« Vous avez le droit de crier tout autant que vous voulez pour papi. » Penché au-dessus des jumeaux, Charlie est en train de les couvrir de bisou. « Ils vont être sages comme des images. » Je veux le croire. J’ose espérer. Et déjà, ma nièce tourne la tête vers moi un sourire aux lèvres. Elle sait autant que moi que les moments de répit sont rares. Quand Gabriel, c’est enfin calmer, c’est souvent Willow qui se met à hurler à plein poumon ou l’inverse. Ils ne sont pas encore totalement synchrones nos deux petits démons. Je souris alors que ma nièce a visiblement du mal à se détacher de ses enfants. C’est la sonnerie de son téléphone qui la décide enfin à se lever. Elle part faire les magasins de décoration avec Léo, paraît qu’il a meilleur goût que moi, pour son futur appartement. Elle me confie les jumeaux. « Je te fais confiance. » Je hoche la tête face à son sérieux et la prends rapidement dans mes bras. « Je t’envoie une photo toutes les demi-heures. Je t’appelle si besoin. » Et j’ose espérer que je n’aurais pas besoin. Elle a besoin de sortir un peu elle aussi. Elle a besoin de retrouver ses amis, de planifier son déménagement et de respirer le temps d’un après-midi. La maman retourne embrasser ses enfants, fait de même avec ma joue et file vers la porte. J’apprécie le silence environ cinq secondes avant que Willow ne commence à ronchonner. C’est parti.

On dirait qu’ils ont décidé de se liguer contre moi ou ils cherchent à me faire payer l’absence de leur mère. Je n’ai pas encore décidé. En attendant, après un changement de couches et un petit biberon, Gabriel à lui décider que faire la sieste ce n’était pas pour lui. Et bien entendu, il ne ce gêne pas pour le faire savoir en poussant sa sœur avec ses jambes. Ce qui a le don de réveiller Willow qui commençait à sombrer dans le sommeil. En moins d’une minute, je me retrouve avec deux bébés qui pleurent. Il va falloir gérer Cian. Je laisse Gabriel dans le berceau qui est toujours au salon et prends Willow contre moi. Je me mets à chantonner la première chanson qui me vient en tête. Paroles peu adapter pour des enfants, mais personne ne saura. Je pose ma main sur le ventre de Gabriel pour l’apaiser tout en me balançant légèrement pour calmer Willow. J’ai mal au crâne et ça ne fait qu’une heure. Charlie revient.

Gabriel a fini par se calmer sans dormir pour autant, sa sœur en revanche bave allégrement sur mon tee-shirt en roupillant. J’allais m’asseoir dans le canapé pour garder la petite contre moi, mais un léger coup à la porte d’entrée attire mon attention. Je n’attends personne. Peut-être Charles qui a oublié ses clés. Je ne m’attendais pas à tomber nez à nez sur Timothy. « Oh Tim ! » Je souris et me décale pour le laisser entrer. « Tu devais venir ? » Charlie ne m’a rien dit et la plupart du temps, il vient lorsque je ne suis pas à l’appartement. Je lui souris alors que Willow chouine un peu. Je recommence à me balancer. « Gabriel est dans le berceau au salon. » Je ne sais pas vraiment quoi dire face au père des enfants. Je ne le connais pas. Ce que j’ai aperçu à l’hôpital m’a plus et pourtant. Je repense à ma conversation avec Léo et je fais de mon mieux pour ne pas profiter de la situation, pour ne pas l’incendier de questions en quelques minutes seulement. Je lui laisse le temps de voir ses enfants tout en gardant jalousement Willow contre moi. Je me méfie. C’est plus fort que moi.  

