| | | (#)Mar 25 Fév 2020, 23:01 | |
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Rumor has it
Serait-ce insultant d’avouer qu’à l’heure où je reçus l’appel de Luc, je ne jouai pas la comédie lorsque je lui demandai qui il était et dans quelles circonstances nous nous étions rencontrés ? J’allai même jusqu’à l’interroger sur la manière dont il s’y était pris pour obtenir mon numéro de téléphone. Je ne le donnais jamais, à moins d’être ivre et tandis qu’il m’éclaircit la mémoire, les images affluent. Je les avais refoulées pour Dieu seul quelle raison puisqu’elle ne soulevait en moi aucune forme de honte. Certes, entretenir une conversation avec un parfait inconnu dans un bar, ça ne me ressemble pas. M’accouder au zinc l’était tout autant d’ailleurs. Au téléphone, tandis que je m’exclame sous le poids de ma révélation – je me souvenais de son histoire qui me rappela un peu la mienne, quoiqu’elle soit fondamentalement différente – il ne sembla pas s’offenser de l’avoir en partie oublié. Il avait besoin de moi. Un article. Une histoire concernant mon ancien métier. Pourquoi pas, finalement. Je ne le ferais même pas pour l’argent. Je n’aimais pas parler de mon ancien métier, mais j’étais toujours curieux d’apprendre ce qu’il s’y tramait d’assez fou pour alimenter les potins. Il devait être intéressant celui-là. Au contraire, Luc le pigiste ne serait pas essayé à écrire un article qu’il tenterait de vendre à la presse. Il paraissait en quête de notoriété artistique. Signé de son nom un papier qui déchaîneraient les foules ouvrirait peut-être une fenêtre sur son talent. A moins que je me fasse des idées et qu’il n’ait rien de passionnant à raconter. Qu’à cela ne tienne, que j’extrapole ou non, je m’interroge parce qu’il a piqué ma curiosité. Aussi, ai-je accepté de le rencontrer à nouveau. Cette fois, je veillerai à être aussi sobre que possible, ce qui signifiait qu’il n’était pas question de lui fixer un rendez-vous en soirée. Non seulement, je travaillais et, ensuite, j’avais souvent, une fois 17 heures tombées, ingurgités assez de Johnie Walker pour provoquer mon cerveau et sa faculté à émonder les informations utiles de leur contraire.
Je lui proposai de nous voir dans un parc de Brisbane aux alentours de 14 heures. Normalement, je serai bien réveillé, j’aurai profité d’une bonne matinée de sommeil et je serai moins sympathique et taciturne qu’à l’accoutumée. Je suis moins morose ces derniers temps. Mes projets avancent bien. Lola me portait par son enthousiasme et ma relation avec Raelyn soufflait sur ma vie une brise plus légère. Quelquefois, je m’en sentais outrageusement coupable. D’autres, je me raisonnais. Je prétendais qu’étant donné toutes les épreuves, aussi hautes que des montagnes, que j’aie eu à gravir, je serais idiot de ne pas profiter, de temps à autre et sans abuser, de ce que m’offre le destin. Il est égoïste usuellement, avec moi plus qu’avec n’importe qui d’autres, avais-je souvent pensé. Jadis, je me retranchais derrière un misérabilisme agaçant. Sur ces quelques mois, j’appris à relativiser et ça me faisait un bien fou, même si Sofia n’est jamais loin, même si penser à elle me déchire toujours autant le cœur, même si je reste tout à ma vengeance. Je ne suis pas heureux, juste moins malheureux et ça me convenait très bien. En arrivant au parc, le pilier de comptoir qui échappa d’un tabassage en règle m’attendait déjà. J’approchai donc, une cigarette dans une main et un café dans l’autre. « Salut, petit, tu as l’air en meilleure forme. » lançais-je sans investir le banc qui, pourtant, me faisait de l’œil. « Alors, dis-moi, qu’est-ce que tu attends de moi exactement ? » J’avais compris l’essentiel, mais j’entendais à obtenir les détails. Que croyait-il avoir déterré en cadavre ? « J’ai pas énormément de temps, alors essaie de t’en tenir à l’essentiel. » avais-je ensuite ajouté sans vocation d’être désagréable. C’était la plus stricte des vérités.
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| | | | (#)Mer 26 Fév 2020, 14:54 | |
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Ce matin-là, Luc se réveilla tellement désorienté qu’il aurait pu avoir été transporté sur une autre planète durant sa nuit - mais si pour cela il aurait fallu qu’il dorme plus longtemps que les deux heures et demi qu’il avait réussi à grappiller. Il se releva dans le canapé, sans souvenir de la veille, avec comme seul indice un cadavre de bouteille qui jonchait le sol. Il détestait dormir sur le canapé : c’était après tout à cet endroit qu’Alexis avait été retrouvé. Aussi traîna-t-il encore moins au lit que d’ordinaire, marchant sur des mégots éparpillés sur le tapis, jurant à mi-voix en espagnol jusqu’à accéder à la machine à café. Il rangerait quand il aura moins mal à la tête.
Installé derrière son bureau dont la somme de bordel y reposant devait être illégale, il resta quelques minutes immobile devant sa feuille blanche, déjà au travail, à peine ralenti par sa gueule de bois. Il avait eu une idée : pas un article - il en avait marre d’écrire pour les feuilles de choux de la ville - mais un essai, possiblement assez long, sur un sujet dont il ne discernait pas parfaitement les limites pour le moment.
