| every single time (mcgrath sisters) |
| | (#)Jeu 6 Fév 2020 - 14:07 | |
| J'aurais pu marcher, en vrai j'ai paniqué pour rien. J'aurais pu ne pas déranger ma soeur, lui offrir un plan de sortie comme tant d'autres fois avant, ne pas lui demander de venir me chercher, lui dire qu'on pouvait se rejoindre là-bas. J'ai demandé à Jill d'être avec moi et j'y tiens, tellement qu'elle s'en étonnerait elle-même. Mais jamais je n'oserais la forcer à faire quoi que ce soit. Peu importe ce qu'elle a dit, peu importe ce qu'elle a promis. J'ai été égoïste de la vouloir à mes côtés pour un rendez-vous de routine qui ne devrait pas faire angoisser qui que ce soit. J'ai été égoïste de lui mettre mon retard et mon empressement dans les pattes, pour une séance que j'aurais pu repousser encore une autre fois, une quatrième, si j'avais vraiment pas pu.
Et pourtant, pas un seule seconde j'ai douté qu'elle viendrait. Même pas quand j'attendais impatiemment sa voiture au coin du trottoir. Même pas quand j'ai réussi à mettre une demie-chanson de mon goût durant le court si court trajet entre le centre hospitalier et la maison de Logan. Même pas quand elle a dû patienter pendant de longues minutes qui s'éternisent à me voir remplir des tas de formulaires comme si j'avais fait ça toute ma vie. On dit que la deuxième grossesse est toujours plus simple que la première et c'est l'impression que j'en ai là, du moins, que j'en ai eue pendant une poignée de secondes tout au plus.
Jusqu'à ce que je réalise que c'est vrai, que tout ça est vrai. Je l'ai réalisé à différents niveaux déjà. À l'hôpital à la seconde où j'ai quitté la chambre de mon aînée pour me gaver d'un café Starbucks trop fort trop sucré. À Noël quand j'ai fait part de mes doutes à Isy. À Berlin quand je me suis cachée dans la salle de bain le temps que le test se fasse pendant qu'Auden se gavait de ma pizza. À l'atelier, quand je l'ai annoncé à demi-mot à Jill. Et maintenant ici, les jambes ballantes au bout de ma chaise, le regard qui erre impoliment entre les patients tous alignés les uns à côté des autres.
« Il va poser des tonnes de questions, et tu vas sûrement vouloir t’endormir des tonnes de fois. » c'est un examen de routine, c'est juste le premier d'une longue lignée, c'est trop long pour rien. Et la dernière fois maman n'avait pas dit un seul mot de l'arrivée dans la salle d'attente jusqu'à la sortie du cabinet. La dernière fois, j'avais pleuré en silence durant le trajet de l'aller comme celui du retour.
La dernière fois, c'était un accent anglais que j'avais entendu résonner à travers la porte entrouverte de mon futur médecin, pas un chantant, pas un australien. « Virginia McGrath? »
« C’est okay si tu m’attends ici et que t'entres pas avec moi, en plus il paraît que leur café est génial. » c'est okay si tu lâches ma main aussi Jill, je sais que je la serre fort la tienne, je sais que mes jointures en sont blanches, je sais tout ça. Et le café, il te tente, n'est-ce pas? |
| | | | (#)Jeu 6 Fév 2020 - 18:13 | |
| Jill est perdue. Et ce message de Ginny la sauve, parce que ça veut dire qu'elle va être occupée pour l'après-midi. Parce qu'elle va écouter tout ce que le médecin doit dire à Ginny, parce qu'elle a fait une promesse à sa petite sœur et qu'elle compte bien la tenir. Et elle n'avait pas prévu de faire ça aujourd'hui, mais elle n'hésite pas à sauter dans sa voiture pour rejoindre Ginny et l'emmener jusqu'à chez son médecin. Elle est stressée Jill, parce que cette situation est nouvelle. Parce qu'elle ne sait pas si elle va pouvoir rester autant de temps avec sa sœur sans que ça dégénère. Parce qu'elle n'a pas le souvenir d'une fois où elle a passé autant de temps avec elle. Seule. Et c'était assez terrifiant. C'était peut-être un nouveau départ, le début d'une nouvelle histoire. C'était important pour Ginny, et Jill n'avait pas le droit de détruire ce moment. Même si elle savait que cette relation ne serait pas toujours aux beaux fixes, elle voulait que, cette fois, ça se passe bien.
Elles arrivent dans la salle d'attente, et Jill n'aime pas ces salles. Elle n'aime pas les médecins en général. Et en plus, elle aime pas attendre. Et elles vont certainement attendre des heures. Alors Jill s'assoit, en vérifiant que Ginny n'est pas loin, et qu'elle a la place de s'asseoir. C'est elle la McGrath enceinte après tout ! Sa main finit dans celle de sa petite sœur, instinctivement.
« Je te laisserai pas toute seule dans cette salle Gin, je te l'ai promis. » Elle pourrait presque grogner parce qu'elle est obligée de se répéter. Mais non, elle se répète qu'elle doit faire un effort aujourd'hui. Parce que Gin ne veut juste pas la gêner ou l'obliger à faire quoi que ce soit. Mais Jill a besoin de la suivre dans cette salle. « Tu te débarrasseras pas de moi aussi facilement ! » Et Jill sourit quelques minutes avant que le médecin appelle Gin. Enfin, Virginia. Et Jill ne peut retenir un petit rire parce qu'elle a toujours trouvé ce prénom ridicule. Leurs parents n'avaient pas eu de supers goûts en ce qui concernait les prénoms des enfants. C'était bien plus rapide que prévu. Certainement parce qu'elles n'étaient pas à l'hôpital. Et elle n'a même pas pu râler, alors elle est un peu déçue.
Jill garde la main de sa sœur dans la sienne, elle ne l'écoute pas, elle lui répond seulement par un sourire amusé avant de l'entrainer dans la salle avec le médecin. « On ira manger et boire un café en sortant d'ici... J'ai la dalle ! » Jill hoche la tête en chuchotant ces mots à l'oreille de sa sœur.
