Jill est assise dans le salon, en train de regarder un dessin animé avec Noah. Ils doivent être là depuis des heures, ils ont mangé toutes les sucreries possibles et imaginable en attendant que Bailey rentre du travail. Elle est bien là, avec son neveu. Ils se sont tellement rapprochés en si peu de temps. Jill aimerait le garder là, avec eux, pour toujours. Mais Ginny devrait revenir un jour, elle espère qu'elle rentrera le plus tard possible. Parce qu'elle vit peut-être sa petite idylle avec Auden, mais elle les a tous laissé en plan. Tous sans exception. Jill l'avait laissé partir au bras d'Auden, mais elle ne se doutait pas qu'elle laisserait tout le monde sans nouvelles, qu'elle disparaitrait de la surface de la terre pendant quelques semaines. Jill lui en veut, parce qu'elle s'est inquiétée depuis qu'elle n'a plus de nouvelles. Elle avait besoin d'elle. Elle a pris la mauvaise habitude de pouvoir compter sur elle, apparemment elle avait tort. Sur tous les points. Et ce n'est pas le pire dans cette histoire. Le pire c'est que Noah déteste Gin, Noah déteste Auden. Il ne veut pas en parler. Jill a essayé d'aborder le sujet, parce que Noah n'a rien à faire au milieu de tout ça. Mais sa seule réaction c'est de se boucher les oreilles en chantant lalala avant d'aller faire du bruit avec la piano. Elle n'a pas réessayé. Elle n'a pas voulu le brusquer, et au fond, elle ne peut pas lui en vouloir au petit garçon.

Ça sonne, et Jill grogne en sortant du plaid. Elle ouvre, tout sourire. « Noah si t'enlèves la pause je mange tous les chips je te prév... » C'est Ginny, elle est devant la porte. Jill se tait, elle la toise de haut en bas. C'est pas le bon moment pour lui dire qu'elle la déteste. Noah est à côté. « Non Ginny, pas maintenant. » Juste au cas où elle veuille lui dire bonjour avec un grand sourire de fille heureuse. « Noah, tu viens mon chat ? Maman est revenue. » Il se retourne sur le canapé, il ne sourit plus lui non plus. Il s'avance vers elles. Le visage inexpressif, elle ne l'a jamais vu comme ça, elle n'aime pas le voir comme ça. « Tu vas chercher tes affaires ? » Il regarde Jill en fronçant les sourcils. « Non, moi je reste là. »

@Ginny McGrath

« Hey. »
« Non Ginny, pas maintenant. »

Et son regard, et sa voix, et tout dans sa posture.
On est de retour à la Jill qui me déteste. On est de retour aux conversations étouffées, aux regards que je baisse, qu'elle soutient. On est de retour à tout ça à cause de moi, et je sais, bien sûr que je sais. Je suis pas naïve au point de croire que d'être partie, que de m'être envolée n'allait pas laisser des dommages collatéraux. J'ai passé ma vie à excuser les départs et les fautes des autres, assez pour comprendre que justement, leurs départs et leurs fautes, ils laissent des séquelles, d'énormes traumatismes. J'avais stupidement cru que de lui confier Noah lui prouverait à quel point j'avais confiance en elle, j'avais stupidement cru qu'elle comprendrait également à quel point je devais partir, à quel point c'était viscéral, nécessaire. Stupide Ginny, inconsciente Virginia.

« Noah, tu viens mon chat ? Maman est revenue. » ses yeux sont toujours braqués dans les miens alors que son coup d'oeil me cloue sur place, immobilisée, muette, interdite. « Tu vas chercher tes affaires ? » « Non, moi je reste là. » et son regard, et sa voix, et tout dans sa posture. Je suis de retour et Noah me déteste.

Auden attend dans la voiture, les bagages remplissent encore la valise parce que c'était la seule et unique option que de venir chercher Noah à la seconde où on mettait le pied en Australie. On avait même pas discuté de rien, c'était aussi simple qu'acté, on allait directement à Bayside et c'était le plus naturel de tous les accords sans parole. Mais pourtant, le plan, il reste en berne et mon coeur avec, lorsque je laisse ma voix enrouée d'avoir trop peu parlé répondre, questionner plutôt. « Je peux? » entrer, tenter, vous parler, essayer du moins.

J'ai pas envie de me braquer, je veux leur expliquer. Mais ni Jill ni Noah ne semble vouloir m'en donner la place, et ce serait mentir de dire que je ne suis pas totalement au courant que je l'ai cherché. Pourtant j'ose, inspirant, les prunelles vissées à celles de ma soeur, le mouvement vers l'intérieur que je la laisserai, elle et elle seule, m'autoriser ou non à faire.

Elle ne dire rien Jill. Elle va mettre une nouvelle fois son masque parce qu'il y a Noah. Parce qu'elle ne veut pas influencer son neveu. Alors elle respire calmement quand elle croise le regard de Ginny derrière la porte. Elle arrive tout sourire, toute heureuse. Et Jill lui lance un regard rempli d'incompréhension, de colère même. Mais elle se tait, elle lui dit uniquement qu'elles ne discuteront pas maintenant parce que ce n'est pas le moment. Parce que Jill est bien trop occupée à sourire à Noah alors qu'il se lève lentement du canapé. Il n'a pas l'air fou de joie de voir sa mère lui non plus, et c'est tellement compréhensible. Mais elle fait comme si elle ne voyait rien Jill, elle lui demande d'aller chercher ses affaires mais le petit garçon secoue la tête. Elle fixe Ginny, encore, elle aurait tellement de choses à lui demander à ce moment là, et des chansons tellement contradictoires. Elle a disparu 2 longues semaines, et Jill ne sait pas si elle va bien, si elle se remet, pourquoi elle a fait ça, pourquoi elle n'a pas pris un peu de temps pour leur écrire, leur envoyer ne serait-ce qu'un seul texto par semaine. Tout passe dans son regard, elle l'espère, parce qu'elle ne formulera aucune de ces questions à l'oral. Pas maintenant.