Il allait rendre visite aux petits dès qu'il avait deux minutes dans son emploi du temps. De ce fait, il n'était pas rare de voir Tim débarquer chez Atwood trois fois par jour, simplement pour offrir un petit coucou eux deux enfants et leur maman. Cela dit, il ne s'imposait jamais, surtout pas quand Cian était dans les parages car il était quand même chez lui et Decastel avait conscience qu'il ne le connaissait pas le moins du monde. Les deux hommes avaient simplement partagé un moment émouvant pendant la chirurgie que Charlie avait dû subir juste après l'accouchement parce qu'ils avaient tous deux eu peur pour elle et que le soulagement les avait rendus particulièrement à fleur de peau. En dehors de ce genre de détails, ils n'avaient pas vraiment pris le temps de se connaître et la timidité maladive du jeune soldat n'arrangeait sûrement pas les choses. Il ne voulait jamais déranger, surtout pas quelqu'un d'aussi sympathique que Cian qui avait naturellement proposé à sa nièce de vivre sous son toit avec les bouts de chou, ce qui n'était pas donné à tout le monde comme cadeau. Néanmoins, ce jour-là, Charlie lui avait indiqué qu'elle allait sortir quelques heures en compagnie de son meilleur ami et qu'elle serait rassurée doublement si Timothy passait voir leurs enfants, même si Cian serait dans les parages. On ne lésinait pas sur la sécurité avec Villanelle, surtout pas avec tout ce qui s'était passé à l'accouchement, l'arrivée inopinée de Willow, les crises constantes de Gabriel. Deux hommes valaient mieux qu'un et peut être qu'elle avait raison. Dans tous les cas, Tim avait pris la direction de la maison de ce cher Atwood, sonnant avec un léger noeud nerveux au creux de ses entrailles parce qu'il avait envie qu'on l'apprécie, oui, un peu comme s'il devait se présenter aux parents de Charlie. Connaître la famille, c'était quelque chose que Decastel n'avait pas fait et il avait clairement peur de ne pas réussir son entrée en matière. L'homme lui ouvrir sans trop tarder, Willow dans les bras et apparemment, la situation semblait chaotique, ce qui ne manquait pas de faire sourire le père des jumeaux. Il déposa un bécot sur le crâne de sa fille avant d'offrir sa main à Cian pour la serrer, suivant la route qu'il lui avait indiqué pour aller dire bonjour à son garçon. "Tout se passe bien ici, tu t'en sors avec les petits monstres? Désolé d'être venu, Charlie m'a dit de passer pour filer un coup de main parce qu'ils sont particulièrement pénibles aujourd'hui d'après elle." Ce qui ne l'empêchait pas d'être de bonne humeur parce que Tim était un homme très patient et assez doux pour tout supporter venant des jumeaux. Il porta Gabriel dans ses bras, jouant avec le petit bonhomme en espérant ne pas l'énerver plus qu'il ne l'était déjà. "T'as des enfants, toi? Enfin, je demande ça alors que ça me regarde pas mais... T'as l'air d'avoir la main." Plus que lui même mais Cian avait les jumeaux au quotidien autant que lui alors c'était sûrement normal. Tim s'autorisa à s'asseoir avec le petit dans les bras, offrant un sourire doux à son comparse, peut être qu'ils pourraient apprendre à se connaître. Rien de tel qu'une situation de crise avec deux enfants en bas âge pour créer des liens, c'était bien connu.

Je ne m’attendais clairement pas à recevoir Timothy. Je ne le vois jamais. Il était invisible pendant la grossesse de Charlie et après la naissance des jumeaux, j’ai dû le croiser une seule fois dans l’appartement. Pourtant, il vient voir ses enfants, Charlie me l’assure à chaque fois. Alors, je ne sais pas si c’est moi qu’il cherche à éviter ou s’il veut tout simplement ne pas s’imposer lorsque je suis chez moi. Je voudrais ne pas me méfier, mais personne ne sait rien de lui et je commence à me questionner. Je fais confiance à ma nièce, mais je reste malgré tout l’oncle un brin trop protecteur. C’est plus fort que moi, il n’y a rien que je ne ferais pas pour protéger Charlie et désormais ses enfants. Alors, je laisse Tim entrer et je compte bien profiter de l’absence de la blonde pour discuter avec lui.