« Vous êtes ? » Jill tourne la tête vers le médecin, méfiante. « Sa sœur, et je ne compte pas sortir de cette salle ! » Jill n'attend pas l'accord du docteur et elle s'assoit sur une des deux chaises libre devant le bureau. Le médecin parle une seconde avec Virginia McGrath (oui elle va certainement l'appeler comme ça pendant quelques temps parce qu'elle avait oublié à quel point ce prénom était drôle.) Ils vont sur une table et il commence ses auscultations. Et Jill fait un clin d’œil rassurant à sa sœur, parce qu'elle voyait qu'elle était inquiète. Mais elle l'était toujours un peu Gin. |
| | | | (#)Ven 7 Fév 2020 - 18:27 | |
| « Je te laisserai pas toute seule dans cette salle Gin, je te l'ai promis. » et même si les voix résonnent, et même si on est entourées, et même si y'a des gens installés sur toutes les chaises à proximité, elle le sait Jill, elle le sent. Je me sens seule, si seule, entourée mais isolée. Le plus étrange restant le fait que je veux l'être, que je veux être assez forte du moins pour l'être. C'est tout un paradoxe que la chaleur de sa main ne fait que rassurer un peu, c'est une immensité de questions qui, même si elle ne dit rien, trouvent toutes leurs réponses par sa présence. « Tu te débarrasseras pas de moi aussi facilement ! » « Je sais. » et ça veut dire merci, ça veut dire je t'aime, ça vaut pour des dizaines et des centaines de mots que je lui dis avec mes yeux, avec la pression de ma paume contre la sienne, les paroles qui elles restent bloquées dans ma gorge. Elle est là et c'est suffisant.
On m'appelle, je sursaute, ce prénom que je ne reconnais jamais pour lui avoir donné tant de distance entre ma vie et sa signification. Virginia, c'est hautain, c'est anglais, c'est eux aussi, eux que j'ai rayé de ma vie il y a presque 2 mois déjà. Quand j'ai commencé à réaliser que quelque chose changeait en moi. « On ira manger et boire un café en sortant d'ici... J'ai la dalle ! » elle chuchote à mon oreille, ses mots me distraient comme me rassurent, mes doigts s'entrelacent un peu plus avec les siens en un puzzle aussi naturel qu'essentiel. « Y'a un stand de crème glacée juste à côté j'ai vu et ils ont des chips aussi je pense et... » et, on nous coupe oui.
Le docteur et sa voix un peu trop sérieuse, le regard qu'il porte à Jill comme s'il faisait partie du 0.1% de la planète qui n'a pas encore capté que plus on lui dit quelque chose, que plus on lui sous-entend une demande, plus elle fera le contraire. « Sa sœur, et je ne compte pas sortir de cette salle ! » « Bien, bien. Dans ce cas, commençons. » il statut, il concède, il ne se bat pas non plus, un grand point pour lui. Il doit pas avoir le temps en vrai, à voir tous les formulaires à signer, tous ses examens à réaliser. Il me fait passer d'une chaise à l'autre, mesure tout ce qu'il peut mesurer. Y'a des questions qui me font rosir les joues, ma soeur qui écoute en parallèle en rira sûrement. Probablement encore plus des mains du praticien qui m'arrachent des râles entre le chatouillement et la surprise désagréable, les instruments froids qui me donnent l'impression d'être un ramassis de chair et d'os et de muscles qu'on déplace d'une table à l'autre, qu'on palpe d'un membre à l'autre.
Il fait froid dans leur blouse médicale, mais elle gratte moins que celle de l'hôpital à Londres. Leur plancher de linoléum lui, il a de jolies teintes, il est glacé et mes pieds nus s'y perdent avec maladresse, mais pas assez pour que je ne scrute pas les couleurs. Les différents sillons, les orangés et les marrons, que je vois leur trajet, que j'improvise des lignes imaginaires dans ma tête, un temps.
« Ça colle, on dirait la pâte arc-en-ciel que Noah a eue à son anniversaire de 3 ans. » un temps, jusqu'à ce que je sois allongée sur la table, la dernière. Celle avec le coussin derrière la nuque, celle en cuir qui craque quand je gesticule, quand je cherche les yeux de ma soeur, quand les néons au plafond me brûlent la rétine. « Tu sais, celui dans le jardin, avec Matt et le croquet et le gâteau jaune. » je gratte les souvenirs, je gratte les référents, je gratte les moments heureux aussi, il y en a tant. Je ne fais que ça au final, pour ne pas sombrer, pour ne laisser aucune chance au stress et aux angoisses et aux démons de prendre toute la place. Ma concentration, je la dédie ailleurs qu'au gel qu'il étale sur ma peau. « J'ai une serviette humide dans mon sac, faudrait juste que je- »
« Vous entendez? » silence, complet. L'écran donne l'impression qu'on est de retour dans le passé, à regarder la lune en noir et blanc. La machine presse sur mon ventre à peine plus rebondi que quand je mange des sushis à volonté au buffet en diagonale de l'atelier. On devrait entendre, il nous dit qu'on le devrait, quand je sursaute et que le moniteur renvoie un grondement, fin, presque irréel. C'est rien, et c'est tout. C'est régulier, c'est faible, mais c'est là, et c'est vrai, tout est vrai. Son coeur, il bat. |
| | | | (#)Sam 8 Fév 2020 - 15:10 | |
| Elles attendent un peu, et elles ont rarement réussi à être aussi proche toutes les deux pendant aussi longtemps. C'est à se demander à quel moment ça va exploser à nouveau, parce que la relation des sœurs McGrath ne sera jamais toute rose. Il y avait trop d'éléments perturbateurs entre elles. Mais pour l'instant ça allait, et puis Jill n'avait pas le droit d'être désagréable aujourd'hui. Pas alors que Ginny lui a demandé de venir avec elle à un rendez-vous aussi important. Alors qu'elle l'a mise au courant pour sa grossesse. Donc elle se laisse aller, et elle ne se méfie pas de sa sœur aujourd'hui. Elle ne pouvait pas savoir si ça allait être un parenthèse enchantée ou le début d'une nouvelle relation bien plus sereine que tout ce qu'elles ont pu vivre depuis qu'elles sont petites. Elles ne parlent pas beaucoup les sœurs, parce qu'elle n'ont pas besoin de beaucoup de mots pour se comprendre finalement.
Ginny est appelée, et Jill garde sa main dans la sienne. Parce qu'elle sent qu'elle en a besoin, et qu'elle peut la rassurer juste en exerçant une petite pression quand elle la sent un peu trop stressée. Et Jill a faim, donc elle n'attendra pas 5 minutes après ce rendez-vous avant d'aller manger. « Des chips, je rêve de salé là ! Mais je suis pas sûre que je tienne 10 minutes avec juste un paquet de chips dans l'estomac. » Jill n'écoute pas vraiment le médecin, elle préfère parler de nourriture, ça, c'est une valeur sûre, et un sujet qu'elle connait. Contrairement aux grossesses. Même si elle allait certainement devoir se renseigner sur le sujet, mais tout était encore bien trop flou dans sa tête.
