La lettre est arrivée il y a trois jours à son domicile, signée affectueusement, Claire, et Grace a dû la relire une bonne vingtaine de fois pour y croire, pour imprimer les mots sur le papier, et surtout pour en saisir leur réalité. Claire, son premier amour, sa première peine de coeur, lui a écrit une lettre à la main pour mentionner ses tendances destructrices, son besoin ancien d’avoir toute l’attention sur elle, qu’importe ce qu’il en coûtait, et autres jolies choses - mais c’est bon, tout est réglé, maintenant. Et pour le lui prouver, elle la convie à une séance de réconciliation spirituelle chez elle, à Logan City, le 20 Mars 2020, cordialement tienne, à bientôt j’espère. Ce matin encore, Grace laisse ses yeux parcourir la lettre, à la recherche d’un numéro de téléphone à appeler pour demander mais qu’est-ce qui te prends de ressortir d’entre les morts, putain, on est où là, est-ce que je peux amener du thé ou des sodas. Dix-sept heures trente, et la jeune femme est toujours assise sur son canapé, à contempler la possibilité d’y aller sans trop y croire. Une demi-heure après, pourtant, elle est habillée, abandonne Kim Possible d’un gros bisou sur le haut du crâne, et part affronter ses démons avec bravoure, du thé et des sodas.

Elle se retrouve seule en bas du bâtiment, fixée devant la sonnette, à la dévisager comme pour y appliquer ses pouvoirs psychiques et que Claire lui ouvre la porte sans qu’elle n’ait besoin d’appuyer sur le bouton - en plus, c’est sale, et plein de germes, et on ne sait pas qui a appuyé dessus avant. Elle ne reste pas longtemps bloquée, cela dit, parce qu’une autre jeune femme qui a l’air un peu plus jeune qu’elle, et qui fait peut-être bien la moitié de sa taille, arrive elle aussi sur le perron du complexe et la dévisage comme pour lui demander ce qu’elle fout. “Scusez-moi, allez-y.” Elle s’efface poliment, observe la petite asiatique de loin, et à n’en pas rater, celle-ci appuie sur l’interphone lié à Claire. La tentation est trop forte pour qu’elle risque de se retrouver à nouveau toute seule sur le pas de la porte : “Toi aussi, tu vas chez Claire ?” Leurs regards se croisent et le silence est lourd de mots : elles deux ont vécu des horreurs sous les mains de leur bourreau, assez pour que Grace se sente instinctivement liée à cette parfaite inconnue.

“Moi c’est Grace. J’avais peur d’être seule ce soir, c’est cool de voir que non.”

C’est cool de voir que tout le monde ne déteste pas suffisamment Claire pour la ghoster, mais c’est surtout un peu moins cool de voir qu’elle a tant de monde à qui présenter des excuses. Elles sonnent, elles rentrent au biiiip qui les alerte que Claire a déverrouillé l’entrée pour elles. Pied de l’ascenseur : 8ème étage, qu’il était indiqué dans la lettre. En plus, c’est un de ces ascenseurs où on a besoin d’un code à entrer pour pouvoir sélectionner l’étage voulu. Les deux jeunes femmes sont plantées devant la porte en attendant qu’il descende au rez-de-chaussée, parfaitement silencieuses. “Tu vois les interventions pour les alcooliques dans les films américains, là ? Ben on dirait exactement ça. Mais c’est elle qui intervient pour nous dire que c’est une connasse et pas l’inverse. Pratique, remarque.” Comme à son habitude, Grace n’arrive pas à la fermer tant la perspective la rend furieuse. Ca fait dix ans, pourtant, certes, et elle n’est pas (en tout cas pas trop) rancunière. Mais Claire, c’est différent. Claire, c’est une part d’elle qu’elle ne soupçonnait pas et qu’elle a fini par détester. Elle se demande s’il y aura Mark, pour bien la ramener à sa condition de première année de fac amourachée d’une hétéro en manque d’attention. L’immersion sera alors totale.

A la porte, une autre silhouette se dessine : un grand blond qu’elle reconnaîtrait entre tous. Tiens, elle n’aurait pourtant pas parié que Jordan se déplacerait ce soir-là - elle lui aurait bien demandé, mais les lettres avaient un aspect tellement confidentiel qu’elle n’avait osé en parler à personne. “Tiens, t’es invité toi aussi ?” qu’elle envoie à son ami alors que celui-ci les rejoint devant l’ascenseur. Elle a envie d’éclater de rire mais elle garde un air solennel, et le salue d’une brève accolade. Les portes s’ouvrent, enfin, et les trois jeunes gens se glissent à l’intérieur, comme des personnes normales qui vont à une soirée normale, sans appréhension aucune, parce que tout est normal. Les portes se referment normalement sur eux et personne n’appuie sur le bouton du huitième.

“Bon. Qui a le code ?” lâche naïvement la photographe.

Evidemment, que Claire n’a pas pensé bon de le mentionner.

Déjà, comment est-ce que cette p*te avait réussi à choper mon adresse ? En vrai, j’en ai rien à foutre de ses excuses, c’est une réunion de charité qu’elle organise là ou quoi ? "Je souhaite m’excuser en personne pour tout le mal que je t’ai fait" qu’elle avait couché sur papier avant de m’envoyer sa lettre, arrivée y’a une semaine dans ma boîte. Ca me fait rire, parce que des excuses de la part de Claire, j’y crois pas une seule seconde. Ca fait plus de dix ans que j’ai pas croisé sa face, et pourtant j’ai toujours autant de rancœur envers elle. Je sais bien qu’elle avait besoin d’attention parce qu’elle avait pas de parents ni de famille qui pouvait lui en donner, mais personne n’en avait au foyer, et cette excuse ne pouvait pas justifier tous ses actes. Peut-être qu’elle a changé Mira, t’en sais rien. Changé mon cul ouais, tu peux changer certains traits de ta personnalité, mais pas ta personnalité en entier. Cette attitude de c*nnasse était ancrée en elle, elle aurait jamais pu s’en défaire. Mais bon après tout, ça part d’un bon sentiment. J’ai bien envie de voir Claire me supplier de lui pardonner, un pardon sans le ‘mais’ qui suit derrière, des vraies excuses sans justifications. Je parie qu’elle y arrivera pas, ce sera bien plus fort qu’elle.

Les insultes fusent dans ma tête, je pourrais passer ma soirée à cracher sur elle, mais ce sera certainement plus fun de se retrouver devant elle pour lui montrer qu’elle ne m’atteint plus, que je suis plus la gamine en recherche d’approbation et qui fait tout ce qu’on lui demande pour être aimée. Pendant que je me fais ces réflexions, je fouille dans mon placard des fringues qui pourraient faire casual mais classe en même temps, et je finis par choper le jean taille haute que je m’étais fabriqué y’a deux semaines, mon crop top blanc, enfile mes baskets et saisis ma veste en jean au cas où je rentre tard ce soir – bien que j’en doute très fortement. Je repasse un léger coup d’eye liner et vérifie de rien avoir coincé entre mes dents, me fous un coup de parfum et balance finalement ma sacoche sur mon épaule avant de sortir de mon studio. J’en ai pour quinze minutes à pied, et j’y vais sans vraiment me hâter. J’avoue que je stresse un peu, je comprends pas pourquoi elle a fait la meuf formelle avec sa lettre, elle aurait pu envoyer un sms, comme tout le monde non ? J’ai la pression qui monte, je cherche à me donner de l’assurance mais clairement j’ai peur de me faire bouffer à nouveau, comme quand on était au foyer, et que c’était elle qui me dictait les comportements que j’étais censé avoir.