Et puis, très rapidement, il bloqua. Alors qu’il faisait des tours dans son appartement comme un félin en cage, fumant cigarette sur cigarette, comme si la nicotine l’aidait à réfléchir. Une ligne et trois cafés plus tard, il n’avait plus de clopes et se mit à fouiller les poches de son manteau à la recherche de tabac, mais à la place il tomba sur une feuille de papier pliée en quatre. Intrigué, pensant tomber sur des notes, il fut surpris de découvrir un nom et un numéro de téléphone, écrits d’une main inconnue. En réalité, il dut se creuser la tête pour se souvenir qui était ce Amos et comment ce bout de papier avait atterri dans sa poche, puis il se rappela. Amos, le type du bar, l’ancien militaire. Luc avait un vague souvenir de parler à Paul qui lui tendait le papier en lui disant tiens, vieux, c’est le type de l’autre jour qui m’a donné ça pour toi.
Eh bien, cela tombait magistralement bien, après tout, en vue de son article. Il appela, non sans rechigner, détestant le téléphone, et ils convinrent d’un rendez-vous. À quatorze heures moins dix, Luc était au parc. Il vit Amos arriver de loin, se remémorant ses traits à mesure qu’il les voyait, lui aussi armé d’un café (son septième de la journée) et d’une clope (il avait arrêté de compter à quinze).
- Merci, répondit Luc avec un hochement de tête ; en effet, son moral s’était grandement amélioré, mais c’était loin d’être le cas de son niveau de fatigue, bien que ce ne fut pas bien pire que d’ordinaire. Vous aussi, je suppose. (comme Amos allait droit au but :) En fait, je vous ai parlé d’un article au téléphone, c’est généralement plus simple d’avoir des entrevues avec les gens de cette manière, mais ce n’est pas la vérité. Je travaille sur la rédaction d’un essai, les détails ne vous intéresseraient pas. Mais j’aurai besoin de renseignements sur le fonctionnement de l’armée depuis la création de la première armée australienne, après les colons et l’esclavage. Je demanderai à un type, Cassel Mendel, un historien militaire. J’aurai besoin de vous pour des renseignements concrets sur l’armée. Basiquement, votre histoire, dont j’utiliserai brièvement en guise d’exemple sans donner votre nom, si vous êtes d’accord.
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| | | | (#)Jeu 27 Fév 2020, 02:23 | |
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Rumor has it
A quoi tenaient-ils ses remerciements ? A ma présence ? A ce constat qu’il avait bien meilleure mine que le soir de notre première rencontre ? Est-ce un moyen de me rappeler que la politesse est exigée en tout temps ? Je n’en manquais pas d’habitude. Normalement, je commence chaque conversation, aussi rare soit-elle, pas un « salut, comment ça va ». Cet après-midi, j’ai relégué les salamalecs au rang de l’inutile, quitte à me montrer discourtois, parce qu’il avait éveillé ma curiosité au téléphone. J’étais pressé d’en apprendre davantage sur son article, si bien que je fus heureux qu’il ne s’offusque pas de mon manque de délicatesse. Il est intelligent, ce gosse. Il sait discuter de tout et il sait accorder à l’urgence tout le crédit qu’elle mérite. Alors, je me suis assis à côté de lui sur le bon, sirotant quelques gorgées de mon café agrémentée d’un peu de grappa – ça change – et je l’ai écouté pieusement me rapporter la raison de son appel. J’étais serein en arrivant. J’avais passé la nuit avec Raelyn et, s’il m’arrivait de m’inquiéter des conséquences de mon ultimatum, je ne suis pas encore arrivé à ce stade critique où je me languis d’elle. Je l’avais formulé quelques heures auparavant seulement. J’avais bon espoir que ma délicatesse atteindrait son but. Je ne l’ai pas brusquée. J’ai fait fi de ma mauvaise humeur pour peser tous les mots de ma proposition. Je crois que j’aurais aimé que le sort me préserve de ceux de Luc. Il m’avait menti. Il m’avait tendu un piège pour que je le rencontre et j’ai tiqué. Je déteste être pris pour un con. Usuellement, ça me rend mauvais et peu ouvert à poursuivre sur une note légère. J’aurais eu tôt fait de me lever, de lui cracher que je n’aime pas les malades et de l’abandonner sur son banc avec sa déception pour seule alliée. Sauf que je suis resté, paralysé par son audace. Pour qui se prenait-il exactement ? Un ami de longue date qui se sent poussé des ailes parce que je nourris pour lui de l’affection ? Un qui s’autorise à me réclamer une telle faveur au nom d’une relation saine ? Il est inconnu pour lui. La preuve en est, jamais il ne m’aurait fait venir pour lui rapporter des faits et des anecdotes de mon ancienne vie. Je ne suis plus militaire. J’ai été déclaré invalide il y a des années de cela. Je n’envisage même pas de ce que je pourrais être réhabilité un jour. J’avais vécu cet écartement comme un échec cuisant et je les vis mal en général. « Je ne sais pas ce qui me choque le plus, petit. Ton mensonge ou ton culot.» déclarais-je en luttant pour ne pas perdre mon sang-froid devant mon audace. « Tu m’aurais approché pour que je te parle d’un truc bateau concernant l’armée, j’aurais pu faire l’effort, mais ce que tu me demandes est impossible et pas seulement parce que tu as menti. » Il avait au moins le mérite de laver cet affront en rétablissant la vérité. « Mais parce que je n’en parle jamais. A personne. Ça fait partie de mon histoire. Elle m’appartient et elle compte son lot d’horreur. Des horreurs que je n’ai pas envie d’exprimer ou de revivre. » avouais-je en me perdant peu à peu dans mes pensées. Je revoyais mes frères d’armes morts en mission et Livia, ma douce Olivia, abîmée elle aussi, tant par le sort que par son expérience sur le front. « Je ne peux pas faire ça. » Et je n’en suis pas désolé. Ma décision est équivoque. « Adresse-toi à quelqu’un d’autres. » Si tant est qu’il ait d’autres relations et j’en doutais. Au contraire, pourquoi m’aurait-il appelé ?
