages de Toowong à Spring Hill, et on remonte toute la ville dans un sens. Quand je sais très bien que je la redescendrai dans l'autre, en bus et en pleine heure de pointe suffocante de chaleur dans 10 minutes à peine à sentir la sueur de 40 000 inconnus se mêler à la mienne. Fun times.

Ses poubelles puent, la mère pas si indigne que ça en moi se charge de les descendre, et il monte Aude. Tant mieux, j'aurai pas besoin de braver son antre pour partir à la recherche des fameuses croquettes quand il aura été aspiré par la première note du générique de T'Choupi à la télé. Tout sera déjà prêt.

« Laisse pas ta porte ouverte y'a des tas de trucs louches qui pourraient entrer genre des serpents ou des mouches mutantes ou même des kangou- » de base, j'aurais pu arrêter mon plaidoyer parce qu'il n'y a aucune chance qu'il me prenne au sérieux vu le nombre de fois où ma porte à moi reste grande ouverte. J'aurais aussi pu arrêter de jacasser parce qu'un kangourou c'est mignon, et que de tomber nez à nez avec un au retour du boulot c'est le paradis sur Terre. Mais à la place, mes mots ils se bloquent, ils s'arrêtent dans leur course, et c'est le bruit des éclats de verre sous mes baskets qui complètent ma présence.

Matt au sol, Jill qui rage, Auden a une poêle à la main et y'a des débris partout, c'est la guerre et tout ce que je trouve à dire, et j'en suis pas fière soyez-en sûrs, c'est ceci. « Si c'est ça votre tactique de réconciliation à tous, va falloir m'expliquer comment ça fonctionne parce que je doute du résultat final. »

"Matt !" fuck. Damn fucking fuck. J'ai la tête qui résonne, y'a des étourdissements qui s'en mêlent. Et le pire là-dedans, c'est pas la douleur qui est tellement intense qu'elle me suffoque, mais c'est que la dernière chose que j'ai vue avant de blackout total, c'est sa gueule de merde dans le reflet du miroir cassé que j'avais devant moi. Je vais le tuer. Pour vrai cette fois.

« Bah oui Aud, qu'est ce qui t'a pris ? »
« Il avait envie de compter en secondes plutôt qu'en heures son décompte avant que je l'éclate. »

Lola est partout et nulle part, Lola qui rigole avec son rire de gamine aussi adorable que nouvellement en cause d'une migraine qui défonce mes tempes. Mais elle fait pas exprès la brunette, elle essaie, elle masse, elle tire mes cheveux mais elle me donne de l'or là, si seulement elle savait. Parce que je l'anticipe, le regard hagard d'Auden. Parce que je suis pas con, malgré les dizaines de rumeurs et autres légendes urbaines à ce sujet, et parce que je sais qu'il est un putain de chien de garde possessif du moment où y'a des gens qui se rapprochent de ses protégées. Je le sais, parce qu'on est fait du même bois lui et moi. Pour ça, pour ça uniquement.

« Bienvenue chez les McGrath girl ! » famille de bombes à retardement, famille qui planifie encore et toujours un coup d'avance. « ça aurait été un plan parfait si vous aviez suivi le planning ! Et d'ailleurs Lola on comptait vous laissez de la thune à toi et l'autre coloc pour vous montrer que c'était pas contre vous ! » parce que pendant que Jill distrait la galerie, moi je plante mon regard bien fort et bien creux dans celui de Williams. Il m'a appris de force ses putains de règles d'idiot y'a des années de ça, c'est à moi de lui montrer que je sais jouer aussi. « Ah damn, j'espère que j'ai pas sali ton t-shirt. Il est vraiment cool - » et ma main qui remonte le long de la silhouette de Lola lovée contre moi, et mes prunelles acérées qui ne lâchent pas celles d'Auden pendant ce temps. Encore moins quand je niche mon nez dans le cou de la Wright, quand je chuchote à son oreille ce qu'elle sera la seule à entendre. « - prends Gin et foutez le camp d'ici. »