J’arrive en bas de chez elle, un putain de grand bâtiment de riche. Ca m’étonne pas, je sais pas comment elle a réussi à s’en sortir après la merde dans laquelle on était quand on était gosses. Quoi que, certainement en écrasant tous ses collègues/supérieurs et en profitant de leur naïveté et de leurs confessions pour les sortir contre eux devant le grand boss en fait. Une meuf attend comme une conne devant le digicode. Je la fixe en espérant qu’elle ouvre, mais elle a pas l’air de tilter. “Scusez-moi, allez-y.” Ah, d’accord. Elle s’éloigne du perron du complexe pour me laisser le passage, et je peux pas faire genre j'hésite à sonner maintenant que je me sens observée. Je cherche le nom de Claire sur l’interphone, mais je me fige un peu avant d’appuyer. “Toi aussi, tu vas chez Claire ?” Je me retourne pour lui faire face, et je comprends qu’elle va elle-aussi chez cette garce. « Yup » Je lâche un rire qui se veut décontracté, mais qui reflète plutôt ma nervosité. Apparemment ce sera pas un tête à tête, elle a dû envoyer la lettre à plusieurs de ses victimes alors. “Moi c’est Grace. J’avais peur d’être seule ce soir, c’est cool de voir que non.” A nouveau, un rire, gênée. « Moi c’est Mira. » que je me contente de sortir. J’ai plus le choix, va falloir que je sonne maintenant. Claire nous ouvre, et on se dirige toutes les deux vers l’ascenseur. “Tu vois les interventions pour les alcooliques dans les films américains, là ? Ben on dirait exactement ça. Mais c’est elle qui intervient pour nous dire que c’est une connasse et pas l’inverse. Pratique, remarque.” Pour la troisième fois en deux minutes, je lâche encore un rire. Y’en a au moins une de nous deux qui prend ça sur le ton de la rigolade. Un gars attend derrière la porte lui aussi, et je me dis que c'est quelqu'un qui doit habiter ici. Mais Grace l'interpelle. “Tiens, t’es invité toi aussi ?” Y’en a combien qui vont débarquer encore ? Ils ont l'air de bien se connaître, et je me sens un peu étrangère dans tous ça. « Apparemment Claire a trouvé le bon moyen pour ramener des gens à sa soirée. » que je lâche, un rire coincé dans la gorge.

L’ascenseur arrive au rez-de-chaussée, et on s’y engouffre tous les trois dedans, comme des bons vieux potes qui retrouvent une bonne vieille pote. “Bon. Qui a le code ?” Evidemment, c’est un ascenseur qui nécessite une combinaison de chiffres pour monter, mais j’ai aucun souvenir de ça d’écrit sur la lettre. Je sors la lettre de ma sacoche pour la relire à nouveau, au cas où je serai passée à côté de cette information. Les quelques lignes que je relis en diagonale me font sourire ironiquement. Putain elle y avait vraiment mis tout son cœur la p'tite Claire. « Eh baaaah, pas de code dans les indications à suivre pour arriver à son appart. Non mais en vrai c’est mort, j'monte pas huit étages à pied moi. » Ca me fera peut-être une excuse pour me barrer de cette soirée avant même qu'elle n'ait commencé.

@Grace Coughlin @Jordan Fisher

Une lettre. Genre. Une lettre. Une vraie lettre. Avec du papier et de l’encre sorti d’un stylo. Pas un truc imprimé non. Une lettre. T’as été grave déçu quand t’as vu de qui elle venait. Parce que les lettres personnalisée comme ça, tu aimes beaucoup. Ca compte pour toi. Et c’est justement parce que t’es un emotional fuck que bien sûr tu t’es rendu sur le lieu de rendez vous. Genre elle pouvait pas mieux faire pour être sûr que tu te pointes. Trop facile de te prendre par les sentiments. Parce que cette fucking bitch tu lui aurais bien mis une brique en pleine face et ensuite compter combien de dents elle a perdu. Y’a pas seulement le comment elle a traité Grace toutes ces années, y’a aussi un commentaire très mal placé qu’elle a dit à propos de Rosa un jour. Plusieurs. C’était une plaisanterie évidemment. Sûrement que ton bonheur lui faisait mal aux yeux. Parce que tu avais joué le gars qui laisse couler sinon tu allais vraiment lui mettre une belle grosse claque à cette bitch. Mais ça s’est répété à chaque fois que vous vous croisiez et que Rosa était là. Elle trouvait toujours un commentaire à faire sur toi, sur elle, sur vous. Directement ou indirectement. Fucking bitch.

« L’écoute pas babe. Viens on se tire. » C’est Rosa qui te calmait à l’époque et puis elle est tombée dans le coma. Et puis la première fois que tu t’es retrouvé nez à nez avec Claire à une soirée, elle a fait une sale blague en parlant hypothétiquement de sa meuf dans le coma. Une plaisanterie bien sûr. Tu te souviens encore de comment tu t’es jeté sur elle alors que vous étiez au bord de la plage. Ca faisait déjà quelques années que la femme de ta vie était dans les limbes. C’était la première fois que tu revoyais Claire. C’était aussi la dernière fois. Ils avaient été plusieurs à te retenir pour pas que tu te jettes sur elle. Il valait mieux pour tout le monde que tu ne vois plus jamais son ombre. Pour elle. Mais voilà cette fucking lettre. L’eau a coulé sous les ponts et t’es sûr qu’elle a pas changé mais malgré tout, tu lui laisses le bénéfice du doute. Tu vas écouter ce qu’elle a à dire. Tu entre dans l’immeuble. “Tiens, t’es invité toi aussi ?”  Fuck. Y’a Grace. C’est un truc à plusieurs. La brune n’est pas au courant que t’as faillit défoncer la tronche de la meuf de qui elle était amoureuse. Y’a aussi une autre personne que tu ne connais pas. Oh bordel… Dans quoi vous vous êtes lancé ? « Apparemment Claire a trouvé le bon moyen pour ramener des gens à sa soirée. » Ca la fait rire mais pas à toi.

« Ca me rassure pas tout ça. » Tu es de nature anxieuse. Tout ceux qui te connaissent le savent. Mais rien à faire, t’es là. Elles aussi. Vous entrez dans ce fichu ascenseur. “Bon. Qui a le code ?” C’est que des questions dans la bouche de Grace et t’aimes pas ça. Cette vibe. Elle sait rien, elle demande tout. Tu es en train de te monter la tête. RESPIRE JORDAN. Ca va ça va je gère. T’as intérêt. Me faut de la weed. Oh god… La meuf inconnue cherche des indices dans la lettre. « Eh baaaah, pas de code dans les indications à suivre pour arriver à son appart. Non mais en vrai c’est mort, j'monte pas huit étages à pied moi. »

« Même pas une histoire de 8 étages à monter, ça pue cette affaire. » Tu soupires. « Pourquoi j’ai des Pretty Little Liars vibes ? » Parce que tout comme Grace, dans cette série, ils ont toujours des questions et aucune réponse. Sans parler des gens qui meurt régulièrement. « Et je me retiens de dire Saw mais c’est pas loin. » CHILL JORDAN. Tu prends une grande inspiration.

« Vous vous connaissez d’où ? » Ca va te rassurer déjà d’avoir quelques réponses à une simple question. Parce qu'à première vue cette meuf avec Grace pourrait peut être faire partie du plan de Claire pour vous enfermer toi et Grace. Pour vous séquestrer et vous torturer. Mais rappelle toi une chose Jordan, si tu vois Claire aujourd’hui, tu pourras lui défoncer sa gueule. Ouais. Bien sûr. Devant Grace. Quelle magnifique idée.

« Apparemment Claire a trouvé le bon moyen pour ramener des gens à sa soirée. »

Ce qui fait plaisir à Grace, c’est qu’elle n’est visiblement pas la seule à être profondément sceptique face à cette initiative inattendue de Claire, plus de dix ans après l’avoir perdue de vue après l’avoir pseudo-larguée par lettre, également. De base, d’ailleurs, la lettre lui avait semblé être une touche personnelle, un écho à leur dernière correspondance. Ca, c’était avant qu’ils se tassent tous les trois dans l’ascenseur et que la prénommée Mira, seule inconnue au bataillon (qu’est-ce que Claire avait bien pu lui faire subir ?), sorte une lettre qui ressemble en tout point à la sienne. Ne dis rien, ça ne te regarde absolument pas, peut-être qu’elle aussi, c’est une ancienne amante éplorée ou larguée sur le carreau. « Ca me rassure pas tout ça », intervient Jordan, dans son éternel stress qu’elle ne peut que comprendre : les instructions sont floues et cette réunion à minimum quatre (vingt-cinq, aurait-elle plutôt parié) était complètement hors de leurs esprits à tous. Résultat, personne n’a le code, et tout le monde commence à se demander s’il n’est pas préférable de tranquillement retourner dans ses pénates plutôt que de remuer le passé de la sorte.