Noah ne veut pas partir, et c'est à ce moment là que le regard de Jill se décroche de celui de sa sœur pour tomber sur le petit brun. Elle se dégage de devant la porte pour la lancer entrer alors que Noah lance un regard noir à sa mère et à Jill. « Tu sais qu'il va falloir parler Noah me regardes pas comme ça. » Parce qu'elle ne pourra pas le garder avec elle pour toujours. Il arrivera à lui pardonner Noah, il va juste lui falloir du temps, et beaucoup d'explications. Elle attrape le bras de sa sœur pour la maintenir en retrait quelques secondes de plus. « Je l'obligerais pas Ginny, si il veut rester là je l'obligerais pas à te suivre maintenant. » Et elle s'avance pour aller s'asseoir à côté du petit garçon. « Tu veux pas que je reste tata ? » Il tourne la tête vers elle, et Jill lance un regard furtif à Ginny. « J'ai rien contre le fait que tu restes mon grand. Mais parler c'est important. »

La scène a tout d'irréel. Et pourtant elle est bel et bien vraie, et pourtant elle ne pourrait pas être plus tangible, plus crève-coeur. Ce serait mentir de dire que je ne m'attendais pas à ce genre d'accueil, ce serait mentir de dire que je n'avais pas volontairement tout fait pour ravaler mes craintes, mes remords et mes regrets pour reprendre le plus égoïstement des forces et revenir meilleure, pour lui. J'ai été capable de supporter bien des choses, j'ai été capable d'encaisser des dizaines de drames, j'ai été capable de laisser mes épaules soulever le poids du monde entier des milliers de fois et pourtant, le regard que Noah me lance avant de détourner la tête est à des années lumières du pire de tout ce que j'ai bien pu vivre.

« Tu sais qu'il va falloir parler Noah me regardes pas comme ça. » Jill tente d'être diplomate mais sa voix me brise le coeur, encore plus lorsqu'elle détourne la tête vers moi. « Je l'obligerais pas Ginny, si il veut rester là je l'obligerais pas à te suivre maintenant. » « J'ai jamais prévu l'obliger à faire quoi que ce soit. » qu'elle croit que je forcerais Noah à faire quelque chose contre son gré est inacceptable, qu'elle me lâche ce genre d'accusations aussi fausses que cruelles avec dédain m'occasionne une voix sèche, la langue qui claque sur mon palais. Et pourtant j'inspire doucement, laisse mon visage se détendre. Mes sourcils froncés qui se relâchent et mon coup d'oeil noir qui la quitte pour le bien des quelques pas en avant qu'on a pu faire elle et moi, depuis quelques semaines déjà.

« Tu veux pas que je reste tata ? » « J'ai rien contre le fait que tu restes mon grand. Mais parler c'est important. » elle est entrée le rejoindre, je prends donc pour acquis qu'elle n'est pas sans coeur au point de me laisser sur leur pallier lorsque j'entre à mon tour, pose le plus lentement du monde mon sac dans le hall, retire mes chaussures. Jill n'existe plus quand j'arrive au salon, que Logan s'amuse à renifler mon jeans taché de peinture sans que je sois allée à l'atelier ni même me sois approchée d'une palette de peinture de la journée.

« Est-ce que tu veux entendre ce que j'ai à dire maintenant, ou plus tard? » au ralenti, sans quitter ses prunelles noisettes qu'il finit par me céder, je me penche à sa hauteur. Contrairement à ce que ma soeur statuait plus tôt, il n'y a absolument rien qui force dans mon discours, absolument aucun mot dit sur le ton d'un reproche, dit pour le presser. Il y va à son rythme, il me partage ce qu'il veut, il me l'hurle si c'est ainsi qu'il se sent, et j'encaisserai tout. Pour lui, j'encaisserai toujours tout. C'est ce que j'ai fait toute seule et de toutes mes forces de sa naissance jusqu'à aujourd'hui. Ça ne changera jamais même si ma soeur en qui j'avais eue confiance au point de lui laisser la garde de mon fils pendant mon absence interfère d'une façon ou d'une autre. S'il est fâché, qu'il parle. S'il est triste, qu'il pleure. S'il m'en veut, qu'il m'accuse. Mais pas elle, elle n'a pas le droit de s'interposer avec ses regards inquisiteurs et avec ses mots accusateurs, ni maintenant, ni jamais. « Est-ce que tu veux qu'on reste en silence, ou tu veux parler? »

Elle aurait voulu avoir un petit peu plus de temps avec Noah, parce qu'ils étaient bien là, ils avaient trouvé un rythme qui leur plaisait vraiment. Auquel ils avaient commencé à s'habituer. Jill aime pas l'état de Npah, à quel point son visage a changé d'expression quand il a vu sa mère sur le pas de la porte. Elle aime pas le regard de sa sœur quand Jill tente seulement de lui expliquer qu'elle sera là pour Noah, si il a décidé qu'il n'était pas prêt de réintégrer sa mère à sa vie aussi facilement. Ginny lui lance un regard noir, et là, Jill aurait pu hurler, parce qu'elle veut juste être là pour son neveu, et elle a voulu faire un pas vers sa sœur. Pas qu'elle a refusé, ok, donc Jill n'ira plus vers elle. Mais elle s'assoit à côté de Noah, elle ne veut pas le laisser seul alors qu'il est si perdu.