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| | | | (#)Ven 28 Fév 2020, 09:14 | |
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Luc ne cilla pas à la réponse d’Amos, durant laquelle il sirota paisiblement son café qui, pour se prélasser dans sa tasse depuis dix bonnes minutes, était presque froid. Des gens récalcitrants sur leurs récits, il en avait rencontré. Jamais il n’avait eu à lutter : il ne faisait pas aux autres ce qu’il n’aimerait pas qu’on lui fasse. Si son ancien compagnon de comptoir ne voulait pas parler de son passé, Luc respecterait son choix.
Néanmoins, il trouva que le traiter de menteur était un peu exagéré. Après tout, il aurait très bien pu se rendre compte en cours de route que son article ne prenait pas la forme d’un article mais d’un essai. Et puis, qu’est-ce que cela changeait pour Amos ? Lui, il racontait sa vie, c’est tout. Mais Luc ne voulait pas le réduire à cela. Plein de tact, il abaissa la tasse en carton de ses lèvres et se justifia d’une voix posée et respectueuse.
- Très bien. Je ne vais pas vous forcer, ce serait totalement mal venu, bien sûr. Je respecte ça.
Il observa les traits d’Amos. Oui, pendant une guerre, nombre de ses compagnons tombent à son côté. C’est généralement prévisible. Il y a du sang, des balles tirées à bout portant, des mises à mort d’enfants kamikazes, de femmes enceintes, d’hommes trouvés au mauvais endroit au mauvais moment. Il était plus facile pour Luc de se placer du côté des civils, dont un nombre exubérant finissait victime au fond d’une fosse commune. Il avait lu trop de témoignages.
- Pour tout vous dire, je pensais plus à des détails bateaux sur le quotidien, une journée type, à quelle heure on se lève, à quelle heure on mange, un entraînement de base. Bien sûr, je ne veux rien vous faire déterrer de douloureux, ajouta-t-il, plein de tact. Si même ça vous le considérez comme trop privé, à vous de voir. C’est vous qui décidez ce que vous voulez bien raconter. Moi, je note, c’est tout, dit-il en indiquant son petit carnet rangé dans la poche de son blouson.
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| | | | (#)Lun 02 Mar 2020, 12:15 | |
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Rumor has it
Il aurait pu insister. D’autres à sa place ne se seraient sans doute pas gêner. Pourtant, il ne bouge pas. Ses yeux ne me lancent pas des éclairs parce qu’il aurait été vexé d’avoir été traité de menteur. Il ne se permet aucun jugement non plus et il gagne quelques points sur l’échelle de mon estime. Pour lui, raconter une journée type à l’armée doit lui sembler anodin. Il doit certainement s’imaginer que je fais ma mauvaise tête pour le plaisir de contrarier. Pour moi, c’est bien plus compliqué. C’est me souvenir que j’étais bien à la caserne. C’est me rappeler que mon ancien métier me manque et c’est nourrir mes regrets liés à mon éviction. Je n’ai pas choisi de sortir des ranges par choix. J’ai été gentiment poussé vers la sortie et longtemps, avant la mort de Sofia, j’ai prié pour que me relever de mes traumatismes. J’ai prié chaque jour et chaque nuit un Dieu auquel je ne crois pas. « Je suis désolé de te décevoir, petit. » Pas d’avoir souligné son culot puisqu’il a usé d’un faux prétexte pour me tirer jusqu’ici. Ça, je n’en démordrai pas, quoique je ne lui en veuille pas réellement.
C’était de bonne guerre finalement. Je ne m’étais pas présenté à lui sous mes meilleurs jours dans ce bar décoré comme une cabine de marines des années 60. M’aurait-il avoué d’emblée les raisons de son appel que j’aurais refusé sur-le-champ, sans ambages. Selon mon humeur, j’aurais tout aussi bien pu lui raccrocher au nez sans souffrir du moindre scrupule. Ma décision était prise. Pourquoi se sent-il obligé, non pas d’insister, mais de préciser ses intentions ? Pour redorer son image ? Pour que je ne l’appréhende plus comme un hypocrite ? Nous n’en étions pas là. Je me suis fait la réflexion en avalant une gorgée de mon café devenu trop froid. Il était dégueulasse, mais je me suis obstiné à le boire pour sa teneur en caféine. « Ce n’est pas douloureux de te raconter qu’on se lève très tôt, qu’on fait nos lits au carré, qu’on a la tête rase et qu’on veille à ce qu’elle le reste. Ce n’est pas non plus privé que de te confier qu’on est tous liés à une cause qui nous tient à cœur, sans quoi nous serions restés chez nous. » Pour la plupart, enfermés dans des boulots de merde et dans une vie peu ragoutante. « Ce qui l’est, c’est que je n’ai pas choisi d’être écarté. Un militaire en chambre a pris la décision pour moi. Je n’ai pas encore fait mon deuil. Je crois que parfois, je me dis qu’un jour, je retrouverai ma place. » Cette possibilité s’éloigne de plus en plus, mais l’espoir n’est pas encore mort. « J’aime autant que mon nom soit associé à un article sur lequel je n’ai aucune prise. Des militaires, ça courent les rues. Je peux te donner un nom si tu veux. Quelqu’un qui sera peut-être moins prudent, mais moi c’est impossible. Je ne te dirai rien de plus. » conclus-je alors que j’ai parsemé mon discours d’indices volontaires.