« Pourquoi j’ai des Pretty Little Liars vibes ? »

Ca ferait marrer Grace si le silence autour d’eux ne se densifiait pas à mesure que les secondes s’égrainent. “Arrête. On sait tous très bien que Claire en A, ça aurait beaucoup plus de sens que CeCe Drake. Ou Mona. En plus, elle est pas morte.” Entre ses lèvres, c’est à moitié sérieux : c’est à ce point que Claire les a traumatisés. Grace la voit tout à fait capable de faire le coup de les inviter tous pour leur demander de témoigner au procès de son raton laveur maléfique pour les avoir enfermés et torturés, parce qu’il allait mal, et qu’il cherchait juste à se faire aimer et soutenir. Sauf que le raton laveur, c’était en fait Claire, et qu’ils avaient tous été assez cons pour venir droit dans la gueule du loup (ou, de fait, du raton). La jeune femme pose sa main gauche sur le bras de Jordan pour essayer de l’apaiser. Ca ne marche pas trop, parce qu’elle non plus, n’est pas très sereine.

“Attends, fais voir ta lettre ?” envoie-t-elle finalement à Mira, ne pouvant se contenir plus longtemps.

Elle s’en veut, d’être ainsi curieuse envers cette inconnue probablement aussi dépitée que le duo d’amis, mais elle veut savoir. Trois secondes à lire en diagonale (par conviction plutôt que par pudeur) lui suffisent à poser son verdict : “Oh l’enculée. On a tous eu le même texte.” Ca lui fait un petit pincement en coeur, parce son elle de l’époque s’attendait bêtement à une confirmation de ses sentiments d’alors, à une validation de toute la peine qu’elle avait pu traverser, et une lettre en était la preuve parfaite. Maintenant, elle ne pouvait même plus se raccrocher à ça : aucun espoir de salvation pour Claire. “Putain, moi qui pensais être spéciale”, se désole-t-elle, à moitié attristée, à moitié ironique. Oui, bonjour, ici Emily, chez nous on croit très connement qu’une rédemption, chez une personne qui a tué au moins six personnes et en a torturé cinq autres dans un vieux garage de banlieue, est encore possible.

« Vous vous connaissez d’où ? » demande Jordan, alors qu’ils sont tous les trois les bras ballants, à se demander pourquoi ils ne sortent pas simplement de ce putain d’ascenseur pour rentrer chez eux et retrouver leur vie normale, oublier l’épisode avec une bière, ou trois, ou douze devant une série quelconque. “Oh, de Claire”, répond Grace, que l’impatience a rendu sardonique. Elle retrouve son sérieux rapidement : “Je connais Mira depuis deux minutes, en fait, on s’est croisées à l’entrée. Elle t’a fait quoi, d’ailleurs, à toi, Mira ?” Maintenant qu’elle n’est plus unique, ou importante aux yeux de Claire, autant bien remuer le couteau dans la plaie et découvrir si il y a eu plusieurs connes comme elle à l’époque. “On suffoque un peu, non ?” Pauvre Grace, qui s’écroule mentalement avec onze ans de retard. Elle appuie sur le bouton d’ouverture des portes pour mettre au moins un pied dehors. La porte ne répond pas. Nouvel essai. Toujours rien. “Ah merde.” Effectivement. Elle est au point de se demander si tout ça ne fait pas partie d’une stratégie élaborée pour les mettre à bout de nerfs. “Putain, le code.” Elle s’en souvient en regardant le panneau de contrôle : les portes sont bloquées parce qu’il faut un code pour sortir.

“Bon, ben on va tester.”

Alors Grace appuie connement sur #1234, en espérant que ce soit le code par défaut, qu’il y ait un minimum de résolution positive dans cette journée de merde par excellence, mais bien sûr, ç’aurait été trop simple, trop beau, presque rêveur. “Bon, ben on a testé.”

Le blond semble tendu comme un string, je sais pas ce qu’elle lui a fait Claire, mais il a pas l’air serein du tout. Ma tentative pour détendre l’atmosphère ne fonctionne pas, y’a que Grace qui réagit à peu près d'un sourire. « Ca me rassure pas tout ça » Les portes de l’ascenseur se referment sur nous, et le gars s’agite un peu plus. Je sais pas trop quoi lui dire pour le détendre, puis de toute façon c’est pas mon rôle ? « Pourquoi j’ai des Pretty Little Liars vibes ? » Je sors un rire bien trop nerveux, je la sens pas non plus cette soirée. “Arrête. On sait tous très bien que Claire en A, ça aurait beaucoup plus de sens que CeCe Drake. Ou Mona. En plus, elle est pas morte.” Je comprends rien à ce qu’elle raconte, j’ai lâché la série en plein milieu de la saison 2 parce que les meufs dedans m’ont gavé à toujours se foutre dans des situations de merde alors que tout le monde a bien compris qu’il fallait tout faire sauf ça, et je crois que je viens de me faire spoiler en fait. Je sors ma lettre pour y chercher un code, mais l’échec semble être le maître mot de cette soirée.

“ Attends, fais voir ta lettre ?” J’ai pas forcément envie de la lui passer, une lettre c’est intime. Surtout que Claire l’avait écrite à la main. Mais j’en veux à Claire, et ça peut être cathartique de la montrer à quelqu’un qui lui en veut aussi, d'avoir quelqu'un qui puisse cracher et juger autant que moi. Surtout que y’avait rien d’écrit là-dedans qui aurait pu définir la raison de ma présence ce soir. “ Oh l’enculée. On a tous eu le même texte.” Mais quoi ? Et moi qui pensais avoir été une privilégiée parce que Claire l’avait écrite à la main. Ca me fait décidément vraiment marrer, j’ai une rancœur tellement imprégnée dans mes entrailles qu’elle est venue s’y installer pour faire sa vie, et ça confirme bien le fait que la Claire que je connaissais n’a pas changé. « LAAAAAAAAA PUUUUUUUUUTE. » J’arrive pas à me contenir, je suis pas claustrophobe mais l’ambiance dans l’ascenseur me parait bien trop lourde pour être contenue dans un ce lieu confiné. « Pardon, fallait que ça sorte » que je justifie, presque gênée. « Vous avez reçu une lettre écrite à la main, vous aussi ? » Non pas que je sois jalouse, juste saoulée en fait.

Le gars demande d’où on se connait, et Grace pose son “Oh, de Claire” tellement délicatement que j’en pouffe. Les rires nerveux/rancuniers sont décidément de sortie ce soir. “ Je connais Mira depuis deux minutes, en fait, on s’est croisées à l’entrée. Elle t’a fait quoi, d’ailleurs, à toi, Mira ? ” Je sais pas trop si j’ai envie de déballer mon histoire, expliquer que j’ai grandi dans un foyer et tout le blabla. Au fond Claire était juste une peste en manque d’affection, qui a fait en sorte que tout le monde sache que j’ai embrassé une meuf et que je suis une grosse goudou, mais sinon elle m’a rien fait de mal en soi. « Euh, des crasses de gamine. Mais ça remonte à plus de dix ans déjà. » Je reste vague, volontairement. Ils ont pas l’air d’être des gens qui jugent, mais je préfère assurer mes arrières. « Et vous deux, ça fait longtemps que vous vous connaissez ? » Je demande parce que j’ai l’impression qu’ils sont vraiment à l’aise l’un avec l’autre, Grace ayant posé son bras sur celui du blond pour essayer de l’apaiser un peu plus tôt.

Ca doit faire deux bonnes minutes qu’on est coincé dans l’ascenseur, et on a toujours pas trouvé le moyen de monter au huitième. Grace semble le remarquer tout à coup, et elle s’agite comme un poisson hors de l’eau. “On suffoque un peu, non ?” Elle tente d’appuyer sur le bouton pour ouvrir la porte, mais il faut évidemment le code pour sortir. C’est hyper con ce système, parce que je suis sûre que y’a plein de cons comme nous qui s’engouffrent dans cet ascenseur sans le code, et qui doivent donc rester bloquer jusqu’à ce que des voisins viennent finalement leur ouvrir les portes pour les secourir. Elle essaie de rentrer un code au pif, l’habituel #1234, et ça marche pas. “Bon, ben on a testé.” Elle commence à me stresser à parler autant pour rien dire, à combler chaque vide de son débit de parole trop important. « Ca va, on s’calme, y’a bien des gens qui vont appeler l’ascenseur et donc faire ouvrir les portes, t’inquiète. J’essaie de la rassurer, mais clairement c’est pas convaincant. « Je suppose que personne n’a le numéro de Claire ? » Je tente, on sait jamais.

