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Message(#)Broken [Liv&Jo] EmptyDim 8 Mar 2020 - 19:20

Ses paupières clignent à répétition et à chaque fois que la lumière du soleil traverse sa pupille, sa vision se brouille d’un voile de larmes qu’il refuse de laisser couler. Il se secoue la tête en grommelant des mots sans aucun sens et il passe ses doigts dans ses cheveux pour attraper une épaisse mèche qu’il tire vers l’avant pour réveiller la douleur. Il ne fait que gémir, la gorge nouée, et il relâche sa tignasse en relevant la tête pour observer les alentours. Il est encore tôt. Il est seul, Alfie lui ayant faussé compagnie quelques secondes auparavant. Il l’a laissé seul avec son ombre qui s’étire de moins en moins sur les quais, le soleil grimpant lentement vers le haut en suivant sa trajectoire. Quelques piafs se font aller les plumes dans la brise matinale, d’autres chantent en attendant une réponse de leurs confrères. Et, si la faune se réveille lentement, la fatigue s’attaque férocement aux muscles de Joseph qui s’accroupit au sol, coinçant sa tête entre ses mains pour ne plus attendre la nature qui rit de lui. Il halète difficilement, encrant son regard sur un clou rouillé dont la tête s’échappe légèrement de la planche de bois mais rien n’arrive à lui changer les idées. Il y pense, à l’aiguille. L’appel de la cocaïne, douce et salvatrice cocaïne, tambourine contre ses tympans jusque dans son crâne, réveillant une migraine douloureuse. Il tente de résister, il veut résister, parce que la promesse n’a pas été paroles en l’air, mais il a mal. Très mal. Alfie vient de lui tirer une balle en plein cœur probablement sans le savoir et il se vide lentement de sa raison comme si cette dernière était un filet de sang opaque et épais coulant le long de sa poitrine. Il ne sait pas quoi faire. Il est complètement perdu.

C’est dans la rue qu’il se met à courir, enjambant les trottoirs et les quelques surfaces de pelouse qui décorent les sols urbains de Brisbane. Il ignore tous les regards derrière les vitres des conducteurs qui se rendent sur leur lieu de travail en compagnie d’une tasse de café. Il ignore les klaxons qui retentissent lorsqu’il frôle de trop près une carrosserie et il garde sa tête bien droite, les yeux rivés vers l’avant, comme si son instinct le menait là où il devait se rendre. À plusieurs reprises, il trébuche comme une peluche molle dans les crevasses – foutue ville qui prétend ne pas avoir le budget pour réparer les trous dans le béton – mais il se relève sans grimacer, malgré les quelques égratignures rosées qui se mettent à tapisser la peau de ses bras. Aucune douleur physique ne pourrait surpasser celle qu’il ressent à l’intérieur de lui parce que son sang boue.

Les pas s’enchaînent et la course semble interminable jusqu’à ce que Joseph arrive enfin devant le commissariat, cet édifice qu’il a toujours fuit mais qui criait son nom. Il empoigne vivement la poignée de la porte sans réfléchir une dernière fois et il s’élance dans la salle de réception en faisant tourner des regards inquiets dans sa direction. Ici, ce n’est pas l’endroit pour ne pas sembler complètement louche. Mais, louche, il l’est, mais ce n’est pas pour admettre ses torts qu’il a besoin de se rendre là où il pourra être contenu. « Foutez-moi en cellule ! » qu’il lance premièrement, la voix rauque et séchée par l’épuisement de la course. Le haut de son corps s’écrase lourdement contre le bureau de la réceptionniste qui écarquille les yeux en se reculant légèrement sur sa chaise à roulettes. Ses yeux parcourent les bras du jeune homme affolé couverts d’écorchures bénignes et s’arrêtent plus longuement sur son avant-bras couvert de sang, là où il a creusé sans s’en rendre compte avec ses ongles pour imiter le doux pincement de l’aiguille qui glisse. « Monsieur, gardez vos distances. » Aussitôt, d’autres employés du commissariat sont avertis et ce sont trois ou quatre têtes qui apparaissent dans la scène. Des hommes crispés qui tentent de ne pas paraître menaçant mais Joseph reconnait leur position : ils ont tous les doigts posés sur le flingue dissimulé à leur ceinture, au cas où l’étranger se révèle agressif. Mais l’ex taulard n’est pas là pour se transformer en monstre qu’il n’est pas alors il répète sa demande, le ton presque suppliant : « Enfermez-moi, je vous en prie ! » Son corps est tremblant, tremblant de manque, il réclame plus que la dose qu’il a l’habitude de s’offrir. Il les reconnait les signes. « Monsieur, vous avez besoin d’aide médical. » répond enfin l’un des policiers en s’approchant de lui, la main tendue vers l’avant pour apprivoiser la bête. « ENFERMEZ-MOI ! » Joseph s’exclame sur un ton plus menaçant, envoyant valser la bouteille de solution antibactérienne qui traînait sur le comptoir. Son contenu s’étend au sol en même temps qu’un homme baraqué s’approche du fou pour attraper ses mains et les coincer derrière son dos, l’empêchant de bouger. Et il ne se défend pas. Il ne fait que respirer fortement en libérant ses pensées et en priant n’importe quel dieu qui n’existe pas pour lui retirer cet envie de foutre sa vie en l’air pour de bon.    

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Message(#)Broken [Liv&Jo] EmptyMar 10 Mar 2020 - 22:51


Olivia Marshall & @Joseph Keegan ✻✻✻ Je portai machinalement la cigarette à mes lèvres et basculai lentement la tête en arrière, profitant des derniers instants de solitude avant d’aller terminer mon service, avant de rejoindre l’équipe au complet ce matin. Je m’étais autorisée à sortir avant d’avoir à leur résumer, succinctement, les développements de la nuit. Je me l’autorisais souvent, à vrai dire. Regagner l’extérieur pour avoir l’impression de respirer de nouveau, de me libérer de la prison que je me créais seule puisque les cellules du commissariat ne m’étaient pas réservées, qu’elles étaient déjà occupées. Mais survenaient ces moments où l’envie d’une cigarette supplantait les autres, toutes les autres, et où le goût d’ignorer les convenances, les obligations, les échanges avec la nouvelle unité qui était la mienne se faisait tout aussi puissant, tout aussi profond. Peut-être plus. Je les sentais arriver, ces instants, savais me montrer à l’écoute et m’y pliais sans attendre, retrouvant les abords du commissariat à l’extérieur, m’appuyant sur sa façade à l’est, la plus éloignée, celle qui échappait le plus aux regards des allées et venues de l’entrée du bâtiment, celle qui me permettait d’y garder un œil tout de même. Je me détachais finalement de mon appui et m’engageai de nouveau vers le seuil de l’édifice, écrasant au passage mon mégot au creux de l’éteignoir laissé à notre disposition juste avant de grimper les marches et de retrouver la fraicheur de l’accueil climatisé, d’un coup d’épaule sur la porte battante. Deux sous-officiers en permanence me saluèrent d’un air entendu et je leur répondis d’un geste bref, les dépassant sans plus attendre pour m’avancer vers l’escalier nous menant aux étages. Il n’y avait pas grand monde ce matin, au rez-de chaussée, quelques ivrognes ayant eu la nuit pour dégriser, en attente de papiers à signer pour retrouver leur liberté, un couple las de patienter que l’on accepte de prendre leur déposition sur un sujet inconnu.

Ils attendraient un moment, me semblait-il. Non loin du comptoir s’affairaient cinq agents en alerte autour d’un homme agité, nerveux, agressif même à en juger le tapage qu’il parvenait à créer à lui seul, l’attroupement d’officiers prenant position, prêts à le neutraliser si ses cris, ses plaintes, ses halètements venaient à s’exprimer au travers de ses gestes, de ses réflexes. « Monsieur, vous avez besoin d’aide médical. » Un haussement de sourcil presque amusé vint animer mon visage impassible alors que mes oreilles distinguèrent ces mots de l’un des agents mobilisés. Je ne l’étais pas, pourtant, amusée. Cynique tout au plus. Ennuyée peut-être même pour eux. Il était bien trop tôt, suffisamment pour que l’ingratitude de la tâche parvienne à me sauter aux yeux et je passai une main sur mon visage fatigué pour poursuivre mon chemin, atteignant enfin la première marche de l’escalier. « ENFERMEZ-MOI ! » Je suspendis mon impulsion et fronçai les sourcils, perplexe, avant de secouer lentement la tête en fermant les yeux. C’était stupide. Stupide et irrationnel de penser reconnaître cette voix en ces lieux. Mais l’injonction suppliante retentit de nouveau, sous d’autres mots peut-être mais tous imploraient le même souhait, tous se revêtaient des mêmes intonations. Arrête. Il n'y a aucune raison … Je retrouvais le sol de l’accueil sans y penser, m’avançant d’un pas dans la direction opposée. Pourtant, il s’agissait de sa voix. Il s’agissait de son timbre. J’avais entendu la mélodie vibrante de ses cordes vocales suffisamment longtemps pour les reconnaître, même après toutes ces années, même transcendée ainsi, même abîmée, même ravagée. Je m’approchais encore et m’arrêtais à quelques mètres, inclinant légèrement la tête alors que le matériel entreposé sur le comptoir échouait à nos pieds sous un élan convulsif de l’homme dont le visage me restait inconnu, dissimulé derrière les uniformes l’encerclant. Je pouvais encore faire marche arrière. Mais je percevais à présent sa respiration fiévreuse et torrentueuse aussi fort que les battements de mon cœur s’étaient mis à marteler ma poitrine. Cela n’avait pas de sens et j’inspirai avec réserve pour les calmer aussitôt, les réduire au silence. La scène s’accéléra alors, l’individu maitrisé et enserré contre le buste de l’officier réactif alors qu’il le retournait finalement pour le calmer, dans ma direction. Je plissai les yeux en retrouvant les traits familiers de Joseph sous le faible éclairage du plafond blafard. « Joseph. » murmurai-je pour moi-même. Mais ma voix, grave et sèche, résonna dans l’air ambiant. Mes pieds se mirent machinalement en mouvement, sans hâte, alors que je comblais les mètres qui me séparaient encore d'eux.

« Vous le connaissez, inspecteur ? » Mes doigts se crispèrent, contenant ma surprise, mon dédain face à cette dernière car je ne la laissais que très rarement croiser mon regard, mon recul également que je contrais, que je ne laissais pas s’exprimer car il l’avait déjà fait, de trop nombreuses fois, face à la silhouette de mon ancien ami. Il avait changé. Il avait de la barbe, à peine, mais moins taillée, moins soignée. Comme tout le reste, à première vue. Mes iris se chargèrent sûrement de répondre à ma place car l’officier resserra sa prise autour de lui pour le redresser davantage. Je réprimai un soupir et le mis en garde, d’un geste de main rigoriste. « Evitez de lui casser un bras, ça ferait mauvais genre. » Puisqu’il ne s’agissait que de cela, n’est-ce pas ? Que je me persuadais d’accomplir ces gestes dans sa direction par seul soucis d’obligation, de précaution également face aux difficultés au sein desquelles il venait de se jeter. Il ne s’agissait de rien d’autre. Ce n’était pas une histoire de proximité, d’intimité qui n’existait plus, de soucis que je ne me faisais plus à son égard, mais de nécessité. Et l’on ne luttait pas contre la nécessité. Je retrouvai son regard derrière ses cils ombrageux et n’esquissai pas un mouvement. Il m’était tellement facile de deviner son état de manque que cela me frustrait presque, me donnait envie d’abandonner, déjà, de les laisser s’occuper de lui. « Il va se calmer. » m’entendis-je tout de même préciser, d’une voix moins stricte, tout autant catégorique pourtant, relevant les yeux vers mon collègue pour appuyer mon affirmation. Il n’avait pas l’air en état de se calmer, il n’avait pas l’air en état de contrôler quoique ce soit en réalité mais avait-il réellement le choix ? Un autre que celui de maitriser ses ardeurs ? Le commissariat n’était jamais un endroit où se montrer dissident. « Qu’est-ce qu’on fait ? On le met en cellule ? » Je fronçai les sourcils. « C’est ce qu’il braille depuis qu’il est entré. » J’abaissai mes yeux en direction de son avant-bras ensanglanté avant de les relever finalement vers son ombre, me mordant l’intérieur de la joue d’un air contrarié. Pourquoi voudrait-il se faire enfermer ? Comment pourrais-je bien le savoir ? Je ne savais plus rien de lui, plus rien de sa vie, des afflictions contre lesquelles il semblait lutter, ou cesser de lutter plus exactement. J’observai ses gestes exaltés, ses prunelles qui fuyaient les miennes, et ses mèches désordonnées encadrant son visage souffreteux alors qu’il semblait concentrer ce qui lui restait de contenance sur chacun de ses mouvements. « Joseph ? » l’interrogeai-je finalement, d’une voix basse, calme. Qu’est-ce que tu veux ? Qu’est-ce que je suis supposée faire à présent ? Qu’il me le dise car j’étais divisée. Qu’il s’exprime car j’étais partagée entre l’envie de lui venir en aide, de n’importe quelle façon afin de ne pas le laisser livré à lui-même, inconscient au cœur d’un commissariat aux aguets, et celle de m’éloigner, désintéressée, comme je l’avais déjà fait auparavant, n’ayant jamais esquissé un mouvement en arrière sur le fil de nos souvenirs.