« Tout se passe bien ici, tu t'en sors avec les petits monstres ? Désolé d'être venu, Charlie m'a dit de passer pour filer un coup de main parce qu'ils sont particulièrement pénibles aujourd'hui d'après elle. » Je pouffe de rire en levant les yeux au ciel. Bien entendu, que c’est Charlie qui l’envoie. « Tu peux avouer qu’elle voulait que tu me surveilles. » Je plaisante un peu tout en continuant à bercer Willow qui devient ronchonne dans mes bras. « Elle a du mal à les laisser, hein ? » Je m’en doutais. Elle a mis plus d’une heure à sortir de l’appartement et j’ai reçu une bonne dizaine de messages déjà. Je comprends. Je n’ai jamais été père, mais je comprends. J’avais du mal à quitter le pays lorsque Charlie était petit. J’ai du mal à laisser Ailis alors qu’elle vit dans l’appartement en dessous du mien. « T'as des enfants, toi ? Enfin, je demande ça alors que ça me regarde pas mais... T'as l'air d'avoir la main. » Il est bien curieux Tim. Je suis surpris de sa question, mais il faut croire que tout le monde me pense père. D’abord Léo, ensuite lui. Je soupire et continuer à tourner en rond dans le salon pour que ma filleule se rendorme. « On va dire que j’ai une fille. » Il n’a pas besoin de connaître les détails après tout. « Elle a sept mois. On va dire que j’ai eu le temps de m’entraîner un peu. » Je hausse les épaules et souris en croisant le regard du jeune homme. Gabriel est en train de se calmer dans les bras de son père. Il tire sur le col de son tee-shirt et babille un peu sans trop ronchonner. « Tu te débrouilles bien. » dis-je tout en pointant le petit garçon d’un geste du menton. On pourrait continuer à parler poupons, mais j’ai un peu de mal à retenir tout ce que je bouillonne depuis plusieurs semaines. « J’aimerais apprendre à te connaître Tim. » dis-je doucement. « J’aime pas vraiment tout le mystère qui t’entoure. »

Il était forcément gêné de s'incruster ainsi chez Atwood parce que les deux hommes ne se connaissaient pas le moins du monde, si on excluait cette petite accolade à l'hôpital, sûrement le soulagement d'apprendre que Charlie allait bien. Depuis, ils ne s'étaient pas recroisés car il était vrai que Tim attendait toujours l'absence de Cian pour montrer le bout de son nez dans la région, certainement qu'il avait peur de la figure d'autorité dans la vie de Charlie. Il voulait qu'on l'apprécie, il savait en tout cas que son oncle était essentiel à Charlie, qu'il était sa famille avant tout et Timothy ne savait pas vraiment comment agir, lui qui n'en avait pas vraiment de son côté. Cela dit, il n'avait rien de méchant, Atwood, bien au contraire, il était toujours présent pour filer un coup de main avec les jumeaux, ce qui sauvait clairement la vie des deux parents lorsqu'ils étaient épuisés et rien que pour cela, Decastel avait de quoi le remercier. Il s'était de toute façon promis de le faire avant même de frapper à la porte parce qu'il avait toujours été un homme poli et serviable, il ne tenait pas à entacher sa réputation à peine eut-il vraiment rencontré Cian. Celui-ci s'occupait de Willow, un peu ronchonne aujourd'hui, ce qui n'étonnait pas Tim vu ce que Charlie lui avait dit concernant la nuit que les jumeaux venaient de passer. "Comme tu dis, elle a du mal à les quitter. Je pense qu'on est deux comme ça." Ils étaient encore des jeunes parents et ils avaient tout à apprendre de leur rôle, ce qui signifiait être en mesure de lâcher du lest de temps en temps et ne pas avoir peur de mettre les enfants à garder auprès de gens de confiance. Tim finit par porter Willow qui se calma peu à peu, ce qui n'était pas gagné d'avance dans de telles circonstances mais son père était suffisamment calme pour gérer quoiqu'il arrive. "Merci. Et félicitations pour ta petite." Tim rougissait légèrement parce qu'on ne lui disait pas très souvent qu'il maîtrisait des situations, une nouveauté qui avait de quoi l'effrayer mais peut être pas autant que la suite des dires de l'oncle de Villanelle. "Moi, un mystère? Je suis un livre ouvert, tu peux me demander ce que tu veux. Je suis désolé de pas m'être présenté en tout cas, c'était pas mon intention de me cacher, je suis juste un peu timide et je voulais pas déranger." Décidément trop poli, Decastel. "Je suis ravi de te rencontrer en tout cas, Charlie dit toujours que du bien de toi. Elle t'adore, vraiment." Et encore c'était un euphémisme, sans son oncle, elle serait sûrement perdue depuis un moment, Tim aurait aimé avoir quelqu'un comme lui dans sa vie pour le guider aussi.

