C'était louche. C'était louche et c'était Auden et même après des millénaires à fouler cette Terre il restait le type le plus louche que je connaisse.

C'était pas lui d'insister pour reprendre de la glace à la pistache quand c'était amande sa préférée.
C'était pas lui de céder à ma liste complète et terriblement exhaustive de tous les endroits dans la ville où y'a de la glace à goûter à la cuillère - endroits situés les uns les autres tellement loin et ma carte tellement mal faite qu'on a dû passer quatre fois plus de temps dans les embouteillages qu'à se gaver.
C'était pas lui de demander le cookie avec le plus de pépites de chocolat, non pas celui à gauche je veux celui du fond le gros celui qui dépasse non pas lui vraiment pas lui l'autre, come on tu fais exprès. (ok, rager sur le caissier c'était totalement lui à qui je mens).

Mais finalement, c'était lui qui avait dû endurer tous mes niveaux - et y'en a eu énormément - de sugar rush de la journée.

Avoir 30 ans c'est étrange. On s'attend à ce qu'il y ait un détonateur, à ce que quelque chose change. On s'attend à ce qu'au moment d'ouvrir les yeux au petit matin, tout soit différent. La seule chose qui était différente d'hier, ce sont les plaques rouges à mon index, qui piquent, elles arrêtent pas de piquer et faut que je gratte sous ma bague des dizaines de fois par jour comme si ça allait changer quoi que ce soit alors que non, c'est pire. Autrement, rien n'a changé. Et c'est pour le mieux.

Il a fait un détour parce qu'à l'Académie y'a un truc qu'on devait écrire sur le casier, c'est acté, c'est obligé. Autrement, la suite était simple, à savoir que maintenant, je somnolais entre les différentes couches de crèmes glacées ingérées et les biscuits qui complétaient la donne, et qu'on avait prévu rentrer. Il râle pour je sais pas quoi Auden. Sûrement sur un feu rouge, ou alors sur une chanson à la radio, ou sur la vie en général. Il râle et je ferme les yeux, inspire doucement, me blottis contre le siège, attends patiemment.

Mais on se stationne devant l'atelier, et apparemment y'a un truc à l'intérieur qu'il veut me montrer. Et là, c'est mon tour, je râle. Parce que c'est bien plus fun de le voir insister et supplier, parce que je veux y aller à l'intérieur, parce que j'adore quand on fait des détours à l'atelier, mais qu'il en met tellement de couches et qu'il sort des justifications de nulle part et parce qu'il rage bien plus que n'importe quand, j'étire une seconde de plus et encore une autre.

Puis on entre.
« Oh. »
Puis ça hurle et ça rigole et ça brille et ils sont beaux et Noah vient m'enlacer les jambes et mon coeur explose.
« Ohhh. »
"SURPRISE ! JOYEUX ANNIVERSAIRE, GINNY !"
Je suis entourée des meilleurs de l'univers.

Maintenant plus personne ne peut me dire que je ne sais pas faire preuve d’abnégation, parce que c’est réellement ce dont il s’agit quand on est chargé de baby sitter Ginny pendant une journée toute entière et que par dessus tout je suis supposé la rendre vivante et entière. C’est dommage, ça exclut bien trop rapidement la possibilité de la jeter sous un bus ou de la vendre au premier venu pour me faire un peu d’argent de poche. Je les aimais bien, ces deux solutions, pourtant. Alors on (elle) va manger des glaces, on (elle) va manger des cookies, des chocolats chaud, des guimauves, des tartes en tout genre et re des glaces juste au cas où on avait laissé l’hypothèse d’une hyperglycémie de côté.

Je gagne du temps partout où je peux en gagner, notre rituel à l’Académie dure une éternité de plus que prévue, on sort bizarrement à la mauvaise heure pour se retrouver coincé au milieu des embouteillages interminables de la ville et supporter la musique sur sa clé usb. Ma propre voiture devient soudainement l’Enfer sur Terre mais c’est pour la bonne cause, Auden, c’est pour la bonne cause et bientôt elle sera entourée de tous ceux qu’elle aime et tous ceux que je déteste alors je pourrai déléguer et la laisser s’amuser seule.