 


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Message(#)Broken [Liv&Jo] EmptyMer 18 Mar 2020 - 20:53

Un taureau indomptable galope, balance ses sabots vers l’arrière, vers l’avant, la fureur font de ses yeux deux billes rouges et brillantes, et les toréadors maintiennent leur garde, leur main fermement serrée autour de leur arme. L’animal enragé soulève le sable à coups de pattes et menace quiconque n’agissant pas selon ses désirs en gardant ses cornes rivées vers leur carotide, le poitrail gonflé et le regard bouillonnant de colère. Bien rapidement, un homme plus baraqué que lui – et il le faut – saute sur le moment parfait pour immobiliser ses bras dans son dos avant de fermement le maintenir contre lui. Joseph ne se calme pas pour autant parce que ce n’est pas la rage qui lui envoie ces décharges d’adrénaline dans les muscles mais bien le manque et, prisonnier d’une poigne plus forte que la sienne ou pas, l’électrisante envie de glisser l’aiguille continue de marteler son crâne. Il se met à fixer le plafond à la recherche d’un quelconque divertissement à offrir à sa cervelle, mais ce ne sont que de puissants néons qui lui agressent la rétine. Quand il rabaisse la tête pour protéger sa vue, son souffle se coupe violemment alors qu’il tentait pour une troisième fois de supplier les policiers de l’enfermer là où il ne pourra plus profiter d’une liberté dangereuse. La torsion dans son bras le fait grimacer et il maintient son dos aussi droit que possible parce qu’il sent que son épaule pourrait se déboîter au moindre faux mouvement. « Évitez de lui casser un bras, ça ferait mauvais genre. » Il ne peut pas reconnaître la voix de la jeune femme qui s’additionne à la scène, cinquième témoin de l’agitation matinale à travers une odeur de café encore chaud. Quelques mèches humides couvrent la moitié de son regard et Joseph semble avoir préféré fixer le vide plutôt que de supporter autant d’yeux rivés vers lui. Il n’est pas venu pour devenir la mascotte mais bien pour se retrouver seul là où la solitude ne pourra pas le tuer. Pourtant, alors qu’il usait de ses dernières forces pour lutter contre son envie de s’arracher les bras comme le ferait un animal coincé dans un piège à dents de métal, un regard noisette s’ancre au sien. L’effet est immédiat : son corps en entier se détend comme si une dose de stupéfiant était injectée dans ses veines. Il cligne doucement des paupières, libérant quelques larmes qui viennent épouser la forme de ses pommettes pour se nicher au creux de son menton. Comme si son instinct lui ordonnait de s’attacher à elle, il le fait. « Il va se calmer. » Devant elle, il revoit la jeune fille lui montrant fièrement son uniforme militaire, tournant sur elle-même pour en dévoiler chaque couture, chaque tissu, et un sourire nostalgique soulève la commissure de ses lèvres seulement l’espace d’une seconde : la voix rauque d’un policier qui n’en a rien à foutre le ramène dans le présent. Son sort est discuté et Joseph hoche machinalement la tête de bas en haut lorsque la possibilité de l’enfermer est soulevée. C’est tout ce qu’il désire. Olivia détache son regard du sien pour admirer l’œuvre d’un garçon en manque au bras couvert de sang mais il continue de fixer ses moindres mouvements comme s’il était seul avec elle. « Joseph ? » Son ton doux vient caresser ses tympans et un frisson traverse son échine. Un léger gémissement s’échappe de sa bouche lorsqu’il entrouvre les lèvres pour lui répondre mais il lui faut plusieurs secondes avant de retrouver sa faculté de prononcer un mot, comme s’il était de nouveau dans le corps d’un bambin trop jeune pour communiquer. De nouvelles larmes suivent la trajectoire des premières et se cachent elle aussi dans sa barbe négligée. Blafard, il réussit à souffler : « J’vais crever si vous ne m’enfermez pas. » Plus aucun filtre n’éponge la dureté de ses propos. S’il arrive en temps normal à camoufler son addiction derrière sarcasmes et boutades, ce matin, il a perdu cette facilité à masquer son mal être par des faux sourires. Il a trop mal pour faire semblant et son regard  est suppliant. « Liv, j’ai mal. » Son surnom lui revient à l’esprit si naturellement, comme si aucune année n’avait séparé leur amitié. Il ne sait pas ce qu’il se cache derrière les pensées de la jeune femme mais il est assez naïf pour croire que le temps a soigné la plaie saillante. Joseph a toujours eu cette facilité à tourner la médaille pour n’admirer que son côté brillant. « Inspecteur, il est complètement fou, ce n’est pas d’une cellule dont il a besoin mais bien d’aide psychologique. Il s’est mutilé. » que propose un policier qui a préféré préserver une certaine distance entre lui et la bête. Par réflexe, le jeune homme dont il est question secoue la tête en soufflant tout l’air par ses narines, se retenant d’exploser une seconde fois. « Incompétent. » C’est la seule insulte qu’il arrive à grogner parce qu’il n’a aucun autre moyen de défendre son cas. L’envie de se débattre à nouveau le titille mais son bras est encore dans une position inconfortable qui lui empêche le moindre mouvement brusque s’il désire préserver la santé de ses os.      
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Message(#)Broken [Liv&Jo] EmptyMer 25 Mar 2020 - 17:12


Olivia Marshall & @Joseph Keegan ✻✻✻ Les gémissements de l'inconnu me parvenaient de loin et il aurait été aisé de les ignorer, de rejoindre mon bureau sans y penser, de le laisser être pris en charge par mes collègues qui avaient déjà réussi à le maîtriser. Cela aurait été aisé, oui. Jusqu’à ce que cet inconnu ne le soit plus, étranger. Jusqu’à ce que le visage de Joseph ne se dessine sous mes yeux et que l’impression de faire désormais partie d’une réalité déphasée ne s’empare de moi. Les vibrations disgracieuses de ses plaintes perturbaient l’agent qui resserra sa prise et j’avais claqué la langue contre mon palais en lui adressant un regard froid pour le faire cesser. Pourquoi ? semblait-il m’interroger du regard. Mais oui, pourquoi, Liv ? Je me mordais l’intérieur des joues d’un air contrarié. Pour rien, va-t’en. Mon incapacité à suivre mes propres directives étaient déconcertantes. Je lui avais dit pourtant. Il s’agissait même là des derniers mots que nous nous étions échangés, des mots que nous nous étions appliqués à suivre à la lettre toutes ces années. Nous n’avions plus rien en commun, plus rien à faire dans la vie de l’autre. Et pourtant, il était là. Il s’était rué à l’intérieur du commissariat, sans grand espoir de succès, je ne pouvais imaginer l’inverse. Et je n’avais pas su l’ignorer. Son regard éteint et le désespoir sur son visage m’avait empêchée de faire l’inverse, avaient attisé nos souvenirs comme de vieilles braises mourantes et je venais de souffler dessus pour les rallumer à l’instant même où je m’étais adressée à lui de cette voix presque douce. « J’vais crever si vous ne m’enfermez pas. » Sa voix était différente, ses inflexions l’étaient également, son visage restait celui que je connaissais, celui que je m’étais pourtant laissé le temps d’oublier mais il ne l’éveillait pas de ses expressions familières. Il ne le ranimait pas alors même qu’il l’ancra dans le mien, comme un repère qui n’avait plus lieu d’être, un repère dont il espérait la résurrection. Je ne fondais mes pupilles dans les siennes que pour deux raisons précises, quant à moi. Qu’il garde son calme, tout d’abord, ou je ne pourrais plus rien faire. Pour y sonder, enfin, une dilatation excessive que je ne trouvais pas. Je pouvais me détourner et ne leur donner aucune directive, tourner sur moi-même et disparaître sans me soucier de ce qu’il finirait par faire, ou non, ce qu’ils finiraient par faire céder, ou non, ce qu’il finirait par dire qui déciderait de son sort ou non. Je pouvais partir. « Liv, j’ai mal. » Ou non. Les intonations qu’il mit dans mon prénom firent écho un instant, balayés par les souffles désordonnés autour de nous avant de venir résonner dans mon esprit avec hardiesse. Je n’avais plus l’habitude de l’entendre de sa bouche, de son timbre. Il n’y avait plus rien d’habituel entre nous, dans nos liens ébranlés et nos accents du passé. Pourquoi cela parvenait-il ainsi à rallumer une lueur fragile au sein de ma poitrine, comme si, le temps d’un instant, il m’était nécessaire de nous laisser le droit de laisser le reste de côté. Je n’étais pas faite pour ignorer les appels aux secours. Même les siens. Et si cette dernière précision ne faisait qu’éveiller en moi que de profonds ressentiments, je ne pouvais pas lutter contre.

« Inspecteur, il est complètement fou, ce n’est pas d’une cellule dont il a besoin mais bien d’aide psychologique. Il s’est mutilé. » Joseph sembla lutter pour réprimer de nouveaux sursauts d’humeur et j’anticipais la réaction de l’agent et levant le bras, la paume relevée dans sa direction sans même le regarder. « Incompétent. » Oh qu’il n’avait pas tort sur ce point. Je ne pouvais pas le lui signifier en ces termes, ceci dit. « On se passera de votre diagnostic psychologique même aussi subtil que le vôtre, si vous le voulez bien. » Mais en ceux-là, peut-être. Mon ton restait placide, mes mots l’étaient nettement moins mais il ne fallait pas qu’il le prenne personnellement. J’avais l’habitude d’être tranchante lorsque j’étais prise de court. « Il y a des médecins qui seraient bien mieux placés que nous pour décréter de la folie de quelqu’un. » Les choses avaient changé. Et avec, ma manière de les appréhender. Je savais que je ne les gérais pas toujours de la bonne manière mais c’était pourtant ce qui me permettait de rester ici, face à eux. Avant June, je l’aurais ignoré, Joseph. Avant June, je n’aurais pas décidé de prendre son parti. « Il n’en fait pas la demande. Et tout ce que je vois là, c’est un homme agressif qui s’en est pris à plusieurs de vos agents. » J’aurais aimé pouvoir croire en mes paroles, autant que mes intonations intransigeantes le laissaient paraître. J’aurais aimé pouvoir croire qu’il ne s’agissait chez lui que quelques minutes d’une fatigue, d’une colère, d’un désespoir trop lourd. Qu’il n’en avait pas le monopole et qu’il ne méritait pas que je m’attarde sur lui plus que sur tous les autres qui franchissaient le pas de cet immeuble. Mais je n’y parvenais pas. Il y avait autre chose et il s’agissait là d’une certitude que j’avais du mal à expliquer. « Ça mérite bien un tour en cellule le temps de s’assurer qu’il ne soit plus un danger pour qui que ce soit. » Pour lui, surtout. Puisqu’il le formulait ainsi. Mais il ne s’agissait pas là de la plus évidente des idées à défendre. S’il se menaçait, lui, il ne s’agissait pas de notre ressort. S’il menaçait les autres, je pouvais plaider sa cause. Je m’approchais de Joseph quand tout en moi me hurlait de faire l’inverse. Mais le combat de la raison et du sentiment était stupide, ce n’était plus une surprise. « Tu as de la chance, il y en a des vides à cette heure-ci de la journée. »

L’officier n’avait pas répliqué avec plus d’objections que cela. Je l’avais observé redresser Joseph sans précautions mais ne m’étais pas interposée davantage non plus. Le tumulte en lui semblait s’être calmé dès l’instant où il avait compris qu’on le mettait en marche dans les couloirs du commissariat, que l’on accédait à sa demande, ou aux miennes, le résultat restait le même. Le claquement sec des barreaux en fer résonna dans la pièce vide alors que l’agent refermait la porte de la cellule sur le corps avachi de Joseph. Il sembla m’attendre, une seconde, avant de croiser mon regard qui lui fit comprendre que je resterais là, qu’il pouvait partir. Bientôt, nous ne furent plus que deux, face à face, séparés par une ligne d’acier noir et je restai immobile, observant Joseph se battre contre les maux qui tentaient de lui dicter sa conduite. Un profond silence avait retrouvé ses droits entre nous et l’obscurité du fond de la pièce semblait se pencher lentement sur son visage perclus. J’avais déjà franchi les limites de l’acceptable, souvent, mais je ne m’étais encore jamais laissée envahir par la culpabilité comme à présent. Une culpabilité que je détestais car je n’étais pas celle qui l’avait provoquée. Je n’étais pas celle qui avait enchaîné les mauvais choix. Tout venait de lui, et seulement de lui. « Tu n’aurais pas dû venir ici. » finis-je par prononcer simplement, en m’avançant d’un pas, m’arrêtant juste devant la cellule en plissant les yeux. Je sortis un paquet de mouchoirs que j’avais subtilisé à l’accueil avant de les suivre dans les couloirs et lui tendis au travers des barreaux sans rien lui préciser. Pour ton bras. « Pourquoi tu l’as fait ? » fut tout ce que je m’autorisais pourtant à rajouter. Qu’est-ce qu’il t’arrive ? Je me surprenais à penser qu’il s’en octroie le droit à son tour. Celui de m’envoyer ailleurs, celui de me rejeter comme je l’avais fait, celui de me dire que j’arrivais trop tard et qu’il ne me devait aucune explication. Cela aurait été plus simple, pour moi. Cela m’aurait permis de tourner les talons, de mettre mon égoïsme sur le dos de sa rancœur puisque je semblais incapable de m’en aller, moi-même.


 


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Message(#)Broken [Liv&Jo] EmptyJeu 26 Mar 2020 - 19:32

Il n’a probablement pas fait le bon choix en défonçant les portes du commissariat et en se montrant agressif. Il n’a jamais pensé que les policiers l’accueilleraient à bras ouverts avec un large sourire et un verre d’eau accompagné d’anti-inflammatoires mais il n’a pas les neurones assez connectées pour réaliser qu’il ne sortira pas d’ici seulement après une petite sieste réparatrice. Il a ouvert son bras par inadvertance – un exploit réalisable seulement parce quelqu’un qui a les pensées beaucoup trop parasitées et qui n’arrive plus à sentir la douleur d’une plaie saillante – et a montré des signes d’hostilités dans le but de se faire enfermer derrière les barreaux, dans le but de se protéger de sa propre volonté. Il connait son corps et ses réactions involontaires lorsque l’appel de la cocaïne résonne contre ses tympans : il a déjà déformé le visage d’Alfie et réduit en miette la porte de la salle de bains de Deborah, à deux centimètres de son visage. Il ne peut plus supporter l’idée qu’il n’arrive plus à prendre le contrôle de ses propres rênes et s’est réduit à penser que seuls les barreaux l’empêcheront de commettre une énième erreur. Alors il espère secrètement que ses désirs soient écoutés par les oreilles incompétentes des flics qui ne savent pas comment réagir, probablement pour la première fois confrontés à un cas comme le sien. Ce n’est pas tous les gens qu’un homme vient supplier de se faire enfermer, encore moins un homme qui a déjà fait son temps en prison et qui connait un peu trop les supplices de l’enfermement. Mais Olivia est là et elle pourrait comprendre : c’est la pensée à laquelle il s’attache quand il peut enfin voir le regard noisette de cette personne qui a trop longtemps compté pour lui mais qui a laissé le temps les séparer – ainsi que les différences mais, ça, Joseph n’a jamais pu accepter la décision de son amie quand elle a rebroussé chemin sans se retourner. Il pensait qu’ils étaient liés par quelque chose de plus puissant que les apparences, il pensait qu’elle le connaissait plus qu’il ne se connait lui. Mais, la rancune, le jeune homme ne la connait pas et là est une de ses plus grandes qualités (ou défaut) : il pardonne parce qu’il aime plus que la surface. Olivia est toujours restée dans son cœur même le jour où elle l’a rejeté comme elle aurait jeté une pelure d’orange aux ordures. « On se passera de votre diagnostic psychologique même aussi subtil que le vôtre, si vous le voulez bien. » L’agité baisse la tête alors que ses lèvres se pincent. Elle a pris son partie, du moins, pour le moment. Peut-être le fait-elle pour l’aider ou parce qu’elle pense que c’est la meilleure chose à considérer. Il ne saurait dire mais les faits sont là : elle a décidé de le défendre contre le diagnostic précoce de celui qui ne détient pas de diplôme en psychologie mais seulement une arme à feu prête à se faire agripper. Ce n’est pas d’un hôpital dont il a besoin, en ce moment. C’est de perdre ses moyens. Devant l’autorité de la jeune femme, les policiers décident de se taire en s’échangeant des regards sceptiques. Olivia a pris le contrôle sur la situation en un claquement de doigt. Seule sa voix s’élève à présent et Joseph a l’impression d’avoir gagné dans sa défaite. « Tu as de la chance, il y en a des vides à cette heure-ci de la journée. » Ses yeux creux et noirs se redressent pour se plonger dans ceux de l’inspectrice qui s’est approchée de lui. Sa respiration se fait soudainement plus calme parce que ses paroles et sa présence le rassurent. Après avoir difficilement avalé sa salive pâteuse, il hoche doucement la tête pour lui faire part de sa reconnaissance. « Merci. » Il murmure juste avant de se faire traîner vers l’une de ces fameuses cellules disponibles.