Les questions s'enchainent et Jill ne se gêne pas pour écouter ce qu'elle peut. Elle voit Ginny gênée et ça aussi c'est marrant. Finalement, ce rendez-vous est bien plus amusant que prévu. Elle a l'impression qu'il lui pose un vingtaine de questions et Jill décide de se lever de la chaise pour la rejoindre à côté du lit. Est ce qu'on peut réellement parler d'un lit ? Certainement pas. « C'est pire qu'un interrogatoire chez les flics votre truc ! » Jill reste Jill. Elle ne peut pas réellement s'empêcher de faire des remarques, déplacées ou non. Mais apparemment tout va bien. Gin se porte bien.
Elle parle Ginny, elle raconte tout et n'importe quoi et Jill sourit. Parce qu'elle parle de quelque chose qui n'a absolument aucun rapport avec tout ça. Mais elle l'écoute, parce qu'elle sait que si elle le fait c'est qu'elle en a besoin pour faire redescendre la pression. « Tu te souviens de ça ? » Parce que Jill pas vraiment. Même si elle était sûre de n'avoir loupé aucun anniversaire de son neveu, mais elle ne se souvenait pas des cadeaux qu'il avait bien pu avoir. « Tu veux que je te la récupère ? » Mais le médecin attire son attention. Il pose un appareil sur son ventre.
Un battement de cœur. Parce qu'il y avait réellement un petit être vivant qui grandissait dans son ventre. Et contre tout attente, elle se sent touchée Jill. Elle ne dit plus rien, plus aucune remarque plus aucun son qui sort de sa bouche. Parce que ça la perturbe bien trop tout ça. Elle se tourne pour aller fouiller dans le sac de Ginny. Pour s'éloigner de tout ça une seconde, parce qu'elle ne sait pas quoi faire. Elle a du mal à respirer mais elle revient vers sa petite sœur avec la serviette humide. « Tiens. » Pas plus, et ses yeux restent accrochés à l'appareil toujours sur le ventre de Ginny.
Jill regarde le médecin se lever pour sortir une seconde, et ce silence l'oppresse. Elle ne peut plus garder ça pour elle, elle se rendait compte petit à petit que c'était trop important. Trop réel. Mais qu'est ce qu'elle allait bien pouvoir faire ? Elle panique. Complètement. Comme elle a paniqué dans la matinée quand elle a fait tous ces tests de grossesse qui se sont révélés positifs. « Gin... » Elle pouvait lui dire, elle saurait quoi faire pour l'aider. « Je crois que je suis enceinte... » Un léger souvenir du brunch passe dans sa tête. « Et c'est pas une blague cette fois. » |
| | | | (#)Lun 10 Fév 2020 - 21:16 | |
| Elle passe par tous les états ma soeur. Et je ne lui en tiens pas rigueur, parce qu'au moins, elle est là. Elle est là même si elle rage devant les dizaines de questions du docteur qui n'en finissent plus, elle est là même si elle pouffe à chaque fois où je laisse échapper une exclamation entre la surprise et l'inconfort parce que tout est froid ici. Le sol est froid, la chaise l'est, les instruments, les mains du médecin, toute la même galère.
Alors je parle. Je parle de tout ce qui n'a rien à faire ici, je parle des souvenirs heureux que j'ai d'avant, parce qu'il y en a malgré tout. Les démons ont pris plus de place parce qu'ils étaient sombres, parce qu'ils étaient suffoquants, parce qu'ils ont laissé des séquelles avec eux, mais il y avait du beau aussi, je jure. Il y avait du beau quand on était elle et Noah et Matt et Bailey et moi. Il y avait du beau quand on se grattait des instants improvisés, à travers toute la routine calculée que nos parents nous avaient tant imposée. Il y avait du beau, je l'ai dit. C'est ce que je tente de me souvenir, à chaque nouvelle seconde qui passe, à chaque nouvelle confirmation que la vie est bel et bien nichée à l'intérieur, et que d'ici quelques mois elle sera officiellement parmi nous.
« Gin... » sa voix, c'est un souffle. Et je me dis que c'est l'émotion. Je me dis ça, parce qu'à mon tour j'expire, parce que je cherche ses doigts sans même avoir besoin d'y penser à deux fois avant de les prendre entre les miens, de les serrer de toutes mes forces sans la moindre intention de les lâcher. Le docteur est sorti pour faire je sais pas quoi, j'aurais dû le retenir, ça doit avoir un lien direct avec mon cas maintenant que j'y pense, mais j'en ai rien à faire, absolument rien à faire, quand d'un côté les battements gobent toute ma concentration, et que de l'autre, c'est ma soeur, c'est elle, ce sont ces mots et surtout tout ce qu'ils amènent avec eux qui me gardent à la surface, qui me gardent tout court. « Je crois que je suis enceinte... »
Il narguerait presque, le battement en continu, en sourdine. Et je me dis que c'est vrai ce qu'on dit sur les seconds de famille, sur ce besoin qu'ils ont d'être là, d'être entendus. Je me dis que ce qui se passe en moi aura tout de Jill, je me dis qu'il ou elle aura son caractère, qu'il ou elle la comprendra bien mieux que je la comprendrai moi-même. Je me dis des tas de trucs qui font absolument aucun sens vu sa révélation, vu la précision qu'elle ajoute lorsque je me redresse sur la table sur laquelle j'étais allongée. Son « Et c'est pas une blague cette fois. » n'est pas nécessaire du tout tant l'expression sur son visage en est une que je n'ai jamais vue.
Elle est terrorisée. Elle est déstabilisée. Elle ne veut rien laisser paraître et pourtant elle me montre tout, absolument tout. Mes jambes ballantes descendent les premières de la chaise, et je demande rien cette fois, je l'impose. Je l'impose mon bras gauche autour de sa nuque, mon droit aussi. J'impose l'étreinte sans lui demander la permission comme à l'habitude, je la ramène contre moi à en tâcher ses vêtements du gel collant sur ma peau. Je la ramène et niche sa tête dans mon cou, quand je me mets sur la pointe des pieds et que ma paume se love sur sa nuque. C'est étrange et c'est inhabituel, qui que ce soit pourrait le confirmer, mais ça a tout de naturel.
Je ne lui demande pas si elle veut faire un test ici, je ne brusque pas la révélation pour savoir à quel point il est important d'attendre d'être prête pour la recevoir. Je ne lui demande pas si Bailey sait, l'air qu'elle exhibe doublé de son incertitude me confirme qu'elle ne lui a pas encore dit.