« Comme tu dis, elle a du mal à les quitter. Je pense qu'on est deux comme ça. » Et tout de suite, je vois dans son regard, cet éclat de jeune papa qui se souci vraiment du bien-être de ses enfants. Ce n’est pas qu’ils n’ont pas confiance en moi, c’est tout simplement deux parents qui se découvrent. Charlie a tellement changé depuis que les jumeaux sont nés et je me doute que le changement soit également en train de s’opérer pour Tim. D’ailleurs, il ne perd pas instant pour se diriger vers son fils et le prendre dans ses bras. De loin, j’observe la scène qui se déroule sous mes yeux et je ne peux m’empêcher de sourire. Je me faisais du souci depuis le départ, mais je ne peux plus le nier, Tim aime ses enfants. Il porte Gabriel avec tellement d’attention, il le regarde, lui sourit, le rassure. Il est un père, pleinement. Et je respire un peu mieux d’être témoin de tout cela et soudainement la conversation est bien plus aisée entre nous.

« Merci. Et félicitations pour ta petite. » Je souris au jeune homme visiblement si surpris que je remarque son aisance avec son propre fils. Et je remarque, l’effort qu’il fait, pour entretenir la conversation, pour s’intéresser à tout. « C’est pas ma fille. Enfin… Elle le sera bientôt. » que je tente de lui expliquer alors que la situation est si complexe à exposer, alors un rire nerveux m’échappe. « C’est compliqué. » que je concède simplement. On ne va probablement pas s’attarder sur le sujet d’ailleurs. Peut-être un autre jour. Je dois avouer que pour le moment, je voudrais profiter de l’opportunité pour pouvoir discuter un peu avec Timothy. Je sais que Charlie m’en voudra à vie si je fais peur au jeune homme, alors je mesure mes paroles, j’essaye de ne pas être trop agressif ou protecteur. Juste ce qu’il faut pour apprendre à le connaître un peu plus. « Moi, un mystère? Je suis un livre ouvert, tu peux me demander ce que tu veux. Je suis désolé de pas m'être présenté en tout cas, c'était pas mon intention de me cacher, je suis juste un peu timide et je voulais pas déranger. » J’apprécie son honnêteté et dans le fond, je me doutais qu’il était comme cela. Je l’ai compris au travers des dires de Charlie, mais également, lorsque je l’ai rencontré à l’hôpital. « Je suis ravi de te rencontrer en tout cas, Charlie dit toujours que du bien de toi. Elle t'adore, vraiment. » Il me plaît ce gamin, je crois. Pas seulement parce qu’il semble savoir quoi dire pour me rassurer, mais plutôt parce qu’il semble ne rien cacher du tout. « Pardon… Je t’ai fait l’acte de l’oncle protecteur. » dis-je en souriant un peu pour le rassurer. Je reviens prendre ma place sur le canapé afin de m’installer un peu mieux puisque visiblement la petite à décider que continuer la sieste sur le torse de papi, c’était plutôt cool. Je caresse son dos lentement et fait signe à Tim de venir s’asseoir s’il le souhaite. « En aucun cas, je ne cherche à me mêler de ton histoire avec Charlie. Ça ne regarde que vous. » Et j’y tiens vraiment. Je ne veux pas savoir à quel point c’est compliqué entre eux, je ne veux pas m’en mêler. « Je vais t’épargner le discours sur le fait que si tu leur fait du mal personne ne te retrouvera jamais. » Et je laisse un rire m’échapper, mais mon regard lui laisse sous-entendre que je n’ai jamais été aussi sérieux de ma vie. « Mais j’aimerai en savoir un peu plus sur toi quand même… » que j’avoue en croisant son regard. « Tu viens d’où ? Tu fais quoi dans la vie ? T’as quel âge d’ailleurs ? » Oui, je sais vraiment rien…