Elle même commence à râler, à s’impatienter, à faire sa moue et à s’enfoncer dans le siège dans lequel elle pourrait presque s’y perdre totalement c’est certain. Je sais que j’ai à peu près bien su gérer la journée parce qu’elle est occupée à gratter ses doigts pour y décoller le surplus de sucre et autre caramel alors qu’elle n’en a même pas mangé, du foutu caramel. Elle n’a pas eu le droit de s’en approcher non plus, elle qui est attirée par ça tel un aimant. Les boussoles donnent le nord, Ginny donne la direction du caramel le plus proche sans distinction de forme.

Finalement on arrive à l’atelier à l’heure, par le plus grand et le meilleur concours de circonstances du monde. Je râle parce que j’avais oublié de le faire depuis au moins cinq minutes et parce que ça rajoute aussi beaucoup de réalisme à la scène, quand je demande son attention pour cinq minutes de plus, quand je lui demande de venir avec moi parce que y’a un truc à vérifier que j’ai pas pris la peine de nommer.

"SURPRISE ! JOYEUX ANNIVERSAIRE, GINNY !" Il crient presque tous en coeur et c’est presque réellement organisé, cette merde. Aussi organisé que mon regard qui évite Matthew. Et Jillian. Et Bailey. Et, oh Noah, il est parfait Noah, il est petit et mes yeux se baissent à sa hauteur alors que Ginny ne sait plus que parler par succession de voyelles. Une main se pose sur sa hanche quand Noah sert présentement de corde pour lui lier les jambes et je m’approche de son oreille pour lui chuchoter quelques mots sans n’avoir pour une fois aucunement le besoin de faire sortir son frère de ses gonds. ”Tu sais qu’ils vont vouloir que tu fasses un discours, là ? Tu pourras pas t’en sortir aussi facilement.” Joyeux anniversaire, Ginny.

Lola je ne la connais qu'au travers des histoires rocambolesque de Noah, mais lorsqu'elle nous demande à tous de rester sage et de ne pas provoquer de bagarre je comprends que, elle, elle nous connaît bien. Je n'étais pas vraiment au courant de cette fête d'anniversaire surprise. Jill m'en as parler ce matin, comme elle me parlerait de tout et de rien. Il fallait aller chercher le gâteau et récupérer Noah, puis venir à l'atelier. Alors, j'ai suivi le mouvement, pour ne pas faire de vague, pour tenter de garder ce climat d'accalmie entre la fratrie McGrath. Jill à encore de la rancœur envers sa sœur. On a pas vraiment eu le temps de la voir et de lui parler depuis son retour. Je ne sais pas vraiment ce que va donner cette soirée, mais pour Ginny on fera comme si de rien était. Elle a le droit à une soirée digne de ce nom pour son anniversaire. Une pause dans le temps, pour lui faire oublier les derniers événements.

Je reste en retrait alors que Lola s'agite, que Jill toise la nouvelle femme de Matt et que Noah court auprès de tous. Je me sens tendu et en même temps serein. Les choses ont changer à Londres. J'ai l'impression d'avoir changer. Je sais qu'Auden sera présent, il est avec elle, mais cela ne m'angoisse plus de le voir. Après le message que je lui ai envoyé il y a quelques jours, je suis prêt à faire un pas vers lui, je suis prêt à enterrer la hache de guerre. Mais on verra cela plus tard. Ce soir, c'est Ginny le centre de l'attention.

Et elle ne s'attendait pas à cela la brunette, ça se lit sur son visage tandis qu'elle nous dévisage la bouche entrouverte. Je retiens un rire alors que Noah se jette sur elle. Je laisse tous le monde l'accueillir, la serrer dans leur bras. Je laisse la place aux autres, jusqu'à ce qu'il ne reste plus que moi. On se retrouve face à face avec Ginny et j'aurais tant de chose à lui dire, mais incapable de trouver les mots justes, je me contente de lui sourire timidement, je sais qu'elle comprendra... "Je sais". "Je suis désolé". "Je serais toujours là pour toi". "Tu es plus forte que tu ne le crois". "Je t'aime." Tout un discours que je n'ai pas besoin de prononcer, parce que je sais qu'elle va le comprendre via mon regard et mes gestes. Alors, je m'avance et la serre contre moi juste le temps d'un instant. « Joyeux anniversaire Ginny. ». J'embrasse sa joue et déjà la tourne lentement vers le reste du groupe pour qu'elle profite pleinement de sa soirée. Personne ne sera triste ce soir, tout va bien se passer. Et à cet instant, mon regard croise celui d'Auden et je lui adresse un signe de tête accompagné d'un sourire franc.