Plutôt, je dis ce que moi je suis persuadée d'être la seule et unique chose qu'elle doit entendre. Parce que c'est ce que j'aurais rêvé qu'on me dise à l'époque, et parce que c'est ce que je crois dur comme fer à son sujet. « Cet enfant-là aura de la chance de t'avoir comme maman. » j'ignore si elle veut le garder, j'ignore si même elle est allée au stade d'y penser. Mais à mes yeux c'est une évidence ; et je donnerais tout pour que ça le soit à ses yeux aussi. |
| | | | (#)Mar 11 Fév 2020 - 13:35 | |
| Elle suffoque Jill. Elle ne sait pas si elle ne ressent plus rien ou si elle ressent trop de sentiments différents en même temps. Qu'est ce qu'elle doit faire ? En parler ou pas ? Parler à Ginny de ses problèmes ou la laisser profiter de ce rendez-vous, de profiter du son régulier que font les battements du cœur de son prochain enfant. Parce que c'est beau ça non ? Ça lui prouve qu'il est bien vivant, qu'il est vraiment là, à l'intérieur d'elle.
Mais elle parle sans réfléchir, parce que Jill est en train de se dire qu'il se passe certainement exactement la même chose dans son ventre. Que si elle déposait ce petit appareil dessus elle entendrait le même bruit répétitif et rassurant au fond. Mais elle ne posera pas l'appareil sur elle, elle n'en parlera pas devant le médecin non plus. Elle va juste formuler ce qui tourne dans sa tête depuis tôt le matin déjà. Elle est enceinte, et le moment où elle le formule à voix haute lui rappel ce brunch pendant lequel elle avait blagué à ce sujet. Blague qu'elle trouvera toujours drôle au fond, mais qui avait fait du mal à tout le monde. Peut-être qu'elle essaie juste de se convaincre elle aussi. Parce qu'elle va devoir réaliser, elle va devoir prendre cette situation au sérieux dans un premier temps. Même si elle n'a certainement jamais dû prendre une décision aussi importante. Parce qu'elle n'est pas la seule personne en jeu dans tout ça. Il y a Bailey, elle doit le mettre au courant, elle le sait, même si elle a failli faire une bêtise le matin même.
La main de Ginny se retrouve rapidement dans celle de Jill. Parce que c'est certainement une des seules personne sur laquelle elle pourra compter jusqu'à la fin de sa vie. Et elle ne la jugera pas, elle ne lui posera aucune question déplacée ou trop intime. Elle va juste être là pour elle, exactement comme elle pouvait l'attendre.
Elle ne bouge pas Jill, C'est Ginny qui vient à sa rencontre. Elle ne demande pas si elle peut, elle le fait. Et Jill ne la repousse pas, parce qu'elle n'en aurait pas la force même si elle le voulait. Et parce que c'est ce à quoi elle s'attendait en en parlant à sa sœur. Le docteur met du temps à revenir et c'est tant mieux pour elles. Jill pose sa tête sur l'épaule de Ginny, en la laissant la garder comme ça autant de temps qu'elle le voudra. Elle entend le mot maman... Jill va vraiment être une maman ? Est ce qu'elle en est au moins capable. Bien sûr que non. « Dis pas de conneries Gin... » Jill pourrait pleurer mais aucune larme ne sort à cet instant. Elle ne fait que réfléchir. « Je sais même pas m'occuper de moi... Comment tu veux que je puisse gérer un enfant ? Je suis pas faite pour ça, je peux pas, je veux pas qu'il ai une mauvaise vie parce que je suis pas assez forte pour gérer tout ça. » Elle est étonnement sincère, alors qu'elle a toujours eu du mal à parler à Ginny. Mais elle sait qu'elle est la seule qui peut la comprendre sur ce sujet. |
| | | | (#)Mar 18 Fév 2020 - 16:32 | |
| Je la sens toute entière qui se raidit contre mon étreinte. Je sais qu'elle déteste chaque mot que je lui souffle à l'oreille, et probablement même pas pour les raisons qu'on pourrait croire. Elle ne déteste pas mes paroles parce que d'office elle déteste tout ce qui sort de ma bouche, et elle ne déteste pas mes mots non plus parce qu'ils sont vides de sens, parce qu'ils lui donnent l'impression de n'être que des remarques en l'air, impersonnelles.
Elle déteste ce que je dis Jill, parce qu'elle ne veut pas se croire prête, parce qu'elle ne veut pas se croire suffisante. Parce que toute sa vie on a dit d'elle qu'elle n'était pas sérieuse, pas solide, qu'elle ne savait que faire le mal, qu'elle n'était bonne qu'à tout détruire. Et ça l'a marquée, bien plus profondément que qui que ce soit pourrait penser. À un point où cruellement, la destruction est devenue sa seule et unique zone de confort.
« Dis pas de conneries Gin... » je la laisse parler, je la laisse lutter, je la laisse tout faire, tout ce dont elle a besoin. Qu'elle crie, qu'elle se mure dans le silence, qu'elle juge, qu'elle insulte. Moi, je ne bougerai pas. « Je sais même pas m'occuper de moi... Comment tu veux que je puisse gérer un enfant ? Je suis pas faite pour ça, je peux pas, je veux pas qu'il ai une mauvaise vie parce que je suis pas assez forte pour gérer tout ça. » sa respiration s'est accélérée, je bénis de toutes mes forces le médecin d'être sorti de la pièce. Il ne verra pas ma soeur en panique, il ne verra pas la larme que je ravale durement, celle provoquée par des accusation contre elle-même qui me brisent autant le coeur pour elle que pour moi. Le même discours qui avait tourné en boucle dans ma tête dès l'annonce de Noah, le même discours contre lequel je me battais encore comme une forcenée depuis le test qui s'était avéré positif à l'autre bout de la planète.
Mes doigts dérivent de sa silhouette pour remonter à la hauteur de ses cheveux ; elle va détester ça. Elle va détester que j'entre dans sa bulle, elle va m'haïr de replacer une mèche derrière son oreille, elle va me maudire de prendre mes aises à ce point. Mais si ça lui change les idées et si ça lui permet de voir rouge à cause d'autre chose, à cause de moi, au moins pour une fraction de seconde, j'aurai au moins été utile pour ça. « Si tu te sens pas assez forte toute seule, oublie jamais qu'on est tous là pour te rappeler comment tu l'es vraiment. Et pour l'être avec toi. » qu'elle ne l'oublie pas. Qu'elle n'oublie pas qu'il y a Bailey, qu'il y a moi. Qu'il y a Matt, qu'il y a Levi, Swann. Qu'elle n'oublie pas qu'on est un tout peu importe nos différents, devant l'adversité. Toujours.