@Grace Coughlin @Jordan Fisher

La lettre n’a donc rien de perso pour aucun d’entre vous. Tu piques celle qui tourne pour examiner si au moins elle a véritablement été recopié plusieurs fois ou si c’est pire que ça. Genre une belle photocopie ou un truc au carbone. Mais t’es pas assez expert pour vraiment différencier quoi que ce soit. Ca a l’air d’être un vrai coup de stylo. Là en train de mettre la lettre à la lumière pour voir des indices supplémentaires avant d’apprendre d’où elles se connaissent. “Oh, de Claire” Ouais. Ok.  “Je connais Mira depuis deux minutes, en fait, on s’est croisées à l’entrée. Elle t’a fait quoi, d’ailleurs, à toi, Mira ?”  Non en fait. C’est pas du tout la réponse que tu voulais. Tes yeux se posent sur la dite Mira. Te fichant de la lettre maintenant. Pas rassuré pour un sou même si sa réaction de haine envers Claire était pour le coup, parfaitement maîtrisé.

« Ouais elle t’a fait quoi ? » La réponse va sûrement te rassurer. « Euh, des crasses de gamine. Mais ça remonte à plus de dix ans déjà. » Pas du tout la réponse que tu voulais. Elle a même pas d’imagination. Parce que t’es sûr qu’elle est dans le coup. Elle a même pas une backstory qui tient la route. Elle s’attendait pas à ça. Mais quand on est convié à un truc de la sorte par cette bitch de Claire, c’est forcément qu’elle nous a traumatisé d’une façon ou d’une autre. Pas elle. Peut être qu’elle est juste moins fragile émotionnellement que toi Jordan. Get lost. Quoi ? She’s so tiny tho. Et alors ? Nothing. Oh… « Et vous deux, ça fait longtemps que vous vous connaissez ? »

« Ouais. Plus de dix ans. » T’as pas fait le calcul en vrai mais plus de 10 ans c’est sûr et ça a l’air d’être l’unité de mesure pour définir si c’est du sérieux ou pas. “On suffoque un peu, non ?”

« Un peu? » CHILL JORDAN. RESPIRE. Tu fermes les yeux deux secondes. Dans pas longtemps tu vas sortir tes écouteurs pour écouter de la musique qui va te calmer. Mais les portes de l’ascenseur ne s’ouvrent pas. Grace est sur le coup mais sans succès.

« Recommence. » Toujours rien. “Ah merde.” Ton tour d’aller appuyer deux trois fois de plus au cas où par miracle tes doigts experts not arriverait à leurs fins. Nope. “Putain, le code.” Ouais le code. “Bon, ben on va tester.” Pendant que toi t’essaies de te rassurer comme tu peux en essayant de ne pas dévisager la troisième personne dans cet ascenseur. “Bon, ben on a testé.” Bon t’es pas complètement con, tu savais que le premier code qui sortirait de la tête de Grace n’allait pas marcher.

« C’est mort. »

« Ca va, on s’calme, y’a bien des gens qui vont appeler l’ascenseur et donc faire ouvrir les portes, t’inquiète.

« Hmmm… » Tu sais pas si ce sera si simple que ça mais n’empêche que tes yeux ne se défont pas de Mira qui est toujours en réflexion pour vous sortir de là. « Je suppose que personne n’a le numéro de Claire ? » Tu fais non de la tête. Tes yeux toujours sur Mira alors que tu parles à Grace. « Tu trouves pas qu’elle a un air à la meuf qui joue Mona ? En plus… Mira… Mona… » Ca se ressemble grave. « C’est vraiment ton prénom ? T’as une carte d’identité sur toi ? »

Parano Jor is in da place. Mais n’empêche te focaliser sur elle, ça te fait oublier que vous êtes bloqué dans cet ascenseur avant d'être séquestrés puis torturés par Claire et ça c’est une très bonne chose. Vaut mieux avoir inspecteur Jor que panic attack Jor dans les parages.

« Et comment elle a eu nos adresses la bitch ? » Tu parles de Claire là.  « Fucking hell… » I wanna punch something. Tu détestes tout ça. On dirait trop un début de film d’horreur. Beaucoup trop.

Ils sont tous les trois là, coincés dans un ascenseur par la seule force de leur stupidité, à rêver chacun d’une issue différente à la question et à chacun ressasser ses souvenirs variant en intensité et en quotient traumatique. Nul ne sait ce qu’ils feront après aujourd’hui, ce qu’ils ont fait le matin-même, ce qu’ils pensaient avant que leurs vies ne basculent de la sorte, mais au moins sont-ils tous d’accord sur une chose : « LAAAAAAAAA PUUUUUUUUUTE. » Tout s’éclaircit : ils sont tombés tout droit dans un traquenard, et ils vont bientôt mourir. Grace commence manifestement à rejoindre Jordan dans sa paranoïa exacerbée par le manque de place, et ne subsiste que Mira pour essayer de recentrer leur petit groupe et calmer les craintes collectives. Grace, entre-deux parfait, tente de poser des questions à cette dernière, pour passer le temps. Et aussi, surtout, pour une raison qu’elle refuse de s’expliquer, pour savoir si elles ont signifié la même chose aux yeux de Claire et si toute l’idée qu’elle s’était faite selon laquelle Claire, malgré tout, avait été au moins un tout petit peu amoureuse d’elle, n’était bonne qu’à jeter.

« Euh, des crasses de gamine. Mais ça remonte à plus de dix ans déjà », répond la jeune femme, visiblement peu prompte à raconter son passé à deux inconnus.

Voilà qui est extrêmement flou et inutile, parce que c’est exactement comme ça que Grace aurait décrit sa relation avec Claire à l’époque : des crasses de gamines d’il y a dix ans déjà.  Peut-être en rajoutant on s’est pécho, aussi à la fin, parce qu’elle ne sait pas tenir sa langue ou se limiter aux informations cruciales, mais dans l’essence, la même chose, et cette même chose ne la situe absolument pas quant à la relation entre Claire et Mira. Si Mira avait été quelqu’un pour Claire, elle en aurait entendu parler, non ? Et en même temps, la concernée n’était-elle pas un peu trop jeune pour avoir subi le même sort qu’elle ? “Du foyer, alors ?” Ca sort malgré elle : elle a besoin de situer Mira.

Les secondes passent, les questions s’enchaînent sans toujours trouver leur réponse et Grace a déjà tenté une combinaison de chiffres sans succès. Bien sûr, que ce n’est pas #1234, ça n’a aucune raison d’être #1234, y a que dans les séries que ça se passe aussi facilement ; et encore, les héros ont quand même tôt fait de s’avouer des trucs horribles ou de prêcher leur amour avant de taper le code le plus évident du monde. Ici rien de tel, parce que Jordan reste bloqué sur son histoire de Mona, et Grace ne peut s’empêcher de répondre “rho quand même, c’est un peu raciste”, mais sans conviction aucune, parce qu’il n’a pas tort. “Non, pas le numéro de Claire. Ca aurait été la moindre des choses, mais elle fait jamais rien comme tout le monde.” Certaines choses ne changent pas ; et la seule qui change, à savoir des excuses qui semblent sorties du coeur de la part de son premier amour, en devient d’autant plus louche.

“J’sais pas. Elle a peut-être chopé un agent secret, ou blackmailé le premier ministre. Faudrait demander à nos employeurs s’ils ont pas été harcelés par quelqu’un récemment. Vous vous êtes sentis suivis ? Moi pas. Mais je fais pas très gaffe.”

Et même si elle ne veut pas écouter Jordan, ses mots résonnent et elle ne peut s’empêcher de penser que Mira est possiblement celle qui les a suivis tout du long. Elle lui lance une oeillade un peu suspicieuse, lui demande : “T’aimes bien l’Islande, Mira ?” Elle lance la question à un million, parce que peut-être qu’elle avait été suivie lors de son dernier voyage et que Lola était retenue en otage elle aussi, quelque part. Savait-on jamais. La jeune femme pousse un soupir lourd de lassitude, engourdie par ce surplus de suspicion : elle n’a subitement plus aucune envie d’être là. “Bon, y a bien quelqu’un qui va venir, j’imagine qu’on sera pas que trois à sa réunion.” Si seulement : au moins, leur supplice aurait été écourté. Ou alors ils seraient morts dans l’ascenseur, c’était selon les humeurs. Grace laisse son dos se poser contre la paroi de la machine et pousse un énième soupir.