Jill n'a d'yeux que pour le petit garçon, alors que Gin continue de regarder Jill comme si elle était la personne la plus horrible de tous les temps. Alors qu'elle était là elle, alors que Ginny vivait ses vacances en amoureux sans donner de nouvelles. Même pas à Noah. Elle croyait quoi ? Qu'elle allait revenir la bouche en cœur avec son grand sourire et que tout irait bien, qu'elle pourrait reprendre sa vie où elle l'avait laissé ? Toujours aussi naïve la cadette des McGrath. Et Jill a envie de lui hurler dessus, de cracher tout sa haine et sa colère sur une seule et unique personne. Penses à Noah Jill. Pense à lui et uniquement à lui. « Je sais que t'es parti encore, et j'avais pas envie de parler aujourd'hui. » Il prend un nouveau cookie sur la table et joue avec en se mettant du chocolat plein les doigts. Il n'a pas envie de parler Noah, parce qu'il ne sait certainement pas quoi penser, parce qu'il veut que sa mère s'en veuille de l'avoir abandonner et de changer son cadre familial régulièrement. « Je veux aller jouer du piano. » Jill essaie de le rattraper par le bras. « Noah.... » Jill passe ses mains sur son visage et Noah commence à chanter et à faire du bruit. « C'est ce qu'il fait à chaque fois qu'on a voulu discuter de ce qui se passait. »

Bien sûr que Jill rage, bien sûr qu'elle me dévisage. Bien sûr qu'elle y retourne dans ces retranchements-là, là où on est familières toutes les deux. À me filer le mauvais rôle, à me voir comme celle qui est autant la cause que la conséquence. Bien sûr que je redeviens la petite soeur qui bousille tout et qui n'est jamais à la hauteur de rien. Mais dans l'instant, c'est Noah ma seule et unique priorité, autant ma soeur peut grogner, autant ma soeur peut me détester. Je prendrai le temps de mettre les choses au clair avec elle à un autre moment, quand je n'aurai pas l'impression qu'à chaque geste elle pense me sauter à la gorge.

« Je sais que t'es parti encore, et j'avais pas envie de parler aujourd'hui. » partie, encore. J'inspire, hoche doucement de la tête, acquiesce à sa demande un temps. Il ne veut pas parler et je le comprends, il se referme et je l'entends. « Je veux aller jouer du piano. » et Jill tente de le retenir sur le canapé, je la vois qui fait des efforts, je la vois qui y tient mais c'est trop tard, quand il s'esquive et qu'il file s'installer sur le banc, éparpiller ses doigts sur le clavier. « C'est ce qu'il fait à chaque fois qu'on a voulu discuter de ce qui se passait. » « Laisse-le jouer. » mes yeux quittent la silhouette de mon fils pour retrouver les prunelles de Jill, ma voix à nouveau calme. Et oui, j'y vois encore de la haine, et oui, j'y vois toutes les accusations et tous les reproches et tous les jugements du monde, mais j'ignore, je nie, je pense à Noah encore et toujours. « Tu as voulu en parler avec lui? » et je jure, que j'ai confiance en elle. Et je jure, que je ne pense pas une seule seconde qu'elle ait pu se servir d'une discussion quelconque pour altérer son jugement. Je le jure parce qu'autant ma soeur peut me maudire, autant elle aime Noah de tout son coeur, et son attitude aussi maladroite qu'agressive d'aujourd'hui ne le prouve qu'un peu plus.

Les notes se multiplient en trame de fond, il hésite sur les mélodies Noah, mais il a appris un nouveau morceau depuis que je suis partie. Partie, encore. « Merci, d'avoir été là. » je ne lui ai pas dit, ni en partant, ni là-bas. Je ne lui ai pas dit parce que je n'en avais pas la force, celle d'assumer que je m'étais envolée, que je n'étais pas invincible, que j'avais besoin de reprendre des forces pour eux, pour lui. Puis, je me redresse, le plus lentement du monde, tends la main à ma soeur dans un drapeau blanc qu'elle aurait tous les droits de refuser.  « Faudrait pas manquer le concert. » je suis toujours secouée, je suis encore plus instable que lorsque je suis entrée. Mais si je m'approche de Noah au piano, si je m'installe sagement à ses côtés en attendant qu'il ait envie de parler, Jill a tous les droits de m'y accompagner.

Il ne reste pas longtemps entre Jill et Gin. Il préfère s'éclipser, fuir le conflit. Il est encore petit, ce n'est qu'un enfant qui a vécu bien trop d'expériences pour son âge. Qui vis beaucoup d'épreuves et ne dit jamais rien. Non, il se tait, il sourit, et il accepte tout ce qui l'entoure. Toujours. Mais il a besoin d'exploser, il a besoin d'exprimer ce qu'il ressent. Sinon, il finira par exploser, et c'est jamais bon un enfant McGrath qui explose. Alors il faut qu'ils discutent, il faut que Noah arrive à vider son sac, mais comment s'y prendre ? Elle essaie de le rattraper mais il court vers le piano, ça lui brise le cœur de voir à quel point Noah se sent mal. Il se renferme, il ne sourit pas, et ce n'est pas Noah ça. « J'ai essayé pendant les 2 semaines, mais il t'en veut et j'ai pris le parti de personne. Il voulait pas parler de toi, et je l'ai pas forcé. » Parce que, même si elle est énervée contre sa sœur, elle n'aurait jamais oser laisser sa relation interférer avec Noah.

« Je l'aurais pas laissé tu le sais. » Elle aurait pas laissé Noah avec qui que ce soit d'autre qu'elle pendant ces semaines. Ça a été bénéfique pour elle, bénéfique pour son couple avec Bailey aussi, et c'est pour ça qu'elle aimerait que cette parenthèse dure encore un peu plus longtemps. Il n'y a pas de reproches dans sa voix mais elle ne croise plus le regard de sa petite sœur. Elle fixe le bordel qu'ils ont laissé sur la table du salon, les plaid qui sont étalés par terre maintenant. Elle tend sa main Ginny, et Jill n'est pas prête. Elle ne peut pas la laisser revenir aussi facilement alors qu'elle tente encore de se reconstruire sans elle. Parce qu'elle avait pris la mauvaise habitude de pouvoir se dire qu'elle pouvait parler de ses problèmes. « Je l'entends très bien d'ici. » Si elle veut se lever, qu'elle le fasse, mais Jill ne la suivra pas, et elle pourra encore moins promettre que Noah voudra rester assis à ses côtés alors qu'elle va vouloir s'incruster dans sa bulle.  