*** Le médecin a fini par nous libérer un peu après être revenu avec de nouveaux papiers à remplir, et une nouvelle date de rendez-vous au calendrier. Il m'a assuré qu'à ce moment-là le sexe serait probablement connu, il l'a dit dans des termes si peu personnels et si vagues que j'ai pas tout à fait réalisé à quel point les choses se concrétisent encore plus, à quel point elle est tangible, la boule qui prend vie à l'intérieur de moi. À travers tout le chaos des derniers temps, à travers tous les regrets et les remords et toutes les angoisses, y'a du beau, y'en aura au moins pour les prochains mois.
Elle avait proposé d'aller manger, je ne me suis pas fait prier. Mon épaule pousse la porte du restaurant face au centre, je la laisse passer avant moi avant de finir par la suivre à une table à banquette, m'installer face à elle la tête ailleurs, les idées qui se mêlent. J'ignore si elle m'a parlé entre temps, j'ose croire que non, et si elle l'a fait, je pourrais parier que c'était pour me reprocher d'être encore allée m'enfouir dans ma tête. Ginny l'impolie, Ginny l'envolée.
« J'ai mis presqu'un mois à douter avant de faire le test, tu sais. » mes mots remontent, ma voix est enrouée d'avoir été silencieuse pendant un long moment. J'ignore pourquoi je lui parle de ça, probablement pour lui partager un peu plus, probablement pour être à son niveau, pour lui donner l'impression qu'elle a une égale, qu'il n'y a pas de compétition, qu'on est liées dans tout ce bordel ensemble. Toujours. « Quand je l'ai dit à Isy... je flippais. À croire que même si j'arrête pas de dire que le passé l'est justement, passé, il en reste des séquelles. » |
| | | | (#)Mar 18 Fév 2020 - 18:43 | |
| Elle ne sait plus quoi faire Jill, elle est là sans l'être vraiment. Certainement perdue dans ses pensées. Dans toutes ces questions qui tournent sans arrêts dans sa tête depuis qu'elle a parlé de grossesse avec Freya pendant cette soirée. Depuis qu'elle a fait ce test seule dans la salle de bain et qu'elle a vécu les minutes les plus interminables de sa vie. Et qu'elle l'a fait à plus de 15 reprises pour être bien sûre. Elle pourrait repousser sa sœur parce qu'elle est trop proche, parce qu'elle la touche et qu'elle essaie de la rassurer. Elle pourrait aussi se mettre à hurler contre le monde entier. Faire du grand Jill et tout envoyer valser dans cet endroit. Dire à sa sœur de rentrer à pied ou d'appeler quelque d'autre pour faire tout ça. Mais elle est figée, parce qu'elle sait que Ginny est la seule personne qui peut la comprendre. Qui saura exactement quoi faire pour l'aider.
Elle regarde derrière elle, au cas où le docteur déciderait de revenir trop rapidement. Mais elle se laisse aller et elle parle enfin, elle exprime sa panique, son état d'anxiété qui est bien plus intense que d'habitude. Elle ne peut que continuer de se répéter qu'elle n'est pas capable de faire ça, d'accoucher et d'élever un enfant. Elle n'a jamais été faite pour la maternité, elle pourrait tout foutre en l'air en moins d'une seconde. Les voix dans sa tête pourraient l'emporter une bonne fois pour toute et elle ferait une connerie. Elle pourrait en faire des tonnes, elle le sait très bien. Je sens ses mains sur mon visage, elle a les doigts froids et je grimace un peu, mais je la laisse faire, je lui laisse le terrain libre. « Je peux pas en parler Gin, je suis pas prête, j'ai besoin de temps pour savoir ce que je veux... J'ai besoin d'aide je crois » De ton aide Ginny, sois la grande sœur que je n'ai jamais été pour toi.
***
Elle sont sorties du cabinet médical, et Jill a pu souffler un peu. Elle n'a pas vraiment parlé d'autre chose que de nourriture sur le trajet. Et ça allait, parce que Jill en avait déjà beaucoup dit. Mais elle se concentre sur Ginny, elle sait que c'est pas normal qu'elle reste silencieuse aussi longtemps. Qu'elle regarde tout autour d'elle, qu'elle reste englouti dans ses pensées. C'est jamais bon quand un McGrath décide d'écouter un peu trop ce qui se passe dans sa tête.
Elle s'assoit en face de Gin et elle attend un peu. Elle ne veut pas la déranger même si elle sait qu'elle le devrait. Jill aussi a ses pensées à gérer. Mais elle la regarde, elle essaie de capter ses prunelles fuyantes. « Gin je sais que tu vas pas bien quand tu penses trop et que tu parles peu... » Est ce qu'elle aura réussi à capter son attention, est ce que Ginny aura envie de parler de tout ce qui lui passe par la tête. Rien n'est moins sûr. Alors Jill commande à manger, quelque chose de salé parce que c'est ce qui lui fait terriblement envie depuis quelques temps. Elle a attendu un mois avant de faire un test, alors que Jill a attendu à peine une journée tant l'incertitude était insupportable. « Pourquoi aussi longtemps ? » Elle avait eu Noah. Elle aurait pu se rendre compte de ce qui se passait bien plus tôt. Mais elle doit avoir une raison, et Jill a décidé de parler sérieusement, pour une fois, et de ne pas crier. Elle parle de l'annonce de sa grossesse, et ça remémore une tonne de mauvais souvenirs. Pour Ginny comme pour Jill. « C'est pas parce que ta première grossesse est associée à des mauvais souvenirs que la deuxième doit forcément l'être aussi. » Jill hoche la tête, parce que ce bébé méritait d'être aimer autant que Noah, et d'avoir une vie bien plus simple, avec bien moins de mensonges. « Y'a pas que ça Gin, je te connais... Je sais que tu feras tout pour que ce bébé ait une vie parfaite, et tu y arriveras. Il nous aura tous, tu sais que toute cette famille l'aime déjà alors qu'il fait la taille d'un haricot. » Elle la regarde dans les yeux, essaies d'être rassurante même si elle n'est pas habituée à tout ça. « T'es pas obligée de parler, on peut juste se contenter de manger. » |
| | | | (#)Ven 21 Fév 2020 - 0:23 | |
| « Gin je sais que tu vas pas bien quand tu penses trop et que tu parles peu... » retour au programme principal. J'ai à peine réalisé qu'on était installées, encore moins que mes doigts nerveux étaient recroquevillés sur les ustensiles posés devant moi, que la cuillère dans une main et la serviette dans l'autre sont là depuis bien plus longtemps que je ne le pense sûrement.
