Marianne a tout fait, comme d'habitude. Elle a choisi les fleurs, elle a choisi la robe. Elle a choisi la salle, elle a choisi la musique, elle a même choisi les voeux que sa fille devra apprendre par coeur pour les statuer la tête en berne la voix forcée devant l'assemblée d'invités qu'elle a, bien évidemment, choisi aussi.

L'horaire du jour qui est suivi à la minute près, et ç'aurait bien pu être ça, le calvaire de la benjamine. Elle qui n'arrive jamais à suivre une routine, elle qui s'emmêle dans sa tête et dans ses pas, elle qui n'a aucune notion de ponctualité ou d'agenda. Elle à qui on demande de jouer le jeu et de suivre à la lettre le cortège sur l'étage d'hôtel complet que les McGrath ont loué pour cette si spéciale journée.

Elle n'a pas mangé depuis des jours, elle est épuisée, elle se laisse traîner d'une salle à une autre Ginny, elle est l'ombre d'elle-même. On lui tire les cheveux, on lui maquille les joues, on l'aide à enfiler une robe qu'on doit ajuster une fois sur elle, sa silhouette rachitique qui a encore perdu à la taille, aux épaules. Son regard est vide mais plus personne ne le remarque, tout le monde l'a pris pour acquis parce qu'il l'est depuis qu'elle a quitté l'Australie.

Et on la laisse enfin seule.

Marianne s'envole rageusement pour gérer une urgence de dernière minute, les demoiselles d'honneur qu'on a imposées pour la cérémonie sont toutes sorties au jardin avec la photographe pour prendre les derniers clichés. Ceux où elles devront avoir l'air de s'amuser comme s'il s'agissait d'un moment précieux qu'elles allait chérir pendant toute leur vie. Ginny elle, est posée, silencieuse, horrifiée sur son lit. Son coup d'oeil qu'elle évite dans la glace, son reflet en entier qu'elle ignore, quand dans sa tête ne tourne qu'un éternel décompte, chaque seconde qu'elle retire à sa vie d'avant en anticipant ce qui l'attend après aujourd'hui.

Cette journée, Jill risque de s'en souvenir pendant de nombreuses années. Elle voudrait ne pas voir ça, elle voudrait oublier, c'est certainement pour ça qu'elle en est à sa troisième ligne de cocaïne et qu'elle a bu la moitié d'un bouteille de vodka. Et il est 11 heures du matin, elle commence bien cette journée. Maman McGrath a bien choisi toutes les décorations, chacune des tenues, et Jill a déjà une coiffeuse et une maquilleuse qui l'attendent dans le salon. Virginia McGrath se marie. Elle a écouter les parents encore, et elle s'apprête à foutre sa vie en l'air. Rien de nouveau dans tout ça.

Jill a l'air fatigué, elle titube légèrement dans les couloirs et elle a les pupilles dilatées. Oui, elle espère que sa mère va voir dans quel état elle est. Parce que ça va la faire paniquer, et ça, c'est jubilatoire. Parce que Jill serait capable de tout gâcher à n'importe quel moment. Elle pourrait se mettre à hurler, à vomir sur des invités. Ça pourrait être drôle non ? Surtout si sa mère a engagé des cameramans pour être sûr qu'elle pourra regarder la cérémonie en boucle sur son lit de mort. Cette famille est pathétique.

Jill a enfilé une robe, bien évidemment ce n'est pas celle que sa mère à choisi. C'est un robe noire, très décolleté et très courte, elle est sûre que Bailey sera perturbé comme ça. Parce que oui, Bailey c'est le mari de Ginny, mais Jill a réussi à lui faire tourner la tête. Elle l'a eu lui aussi, parce qu'elle ne veut rien laisser à Ginny, pas même l'espoir que son mariage pourrait bien se passer. Elle dégage la maquilleuse, elle lui vole par contre quelques trucs, des crayons, des pinceaux. Ses parents paieront pour tout ça, ils ont apparemment de l'argent à gâcher. Elle se maquille beaucoup, bien trop. Ses yeux sont entourés de noir et ses lèvres sont colorées. Ses cheveux détachés tombent sur ses épaules. « Vas chercher ta sœur, et essaies d'éviter les photos et les caméras. » Sa mère est froide, exactement ce qu'elle voulait. « Je me ferais un plaisir d'apparaitre de partout ma chère maman. J'ai même mis des sous-vêtements très colorés si jamais je décide d'enlever ma robe ! » Et elle monte chercher Ginny.

On cogne avec empressement à sa porte, on l'ouvre à la volée aussi.