« J'ai essayé pendant les 2 semaines, mais il t'en veut et j'ai pris le parti de personne. Il voulait pas parler de toi, et je l'ai pas forcé. »
« Tu as bien fait. »

Jamais je n'en aurai douté et elle le sait. J'ai bien beau détester la façon dont elle me regarde et me file le mauvais rôle sans jamais m'avoir demandé pourquoi j'étais partie, sans jamais m'avoir même laissé la seule et unique possibilité de lui dire, le reste est acté. Elle n'aurait rien fait pour se mettre en travers de Noah et moi, et le mentionner est obsolète. Elle a assisté à tout Jill, elle a vu les parents se positionner contre nous tous des dizaines de milliers de fois, bien sûr qu'elle n'aurait jamais fait subir la même chose à mon fils.

« Je l'aurais pas laissé tu le sais. »
« Je sais. »

Et je me relève doucement. J'inspire aussi, prends sur moi, laisse les notes me guider, ma main que je lui tends et qu'elle refuse, évidemment. « Je l'entends très bien d'ici. » au moins, elle reste. Elle ne bouge pas, elle ne me suit pas, elle ne s'approche pas, mais elle reste tout de même là et c'est tout ce qui compte. Elle me met hors de moi, elle me repousse avec violence dans mes retranchements, mais sa présence même en périphérie m'est nécessaire.

Alors je m'approche à tâtons de Noah, je reste en retrait le temps qu'il faut, le temps qu'il joue un peu, le temps qu'il souffle aussi. Il ne me regarde pas mais il me parle enfin, et c'est déjà ça. « Tu peux t'assoir. Mais on parle pas. » j'hoche docilement de la tête, fais un pas puis un autre vers lui, me glisse sur le banc à sa gauche en évitant tout contact, tout regard. « On parlera pas. » ça sonne comme une promesse, c'en est une.

Et il continue de jouer. Et je tente de calculer les mesures, je me rattache aux détails et au concret, ne brusque rien, rien d'autre que mes doigts qui à la dernière seconde effleurent les siens lorsqu'ils passent à un millimètre, un seul de moi. « T'as dit qu'on parlerait pas, mais t'as rien dit à propos de retirer une vilaine poussière de là. » il n'a pas de poussière sur ses doigts, il n'a rien de tout ça. J'ai été trop vite, j'imagine, mais je tente tout de même, le sourire triste que je ne lui imposerai pas, le ravalant difficilement lorsqu'il lève finalement sa petite tête brune aux mèches emmêlées vers moi. « Je veux pas parler parce que j'ai peur de ce que je pourrais te dire. » et sa voix, oh sa voix. Et son regard, oh son regard. « Faut pas que t'aies peur, je peux l'entendre. » il arrête de jouer Noah, il inspire aussi. Tourne la tête vers Jill, cherche son approbation, et autant le geste me brise le coeur, autant il me rassure. Il est bien ici avec elle, il est heureux, il est à l'aise, et c'est tout ce qui compte.

« Pas tout de suite, pas encore. » et on y était presque, mais il se tait de nouveau, braque ses prunelles sur le clavier de nouveau.

Depuis mon retour à Brisbane, je passe beaucoup moins de temps au studio. Je continue de m'y prendre pratiquement tous les jours pour suivre mes artistes, mais surtout pour ne pas éveiller les soupçons de mon frère. Je suis parti bien trop souvent ces derniers temps et j'ai la sensation qu'Eliott prend cela comme un signe de résignation. Si seulement il savait... Je ne me laisserai plus faire. J'ai travaillé comme un forcené pendant des années et je ne laisserai personne venir détruire ce que j'ai construit. Il m'a fallu du temps pour formuler concrètement cette idée, mais désormais, c'est décider, je ne courberai plus l'échine face à ma famille. Et cela commence par le fait de prendre du temps pour moi et pour mon couple. Je peux travailler de chez moi et organiser mes réunions sur les premiers jours de la semaine. Je peux aménager mon temps pour ne pas laisser Jill seule et surtout pour être pleinement présent pour sa grossesse. On se l’ai promis à Londres et je ne ferais pas la même erreur une seconde fois. Je vais être là pour elle.

En rien je ne m’attendais à voir Auden Williams garé dans mon allée en train de siffloter sur un air de pop bien trop mainstream que cela en serait risible. Je fronce les sourcils et il doit sentir mon regard sur lui. Le Williams hoche les épaules avant de reporter son regard vers la maison. Ginny est rentrée. Je ne prends pas vraiment la peine d’adresser la parole à Auden et me dirige vers la maison. Je suis de suite attiré par le bruit des touches de piano que l’on chatouille. La scène qui se déroule sous mes yeux me serre le cœur. Jill les bras serrés sur sa poitrine à l’entrée du salon, le regard vriller sur sa sœur et Noah. Les deux sont assis au piano et de ma place, je sens la tension dans la pièce. J’inspire un coup et me rapproche de Jill en premier. Mes doigts glissent sur son bras, un sourire et un baiser volé. Pas besoin de lui demander si ça va, je vois à son regard qu’elle se retient de toutes ses forces pour ne pas hurler. Je la serre contre moi un instant, mais me dirige bien rapidement vers la mère et le fils. Je capte les dernières paroles de Noah et ça me tords le bide. Il n’est pas prêt à pardonner, mais on a longuement discuté de tout ça tous les deux. Je m’approche des deux, fais glisser ma main dans le dos de Ginny et viens embrasser le sommet du crâne de Noah. Un geste que je n’avais pas fait en simultané depuis si longtemps. Mon regard croise celui de Ginny et je tente de lui sourire. Tout ira bien. Je me penche pour venir murmurer à l’oreille de Noah. « Oublie pas ce qu’on a dit. » Oublie pas qu’elle est ta mère. Oublie pas qu’elle a eu besoin d’air. Oublie pas qu’elle t’aime comme personne d’autre sur cette terre. « Et si tu veux rester ici, tu restes ici mon grand. » Je lui laisse le choix, toujours. Je me redresse et serre ma main encore sur le bras de Ginny. « On sera dans la cuisine. » On sera plus derrière vous. On vous laisse tranquille.