L'effet de surprise reste, il plane, comme le sourire que l'empressement de Noah à résonner contre moi m'a provoqué. L'atelier est décoré, y'a la touche de Matt dans certains trucs, celle de Lily pour d'autres. Lola qui butine d'une station à l'autre avec le regard brillant, j'essaie de l'attraper au vol mais elle laisse le temps à tous de passer dans ma bulle avant d'y entrer à la place qui est la sienne.

« Joyeux anniversaire Ginny. » un temps de pause, juste une seconde et une autre. Noah file vers le gâteau, Bailey s'approche enfin après la vague commune de baisers et de souhaits, le flottement qui fait autant de bien qu'un peu de mal j'avoue. C'est comme si une vie entière s'était écoulée depuis la dernière fois où on s'est vraiment vus, vraiment parlés. C'est comme si on remontait les années mais qu'on était pareil, alors qu'on aspirait tant à être différents. J'inspire un peu mieux à son contact, me laisse tourner sous son élan pour voir d'un coup d'oeil à quel point la salle est étrange sans l'ambiance d'éternelles épées de Damocles entre eux tous. Mes doigts se serrent dans les siens un peu juste un peu, "Tu m'as manqué. "Je suis désolée." "Je serais toujours là pour toi." "Tout va bien." "Je t'aime." avant de le sentir qui se dérobe pour retourner vers ma soeur, pour retrouver la femme qu'il aime. Celle à côté de qui il rêve d'être depuis bien plus longtemps que qui que ce soit dans cette pièce pourrait croire. Je les suis du regard, inspire à nouveau, respire aussi.

"Ca te fait quel âge, Ginny, d'ailleurs ?" « 74 ans. » mon sourire reprend sa place, espiègle au possible, le plus immense que j'ai en banque. Mes bras s'allongent vers Lola et complètent le tableau, quand elle sert des parts de gâteau mais que la mienne n'est pas assez vite entre mes pattes. « Moi, moi, moi! » Noah a déjà les joues tartinées de sucre quand j'ai même pas encore pris une bouchée, va falloir que je le rattrape le plus vite possible parce que j'ai un honneur à tenir et - ”Tu sais qu’ils vont vouloir que tu fasses un discours, là ? Tu pourras pas t’en sortir aussi facilement.”

- et je pouffe, lui renvoie des miettes au visage, fronce du nez de dégoût tout sauf justifié devant l'étendue des dégâts. « Un discours? Tu veux faire un discours Auden? » j'exagère les décibels, j'exagère la mise en scène, j'exagère la langue que je lui tire aussi. Gamine un jour gamine toujours à lui filer la vedette quand il sait autant que moi à quel point je me confonds bien dans l'ombre quand lui adore jouer les dramaqueens sous les feux des projecteurs.

J'ai l'air d'un addict à renifler à toutes les deux secondes mon poignet.

J'ai l'air d'un idiot aussi mais ça ça change pas, c'est acté, et pas mal tout le monde dans la pièce est habitué de me voir agir comme le pire des crétins pour tout et n'importe quoi, rien de nouveau par là.