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A croire qu'aucune situation n'était jamais très simple, tout le monde faisait plus ou moins semblant d'être en pleine maîtrise de ses moyens face à celle-ci. Apparemment, Cian aussi vivait quelque chose de compliqué de son côté avec cette histoire d'enfant mais Tim n'osa pas l'interroger, ils avaient déjà suffisamment à discuter vu qu'ils n'avaient jamais réellement pu apprendre à se connaître jusque là. Tout était allé si vite, Decastel n'avait franchement pas eu le temps de se poser depuis la naissance des jumeaux, encore moins avec cette garde alternée qui demandait une organisation au carré pour tout ce qu'il y avait à vivre à côté. Cela dit, les choses commençaient à se faire petit à petit, certainement plus naturellement que Timothy aurait pu l'envisager, lui qui avait si peur de devenir un père pas à la hauteur pour les jumeaux. Il n'était pas parfait, était même très loin de l'être mais il tâchait de donner le meilleur de lui en toutes circonstances, ce qui n'était pas toujours évident quand on était un type paumé depuis sa naissance. Avec les petits face à lui, Tim devait faire preuve de responsabilités, toujours penser à eux avant lui et c'était sûrement la chose la plus simple qu'il ait eu à faire de son côté vu le peu d'intérêt qu'il avait l'air de porter à sa propre existence. Néanmoins, il allait en parler à cet instant car Atwood avait le droit de savoir qui était le père des enfants de sa nièce, lui qui était si proche d'elle et qui constituait sa famille, dans les grandes largeurs. "C'est normal, Charlie est ta famille." Lui ne savait pas vraiment ce que c'était, il n'avait pas eu de parents sur son dos pour lui donner des heures pour rentrer à la maison vu qu'il s'était émancipé à treize ans et que son frère était devenu la seule figure d'autorité restante. Pas simple pour un enfant de s'épanouir dans un tel contexte mais Tim avait tâché de grandir malgré tout, se calant désormais dans le canapé avec un des jumeaux dans les bras, s'autorisant à sourire en voyant Willow qui s'endormait dans ceux de Cian. "Je ferais jamais de mal aux petits.. Et Charlie et moi, on est leurs parents, même si on est pas un couple. Tout se passera bien, j't'assure." Il voulait se rassurer autant que Cian parce qu'il n'en savait rien, si tout allait se dérouler idéalement, il ne pouvait que l'espérer. "Je suis né en France il y a trente trois ans mais j'ai débarqué ici quand j'en avais que trois donc on peut dire que je viens de Brisbane. J'ai été gardien de cimetière pendant un moment, j'ai fait un micro détour par l'armée ensuite et là, je viens de commencer à travailler dans une librairie en gérant un petit business de fleuristes à côté, rien de fou. Charlie m'a dit que t'avais été dans l'armée, toi?" Autant en savoir plus lui aussi, Tim pourrait peut être lui demander des conseils sur ses fichus ressentis qui ne le quittaient plus depuis l'été dernier, un choc de plus dans sa petite vie sans grand intérêt.

« C'est normal, Charlie est ta famille. » « Elle est tout ce que j’ai de plus cher sur cette planète. J’ai juré de la protéger depuis le jour de sa naissance. » En rien, je ne cherche à être menaçant. J’expose un simple fait qui régit ma vie depuis le jour où l’on m’a mis bébé Charlie dans les bras. Il n’y a rien que je ne ferais pas pour elle. Et même si j’ai promis que je ne me mêlerai jamais de ses histoires, à part si cela dégénère, je n’ai jamais insisté pour rencontrer Tim ou pour en apprendre plus sur lui. Je sais que c’est compliqué entre eux, mais il n’empêche que les jumeaux sont là et qu’ils vont avoir besoin de leurs parents pour les dix-huit prochaines années. Autant prévenir le jeune homme que je serais capable de retourner la terre entière pour le retrouver s’il venait à fauter. Mais mon instinct me dit que je n’aurais jamais besoin de le faire. Il est timide et effacé Timothy, mais il est un père rien qu’à la manière dont il couve ses enfants du regard ou cette façon qu’il a de tenir Gabriel contre lui. « Je ferais jamais de mal aux petits... Et Charlie et moi, on est leurs parents, même si on est pas un couple. Tout se passera bien, j't'assure. » Je le prends aux mots sans même douter plus longuement, il est sincère, il veut faire au mieux. Ils le veulent tous les deux pour leurs enfants même si leur histoire semble avoir pris fin. « Je n’en doute pas, Tim. » Ou tout du moins, je n’en doute plus désormais.