A croire que mon appartement est devenu une fourmilière, y’a Ginny qui revient (trop tôt) des poubelles, y’a Lola qui se croit déjà (un peu trop) chez elle et surtout surtout y’a les des autres McGrath qui vont tout sauf partir de chez moi. C’est un champs de bataille et les soldats sont des rats au nombre de deux (pas de serpents, de mouches mutantes ou même de kangourous mais bien deux affreux rats), Ginny est l’entremetteuse qui n’arrive à rien apaiser du tout tellement la haine est ancrée depuis des années déjà. La haine viscérale du grand frère, la haine viscérale de la droguée ; et la haine viscérale du reste de sa famille en générale. Heureusement que Lola est là pour être dans mon camp, pour qu’on se retrouve à un deux contre d - … "Matt !" Comment ça, Matt ? Comment ça cette espèce de vieille sorcière et de traîtresse est en train de lui masser la tête comme s’il y avait réellement quoi que ce soit à sauver là dedans ? (ou même quoi que ce soit qui ait existé dans son crâne) Lola me reproche presque d’avoir remis l’intrus à sa place, Jillian me reproche carrément de ne pas me tenir à un foutu planning dont j’ignorais totalement l’existence et d’ici à une seconde ce sera au tour de Matt de me menacer de mort pour la énième fois. ”Jillian tu veux vraiment que j’appelle les flics et leur demande en même temps un test pour les drogues ? Tu veux un procès au cul ? Barre toi de là avec ton bout de bois.” Je vais lui lancer la poêle à la figure. Ca résonne apparemment très bien sur la tête des McGrath, ça résonnerait d’autant plus sur la sienne au milieu des trous faits à cause des drogues aussi diverses que variées et les excès en tout genre. J’aurais dû lui faire avoir un accident quand j’en avais encore l’occasion, à elle. ”Garde ta thune pour ta désintox.”

Et Lola, oh Lola. Elle ne sait pas ce qu’elle fait, elle accorde trop d’importance à sa mâchoire ciselée et vraiment si c’est que ça le problème je peux pas lui casser pour qu’elle aille voir ailleurs et qu’elle se rende compte de son erreur.
Et Matt, oh ce putain de Matt. Je vais le saigner à blanc, lui et ses yeux qui ne me lâchent pas. Je vais les lui arracher, les deux, avec son coeur, alors qu’il est trop collé à elle, que y’a trop de contact physique alors qu’il ne devrait pas y en avoir aucun. Et il lui susurre à l’oreille et cet espèce de petit abruti utilise les mêmes techniques que j’ai utilisé mille fois face à lui et je bout. J’ai aucune idée de ce qu’il lui dit et une partie de moi sait que ce ne sont que des conneries alors que le reste, tout le reste, elle a seulement envie de le tuer un peu plus rapidement encore. « Ah damn, j'espère que j'ai pas sali ton t-shirt. Il est vraiment cool - » S’il la touche je le tue. S’il ne la touche pas je le tue quand même mais peut être que la mort sera moins lente, qu’il agonisera peut être un peu moins. ”Lola, dehors.” Elle calme, là, ma voix. Elle est froide, elle est dure, mais elle est calme encore un peu. ”LOLA TU SORS, MAINTENANT.” Elle est beaucoup moins calme maintenant par contre, quand je crie, quand je sens déjà mes veines devenir saillantes, quand je suis en train de me demander si je lui casser les genoux ou les épaules en premier. ”Ah damn, j’espère que j’ai pas fait peur au bébé.” J'ironise en reprenant ses mots, son expression, son timbre de voix bien trop haut pour être humain. Mes yeux se posent sur Ginny, aussi désolés que suppliants. Elle aussi, elle doit sortir. C’est entre lui et moi seulement, pas même son berger allemand à qui ils ont donné le nom de Jillian.

”Lola, dehors.” oh, come on Auden. Tu me le donnes si facile là, tu t'es même pas caché, t'as même pas tenu genre pendant 30 secondes, tu fais juste rager et c'est si facile, c'est tellement facile au final que je me demande pourquoi j'en ai pas fait ma seule et unique priorité quotidienne que de le faire chier en ce sens. Faudra que je mette Lola dans le coup, qu'elle me dise quand il nous regarde, qu'elle me dise de quel niveau de rouge cramoisi sont ses joues, qu'on complote à deux et qu'on en fasse un travail d'équipe là parce que je pense franchement qu'elle et moi on serait une excellente équipe pour rendre Williams complètement fou et - ”LOLA TU SORS, MAINTENANT.” « C'est pas un chien, lui crie pas dessus. » quand bien même on veut exactement la même chose, à savoir qu'elle sorte d'ici (et qu'elle amène Gin avec), c'est pas une raison pour lui gueuler des ordres comme un démené.