Pourtant depuis que Lily m'a fait un résumé complet en 14 pages avec autant de notes de la rédaction de possible sur ce fameux roller à la lavande et à 8 autres huiles essentielles détente je sais pas lesquelles mais elles avaient des noms mignons et elles feelaient zen juste à entendre la brune me les présenter en vrai j'me sens mieux. Plus détendu, plus reposé, plus posé, plus ancré - comme ils disent sur l'emballage. J'en ai tartiné mon poignet gauche, il sent plus fort que les centaines de parfums de glace dont est imprégnée Ginny quand elle entre dans l'atelier. Il sent plus fort que l'odeur que Bailey et Jill ont en commun depuis qu'ils habitent ensemble et vivent ensemble et sont ensemble. Il sent plus fort que le mépris de Lola envers moi (du moins, si le mépris avait une odeur, il sentirait plus que ça).

Entre la lavande qui sauve tout et le regard de Lily que j'attrape à chaque fois que je réalise que Williams est dans les parages - trop proche - de ma soeur, tout va. Tout va, j'ai promis que tout irait, j'ai même bu une quantité phénoménale de thé à la camomille aussi avant d'arriver. J'aurais pu fumer de l'herbe derrière l'atelier si Levi avait pu passer d'avance parce que jamais je roulerai de joints mieux que lui mais règle générale, ça allait en vrai.

Tout le monde file dans les bras de Gin à leur rythme bien plus qu'au sien mais ça a pas l'air de la déranger la gamine, elle sourit et c'est que ça qui compte si vous me demandez. Je passe parmi les derniers, fût un temps je me serais imposé comme le premier, lui aurais ébouriffé les cheveux (plus qu'ils ne le sont déjà), fût un temps j'aurais tapissé les murs de photos compromettantes d'elle (plus qu'elle n'en montre elle-même, déjà). Mais y'a une vie de ça, et elle a trente ans aujourd'hui et on a grandi, elle surtout, moi j'essaie. Alors j'esquisse un pas, propose en silence de la prendre dans mes bras. Elle hoche de la tête, on est cons et désarticulés mais on s'est enlacés et juste pour ça, j'irai pas reprendre de thé à la camomille pour au moins les 15 prochaines minutes.

« Un discours? Tu veux faire un discours Auden? » nope, nope, nope, on est bien quand il parle pas, ou quand il a pas l'attention sur lui. On est bien non? Moi ouais en tout cas. Alors je cible Noah mon boy, mon allié, mon petit paria de service pour lui faire signe de venir à ma hauteur le temps de lui chuchoter d'aller chercher LA boîte avec LES affaires SECRÈTES planquées dans l'atelier de Ginny. « Gardez les discours pour après le ... » mon timing est nul, celui de Noah pareil, il devait être revenu à la fin de ma phrase mais évidemment il prend mille ans à revenir parce qu'il est bien le fils de Gin et que derechef ça veut dire qu'il a erré dans la vie et dans le monde et dans la galerie pendant mille ans « ... KA-RA... » et là, notre timing est mieux, quand il revient juste à temps pour compléter ma phrase « ... OKAY! » ouais, presque bonhomme. Karaoke, c'est ça mon plan de sûreté.

Ils s’entassent tous autour d’elle et je recule, m’éloigne pour une fois du centre de l’attention parce que là n’est pas ma place et là n’est pas non plus la place que je souhaite avoir. Ils s’enlacent tous et je fais au mieux pour ne pas vomir devant tant de niaiseries et de blablabla alors que Noah comme moi n’avons qu’envie de passer à la suite des événements, au plus intéressant aussi : les cadeaux. Mes yeux ont le malheur de croiser ceux de Bailey alors qu’il me sourit et que je ravale n’importe quelle réponse cinglante, me contentant d’hocher imperceptiblement la tête et cligner des paupières. Cela représente pour moi le summum de la politesse et il le sait. C’est un effort assez important pour la journée, on a rempli notre devoir.

"Il y a du vin et de la bière" Il y a tout ce que je ne vais pas boire, donc, et je vais encore finir par me battre avec Noah pour qu’on partage sa bouteille de jus d’orange laquelle aura été achetée pour lui mais nous profitera à tous les deux. Mais c’est bien tenté, Lola, on te donnera un bon point pour l’effort. « Un discours? Tu veux faire un discours Auden? » La brune vole bien rapidement toute mon attention, elle qui crie sans prévenir, elle qui utilise mon prénom seulement pour faire de moi une cible encore plus facile à discerner. La fourbe, l’imbécile, l’idiote - je la déteste. Et je souris autant que mes yeux sont noirs, ancrés dans les siens. ”Crois moi t’as vraiment pas envie que je fasse un discours, McGrath.” J’utilise mon seul et unique moyen de pression contre elle alors qu’un sourire se dessine à peine entre mes lèvres et qu’encore une fois on oublie l’existence du reste du monde.