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| | | | (#)Dim 08 Mar 2020, 21:11 | |
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Peu inquiet par la réticence d’Amos, le jeune homme jeta un coup d’oeil au fond de son verre en carton, sentant le bon mieux mal de tête du manque de sommeil monter à une vitesse ahurissante. Il devait lui rester quelques pilules qu’Alexis prenait parfois, lui qui était sujet à des migraines terribles dans ses mauvaises périodes. Après tout, il n’était plus là pour râler que Luc pioche dans ses réserves. C’était avec amertume que le jeune espagnol s’en souvenait. Son café était fini, froid et sans sucre. Luc y écrasa sa cigarette sans y faire attention. Il était heureux qu’Amos se fut assis car, épuisé, il était mieux ainsi que sur ses jambes. - C’est pas bien grave. Chacun ses mauvais souvenirs, ajouta-t-il d’une voix dégagée, le regard cependant assombri. Il n’avait plus aucun souvenir de ce qu’il avait pu lui livre de personnel durant leur entrevue au bar, et espérait secrètement ne pas lui avoir raconté trop d’éléments douloureux, car s’il l’avait fait il y avait un pourcentage de chance qu’Amos en reparle. Or, il n’en avait absolument pas envie. Lorsqu’il était ivre, c’était une chose, mais affronter ses souvenirs une fois sobre en était une autre. En l’écoutant parler, Luc se fit la réflexion qu’il aurait pu lui sortir un joli discours à coup de « Il ne faut pas regrette son passé. » et « Accepter c’est déjà faire un pas en avant. », le genre de chose que lui avait servi la psychiatre somnolente que son ami Kyle lui avait conseillé après la mort d’Alexis. Il y était allé une fois et avait quitté le cabinet pour ne plus jamais y retourner. Finalement, ressasser le passé ne semblait pas si douloureux comparé à une séance de torture à cinquante-deux dollars toutes les semaines. Même si grâce à cela il avait pu dégoter une boîte de cachets qui avaient accompagné ses nuits les deux semaines qui suivirent. - Très bien, finit par dire Luc, se reconnectant avec peine, essayant de ne pas regarder Amos dans les yeux, comme s’il pouvait cacher sa fatigue létale. Très bien, j’entends. Dans ce cas, je serais ravi de repartir avec quelques noms. Il ne voulait pas batailler ; ça n’était pas dans sa nature, et c’était certainement la raison pour laquelle il ne décollerait jamais dans le journalisme. Il fixa un instant le bout de sa chaussures puis tourna la tête vers l’homme à ses côtés, lâchant sur le ton de la confidence : - Que s’est-il passé après que je sois parti, l’autre soir ? Ils vous ont emmerdé ?
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| | | | (#)Lun 09 Mar 2020, 17:12 | |
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Rumor has it
Il fait mine de ne pas être déçu, mais son regard le trahit. Evidemment qu’il comptait sur moi et qu’il misait beaucoup d’espoir sur notre conversation. Toutefois, quand bien même aurais-je eu envie de me montrer sympathique, j’étais incapable d’accéder à sa requête. Je n’avais pas envie de réveiller de vieilles blessures à cause de la nostalgie. L’armée était un pan entier de ma vie. Elle tenait une place de choix sur la liste de tous mes échecs. Ceci étant, j’avais déjà manifesté à Luc ma compassion. Je n’avais dès lors plus rien à ajouter. Comme lui, j’écrasai ma cigarette dans le fond de mon gobelet vide. Je le lui ai ensuite tandis, qu’il l’empile avec le mien. Avions-nous besoin d’être deux à être encombré ? « Tu le destinais à quel genre de magazines ton article ? Un truc politique ? Lifestyle. » ou une connerie du genre, ai-je réprimé afin de ne pas le vexer. J’avais déjà été maladroit avec lui et, je le répète, il a quelque chose qui m’est assez sympathique finalement. Sans doute était-ce lié à son histoire, celle qu’il m’avait racontée et qui avait fait écho à celle de mon enfant. Etait-ce qui l’éloignait de cette discussion qui me semblait terminée ? Etait-il en train de se dire que mes arguments étaient plausibles ? Je l’ignore. Plus curieux, je lui aurais sans doute demandé, mais à quoi bon ? Son histoire ne me regardait pas. Il y a une différence entre les confidences des piliers de comptoir et celles que l’on partage avec ses amis. « Je vais te donner ça, tu as de quoi écrire ? » l’interrogeais-je en triant, parmi mes connaissances, qui pourrait faire l’affaire. Olivia ? Non ! Elle et moi, même combat. Thomas peut-être. Il était de loin le plus sympathique de nous tous. Quoique Cian ne se défend pas mal. « Et, pour répondre à ta question, il ne s’est rien passé de spécial. J’ai bu un peu avec eux. Une bière ou deux. » Je remontai le fil de mes souvenirs. Il n’en restait plus grand-chose, mais je surenchéris tout de même. « Et crois-moi sur parole si je te dis qu’ils étaient aussi bêtes qu’ils n’en avaient l’air. Des brutes, sans intérêt. Le genre de gars que tu es pas content de croiser dans une ruelle et qui se sont bien plus chez ton pote. » Ce tenancier qu’il tutoyait l’autre soir, celui qui lui avait sans doute remis mon numéro de téléphone. « Tu devrais plus y mettre les pieds pendant un moment si tu veux mon avis. Tu as tort de croire que tu n’es qu’une distraction pour les autres, pour certains homophobes, tu pourrais vite devenir une obsession. C’est écrit dans les journaux. Tu ne lis pas les journaux, toi qui es pourtant journaliste ? » Certes, je grossissais le trait. La réalité n’était pas toujours aussi rude et dure que la presse ne nous la montrait pour vendre ses papiers.