“Moi, elle m’a invitée parce qu’on a couché ensemble à plusieurs reprises après qu’elle m’a rejetée lors de mon coming out. Elle était en couple à ce moment-là. Et moi, j’étais amoureuse d’elle. Elle s’est jamais excusée, ni à moi ni à son mec.”

Elle omet de dire qu’elle non plus, ne s’est jamais excusée à Mark, et qu’elle s’est contentée de menacer Claire de tout lui révéler si elle ne le faisait pas elle-même. Grace détestait ce qu’elle avait été à l’époque, a fortiori avec le recul - il fallait deux personnes pour coucher ensemble, elle n’avait jamais eu le couteau sous la gorge, et elle avait sciemment trahi un ami. Elle a essayé de recoller les morceaux comme elle pouvait, mais ça reste pour elle un tabou. “Voilà. Si vous avez des trucs honteux vis-à-vis d’elle, vous pouvez ouvrir les vannes, ça peut difficilement être pire.” Ses joues se sont rougies : l’intention est bonne mais la honte prime. A défaut de la marave avec une bouteille de coca, ça pouvait toujours libérer pendant leur temps de confinement involontaire. Elle rajoute, d’une plus petite voix : “J’ai des sodas, si quelqu’un a soif.”

J’ai pas vraiment envie de m’étaler sur les crasses que Claire m’a faites, mais apparemment Grace n’a pas envie de lâcher l’affaire. “Du foyer, alors ?” Un sourcil relevé, je me tourne vers elle les bras croisés. A quel point est-ce qu’elle était proche de Claire pour qu’elle lui mente pas sur son enfance ? « Euh. Ouais. Du foyer. Donc ça date. » que je me contente de dire. J’ai aucune raison de leur mentir, ça sert à rien dans cette situation et de toute façon ça se saura forcément si Claire venait à en parler – ce dont je doute fortement, mais on sait jamais. La brune commence à s’exciter parce que les portes de l’ascenseur veulent pas s’ouvrir malgré le fait qu’elle appuie comme une taré sur le bouton pour les ouvrir, et elle entraîne visiblement le mec dans son hystérie. J’essaie de détendre un peu l’atmosphère, si on est trois à paniquer ça risque d’être compliqué. Apparemment Claire n’a pas trouvé intelligent de confier son numéro à l’un d’entre nous, et on a tous l’air carrément proche de la peste pour l’avoir dans notre répertoire. On est pas dans la merde putain, j’espère que le bâtiment abrite pas mal de monde et qu’il y en a qui vont pas tarder à nous ouvrir ces portes parce que je vais pas réussir à garder mon calme bien longtemps avec le mec qui est à la limite de l’hyperventilation et la meuf qui arrête pas de jaqueter pour combler tous les blancs. « Tu trouves pas qu’elle a un air à la meuf qui joue Mona ? En plus… Mira… Mona… C’est vraiment ton prénom ? T’as une carte d’identité sur toi ? » Je saisis pas bien pourquoi il me sort ça, apparemment Mona doit avoir eu un rôle avec le A dans PLL, je l’aurais su si j’avais accepté de me taper les 90 épisodes des 58 saisons avec Emily qui joue des sourcils. Dans tous les cas, je crois qu’il m’accuse d’être dans le coup et de vouloir les catfish. “ rho quand même, c’est un peu raciste” Merci Grace. « T’es aussi peu serein pour m’incriminer ? » Je me retiens de rajouter le ‘tête de gland’ qui me démange les lèvres, on sait jamais si le gars est susceptible et capable de fracasser des crânes sous la pression.

« Et comment elle a eu nos adresses la bitch ? » C’est exactement la question que je me suis posée quand j’ai reçu sa lettre, et j’ai toujours pas la réponse. “J’sais pas. Elle a peut-être chopé un agent secret, ou blackmailé le premier ministre. Faudrait demander à nos employeurs s’ils ont pas été harcelés par quelqu’un récemment. Vous vous êtes sentis suivis ? Moi pas. Mais je fais pas très gaffe.” La meuf part hyper loin dans sa tête. Claire est complètement timbrée, mais elle se ferait clairement pas aussi chier pour rassembler trois pelos à une de ses soirées. J’ai même pas le temps de répondre que Grace me demande si j’aime bien l’Islande. J’en sais rien moi de si j’aime bien l’Islande, j’y suis jamais allée. « J’sais pas, il fait froid là-bas, du coup non pas trop. Pourquoi ? » J’ai hésité à lui demander pourquoi  elle m’avait posé la question, mais je suis quand même curieuse de savoir ce qui s’est passé dans sa tête pour qu’elle me demande comme ça sans raison si je kiffe un pays au pif.


“Bon, y a bien quelqu’un qui va venir, j’imagine qu’on sera pas que trois à sa réunion.” Je hausse les épaules, au fond ça m’arrange peut-être qu’on soit coincés dans l’ascenseur, parce que je sais pas du tout ce qui m’attend au huitième. Grace vient à nouveau briser le bref silence (genre dix secondes sans qu’elle parle c’est déjà trop) pour nous expliquer la raison de sa présence, et je retiens un rire nerveux pour ne laisser apparaître qu’un sourire de façade. En vrai c’est pas si drôle que ça, mais Claire avait vraiment un problème avec l’homosexualité, je crois pas avoir vu une lesbienne aussi refoulée. La brune nous autorise à se foutre d’elle, et je me serais presque permise de le faire si je la connaissais mieux. A la place, je me contente de sortir mon téléphone pour chercher ce gif pendant que le blond est déjà en train de faire une remarque à sa pote. « Ce gif lui correspond tellement. » que je dis en leur montrant. « Et son mec était au courant qu’elle est gay, ou ça se passe comment ? » Claire c’est le genre de meuf à jamais le dire, le genre à garder ça pour elle en se persuadant que c’est juste une passade. Elle s’est sincèrement jamais posé de questions sur la raison pour laquelle elle avait tant de haine contre les gens non-hétéros ? « Claire a décidément beaucoup de mal avec son homosexualité. » que je sors en riant. « Genre, vraiment. Vu qu’on en est aux confessions, je me lance du coup. Quand j’avais douze ans, j’ai embrassé ma meilleure pote pour tester. Sauf que Claire faisait partie du groupe, donc elle a été au courant. Elle a rien trouvé de mieux à faire que de gueuler à tout le monde que je suis une grosse goudou qui roule des pelles à ses potes, du coup j’avais une sale réputation et les meufs osaient plus m’approcher. Voilàààààà. » Je crois que c’est la première fois que je le dis sans honte. « Et toi ? » que je demande au mec, est-ce qu’il est gay lui aussi et est-ce qu’elle a fait son coming out pour lui ? « Vas-y fais péter les sodas Grace ! » que j’annonce en m’asseyant au sol. Quitte à rester bloquer, autant faire passer le temps.

@Grace Coughlin @Jordan Fisher

Grace essaie de choper des infos supplémentaire sur d’où Mira connait Claire car ça reste la plus grande inconnue à l’heure actuelle. Donc c’est bien du foyer mais toi tu restes en mode elle a juste pris la perche que Grace a tendu. Elle n’a pas donné une véritable info sur Claire encore. Elle suit le mouvement et t’es pas dupe sur ça. T’es toujours très suspicieux de cette affaire. “ rho quand même, c’est un peu raciste” Obviously. Tu roules les yeux. « T’es aussi peu serein pour m’incriminer ? » Oui. La réponse est oui. Elle n’a pas remarqué que t’étais tendu comme un string depuis que vous êtes enfermés dans cet ascenseur ? Pourquoi elle est pas tendu elle d’ailleurs ? Death wish. Ouais peut être. Chill Jordan, tu vas pas mourir aujourd’hui. Qu’est ce que t’en sait. Bien sûr personne n’a le numéro de Claire la bitch, qui elle par contre a vos adresses. “J’sais pas. Elle a peut-être chopé un agent secret, ou blackmailé le premier ministre. Faudrait demander à nos employeurs s’ils ont pas été harcelés par quelqu’un récemment. Vous vous êtes sentis suivis ? Moi pas. Mais je fais pas très gaffe.” Tu es ton propre employeur, sa proposition ne fonctionne pas pour toi. Oui, parce que oui, tu l’as prises en considération. Tout est possible à l’heure actuelle. Cette situation est digne d’un film. “T’aimes bien l’Islande, Mira ?” Et là tu sais que Grace est en mode enquête autant que toi. Suspicieuse à son comble également. Ca te fait du bien de voir qu’elle est sur la même tangente que toi. Mira cache un truc louche. Pourquoi y’a que vous trois et personne d’autre ? Ca colle pas. « J’sais pas, il fait froid là-bas, du coup non pas trop. Pourquoi ? » Mira capte aussi que y’a un truc pas net sous cette question et Grace queen de l’esquive not change de sujet.  “Bon, y a bien quelqu’un qui va venir, j’imagine qu’on sera pas que trois à sa réunion.”