Et elle ne bouge pas Ginny, elle attend, immobile, impassible. Elle fixe le vide, elle espère qu’il l’avale toute entière sans rien laisser derrière, pas la moindre trace d'elle, de la marque qu'elle n'aura jamais laissée dans la vie de qui que ce soit. Les pas dans sa chambre sont brusques, c’est facile de savoir de qui il s’agit, qui prend toute la place, qui signale sa présence de toutes les façons possible et inimaginables.

Elle n’a pas pleuré encore Ginny, elle a du mascara à tenir, elle a du rouge à lèvres à garder. Elle a des joues colorées à honorer et elle a un visage de porcelaine à garder intact, aucune fissure, aucune cassure ne devra s’y voir. Ne s’y verra.

Le silence dans lequel la chambre était plongée avant l’apparition de sa sœur lui manque, aussi cruellement qu’il la suffoquait. Maintenant que Jill est arrivée elle sait qu’elle sera brusquée, elle sait qu’elle sera poussée au fond du gouffre, au bord de ses retranchements. Elle sait qu’elle sera à bout d'elle-même avant d'oser se l’avouer, elle sait aussi qu’elle finira fatalement par lâcher les armes sans même résister. Sa vie qui a volé en éclats il y a des mois déjà à Ginny, et pourtant, elle n’a jamais eu la simple force de ramasser le moindre morceau.

Sa tête en sourdine, si on lui parle, si son aînée s’adresse à elle, elle n’entend rien, elle fait barrière. Elle se bloque, se ferme, elle n’est plus qu’une carcasse enrobée de tissus et de fleurs, de rubans et de peurs. « Pas aujourd'hui, Jill. » alors elle l’avertit, elle ignore si elle lui coupe la parole et si c’est le cas, elle est déjà terrorisée que ce soit pire. Elle veut juste fermer ses yeux trop maquillés Ginny, elle veut juste se cacher sous la couette et se réveiller l’alliance au doigt, le cœur brisé certes, mais une journée de moins au compteur pour le lui rappeler.

Jill monte les escaliers 4 à 4. Enfin, pas vraiment parce que vu son état elle se serait cassée la figure. Donc en réalité elle monte les escaliers un peu comme elle peut et elle ne tombe pas. Elle toque à la porte, pourquoi elle fait ça ? Elle se rappelle qu'elle n'a pas besoin de toquer et elle ouvre la porte. Elle marche dans la chambre et Ginny est allongée sur le lit, sans bouger. Elle grogne Jill, elle fait du bruit mais Ginny ne réagit pas. Peut-être qu'elle était morte allez savoir. Ils auraient pu juste changer sa robe et fêter l'enterrement au lieu du mariage histoire de pas avoir réservé l'église pour rien. Mais non, elle finit par bouger légèrement la cadette McGrath. Jill grogne encore plus.

Pas aujourd'hui, comment ça pas aujourd'hui ? « Oui bah t'as qu'à aller montrer ta tête de déprimée en bas à maman c'est elle qui m'envoie te chercher ! Si tu veux pas te marier t'as qu'à le dire et arrêter de jouer à madame parfaite ! » Elle est défoncée Jill, certes, mais elle aurait pu dire un truc comme ça à sa sœur complètement sobre, donc ça n'excusait rien. Ce qui était sûr, c'était que Jill n'aiderait pas Ginny une seule seconde, la seule chose qu'elle pourrait être en capacité de faire c'est l'enfoncer encore plus profondément dans sa tristesse. « J'ai des ecsta, et de la cocaïne si tu veux te décoincer et te donner un peu de courage pour le plus beau jour de ta vie ! » Jill a son plus beau faux sourire, un ton cinglant, parce qu'elle déteste l'idée que Ginny se marie à Bailey. Ils auraient pas pu la filer à Eliott ? « Allez bouge toi ! » Jill la bouscule légèrement sur son lit, elle va devoir y aller de toute façon, à moins qu'elle ne décide de se jeter pas la fenêtre au dernier moment, il n'y avait pas vraiment d'issue possible.

Pas aujourd'hui Jill. J'ai pas la force de survivre à tes remarques.
Pas aujourd'hui Jill. J'ai pas la force d'endurer ta rage.
Pas aujourd'hui Jill. J'ai pas la force de supporter ton regard plein de jugement sur moi.
Pas aujourd'hui Jill. J'ai pas de forces, tout court.