Puis une ombre plane sur le tableau. « Gardez les discours pour après le ... » Parce qu’il est toujours en vie, lui, toujours aussi gênant même quand il vient la prendre dans ses bras et que je fais au mieux pour ne pas que mes yeux lui lancent des éclairs. « ... KA-RA... » Il est toujours en vie et personne ne lui a encore ôté l’usage de la parole, ce qui reviendrait pourtant à rendre un énorme service à la population mondiale. C’est le genre de bonne action qui fait gagner un pass direct pour le Paradis, au moins. « ... OKAY! » Oh, Noah.

”On ouvre pas les cadeaux avant ?” Le genre de question rhétorique à laquelle on ne peut répondre que par ‘oh mais oui Auden, quelle logique implacable, pourquoi Matthew n’y a pas pensé avant ?’ ”J’en ai un premier.” Un premier implique donc un second, un meilleur, mais ça c’est tellement logique que je ne prends même pas la peine de le préciser alors que j’impose mon idée comme étant la meilleure, décidant ainsi de la suite des événements avant que son frère ne puisse râler. Mon téléphone file entre les doigts déjà gluants (son super pouvoir à elle), la photo du koala affichée sur l’écran alors que j’affiche en parallèle un sourire satisfait. ”Il s’appelle Pinky. Et tu peux aller le voir en dehors des heures d’ouverture.” Il fallait être con pour penser un seul instant que j’aurais pu parrainer un animal sauvage pour sauver mon karma ou n’importe quelle autre raison. Il y a toujours un plan derrière chacun de mes gestes, c’est ce qu’il faut retenir. Il faut aussi se souvenir que je n’ai pas choisi son nom, lequel est presque aussi pire que Pizzasagne et à ce rythme on risque de pouvoir lancer un concours. ”Fallait marquer le coup, pour tes 75 ans, mamie.” Le coup n’est pas marqué avec ce cadeau, loin de là, alors que je joue du second sagement caché dans la poche de mon pantalon pour un temps encore.

Elle a une seconde pour prendre la brune dans ses bras avant que tout ne s’accélère bien trop rapidement. Elle est en train d’avoir un cours accéléré à propos des relations familiales & co au sein des McGrath et autant dire qu’elle a beau tenter d’utiliser des post it, feuilles de couleurs, feutres et fluorescents qui le sont tout autant : rien n’y fait. C’est à n’y rien comprendre. Il lui manque des chapitres entiers d’explications, notamment ceux à propos de la haine qui naît en Matt dès qu’Auden ouvre la bouche ou bouge le moindre petit doigt. L’inverse est tout aussi vrai mais il n’y en a qu’un des deux pour lequel elle vient prendre ses doigts dans les siens pour tenter - en vain - d’y changer quoi que ce soit, pauvre imbécile propulsée au milieu d’une guerre dont elle ignore les enjeux. Elle n’a aucune idée à quel point une famille soudée peut être une bonne chose mais elle sait au moins à quel point le contraire peut détruire une personne. Cette famille n’est pas la sienne mais il est hors de question qu’elle se contente d’en regarder les frictions croître sans tenter quoi que ce soit pour inverser le cours des choses.

« Gardez les discours pour après le ... KA-RA... » « ... OKAY! » Un karaokay, elle adore les karaokay ! Rien ne peut mal se passer pendant un karaokay et ça lui donne une bonne raison pour crier et en plus elle peut avoir Lola avec elle et et et - "On ouvre pas les cadeaux avant ?" Ah ? Les doigts de Matt la serrent soudainement, ils le font trop fort et lui font mal mais ce n’est pas ce qui compte. Au contraire, elle fait de son mieux pour remplacer la lavande et les mille autres huiles essentielles qui ne semblent déjà plus faire effet. Sa seconde main s’attèle à la tâche à son tour, se pose autour de ses doigts, tente d’être le parfait leurre à la situation. La brune fait un pas de plus, se pose devant lui alors qu’elle tente de capter son regard si ce n’est pour l'apaiser lui alors au moins la rassurer elle. Ses lèvres finissent par chastement se poser sur les siennes pour quelques secondes alors qu’elle sourit doucement, confiante. ”On fera un karaoké à la maison comme ça Neige pourra y participer lui aussi.”