Le confort du matelas est reprochable mais Joseph garde ses fesses posées dessus en posant ses coudes sur ses genoux. Plus personne ne le restreint à l’immobilité mais, se sachant emprisonné, le jeune homme ne ressent plus le besoin de s’agiter dans tous les sens pour se battre contre ses propres démons. Il prend sa tête entre ses mains en enfonçant ses ongles dans son crâne, les yeux fermement clos pour empêcher la moindre lumière d’agresser sa rétine sensible. Il se croit seul et il remercie une deuxième fois Olivia à voix basse et, étonnamment, sa voix sévère se soulève dans sa solitude. Joseph relève légèrement la tête pour voir la silhouette de son interlocutrice et il la fixe en silence jusqu’à ce qu’elle lui tende un mouchoir à travers les barreaux. Muet, il l’observe ainsi que son mouchoir et il étire finalement son bras vers elle pour atteindre son cadeau. Il ne pense pas aux plaies ouvertes sur son membre mais son instinct le pousse à poser le mouchoir sur son avant-bras, là où il sentait une sorte de picotement. Le fin tissu s’imbibe du liquide écarlate. « Pourquoi tu l’as fait ? » Il entrouvre les lèvres et sa respiration se fait tremblante. Il cligne des paupières pour réajuster sa vue embrouillée. « J’aurais aimé pouvoir te rendre fier de moi. » Il dit, évitant sa question parce qu’il n’a aucune réponse à donner. C’est son instinct qui l’a guidé jusqu’ici. Sans ça, il aurait probablement succombé aux supplications de son corps en détresse. « Je suis désolé de t-t’offrir un tel spectacle mais sache que je serais v-venu même si j’avais s-su que tu étais là. » Sa gorge se noue, il passe nerveusement sa main dans ses cheveux pour les ramener vers l’arrière, un réflexe qu’il a toujours eu et dont Olivia a pu être témoin quand il était un jeune adolescent intimidé par la grandeur de la vie. « Je savais que t-tu allais m’aider. » Il admet de façon presque égoïste : il n’a pas l’impression qu’il est le seul à sentir ce lien incassable entre eux.    
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Message(#)Broken [Liv&Jo] EmptySam 28 Mar 2020 - 20:12


Olivia Marshall & @Joseph Keegan ✻✻✻ Il m’avait remercié et cela non plus, il n’aurait pas du. Non pas parce que cela n’avait fait qu’attiser un peu plus les ressentiments des agents présents à mon encontre. Qu’une inspectrice semble plus disposée à s’adapter au bon vouloir d’un potentiel détenu qu’à crédibiliser leur autorité n’était pas chose aisée à accepter. Pas non plus parce que l’inspectrice en question était moi et que je n’avais pas besoin de messes basses supplémentaires pour renforcer le nébuleux de ma réputation et le trouble qui entourait à présent ma personne et les décisions que je prenais. Il n’aurait pas du car je n’étais pas certaine qu’il le puisse, encore, qu’il ait quoique ce soit de tangible de ma part sur lequel s’appuyer afin de me témoigner une once de reconnaissance. Pourquoi n’était-il pas plus tenace, plus rancunier à mon encontre ? Pourquoi persistait-il à m’accorder ainsi le bénéfice du doute, encore et toujours, comme s’il continuait de s’accrocher à l’adolescente affectueuse qu’il avait connu plutôt qu’à cette femme distante que je ne cessais de lui présenter ? Parce qu’il s’agit de Joseph, tout simplement. Et qu’il était comme ça : magnanime et d’une intelligence humaine à désespérer tant elle était sincère et subtile. Mais cette voix, je refusais encore de l’entendre, d’en accepter les remarques car ces dernières se fondaient sur la seule et unique certitude que je ne voulais plus assumer : notre amitié, même révolue. Mon regard se posa sur la couchette qu’il avait tant semblé désirer, celle-là même qui ne tarderait pas à devenir sa seule compagne pour les heures à venir sans qu’il n’ait l’air de s’en indigner. Au contraire, pensais-je en le voyant s’y laisser tomber, presque soulagé. Ses ombres s’opposaient aux recoins lumineux que la porte encore entrouverte derrière nous se plaisait à dévoiler à son regard comme pour le narguer de ce qu’il venait d’abandonner. J’allais la fermer avec lenteur, y appuyant ensuite mon dos un instant, consciente qu’il m’était nécessaire d’imposer le silence pour retrouver les songes flegmatiques qui maintenaient éveillé mon esprit fatigué d’une nuit passée en service. Mais nos seules respirations résonnaient à mes oreilles dans un chaos désordonné, la mienne lente et régulière, la sienne plus rythmée, plus erratique. Était-ce normal de les percevoir tout de même sous les mêmes consonances ? Non, absolument pas. Je m’y étais refusée, avais fait taire cette nouvelle pensée en l’approchant, en reportant mon attention sur son bras dont je n’arrivais pas à percevoir l’étendue des dégâts tant qu’il n’aurait pas eu l’occasion de le nettoyer. Je ne voulais pas qu’il se rende compte que je m'y attardais non plus, l’avais interrogé sur le reste en attendant.

« J’aurais aimé pouvoir te rendre fier de moi. » Sa mâchoire trembla et je plissai les yeux afin d’adopter une expression plus dégagée. Je refusais de ressentir les supplices d’une émotion qui semblait le submerger, lui. Je refusais de me laisser aller devant celui que j’avais un jour idéalisé. L’un des premiers qui avait vu en moi, l’un des premiers à qui … Non. Quelle était notre dernière réelle conversation ? Qu’avions-nous échangé avant mon retour lors de cette fameuse permission, celle qui avait mis un terme à tout ce qui pouvait bien nous lier ? Je n’en gardais aucun souvenir. Ce n’était plus qu’un écho, un bruit fugitif qui, au bout d’un certain temps, avait fini par s’éloigner. De sorte que finalement, il disparut complètement, non seulement de mon champ de vision, mais aussi de mes pensées. N’est-ce pas ? « Je suis désolé de t-t’offrir un tel spectacle mais sache que je serais v-venu même si j’avais s-su que tu étais là. » Il avait l’œil sombre et brillant. Ou peut-être était-ce le mien que j’apercevais dans le reflet des siens. Peut-être les siens ne parvenaient à refléter rien d’autre que le vertige et l’aversion, m’empêchant d’y assimiler le moindre rayon susceptible de pouvoir me raccrocher à la personne que j’avais connue. Je croisais les bras sans répondre comme si, ainsi, il m’était plus aisé de continuer de prétendre que tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. « Je savais que t-tu allais m’aider. » Un froncement de sourcils vint animer mon visage alors que je répliquai sobrement et presqu’aussitôt. « Qu’est-ce que t’en savais ? » Et la question était réelle même si prononcée d’une telle manière que je semblais le contredire froidement. Nous avions pris la peine de tout détruire. Ou m’y étais-je employée seule, semblait-il me dire ainsi. Le pire résidant sans doute dans le fait que je l’avais fait à merveille. « Toi et moi, qu’est-ce qu’on sait l’un de l’autre aujourd’hui ? » précisais-je, presque lasse. Rien. Nous nous en étions assurés en ne faisant jamais marche arrière, en ne reprenant jamais ni nos mots ni nos actions, en laissant les années creuser le gouffre qui nous séparait à présent. Nous n’avions rien fait pour pouvoir aujourd’hui nous tenir face à face et prétendre pouvoir anticiper les réactions de l’autre. « Ou même hier puisqu’on y est. Rien apparemment. Ou pas suffisamment pour ne pas se retrouver dans cette situation. » Et cela, c’était sans doute plus acerbe. De nier le reste, de réécrire l’histoire mais puisqu’il pensait si bien me connaître, encore aujourd’hui, alors devrait-il s’y attendre. Mes instincts de préservation étaient devenus plus acérés que jamais. Je reniais pour me protéger. J’ignorais pour garder le contrôle.

Je fis rouler mes omoplates sous la peau de mon dos et inspirai profondément en relevant les yeux vers le plafond terne. « Tu ne devrais pas te soucier de ce que je pense de toi. » repris-je après un instant, consciente qu’il s’agissait là des mots les plus sincères que je me permettais d’exprimer depuis le début de notre échange. Il ne devrait pas, non, y accorder la moindre attention, le moindre crédit. Il ne devrait pas m’accorder cette importance alors que j’avais rejeté la sienne, des années auparavant. « Ça devrait même être le dernier de tes soucis vu ton état, et si tu savais … » Je m’interrompis sans finir, laissant mourir les mots au creux de mes lèvres. Sans doute s’agissait-il de cela également. Il ne devrait pas m’accorder cette importance pour toutes les raisons qui précédaient, certes. Mais également car je n’étais plus une personne dont le jugement pouvait être acceptable. Je n’étais pas certaine de l’avoir jamais été : irréprochable, je ne l’étais pas jadis. Je l’étais encore moins aujourd’hui. Mais cela, je ne pouvais pas lui dire. « Que tu deales, ça ne serait plus une surprise, Joseph. » Alors, je reprenais, différemment. Je choisissais un nouvel angle, à peine accusateur malgré ce que mes mots laissaient à penser. Ils disaient la vérité. J’avais été surprise à l’époque. Mais s’il m’annonçait aujourd’hui ne pas s’être repris, tomberais-je de haut de nouveau ? Absolument pas. Malheureusement. « Mais que tu en viennes à ça … » J’inclinai le visage lentement alors qu’il trouvait à peine la force de me regarder et que celle de lui dire que je comprenais me manquait. Cela ressemblait à du jugement, oui. Pourtant, je les connaissais, les trous, les privations que nous ne pouvions qu’avoir du mal à exprimer. « Qu’est-ce que tu aurais fait ? Si j’avais refusé, si on t’avait renvoyé dehors ? » Il en aurait crevé ? Ses mots me revenaient en tête sans que je ne parvienne ni à les accepter ni à les expliquer. Mais j’étais là, n’est-ce pas ? Toujours, n’ayant pas encore trouvé la détermination de m’en aller. Alors qu’il me l’explique lui, ce qui l’avait amené à ce point de non-retour.

 


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Message(#)Broken [Liv&Jo] EmptySam 28 Mar 2020 - 21:18

La douleur est omniprésente parce que Joseph se déteste d’avoir été si convaincu que son amie, fantôme d’un passé pas encore sali, lui tendrait la main. Il a été égoïste de penser valoir autant à ses yeux parce qu’il n’a jamais mérité cette attention qu’il a obtenu de sa part, quand elle était encore trop jeune pour remarquer que Joseph faisait partie des faibles et de ceux qui abandonnent sans lutter. Il s’est armé d’un sourire en lui cachant la vérité pendant trop longtemps. Son état de détresse, sa position vis-à-vis d’une Brisbane qui l’écrasait de sa semelle, misérable insecte qu’il était. Il n’avait rien, pourtant il voulait qu’Olivia croie qu’il fallait l’écouter, lui et ses boutades, lui et ses conseils qu’il n’a pas suivis, lui et ses yeux brillants seulement éclairés par des larmes retenues. Il a été le modèle, l’épaule sur laquelle se poser, la main à attraper en cas de chute et, pourtant, il l’a déçu. C’est ça qui a fait le plus mal, au fond : elle s’est sentie trahie par celui qui lui promettait succès et bonheur, deux éléments que lui seul, et il le savait, ne pourrait jamais toucher.

Il l’a trahie en portant un masque quand elle revenait le voir, vêtue de son uniforme vert qui faisait d’elle une vraie soldate. Elle avait appris la sagesse et il avait plongé dans la facilité. Mais il n’aurait jamais eu le courage de lui avouer que l’école ne l’a pas retenu très longtemps et que ce trou qu’il avait dans son cœur n’allait pas se fermer à coups d’études et d’examens. Il a craqué et elle a persévéré. Ses conseils, elle les a suivis sans que lui n’ait le courage de la suivre à son tour. Il ne mérite pas sa générosité, aujourd’hui. Et c’est pour ça qu’il se déteste de penser le contraire.

Olivia s’empresse de l’interroger sur un ton plus sévère qui ne surprend pourtant pas le malade derrière les barreaux. Il l’accueille contre ses tympans, sa voix, car elle le berce et le replonge dans cette rivière qu’ils avaient fait leur. « Toi et moi, qu’est-ce qu’on sait l’un de l’autre aujourd’hui ? » Il ferme les paupières pour concentrer ses pensées, pour s’empêcher de se libérer de la situation en rêvassant. Il est fatigué, Joseph, et l’appel de la cocaïne insiste. Mais, cette fois, il a le courage de fermer la porte parce qu’il sait qu’il est maintenant en sécurité là où il a toujours craint de remettre les pieds. « Ou même hier puisqu’on y est. Rien apparemment. Ou pas suffisamment pour ne pas se retrouver dans cette situation. » Une larme coule sur sa joue, larme de tristesse ou de douleur, et il l’essuie rapidement du revers de la main en redressant enfin la tête vers Olivia, silhouette découpée par le mur blanc derrière elle. Elle semble tellement plus mature : ses lèvres ne s’étirent plus en un sourire naïf, celui qu’il adorait lui arracher parce qu’il lui faisait oublier les maux. Il a toujours été comme ça, Joseph. Pas un médecin, pas un psychologue, mais plutôt une sorte de baume qui cache les problèmes plutôt que de les faire disparaître. Malheureusement, on ne trouve pas carrière en se prétendant « baume ». « On sait l’essentiel. » Il s’accroche à son regard avec difficulté, soudainement intimidé de réaliser qu’il est tellement plus bas qu’elle. « Tu as toujours été passionnée, lumineuse, et moi j’ai toujours fait semblant. » Il esquisse un sourire dénué d’émotion et un gloussement soulève sa poitrine avant qu’il n’ajoute : « Ça nous a mené où on est aujourd’hui alors, au fond, on n’a pas v-vraiment changé. » La fin de sa phrase est coupée par un soubresaut qui traduit sa déception vis-à-vis de ses propres propos : il n’a pas changé. Il est resté le jeune garçon au grand cœur qui prend les mauvaises décisions et qui réfléchit après avoir commis un geste. « Tu as encore un uniforme, tu intimes l’ordre. » Il se redresse légèrement pour présenter ses vêtements délavés : « Je porte ce que mon argent peut m’offrir et je fais semblant de m-mener une vie incroyable. » Sauf que, dans le moment présent, il n’arrive pas à jouer la comédie, et son faux sourire se casse en même temps qu’un frisson traverse son échine. Il se replie sur lui-même, posant à nouveau ses coudes sur ses genoux. « On a pas changé. » Qu’il répète, les lèvres tremblantes et la voix nouée.