« Oui bah t'as qu'à aller montrer ta tête de déprimée en bas à maman c'est elle qui m'envoie te chercher ! Si tu veux pas te marier t'as qu'à le dire et arrêter de jouer à madame parfaite ! »

Elle souffle Ginny, ses poumons brûlent, sa gorge se serre. Ses doigts sont las, déliés, ils traînent comme des pantins désarticulés sur sa robe trop parfaite, trop cintrée, trop ajustée, trop blanche. On lui a tressé une mèche le long de son crâne, chaque mouvement la tire tant tout est brossé à la perfection. Elle a des boucles d'oreilles, elles brillent, elles sont belles, elles appartenaient à leur grand-mère, comme l'alliance qu'elle portera apparemment dans une poignée d'heure à son annulaire. Son annulaire d'ailleurs, qu'elle pince maintenant. Un tic nerveux comme un autre, le seul mouvement qu'elle s'autorise.

« J'ai des ecsta, et de la cocaïne si tu veux te décoincer et te donner un peu de courage pour le plus beau jour de ta vie ! » elle n'en veut pas de la drogue de sa soeur. Elle ne veut rien, pas le moindre cachet, encore moins de poudre. Elle est vide et vidée, elle est fabile et fermée. « Allez bouge toi ! »

Mais Jill la bouscule, Jill la brusque, Jill est intenable. « J'ai besoin d'air.  » alors elle s'avance à la fenêtre, use de ce qui lui reste pour l'ouvrir, pour inspirer, yeux fermés. Le soleil lui caresse les joues, l'ironie d'une semaine de pluie qui avait noyé Londres des jours durant quand maintenant l'air est chaud et frais, doux. Elle a besoin d'air mais elle a besoin de fuir. Elle a besoin de partir. Elle a besoin de tout quitter, elle en a tellement besoin qu'elle en a mal, que chaque parcelle de son corps menace de s'immobiliser à chaque pas qu'elle fait. « Encore 5 minutes. » elle ferme les yeux, elle inspire l'air extérieur et elle espère. Elle supplie, Ginny.

Elle ne voit plus clair Jill, elle tourne dans la chambre de Ginny, et elle fronce les sourcils en la voyant sur son lit. « Comment tu peux accepter un truc pareil ? » Se marier avec un mec qu'elle ne connait même pas vraiment, dire oui à tout ce que les parents veulent. Pourquoi est ce qu'elle fait ça ? Ça n'a aucun sens. Absolument aucun pour Jill. Les parents avaient choisi Ginny parce qu'elle était tombée enceinte bien trop tôt à leur goût, mais aussi parce qu'elle était la plus malléable, la plus flexible, la plus facile à manipuler. Elle allait le faire, c'était certain que Ginny dirait oui devant l'autel. Et elle savait au fond d'elle que Bailey ferait pareil. Et c'est peut-être à cause de ça qu'elle c'était mise dans cet état. Ça va l'aider à oublier elle aussi non ? Parce que, à part les parents McGrath et les parents Fitzgerald, personne n'avait envie de vivre cette journée. PERSONNE.

Mais Jill s'amuse à tourmenter sa sœur, comme elle le fait si bien depuis toujours. Et puis ça l'aide à penser à autre chose, à déverser sa colère et son incompréhension sur la faible Ginny qui se lève pour aller respirer à la fenêtre. « Alors cette fenêtre est pas du tout à la bonne hauteur. Elle est trop haute pour t'enfuir, mais certainement trop basse pour te jeter de là. » Elle dit ça sur un ton nonchalant, et elle s'en fiche de choquer Jill. Elle s'amuse juste. « Pourquoi 5 minutes ? C'est pas parce que t'attends dans cette chambre que ça finira pas par arriver. » Elle savait que Ginny finirait par porter une alliance ce soir, et qu'elle serait lier à vie à Bailey sur le papier. Elle vivrait malheureuse toute sa vie, exactement comme Bailey. Mais ils avaient accepté cette situation, donc, il l'avait en parti choisi. « Tu veux te faire engueuler en plus parce que tu fais attendre tout le monde ? Parce que tu vas avoir le droit à un sermon parce que t'as abîmé ton chignon. »

« Alors cette fenêtre est pas du tout à la bonne hauteur. Elle est trop haute pour t'enfuir, mais certainement trop basse pour te jeter de là. » tout ça sort de façon bien trop détendue, avec une voix qui l'est toute autant. Et elle reste impassible Ginny. Elle ne le mentionne pas, le nombre de fois où elle a regardé les cachets de sa soeur sans oser, mais où elle y a pensé. Où elle a pensé des choses horribles, où elle s'est dit qu'elle ne pourrait pas, qu'elle était si faible pour tout, et surtout pour ça. Mais elle a voulu en finir déjà, elle y a pensé déjà, elle ignore encore que plus tard, elle tentera.