Elle reste assise Jill, les bras croisés sur la poitrine. Elle essaie de respirer sans commencer à hurler sur tout et n'importe quoi, parce que Noah est là, parce qu'il va mal et qu'il est encore accroché à son piano. Elle arrive à discuter quelques minutes. Elle est froide, elle est distante, et ça ne doit pas étonner Ginny une seule seconde. Mais Jill est agacée par le regard de sa petite sœur. Elle déteste le regard froid qu'elle lui lance. « Il risque de mettre du temps à te pardonner. » oui elle parle de Noah, même si elle essaie de ne pas mélanger ce qu'elle pense et ce que le petit garçon peut bien penser. Et elle tend la main vers Jill Gin, elle la refuse dans l'instant. Elle ne peut pas juste tendre une main pour que tout soit oublié. Comme si c'était facile de la voir revenir après deux semaines de silence avec ce grand sourire. Noah et Jill sont à peu près aussi hostile avec Ginny.

Mais elle va rejoindre son fils sur le banc, et ils discutent. Ils échangent quelques mots et ça brise le cœur de Jill de le voir dans cet état. Et la porte claque, elle ne tourne même pas la tête, ses yeux restent posés sur le petit garçon qui dit qu'il ne veut pas parler. Et c'est Bailey qui arrive, qui pose un baiser furtif sur les lèvres de Jill. Elle le voit aussi son air de surprise, et il va vers Ginny et Noah. Et elle a toujours cette même pensée quand elle les voit tous les 3 ensemble. Quelle belle petite famille. Cette pensée qui ne quitte pas son esprit, elle ne peut juste pas s'en empêcher. Et ce soir là, c'est juste trop. Elle regarde Bailey parler à Noah, il ne parle pas fort, alors elle continue de les fixer. De tous les fixer. « Tu vas dans la cuisine, moi je reste pas là. » Elle attrape des trucs à manger sur la table basse et part rapidement à l'étage. Et elle s'enferme dans la chambre, elle a besoin de rester seule un peu, en attendant que tout s'arrange en bas. Ils arriveront peut-être à calmer le petit garçon, mais Jill n'en sera pas capable. Pas alors qu'elle n'arrive même pas à regarde Ginny dans les yeux.   

Jill reste derrière, Jill garde tout à l'intérieur, Jill risque d'exploser à la seconde où on ne sera qu'elle et moi. What else is new. « Il risque de mettre du temps à te pardonner. » et je parie qu'elle parle autant pour elle que pour lui.

J'inspire, m'installe au piano, tente une approche, Noah se braque. J'ai tout mon temps. Je n'ai pas envie de le brusquer et je n'en serais de toute façon jamais capable, n'en reste que chaque seconde me donne l'impression d'en ajouter des dizaines de milliers au compteur - toutes plus cruellement silencieuses les unes les autres. Pourtant il ne se lève pas, il ne part pas. il reste là à multiplier les notes et à perdre ses doigts sur le clavier, je tente de recommencer un peu à respirer.

La main de Bailey vient se nicher entre mes omoplates, je sais que c'est lui bien avant de voir son visage se pencher pour se perdre dans les mèches de Noah. Il lui chuchote à l'oreille, je n'écoute rien de ce qu'ils se disent, préférant aller chercher toutes les forces que son simple contact sera en mesure de me donner. « Et si tu veux rester ici, tu restes ici mon grand. » mes yeux croisent les siens, il saura d'un coup d'oeil un seul que je suis entièrement en accord avec lui et que si le gamin décide de rester ici un peu plus longtemps, jamais mon coeur brisé ne se mettra en travers de sa volonté. Je suis partie, j'en assumerai les conséquences jusqu'au bout. « On sera dans la cuisine. » ma main va trouver la sienne pour la presser, un merci en silence que chaque expiration ne confirme qu'un peu mieux.

« Tu vas dans la cuisine, moi je reste pas là. » la voix de ma soeur claque, je ravale durement, ferme les paupières un instant. Pas mon combat, c'est sur Noah que je concentre tout ce que j'ai et même si j'aime ma soeur bien plus qu'elle ne l'assumera jamais, n'en reste que mon fils est et sera toujours ma priorité.

Mon fils qui, après un temps qui m'apparaît avoir été aussi long qu'être passé à la vitesse de l'éclair, finit par enfin relever le menton, impassible. « Pourquoi t'es partie? » de toutes les questions, de toutes les accusations, de tous les reproches qu'il aurait pu me faire, il les balaie de son esprit pour se concentrer sur l'essentiel, sur mes motifs, sur mes raisons pour s'en faire une opinion. Il ne le réalisera pas maintenant, mais je suis toujours un peu plus fière de lui et de la personne qu'il devient à chaque jour. « Tu te souviens ce que tu m'as dit, quand tu es parti toi aussi? » doucement, ma silhouette se tourne sur le banc pour lui faire face, mes jambes que je ramène en tailleur pour m'appuyer sur le clavier qu'il n'a toujours pas lâché ni des doigts, ni des yeux. « Tout allait trop vite, tout faisait trop mal. Je voulais reprendre des forces pour revenir et être meilleure pour toi. »

Ma voix est calme, elle ne l'accuse pas de sa fugue, l'utilise simplement en exemple pour qu'il puisse faire des associations dans sa tête, pour qu'il puisse comprendre le pourquoi derrière mes gestes à moi. « Jill a dit que t'étais avec Auden. » « Jill a dit la vérité. » je sais qu'en aucun cas ma soeur ne lui aurait dit cette information volontairement pour faire du mal à qui que ce soit. Il a dû l'entendre et l'interpréter, elle a bien des défauts Jill mais elle sait autant que moi à quel point c'est sacré de ne pas impacter sur l'opinion de qui que ce soit. « Est-ce que vous allez repartir encore? » ses sourcils se froncent à Noah et il la tourne enfin, sa tête, vers moi. Dans son regard, y'a un mélange de colère et de panique, y'a toutes les craintes et toute la peine du monde aussi. Je le prendrais dans mes bras pour ne jamais le lâcher si je pouvais, mais j'aurais peur de tout bousiller si je ne m'adapte pas à son rythme alors que lui s'est toujours calé au mien sans broncher avant aujourd'hui. « Pas comme ça. »