« Tu ne devrais pas te soucier de ce que je pense de toi. »
La curiosité prend le dessus sur sa peine et il relève les yeux pour découvrir Olivia qui a préféré fixer le plafond, probablement incapable d’affronter la situation en face. « Ça devrait même être le dernier de tes soucis vu ton état, et si tu savais … » Les gens le voient. Il est devenu impossible pour lui de se trimbaler dans les rues sans que les yeux ne se tournent. S’il arrivait avant à ne prendre l’apparence que d’un rebelle adolescent ignorant les ordres de ses parents, aujourd’hui il n’a plus l’âge de trouver des raisons pour camoufler sa situation précaire. À trente-six ans, on a bâti une carrière, on a formé une famille ou on a touché ses rêves. Du moins, c’est ce que laisse entendre les rumeurs qui banalisent les choix de vie différents. « Je m’accroche à certaines choses. Ça me permet de me l-lever le matin. Je n’ai jamais cessé de te considérer comme l’une de mes amies. C’est égoïste, peut-être, c-considérant ce que je t’ai fait, mais c’est c-comme ça. » Comme la pluie tombe à un moment ou à un autre, comme la terre tourne pour se cacher du soleil, comme le chat lisse ses poils : Joseph est né avec cette faculté de ne voir que le bien à travers le mal. C’est probablement pour cette raison que, lorsqu’un criminel lui a tendu la main, il n’a vu qu’une nouvelle famille prête à l’accueillir. « Que tu deales, ça ne serait plus une surprise, Joseph. »  J’ai fait bien pire. Il ne peut s’empêcher de le penser en frottant de ses doigts les points de suture encore frais sur ses phalanges. Le dire à voix haute signerait sa détention à perpétuité.  « Mais que tu en viennes à ça … » Son visage se déforme en une grimace de dégoût qu’il cache en passant sa main dans sa barbe négligée. Elle lui pose la question qui ne possède aucune réponse et sa voix se remet à trembler davantage quand il trouve assez de courage pour répondre : « C’est justement p-pour cette r-raison que je suis v-venu ici. Il n’y avait pas d-d’autres options. Les d-détails, je ne les ai p-pas. » Ce qu’il aurait fait si les policiers l’avaient rejeté dehors, s’il n’avait pas couru assez vite pour se rendre au commissariat, il préfère ne pas y penser. La mort ne l’a jamais attiré, il l’a toujours craint, mais il a aussi toujours craint de la désirer. « Je suis malade. » Il admet enfin à haute voix pour la première fois de sa vie. « Aucun m-médecin ne pourrait me diagnostiquer mais j’crève à p-petit feu. » Il profite de quelques secondes de silence pour s’accrocher à nouveau au regard déstabilisé d’Olivia. « J’en ai v-vendu pendant trop longtemps. Je s-sais ce que la drogue fait. » Son amie, son ennemie, sa dépendance, son dégoût. « Mais j’ai toujours cherché à ressentir ce que toi tu ressentais quand tu me racontais tes journées, tes aventures, la fois où un chien est entré dans ton école et que personne n’arrivait à le rattraper… » Un rire nerveux fait vibrer sa gorge mais il perd rapidement son sourire. « Tu semblais… Heureuse. »
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Message(#)Broken [Liv&Jo] EmptyLun 30 Mar 2020 - 12:33


Olivia Marshall & @Joseph Keegan ✻✻✻ Je n’avais pas envie de lui en vouloir. Pas plus que celle de nous pardonner quoique ce soit, de faire table rase du passé. C’était sans doute cela qui nous manquait. Puisque je l’imaginais empreint de la même distance à mon égard, il n’avait jamais rien entrepris suggérant le contraire. Et pourtant, il était là et la rancœur également, au fond de moi. Il déchirait et ouvrait les tourments qui avaient agité mes pensées torturées bien trop longtemps, l’imaginant au froid de sa solitude, les déposait à nos pieds sans une hésitation. « On sait l’essentiel. » Et c’est quoi l’essentiel, Joseph ? « Tu as toujours été passionnée, lumineuse, et moi j’ai toujours fait semblant. » Ce n’était pas cela, en tout cas. Je cillai lentement car je n’arrivais pas à nous reconnaître dans ce qu’il décrivait à présent. Je l’avais connu lumineux, l’avais laissé derrière moi plus ambivalent, mais c’était un homme brisé que je retrouvais à présent. Et j’avais beau me détacher de son regard afin d’observer les murs de sa cellule, je ne faisais qu’y retrouver la même chose. Ils étaient recouverts d’un vieux crépi gris, rongé par le temps et les fissures que jamais personne n’avait trouvé essentiel de réparer, de colmater. Avions-nous fait pareil de notre relation ? Avais-je failli de ne pas être à ses côtés ? Non, il s’était éloigné de lui-même. Il connaissait mon histoire, mes valeurs, avait menti en les prétendant siennes également et avait tout saccagé en choisissant de leur tourner le dos. C’était moi qu’il avait renié en agissant ainsi, pas l’inverse. Il pouvait toujours prétendre le contraire, aujourd’hui, me regarder comme celle qui n’avait pas su voir en lui, voir au-delà. Mon être tout entier avait appris à se calciner, à demeurer hermétique face à ce qu’il refusait d’assumer. « Ça nous a mené où on est aujourd’hui alors, au fond, on n’a pas v-vraiment changé. » Je plongeai une main dans mon paquet de cigarettes afin d’en cueillir une et de la replanter entre mes lèvres sans en enflammer le bourgeon de nicotine. Détestait-il toujours autant cela ? J’y avais fait attention, autrefois, pour ne pas l’indisposer, pour ne jamais lui montrer quoique ce soit susceptible d’altérer l’image qu’il avait de moi, trop effrayée qu’il ne s’en éloigne. Mais aujourd’hui, il avait fait pire, n’est-ce pas ? Aujourd’hui, le tabac devait lui sembler bien mince face à qu’il avait fait subir à son propre corps. Je le toisais, non pas indifférente mais en suspens, car les larmes traçaient des lignes invisibles sur ses joues mal rasées, des lignes sur lesquelles il devait continuer d’écrire ses répliques car je ne savais pas quoi répondre. Car je ne savais plus m’adapter, à lui. Je l’avais fait partir et voilà que c’était à son tour de me retenir. Peut-être savait-il précisément à quel point il ne s’agissait pas d’une mince affaire me concernant mais il y parvenait tout de même. « Et c’est supposé être une bonne chose ? » Peut-être parviendrait-il à voir au-delà de cette réponse implacable de ma part, celle au sein de laquelle je ne parvenais toujours pas à insuffler la moindre nuance de douceur.

« Tu as encore un uniforme, tu intimes l’ordre. Je porte ce que mon argent peut m’offrir et je fais semblant de m-mener une vie incroyable. On a pas changé. » La cigarette quitta mes lèvres, toujours éteinte, pour retrouver le carcan de mes doigts. J’ignorais quoi lui dire pour le contrer, lui dire qu’il avait tort. Tort de lever sur moi ses grands yeux vides qu’ils parvenaient toujours à teinter, sous le joug d’un aveuglement incompréhensible, d’une jolie expression comme si je le méritais encore. Il n’y avait plus aucun élément de ressemblance entre nous, non. Nos langages n’avaient plus aucun mot en commun. Rien de ce qui lui apparaissait comme important ou sacré ne pouvait plus l’être pour moi. L’ordre, la déchéance, les faux-semblants, les nécessités. L’amitié. Les devoirs. J’étais perdue au milieu des ruines de sentiments majestueux et de leur contraire, ne sachant plus de quel côté accepter de basculer. « Peut-être qu’on aurait dû. » Et l’euphémisme était ironique même si rien dans mon ton ne laissait de place à la dérision. Nous aurions dû faire tout l’inverse. Jamais n’aurais-je pensé nous retrouver un jour dans cette situation. Lui derrière les barreaux, moi le surplombant. Mais à quinze ans, que savions-nous réellement ? « Je m’accroche à certaines choses. Ça me permet de me l-lever le matin. Je n’ai jamais cessé de te considérer comme l’une de mes amies. C’est égoïste, peut-être, c-considérant ce que je t’ai fait, mais c’est c-comme ça. » La mémoire était cette force en mouvement qu’il semblait décidé à armer. Mais il faisait appel à une qui s’épanchait dans des souvenirs que mon esprit avait su brider il y a longtemps. Il en avait éteint d’autres. « Tu ne m’as rien fait. » Je fronçais les sourcils, le reprenant sur ce point-ci, comme si je ne lui autorisais pas, pas même cela : surestimer l’impact qu’il avait eu dans ma vie. Tenant au mensonge comme à ma fierté. « Tu penses vraiment que c’est de ça dont il s’agissait ? Tu ne me devais rien. La seule personne que tu as laissé tomber, c’est toi. La seule personne à qui tu as tourné le dos en te gâchant, c’est toi. » Et pour quoi ? Pour ça. « C’est justement p-pour cette r-raison que je suis v-venu ici. Il n’y avait pas d-d’autres options. Les d-détails, je ne les ai p-pas. » Et cette voix qui tremblait parce qu’il ne parvenait plus à la retenir, cette faiblesse apparente qui prenait le dessus sur son enjouement habituel. Je ne l’avais plus vu d’aussi près depuis des années mais malgré la distance, malgré les reproches, c’était ainsi que j'avais continué de l’imaginer, contenté et fier. Il avait pris les décisions qui s’imposaient pour cela, celles que j’avais méprisées, celles que j’avais rejetées mais au moins allait-il bien. À quel point m’étais-je trompée pour qu’il apparaisse ainsi à l’aube de cette journée ?

« Je suis malade. » Il l’était. La grisaille lui avait transpercé le cœur à lui aussi, mais il saignait comme jamais auparavant aujourd’hui et venait panser ses blessures sur les lieux d’un crime, ou au sein de l’un qui n’était pas capable de pardonner les siens. « Aucun m-médecin ne pourrait me diagnostiquer mais j’crève à p-petit feu. » Mon poing droit vint machinalement se replier sur mes doigts et je le serrais, fort. Peut-être trop fort. « J’en ai v-vendu pendant trop longtemps. Je s-sais ce que la drogue fait. Mais j’ai toujours cherché à ressentir ce que toi tu ressentais quand tu me racontais tes journées, tes aventures, la fois où un chien est entré dans ton école et que personne n’arrivait à le rattraper… » Un rire vint secouer ses épaules dont la froideur contrastait avec les souvenirs qu’il évoquait, avec mes souvenirs de lui. « Tu semblais… Heureuse. » Peut-être l’étais-je quand je parvenais à m’échapper, quand nous nous retrouvions dans ses refuges et que je choisissais de le faire rire plutôt que de l’inquiéter. Peut-être qu’il parvenait, sans même s’en rendre compte, à me faire oublier la morosité des lendemains sans espoir que l’on me forçait à vivre chez moi. Mais il y avait tout le reste qui était tu, tout le reste qu’il semblait désireux d’ignorer aujourd’hui alors qu’il l’avait su, dès le début. J’en étais persuadée. « On était des gamins. » répliquai-je froidement. Je haussai les épaules en continuant. « Des gamins paumés. » Mes souvenirs se condensaient dans mon esprit comme une nuée de poussière créée par un effet de mémoire qu’il avait provoqué. J’aurais voulu ne rien conserver du passé, ou comme lui, seulement quelques images décousues et des éclats de rire lointains. Mais nous avions omis l'important suffisamment longtemps. « Des gamins qui auraient mieux fait de chercher de l’aide ailleurs parce qu’ils avaient besoin de la même. On le savait tous les deux. » Trop longtemps pour que cela nous rende service, je m’en rendais compte aujourd’hui et l’évoquais enfin, à demi-mots. Il s’agissait déjà de bien plus que tout ce que nous ne nous étions jamais permis. Il ne l’avait pas compris, ça ? Était-ce vraiment ainsi qu’il me voyait ? Lumineuse et heureuse ? Mais je cachais mes bleus et mes cicatrices derrière des sourires à l’époque. Les premières étaient toujours là, seuls les seconds avaient disparu à présent. Je m’étais calquée sur lui, adolescente, car cela semblait si bien lui réussir. Car il s’en était sorti et que je voulais en faire de même. « Et j’ai quand même rien fait, rien dit. Alors tu vois, je n’ai pas pu t’aider à l’époque. Je ne le peux toujours pas aujourd’hui. » Je ne savais pas comment faire. Même si je l’avais voulu. Je ne savais pas comment faire pour oublier mes rancœurs, pour rejeter ma fierté. Je ne savais pas comment faire pour faire marche arrière et oublier le passé. Je ne savais pas comment faire pour lui tendre la main et lui permettre d’y croire. Même si je l’avais voulu. Même si je le voulais.


 


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Message(#)Broken [Liv&Jo] EmptyJeu 2 Avr 2020 - 2:20