Et Jill continue de s'amuser. Elle continue d'appuyer là où ça fait mal, ce qui n'est pas difficile en soit, parce que tout fait mal de toute façon. « Pourquoi 5 minutes ? C'est pas parce que t'attends dans cette chambre que ça finira pas par arriver. » « Je sais. » elle sait la brune, que la partie est terminée. Elle sait que l'ironie est telle que même la fenêtre n'est pas une issue. Elle sait qu'aujourd'hui on lui coupe définitivement ses ailes, elle sait qu'aujourd'hui elle ne sera plus qu'un signature sur un acte de mariage, qu'un annulaire à qui on glissera une alliance qui lui donnera l'impression d'être la plus lourde et la plus cruelle des chaînes.

Ses mèches glissent sur son visage livide, elle n'arrive même plus à inspirer convenablement. Elle panique, elle se noie, elle étouffe dans son silence. « Tu veux te faire engueuler en plus parce que tu fais attendre tout le monde ? Parce que tu vas avoir le droit à un sermon parce que t'as abîmé ton chignon. » sa tête se tourne, ses prunelles soient voilées, ses yeux sont bouffis. « Jill arrête. » qu'elle se moque ne sert à rien. Qu'elle pique ne sert à rien. Qu'elle tente de la blesser, qu'elle tente de l'enfoncer ne sert strictement à rien parce qu'elle est déjà à terre Ginny. Qu'elle croit pertinemment en l'instant qu'elle n'arrivera jamais à se relever. « Arrête de faire comme si c'était une blague. » comme si elle pouvait partir à tous moments. comme si sa vie ne lui glissait pas entre les doigts depuis qu'ils avaient quitté l'Australie. « Ça a rien de drôle. » et ce sourire mauvais qu'elle affiche son aînée, il achève de lui briser le coeur.

Le monde semble bien plus beau quand Jill a pris une bonne dose d'alcool et de drogue. Parce que là, même si elle marche dans la chambre de Ginny en la voyant dans cette robe de mariée, elle ne se met pas à hurler sur sa sœur parce qu'elle est juste trop bête d'accepter un truc pareil. Non, elle marche, elle fait des allers-retour, et elle parle à sa sœur. Elle est piquante Jill, elle est mauvaise parce qu'elle est quand même énervée. Elle n'a pas envie de l'encourager, de la rassurer, elle n'a juste pas envie de vivre cette journée. Elle est là, seulement dans l'espoir qu'un des deux finisse par dire non. C'est pas compliqué comme mot, non. Mais elle sait comment ça va finir, elle sait très bien que les deux suiveurs diront oui. Et qu'ils feront comme si ils étaient heureux toute leurs vies. « T'as qu'à dire non au lieu de râler et faire la dépressive sur ton lit. » Elle grogne Jill, et elle regarde sa sœur s'éloigner vers la fenêtre. Quelle est dramatique.

Mais elle n'a pas de limites dans ses paroles Jill, et certainement pas quand il s'agit de parler avec sa petite sœur. Ses yeux sont noirs, même quand elle voit la détresse dans les yeux de la cadette. « vaut mieux en rire qu'en pleurer non ? » toujours le regard mauvais. Et cette journée ne fait que commencer. « Ce mariage, c'est la plus grosse blague que cette famille pouvait faire ! » Et elle les encourage les parents Ginny, et c'est certainement ce qu'il y a de pire dans cette histoire. Un jour, peut-être, elle apprendra à dire non et elle essaiera de vivre sa vie. Mais en attendant, il va bientôt falloir qu'elle sorte son plus beau sourire Ginny, pour quand tout le monde viendra la féliciter d'être devenu Virginia Fitzgerald.  

Jill a bu, Jill a consommé. Elle a les yeux vitreux de celle qui voit la vie à travers un filtre parce que la réalité l'effraie, l'horripile, la fait rager à un niveau encore impossible à supporter. Et elle l'aurait vu Ginny, à quel point sa soeur est en aussi mauvais état qu'elle aujourd'hui, si elle avait eu la force et le courage de tenir son regard plus d'une poignée de secondes à peine.

« T'as qu'à dire non au lieu de râler et faire la dépressive sur ton lit. » son rire bloque dans sa gorge, elle manque d'air, elle rêverait d'être forte à ce point. Jamais elle n'oserait aller contre sa famille, jamais elle n'en serait capable tant elle est défaite d'eux, démolie de tout. Ezra n'est pas venu, Ezra n'a pas donné le moindre signe, il l'a laissée partir, il l'a laissée derrière avec cet enfant qu'il ne voulait pas. Cet enfant qui lui rappelle à chaque jour celui qu'elle a aimé de tout son coeur, celui qui aurait pu être l'homme de sa vie, si sa vie ne s'était pas jouée aujourd'hui.

« Si j'avais pu dire non je ne serais pas ici. » elle souffle, elle abandonne.