« Peut être qu’on est les seuls survivants de ceux qui ont eu droit à sa puterie. » Encore plus dramatique Jordan stp. Fuck off. T’es pas serein et ça se voit. Grace commence à raconter son histoire avec Claire et tu sais pas si elle fait ça pour te changer les idées mais ça marche. Tu te focalises là dessus. Le bon vieux temps. Ouais parce que à cette époque, Rosa était toujours dans le coin et ta vie était un peu plus complète avec elle dedans. Tu sens combien Grace a envie de mettre une droite dans les dents de Claire, parce que c’est ce que toi tu voudrais lui faire de l’avoir traité de la sorte. “Elle s’est jamais excusée, ni à moi ni à son mec.”

« Quelle pute. » Mira a l’air bien dans l’ère des gifs reactions parce qu’elle ne peut s’empêcher de carrément sortir le gif qu’elle visualise pour commenter. Tu comprends tout à fait. T’es pareil pour certains trucs. Ca fait plus de sens que ta propre réaction parfois. Ca fait encore plus rire. « Et son mec était au courant qu’elle est gay, ou ça se passe comment ? » Elle est curieuse.

« Il devait être gay refoulé lui aussi. » Tu dis de la merde juste pour donner une porte de sortie à Grace si jamais elle n’a pas envie de s’aventurer par là. Tu as bien vu son malaise suite à ces révélations.  « Claire a décidément beaucoup de mal avec son homosexualité. » Tu hoches la tête. C’est l’affirmation la plus vraie de toute la Terre. Aussi vrai que ‘on va tous mourir.’ Impossible de contredire ça. « Genre, vraiment. Vu qu’on en est aux confessions, je me lance du coup… » Hmmm ? Tu détournes les yeux de ton amie pour regarder Mira qui s’ouvre pour la première fois avec des mots qui sont tous à elle. Pas des réponses à des questions fermés. Tu lèves un sourcil à son histoire, c’est tellement l’opposé de toi. T’avais la réputation de toucher ou embrasser personne. Mais tu comprends que la pute de Claire ait mis son grain de sel pour faire chier son monde. En plus quand on a 12 ans tout devient beaucoup plus dramatique. « Et toi ? » Ton tour Jor. « Vas-y fais péter les sodas Grace ! » Ton tour même si Grace sait pas le fin mot de tout ça. Parce que tu l’as gardé ignorante volontairement. Elle avait déjà assez à faire avec cette Claire qui tourmentait son esprit. Tu voulais pas rajouter des trucs. Mais apparemment aujourd’hui est le jour où tu avoues cette partie là à ton amie… Autour d’un soda assis par terre dans un ascenseur. Wild.

« Claire était juste une bitch à chaque fois qu’elle me voyait avec ma meuf. Elle parlait mal d’elle… Je suis sûr qu’elle était juste extrêmement jalouse du bonheur qu’on vivait et un jour quelques années plus tard, j’ai faillit lui refaire le portrait à cette pute parce qu’elle a dit tout ce qu’il fallait pas dire. Elle a de la chance que les autres m’aient retenu sinon… » Tu préfères pas y penser mais la rage qui était en toi, qui est toujours en toi, à cause des mots de merde qu’elle a sorti… C’est sûr que y’aurait eu du sang et quelques dents de moins dans sa mâchoire. Tu prends la bouteille de soda des mains de Mira pour en boire une gorgée avant d’affronter le regard de Grace. I hate that bitch so much.

« Si faut un volontaire pour la défoncer aujourd’hui. » Tu lèves la main. « C’est pas bon de contenir sa rage. Je dirai à mon avocat que c’était du self care. » T’es hilarant Jordan. T’es aussi en train de te calmer niveau paranoïa. Ca fait grave du bien d’imaginer en train de frapper Claire et de voir du sang jaillir de ses gencives.

Les minutes passent et rien ne s’éclaircit vraiment - d’ailleurs, la tension, loin de se dissiper, ne fait qu’augmenter. Mira est ostensiblement agacée par les questions indélicates du duo de flipettes, et Grace le remarque à peine, toute occupée à la tâche de mener un interrogatoire en bonne et due forme. « J’sais pas, il fait froid là-bas, du coup non pas trop. Pourquoi ? » La brune échange un regard entendu avec Jordan : elle passe, du moins sur ce point-ci. Soupçonne-t-elle sincèrement Mira ? Pas vraiment, mais tout est bon pour passer le temps ; et surtout, ça ne paraît pas hors du champ de compétences de Claire de sortir le grand jeu et d’engager une con artist pour les piéger. Est-ce que les questions de Jordan, en revanche, commencent à la stresser davantage que de raison ? Grace est incapable de rester calme : c’est trop de nouveauté, trop de regrets d’un coup, parce qu’elle aurait tellement aimé avoir eu la flemme et décider de rester avec Kim Possible dans son appart, lui dire au revoir une dernière fois… Elle secoue la tête, relativise : ils ne sont pas là pour longtemps. Dans maximum trois heures, les gens rentreront du travail, ils appuieront sur le bouton d’appel, et ils les délogeront de là. Ce n’est qu’une question de meubler le temps avec la conversation. Alors Grace le fait. Elle s’ouvre, puits à parole qui a besoin de s’exprimer, et elle raconte son vécu avec Claire, prête à se faire huer.

« Et son mec était au courant qu’elle est gay, ou ça se passe comment ? »

Yeux baissés vers ses chaussures, Grace consent enfin à timidement les relever : pas de moquerie, seulement le gif d’un phoque et l’air inquiet et colérique de Jordan. Pour toute réponse, elle hausse les épaules : rien de moins sûr. Rien de moins sûr que Claire ait vraiment une attirance pour les femmes, d’ailleurs - Grace avait beau s’accrocher à cet espoir, elle le savait irréaliste. C’était Claire, après tout, en constante recherche d’attention ; il eut fallu que Grace tourne elle-même la tête deux minutes pour qu’elle aille commander un robot au Japon et qu’elle l’embrasse devant toute l’assemblée. Mais Jordan la sauve, encore, en se moquant sciemment du pauvre Mark juste pour lui donner l’opportunité de se taire, et Grace la prend en lui renvoyant un sourire de gratitude sans fin.

« Genre, vraiment. Vu qu’on en est aux confessions, je me lance du coup. Quand j’avais douze ans, j’ai embrassé ma meilleure pote pour tester. Sauf que Claire faisait partie du groupe, donc elle a été au courant. Elle a rien trouvé de mieux à faire que de gueuler à tout le monde que je suis une grosse goudou qui roule des pelles à ses potes, du coup j’avais une sale réputation et les meufs osaient plus m’approcher. Voilàààààà. »

Mira ne s’attarde pas trop, mais Grace sent dans son discours une spontanéité qui ne cadre pas avec le titre d’imposteure qu’ils s’acharnent à lui donner depuis tantôt. “Parce que t’es pas…?” fait-elle en laissant sa phrase en suspens, donnant plutôt un coup de menton pour désigner les ongles courts de Mira. “D’accord. Chaud.” se reprend-elle, compatissante mais légèrement sceptique. Puis Mira demande à Jordan ce qu’il fait ici, et Grace réalise enfin qu’elle n’a aucune idée de ce pourquoi il est là. Certes, Claire n’était cool avec personne, et secrètement tout le monde avait hâte qu’elle parte (ou rejoigne Grace dans sa chambre) durant les soirées, mais qu’elle sache, elle n’avait rien fait de personnel à Jordan. Deux options : soit elle avait envoyé la lettre à tout leur groupe d’amis, et dans ce cas elle s’était franchement décarcassée, soit elle ne savait pas tout. A l’injonction de Mira, Grace sort distraitement les bouteilles de soda : “Faudra se contenter de boire au goulot, j’ai pas pris de verres, puisque je pensais pas qu’on serait coincés dans un ascenseur pour la soirée.” Tandis qu’elle parle, son regard ne lâche pas Jordan : celui-ci passe aux aveux, lentement, comme guettant sa réaction. Et lentement, à mesure que les mots sortent, le visage de Grace se décompose. “Attends”, murmure-t-elle, saisissant la gravité des faits qu’il banalise par ses mots. Claire avait dit du mal de Rosa, des années après. Quand Grace n’était plus là. Quand Rosa était dans le coma. “Elle a fait quoi ?” Le 7-Up saute presque de ses mains pour s’enfuir de son étreinte soudaine. “Claire a parlé de Rosa pendant…?” Et alors que la signification des paroles se fait une place dans sa tête, toute illusion qu’il lui restait de Claire vole en éclat. “Tu me l’as jamais dit”, conclut-elle comme une évidence. Tout reproche, toute stupeur a déserté sa voix - ne reste que l’inquiétude. Et, comme un appel divin, alors que l'oxygène se raréfie, des bruits de talons claquent sur le sol de l'entrée et une main a tôt fait d'appuyer sur le bouton de l'ascenseur.