Je suis même encore plus rassuré, lorsque le jeune père finis par s’ouvrir un peu plus à moi, pour me partager des bribes de son histoire. « Je suis né en France il y a trente-trois ans, mais j'ai débarqué ici quand j'en avais que trois donc on peut dire que je viens de Brisbane. J'ai été gardien de cimetière pendant un moment, j'ai fait un micro détour par l'armée ensuite et là, je viens de commencer à travailler dans une librairie en gérant un petit business de fleuristes à côté, rien de fou. Charlie m'a dit que t'avais été dans l'armée, toi ? » Je n’oublie pas de noter dans un coin de ma tête qu’il est tout de même bien plus âgé que ma nièce, mais retiens quelconques remarques et préfère me concentrer sur le fait qu’il est fait un détour par l’armée comme il le dit si bien. « Je le suis toujours. » que je reprends pour répondre à sa question employée au passé. « Pilote de l’aéronautique navale depuis vingt ans. » On passera sous silence le rang, je suis pas ici pour être son supérieur. « Tu as rejoint l’armée de terre ? » Je connais plusieurs gars sur la base de Brisbane et surtout à Sydney où j’avais fait mes classes même si à la Navy, on préfère ne jamais trop se mêler avec les soldats au sol. « Pourquoi tu as arrêté l’armée ? » Et là, ce n’est plus l’oncle qui parle, mais le militaire qui a sacrifié vingt ans de sa vie pour le métier et qui en connaît tous les avantages et surtout les déconvenues.

Il savait que Charlie avait toujours pu compter sur son oncle et il était ravi que l'homme était encore là pour gâter sa nièce. Tim avait conscience que c'était lui qui avait permis à Charlie d'avoir enfin un chez elle où elle serait bien avec les enfants et Decastel ne pouvait que lui en être reconnaissant. Bien sûr, cela ne l'empêchait pas d'être intimidé par le regard du soldat, lui qui avait l'air d'avoir tant vécu en comparaison de Timothy. Ils n'avaient pas évolué au même rythme, c'était une évidence et en bien des points, le brun était encore un môme mais il faisait de son mieux car il y en avait deux, justement, qui comptaient désormais sur lui. Heureusement, Tim avait vite accepté cette lourde responsabilité parce que c'était une évidence pour lui qu'être père restait le plus beau cadeau qu'on lui ait fait jusque là. Il ne savait pas encore de quoi son avenir serait fait mais il avait au moins cette certitude en tête quand tout tournerait mal, peut être avec sa mère. Tim n'avait, en effet, pas de vraie famille de son côté mais il avait découvert Ariane récemment et il s'estimait chanceux d'avoir sa soeur dans sa vie désormais. Cela dit, il ne la mentionna pas, ce n'était pas l'essentiel qui devait être dit sur le moment puisque Cian avait demandé plus de détails sur les métiers qu'il avait exercés. Decastel avait appris par Charlie que son oncle était bien coté dans l'armée mais il n'avait pas osé aborder la question jusqu'ici, encore une fois trop intimidé par les galons que l'homme avait. Lui n'en avait aucun puisqu'il avait démissionné à la vitesse de la lumière, conscient que ce monde n'était juste pas fait pour lui, mais est-ce que Cian le verrait ainsi avec son expérience? Rien n'était certain. "Wow, c'est impressionnant. Tu prends encore la mer souvent?" A vrai dire, Tim ne savait pas comment le tout se passait dans l'armée maritime, il avait déjà eu bien du mal à saisir ce qui se tramait sur la terre avant qu'il ne quitte les rangs de l'institution. "Ouais, mais j'ai seulement fait la première formation, j'ai arrêté ensuite comme je pense pas que c'était ma vocation. Je suis un type paisible à vrai dire et je me voyais pas loin de mes enfants, d toute manière. Ça t'a jamais fait peur, toi, la mort tout ça, en laissant des gens derrière toi?" Lui qui avait une petite fille, il devait certainement comprendre que ce n'était pas une décision aisée de tout quitter pour aller faire la guerre au loin. Timothy était trop proche de Brisbane désormais pour oser la laisser derrière lui, même s'il avait fait preuve de désespoir en quelques occasions au cours de l'année qui s'était écoulée, mais il avait grandi. "En vrai, je pense que je vais tout faire pour avoir un petit commerce de paysagiste ou de fleuriste, mais c'est encore en réflexion, la librairie, c'est très sympa pour le moment." Il se contentait d'aller poser ses plants là bas en amenant las jumeaux voir un bout de monde en leur lisant des histoires et c'était la vie parfaite à ses yeux.