« vaut mieux en rire qu'en pleurer non ? » sa voix lui martèle les tempes, ses rires surtout les plus faux lui brisent le coeur. « Ce mariage, c'est la plus grosse blague que cette famille pouvait faire ! » bienvenue chez les McGrath, bienvenue dans la famille où les apparences sont tout ce qu'il reste, tant l'intérieur est bousillé, cassé, éclaté, brisé. En permanence. « Tu peux rire de ce que tu veux Jill. » rigole pour elle, au moins. Rigolei pour toutes les fois où elle ne rira plus, où elle n'en aura tout simplement plus la force.

« Il me reste le corsage à mettre. » et elle se lève, enfin. Elle quitte la fenêtre, elle ne ressent plus rien à chaque pas lent, posé vers la commode où la broche à fleurs familiale se trouve. Ne lui reste qu'à calmer ses doigts tremblant le temps de greffer le corsage à sa robe, et elle sera prête oui. Ou du moins, elle enfilera le masque qui le suggèrera à sa place.

« T'es désespérée, et désespérante Gin. » Elle souffle bruyamment Jill, et elle roule des yeux. Elle a juste à dire non Ginny, un tout petit mot, mais de grande conséquences. Elle devrait pouvoir gérer ça à son âge. Elle devrait se sentir capable de prendre ses propres décisions, faire ses propres choix. Mais non, la cadette est toujours là. La Ginny assise dans un coin de la pièce cachée sous un plaid en lisant un livre est toujours dans le coin. Celle qui regardait ses chaussures et sa robe que maman avait choisi dans le miroir sans aucune expression. La Ginny qui ose pas parler, qui ose pas gêner. Et cette Ginny là est absolument insupportable, Jill la déteste de tout son cœur. Elle n'aime pas ce qu'elle voit, elle n'aime pas ce qu'elle entend, et ses yeux injectés de sang se plissent en la regardant se pencher à la fenêtre.

« J'attends pas ton autorisation pour rire c'est certain. » Elle la regarde de haut en bas. Cette robe est trop parfaite, trop blanche, trop tout. Ginny n'a rien choisi à ce mariage, même pas sa robe et Jill le voit. Affligeant. Mais elle ne l'empêchera pas d'y aller, elle ne l'empêchera pas de dire oui et de pourrir sa vie. C'était tant pis pour elle, et Jill allait consommer toute la journée pour essayer d'oublier ce désastre. « Et je compte bien rire de toute cette connerie aujourd'hui. » De toute cette blague, tout ce manège, ce spectacle mis en place par la famille McGrath. Par la fusion de la famille Fitzgerald et McGrath.

Et elle continue Gin, à faire comme si de rien était. Elle parle de sa tenue et Jill lève les yeux au ciel une nouvelle fois en s'étalant sur le lit. « Oh oui c'est si important le corsage » elle ne sait même pas ce que c'est. « Surtout si t'as besoin d'aide, me demande pas. »  

« J'attends pas ton autorisation pour rire c'est certain. » et elle, elle se lève doucement. Elle inspire de toutes ses forces, elle dérive à la vanité. Elle attend l'autorisation de tout le monde Ginny, elle ne sait faire que ça. Elle attend qu'on lui dise quoi dire, quoi faire. Elle attend depuis toute sa vie, et aujourd'hui n'est qu'une nouvelle confirmation qu'elle continuera aussi longtemps qu'on le décidera.

« Et je compte bien rire de toute cette connerie aujourd'hui. » Jill est excédée et Jill est hilare, Ginny elle, elle ne montre rien, absolument rien. Quand ses doigts s'affairent à retravailler sa tresse, quand chaque geste est un peu plus crève-coeur que le prochain, parce qu'elle ne se rend plus compte de quoi que ce soit. Elle vit dans sa tête et même sa tête est en berne, son coeur qu'elle ne sent même plus battre contre sa poitrine.

« Oh oui c'est si important le corsage » le corsage vers lequel elle se dirige maintenant, la benjamine, comme son propre chemin de croix, sa confirmation qu'après, tout sera différent. Rien ne sera pire pourtant, puisqu'à chaque mouvement elle s'affaire d'effacer de sa mémoire tout ce qui jadis l'a rendue heureuse. Elle fait le ménage, elle raye et elle trie, elle nie et elle oublie. Parce qu'autrement elle aura si mal, autrement elle sera incapable de faire autre chose que de mourir à petit feu devant tout ce qu'elle a perdu, devant tout ce qu'on lui a enlevé, devant tout ce qu'elle a laissé lui être arraché.