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| | | | (#)Mar 10 Mar 2020, 12:51 | |
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Alors qu’il était à moitié plongé dans ses réflexions, la question d’Amos le surprit. Incapable de se retenir de rire, hilare à l’idée d’écrire pour ce genre de magazine, il laissa échapper des gloussements incontrôlables en se tenant le ventre, son amusement nullement aidé par la fatigue. Finalement, il s’essuya un oeil et se tourna à nouveau vers l’homme à ses côtés. - Excuse-moi, je suis crevé, je ris pour rien. Lifestyle ? Non, non, loin de là. J’écris parfois pour le CPA, qui tient un petit journal insignifiant en ville. Parfois pour le Brisbane Times, mais plus rarement. C’est majoritairement des articles politiques. Mais je m’en lasse, je préfère les écrits libres, désormais. Cétait un bon résumé de sa situation. Sans rien ajouter, il empila le gobelet d’Amos sur le sien et hésita à tenter un lancé ambitieux vers la poubelle à dix mètres de là. Avait-il quelque chose pour noter ? Toujours ! - Ouais, dit-il grossièrement en sortant son carnet de la poche de sa veste. Un stylo y était accroché et pendait lamentablement dans le vide. Luc le décrocha et se prépara à noter, indifférent au tremblement désormais constant de sa main. C’était une résultant de son rythme de vie, il y était habitué et n’y faisait presque plus attention. Du moins se le faisait-il croire. Au discours d’Amos, Luc avait beaucoup à redire. Il se montra vaguement belliqueux lorsqu’il parla du barman. - Paul est un gars bien. Il m’a beaucoup aidé dans le temps. Il doit bien continuer à faire tourner son business, ça ne me surprend pas. Il exagérait sur toute la ligne. Luc se calma tout de même et répondit avec mesure qu’il n’était pas d’accord sur tout. - Enfin, il ne faut pas exagérer. On est pas dans un roman de Stephen King non plus. Y’a qu’une minorité de cons pas bien finis dans leur genre. Il faut savoir les reconnaître et rester discrets. Franchement, on ne m’emmerde pas tant que ça dans la rue, de manière générale. Ils m’ont juste reconnus. Ce n’était pas toute la vérité, mais Luc n’avait pas envie de s’éterniser en explications privées.
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| | | | (#)Mer 11 Mar 2020, 19:46 | |
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Rumor has it
« Il n’y a pas de mal. » Ris seulement. La mélodie est plus belle que celle des pleurs et moins agaçante celle plus pâteuse de l’ivresse. J’aurais aimé que son hilarité me gagne. Ça m’aurait fait du bien d’oublier un peu que je ne maîtrise pas tous les pans de ma vie et que mes blessures d’hier ne sont pas pleinement guéries. Au contraire, j’aurais accédé à sa requête qui n’avait rien d’exceptionnel ou d’audacieux finalement. Il n’écrivait pas pour la presse à scandale ou les revues qu’on déchiffre dans les toilettes pour passer le temps. « Les récits libres, du genre, tu trouves un truc que tu trouverais important de raconter et tu essaies de le publier, c’est ça ? Tu as des contacts intéressants ? » Car c’est moi qui l’étais désormais. S’il me venait à l’idée d’étaler la véritable identité du Club, il pourrait être le client idéal, à condition que je sois certain qu’il était davantage pigiste qu’un amateur trop optimiste. « Tu es souvent édité ? Je veux dire, tu crois que si j’avais une affaire pour toi, tu pourrais la rendre publique ? Dans l’hypothèse où évidemment. » Il n’était pas question de lui vendre du rêve, de lui donner de faux-espoir et de les lui arracher trop brusquement, tel un pansement sur une plaie à vif et trop bien soudée à la peau saine. L’histoire de ma fille – quoi qu’elle resterait anonyme – ne serait pas confiée aux premiers venus, parce qu’il me paraît sympathique, si je ne peux pas le lire au préalable, songeais-je en récupérant d’entre ses doigts son carnet et son bic. J’y griffonnai quelques noms de familles et des noms, pas de numéro de téléphone. Ceux-là, il devrait les dénicher par lui-même. Je n’avais pas eu le temps de prévenir mes anciens frères d’armes. Le tout en commentant la soirée de notre rencontre. « Deux couilles plus bas que celles d’un chat, l’ami. Je n’attaque pas ton pote le barman. Je te donne juste un conseil, mais tu en fais ce que tu veux. Ce n’est pas ma tête, mon cul et mes couilles. » relevais-je avec humeur. Je déteste qu’on se méprenne sur mes intentions quand elles sont étonnamment bienveillantes. Elles le sont si rarement ces dernières années. « On n’est pas dans un Stephen King, je te l’accorde. Mais croire que ça n’arrive qu’aux autres est une erreur. J’ai cru aussi que la grande ville était safe pour ma gosse. Résultat, elle… » Je m’abstins de poursuivre. Il était hors de question que je me lance dans ce débat avec lui.