En fond, Jillian titube et se raccroche là où elle le peut, symptômes que Lily ne connaît que trop bien. Elle finit par lâcher les mains du brun pour déposer sur son torse le cadeau destiné à sa soeur, emballé dans un millier de papiers cadeaux différents pour tenter de cacher la misère de son piètre talent d’emballeuse de cadeaux. ”Dès qu’elle cligne des yeux, fonce. Et si faut du renfort, crie ‘bambolea’. Ou juste mon prénom, en fait, ça fait tout aussi bien l’affaire je crois bien.” En sa qualité de mari il a désormais la possibilité d’offrir n’importe quel cadeau en son nom, sans aucune doute. Elle se dérobe dans un ultime baiser, souriante et naïvement persuadée d’avoir réglé tous les maux du monde.

Son parcours comprend un arrêt pour voler un verre à vin et un autre pour le remplir d’eau avant d’arriver à sa destination finale : auprès de Jillian. Elle connaît bien son caractère au travers des mille récits de sa cadette mais cela ne change en rien l’approche qu’elle peut avoir auprès de la brune. Laissant glisser le verre sur la table, elle s’y adosse doucement, plaçant ses doigts autour du bois. ”Les vertiges sont souvent dus à une déshydratation.” Elle annonce calmement, posée, un sourire rassurant sur les lèvres. ”Tu en es à combien de mois ?” Qu’elle ajoute, plus sérieuse, cachant au mieux ses peurs.

Lily s'approche de moi pour filer vers Matt la seconde d'après, son coup d'oeil appuyé auquel je réponds d'office d'un sourire complice, la poignée de minutes de mise au point qu'on aura définitivement besoin de se réserver plus tard dans la soirée. Plus tard, comme quand je ne serai pas occupée à tenter de piéger Auden à son propre jeu, lui-même qui en rajoute d'un ”Crois moi t’as vraiment pas envie que je fasse un discours, McGrath.” qui m'arrache un frisson de terreur le long de la colonne vertébrale. Peu importe ce qu'il sous-entend je sais qu'il fera pire, peu importe ce envers quoi il me met en garde, je sais qu'il a 1000 autres plans plus terrorisants au cas où je pense avoir cerné sa ruse. Je le déteste autant que je l'aime.

Matt et Noah font équipe pour l'installation de la machine à karaoke/okay, mon aîné qui est déjà à monter le playlist l'oeil brillant la bouche en coeur quand Williams contrecarre ses plans sans que je ne puisse rien faire pour l'arrêter. ”On ouvre pas les cadeaux avant ?” « Je suis d'accord avec Aud faut faire les cadeaux d'abord ! » et Jill qui renchérit, Jill qui m'arrache un froncement de sourcils obligé. « Depuis quand t'es d'accord avec - okay. » que je ravale en voyant aux prunelles de Lola que ce soir, on la joue tous en paix les uns avec les autres. J'adore, j'adore énormément. ”J’en ai un premier.” le téléphone qui se tend vers moi, ma nuque que j'allonge et les pas qui viennent ensuite. ”Il s’appelle Pinky. Et tu peux aller le voir en dehors des heures d’ouverture.” je sais pas, ce qui s'ouvre plus grand et plus vite, entre mes yeux et ma bouche. Je sais pas parce que je suis concentrée à fixer la photo, à la zoomer autant que je peux, à détailler tous les traits, à sourire comme une gamine à la veille de Noël. ”Fallait marquer le coup, pour tes 75 ans, mamie.” « Dis-moi que c'est toi qui a décidé de son nom, dis-le moi s'te plaît c'est d'une importance capitale. » ma tête se relève, mon ton est hilare, je sais qu'il a rien à voir avec le nom, je veux juste l'entendre le redire parce que c'est probablement la chose la plus ridicule qui aura franchit ses lèvres de toute la journée et que ça me suffit comme petit bonheur de plus.