Olivia semble résiliente, impénétrable. Elle a bâti devant elle un mur solide que Joseph n’arrive pas à démolir même s’il déteste ce dernier qui l’empêche de voir le véritable visage de celle qui l’a aidé malgré tout. Elle l’a écouté, l’a protégé des autres policiers et l’a dirigé vers cette cellule qu’il désirait plus que tout pour assurer sa propre sécurité. La seule chose plus dangereuse qu’un tueur à ses trousses, c’est d’être son propre meurtrier. Pendant longtemps, Joseph l’a rejeté, l’a ignoré, mais il était trop fort alors qu’Alfie se repliait en larmes devant lui, les yeux complètement dénués de vie et la terreur se lisant dans ses traits. Il a brisé un homme, l’a cassé en plusieurs morceaux incollables et cet homme devait à présent vivre avec les conséquences. Plus le temps passait et plus Joseph avait l’impression d’être le seul fautif dans l’histoire, comme si jamais son meilleur ami d’enfance ne lui avait posé une pilule sur sa langue : ses souvenirs se modifient, se transforment en quelque chose de douloureux qui le pousse à penser qu’il est véritablement le méchant de ce mauvais roman – mais les deux se sont joué de l’autre, l’un d’eux a seulement hérité d’une colère immense qui a serré ses poings. Malgré tout, Joseph n’oublie pas les bons moments qu’il a passé avant de devenir lui qu’il est aujourd’hui. Seulement quelques prénoms s’affichent dans le fond de sa mémoire quand il essaye de se souvenir des mémoires les plus roses. Celui d’Olivia y est et, si jamais il n’a eu le courage de l’oublier, c’est bien parce qu’il repensait à elles et leurs excursions nocturnes interdites, les mots vrais qu’ils se sont échangés pendant plusieurs mois avant qu’elle décide de lui fermer la porte au nez. Et, même si des années ont passé sans que leur chemin ne se croise à nouveau, il arrive encore à percevoir la jeune Olivia derrière le mur de briques tentant de le démolir à coups de maillet. L’espoir fait vivre et, dans le cas présent, il arrive à offrir un certain réconfort à un Joseph tremblant qui éponge de façon lunatique son bras couvert de sang séché sans qu’il n’arrive à constater les dégâts dans sa chair. Il n’arrive pas à penser à lui-même. « Et c’est supposé être une bonne chose ? » demande Olivia lorsque Joseph prétend que tous les deux n’ont pas changé. Il réfléchit longuement sans être capable de mettre de l’ordre dans ses pensées et il finit simplement par hocher la tête. « Oui. Ça veut dire que j’ai encore espoir que tu me pardonnes d’avoir fait les mauvais choix. Ça veut dire que je pourrai revoir le sourire que j’ai connu. » il murmure sa deuxième phrase comme s’il n’avait pas le droit de l’énoncer à voix haute. Il ne le mérite probablement plus, son sourire, mais il sait qu’il pourrait soigner ses plaies bien plus que ce mouchoir trempé et écarlate qu’il maintient contre sa peau plus par réflexe que par nécessité. « Peut-être qu’on aurait dû. » Il ne peut pas lui donner tort car, s’ils avaient changé en prenant de la maturité, Joseph ne serait pas là aujourd’hui. Peut-être serait-il à la tête d’une grande entreprise, ou peut-être serait-il mort : le fait de ne pas savoir ne l’a jamais dérangé car il n’a jamais regretté ses décisions, peu recommandables soient-elles. Il n’est pas né dans la bonne famille et il n’a pas réussi à s’adapter à un univers dans lequel Dieu est responsable du destin de chacun. S’il y avait un Dieu tout puissant, jamais un criminel n’aurait tendu la main à un innocent qui tente de trouver un sens à sa vie et jamais une lueur d’espoir n’aurait éclairé le visage du jeune garçon trop naïf pour comprendre la réalité dans laquelle il a été invité. Quand on lui a tendu un premier sachet de poudre blanche, il a senti la fierté dresser son dos. Il valait enfin quelque chose aux yeux de personnes plus autoritaires que lui. Il avait trouvé sa place en décidant de ne pas résister, et qu’est-ce que ça lui avait fait du bien de ne plus côtoyer la dureté de la rue. « Tu ne m’as rien fait. »  À la fois surpris et intrigué, il relève la tête, l’incompréhension marquant son visage pâle. « Tu penses vraiment que c’est de ça dont il s’agissait ? Tu ne me devais rien. La seule personne que tu as laissé tomber, c’est toi. La seule personne à qui tu as tourné le dos en te gâchant, c’est toi. » Il ancre son regard à elle, peu importe si elle le regarde en retour. Il veut lire la vérité ou le mensonge dans la forme de ses lèvres. « Alors pourquoi m’as-tu b-blâmé si jamais je ne t’ai fait de mal ? Tu n’avais pas à me faire ça si réellement tu p-penses que je suis le seul à qui j’ai tourné le dos. » Il la confronte sans en avoir envie mais il veut voir sa réaction, savoir si elle pense vraiment ces propos ou si elle souhaite protéger sa dignité comme toute bonne policière.

Il tente de la faire plonger dans la nostalgie, celle qui arrive à repousser toute forme de rancœur. C’est grâce à ces bons souvenirs qu’il a partagés avec Olivia que Joseph arrive à la voir comme l’amie qu’elle a toujours été pour lui-même lorsqu’elle a ignoré ses appels et lorsque le courant de la rivière n’était plus bouleversé par sa silhouette cassant la surface de l’eau. « On était des gamins. Des gamins paumés. » Certes, elle marque un point. Ils étaient tous les deux perdus à ce moment de leur vie, incapables de se laisser emporter par ce que leurs parents voulaient faire d’eux. « Des gamins qui auraient mieux fait de chercher de l’aide ailleurs parce qu’ils avaient besoin de la même. On le savait tous les deux. » Son cœur se gonfle à la suite de ses mots alors qu’il revoit les ecchymoses couvrant la peau d’une jeune Olivia. Pourtant, c’est un sourire qui soulève ses lèvres alors qu’il repense à la cruauté qu’ils ont vécu. Pas que les coups de ceinture étaient des beaux souvenirs pour lui, mais plutôt parce qu’il se souvient avoir réussi à faire rire son amie même si elle sentait encore le revers de la main de sa mère contre sa joue. Lorsqu’on est gamin, on ne peut que de plier aux ordres de ceux qui ont le pouvoir. Joseph n’aurait jamais pu faire disparaître la violence chez la maternelle d’Olivia mais il a pu lui faire oublier le temps d’une soirée. Il voulait représenter beaucoup pour elle parce qu’il n’avait rien représenté pour personne avant sa rencontre. Alfie ne l’avait pas retenu, Lily non plus, Joseph avait disparu une nuit et la vie à la campagne n’avait pas changé. S’il pouvait marquer la vie de quelqu’un, c’était bien celle d’Olivia. « Peut-être. M-Mais on avait peur tous les deux. On ne peut pas blâmer des gamins de quinze ans de ne p-pas avoir eu le courage de lever leur voix alors que, même aujourd’hui, ils n’arrivent pas à le faire. » Les lèvres pincées, il lui demande : « Je suis le seul qui est au courant depuis tout ce temps, n’est-ce pas ? » Puis il désigne le mouchoir gorgé de sang avant de le poser près de ses pieds. « Tu m’as déjà aidé en m’offrant ce mouchoir, ou cette cellule. Je ne te demanderai jamais de te battre à mes côtés parce que je me suis habitué à m’impliquer dans tes b-batailles, à toi. Je ne veux pas que ça change. » Il a toujours détesté recevoir l’attention. Il ne veut la pitié de personne, c’est pour cette raison que jamais l’idée de consulter un spécialiste ne lui a effleuré la conscience. Il se sent vivant quand il se bat pour les autres plutôt que pour lui-même et il offre sa personne pour oublier ses propres problèmes. C’est un mécanisme de défense, en fin de compte, comme celui d’utiliser l’humour à chaque occasion qui se présente à lui. « Comment tu v-vas, Liv ? » Il l’interroge enfin en passant sa main dans sa barbe, sachant pertinemment qu’il a besoin de penser à autre chose pour calmer les tremblements dans ses membres.      
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Message(#)Broken [Liv&Jo] EmptyDim 5 Avr 2020 - 0:05


Olivia Marshall & @Joseph Keegan ✻✻✻ J’aurais voulu retrouver l’air tiède de l’extérieur et les nuages de fumée de mes cigarettes qui embaumaient l’atmosphère. J’aurais voulu m’éloigner car il ne pleurait peut-être déjà plus, que j’avais sans doute imaginé bien plus de larmes qu’il n’y en avait eu, comme un mirage sur le désert qu’était son visage. Mais il était tant d’autre chose que ravagé par les larmes, son visage. Émacié, esquinté, harassé. Cela devrait me suffire pour rester. Pour ne pas le quitter des yeux, pour le surveiller même si tout dans mes mots et mes attitudes ne cessaient de vouloir démontrer le contraire, ne cessaient de vouloir prouver une distance qui avait pourtant été abolie dès l’instant où je l’avais reconnu et avais choisi de l’approcher néanmoins. Et j’avais cette désagréable impression qu’il le savait également, qu’il avait obtenu le premier point et qu’il en jouait avec affront. Mais là encore, sans doute me méprenais-je. J’étais la seule à compter les points. J’étais la seule à tenir à ma fierté comme lui à nos souvenirs. « Oui. Ça veut dire que j’ai encore espoir que tu me pardonnes d’avoir fait les mauvais choix. Ça veut dire que je pourrai revoir le sourire que j’ai connu. » Mais il n’était pas le seul, s’il savait. À ne plus se souvenir de ce sourire qu’il évoquait et qu’il avait l’air de revoir, avec une justesse douloureuse, alors qu’il reportait son regard sur moi. J’avais moi-même du mal à m’en souvenir. De sa place sur mes lèvres. Peut-être que je n’avais pas envie de repenser à tout cela. À tout ce que nous avions connu, à tout ce que nous avions abandonné. Peut-être trouvais-je cela trop violent, ou trop égoïste. À quoi bon se laisser emporter par la nostalgie, n’est-ce pas ? Par une émotion que nous devrions de nouveau oublier sitôt le pas de cette porte passée. À quoi bon si ce n’était pour nous abîmer, un peu plus ?

« Alors pourquoi m’as-tu b-blâmé si jamais je ne t’ai fait de mal ? Tu n’avais pas à me faire ça si réellement tu p-penses que je suis le seul à qui j’ai tourné le dos. » Son regard attrapa le mien et je le soutins en fronçant les sourcils car il semblait étrangement désireux de vouloir me contrer de la sorte, provoquer en moi un sursaut d’honnêteté suggérant qu’il remettait en question celle que je lui avais accordé jusqu’à présent. « Et qu’est-ce que j’étais censée faire ? Fermer les yeux et continuer comme avant ? » Je ne cillai pas, il ne devrait pas s’attendre à autre chose. Je savais alterner les mensonges et les vérités avec dextérité. C’était à lui de les démêler s’il y tenait tant. Et je savais que je me montrais injuste, de remettre sur ses épaules toute cette tâche, la seule qui l’empêcherait de me croire entièrement, la seule qui nous permettrait de ne pas revivre l’épisode de notre éloignement car celui-ci siégeait en maitre au centre de la pièce et que l’odeur du déjà-vu flottait dans l’air comme celle du soufre en enfer. « Tu peux pas me reprocher quoique ce soit. Ça n’a rien d’exceptionnel des amis d’enfance qui empruntent des chemins différents, c’est même banal à en pleurer. » Mais nous n'étions pas censés en arriver là, nous, frappés par cette banalité. Dans le pire des cas, nous serions-nous laissés en arrière, mutuellement, afin de rejoindre le quotidien morose de ces personnes malades qui chancelaient sous la routine. Et Joseph serait resté en moi comme une image fixée sur un médaillon dorée. Je l’aurais gardé car il aurait été l’accomplissement de mes aspirations improbables. Il avait toujours été différent et m’avait convaincue que je pouvais l’être également. « Sauf que le tien de chemin, je ne l’avais pas vu venir. Le tien m’a déçu parce que tu valais tellement plus que ça, Joseph. Mais tu l’as choisi quand même et en faisant ça, c’est toi qui m’as écartée et qui ne m’as pas laissé le choix. » Je me souvenais de ma réaction lorsqu’il m’avait annoncé reprendre ses études. Il avait l’air incertain mais je n’avais pas répondu à sa perplexité, au contraire. Je l’avais félicité, ne songeant pas aux difficultés qu’il était possible de rencontrer en route face à ces nouveaux objectifs, sachant qu’il en avait relevé des plus complexes, l’encourageant lorsque lui avait l’air de s’y attarder, souriant timidement une fois son aveu prononcé comme si lui-même n’était pas réellement sûr d’y être préparé. Évidemment qu’il l’était. J’avais rarement vu quelqu’un d’aussi courageux que Joseph. Et je vivais sur une base militaire, voyais chaque jour les hommes de mon père se préparer pour la guerre. Il était celui pourtant qui avait quitté le paysage pastoral mais tourmentant de son enfance pour affronter l’hostilité d’une ville inconnue. D’une ville qui n’avait pas été tendre avec lui, je l’avais deviné derrière ses silences mais les avais respectés, admirés même. Je me moquais bien des études, s’il s’était rendu compte qu’elles n’étaient pas faites pour lui finalement. Il aurait trouvé autre chose, n’importe quoi de beau, n’importe quoi qui lui ressemblait parce que l’avenir, en un sens, aurait pu lui appartenir. Parce qu’il était debout avant tout le monde, couché après tout le monde et qu’au lieu de pleurer, il riait à plein cœur. Il aurait dû me le dire qu’il abandonnait. Il aurait dû m’en parler de ses hésitations, je lui aurais rappelé. Tout ça. Mais il ne m’en avait jamais laissé l’occasion.

« Peut-être. M-Mais on avait peur tous les deux. On ne peut pas blâmer des gamins de quinze ans de ne p-pas avoir eu le courage de lever leur voix alors que, même aujourd’hui, ils n’arrivent pas à le faire. » Sans doute avait-il raison mais je blâmais tout le monde, pour un tas de choses, depuis qu’on m’avait enlevé ma fille et qu’il n’y avait personne à incriminer pour cela. Il s’en rendait compte lui aussi, déjà, après quelques minutes en ma compagnie. « Je suis le seul qui est au courant depuis tout ce temps, n’est-ce pas ? » Je haussai les épaules, sans répondre. Désireuse d’oublier déjà ce que j’avais moi-même évoqué. Car il s’en approchait trop près, tout à coup. « Tu fumes toujours pas ? » Je me contentais de cela, alors, appuyant mon coude sur l’un des barreaux pour tendre ma main à l’intérieur de la cellule, la cigarette tenue entre deux doigts lentement amenés dans sa direction. Les secrets étouffés s’étaient entassés comme des livres sur une bibliothèque depuis de nombreuses années déjà. Cela ne m’étonnait pas qu’il s’en saisisse finalement alors que je n’avais fait que les effleurer des doigts. Il pensait avoir raison, bien sûr. Il ne fallait pas arrêter une machine en route sans craindre de la voir exploser. Mais j’avais toujours l’impression d’exploser, inactive ou non. J’entendais une horloge tiquer dans ma poitrine mais je ne savais pas ce qu’elle annonçait, alors je me préparais au pire. « Tu m’as déjà aidé en m’offrant ce mouchoir, ou cette cellule. Je ne te demanderai jamais de te battre à mes côtés parce que je me suis habitué à m’impliquer dans tes b-batailles, à toi. Je ne veux pas que ça change. » Mais il le fallait peut-être. S’il s’agissait de le sortir de là. S’il s’agissait de ne plus jamais avoir à supporter cette vision : lui, derrière les barreaux. Ici ou ailleurs. Cela me faisait mal, dans le fond, qu’il confirme mon impuissance. Son entrain et ses confidences avaient toujours suffi à me procurer l’illusion de percevoir sa présence envers et contre tout. Le retrouver malgré les interdits était parvenu mieux qu’il ne l’imaginait à brouiller la fatalité et les déceptions.

Parce qu’il était ce genre de personnes. À s’oublier pour penser aux autres. Et je ne pouvais lui offrir que cela, en échange. Un mouchoir et une cellule. « Comment tu v-vas, Liv ? » Tu vois, Joseph. Tu es toujours ce genre de personne. « Tu crois que c’est important tout de suite ? » soufflai-je en plissant les yeux. « Tu ne vas pas bien. Et je déteste que tu me forces à m’en inquiéter mais c’est comme ça. » C’était trop tard maintenant. Je m’inquiétais. Pire, je sentais les palpitations de mon cœur s’agiter sous ma poitrine, portées par une affection que je pensais avoir oubliée, à défaut d’éteindre, il y a des années déjà. « Parce que je ne t’ai jamais vu comme ça et que ça ne te ressemble pas. Tu surmontes ce qui t’arrive en le cachant, toujours. C’est pour les autres que tu t’en fais. C’est pour les autres que tu t’en veux. » Je m’interrompis une seconde, parce que je savais où je voulais en venir mais que je n’étais pas certaine de comment le formuler. De ce que j’étais en droit de lui demander. « Est-ce que tu peux me dire ce qui s’est passé ? » Pour qu’il se mette dans cet état. Pour qu’il ne trouve plus d’autre issue que celle-ci ? Est-ce qu’il pouvait me dire ce qu’il avait fait ? Et les mots avaient leur importance, je ne le forçais à rien. Plus que cela, je lui demandais s’il était possible pour lui de me dire quoique ce soit, sans que cela ne le mette en porte-à faux vis-à-vis de moi. Il en aurait tous les droits, de ne plus me faire confiance, surtout après ce que je lui avais fait, surtout en ces lieux.  