La réponse fait son chemin, je le vois à son expression qu'il réfléchit. Qu'il sait que même si ça ne vient pas avec une promesse, ça vient surtout avec des excuses. Plus jamais je ne partirai sans l'avoir pris dans mes bras, plus jamais je ne partirai sans lui avoir dit pourquoi. Plus jamais je ne lui offrirai pas la possibilité de venir avec moi s'il le veut, s'il en a besoin lui aussi. « J'étais très triste, avant de partir. Auden s'est occupé de moi, comme Jill s'est occupé de toi. J'étais en confiance parce que t'étais avec elle et avec Bailey. » et c'est le plus important. Qu'il ait été avec les deux personnes en qui il a tant confiance, qu'il ait été autant protégé que je l'ai été. Pour les bonnes raisons, enfin.  « Elle s'est occupé de pop's aussi. » mes sourcils se froncent maintenant, quand c'est à mon tour d'en apprendre un peu plus sur ce qui s'est passé pendant mon absence. Je jette un coup d'oeil par-dessus mon épaule, les réponses qui manquent, Bailey et Jill maintenant hors de mon champ de vision.

Tout ira bien. Malgré la tension certaine que je ressens dans la pièce. Tout ira bien. Je l’ai décidé lorsque l’on était encore à Londres et je ne laisserai personne se mettre en travers de cela. J’ai été à bout de souffle pendant trop longtemps, j’ai laissé notre passé commun, nos rancœurs et nos rancunes diriger nos vies depuis trop longtemps. On a évolué, il est temps que l’on passe à l’étape suivante. Il est temps que l’on grandisse ensemble. Alors tout ira bien, même lorsque Noah semble tellement en vouloir à sa mère, même lorsque Jill déclare que je me retrouverais tout seul dans cette situation. Je regarde ma femme monter les escaliers en tapant des pieds et je décide de ne pas la suivre. Elle a besoin de temps pour elle. Elle doit lâcher sa colère, redescendre en pression. J’ai appris que toujours tout vouloir régler sur le feu de l’instant pouvait être dangereux. Alors, je ne dis rien. Un regard vers Ginny et Noah avant de disparaître en direction de la cuisine. Et pourtant, la question de Noah ne m’échappe pas. J’aimerais connaître la réponse de Ginny. J’hésite un instant, ils ont besoin de leur espace, besoin d’une discussion entre eux, mais la curiosité prend le dessus. Je reste appuyer contre le mur qui nous sépare. Personne ne me voit, je tends l’oreille. Juste un instant.

L’échange entre la mère et le fils me tord le bide. Bien sûr qu’il va comprendre. Il avait eu le même besoin qu’elle, il avait choisi la fuite lui aussi. Il faut croire que c’est un élément de famille. Elle lui explique avec simplicité et je comprends que Jill ne m’avait pas menti. Ginny avait trouvé la sécurité en partant avec Auden. Comment pourrais-je lui en vouloir alors que j’ai choisi de partir moi aussi ? Et d’ailleurs, Noah ne manque pas de le sous-entendre. Je me mords la lèvre, absorbe le silence qu’il laisse entre ses mots. Espère qu’il n’en dira pas plus. Mais il n’est pas comme ça mon fils, il fait attention à tout le monde, il veut que tout soit pris en compte. « Il est parti à la maison. » dit-il dans un souffle. « J’ai dit le secret à tata. Fallait pas qu’il soit tout seul. » Mon cœur se serre alors que je suis obligé de revenir dans la pièce. Je pensais que Ginny avait vu mon message, mais il faut croire que non. Je veux pas être au centre de ses soucis, ce n’est pas le moment. Je débarque avec fracas, mon regard croise celui de Ginny. Je la supplie de ne pas lui en vouloir d’avoir lâché ce secret que l’on avait su garder si longtemps. « C’est rien. » Non, c’est rien. Concentre-toi sur lui, pas sur moi. « Tous le monde était triste. » dis Noah tristement. « Est-ce que tu es encore triste Noah ? » Il me regarde et secoue la tête. « Non. » Je lui souris un peu. « Je suis plus triste non plus. » Et cette fois, mon regard se plonge dans celui de la brunette. « Tu te sens comment Gin ? » Dis nous la vérité et je t’expliquerai notre séjour à Londres.

« Il est parti à la maison. » Noah ne met même pas une fraction de seconde avant de me laisser savoir les informations qui manquent. Tout se bouscule, tout se précipite, les révélations qui montent et mes sourcils qui se froncent sous l'annonce. Bailey était à Londres. Je ne l'ai jamais su. Ils sont allés le chercher. J'étais à côté, j'étais à quelques kilomètres, j'étais là juste là, et je n'ai rien pu faire pour l'aider. « J’ai dit le secret à tata. Fallait pas qu’il soit tout seul. » « Tu as bien fait, bonhomme. » que je le rassure, prenant inévitablement sur moi à nouveau. Ma salive que je ravale durement, mes doigts qui errent distraitement sur les touches jusqu'à ce que ma respiration reprenne un rythme normal. Chaque chose en son temps. On en parlera, Bailey et moi, quand il sera prêt à le faire. J'ignore encore qu'il y a son message texte enfoui à travers les dizaines de textos reçus et ignorés durant mon absence inopinée.  

Il souffle mon fils, il souffle et je sens la présence du Fitzgerald dans mon dos avant même qu'il ne dise le moindre mot. « Tous le monde était triste. » ses prunelles trouvent instinctivement les miennes, Bailey qui se tient à nouveau à un mètre à peine de nous, Bailey qui est revenu à la seconde où il a pu. « Est-ce que tu es encore triste Noah ? » Noah est la priorité, il le sait autant que moi. « Non. » j'avais oublié de respirer, chose maintenant annihilée lorsque j'entends la confirmation que le gamin va bien, va mieux. « Je suis plus triste non plus. » la voix de Bailey remonte, il calme tout ce qu'il peut, il me calme aussi sans même le savoir, probablement même sans essayer.