Pizzasagne arrive sur l'entrefaite, se faufile entre mes mollets à grignoter mon jeans, comme s'il avait peur de perdre toute l'attention du monde maintenant qu'il y a un nouvel animal greffé à la famille. Parlant de famille, je relève les yeux vers Lola à proximité, occupée à réfléchir à toute vitesse depuis au moins une minute alors que maintenant je suis assise au sol à gratter entre les oreilles du chiot plus si chiot que ça. « Lolaaaaaa! Va falloir déterminer des tas de trucs scientifiques là. Qui est le plus mignon quand il baille, qui a les oreilles les plus douces, qui ronronne le mieux - wait. »

La réaction de Jillian n’est pas celle à laquelle elle s’attendait mais cela n’ébranle pas Lily. Elle a grandi avec un grand frère prénommé Joseph et de ce fait elle est psychologiquement préparée à toutes les attaques qui soient, celles de la McGrath étant loin d’être insurmontables. « Les vertiges sont dus au fait que j'avais pas envie de voir ta gueule ni celle de Matt. » La brune dodeline de la tête et pose le verre sur la table sans n’émettre aucun jugement. Le faux sourire ne l’impression pas, ni même la carapace que Jillian vient aussitôt de se créer autour d’elle comme seule source de protection. ”Bien sûr.” Elle accepte presque, se ravise presque, courbe presque l’échine devant sa nouvelle belle-coeur. Presque Comme si Lily avait réellement appris à être disciplinée avec le temps.

« Ca te regarde ? » Elle est bien enceinte, donc. La brune accumule les petits détails qu’elle pour trouver de ci de là, elle les emmagasine et les enregistre dans son esprit pour faire un diagnostic au plus proche de la réalité. La rage se lit dans le visage de Jillian alors que la nouvelle McGrath reste étonnamment calme en parallèle, désireuse de ne créer aucun esclandre. « Et puis qu'est ce que t'y connais ? Retourne voir Matt là-bas t'étais peut-être un peu plus utile. » Derrière elle, Lola a rejoint Matt et la brune est quelque peu rassurée de savoir que personne ne se retrouve seul et que tout se passe plus ou moins bien pour le moment. Tout résidant bien sûr dans le “plus ou moins” puisqu’elle est loin d’avoir une vision complète de ce qui se trame sous ses yeux. ”C’est pas avec toi que je me suis mariée, je ne te dois rien et toi non plus. Je fais ça pour ton enfant mais ne compte pas sur moi pour te prendre avec des pincettes.” Elle annonce doucement, calmement, comme quand elle explique aux enfants dix fois par jour (au même enfant) pourquoi il est si important de se laver les mains. L’explication coule de sens mais peu connaissent son caractère à double tranchant. Pour le moment. ”Je suis infirmière. En pédiatrie. Tu peux avoir des vertiges à propos de ce que tu veux, mais il faut que tu boives.” Peu importe si elle ne peut pas voir Lily en peinture, ce ne sera ni la première ni la dernière et cela ne fait aucune sorte d’importance. Elle a déjà renié un frère, elle peut sûrement en faire de même pour une belle-soeur, aussi désolée soit-elle déjà pour Matt qui n’a rien demandé. ”Je ne sais pas de qui tu te caches mais ça reste de toute façon entre nous. Secret médical.” Les secrets est aussi un autre domaine d’expertise, lequel va de pair avec les mensonges. Elle a tout de celle qui a quelque chose à cacher et ce n’est certainement pas Lily qui vendra la mèche, elle qui sait à quel point on préfère parfois garder une grossesse pour soi. A défaut de sourire, elle finit par hocher doucement la tête de la positive en cillant rapidement des paupières. Elle ne cherche pas à se faire une amie ni même à être bien vue, seulement à ce que ses propres erreurs n’arrivent pas aussi aux autres.