« Surtout si t'as besoin d'aide, me demande pas. » la phrase résonne dans sa tête, elle n'y répond pas sur le coup. Elle n'y répond pas quand elle enfile ses escarpins trop hauts trop inconfortables. Ni quand elle quitte la chambre, sa soeur sur ses talons. Ni quand sa grand-mère maternelle vient doucement prendre sa main glacée. Ni quand elle descend les escaliers, ni quand on l'amène à l'entrée de l'église. Les portes fermées devant elle le restent encore une seconde, une seule.

« Un jour, je n'aurai plus besoin de qui que ce soit. » qu'elle se promet, à demi-mot, inaudible, interdite.

La marche nuptiale se lance, on la guide vers l'allée.

Un jour, mais pas aujourd'hui.

Je vais dire non. Je vais dire non. Je vais dire non.

C’est si simple de dire non. Trois lettres. Juste non. Aller jusqu’à l’autel, serrer la main de Ginny dans la mienne et dire non. Non à cette vie dont aucun de nous ne rêve. Non à ce marché conclu entre nos familles. Non à la prison dorée.

Je rêve de dire non. La réalité est tout autre.

Tout est millimétré aujourd’hui. Les faux pas sont exclus, il faut rester dans le rang. Costume impeccable, cheveux sans aucun épi, aucune boucle qui ne dépassent, chaussures cirées, boutons de manchettes lustrés. Tout est parfait. L’enfer à le goût de l’argent, l’odeur de l’hypocrisie et la sensation d’une noyade qui se joue en boucle. Il est là, le père. Il délivre ses dernières recommandations.

« Tu connais tes vœux. » Je ne lirais pas ce que tu as écrit pour moi. Je vais dire non. « Aucune bavure Bailey, c’est compris. » Laisse moi tranquille. Étouffe toi avec ton champagne. Crève. « Je ferais au mieux. » Tentative désespérée de rébellion. Le manège a trop duré. Ils ne vont pas nous imposer cela. Naïvement, je veux croire que tout va s’arrêter avant le moment fatidique. J’attends que l’on vienne me sauver. C’est sans compter sur l’esprit du paternel. « Tu vas faire exactement ce qui a été prévu. » Sinon ? C’est tout ce que j’attends à cet instant, le revers de la médaille. « Ne t’avise pas à jouer au plus malin Bailey. » Un père qui menace son fils. « Elle sera mariée que ce soit à toi ou à un autre. » Il ne le dira jamais, mais l’autre sera pire. Le reste sera pire. Je voulais dire non. « Il faut bien que quelqu’un s’occupe d’elle et de son bâtard. » L’autre pourrait être bien plus pire. Je ne dirais pas non.

Il s’en va, me laisse seul quelques minutes avant la cérémonie. Et tout va trop vite. Tout s’emballe. Je pense à fuir, me force à rester. Je pense à elle. Je pense à Noah. J’ai tout entendu. Tous les scénarios possibles. Elle souffrira quoiqu’il arrive. Si tout échoue ce soir, ce sera pire pour elle demain. Je ne voulais pas, mais c’est peut-être mieux comme ça.

Et je pars la chercher Ginny. J’ai besoin de la voir. Avant le plus grand moment de cinéma. Avant que tout s’écroule. J’ai besoin juste un instant. Je la trouve en compagnie de Jill. J’aurais aimé que ce soit autrement. J’ignorer l’aînée pour me concentrer sur celle qui dans quelques minutes deviendra ma femme. « Un jour, je t’expliquerai pourquoi j’ai dit oui. » Un jour, je te supplierai de me pardonner.

Elle est encore défoncée Jill, et elle a des réserves dans sa chambre pour être sûre de tenir toute la journée. Elle joue avec sa sœur, parce qu'elle est anesthésiée Ginny, elle ne répondra à rien, parce qu'elle va dire oui, parce que les parents ont décidé qu'elle allait se marier et qu'elle va le faire sans râler une seule seconde. Tout a été fait pour que ce jour soit parfait par les deux familles qui se tiennent en bas. Et Ginny elle fait tout pour que ce soit parfait aussi. Et Jill ne comprendra jamais ce jour là, alors qu'elle était là. Ginny aurait pu lui demander 1000 fois de l'aider à fuir, de la laisser partir sans jamais rien dire à personne, elle l'aurait fait, elle l'aurait aidé. Elle aura attendu, elle sera restée dans sa chambre pendant de longues minutes. Mais la seule chose qui préoccupe la cadette c'est son corsage. Son foutu corsage.

Elle continue de la regarder alors que leur mère doit être en train de fulminer en bas parce qu'elles sont bien trop longue à redescendre. « T'as appris à marcher avec des talons aiguilles ? » Parce qu'elle ne pourra jamais descendre en converse. Et peut-être que la voir s'étaler au milieu du couloir égayerait un peu la journée de Jill.