@Mira Brown @Jordan Fisher

J’ai l’impression que Grace et le blond sont complètement flippés à l’idée d’être enfermés ici avec moi, et qu’ils me prennent un peu pour cible pour le coup. Comme si je faisais partie du plan, et que j’étais de mèche avec Claire, alors qu’au fond j’ai autant envie qu’eux d’être là. De toute façon, quoi que je dise, ça ne pourra jamais prouver mon innocence, mais je m’essaie quand même à leur expliquer la raison pour laquelle Claire m’a invitée ici aussi. Ils ont l’air tout de même plus ouverts et compréhensifs, et ils me croiraient presque. “ Parce que t’es pas…?” Parce que je suis pas quoi ? Elle désigne mes mains du menton, et je regarde à mon tour mes mains en les ouvrant face à mon visage. “D’accord. Chaud.” Mais quoi ? Je comprends pas sa réaction, ni ce qu’elle veut me dire. « Parce que je suis pas quoi ? C’est quoi le rapport avec mes mains ? » Je me repasse la phrase que j’ai sorti, et je crois qu’en fait elle fait référence à mes ongles courts. Ah. D’accord. Un rire gêné sort de ma gorge alors que mes joues s’empourprent d’un seul coup. « Ah. Euh, j’sais pas. P’têtre. Non j’sais pas en fait. » Et c’est vrai, j’en sais rien et je sais pas quoi répondre. Parce que je suis en couple avec Archi, c’est bien que je suis pas gay, hein ? Non je le suis pas, Lara c’était une exception, c’est tout. Et puis les autres, c'était juste pour l'expérience. Je suis jamais tombée amoureuse d'une nana. D'un mec non plus remarque. J’essaie de passer le flambeau à quelqu’un d’autre pour me débarrasser des questions, et c’est tout naturellement que je retourne la question au blond, j’aimerais bien savoir ce que Claire lui a fait, et s’il est aussi gay que Grace et moi. Enfin pas tout à fait pour moi. Bref. Il raconte que Claire a craché sur sa meuf parce qu’elle était jalouse de leur couple. Sur ça, je veux bien le croire, c’est tout à fait Claire. Par contre je comprends pas pourquoi il a voulu lui fracasser le crâne quelques années plus tard ? Qu’est-ce qui avait changé entre lui et sa meuf ? Il a l’air d’être toujours en colère contre Claire, enfin non il l'est carrément en fait. Est-ce que des petits tacles sur sa copine suffisent pour le mettre en rogne ? J’ai peut-être bien fait de pas l’avoir traité de tête de gland, je sais pas ce qu’il aurait pu me faire dans cet ascenseur fermé qui pue la tension. Grace a l’air de capter ce qu’il raconte, et elle a l’air de s’énerver presque autant que lui. “ Claire a parlé de Rosa pendant…?” Pendant quoi exactement ? Mon regard interrogateur passe de Grace à son pote sans comprendre, mais d’un côté j’ose pas vraiment demander. Ca a l’air d’être sérieux. Je me contente de récupérer la bouteille qu’il a déposé par terre pour me cacher derrière en buvant une gorgée, en espérant que quelqu’un m’explique, mais je suppose que ça va rester entre eux. En tous cas, Claire a dû frapper fort cette fois-ci avec lui. Le malaise est palpable (de mon côté en tous cas), et je suis presque soulagée d’entendre des pas approcher. « Avec un peu de chance on va pouvoir sortir, ou enfin monter au huitième. » que je souffle tout bas. S’ils m’entendent pas, c’est pas grave, ils ont l’air d’être un peu pris dans un flot d’émotions tous les deux.

@Grace Coughlin @Jordan Fisher

“Parce que t’es pas…?” Elle te fait tellement rire Grace. “D’acord. Chaud.” Tu l’aimes tellement cette meuf. « Ah. Euh, j’sais pas. P’têtre. Non j’sais pas en fait. »  Elle aura eu le don de mettre Mira dans la confusion. She a queen. Sauf que ton beau sourire qui éclipsait ta paranoia une minute s’en va. Tu racontes ta partie d’histoire avec Claire. Gardant un oeil ici et là vers Grace. Tu sais qu’elle va réagir. “Attends” Tu le savais. “Elle a fait quoi ?” C’était sûr.  “Claire a parlé de Rosa pendant…?” Elle réagit. “Tu me l’as jamais dit” Nope. T’as jamais dit et tu sais pas trop quoi répondre à ça parce que c’est beaucoup de mixed feelings. Tu ne te dérobes pas au regard de Grace cela dit. Mira comprend pas tout et t’as pas du tout en vie d’aller plus loin dans les explications. Elle avait qu’à être là avant pendant toutes ces années. Grace qui te regarde toujours et cette bouteille de soda qui est là et qui est limite un flambeau que vous vous passer pour raconter vos crasses du passée. Mais pas le temps d’y réfléchir plus parce que y’a du bruit, y’a quelqu’un de l’autre côté de ces portes. Claire? « Avec un peu de chance on va pouvoir sortir, ou enfin monter au huitième. »

« Au pire on meurt, no big deal. »

Jordan, tu changeras jamais. Y’a un bon côté à la mort, tu retrouveras la femme de ta vie. C’est elle que t’aurais envie de voir sortir de l’autre côté de ces portes à la place de Claire. A la place de n’importe qui en fait.

le dé:

Y'a des bruits un peu bizarre, tu sais pas ce qu'il va en découler.

« Vraiment le pire ascenseur. » T'as jamais été rassuré par ces trucs là. L'immeuble a l'air classe mais voilà la galère de cette boîte en fer. Une blague. Une vraie blague. Digne d'un décor d'escape game en fait. Hallucinant. Les secondes qui s'écoulent sont grave longues avant que les portes ne s'ouvrent sur... Personne.

« Je mets pas la tête dehors. » Voilà que tu veux rester dedans maintenant. T'es hilarant Jordan. Le gars qui arrête pas de dire pas de problème si je meurs mais tu prends aucun risque. Ta gueule. T'as peur. Tu le caches pas non plus. Toujours à la limite de la vie et la mort toi. Tu veux tellement vivre au fond de toi c'est un truc de fou. Je comprends pas pourquoi. Mais c'est pas le moment de faire une introspection. Tu te relèves parce que y'a éventuellement quelqu'un qui va apparaître et entrer dans l'ascenseur. Et les portes qui vont sûrement pas tarder à se refermer, tu vas poser ta main sur l'encadrement pour juste éviter que ça se produise.

« En fait je crois que je vais partir. » Tu changes d'avis comme de chemise. « Quoi ? J'ai l'esprit vif. Je m'adapte à la situation. » T'as même pas honte.

Toute envie de déconner a été soufflée par le coup de froid qui s’est installé dans l’appareil, et Grace, prise de court par la révélation, ne dit plus rien, 7-Up dans les bras. Elle est trop percutée par ce qu’elle vient d’entendre. Parce que dans un coin de sa tête, ce coin un peu orgueilleux et très égoïste, elle s’était imaginée que le monde n’avait pas tourné en son absence. Près de six ans loin de l’Australie, avec des retours ponctuels au mieux, elle ne s’était pas imaginée qu’en son absence on avait grandi, changé, évolué, qu’on avait brisé des amitiés et déchaîné des conflits. A son retour, elle ne l’avait compris qu’en partie - sa petite soeur était presque une adulte, Rosa était dans le coma, sa mère s’était séparée de Gregory. Mais les choses plus bénignes, plus insidieuses, elle ne les avait jamais regardées directement en face. Comme par exemple l’idée que Claire ait mené la vie dure à Jordan et à Rosa, que les choses aient pu dégénérer entre son meilleur ami et son premier amour. Elle aurait pu arguer à haute voix qu’on ne lui avait rien dit, que ce n’était pas sa faute ; mais elle n’avait jamais cherché à savoir non plus. Elle écoutait si peu.