 


solosands
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Message(#)Broken [Liv&Jo] EmptyVen 10 Avr 2020 - 2:30

Il regrette instantanément lorsqu’il décide de la confronter à cette décision qu’elle a prise quand elle était probablement trop jeune pour comprendre chaque parcelle, chaque détail, chaque recoin d’une relation. Les choses ne sont pas toutes blanches ou toutes noires : il existe un juste milieu où le bien et le mal se défient en permanence. Si Joseph aurait préféré luter plus longtemps avant de tomber entre les mains du mal, il ne pourra jamais s’empêcher de penser que les manthas avaient été la plus belle chose qui lui était arrivé. Il n’avait fait aucun sacrifice avant qu’Olivia ne prenne la décision de le bannir de sa vie et peut-être lui en a-t-il voulu de l’avoir fait ; il ne saurait dire. Il avait les hormones d’un adolescent impulsif et ne pouvait pas comprendre ce qui faisait tourner les neurones de son amie quand elle lui a tourné le dos. Ils venaient d’un milieu similaire à la fois tellement différent. Deux gamins nés dans la mauvaise famille qui n’ont pas entrepris de s’en défaire de la même façon. Si la jeune femme a réussi à laisser le courant de la rivière couler sous son corps, Joseph n’a pas eu la force de s’y laisser flotter jusqu’à la mer ou au fleuve dans laquelle elle déversait son eau. « Et qu’est-ce que j’étais censée faire ? Fermer les yeux et continuer comme avant ? » Il a envie d’hocher la tête pour simplement acquiescer mais cela ne serait pas sensé de sa part. Oui, c’est ce qu’il aurait aimé qu’elle fasse, adolescent déboussolé qu’il était à croire que ses actions positives surpasseraient le choix qu’il a pris. Il a toujours été bon pour elle – du moins, il l’espère – et il ne pensait pas qu’en décidant de s’engager dans une route tumultueuse il perdrait ce qu’il avait de plus précieux. Un rire cristallin, un sourire dévoilant une rangée de dents blanches, des yeux pétillants de vie qui arrivaient à refléter seulement le beau reflet de Joseph, pas celui qu’il s’évertuait à cacher. « Je… J’en sais. Ça s’est passé si vite, tu ne m’as pas laissé de chance de te prouver que je n’avais pas pour autant changé. » Leur amitié s’était fracassé comme un vase tombe en éclats sur le sol et aucun des deux n’avait tenté de recoller les morceaux du fragile objet. Le jeune homme n’aurait pas pu : il appartenait désormais à un groupe dissimulé dans l’ombre de la ville. « Tu peux pas me reprocher quoique ce soit. Ça n’a rien d’exceptionnel des amis d’enfance qui empruntent des chemins différents, c’est même banal à en pleurer. » Un sourire nerveux étire les lèvres du retenu et il détourne la tête en se débarrassant des larmes qui embouent sa vision. « Des amis d’enfance, c’est tout, alors… » Il répète en murmurant, pour lui-même, probablement pour se faire encore plus mal. Elle était bien plus que ça à ses yeux : il aurait pu faire le tour du monde avec elle, rester derrière elle et la rattraper si jamais elle tombe. Mais, au fond, ils n’étaient que des amis d’enfance, rien de plus banal. « Sauf que le tien de chemin, je ne l’avais pas vu venir. Le tien m’a déçu parce que tu valais tellement plus que ça, Joseph. Mais tu l’as choisi quand même et en faisant ça, c’est toi qui m’as écartée et qui ne m’as pas laissé le choix. » C’est un élan de colère qui bande ses membres mais il arrive à le contenir. Ce n’est pas le lieu où faire preuve de violence. Il est à un faux mouvement près de passer plus d’une nuit ici. « Je t’interdis de dire ça. Les mant… Mes amis m’ont offert bien plus que ce qu’a pu m’offrir ma propre famille. Ils valaient plus que tous ces faux culs qui me dévisageaient dans la rue sans jamais rien faire pour m’aider. » Il souffle à voix basse, cherchant discrètement les caméras dans sa cellule, conscient qu’il a presque franchi la limite en exposant à voix haute le nom de cette bande illégale qui n’existe de toute façon plus aujourd’hui. « Si tu t’es sentie écartée, sache que je le regrette, mais j’ai seulement agi pour s-survivre. » Il ne pense pas lui devoir des excuses alors il n’ajoute rien, posant ses coudes sur ses genoux et courbant le cou vers le bas pour faire face au carrelage qui lui fait finalement moins peur que la réaction de la policière derrière les barreaux – ou devant, car elle n’est pas la prisonnière.

Elle ne répond pas à sa question alors il comprend que la réponse est positive. Elle ne s’est pas ouverte à quelqu’un d’autre à propos de son enfance éraflée. Il la comprend, au fond, car, pour une fois, il peut comprendre ce qu’elle ressent et la raison derrière ses agissements. Le claquement de la ceinture contre son dos nu, il préfère le taire pour qu’il s’efface à jamais de sa mémoire. Mission impossible jusqu’à présent. Pour détourner l’attention de Joseph, Olivia lui tend son bout de cigarette. Il le fixe de longues secondes, esquissant une moue déconfite, et il s’en empare doucement pour en tirer une latte. La fumée agit comme un somnifère et les muscles tendus de Joseph se détendent automatiquement. Il vole une deuxième bouffée mais remet rapidement le bâtonnet de poison à sa propriétaire. Il la remercie en un murmure à peine perceptible. Cette minuscule dose de tabac avait réussi à lui faire oublier pendant quelques secondes la douleur dans ses veines qui ne se satisferont malheureusement pas de si peu de drogue.

Un battant, Joseph n’a jamais cessé de l’être pour les autres. C’est sa meilleure qualité, comme son pire défaut. Il a toujours passé en second plan et s’est habitué à n’être que le meuble décoratif dans une pièce. Il viendra toujours en aide à un souffrant même s’il se trouve dans une situation encore plus grave. À force, il a simplement oublié de prendre soin de lui-même lorsqu’il n’y avait aucune âme en peine autour de lui. C’est donc un réflexe pour lui de demander à Olivia si elle va bien, elle, même si les projecteurs plongent le garçon sous la lumière. « Tu crois que c’est important tout de suite ? »  Évidemment, il n’allait pas s’en tirer si facilement. La jeune femme a un caractère fort et le lui a toujours prouvé. « Je ne te force à rien. Si tu t’inquiètes, ce n’est pas parce que je t’ai ordonné de le faire. » Il relève la tête, la regarde d’une façon plutôt neutre, la laissant réaliser par elle-même qu’il n’est pas un magicien qui lui a imposé ce sentiment d’inquiétude qu’elle ressent. S’il la met dans cet état, c’est parce que l’affection ne s’est pas complètement envolée même si Olivia s’attèle depuis le début à lui prouver le contraire. « Parce que je ne t’ai jamais vu comme ça et que ça ne te ressemble pas. Tu surmontes ce qui t’arrive en le cachant, toujours. C’est pour les autres que tu t’en fais. C’est pour les autres que tu t’en veux. » Elle marque un point : lui-même ne s’est jamais vu dans un tel état et il cracherait probablement sur son reflet dans le miroir s’il découvrait.  Il n’a jamais voulu devenir l’homme faible et perdu que les passants voyaient en le croisant la rue. « Est-ce que tu peux me dire ce qui s’est passé ? » Il aurait presque oublié la raison de sa venue précipitée si elle n’avait pas relevé la question qui flottait pourtant dans l’air depuis qu’elle avait croisé son regard. Maintenant qu’il repense à Alfie, son état de détresse et les larmes de douleur qui coulent sur ses joues, un haut de cœur serre la gorge de Joseph et il plaque le revers de sa main sur ses lèvres pour éviter de renvoyer le petit déjeuner qu’il n’a pas pris. Les traits crispés, il secoue la tête, envoyant balancer quelques mèches de cheveux qui se reposent naturellement sur son front collant. Il ne prend pas la peine de les relever ; derrière elle, il a l’impression de ne plus être vu et c’est ce dont il a besoin. Disparaître de la carte le temps que les choses redeviennent normales. « J’accumule les emmerdes, c’est tout.  » C’est un moyen comme un autre d’éviter la question. S’il admettait à voix haute la liste de ses torts, il se retrouverait à nouveau derrière un juge. Malgré tout, par réflexe, son regard se pose sur une caméra qu’il avait récemment dénichée dans le coin de la salle et il la fixe comme s’il allait parvenir à la faire fondre grâce à la force de son mental. « Est-ce que j’ai le droit à un appel ? » Cette demande s’élève sans qu’il ne réfléchisse deux fois.      
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Message(#)Broken [Liv&Jo] EmptyLun 13 Avr 2020 - 15:51


Olivia Marshall & @Joseph Keegan ✻✻✻ Trente-six ans, trente-six années durant lesquelles je devinais que la vie ne lui avait jamais fait de cadeaux, jamais épargné le moindre malheur, jamais témoigné la moindre reconnaissance à son égard de continuer de la traiter avec tant d’honneurs, pourtant, tant d’humilité. Trente-six années et il avait encore assez de lucidité pour se terrer à l’intérieur d’un commissariat si cela signifiait de demeurer accroché, encore un instant, au monde. J’ignorais si cela me surprenait réellement de lui. Malgré mes mots, malgré les errements que je laissais planer, je réalisais qu’il avait sans doute toujours vécu ainsi : dans l’urgence, dans l’instantané, l’immédiat, conscient que les filaments ténus nous maintenant debouts étaient capables de se rompre au moindre changement, à la moindre hésitation. Tu n’aurais pas dû venir ici. Mais qui étais-je pour lui dicter ce qu’il était supposé faire ou non ? L’unique raison pour laquelle il n’avait pas pu souligner mon hypocrisie de m’y être tenue siégeait dans ce regard qu’il continuait de me porter. Le même que dans notre adolescence, porteur d’espoirs et de qualités que je ne possédais plus. Tout était à réinventer à présent. Nous étions ici, ainsi, séparés par une épaisseur d’acier, dressés l’un face à l’autre comme deux cyprès hagards et sans doute était-ce là l’occasion, la seule depuis de nombreuses années, de tester notre capacité à dessiner ensemble un nouveau dialogue à la manière de peintres mystiques. Il nous était impossible de deviner où cela nous conduirait-il. Il nous était impossible de savoir où nos paroles et nos souffles désaccordés nous mèneraient cette fois-ci car les issues, à la manière de l’espace restreint dans lequel il avait souhaité s’enfermer, étaient plus étroites que jamais aujourd’hui. « Je… J’en sais. Ça s’est passé si vite, tu ne m’as pas laissé de chance de te prouver que je n’avais pas pour autant changé. » Je fronçai les sourcils sans agacement aucun alors que la fatigue semblait peser de tout son poids sur les accents de sa voix. J’aurais pu la respecter, le préserver, mais je provoquais de nouveau les altérations de son souffle qui n’avaient plus du rire que l’appellation. « Des amis d’enfance, c’est tout, alors… » Ma mémoire se débattait, vannant les souvenirs sous un regard détaché. Ce ne sont que des mots, Joseph. Je connaissais la dureté des miens, leurs talents de guillotineurs. Mais il ne s’agissait que de mots. Les miens amochaient mais ne tuaient pas. Ils écorchaient mais n’abolissaient aucune souffrance. Ils blessaient, moi la première, mais il n’était pas impossible de les faire ployer. Ils s’exprimaient, garants du mensonge comme de la vérité car les deux s’emmêlaient parmi des sons qui se ressemblaient tant. Je ne serais pas là, sinon. J’avais compris, finalement, trop tard peut-être. « Tu peux décider que ça ne signifie pas grand-chose. Mais ce n’est pas ce que j’ai dit ... » Je nous avais condamnés à l’éloignement, il y a longtemps. Et si nous nous confrontions aujourd’hui, bravant la rancœur, je le pensais suffisamment aguerri pour reconnaître lorsque l’indifférence n’était plus que le bouclier de la confusion. Il connaissait déjà les réponses essentielles. Il ne s’agissait que de mots, oui. Ils trahissent et ils écorchent. Mais seules les émotions demeurent réelles et franches.

« Je t’interdis de dire ça. Les mant… Mes amis m’ont offert bien plus que ce qu’a pu m’offrir ma propre famille. Ils valaient plus que tous ces faux culs qui me dévisageaient dans la rue sans jamais rien faire pour m’aider. » Je l’observais étouffer sa voix pour ne pas succomber à l’emportement. Cela ne l’épargnait de rien pour autant. Son âme d’insurgé abandonné cherchant à défendre ses convictions se retrouvait dans ses yeux luisants. Elle témoignait des limites que j’avais franchies, de son cœur que je venais une nouvelle fois de provoquer en écrasant entre mes lèvres ce qui paraissait être une institution à ses yeux, une famille dont la postérité ne saurait être mise à mal. Il parlait de cette époque comme d’un temps révolu et je pus déceler dans les inflexions de sa voix une amertume et une rancœur pour le temps s’écoulant. Je passai ma main sur mes lèvres délaissées par la cigarette et inclinai le visage, avec lenteur, car je pesais mes mots et que les prochains n’avaient pas pour vertu de l’offenser à nouveau. « Tu ne m’as jamais demandé d’aide, Joseph. À moi. Tu as décidé que tu serais là pour moi, sans jamais me laisser l’occasion de faire de même pour toi. » Il avait décidé de parfaire ses qualités, d’anoblir ses talents, de les aiguiser de telle façon à ce qu’ils finissent par le blesser lui-même : sourire quand son corps souffrait de séquelles maintenues invisibles, gémir quand le monde s’en allait dormir. Ses amis avaient été là pour lui car il les avait laissé l’approcher de la sorte. Aurais-je été face à eux qu’il ne m’aurait pas été possible de leur témoigner une quelconque nuance de ma reconnaissance mais sans doute était-ce là, une fois encore, qu’une marque de ce que je dissimulais avec aisance. « Si tu t’es sentie écartée, sache que je le regrette, mais j’ai seulement agi pour s-survivre. » Je laissai mon regard s’attarder sur son visage qu’il déroba presque aussitôt, l’abaissant sur l’anthracite terni du sol à ses pieds. Les mots s’échappaient d’entre ses lèvres et le mince espoir qu’ils s’impriment dans mon esprit comme l’avaient fait ceux de l’époque vint m’effleurer. Car ceux d’antan avaient été prononcés par la voix d’aspirations vaines, de la fierté déplacée, de l’engouement énigmatique et que je n’avais rien su faire d’autre que d’y opposer mes valeurs de droiture à l’époque inaltérées, infranchissables. Mais ils étaient, aujourd’hui, dénués de tout trait épique, héroïque, ces traits qu’il avait déjà refusé de tracer sur sa personnalité il y a des années déjà mais que je m’étais employée à lui attribuer, tout de même, dans une colère mielleuse d’ironie. Je m’étais fourvoyée, semblait-il me dire à présent. Un instinct de survie, uniquement. Et un souhait de ne plus subir l’indifférence du reste du monde. Une motivation, si ce n’était louable, du moins humaine. Parfaitement humaine, même. Parfaitement lui. Aurais-je été à généraliser de nouveau que l’on aurait pu nommer cela des aléas. Mais étions-nous capables seulement de nous rallier derrière le sens du mot général ? Lorsque tout me paraissait pourtant destiné à nous réduire au petit et à l’individuel, tant l’habitude avait été prise d’être ignoré autant que pointé du doigt, chaque jour.

