Jill pose les questions, les questions qu'elle pose à chaque fois qu'elle parle d'Auden à Ginny, les questions auxquelles elle n'a jamais eu de vraie réponse. Mais là, elle se libère Ginny, et elle parle, elle explique. Elle donne beaucoup de détails mais Jill sent qu'il n'y a pas que ça, elle a d'autres choses à confier sur elle et Auden et elle est prête à tout entendre. Absolument tout. Elle ne ragera pas avant d'avoir eu chacune des informations que Ginny a décidé de lui donner. Parce qu'il va y en avoir beaucoup, et que ça risque de prendre un bon moment. Elles ont le temps, et elles vont le prendre. Elles vont prendre chaque secondes dont elles ont besoin, tous les instants qu'elles n'ont jamais pris à chaque fois qu'elles auraient dû.

Elle a envie de la couper à de nombreuses reprises, parce que ce n'est pas le seul à l'avoir traité comme ça, elle en est certaine. Mais elle la laisse parler. Même si Jill a toujours été bien loin d'être parfaite avec elle, elle ne l'a jamais forcé à rien. Elle aurait rêvé de voir que Gin faisait ses propres erreurs. Mais elle se tait, elle ne dira rien de tout ça parce qu'elle compte la laisser s'exprimer. « C'est pas le seul. » Elle laisse échapper ça dans un soupir, mais elle secoue la tête avant de réfléchir à tout ça. « Oublies ce que je viens de dire, c'est pas important. » Et c'est pas le sujet, c'est pas le moment. « Et c'est seulement avec ça que tu réponds à tous ces pourquoi ? Seulement parce qu'il te laisse échouer ? » Non Ginny, Jill sait très bien qu'il y a plus, quelque chose qu'elle n'a pas encore dit, quelque chose qui lui brûle les lèvres. « Ginny, tu pourras pas me faire croire que y'a que ça, c'est juste une réponses, pas toutes les réponses. »  

Je le vois dans son visage. Elle fronce des sourcils, elle fronce du nez. Elle tente si fort Jill, elle veut tellement me laisser parler, elle veut tellement savoir qu'elle pile sur des années à rager à la simple mention - ou non, de Williams. « C'est pas le seul. » j'inspire, elle sait que l'entente c'est de ne pas s'énerver. Elle sait que je prends toutes mes forces pour parler, que je ne pourrai plus si elle s'attaque à mes limites, si elle s'attaque à mes blocages. « Oublies ce que je viens de dire, c'est pas important. » et la pression retombe. Elle tente, elle tente vraiment fort.

« Et c'est seulement avec ça que tu réponds à tous ces pourquoi ? Seulement parce qu'il te laisse échouer ? Ginny, tu pourras pas me faire croire que y'a que ça, c'est juste une réponses, pas toutes les réponses. » « Ce sont les seules réponses que je peux donner Jill. » que je lâche, au taquet, interdite. Ça, c'est la Ginny d'il y a 4 ans qui ressort. Ça, c'est celle qui a appris à la dure, abruptement, à ne pas mentionner ces choses-là. C'est celle qui a ravalé comme elle l'a pu, celle qui a ravalé ce qu'elle avait cru. Mais c'est pas clair et Jill risque de le pointer, de gratter, de brusquer aussi. Alors je complète, je précise surtout. « Quand on est revenus de Londres, quand je suis revenue ; on a essayé. » elle n'a pas besoin d'avoir plus de détails pour comprendre qu'en 2016, quand Bailey, Noah et moi avons remis le pied en Australie, Auden a lui aussi remis le pied dans ma vie. « Ça s'est fait naturellement, c'était juste évident. » personne ne s'en étonne, encore moins elle qui a dédié tout son temps à souligner que quelque chose se passait, dès les premières mentions de l'italien qui m'embêtait dans mes cours à l'Académie. « Mais ça n'a pas marché, on - il a tout arrêté.» elle mérite que j'assume, elle mérite que je ne joue pas à la lâche en disant que la décision avait été commune. Elle mérite de voir que je doute encore, elle mérite de voir que je suis tout sauf en paix avec tout ça. « On voulait pas la même chose. » et j'ignore même si on la voudra, la même chose, un jour.