« Avec un peu de chance on va pouvoir sortir, ou enfin monter au huitième. »

Tant et si bien qu’elle réagit à peine lorsque les portes se mettent à bouger, puis s’ouvrent enfin. Grace, à moitié présente dans la scène, s’imagine voir une tête de mamie surgir, ou peut-être un concierge avec son chariot, ou Claire elle-même avec un rire démoniaque. Elle est à peine surprise quand les portes s’ouvrent sur absolument personne, parce que la journée n’aurait pas été complète sans foutre un fantôme dans le schmilblick. « Je mets pas la tête dehors. » Elle retrouve un demi-rire nerveux : ça ne l’étonne absolument pas de la part de Jordan. “Non, mais sinon, on retape un code foireux, et on fait une petite soirée confessions ici, moi je m’amusais bien”, raille-t-elle, avec un regard en coin pour Jordan : elle n’en a pas fini avec lui ; encore moins avec Claire.

“Non mais faites pas les cons. Personne ne part.”

C’est à son tour de paniquer, sautant hors de l’ascenseur pour y bloquer les deux autres, restant dans l’encadrement. “Franchement, on est pas venus ici pour rien. Moi, j’ai des comptes à régler avec elle. Et avec Mark. La lettre claquée au sol copiée au mot près, c’était la goutte de trop. Et me dites pas que vous avez rien à lui dire.” La jeune photographe oscille encore entre une illusion de pardon possible et une colère grimpante, et elle essaie désespérément de faire pencher la balance pour être plus crédible. “Mira, elle a pourri ta réputation et t’a éloignée de pleins de potes à toi. C’était non seulement homophobe, mais en plus franchement pas sympa. C’est à toi de dire ce que tu es, et il est temps qu’elle le comprenne.” Elle y croit toujours, avec les ongles courts. “Et Jor, je sais pas exactement ce qu’elle a dit à Rosa, mais je suis sûre qu’une bouteille de 7-Up pleine lancée en plein visage, ça peut péter quelques dents.” Elle s’imagine grande oratrice convaincante, comme les nanas dans les films pour ados qui arrivent d’un coup à rallier tout le monde à sa cause grâce à l’amour et à la solidarité, sauf que là, c’est plus pour briser des crânes. Comme quoi, la haine a toujours fédéré.

“De toute façon, je m’en fous. Si vous venez pas, je monte toute seule et je transmets vos doléances. Donc autant que vous le fassiez vous-mêmes, parce que je risque d’ajouter des insultes que vous auriez pas forcément voulu dire vous-mêmes. Et d’oublier des trucs. Mira, elle t'a fait quoi déjà ? Je sais même plus.”

Regard malicieux.

Les portes s’ouvrent enfin, mais personne ne nous attend dehors. Comment c’est possible cette merde ? « Vraiment le pire ascenseur. » Je peux pas être plus d’accord. J’avais pourtant cru entendre des pas, j’ai quand même pas rêvé ? A moins que ce soit Claire qui nous fasse une blague de mauvais goût, ça m’étonnerait même pas. D’abord elle nous envoie à tous la même lettre sous prétexte qu’elle veut s’excuser, ensuite elle nous bloque tous les trois dans le même ascenseur pour qu’on flippe un peu plus, et ensuite elle déclenche l’ouverture des portes en se barrant rapidement pour pas qu’on la voie. Je croirais presque à la théorie de PLL, sauf que je joue pas le rôle de Mona et que je suis pas du côté de Claire. Ou alors le monde s’est arrêté de tourner pendant qu’on était bloqué dans cette cage en ferraille en train de boire nos 7up, peut-être que les zombies ont dominé le monde, qu’on fait partie des seuls survivants et qu'un mort a malencontreusement appuyé sur le bouton pour ouvrir les portes. « Je mets pas la tête dehors. » C’est pas censé être lui le mec, le bonhomme, celui qui se jette en premier dehors pour secourir les deux demoiselles ? « Moi non plus. » Je veux pas mourir la première. J’aurais peut-être une chance si je balançais l’un d’entre eux et qu’ils se faisaient bouffer par des morts-vivants, je cours suffisamment vite et je me barre loin d’ici. “Non, mais sinon, on retape un code foireux, et on fait une petite soirée confessions ici, moi je m’amusais bien” Y’a qu’elle que ça fait marrer. Le blond place sa main sur la porte pour éviter qu’elle se referme. Bon réflexe mon gars, maintenant que t’es lancé, sors stp. « En fait je crois que je vais partir. » Oui, vas-y, sors. Comme ça on pourra se fixer sur le pourquoi du comment les portes se sont ouvertes, et si y’a des trucs chelou à l’extérieur qui nous attendent. « Ouais, moi aussi je pense. » que j’annonce en me foutant derrière le blond. Mais seulement si la voie est libre, et seulement si c’est lui qui sort en premier, pas moi. La soirée avait mal commencé, je vois pas comment ça pourrait aller en s’améliorant de toute façon. “Non mais faites pas les cons. Personne ne part.” Grace panique tout à coup et elle se fout en travers de l’ascenseur pour nous empêcher de passer. Vas-y pousse la mec, elle se casse la gueule, rien de mieux qu’une proie facile pour des zombies. “Mira, elle a pourri ta réputation et t’a éloignée de pleins de potes à toi. C’était non seulement homophobe, mais en plus franchement pas sympa. C’est à toi de dire ce que tu es, et il est temps qu’elle le comprenne.” Mouais. Moi-même je sais pas ce que je suis, qu’est-ce que je vais lui dire ? ‘Salut Claire, j’ai embrassé Charlie juste pour le fun et t’es qu’une grosse connasse pour m’avoir traitée de goudou devant tout le monde jusqu’à la fin de l’année parce que je le suis pas ? Enfin si peut-être ? Enfin j’en sais rien donc au final on s’en fout ?’ Super. “Et Jor, je sais pas exactement ce qu’elle a dit à Rosa, mais je suis sûre qu’une bouteille de 7-Up pleine lancée en plein visage, ça peut péter quelques dents.” On dirait une maman qui gueule sur ses enfants pour qu’ils aillent faire leurs devoirs parce que sinon ils vont finir SDF et pauvres. “De toute façon, je m’en fous. Si vous venez pas, je monte toute seule et je transmets vos doléances. Donc autant que vous le fassiez vous-mêmes, parce que je risque d’ajouter des insultes que vous auriez pas forcément voulu dire vous-mêmes. Et d’oublier des trucs. Mira, elle t'a fait quoi déjà ? Je sais même plus.” Elle a quand même le mérite de nous secouer, et de nous promettre qu’on sera pas déçu de la soirée parce qu’elle compte pas partir, au contraire elle est pas venue ici pour enfiler des perles. « Pfffff… » Je souffle en sachant pertinemment que Grace m’a déjà convaincue. Il faut que j’arrête de fuir les problèmes et que je les confronte au lieu de faire l’autruche à chaque fois. Peut-être qu’aujourd’hui c’était mon occasion à moi d’enfin exprimer ma rancœur. « Ouaaaais, ok. C’est bon t’as gagné, je t’accompagne là-haut. » que je finis par dire en levant les yeux au ciel. « Mais j’prends les escaliers moi. Tant pis si j’arrive en nage, j’fais pas confiance à cet ascenseur. » Je me tourne alors vers le blond, est-ce qu’il s’est laissé avoir par Grace aussi ou est-ce qu’il compte vraiment se tirer ? « Et toi, euh Jor, c’est ça ? » Grace l’avait appelé comme ça je crois, et polie comme je suis j’avais même pas vraiment pensé à lui demander son nom. « Tu fais quoi ? Tu viens avec nous pour niquer des mères ou quoi ? Au pire on se bourrera la gueule et on baptisera les chiottes de Claire, c’est toujours mieux que rien. » que j’annonce en souriant.

@Grace Coughlin @Jordan Fisher