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| | | | (#)Mer 18 Mar 2020, 12:12 | |
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Au moins, Amos ne voulait pas lui enfoncer la tête entre les deux épaules parce qu’il avait eu l’affront de rire sans motif. Malgré ses airs bourrus, c’était un gars bien. Le genre d’homme à aider son prochaine en rechignant que, quand même, il avait autre chose à faire de son temps. Le genre d’homme à sauver de jeunes alcooliques dans les bars homophobes. Il s’intéressait à ses parutions. En ce moment, Luc n’était pas transporté de joie à l’idée d’écrire pour les feuilles de choux locales. Il s’ennuyait. L’idylle inatteignable de peut-être se lancer dans quelque chose de plus important le tentait grandement. Un recueil de nouvelle ? Carrément un roman ? Il restait à voir. Mais plus d’articles stupides en réponse à des commandes inintéressantes. Pourtant, c’est ce qui lui permettait de vivre. Ce n’était pas avec les deux peintures par trimestre qu’il vendait qu’il allait devenir riche. Il n’avait avec cela même pas de quoi se nourrir. - C’est ça, oui. Je suis quelqu’un de plutôt obsessionnel. Quand quelque chose me passionne, je vais y passer des heures dessus, faire des milliards de recherches et écrire tout un tas de papiers sans intérêts. Quand, à la fin, je peux terminer avec quelque chose d’abouti et réfléchi, c’est généralement bon, dit-il, sans que pourtant aucune fierté ou trace d’égocentrisme n’apparaisse sur son visage. Alors qu’il décrochait déjà de la conversation, Amos harponna son attention avec un coup de génie maîtrisé. S’il avait été un clébard, ses deux oreilles de gosse sous-alimenté se seraient levées dans une vague d’intérêt féroce. Oui, Amos avait peut-être quelque chose pour lui. Il restait désormais à ne pas le décevoir. Pas de mouvements brusques, par des cris, pas de panique. - Eh ben, je publie souvent. C’est ce qui me permet de manger. Après, ajouta-t-il avec modestie, presque avec honte, je ne suis pas d’une renommée immense. Mais si c’est vraiment un gros poisson, avec les bonnes tournures de phrase et une ou deux images compromettantes, cela fera l’effet d’une bombe dans un théâtre. Mais voilà déjà que son compagnon de parc repartait dans des travers conversifs bien moins flatteurs et agréables, visiblement autant pour nos deux personnes respectives. Luc prit soin de faire oui de la tête, inexpressif, et de ne pas répondre. Enfin, il allait presque répondre, certainement quelque chose de l’ordre de « Ce serait sympa de pouvoir sortir dans les bars sans se faire emmerder, quand même. » quand Amos parla de sa fille. Engrenage humide, mal huilé, Luc se souvint avec peine qu’il y avait une histoire tragique derrière tout cela. Il était hors de question d’enclencher une réponse maladroite après qu’il ai laissé échapper une non-information de la sorte. Question de respect. - Oui, vous avez sans doute raison. Ça n’arrive pas toujours qu’aux autres. Les souvenirs refaisaient toujours surface.
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| | | | (#)Mer 18 Mar 2020, 20:24 | |
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Rumor has it
Je n’ai jamais cru au hasard et aux coïncidences. J’ai dès lors bien du mal à envisager que ce gosse n’a pas été mis sur ma route pour une bonne raison. Peut-être avait-il un rôle à jouer dans mon projet. Peut-être pourrait-il me servir de scribes alors que j’ai tant de choses à raconter sans savoir comment les exprimer. A quoi bon venger ma fille s’il ne peut lire, dans la presse, ce qui lui était arrivé ? A quoi ça servirait de faire tomber le Club si je ne dénonce pas leurs agissements aux yeux du monde entier ? J’y réfléchis, sincèrement. Je songe à le rencarder sur le coup, mais quelque chose me retient. Ce n’est pas une question de notoriété. Je n’avais pas besoin qu’il soit reconnu pour lui rapporter les drames qui traversèrent mon quotidien. C’était sa propension à se mettre en danger et à l’ignorer qui me dérangeait. Or, préparer et signer un papier sur une organisation criminelle telle que celle que j’ai infiltrée comprend des risques. Je n’avais pas envie d’avoir sur la conscience les conséquences de ses imprudences. « Je te dis pas ça pour te faire chier ou retourner le couteau dans la plaie. Dans le fond, rien de tout ça ne me regarde, mais… » J’ai hésité, un instant durant, allumant une nouvelle cigarette et regrettant de ne pas avoir un verre de whisky à disposition. « Mais, ce dont je te parlais un peu plus tôt. » Ce qui me poussa à vérifier s’il n’était pas une dilettante qui se présume plus gros que le bœuf. « Ce serait potentiellement dangereux. Le simple fait de t’en parler pourrait l’être. » soupirais-je en tirant une latte de nicotine. Elle me fit un bien fou. Je me suis de suite senti un peu moins nerveux. « Pourtant, j’ai l’impression que tu pourrais m’aider. » J’ai pris une grande inspiration et je me suis tourné vers lui pour capter toute son attention. « Ma fille. Elle a été embrigadée dans un truc au sujet de la drogue et de la prostitution. Un gros poisson. Je dirais même un très gros requin. Fondamentalement, ton rôle, ce serait de raconter son histoire et de suivre l’avancée de mon projet. » Sur celui-là, je n’ai rien dit pour le moment. « Mais, je dois être certain que tu n’en parleras à personne. Je dois être sûr et certain que tu ne me feras pas perdre mon temps non plus, et que tu ne me foutras pas dans la merde. Et par rapport à ça, j’ai l’impression que tu es mal programmé… » Au contraire, il aurait fui quand je le lui ai conseillé. « Mal programmé et incroyable têtu aussi et tu pourrais pas te permettre de l’être. » Sous-entendu : je mène la danse. Pas d’esbroufe et pas de zéle.