Et mes bras la lâchent parce qu'ultimement, faut qu'elle parte, c'est ça le plan. Jill est toujours là, Jill la valeur sûre. Elle va sauter dans la mêlée dès qu'elle le voudra et attendra jamais un quelconque signal, c'est pour ça que je l'aime autant. Y'a une part de fierté aussi, de voir qu'elle est pas encore sautée à la gorge de Ginny parce qu'elle respire. Et juste pour ça, j'ai presque la larme à l'oeil, je l'aurais presque en fait, si ma seule priorité était pas de démolir la cible que j'ai tartinée mentalement sur la tête de connard d'Auden. Cette même cible que je me fous de taper au milieu ou sur les coins ou par devant, derrière. Je veux juste taper, je veux juste taper fort et je me lève là, je jure que ça s'en vient.

”Ah damn, j’espère que j’ai pas fait peur au bébé.”
« Le quoi? » le bébé Matt, il a dit le bébé et après il a regardé Ginny.

C'est pas compliqué, pourquoi tu fais un arrêt sur image, pourquoi tu bloques, pourquoi ta mâchoire se serre presque plus que tes poings? Pourquoi tu les fusilles du regard, elle et lui? Et le ventre même, lui aussi il y passe. Pourquoi t'as plus aucun air qui entre, encore moins qui sort? Pourquoi est-ce que tu donnes un violent coup de pied sur la première chaise du bord, celle qui aurait dû calmer tes nerfs, celle qui fait juste les empirer? Pourquoi la seule chose que tu finis par cracher, venimeux, haineux, hargneux et autres synonymes vers elle, c'est ça? « LE-QUOI? »

« Je suis pas un chien, me crie pas dessus. »

Y'a Aud qui fulmine, qui regarde Matt comme un chien enragé, et Matt qui joue. Jill l'aime tant Matt quand il est comme ça, quand il défi le Williams pour le rendre fou. Et il fait bien d'utiliser Lola, parce que Jill sait très bien qu'elle n'a d'yeux que pour lui, alors autant l'utiliser à leur avantage. Et il est prévisible Auden, il se met à crier sur Lola et Matt devance Jill. Parce qu'il lui crie dessus comme si elle était une enfant, mais Matt la défend. Encore un bon point pour lui aux yeux de la petite brune qui arrive au milieu de tout ça sans connaître les conséquences de ses actes.

Mais les deux autres filles n'ont rien à faire là, parce qu'elles sont bien trop naïves et fragiles, et que Jill n'avait pas prévu de se faire prendre par tout ce monde. Ginny allait certainement encore lui en vouloir, ce sera pas la première fois. Et puis, vu l'état des deux garçons, son attention ne va pas être sur Jill bien longtemps. Parce que, si elles décidaient de les laisser là tous les deux, elles pouvaient être sûre qu'ils ne sortiraient pas entier de cet appartement. « J'ai jamais été aussi sobre que quand j'ai pris la décision de venir te faire chier directement dans ton appart ! » Et elle sourit, parce qu'elle adore le mettre hors de lui, et qu'elle sait que sa simple existence en général suffit à ça. Il parle de désintox et elle lui fait un doigt avec sa main libre, et elle secoue la tête parce qu'il se répète souvent Auden. « Mais c'est qu'il radote le vieux. » Parce que quand il pensait ou parlait à Jill, elle allait de paire avec la drogue.

Le bébé, il parle du bébé le con. « Mais quel connard » Jill ne peut s'empêcher de laisser sortir cette phrase, elle n'y a même pas réfléchi en réalité. Et elle regarde Ginny en secouant la tête. Jill passe sa main sur son visage, et elle hésitait même à rester là pour voir Matt déchiqueter le connard de la pièce. Et le pire dans cette histoire, c'est que, même après ça, Ginny continuera à le suivre partout et à lui faire confiance. Elle grogne sans même dire un mot. Elle se retient d'hurler sur Ginny qui est encore dans l'embrasure de la porte. « Lola, tu peux rester uniquement si tu nous aides à jeter Auden par cette fenêtre pour faire penser que sa mort est un suicide ! ». Et elle tient toujours ce bout de bois dans sa main, et elle lutte pour ne pas réduire la distance entre le bois et les côtes d'Auden. Elle lutte de toutes ses forces, elle attend de voir ce que Matt a prévu. « Sinon pars avec Ginny, je suis pas sûre que vous ayez envie d'assister à ça. »

”Ah damn, j’espère que j’ai pas fait peur au bébé.”
« LE-QUOI? »
« Je suis pas un chien, me crie pas dessus. »