Confortablement installer dans le canapé avec une petite puce qui est probablement en train de faire sa meilleure sieste, j'écoute Tim me conter les aventures de sa vie. Je le pensais bien plus jeune que cela et suis un peu curieux de voir qu'à plus de trente ans, il semble encore chercher sa voie. Je ne le juge pas, si l'armée n'avait pas fonctionné pour moi, je pense que je serais encore en train de me demander ce que je pourrais bien faire de ma vie. Dans le fond, c'est marrant de voir à quel point notre parcours pourrait sembler similaire lorsque l'on ne s'attarde pas sur les détails. Alors je lui fais part de mon parcours sans trop l'inonder de détails inutiles, mais je vois son regard impressionner et je voudrais lui dire que dans le fond tout cela ne signifie rien, mais il semble avoir tout un tas de questions en réserve Tim. « Wow, c'est impressionnant. Tu prends encore la mer souvent ? » Et il me fait sourire avec ses questions dignes d'un enfant. « Encore régulièrement oui. » Parce qu'on ne saurait pas faire sans avec Thomas. Chaque année, on dit que l'on va ralentir le rythme, que l'on va moins accepter les missions longues et chaque année, on rempile pour une de plus. « C'est un peu addictif, je dois dire. » Je pouffe un peu tandis que Willow décide de venir enfoncer son petit visage dans mon tee-shirt. Je le replace un peu correctement tout en écoutant son père parler. « Ouais, mais j'ai seulement fait la première formation, j'ai arrêté ensuite comme je pense pas que c'était ma vocation. Je suis un type paisible à vrai dire et je me voyais pas loin de mes enfants, de toute manière. Ça t'a jamais fait peur, toi, la mort tout ça, en laissant des gens derrière toi ? » Elle est censée sa question et il n'est clairement pas le premier à me la poser. En vingt ans, la réponse a parfois changé, mais le résultat reste le même. « Je me suis engagé pour laisser les gens derrière moi. » Ça n'a jamais été une véritable vocation, je ne voulais pas devenir militaire depuis l'enfance, je ne viens pas d'une famille de militaire. À l'époque, j'allais mal, je voulais m'éloigner de ma famille. « J’ai un peu choisi l’armée sur un coup de tête, ce n’était pas une vocation. Puis on m’a montré un mirage et j’ai craqué. » Je ris un peu. « Donc je comprends ce qui t’a freiné et pour répondre à ta question, je crois que ça ne m’est jamais vraiment freiner. Enfin… Sauf quand Charlie m’appelait en pleurant quand elle était petite. » Puis on a commencé à avoir notre petit deal à deux. Je lui ramenais des souvenirs de mes voyages et dès que je rentrais, on faisait un truc rien que tous les deux. Ce n’était pas parfait, mais c’était mon quotidien et je ne l’ai jamais vraiment changé. « En vrai, je pense que je vais tout faire pour avoir un petit commerce de paysagiste ou de fleuriste, mais c'est encore en réflexion, la librairie, c'est très sympa pour le moment. » « Tant que tu te plais dans ce que tu fais. » Je hoche de la tête comme pour souligner mes propos. Pour moi, c’est véritablement le plus important. Et alors que j’allais poursuivre la conversation, Willow s’agite subitement dans mes bras. Si jusqu’à présent sa tête était tournée à l’inverse de son père et son frère, maintenant elle se tourne pour ouvrir les yeux et voir son papa. Et là, c’est les larmes. « Oh bah alors, qu’est-ce qui se passe ? » Willow s’agite tel un petit vers et chouine de plus en plus fort. « Je crois qu’elle veut son papa. » Et je vois Gabriel complètement étalé dans les bras de Tim. « On se la joue stratégique en faisant un échange ou tu prends les deux ? » Et bien entendu, Gabriel se met à pleurer à cet instant précis. « Je crois qu’il va falloir préparer les biberons aussi. »