« Tu te sens comment Gin ? » « Je vais mieux. » je réponds, doucement, la voix qui tient la route. Mieux, c'est tout ce à quoi j'aspire, c'est ce dont je me contente depuis toujours. C'est le seul objectif qu'il me reste. « Vous m'avez manqués. » à tour de rôle mes iris trouvent les leurs, mon coeur qui se serre une seconde de plus que ma soeur ne soit pas revenue, qu'elle soit toujours braquée sur ses positions aussi arrêtées soient-elles. « T'es partie sans rien dire. » que Noah ajoute, pourtant ce n'est pas une accusation que je sens dans sa voix. Il constate, il explique, il dégage l'information, il partage, il s'ouvre. « Et je suis désolée. T'as pas besoin de me pardonner tu sais, ni maintenant ni jamais. » à mon tour de parler sur son ton doux, avenant. Il n'a pas à me pardonner s'il n'est pas prêt, ce n'est pas parce que je suis une figure d'autorité une fois de temps en temps que ça suffit.

« Tu es venue pour me ramener à la maison? » que je l'entends finalement demander, après qu'il ait perdu ses doigts sur le clavier pendant une minute ou deux, et que j'ai perdu mon attention sur le profil de Bailey au passage. « Oui. » je reste toujours dans l'incertitude de savoir s'il veut rester ici ou non - son choix sera le mien et je le respecterai coûte que coûte. « Et parce qu'on veut te parler, Auden et moi. » j'ajoute, parce que même s'il décide de prolonger son séjour, parce que même s'il a besoin de temps, c'est important pour moi de lui dire à lui, en premier, à lui avant tout le monde entier. « Qu'est-ce que j'ai fait? » il fronce du nez Noah, il est habitué d'entendre ces mots-là parce qu'il a déplacé quelque chose à l'atelier, parce qu'il a joué trop fort avec Pizzasagne. Mais il n'est pas habitué aux mots que je veux lui avouer, et ce serait mentir de dire que je n'en suis pas terrifiée.

Ca serait mentir que de dire que je ne trépigne pas d’impatience dans la voiture et que mes doigts n’ont pas pianoté sur toutes les surfaces possibles et inimaginables alors que ’cinq minutes Auden, juste cinq minutes’ à attendre avant de rentrer à mon tour ça ressemble surtout à une éternité. Une éternité encore plus longue quand Bailey s’ajoute au spectacle, qu’il se donne lui même l’autorisation de rentrer comme s’il était chez lui (okay, oui, il est chez lui et alors ça change quoi) alors que je dois me contenter de ne pas lever les yeux au ciel face à son sourire. Il a fait un pas vers moi, ça ne me force pas à en faire de même mais au moins je ne recule pas. Je n’oublie pas non plus, peu importe les sms de merde qu’il peut m’envoyer comme si ça allait soudainement tout arranger entre nous.

A cinq minutes moins dix secondes je sors de la voiture, parce que je sais que quand j’ouvrirai la porte le temps sera parfaitement écoulé. Je la connais plutôt bien sa maison, de toute façon - et surtout la porte d’entrée et son couloir, quand mes yeux dérivent naturellement sur le mur comme pour se demander si son crâne n’y a pas laissé une marque ou une minuscule fissure. « Et parce qu'on veut te parler, Auden et moi. » Il est presque bon, notre timing, maintenant. On pourrait croire qu’on l’a fait exprès, on pourrait croire qu’elle n’avait pas son téléphone dans la poche arrière de son téléphone en appel avec le mien. Elle ne va pas bien, elle va mieux. C’est pas suffisant, mieux. Mes pas se dirigent vers Noah et elle, évitent Bailey, ne notent pas même l’existence quelque part de Jillian. « Qu'est-ce que j'ai fait? » ”T’as rien fait bonhomme.” S’il doit être certain d’une chose ce devrait être ça, quand lui ne fait jamais rien et que seuls les adultes s’entêtent à lui rendre la vie plus compliquée. Je lui laisse sa bulle autour du piano, échange un bref regard avec Ginny pour lui assurer que tout ira bien, une dernière fois avant de me poser dans l’angle, à l’envers sur une chaise volée au hasard. ”Tu nous donnes cinq minutes ?” J’use de toute la diplomatie du monde emmagasinée depuis des années pour demander un peu de temps et d’espace à Bailey, parce qu’on a convenu qu’on n’en parlait qu’à Noah en premier lieu.

”Tu jouais quoi ?” Je demande à Noah, sincèrement intéressé alors que je me fais une place dans son monde. Il se contente d’hausser les épaules sans me regarder avant d’entamer une mélodie que je ne connais pas (la faute de n’avoir eu à apprendre que des trucs de merde à l’église de merde, sûrement), à laquelle je me greffe pourtant au bout d’une dizaine de seconde. Je me vrille pour être un minimum face au piano, réanime ma main gauche pour en faire danser les doigts sur quelques touches, devenant son assistant musical l’espace d’un temps au moins. « Vous voulez parler de quoi alors ? » J’échange un dernier regard avec Ginny, mes paroles à venir étant mille fois plus significatives que n’importe quel papier qu’on aurait pu signer, que n’importe quel bijou qu’on aurait pu s’offrir l’un l’autre, accompagné de quelques promesses que ce soit. Si on le dit à Noah il n’y aura pas de retour en arrière, et j’attends son accord, j’attends un hochement de tête, j’attends un si lo voglio ou quoique ce soit qui s’y rapproche - « T’as une bague au même doigt que Pops. »

Merde. Il est trop intelligent et perspicace, ce gamin, quand je n’ai pas réfléchi une seule seconde à cacher ma bague ou cacher ma main, ou attendre une seconde au moins avant d’exposer mon bonheur aux yeux et à la vue de tous. Mes doigts courent pourtant autour de l’anneau, le délogent de l’annulaire auquel il ne s’est pas encore ancré et ma paume s’ouvre pour que Noah le prenne si c’est son désir. On avance à son rythme autant que possible. ”Elle est reliée à celle de maman.” « La bague de tata brille plus. » J’expire, autant de rire que de soulagement, m’amuse de son insouciance apparente. ”T’es d’accord pour que je partage les soirées pizzas et film d’horreur avec vous ?”