Mais y'a Bailey qui rentre, Jill se relève un peu sur ses coudes et tente de capter son regard. Toi aussi tu vas dire oui Bai ? Bien sûr qu'il va dire oui parce qu'il suit autant ses parent que Ginny suit les siens. Et elle va les laisser faire Jill, parce que plutôt crever que de montrer à qui que ce soit qu'elle ne veut pas les voir marié. « Bonjour à toi aussi. » Il l'ignore, alors elle regarde de nouveau le plafond. Et il y a encore toutes ces étoiles phosphorescentes au plafond. Les mêmes que Ginny avait déjà à Brisbane. Bribane. Elle aurait dû rester là-bas, elle aurait dû fuir tant qu'elle en avait encore l'occasion. Elle n'aurait pas vu Londres, elle n'aurait pas continué ses études, elle n'aurait jamais rencontré Bailey et sa vie aurait été bien plus simple. « Un jour, je t'expliquerai pourquoi j'ai dit oui. » Il l'ignore encore Bailey, il est dans sa bulle avec Ginny, mais la bulle n'est pas assez épaisse pour que Jill ne l'entende pas parler. Respiration coupée, même si elle le savait depuis le début. Et elle ne lui pardonnera jamais ce jour-là, elle ne pardonnera à aucun membre de sa famille d'avoir fait ça. Elle ne montrera rien de sa rage, de son envie de leur hurler dessus en leur disant de se réveiller. Non. Elle se lève, et elle les regardera jusqu'au bout. Jusqu'à ce qu'ils se disent oui, jusqu'à ce que tous les invités viennent les féliciter. Elle enregistrera chaque seconde de ce jour, elle s'en souviendra toute sa vie, et elle pourra s'en servir pour alimenter sa rage contre sa sœur, contre sa famille, contre les Fitzgerald et leur dernier fils. « ça porte malheur de voir la mariée avant le mariage ton papa t'as pas appris ça ? » Oh que oui elle est mauvaise, et elle le restera pour un grand nombre d'année. Allez Bailey, cours à l'Eglise, cours dire oui à la femme de ta vie. « Ta mère t'attend en bas Virginia, encore mes félicitations, c'est votre jour après tout. Le premier jour du reste de votre vie. » Et elle sort en titubant, en se raccrochant aux murs. Et c'est à cause de l'alcool, de la cocaïne, et uniquement à cause de ça. C'est à cause des excès que sa tête tourne, que son cœur cogne dans sa tête et qu'elle a du mal à tenir debout.

Et elle n'arrête pas Jill. Elle n'arrête pas et elle parle et elle butine et elle jacasse et elle prend toute la place. « T'as appris à marcher avec des talons aiguilles ? » elle la suit à la trace sa soeur, elle ne laisse pas Ginny seule un unique instant même si tout dans son regard, même si tout dans sa silhouette le lui implore. Elle lui fait vivre le chemin de croix le plus cruel de sa vie à piler dans ses pas, elle lui rappelle à chaque moment possible la sentence à laquelle elle cédera fatalement, elle le lui rappelle de la plus sans coeur des façons.

« Bonjour à toi aussi. » Bailey s'approche et elle ne voit que lui Ginny, elle tente si fort de faire abstraction du reste, elle tente de toutes ses forces d'être forte justement, pour lui. Elle en oublie sa soeur, elle en oublie sa rage, elle en oublie son égoïsme qui l'horripile, qui la dégoûte maintenant. Jill qui l'a ignorée toute sa vie, Jill qui l'a vue comme une moins que rien toute sa vie et qui aujourd'hui la propulse au centre de son univers rien que pour lui briser le coeur avec ses yeux injectés de sang, avec sa langue qui claque d'égocentrisme sur son palais. Bien sûr qu'elle la voit la jalousie dans le regard de son aînée, bien sûr qu'elle sait ce qui se trame entre elle et le Fitzgerald depuis le premier jour, bien sûr qu'elle garde ses distances avec Bailey pour cette ultime raison. Bien sûr aussi, qu'elle meurt à petit feu quand Jill s'assure d'y ajouter tout le venin qu'elle a en banque pour que sa mort soit lente et douloureuse.

« Un jour, je t’expliquerai pourquoi j’ai dit oui. »
Un jour, je t'expliquerai pourquoi j'ai prié toutes les nuits pour que tu me dises non, qu'elle pense, qu'elle confesse, qu'elle s'accuse.
« ça porte malheur de voir la mariée avant le mariage ton papa t'as pas appris ça ? »

Mais Jill reprend la marche, Jill reprend tout, ne laisse rien. « Jill... » l'intonation d'alerte qui se casse dans sa gorge, Ginny qui souffle, qui se consume. « Ta mère t'attend en bas Virginia, encore mes félicitations, c'est votre jour après tout. Le premier jour du reste de votre vie. » la boule qui brûle, si fort et si mal, en elle.