Alors je parle, doucement. J'essaie de lui amener des faits, j'essaie de lui partager mes propres doutes, mes propres faiblesses, aussi honnêtement et humblement qu'elle l'a fait avec moi pour les siennes. « Pourquoi aussi longtemps ? » parce que j'avais peur Jill, est-ce que c'est surprenant? Mes yeux lui répondent, mes mots hésitent encore, ils dansent d'un côté, esquivent de l'autre. On vient nous porter du café, des sachets de thé, de l'eau. L'univers entier nous donne de quoi nous assurer que jamais nos gorges ne deviennent sèches et qu'ainsi on puisse parler pendant des heures si c'est ce qu'il nous faut. La brèche dans le temps, la faille dans nos vies qui s'étire apparemment. « C'est pas parce que ta première grossesse est associée à des mauvais souvenirs que la deuxième doit forcément l'être aussi. » je sais, je sais ça.
Je sais et je me le répète tant de fois depuis que j'ai vu le résultat positif qu'à un moment peut-être, du moins j'espère, j'y croirai. « Y'a pas que ça Gin, je te connais... Je sais que tu feras tout pour que ce bébé ait une vie parfaite, et tu y arriveras. Il nous aura tous, tu sais que toute cette famille l'aime déjà alors qu'il fait la taille d'un haricot. » Jill qui me rassure, Jill qui dit exactement tout ce qu'il faut. Les années auraient dû me rendre perplexe de la voir agir ainsi. Les dizaines de disputes à sens unique auraient presque pu être en mesure de me rendre méfiante face à elle ; si j'étais pas moi. Et si elle n'était pas elle. Elle prend de la place Jill, elle est brusque - mais elle est vraie, et c'est bien plus suffisant que n'importe quel autre scénario possible et inimaginable. C'est à elle que je veux parler de tout ça, et elle l'ignore encore totalement. « T'es pas obligée de parler, on peut juste se contenter de manger. »
« J'avais peur de l'annoncer. » des couverts, mes doigts filent à l'anse, à la tasse de café bouillant que je ramène vers moi. « Pas d'être enceinte, c'est vraiment moins pire qu'on croit ; on peut manger tout ce qu'on veut pendant des tas de mois. » un fin sourire vient se dessiner sur mes lèvres, le compromis qui ne fait pas de mal à être mentionné non plus. « J'avais peur de le dire. J'ai encore peur. J'ai fait des tas de scénarios pour tout le monde, j'ai imaginé des discours personnalisés, c'est con. » et c'est ça, le traumatisme. C'est ça et il est bien ancré et encore aujourd'hui, il n'y a pas une journée où je ne m'arrête pas en sursaut pour au moins une seconde ou deux, la crainte de devoir fuir presque aussi pressante, paralysante que l'envie de disparaître. Horrible paradoxe. « J'avais peur de le dire et qu'à nouveau on m'arrache tout. » |
| | | | (#)Dim 23 Fév 2020 - 17:34 | |
| Elles sont assises, et elles restent silencieuse assez longtemps. Ça ne la gêne pas Jill, mais elle sait que c'est pas le genre de Gin de ne rien dire, de penser et d'avoir la tête dans les nuages. Elle est comme ça que lorsque quelque chose ne va pas. Elle en est certaine Jill, c'est pour ça qu'elle essaie de la ramener à la réalité, de la faire revenir avec elle. Parce que quand elle ne parle pas, c'est qu'elle a vraiment besoin de se confier. Leur relation était en train de changer, tout ça était en train d'évoluer. Jill prenait du temps pour Ginny, elle apprenait à l'écouter, à parler. Et Jill l'aidait en ne la traitant pas comme une petite chose fragile, en la traitant comme la femme adulte qu'elle est. Elle lui donne quand même le chois, elle lui dit qu'elle n'est pas obligée de parler si elle ne le veut pas, qu'elles peuvent rester silencieuse pendant des heures, juste à manger et à regarder autour d'elles.
« ça serait pas comme pour Noah Gin, ce sera jamais plus comme quand t'étais enceinte de Noah. » ça ne peut plus l'être parce que personne ne la bride, et parce que tout le monde veut son bien. Même si toutes ces histoires sont compliquées, tout ira bien, quoi qu'il puisse se passer. Jill sourit quand elle lui dit qu'être enceinte ça permet de manger sans arrêt. « C'est réel les caprices de femmes enceinte ? » Elle pose la question mais elle connait déjà la réponse. Parce qu'elle pourrait tuer quelqu'un pour un paquet de chips quand elle a envie de manger salé. « C'est rien Gin, je te comprends, t'es pas obligé de le dire si t'en as pas envie. » Jill la comprenait vraiment. Il n'y avait que Ginny qui était au courant de cette grossesse inattendue, et pour l'instant, c'était bien comme ça. Ça allait doucement et Jill avait besoin de temps, pour réaliser, et pour prendre une vraie décision. « On a plus la même vie Ginny, plus du tout. Tu es bien plus forte qu'il y a des années, et tu es entourée. C'est tout ce dont t'as besoin. » Mais c'était bien trop simple, ce n'était pas ce qui occupait le plus ses pensées et Jill le sentait. « tu peux me parler de tout Ginny, je te promets de pas m'énerver ! » et Jill lève les deux mains en l'air en souriant. |
| | | | (#)Dim 23 Fév 2020 - 21:57 | |
| Ils remontent, bien sûr qu'ils remontent. Les souvenirs de Londres que j'ai en travers des idées, les souvenirs qui ponctuent tout, qui sont omniprésents au point de m'empêcher de dormir la nuit, de monopoliser chaque seconde où je baisse la garde, où je laisse tout remonter en pensant naïvement que cette fois-là, j'arriverais à l'endurer. « ça serait pas comme pour Noah Gin, ce sera jamais plus comme quand t'étais enceinte de Noah. » oh que j'aimerais la croire. Oh que j'aimerais de toutes mes forces pouvoir être entièrement d'accord avec elle. Mais même si je sais, si je sais tout ça, il reste. Le maigre doute, microscopique, minuscule, à peine visible - et c'est pire. Il s'immisce, il est fourbe, il m'attend au tournant, il fait mal.
« C'est réel les caprices de femmes enceinte ? » on pose nos plats sur la table, je sais déjà de suite que je toucherai à peine aux frites, prendrai une gorgée ou deux de milkshake avant de sentir mon estomac se nouer de nouveau. « C'est la meilleure excuse que tu pourras trouver après celle de mettre la faute de tout ce que tu peux dire ou faire sur les hormones. » elle était devenue impeccable, notre capacité au fil des années, à utiliser l'humour nul et le sarcasme gratuit pour diffuser la peine, la douleur qu'on arrivait pas à gérer aux yeux des autres et encore moins des nôtres. Brisées.