Alors il est là le problème. Peu importe ses questions, peu importe ses doutes et ceux d'Isy, peu importe les miens : la finalité reste la même. C'est pas possible, c'est trop compliqué, c'est trop ancré. On s'est noyés dans ce qu'on pouvait dire et faire, dans ce qu'on devait taire et cesser. « En Europe c'était comme avant et ç'aurait pas dû. » la gorgée de café goûte amer, et pas seulement parce que le goût est infect quand on le compare à celui de l'atelier, à celui auquel je me suis habituée. « Tu la sais la réponse Jill. Tu sais pourquoi. Il sait aussi, mais c'est pas suffisant. » je lui ai dit une fois, une fois de trop. J'ignore si un jour j'aurai la force de pouvoir le faire à nouveau. « Je vais parler à Isy. » mes doigts se détendent sur ma tasse, mon souffle glisse un peu moins difficilement contre mes lèvres. Il le faut.

Et Ginny elle l'écoute aussi, elle écoute vraiment les questions de Jill, et cette fois-ci, elle n'essaie pas d'éviter les réponses ou en donner des flous. Non, elle a décidé de jouer carte sur table et c'est avec Jill qu'elle a décidé d'être 100% honnête. Et c'est pour ça qu'elle ne s'énerve pas, qu'elle ne fait pas une esclandre au milieu du café. Elle répond trop vite Ginny, et Jill ne la lâche pas du regard. Elle ne lâche pas ses grands yeux qui essaient de fuir la conversation. Parce que Jill ne la laissera pas s'en tirer comme ça, pas cette fois. Elle attend que Ginny continue de parler en silence.

Quand elle est revenue de Londres, elle a été avec Auden. Jill pourrait presque avoir une mine dégoûtée mais elle essaie de la retenir. Et c'est lui qui l'a quitté, et là, Jill serre les dents. Quel enfoiré. Elle se retient de commenter à voix haute. Il la quitte, mais il reste accroché à elle comme une moule à son rochet, il la fait douter et il est incapable d'avoir une conversation sérieuse. Elle arriverait presque à le détester encore plus après avoir eu ces nouvelles informations. Parce qu'il faisait du mal à Ginny, juste à être là sans lui donner de réponse, sans qu'elle ne puisse savoir si elle pouvait espérer ou non. Elle ne sait pas si elle peut demander des détails sans que Ginny ne décide de se refermer d'un coup. Mais Gin lui fait comprendre qu'elle aime vraiment Auden. Et Jill ne pouvait rien faire contre ça à part se méfier de lui pour deux. « Oui il faut que tu parles avec Isy. » Parce qu'ils devaient mettre les choses au clair et ça allait certainement être bien plus que blessant. « Mais tu dois parler à Auden aussi. » Il ne peut pas la laisser comme ça. « Tu dois penser pour toi et pour personne d'autre, à part Noah quand il le faut. Et même si tu es avec Isy, avec Auden, ou avec qui que ce soit dans ce monde, tu dois penser à toi, je veux pas que tu te perdes pour quelqu'un. Je veux plus jamais retrouver l'ancienne Ginny. » Parce que c'était le plus important, qu'elle arrive à trouver qui elle était vraiment. « Mets les choses à plat avec tout le monde. » C'était la première chose importante à faire pour réussir à se sortir de tout ça. « Et sois toi-même, continues à vouloir t'affirmer, à exprimer ton opinion, à dire ce que tu penses, à tout le monde, et pas seulement à moi. »  

Elle a tout entendu Jill, j'ai tout confié. La pression sur mes épaules est passée à ma cage thoracique, mais je sais qu'il s'agit là de la meilleure chose que j'ai pu faire depuis très longtemps, de lui partager un secret que je garde pour moi avidement.