Auden m'étonne de ne pas être entré mille minutes plus tôt, autant que le fait qu'il ait tout donné pour nous laisser un temps raisonnable à Noah et moi pour tenter de retrouver un semblant de marques ne m'étonne pas le moins du monde. ”T’as rien fait bonhomme.” il m'enlève les mots de la bouche alors qu'il se greffe au noyau atypique, la chaise qui grince sur le parquet et mon regard qui vole vers Logan et ses oreilles dressées, son attention rivée sur nous. ”Tu nous donnes cinq minutes ?” c'est bien l'une des premières fois où la voix de Williams est aussi calme à l'égard de Bailey. Mes prunelles quittent le chien pour s'accrocher à celle de l'anglais, espérant de tout mon coeur le rassurer sans dire le moindre mot, lui qui finit par doucement se retirer pour probablement monter voir ma soeur. Je l'espère, en tout cas.

”Tu jouais quoi ?” leurs doigts se mélangent, les miens jouent avec les fils de mon jeans déchiré au genou, leur laissant leur bulle quand celle du gamin greffée à la mienne peut très bien s'étirer pour eux. Ils ont toujours eu une drôle de relation, Auden et Noah, ils se sont toujours créé leur propre monde et leurs propres règles, et si je n'ai jamais douté que l'un et l'autre s'appréciaient beaucoup, je n'ai jamais non plus pris le temps de m'imaginer si Noah était à l'aise de lui faire cette place-là dans sa vie. Je ne pourrais pas le blâmer, la place que j'ai moi-même faite à Auden a toujours été bien diffuse, bien éparpillée, bien intense et bien désorganisée, jusqu'à tout récemment. « Vous voulez parler de quoi alors ? » j'inspire, plus calme que je ne l'aurais cru, les iris d'Aude qui se perdent dans les miens quand l'accord tacite se reprend doucement, quand on se confirme lèvres scellées yeux vrillés rien de plus que ce qu'on sait déjà.

« T’as une bague au même doigt que Pops. » oh, Noah.
”Elle est reliée à celle de maman.” oh, Auden.
« La bague de tata brille plus. » et je pouffe, parce que rien ne va comme le plan originel, et parce qu'à force je finis par m'y habituer, limite par préférer me retrouver prise au dépourvu à devoir m'adapter au fur et à mesure qu'à prévoir quoi que ce soit. On ne prévoit pas, ces choses-là.

”T’es d’accord pour que je partage les soirées pizzas et film d’horreur avec vous ?” mon coeur se serre de l'entendre, de voir l'anneau qu'il tend à Noah, le cérémonial de la chose qui me fait réaliser que jamais, jamais Noah n'a eu son mot à dire sur quoi que ce soit. Il n'a jamais fait autre chose que nous suivre, tous, dans nos galères. Il a tout accepté, il a tout assimilé, il a tout géré comme un chef, et c'est peut-être le temps de lui laisser le droit de prendre ses propres décisions, d'avoir la possibilité de faire ses choix à lui, rien qu'à lui. Auden l'a compris lui aussi. « Ça dépend. » il fronce du nez, il réfléchit, et si ce n'était pas de la lueur d'amusement que je vois dans son regard au gamin, j'aurais presque eu peur de sa réponse même si je le respecterai toujours peu importe ce qu'il amène comme opinion.

Il tourne la tête vers moi, me fait juge sans que je n'ai rien demandé, arbitre de bac à sable qui hoche de la tête de la positive, redresse mes épaules dans le processus. « On ouvre les négociations, c'est bon. »

Puis, le voilà qui lève le menton vers Auden, concentré.
« Je veux la dernière pointe, toujours. »
« Deal. » je réponds avant Auden, parce qu'on pourra toujours lui cacher la crème glacée de sursis qui sera dégainée à la seconde où il ira au lit.
« Et tu souffles pas quand le méchant fait un truc qui est pas logique. »
« Ça va être difficile ça. » mes prunelles amusées croisent celles de Williams, j'hausse des épaules en guise de capitulation, je sais reconnaître le fait qu'il aime râler rien que pour râler, bien trop souvent pour que mon fils ne l'ait pas remarqué.
« Et je veux savoir, quand vous allez partir la prochaine fois. » « Tu sauras. Et si tu me laisses la dernière bouchée de la dernière pointe, tu pourras peut-être venir avec nous. » j'ai pas pu m'empêcher de glisser mon bras autour de ses épaules, lui qui referme sa paume autour de l'alliance d'Auden pour ne pas l'échapper au sol pendant le mouvement. Mes lèvres s'égarent à travers ses mèches ébourrifées.

« Je t'aime. C'est okay si tu as besoin de temps Noah, pour te faire à tout ça. » il joue avec la bague, il la fait rouler au creux de sa main avec son index, ma tête se pose sur sa joue et mes mots se chuchotent à son oreille. « Est-ce que c'est un secret? » « Ça l'était avant qu'on te le dise. » et c'était important, qu'on te le dise avant. C'était l'entente, ça la sera toujours maintenant.

Une seconde passe, une autre ensuite. Je ne presse rien, on a tout notre temps. « Est-ce qu'on peut rester ici un peu avant de partir? » il est là, il revient, il se met en place le sourire sur mes lèvres, celui qui est tout de même curieux de voir comment on pourra tous s'entasser autour de la table ou directement sur le canapé à se raconter la vie et à pallier pour les sentiments qui font mal, si c'est ce que Noah veut, si c'est ce qu'on veut lui donner aussi. « On peut. Est-ce que ça veut dire que tu rentres avec nous? » ma voix est douce, elle ne fait rien d'autre que de lui dire que je l'aime dans d'autres mots, que je l'aime de tout mon coeur.

Et lui, ce qu'il fait, c'est étirer son petit bras pour attraper la main gauche d'Auden, manipulant délicatement son poignet encore trop bleuté à mon goût, pour délier ses doigts et lui repasser l'alliance à l'annulaire.