Mes silences, elle les repère, elle les dissèque avec une facilité déconcertante. « C'est rien Gin, je te comprends, t'es pas obligé de le dire si t'en as pas envie. » j'inspire, j'expire aussi. Ce n'est pas que j'en ai pas envie. Ce n'est pas que je ne veux pas. C'est juste que - « On a plus la même vie Ginny, plus du tout. Tu es bien plus forte qu'il y a des années, et tu es entourée. C'est tout ce dont t'as besoin. » « Ça vaut pour toi aussi Jill. T'es tellement forte, et t'es toute autant entourée. » mon sourire est désolé, il s'excuse tellement. Il s'excuse de me cacher derrière ses conseils que je lui répète. Il s'excuse de tourner autour du pot, il s'excuse pour toutes ces années où j'ai tenté de tout gérer toute seule, de porter le monde en entier sur mes épaules quand mon propre poids me semblait bien trop souvent impossible à soulever.
« tu peux me parler de tout Ginny, je te promets de pas m'énerver ! » une dernière fois qu'elle insiste. Et mes prunelles se verrouillent aux siennes, et je les lâche mes mots, avec un calme tellement troublant qu'il me déstabilise plus que je ne l'aurais cru, qu'il est tout sauf rassurant. « C'est compliqué. Depuis que je suis revenue d'Europe c'est compliqué. » depuis que je suis revenue d'Europe, avec lui. |
| | | | (#)Lun 24 Fév 2020 - 9:12 | |
| Jill mange, elle était vraiment affamée. Elle a vraiment l'impression de bien plus manger qu'elle ne le faisait avant d'apprendre qu'elle était enceinte, c'était peut-être quelque chose d'uniquement psychologique. Mais elle ne s'en préoccupait pas vraiment, pas aujourd'hui en tout cas. « Je note ça pour pouvoir me resservir de ces excuses ! » L'humour. Elles faisaient toujours dans l'humour pour essayer de détourner une conversation, pour essayer de la rendre moins importante, moins triste. L'humour les sauvait dans pas mal de situation.
Même si Jill a voulu croire qu'elle était l'opposé de sa sœur pendant des années, elle ne peut plus nier l'évidence. Elles étaient différentes à l'extérieur, mais pareil à l'intérieur. Elles fonctionnaient de la même manière, et c'est pour ça que Jill savait qu'elle n'allait pas bien. Qu'elle gardait bien trop de choses sur le cœur et qu'elle ne voulait déranger personne avec toutes ses histoires. Et, au lieu d'ignorer comme elle l'a toujours fait, au lieu de la laisser se débrouiller avec tout ça Jill décide de l'aider. De lui poser la question, de la laisser s'ouvrir à elle. « Et pourtant, on panique toujours autant. » C'était pas les bébés en soit qui les faisaient paniquer, mais toutes les questions, toutes les incertitudes et les peurs qui tournaient dans leurs têtes. Et elles continueraient de paniqué, sans que ça ne s'arrête jamais c'était certain.
Jill ne la force pas, elle lui fait juste comprendre qu'elle est là, qu'elle l'écoute. Et ça paye, parce que Ginny commence à parler de ce qui la tracasse vraiment. L'Europe. Auden. Jill ne met que quelques secondes à faire le rapprochement. « ça a toujours été compliqué entre vous deux Gin. Tu peux pas le nier, ça se voit comme le nez au milieu de la figure. » Elle se méfie d'Auden Jill, elle s'en est toujours méfiée. Elle ne lui fera certainement jamais confiance. Mais elle a promis de ne pas s'énerver, alors elle ne le fera pas. |
| | | | (#)Lun 24 Fév 2020 - 10:31 | |
| « Et pourtant, on panique toujours autant. » « T'es rassurante, quand tu t'y mets. »
C'est pas nous, ça. D'entrer dans l'émotif, de l'être en public, et encore moins l'une face à l'autre. Mais y'a quelque chose qui a changé, dans son regard envers moi, dans le mien envers elle. Elle reste toujours Jill, elle reste toujours la grande soeur à la franchise dure, elle reste toujours la figure aussi fascinante qu'effrayante qui a suivi chacun de mes pas même à distance pendant toute ma vie. Et je reste encore la gamine fragile, je reste encore la petite soeur qui traîne, qui hésite, qui se perd dans sa tête et qui se perd dans sa vie. Mais il y a une alchimie qui se dessine, il y a une ouverture qui se trace. J'ignore pour combien de temps encore, mais pour l'instant, c'est tout ce dont j'ai besoin, et elle aussi apparemment.
Qu'elle m'ait tant partagé, qu'elle se soit autant ouverte suffit à abaisser les quelques barrières qu'il me reste avec elle. Parce que je suis fatiguée, parce qu'elle l'a vu, et parce que ses prunelles vissées sur moi n'ont rien de pressant, encore moins d'agressant. Elle est là pour moi Jill, depuis toujours et souvent avec maladresse et parfois même rage. Mais elle est là.
Mes mains se resserrent sur ma tasse de café, mes yeux n'oseraient jamais quitter les siens. « ça a toujours été compliqué entre vous deux Gin. Tu peux pas le nier, ça se voit comme le nez au milieu de la figure. » c'est étrange de parler d'Auden avec elle, même sans mentionner son nom. C'est étrange de parler d'Auden tout court sachant à quel point lui et moi, justement, on ne parle pas de ça. On n'en parle plus, en tout cas. « Si ça l'a toujours été, pourquoi est-ce que je me suis pas habituée à force? Pourquoi est-ce que ça m'atteint encore autant? » parce qu'il y a de nouvelles variables, Ginny, parce qu'il y a de nouveaux pions. Parce qu'il a dit des mots que t'as attendus pendant des années, parce qu'il les a pensés aussi. Et parce qu'ils reviennent, qu'ils tournent dans ta tête les mots, qu'ils se répètent, parce qu'ils n'arrêtent pas de se redire et de se mêler, s'emmêler, te mêler aussi, au passage.