Il décrocha délicatement la cigarette de mes phalanges nouées et la porta à ses lèvres. Je sentis également le mouvement de son regard alors qu’il le posait sur ma silhouette, comme acceptant ma présence, de nouveau, sa signification, ses enjeux. La manifestation de cette prise de conscience s’exprima par son désir de m’interroger, sans surprise, de détourner l’attention de ses maux pour palper les miens, s’il y en avait. Je l’avais observé, ma cigarette pendant à ses lèvres tremblantes, la peau bleutée par les couleurs du ciel qui s’éclaircissait toujours au travers de la mince et unique fenêtre de la pièce, et le tabac brûlant d’un jaune incandescent, surpris de s’immiscer dans un corps étranger. Je lui laissais la cigarette, retournais ses questions à son encontre. L’échange me paraissait équitable. « Je ne te force à rien. Si tu t’inquiètes, ce n’est pas parce que je t’ai ordonné de le faire. » Mes prunelles ne s’abaissèrent pas malgré leur désir enfoui de fuir ce fait indéniable. Sa voix avait été calme et mesurée. Je n’étais pas en mesure de savoir s’il l’avait couplé d’ironie ou de fatalité, comme si tout avait été destiné, de toute façon, à mener à cette réunion étrange pour qu’ainsi, nous puissions nous retrouver à défaut de nous reconstruire. Il en paraissait incapable, de toute manière. Son corps tout entier émit un hoquet qu’il ne retint qu’à la dernière seconde mais il était trop tard. Les vibrations disgracieuses de sa respiration haletante rythmaient la chronique d’un cœur malheureux. « J’accumule les emmerdes, c’est tout. » Je hochai la tête silencieusement, consciente de ne pas pouvoir en demander davantage. Trente-six années, oui, et il paraissait en avoir des centaines. Ou quelques-unes uniquement. Des centaines pour l’épuisement. Quelques-unes pour la fièvre avec laquelle il s’était battu pour s’enfermer ici. « Est-ce que j’ai le droit à un appel ? » Un sourire vint s’esquisser sur mes lèvres, dénué d’ironie, mince mais réel. « Tu es ici par choix. » Je haussai les épaules, car il n’avait pas besoin de me demander une quelconque permission mais que je me devais de le lui rappeler. « Je peux ouvrir cette cellule, tu sais. » Le trouble que j’avais éprouvé en apprenant sa première arrestation pulsait à travers mes veines sans que je ne parvienne à lui exprimer convenablement. Je me réfugiais derrière une douceur de voix, indicible mais retrouvée sur l’instant. « Je ne demande que ça. Te voir ici, ça n’a jamais été ce que je voulais. Même à l’époque. » Je laissai passer une seconde avant de conclure. « Mais tu peux te contenter d’un appel, oui, aussi. » Consciente qu’aucune plaie n’avait été cicatrisée et, qu’en l’état, son désir de réclusion demeurait sans doute intact. Des barreaux pour l’enserrer, un enfermement qu’il ne craignait pas mais un appel pour une ouverture dans l’obscurité.

 


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Message(#)Broken [Liv&Jo] EmptyDim 19 Avr 2020 - 6:15

Elle a beau contourner le sujet. Elle a beau essayer de le convaincre qu’elle n’a pas réduit leur situation actuelle en ne prétendant qu’ils n’avaient été que des amis d’enfance qui n’ont pas survécu aux épreuves qu’apportent la maturité et la nouvelle dose de responsabilité apparaissant comme par magie à l’âge de dix-huit ans. Joseph l’a entendu, son ton de voix, et si elle tente de préserver un visage des plus impassibles, il n’a qu’à bien tendre l’oreille pour déceler la moindre vibration révélatrice dans sa voix. « Ce n’est pas ce que t’as dit, c’est vrai. Mais ils n’y a pas que les mots qui parlent. » Maintenant son regard à la hauteur du plancher, il ne se permet pas de la regarder dans les yeux parce qu’il n’est pas certain de ce qu’il avance. Il n’est pas dans un état pour réfléchir correctement et peut-être est-il le seul fautif qui ose penser qu’ils n’ont été « que des amis d’enfance séparés par le temps ». Il n’a pas la force de se battre contre des non-dits alors il secoue la tête en soupirant pour conclure le sujet, préférant éviter de se lancer sur une piste qui ne se termine jamais. « Laisse tomber. » Il ne veut pas être son simple ami d’enfance. Les gens qu’il fréquentait durant son adolescence sont tous disparus : soit le destin les a menés hors de la vie de Joseph, soit un conflit a embrasé le lien et l’a fait s’envoler en fumée. En fait, Le jeune homme a l’impression que sa vie a été séparée en deux parties inégales. Il n’a jamais été capable d’emporter les gens qu’il aimait à la prochaine étape, avec lui. Il ne devrait pas en vouloir à Olivia qui n’a visiblement pas envie de s’afficher comme son amie aujourd’hui mais il s’accroche comme s’il y avait une chance de tout réparer. Il n’a pas l’impression qu’il est tombé sur elle aujourd’hui par hasard. Il se trouvait dans son état le plus vulnérable et ce sont à ses prunelles qu’il s’est suspendu pour ne pas tomber plus bas.

Malgré les barreaux qui le maintiennent immobile, malgré la situation dangereuse dans laquelle il s’est placé, ses instincts primaires prennent le dessus. Insulter les gens qui lui ont ouvert les bras, ce n’est pas quelque chose qu’il arrive à laisser passer sans réagir. Il aurait aimé avoir cette capacité de réfléchir avant de parler mais ce n’est pas une qualité avec laquelle il est sorti du ventre de sa mère. Tout ce qui passe par son esprit passent aussi par l’oreille de qui veut entendre. Alors, il tente de défendre ceux dont il doit garder secrète l’identité, passant à un cheveu de révéler le nom de ce gang qui n’existe plus, et l’irritation se lit dans le timbre de sa voix séchée par la soif. « Tu ne m’as jamais demandé d’aide, Joseph. À moi. Tu as décidé que tu serais là pour moi, sans jamais me laisser l’occasion de faire de même pour toi. » Des mots qu’il a déjà entendu des centaines de fois. Il est Joseph, le garçon incapable de crier à l’aide même lorsqu’un flingue est posé contre sa tempe battante. Depuis toujours, il a pensé que c’est son orgueil qui le tuerait : il poserait le pied dans un piège à ours et se laisserait crever dans la forêt sans même chercher à attirer l’attention de piétons qui marcherait par-là. Quoi ? C’est honteux de se retrouver dans une telle situation. « Je n’ai jamais voulu t’donner l’impression que je n’étais pas à la hauteur pour te remonter le moral, pour te faire oublier les coups fraîchement reçus. Tu n’m’aurais jamais cru, quand j’te disais que les choses allaient s’améliorer, si je ne te laissais pas croire que j’allais bien. » Certains pourraient dire qu’il avait opté pour le choix humble, d’autres pour le choix complètement stupide. Encore une fois, il avait agi sans penser et avait préféré étirer les lèvres d’Olivia en un sourire plutôt que de froncer ses sourcils d’inquiétude. Elle ne méritait pas de s’en faire pour une autre personne qu’elle-même. Lui, il avait déjà eu sa seconde chance en fuyant la maison familiale.

Elle lui en veut d’avoir rejoint des gens qui ne correspondent pas aux critères de l’acceptable. C’est compréhensible, et c’est pour cette raison que Joseph lui présente ses excuses, à celle qui s’est sentie rejetée par un jeune homme qui avait trouvé un endroit où se réchauffer sans jamais penser à chercher de l’aide plus près de lui. Le silence qu’il reçoit par la suite le tétanise mais il ne laisse rien paraître en s’accrochant au sol qui, lui, ne peut pas le détester. Malgré tout, il se permet de demander ses droits en tant que prisonnier volontaire – probablement un nouveau terme qu’il vient d’inventer. Il pense à une personne, une jeune femme qui arriverait peut-être à le border comme elle l’a fait dans le passé quand il pleurait encore la douleur du fouet. Lily les a tous vus, ses visages : de l’innocent au coupable, de l’amuseur de foule à l’abusé de l’autorité. Il a passé par tous les chemins avec elle, c’est bien normal si c’est son visage qui s’affiche dans le fond de son crâne à cet instant même si leur dernier échange s’est terminé par des éclaboussures de café trop sucré. « Tu es ici par choix. Je peux ouvrir cette cellule, tu sais. » C’est étrange, comme sensation, de se sentir prisonnier de soi-même. Rien ne l’empêche de fuir pour se bousiller encore plus, Olivia vient de lui offrir la possibilité de le faire sans savoir ce que cela engendrerait. Il ne peut pas lui en vouloir de lui proposer la liberté : il n’a pas réussi à lui donner la raison de sa visite surprise ce matin. « Je ne demande que ça. Te voir ici, ça n’a jamais été ce que je voulais. Même à l’époque. » Machinalement, il secoue la tête pour ne pas se laisser tenter par la facilité. Ses veines pulsent encore sous le désir de la perte de contrôle. Son cœur ne supporterait pas de se faire empoisonner une énième fois. Pas si tôt. Alors, les yeux gorgés de larmes qui menacent de couler, il supplie la policière du regard et lui demande, par ce silence douloureux, de ne pas glisser la clef dans la serrure. À nouveau, il se remet à gratter son avant-bras parce que son corps lui hurle de la prendre, cette foutue clef. Réalisant qu’il réanime le flux de son sang, son souffle se coupe et il plaque sa paume sur la plaie pour l’empêcher salir davantage le plancher. « Oui, juste l’appel. » Qu’il répète à Olivia, les lèvres tremblantes parce que la brûlure sur sa peau semble se réveiller pour la première fois.

Le pas lourd, il se redresse, abandonnant ce lit qui supportait plus que le poids de son corps, et il se dirige vers la jeune femme. Il s’arrête devant les barreaux, s’assure qu’elle n’est pas ébranlée par sa proximité, puis glisse sa main propre entre deux barres métalliques. « Mon sac est probablement à quelque part à l’accueil. Ils me l’ont arraché du dos là-bas. Sinon, tu peux me prêter ton portable. Je ne veux seulement pas sortir de cette cellule. » La souffle court, il évite de trop la fixer en préférant reposer ses yeux sur ses épaules. Il n’a pas l’impression d’avoir le droit de lui demander cette faveur mais c’est elle-même qui lui a dit qu’il n’était pas un prisonnier et qu’il possédait donc encore tous ses droits.    
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Message(#)Broken [Liv&Jo] EmptySam 25 Avr 2020 - 1:16


Olivia Marshall & @Joseph Keegan ✻✻✻ J’aurais pu consentir, concéder à me heurter à l’opacité aujourd’hui et à la laisser indemne sans tenter de l’éclaircir pour y voir clair. J’aurais du car il ne s’agissait pas de n’importe qui, cette fois-ci, en face de moi et que ce qui se cachait derrière ce que nous avions évité et laissé en suspens toutes ces années n’avait pas belle apparence. Mais ma vision, comme à son habitude, ne comprenait pas ses limites, mes yeux s’acharnant à regarder et débusquer. Et Joseph avait raison, dans le fond, de laisser son corps se reclure derrière ces barreaux qui inventaient ce dont il avait besoin. Ils ménageaient en notre centre ce réceptacle dans lequel loger ce que nous n’avions pas encore su évacuer. Ils se dressaient entre nous comme le mandataire de nos silences imposés, lorsqu’ils avaient été si salvateurs, et nos reproches désormais sifflés et allusifs puisqu’ils avaient déjà eu l’occasion d’être néfastes et moralisateurs. Les souvenirs restaient plantés dans nos mémoires comme un couteau à ouvrir les yeux et Joseph semblait s’en accommoder avec plus de fatalisme que je n’en étais capable, comme s’il se plaisait à rouvrir des plaies anciennes alors que les plus récentes n’avaient pas encore eu l’occasion de s’étuver. « Ce n’est pas ce que t’as dit, c’est vrai. Mais ils n’y a pas que les mots qui parlent. » Et que révélait mon corps que ne laissait pas s’exprimer mes lèvres ? Je fronçais les sourcils car je n’en avais aucune idée, réellement, et que l’ignorance était cette faiblesse que je n’aimais pas me pardonner. Elle n’avait rien d’étonnant ici, pourtant. Nous nous étions ôtés tous deux le droit de nous comprendre, l’occasion de savoir, sans douter, ce qui nous unissait désormais. Nous avions été blessés, chacun à notre manière et nos larmes avaient sans doute coulé pour ne former qu’une seule rivière : celle de souvenirs communs que nous gardions enfouis derrière la porte scellée de notre mémoire. Celle qui nous avait unis, il fut un temps, car nous avions accepté sans même nous le dire de flotter en son dessus avec la même allégresse, manquant de chavirer à chaque instant car personne ne nous avait dit comment faire. Mais personne ne nous avait dit, non plus, comment survivre après un naufrage. C’était cette ignorance qui avait eu raison de nous. C’était cette ignorance à laquelle j’en voulais le plus. « Laisse tomber. » Je l’avais fait, oui. Je ne pouvais pas lui en vouloir de réitérer sa demande, ne doutant pas que j’allais y accéder, comme autrefois. J’étais prête à le faire encore aujourd’hui, sans que cela ne me demande, étrangement, aucun effort. Je laissais tomber l’envie de chercher des réponses dans les sillons creusés entre chacun de nos mots car nous n’en trouverions pas. Je laissais tomber l’instinct, également, de revenir sur les paroles qui lui avaient échappées et qu’il avait eu la dextérité de rattraper au dernier moment. Je les avais ignorées, l’autorisant ainsi à penser que je ne les avais peut-être pas entendues. Ses amis, les manth … Fais attention Joseph, tu ne parles pas à n’importe qui. Était-ce ainsi que son esprit l’avait rappelé à l’ordre ? Sa langue avait fourché et il l’avait mordue l’instant d’après. Mais il ne fallait pas qu’il s’en fasse, songeais-je. J’avais déprécié son appartenance à un clan dont j’ignorais tout mais auquel j’avais attribué crimes et travers, laissant ces derniers s’enrouler autour de l’image pure et enjouée de Joseph pour oublier la raison de mon attachement. Mais je l’éprouvais toujours, ce lien inexorable qui transperçait ma poitrine. Assez pour ne pas relever. Assez pour réaliser, une fois encore, que je n’étais loyale qu’à mon propre camp, celui au sein duquel je gardais ce que je voulais protéger, ceux en qui je ne cessais de croire. Certains, même, que je pensais avoir délaissés mais je devais me rendre à l’évidence : sa bévue n’avait pas attisé ma curiosité de flic. Et son silence resterait ainsi, immuable, s’il le souhaitait.