Et la pièce, elle tourne autour de moi. Ce qui est ridicule, parce que tout le monde est immobile, parce qu'ils ont même tous arrêté de respirer. L'entrebâillement de la porte me sert de tuteur, me garde droite, mais je m'en détache presqu'automatiquement, parce qu'étrangement je n'en ai pas besoin, je n'en veux plus, de son support. Mes yeux n'ont pas lâchés ceux de mon frère qu'il garde bien ancrés dans les miens, qu'il garde bien noirs aussi, ça m'étonne pas du tout tristement. J'avais anticipé cette annonce, j'avais lâchement voulu la repousser aussi longtemps que possible pour des tonnes de raisons toutes aussi variées qu'évidentes ; mais celle-là, celle que je lis dans ses prunelles, je m'y attendais pas. Il est inquiet Matt, il est terrorisé, il sait ce qui a suivi l'annonce de Noah, il sait dans quel état il m'a retrouvée à Londres, il sait tout le raz-de-marée que ma première grossesse a occasionné, et il est terrifié que ça recommence.

« Lola, tu peux rester uniquement si tu nous aides à jeter Auden par cette fenêtre pour faire penser que sa mort est un suicide ! Sinon pars avec Ginny, je suis pas sûre que vous ayez envie d'assister à ça. » Jill s'occupe de Lola, Jill s'occupe d'entretenir la rage d'Auden, Jill s'occupe de distraire tous les autres joueurs parce qu'elle sait que ce qui se passe là entre Matt et moi est lourd de sens, parce que ce qui se trame dans sa tête en ce moment est bien plus horrible que ce que qui que ce soit dans cette pièce pourrait penser. Certains ont tous les éléments, et d'autres non. C'est toujours comme ça, et ça m'énerve, et ça m'enrage, et ça me brise aussi, évidemment.

« Le bébé, Matt. T'as très bien entendu. » ma voix est douce mais catégorique. Si lui se souvient de mon état, j'ai encore le sien bien ancré dans ma tête. Comment il avait si mal géré, comment il a tout gâché. Comment il a cassé, démoli, tout fait exploser sur son sillage. Comment je ne le laisserai même pas s'approcher à dix kilomètres de moi s'il prévoit recommencer une seconde fois.

"On est tous là pour une seule personne. T'es pas là pour Matt, il est pas là pour toi. On est tous là pour Ginny. Et Noah. Et bientôt le bébé." c'est la voix de Lola qui me rattrape au vol, quand elle parle à nouveau, quand elle fait ce qu'elle sait faire de mieux, à savoir réorganiser les priorités. Elle a ce sens du détail, elle a ce sens de l'entièreté du plan bien plus que des parcelles et même si elle n'acceptera jamais le compliment hors du drame d'aujourd'hui, c'est une des qualités de la brune que je préfère. Elle arrive toujours à voir the big picture, elle est toujours en contrôle de l'entièreté du projet, de la totalité du tableau et- "Tu serais quoi sans Ginny ?" et mes iris quittent ceux de mon frère l'espace d'une fraction de seconde pour croiser ceux d'Auden. J'y reste pas, il me refuserait l'accès et préfèrerait se crever les yeux si je décidais de m'y éterniser. "Bordel, il y a bébé in the house. On peut passer le stade de la maternelle qui se tape dessus et se préparer à l'accueillir ?" le bébé, on pense au bébé.

"Matt et Jill peuvent partir, et on peut ranger. Je peux ranger." oh Lola. « Je m'en occupe. » j'inspire doucement, hoche de la tête de la positive comme si c'était la chose logique à faire d'accepter mon propre plan, de quitter le salon en état post-traumatique pour filer à la cuisine. Les placards se mélangent et je sais plus où chercher quand j'en ouvre un naturellement, mécaniquement. Y'a une tablette encore qui leur est dédiée, ils sont tous là les vermicelles, le balai n'y est de toute évidence pas là lui, et je la refuse même pas, la bribe d'attention que je dédie aux couleurs, les corail et les pastel. J'expire, fort, me détourne pour aller chercher le balai pour vrai, pour ouvrir toutes les portes. Et finir par la trouver appuyé sur le mur du fond, comme s'il était déjà prêt, comme s'il narguait d'avance tous les dégâts qu'il prévoyait.

Je les ai pas quittés assez longtemps pour qu'ils aient eu le temps de s'entretuer, et j'en suis aussi étonnée que fascinée. « Pendant une seconde, c'était presque comme si vous vous étiez tous réunis pour préparer une omelette. » la poêle que je finis par prendre des mains d'Auden, la poser sur la table basse. Et les éclats de verre qui crissent sous les poils drus du balai. Il est étouffant le silence, mais au moins, j'entends la respiration de tout le monde maintenant, c'est déjà ça.