« Redemande-moi, pourquoi. » comme elle l'avait fait, à l'atelier. Comme elle l'avait fait, avant de s'emporter, avant de relancer la conversation dans un sens tout autre, avant de me braquer. Elle a dit qu'elle n'allait pas s'énerver, j'ai besoin d'une seule question, d'une seule preuve, avant de tout lui confier. Pourquoi est-ce que tu l'aimes autant, Ginny? |
| | | | (#)Lun 24 Fév 2020 - 12:07 | |
| L'ambiance est légère quelques instants. Elles pourraient presque rire toutes les deux, faire comme si de rien était alors que des démons les hantent à chaque minutes. Mais est ce qu'elles arriveraient à être proche, est ce qu'elles arriveraient à être des sœurs même dans les bons moments ? Pour le savoir, il faudrait déjà qu'il y est de bons moments. Et c'était pas encore le cas, ça n'était pas encore arrivé. Elles arrivaient enfin à s'apprivoiser, à avoir une conversation sans que Jill ne finisse par lui hurler dessus. Et c'était inhabituel, c'était nouveau, mais ça avait l'air de leur plaire. Parce qu'elles étaient là, toutes les deux, à essayer de plaisanter avant que les vrais sujets importants ne reprennent le dessus. « ça arrive pas très souvent ! » Elle n'arrivait pas à se rassurer elle même, mais peut-être qu'elle arriverait à rassurer sa petite sœur.
Elle a besoin de parler Ginny, elle a besoin de se confier, alors Jill a juste à attendre. Elle attend juste quelques minutes qu'elle mette ses idées en ordre, et qu'elle comprenne qu'elle peut avoir confiance. Qu'elle pourra toujours avoir confiance. « Qu'est ce que tu veux Gin ? C'est la seule question que tu dois te poser, arrête de penser par rapport aux autres, penses à toi. » Parce qu'elle ne le faisait Ginny, elle ne s'autorisait jamais à être un peu égoïste. Et il fallait qu'elle apprenne, c'était bénéfique pour elle. « Je dois te dire que j'ai parlé avec Isy. Et il doute, il ne sait plus comment faire pour avoir sa place dans ta vie, parce que toute la place est prise par Auden. »
Elle lui dit de lui redemander, et Jill hésite. Elle hésite parce qu'elle a peur de la réponse, parce qu'elle a toujours su que Auden avait une place bien trop importante dans la vie de Ginny pour que ça ne soit qu'un simple ami. Parce qu'elle commençait à bien s'entendre avec Isaac et qu'elle sent que tout est en train de changer dans la vie de Gin. « Lequel de pourquoi ? » Elle joue avec ses couverts Jill. « Pourquoi tu lui passes toujours tout ? Pourquoi j'ai l'impression que tu n'oses jamais rien lui dire ? Pourquoi j'ai l'impression que tu serais prête à abandonner le monde entier juste pour que lui il ne quitte pas ta vie ? Pourquoi il est si présent partout, si important ? » |
| | | | (#)Lun 24 Fév 2020 - 12:36 | |
| « Qu'est ce que tu veux Gin ? C'est la seule question que tu dois te poser, arrête de penser par rapport aux autres, penses à toi. » je sais pas, je l'ignore, je déteste ça. Je sais pas parce que je suis lâche, parce que je ne me pose pas ces questions-là, parce que l'ironie est qu'à force de me faire dire quoi faire et comment le faire, j'y ai trouvé mon confort, aussi horrible cela puisse être. Je l'ignore parce que je ne me l'autorise pas, jamais, je ne me l'autorise pas pour céder toute la place aux autres, constamment. Je déteste ça. Je déteste avoir à choisir, je déteste avoir à penser à moi, je déteste m'avouer trop faible pour ne pas supporter le monde entier à défaut de leur donner une seule bribe de moi à aider.
Et elle lâche tout, elle lâche les mots qu'elle gardait pour elle, elle lâche ce dont je me doute mais est beaucoup trop effrayée pour le constater. « Je dois te dire que j'ai parlé avec Isy. Et il doute, il ne sait plus comment faire pour avoir sa place dans ta vie, parce que toute la place est prise par Auden. » sa voix n'a rien de reproches, mais c'est ainsi que je le prends, évidemment. Sa voix n'est qu'un miroir de ce que je sais déjà, de ce que je ne supporte plus. Sa voix n'est pas le déclencheur, n'est pas la confirmation, elle n'est qu'une piqure de rappel de plus. Il faut que ça cesse. Il faut que je parle à Isy. Il faut que je sois honnête, il faut que je lui partage mes doutes, il le faut, plus que tout.
« Lequel de pourquoi ? » et elle aurait pu exploser ma soeur, elle aurait pu perdre son calme, elle aurait pu bafouer sa promesse. « Pourquoi tu lui passes toujours tout ? Pourquoi j'ai l'impression que tu n'oses jamais rien lui dire ? Pourquoi j'ai l'impression que tu serais prête à abandonner le monde entier juste pour que lui il ne quitte pas ta vie ? Pourquoi il est si présent partout, si important ? »
J'ai passé une vie à les garder à l'intérieur ces mots-là. Parce que s'il ne voulait pas entendre les seuls trois qui résumaient tout, jamais il ne voudrait entendre tout ça. Mais Jill le demande, et Jill l'exige, et Jill me met au pied du mur, et je respire de savoir que tout ça va enfin sortir.
« Parce qu’il me laisse faire des erreurs. » mes mains viennent dégager ses couverts de ses doigts, s'assurent que son attention est toute sur moi. « Il va rager, il va me dire mille fois que j’ai fait une connerie, il va pas se gêner une seule fois pour souligner tout ce que j’aurais dû faire à la place et tout ce que j’ai raté en faisant à ma tête. » si je réponds enfin après toutes ces années à ses dizaines de questions, des plus rageuses aux plus silencieuses, je ne veux pas qu'elle en manque la moindre seconde. « Il va pas tout me pardonner, il va encore moins m’aider à réparer mes dégâts, mais il me laisse faire Jill. » si après tout ce temps et après tous ces non-dits je donne les vraies raisons, c'est pour être entendue. Par qui que ce soit veut m'entendre. « Et t’as pas idée à quel point ça fait du bien, t’as pas idée combien ça m'est essentiel. De savoir que peu importe ce que je veux faire ou ce que je vais dire, j’ai le droit. Qu’il n'y a pas quelqu’un qui m'idéalise, qui s’attend à mieux de moi. Qu’il n'y a pas quelqu’un qui va le faire avec moi pour s’assurer que je réussisse envers et contre tout, qu’il n'y a pas quelqu’un qui va tout faire à ma place non plus. »
Le silence qui revient finalement se poser à notre table. Mon café est froid, mes mains aussi. Quand je résume, quand je répète, quand je comprends aussi, quand j'assume enfin. « Il me laisse le droit d’échouer. » et il est le seul. Il l'a toujours été. |
| | | | | | | | every single time (mcgrath sisters) |
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