« Oui il faut que tu parles avec Isy. Mais tu dois parler à Auden aussi.» j'ai toujours détesté les mots. Parce que je cherche tout le temps les miens, parce qu'ils ne veulent jamais vraiment tout dire. Parce qu'on a toujours voulu m'apprendre de force sans que jamais je ne cède à les utiliser pour avoir ce que je veux, à manipuler du bout des lèvres. Ça veut rien dire des mots, ça veut rien dire et ça fait bien trop mal, tout le temps, pour que je le tolère. Mais je veux lui parler, je veux leur parler. Je veux tenter de mettre les bons, de les trouves les bons, les bons mots, pour exprimer ce que j'arrive même pas à clarifier pour moi. Mais il le faut, et je le sais. « Mets les choses à plat avec tout le monde. »

J'hoche de la tête, lentement. Elle s'est transformée en un claquement de doigt ma soeur, elle est posée, elle l'est vraiment. « Et sois toi-même, continues à vouloir t'affirmer, à exprimer ton opinion, à dire ce que tu penses, à tout le monde, et pas seulement à moi. » à l'époque elle aurait été dure sa voix, elle aurait été intransigeante, violente même. Mais c'est tout sauf ce que je ressens quand ses yeux se vrillent aux miens, quand elle prend le temps de peser chaque élément, quand elle s'inquiète, quand elle rassure, quand elle conseille aussi, vraiment.

« Je pensais ce que j'ai dit tout à l'heure, tu sais. » j'inspire, un fin sourire qui glisse sur mes lèvres, tout ce qui vient de se dire s'ancrant et s'encrant de façon si indélébile dans ma tête et dans mon coeur que j'y reviendrai souvent, à ce moment. « Tu serais une incroyable maman. »

Elle a tenu sa promesse Jill, elle est restée calme, elle n'a pas crié, elle n'a pas menacé de tuer Auden toutes les 3 phrases. Elle aurait pu, elle aurait vraiment pu. Mais elle voulait tout savoir, elle voulait connaître les détails. Savoir pourquoi sa sœur avait perdu son temps à s'attacher à une telle personne. Mais elle l'avait fait Gin, ça n'avait peut-être pas été le bon choix mais c'était trop tard, elle voulait le garder dans sa vie. Peut-être même qu'elle le voulait plus lui que Jill dans sa vie? Mais Jill ne posera pas la question, c'était bien trop risqué. Et elle ne voulait pas connaître la réponse, pas maintenant.

Mais elle a l'air de l'écouter Ginny, de vraiment prêter attention à tout ce qu'elle dit. Elle aura pas parlé pour rien cette fois, elle aura peut-être pas donné des conseils dans le vide. Sa sœur allait peut être vraiment changer, évoluer pour de vrai. Elle ne répond pas, mais ses yeux parlent pour elle, elle sent qu'elle a bien fait Jill. Que pour une fois, elle a joué à la grande sœur et que ça aura servi à Ginny. Ça aura mis de nombreuses années, mais elles vont peut-être moins se méfier l'une de l'autre au fur et à mesure des journées qui passent. C'était aussi Jill qui essayait d'évoluer, Qui essayait de grandir et de s'ouvrir aux autres. Elle finirait peut-être pas le regretter. Et Ginny revient à un ancien sujet, celui de la grossesse de Jill, et de ses doutes. « Je sais toujours pas quoi faire... Moi aussi je vais devoir discuter et réfléchir. » Réfléchir à ce qu'elle voulait vraiment, et discuter avec Bailey. Parce qu'elle allait forcément devoir lui parler.

Elles n'ont plus parlé de ça de l'après midi, elles ont mangé et bu du café. C'était la première fois qu'elles passaient autant de temps ensemble sans que ça ne se finisse mal. Des moments qu'elles auraient dû vivre de nombreuses fois pendant toutes ces années si elles avaient eu une relation sereine. Mais peut-être que tout ça allait changé. Peut-être, qu'après ce jour, elles allaient enfin vivre comme des sœurs.