« Je n’ai jamais voulu t’donner l’impression que je n’étais pas à la hauteur pour te remonter le moral, pour te faire oublier les coups fraîchement reçus. Tu n’m’aurais jamais cru, quand j’te disais que les choses allaient s’améliorer, si je ne te laissais pas croire que j’allais bien. » Et il ignorait à quel point je m’en étais voulue, par la suite. À quel point ce qu’il avait caché avait redessiné chacun des moments passés ensemble, comme si la noirceur de son quotidien passée sous silence avait fait soudainement intrusion dans le mystère d’une relation que j’avais fini par remplir de lumière. Je n’avais pas su voir. Je n’avais pas su deviner alors que tout m’était paru évident par la suite. La rivière coulait dans les yeux de celui qui m’avait prise sous son aile. Il avait dû lui parler, lui aussi, lui raconter ses craintes et les injustices de sa vie afin que celles-ci soient emportées par les flots, mêlées aux miennes. Et j’aurais dû la voir, cette rivière devenant fleuve, et ce fleuve devenant océan à l’embouchure de nos tourments. « Je t’aurais cru. » J’aurais dû et cela n’aurait rien changé. Je l’aurais cru. Je l’aurais cru comme je l’avais fait auparavant. Je l’aurais cru davantage, même, s’il n’avait pas pris injustement cette décision à ma place. S’il n’avait pas feint ses sourires pour me permettre d’oublier lorsqu’il s’imposait en retour de s’oublier lui-même en vérité, à chaque fois que sa peau rencontrait la surface glacée de la rivière. « Mais ça n’était pas ta responsabilité, tu sais. Je ne l’étais pas. » Pour qui que ce soit, m’imposait mon ego. Pour lui, encore moins. La cigarette à peine consumée se transformait en mégot, déjà, sans même y penser. Et le silence, également, qui vint se former, retrouver son opacité sans que je n’y fasse attention. J’hésitais, à vrai dire. J’hésitais car il n’était pas venu ici pour une saillie réconfortante ou des conseils que je n’étais plus en droit de prodiguer. À lui ou n’importe qui. Je n’en écoutais aucun moi non plus. Je n’étais pas obligée d’en inventer, ils ne me siéraient pas. Et pourtant, je m’immobilisais de nouveau, me retournant vers lui. « Tu ne peux pas avoir peur, continuellement, des gens qui tiennent à toi comme si leur montrer qui tu es vraiment risquerait de changer ça. » Cela sonnait faux entre mes lèvres demeurées closes depuis trop d’années à présent pour me permettre ses souffles. Je décroisais mes bras en inspirant lentement pour prendre mes incohérences à leur propre jeu, les exposant avant qu’il ne me les reproche. « Et je devrais me taire parce que, qu’est-ce que j’en sais après toutes ces années, n’est-ce pas ? » Mais rien ne semblait caché en lui, aujourd’hui. Les afflictions de Joseph étaient marquées sur sa peau rougie qu’il ne cessait de tirailler comme les traces d’une longue mutilation et je ne parvenais pas à fermer les yeux. « Sauf que tu as préféré venir ici plutôt que de demander de l’aide auprès de toi, alors je sais. Tu penses peut-être les préserver mais tu les transformes en fardeaux sans même qu’ils ne le sachent. Et tu ne t’aides pas non plus. » Je retrouvais le silence, quelques secondes, en inclinant le menton dans sa direction pour faire face à son profil replié sur lui-même, perdu au milieu d’une banquette trop étroite pour ce qu’elle devait supporter. Il allait pouvoir m’en vouloir cette fois-ci encore mais ce n’était pas ma colère que je laissais s’exprimer aujourd’hui. Et je prenais mon temps, laissant s’échapper ces mots pesés et sincères lorsque l’ironie et les prédications détournées affleuraient à mes lèvres beaucoup plus rapidement d’ordinaire. « Tu finiras comment, à ton avis, à vouloir accomplir une prophétie que tu as créée de toutes pièces ? » soufflai-je finalement en haussant les épaules car sa lassitude était réelle, elle, et que j’acceptais de m’y accorder plutôt qu’à sa fatalité.

Celle-ci s’exprimait, pourtant, avec le plus de véhémence de son côté, brisant son timbre à chacun de ses regards, de ses souffles, de ses mots qu’il continuait d’étouffer mais je discernais les notes les plus évidentes avant qu’il ne les laisse s’exprimer. Ce n’était pas l’espace restreint dont il avait peur. Il ne craignait pas l’enfermement car les respirations, quoique douloureuses, perdureraient en ce lieu et en ce lieu seulement semblait-il penser. La cellule redoutée il y a peu devenait à présent convoitée, paradoxe crucifiant, seule capable de le rattraper avant qu’il ne percute le sol. « Oui, juste l’appel. » Je l’observais se relever, lentement, chacun de ses mouvements semblant lui demander un effort incommensurable, le menaçant à tout instant de le faire fondre en larmes. En vain. Il semblait avoir dépassé ce stade depuis si longtemps, en réalité. « Mon sac est probablement à quelque part à l’accueil. Ils me l’ont arraché du dos là-bas. Sinon, tu peux me prêter ton portable. Je ne veux seulement pas sortir de cette cellule. » J’acquiesçais silencieusement à sa requête et m’approchais d’un pas, laissant mes doigts chercher le téléphone dans ma poche arrière, le trouver lentement pour l’amener près de lui. « Ça vaut mieux. » J’observais sa main se tendre dans le vide avant de se saisir de l’appareil comme une ancre jetée dans sa direction et je ne le lâchais pas, pourtant, pas tout de suite, repliant mes doigts sur les siens au dernier moment. « Dis-moi que tu n’appelleras personne de dangereux pour toi. » Je demeurais impassible, sans jugement aucun se logeant au fond de ma voix. Plus besoin de faire croire que les choses allaient bien, plus besoin d’être ce qu’il me pensait vouloir de lui. « Tu as mal, ce serait compréhensible. » Je pouvais comprendre qu’il ne puisse plus tout porter sur ses épaules, qu’il ne puisse plus tout assumer, qu’il en avait eu assez. Je pouvais comprendre qu’il cherche de l’aide autre part. « Mais ce ne sera pas grâce à moi. » Je ne le suivrais pas sur ce chemin. Mes certitudes s’étaient évanouies depuis notre adolescence ou nos plus jeunes années. Assez pour embrasser désormais les controverses, les nuances, les compromis. Jamais assez pour conforter son abandon.


 


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Message(#)Broken [Liv&Jo] EmptyLun 27 Avr 2020 - 0:37

« Je t’aurais cru. » Et c’est Joseph qui n’arrive pas à la croire à cet instant. Sceptique, il secoue la tête en soufflant tout l’air qu’il préservait dans ses poumons pour calmer ses tremblements et une sorte de rire faux s’échappe en même temps. Son intention n’est pas de blesser celle qui est venue à sa rescousse mais il ne peut cacher son avis contraire derrière un visage impassible. Il n’a plus la force d’empêcher ses émotions de s’exprimer. Il ne peut pas croire qu’elle aurait cru en le potentiel de la vie si lui, d’apparence heureuse, se battait contre ses démons jour et nuit. Elle n’aurait pas accepté l’espoir qu’il lui offrait si lui-même était rongé, non ? Ça n’aurait pas fait de sens et ne demandez pas à Joseph de faire de l’ordre dans ses pensées en cet instant. À ses yeux, il a fait ce qu’il devait faire pour Olivia et il n’a pas à se justifier. « Mais ça n’était pas ta responsabilité, tu sais. Je ne l’étais pas. » Au contraire. Elle était la seule responsabilité qu’il possédait et elle lui était précieuse, plus que le pain qu’il arrivait à choper chez le boulanger et plus que les nuits sans pluie qui lui offraient un peu de répit à la belle étoile. Elle avait compté sur lui le premier jour de leur rencontre, pas vrai ? Il n’avait plus de sœur à protéger, l’ayant laissée derrière lui à regrets, mais son instinct fraternel n’avait pas été brisé par les circonstances, pas pour autant. Olivia était entrée dans sa vie comme Lily en était sortie. « Tu ne peux pas avoir peur, continuellement, des gens qui tiennent à toi comme si leur montrer qui tu es vraiment risquerait de changer ça. » Il a appris à faire profil bas à un âge hâtif. Ne jamais se plaindre ni des réprimandes, ni des règlements, ni de la douleur même si cette dernière arrive à lui arracher un cri. Si son père lui a appris une chose, c’est bien de rester silencieux pour ne pas attirer l’attention sur lui – de toute façon, il ne l’a jamais méritée, cette attention, parce qu’il n’avait été que le brouillon de parents qui ont tout misé sur leur seconde chance. Lily, la belle, la gentille, la parfaite, cette qui choisit sa part de tarte avant les autres, qui souffle sur les chandelles pour éteindre la flamme et qui grimpe sur le dos de papa pour voir derrière la ligne des montagnes. « Et je devrais me taire parce que, qu’est-ce que j’en sais après toutes ces années, n’est-ce pas ? » Les yeux de Joseph se gorgent d’eau pour l’énième fois et il n’a pas le courage d’ouvrir la bouche pour répondre. Il sait que sa voix casserait et il n’a pas envie de se ridiculiser davantage devant celle qu’il aurait voulu impressionner jusqu’à ce qu’elle trouve quelqu’un de mieux pour s’occuper d’elle. Il ne sait toujours pas, d’ailleurs, si elle a trouvé cette personne aujourd’hui. Il aimerait lui demander mais elle lui a bien fait comprendre qu’elle n’a pas l’intention de lui parler de sa situation à elle, du moins, pas ce matin. Elle a trop rapidement découvert sa ruse qui consiste à changer de sujet lorsqu’il devient l’interrogé aux milles maux. « Sauf que tu as préféré venir ici plutôt que de demander de l’aide auprès de toi, alors je sais. Tu penses peut-être les préserver mais tu les transformes en fardeaux sans même qu’ils ne le sachent. Et tu ne t’aides pas non plus. » Si elle savait. Si elle pouvait comprendre que, les gens qui tiennent à lui, il les a déjà brisés et que c’est pour cette raison qu’il a trouvé refuge au commissariat. Mais Olivia n’est plus cette amie à qui il peut tout dire sans craindre de représailles. Elle représente aujourd’hui la justice et s’il a déjà frôlé la trahison en mentionnant le nom de son ancien gang à voix haute, il ne pourrait pas s’en sortir sans écorchure s’il admettait avoir battu un homme jusqu’à ce qu’il perdre connaissance pour se réveiller sans aucun souvenir. Il a trop longtemps roulé sur sa chance, la moindre erreur et c’est la fin d’une aventure pour celui qui est terrorisé à l’idée de terminer sa vie en compagnie de gens à qui il ne veut pas ressembler. De véritables criminels. « Tu finiras comment, à ton avis, à vouloir accomplir une prophétie que tu as créée de toutes pièces ? » Il respire doucement en fixant le sol afin de retrouver le calme qui le caractérise bien normalement. Il concentre son odorat sur l’odeur de tabac qui flotte dans la pièce, ce dernier arrivant à détendre ses muscles plus qu’il ne l’aurait imaginé. « Dans une tombe. » Il souffle sur un ton détaché, cachant volontairement sa peur de la mort. Partir si tôt n’a jamais été dans ses plans et ne devrait l’être dans ceux de personne. Il connait la valeur de la vie car il l’a déjà goûté quand elle était délicieusement sucrée. « Mais si ça peut aider certains à ne pas m’y rejoindre trop tôt. » Joseph ajoute en haussant les épaules, prêchant les paroles d’un être qui s’est sacrifié pour d’autres, comme si ça pouvait nettoyer son image. Évidemment, ses mots sont sarcastiques car Olivia l’a coincé : il n’est pas assez têtu pour s’obstiner davantage alors que la jeune femme a gagné depuis le début de la discussion. Il sait que son comportement ne fait pas de sens car il ne serait pas ici aujourd’hui si c’était le cas. Il y a eu de nombreuses failles dans sa stratégie, dans sa « prophétie ». Mais il est trop tard pour retourner vingt ans en arrière.

Le jeune homme aurait aimé se sentir bien dans cette cellule contraignante, il aurait aimé l’entendre lui murmurer des mots rassurants mais cette prison qu’il s’est imposé ne fait que lui rappeler sa solitude – ce ne devrait pas être surprenant, d’ailleurs, mais on ne peut pas en vouloir à la stratégie d’un drogué en manque. Ses jambes l’ont guidé ici sans qu’il ne puisse se battre contre son instinct. Pourtant, il se surprend à demander ses droits, notamment celui de passer un appel extérieur, comme s’il connaissait par cœur la démarche entre ces quatre murs – c’est un peu le cas, en fait. Olivia conclue qu’il serait mieux qu’elle lui prête son portable plutôt que de partir à la recherche du sac confisqué. Alors qu’elle lui tend l’appareil, il redresse la main et s’y accroche, constatant rapidement que la jeune femme ne relâche pas la pression sur celui-ci. Quand ses doigts se posent sur les siens, il redresse enfin les yeux pour croiser son regard et il lit l’inquiétude dans son iris. « Dis-moi que tu n’appelleras personne de dangereux pour toi. » Il ne peut retenir un gloussement de surprise. Bien évidemment que sa sœur est un personnage dangereux. Elle lui a bien trempé ses vêtements de café rose, la dernière fois qu’ils ont passé du temps ensemble. Elle s’est bien mariée avec un étranger sans l’inviter et sans lui permettre de voir la voir vêtue de sa robe. Il lui en veut encore, Joseph, mais s’il a un appel à faire, ce ne peut être qu’elle qui répond de l’autre côté du combiné. Elle est la seule qui le connait vraiment et qui sait lui retirer son masque d’une baffe bien placée. Malgré tout, un mince sourire étire les lèvres du garçon alors qu’il ressert le téléphone d’un mouvement étrangement douillet. « Tu verras. » Il lui répond simplement, conscient que ces deux petits mots n’arriveront pas à apaiser ses craintes. Mais, mentionner sa sœur à voix haute, il n’arrive pas à le faire dans cet état.

Il s’octroie un peu d’intimité, déjà épuisé de se montrer si vulnérable devant le monde. Il se sépare à nouveau d’Olivia, lui jette un dernier regard bienveillant pour la remercier, et se colle contre le mur avant de composer le numéro de Lily, huit chiffres qu’il connaît par cœur. La sonnerie tinte contre son oreille et, pourtant, il ne se sent pas plus rassuré. Lily est un volcan, mais il a besoin de se bruler.
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