Et elle redresse le regard le gamine, elle redresse enfin le menton elle qui a scruté ses pieds toute la journée en espérant que le sol finirait par s'ouvrir sous elle, qu'il finirait par la laisser fuir envers et contre tous, personne ne voulant d'elle de toute façon, encore moins elle-même. Il est froid son regard envers Jill, malgré la chaleur qui crépite en elle. Il est froid et il est noir et il additionne toutes les années à ne rien lui dire à sa soeur, à se contenter d'accuser les coups qu'elle recevait de sa part même lorsqu'elle était déjà au sol. Même aujourd'hui, elle a ravalé. Même aujourd'hui, elle a tout accepté, alors que Jill n'a aidé qu'à une chose et une seule : accélérer son envie de mourir, accélérer son envie de disparaître une bonne fois pour toute pour ne plus l'entendre, plus ne plus jamais l'entendre être aussi égoïste et aussi horrible et aussi jalouse et aussi mauvaise, malsaine, nocive. « Jill, ça suffit. Va t'en. »

Sa voix, oh sa voix.
Sa voix qui est sans équivoque, sa voix qui dénote une assurance qu'elle ne se connaît pas, qu'elle s'entend avoir pour la première fois. Elle tient les iris de Jill sans jamais détourner le regard, elle les tient et elle les tiendra aussi longtemps qu'il le faudra pour qu'elle comprenne enfin à quel point elle lui fait du mal, à quel point son petit jeu n'a rien de drôle et à quel point elle n'est que ridicule, que pathétique, que plus brisée encore que jamais Ginny ne s'autorisera à se montrer à qui que ce soit. Même si elle est en lambeaux, à l'intérieur. « Maintenant. » elle précise, au cas où elle n'est pas encore été assez claire.

Sa silhouette se détourne seulement lorsqu'elle entend sa mère arriver dans l'embrasure de la porte, lui annoncer un « Virginia, deux minutes. » qu'on entend à peine, la musique qui se lance l'instant d'après. Bailey qu'on appelle également, la scène qui se place doucement.

Le masque aussi, qu'elle remet en place, parfaitement.

Bailey ne dit rien, et Ginny commence à lancer un regard noir à Jill quand elle se rapproche déjà de la porte. T'aurais dû te taire Virginia McGrath, t'aurais dû la laisser sortir sans faire de vagues comme tu sais si bien le faire d'habitude. Parce qu'elle est peut-être brisée, mais ça ne justifie pas tout, ça ne justifie pas de laisser sa vie entre les mains de ses parents. De laisser la vie de Noah entre leurs mains aussi. Elle fait volte face, et elle les voit les yeux de Ginny qui lancent des éclairs. « Si t'avais décidé d'avoir du caractère 2 semaines avant tu serais peut-être en train de te marier avec un homme que t'aimes. » Elle est particulièrement méchante aujourd'hui Jill, et elle saura pourquoi plus tard, des années plus tard elle saura que c'était à cause de son cœur qui s'est brisé ce jour là lui aussi. « Je comptais pas continuer de t'observer à remettre tes cheveux et ton corsage en place, vas te faire foutre Ginny. » Et elle s'en va, elle tangue. Elle récupère tout ce dont elle a besoin dans sa chambre, alcool, et drogue. Et elle entend Marianne dans le couloir. 2 minutes. Et elle descend et rejoins Matt.

***

L'Eglise est remplie, de gens que personne ne connait, des gens qui sont là pour la forme, parce que ça fait bien d'être invité à un mariage par les McGrath et les Fitzgerald. Jill titube, elle tient à peine debout et elle s'accroche à la main de son frère en fixant les deux futurs mariés. Ils vont faire la plus grosse connerie de leur vie et Jill ne fera rien pour les en empêcher. À moins qu'elle crie au moment où on demande qui s'y oppose, peut-être qu'un des deux réfléchira et reviendra sur le oui. Ou pas. Mais pourquoi pas ? Elle bouge un peu trop et elle capte le regard de Matt. Il la tire, il l'oblige à s'asseoir. « Eh ! Qu'est ce que tu fous on doit rester debout. » Mais il est crevé Matt, il est aussi bourré et défoncé que Jill, ils sont terrifiant dans cet état. Lequel des McGrath-Fitzgerald est le plus détruit ce jour là ? On ne saura jamais vraiment. « on peut rien y faire jill. on pourra jamais rien y faire sauf en crever tous les trois. autant rester ensemble en attendant. »