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| | | | (#)Mer 18 Mar 2020, 22:48 | |
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Luc, dans son attention toute particulière, fut d’abord surpris, puis intéressé, puis vaguement inquiet. Il écouta Amos parler en silence, accusant le coup des informations sans froncer les sourcils, bien qu’une barre préoccupée lui barra bientôt le front. Ainsi donc. Sa fille avait été endigué dans un bordel pas possible. Drogue. Prostitution. Tout cela mettait les sens du jeune homme en éveil, car se ravivaient des souvenirs auxquels il aurait préféré ne pas songer. Une organisation, un gros requin, comme avait dit Amos, certainement regroupant des dizaines, peut-être des centaines d’individu. Tout de suite, il pensa au trafic d’êtres humains, aux transactions, à des meurtres organisés. Quelque chose de sombre, de dangereux. Qui avait emporté sa fille. Après qu’Amos eut fini de parler, il continua sa progression mentale sur le flanc de la réflexion. Il songea aux absences répétées d’Alexis, peu avant sa mort. Les billets qui tombaient des poches de son manteau sans provenance particulière. Serait-il possible... ? Brisbane n’était pas si grande que cela, telle était l’impression de Luc. La question se posait. Il décida, néanmoins, de l’occulter, au moins pour l’instant. Amos voulait qu’il l’aide à raconter une histoire dangereuse et imprévisible. Les zones d’ombre étaient importantes et ne pouvaient être laissées de côté. C’était trop massif. Luc passa une main dans sa nuque et lorgna sur la cigarette de l’homme à ses côtés, mais il était trop perturbé pour en allumer une à son tour. Il avait l’impression, et très certainement à raison, de tout juste s’être endigué dans une affaire trop importante pour lui. Quelques secondes de silence flottèrent dans l’air froid. Finalement, le jeune homme rétablit le contact visuel entre Amos et lui et répondit d’une voix inchangée, dans un timbre presque monotone. - Ce genre d’histoire, c’est dangereux. Qu’est-ce qui me promet que ma vie ne sera pas compromise ? Lui aussi avait terriblement besoin d’un verre, et c’est avec une main tremblant démesurément qui entreprit d’allumer une cigarette. Dans sa réflexion, il avait fait tomber les gobelets sur la terre meuble du parc. - Je sais me taire quand il le faut. Je ne suis pas suicidaire. Il avait l’impression de s’être égaré sur une autre longueur d’onde que celle d’Amos et de ses racontars. Portant la cigarette à ses lèvres, il se rendit compte de la courbe de ses épaules et redressa le dos. Putain de merde, mais dans quoi était-il susceptible de mettre les pieds ?
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| | | | (#)Sam 21 Mar 2020, 00:24 | |
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Rumor has it
Pour être tout à fait honnête, sa réaction ne m’étonne guère, au gamin. Il est perdu dans le fil de ses pensées et qui, à sa place, ne l’aurait pas été, si ce n’est quelqu’un d’inconscient ou de complètement désintéressé. Il n’était pas ce dernier, mais le premier soulevait question. Comment qualifier quelqu’un qui refuse d’admettre que ses pratiques sexuelles attisent encore les réactions véhémentes des détracteurs de l’homosexualité et des conservateurs protestants qui lèvent la Bible en étendard pour justifier leur haine ? Je n’envisage m’être trompé dans mon jugement, je me dis simplement que le gosse semble plus prompt à réfléchir à se lancer dans un projet professionnel que de veiller sur sa peau en matière de distraction. Ce n’était pas dénué de logique. Moi, je me fiais de tout le temps, en tout temps, mais d’aucuns hommes ne sont taillés dans le même bois. Fort de cette constatation, j’en viens à apprécier qu’il ne saute pas à pieds joints pour me secouer jusqu’à ce que je vomisse mes informations. Il évalue, il jauge, il anticipe peut-être en hypothèse ce que cache mon ton énigmatique et il gagne quelques points sur l’échelle de mon estime. Il gravit un échelon supplémentaire en prenant la parole. Ses inquiétudes étaient fondées et plutôt bien amenées finalement. « Je ne te promets rien. Ce n’est pas mon rôle, gamin. » Je n’étais pas voué à lui servir de garde du corps une seconde fois. « Mais, il y a un dispositif de sécurité, un protocole à respecter. Il n’est pas question de divulguer une quelconque information avant que je n’aie clôturé mon enquête, avant que les types véritablement dangereux ne croupissent derrière les barreaux et pour longtemps. Il en va de ma sécurité et donc, de la tienne. Je ne me lance pas non plus dans cette aventure tout seul. J’ai quelques alliées de taille. » Dont je tairais le nom par discrétion tant qu’il ne me confirmerait pas qu’il serait de l’aventure. « Et, je ne peux pas t’en dire plus. » déclarais-je en tirant sur mon mégot et me penchant pour ramasser les gobelets qui feraient toujours un cendrier acceptable le cas échéant. « Tu sais quoi ? Tu devrais y réfléchir. Prendre le temps de le faire en tout cas. Sauf si tu sais déjà que ça sera non. » Et quelque chose me disait qu’il n’en était pas là, pas encore. « Il y pas le feu. J’en suis aux prémices de mon enquête. Ça peut me prendre un an. » J’espérais six mois pour être pleinement exact. « Je pense que ça ne te prendra pas énormément de temps, là, tout de suite. Le travail, ce sera pour plus tard. Et, je ne te demanderai rien, pas un rond sur ce que la vente du papier te rapportera, pas même sur la notoriété que tu y gagneras. » Et, elle serait énorme, à n’en point douter.
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| | | | (#)Dim 22 Mar 2020, 11:16 | |
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Il l’écouta. Luc était très doué pour ce qui était d’écouter les gens. Il gardait un regard ferme, dénué de tout sous-entendu, tirant avec volupté sur sa cigarette, sans se presser, sans montrer aucune nervosité sinon la lueur inquiète de ses yeux et ses mains légèrement tremblantes. Il analysait, mais il ne comprenait pas tout. Néanmoins, sa curiosité morbide était piquée. C’était une aventure qui pourrait lui rapporter gros. Hors de l’intérêt journalistique, il y avait celui, plus intéressant même peut-être en vue de sa condition, pécuniaire. S’il tombait sur un gros poisson et que ses articles intéressaient du monde, il pouvait se refaire une santé. Déménager de ce trou à rat lui rappelant sans cesse ses pires souvenirs, trouver quelque chose de plus lumineux, un peu plus grand pour avoir la place de peindre. Bien sûr, il pourrait déjà avoir tout cela s’il s’était décidé à reprendre son activité de soudeur en ville, et il savait que c’était possible, mais il ne voulait pas. Il chérissait trop son mode de vie bohème pour en changer. - C’est quand même assez obscure, tout ça, a-t-il dit en se mordant un ongle avant de s’arrêter brusquement. Il ne fallait pas avoir les ongles rongés pour les shows et les faux ongles coûtaient une blinde. Il tira comme un forcené sur sa cigarette et quitta un instant le contact visuel avec Amos pour regarder au loin, dans la brume matinale qui se dissipait. C’était inconcevable. C’était suicidaire. Il allait se mettre à dos toute une organisation de drogue et de prostitution. À qui allait-il acheter sa consommation s’il faisait tomber le réseau de la ville ? Il ne pouvait plus vivre sans. Allait-il devoir vivre une vie à craindre les connards homophobes et les dealers psychopathes ? En vérité, il était très bien dans sa petite vie tranquille. Il ne voulait pas avoir à faire avec des organisations illégales. Premièrement parce qu’elles ne lui posaient aucun problème de sorte d’éthique personnelle, deuxièmement parce qu’il protégeait ses intérêts. Il n’était journaliste que pour se nourrir et, s’il pouvait être terriblement politique, il était avant tout anarchiste dans l’âme. La drogue et la prostitution, c’était une partie de son quotidien. Sans cela, nombre de ses amis seraient à la rue, à crever la dalle sous les ponts. Il allait devoir sérieusement y réfléchir. - Oui, je pense que je vais avoir besoin de temps. Cette histoire me pose pas mal de problèmes majeurs. Je vous passe les détails. Mais... Silence. Il jeta sa cigarette, regarda ses mains puis les rangea dans ses poches. - Ouais. Je sais pas si je marche.
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| | | | (#)Dim 22 Mar 2020, 19:11 | |
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Rumor has it
Obscure ? Le mot était faible. J’aurais plutôt utilisé le mot sordide pour qualifier l’histoire de ma gamine. Elle aurait fait pleurer les mères de famille dans leur chaumière. Même les pères, pourtant réputés pour être plus solides, auraient versé une petite larme à imaginer leur enfant dans la même situation que la mienne. Autant dire que je peux comprendre son hésitation, tout du moins, en partie. Un pan entier de ma personnalité estimait qu’il ne mesurait pas sa chance, ce gosse. Il en avait une insolente. J’étais prêt à lui offrir de quoi se créer un nom dans le monde du journalisme, et si je lui reconnaissais volontiers que s’inquiéter de sa sécurité était un bon point, j’avais dû mal à saisir les raisons pour lesquelles il était aussi fermé. Je choisis de ne plus m’en préoccuper et de le laisser venir, si le cœur lui en dit et si, dans l’absolu, j’étais disposé à faire de lui mon partenaire dans cette aventure. Il n’a pas les reins solides pour me suivre sur ce chemin. Je ne lui en voulais pas. Je constatais, tout simplement. Aussi, ai-je hoché de la tête sans plus rien ajouté. Les gobelets entre doigts, j’avisai plutôt d’une poubelle dans laquelle je pourrais les jeter. « A ton aise, petit. » ai-je finalement conclu. Je n’ai pas le temps pour le manque d’ambition. Je n’ai pas non plus de temps à gaspiller à convaincre un pleutre. Quoiqu’il arrive, je ferai sans lui. Nul doute que cette ville grouille de journalistes qui seront intéressé et qui flaireront le gros poisson, l’argent et la gloire. Je regrettais de lui en avoir touché un mot. Peut-être en avais-je par ailleurs trop dit. Aussi, en quittant mon banc et avant de le saluer pour prendre congé, j’ajoutai : « Il va de soit que cette conversation doit rester strictement entre nous, gamin. Je peux être sympa, mais je ne suis pas un enfant de chœur. » Si tant est en aurait-il douté, je le lui confirmé sur le ton de la menace. « A la revoyure, gamin. » Je lui adressai un geste évocateur de la main et j’ai pris la direction de la place de parking où était rangée ma voiture, loin d’être mal à l’aise ou anxieux. J’avais à faire de toute façon.
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