Oui, Tim avait encore tant à apprendre et apparaissait comme un homme si naïf malgré son âge. Il fallait dire qu'il n'avait pas eu la chance d'avoir les mêmes expériences que les trentenaires qu'il connaissait. Lui avait passé son enfance à subir les mauvais traitements de sa mère plutôt que d'apprendre à jouer au ballon ou à la dînette alors, il n'avait jamais su comment socialiser. A l'adolescence, les choses ne s'étaient pas améliorées avec les moqueries de ses camarades qui persistaient, Decastel avait fini par se replier sur lui-même pour n'avoir comme sortie que le cimetière du quartier, un endroit qu'un garçon de son âge ne fréquenterait jamais sauf pour dealer de la drogue. Lui n'en avait jamais consommé et on ne pouvait pas dire que sa vie d'adulte lui avait permis de faire preuve d'un grand relâchement jusqu'au printemps dernier. Depuis, Tiimothy apprenait peu à peu tous les affres de la vie, paraissant forcément bien ridicule à côté d'un Cian qui côtoyait l'armée depuis plusieurs décennies et qui n'avait pas l'air d'en souffrir énormément. Tim ne regrettait pas son choix de son côté, il n'avait clairement pas les tripes pour ce genre de mode de vie, loin de tout. "Je comprends. C'est fou que t'y sois encore après tout ce temps, ça m'a l'air tellement ardu d'être loin des gens que j'aime... Bon, j'en ai pas beaucoup et c'est effectivement la même raison que toi qui m'a poussé à m'engager à la base mais c'est clair que faut avoir ça dans le sang pour tenir le choc. Et avec ta fille, maintenant?" Car Charlie était grande désormais et ne devait pas appeler tous les soirs son oncle en pleurant mais Tim avait appris qu'il avait lui aussi un enfant et c'était sacrément plus difficile quand on devenait parent, ou en tout cas, du point de vue de Tim, ça l'était. Il n'eut pas tellement le temps d'interroger plus avant son camarade que les jumeaux se réveillaient à tour de rôle, créant clairement la panique à bord alors que jusqu'ici, tout était si paisible. "Tu veux bien les chauffer, s'il te plait? J'ai une technique imparable pour les calmer avant de manger... Bon, ça marche pas tout le temps mais parfois, il y a un miracle." Il décala Gabriel d'une main pour accueillir Willow dans son bras désormais libre, commençant à les bercer doucement alors qu'il leur murmurait tout et n'importe quoi. La voix de leur père les apaisait parfois et Tim en souriait alors que sa mèche de cheveux venait chatouiller la joue d'un des jumeaux, arrêtant le flot de ses larmes pour qu'il l'attrape en chemin. Sacré Gabriel, toujours le premier pour trouver une distraction. "Bon d'accord, y a des risques de calvitie précoce dans ma tactique mais eh, regarde, ils pleurent plus." Non, à la place, ils tiraient sur tout ce qu'ils avaient sous la main, soit les membres de Timothy en résumé mais lui en riait, bien trop heureux de les avoir, ces chenapans.

« Je comprends. C'est fou que t'y sois encore après tout ce temps, ça m'a l'air tellement ardu d'être loin des gens que j'aime... Bon, j'en ai pas beaucoup et c'est effectivement la même raison que toi qui m'a poussé à m'engager à la base, mais c'est clair que faut avoir ça dans le sang pour tenir le choc. Et avec ta fille, maintenant ? » Je me reconnais partiellement dans le discours de Tim. Il semblerait que nous ayons plus de points en commun que l’on pourrait bien le croire. Et dans le fond, je comprends pourquoi il a refusé de continuer la formation. Au moins, il s’en est rendu compte avant que ce soit trop tard et qu’il soit bien trop engagé dans le métier. Je crois que passer un certain statut, il est vraiment difficile de prendre la porte de sortie. La question de Tim me fait réfléchir malgré tout. Et maintenant avec Ailis ? Je crois que dans le fond, rien ne change réellement. Après tout, Thomas a réussi à élever trois enfants tout en étant dans le métier. Bon… Il en est à son deuxième divorce, mais ça n’a rien à voir avec l’armée, non ? « Ça change un peu la donne, mais ça reste mon métier. » Je hausse un peu les épaules. « J’ai ralenti les missions à l’étranger, je m’occupe un peu plus des recrues donc je reste dans le coin. » J’apprends doucement à voir ma vie autrement, en somme.

On aurait probablement pu discuter encore longtemps avec Tim, mais les jumeaux en on clairement décider autrement. « Tu veux bien les chauffer, s'il te plaît ? J'ai une technique imparable pour les calmer avant de manger... Bon, ça marche pas tout le temps, mais parfois, il y a un miracle. » Je ris un peu et hoche la tête. Je suis devenu un professionnel dans la préparation des biberons, ça je vais pouvoir gérer. Je lui laisse les deux petits monstres pleins de larmes et de morves. Tim est véritablement en train de gérer la situation. Jusqu’à ce que Gabriel tire sur ses cheveux. « Outch. » Je pouffe, mais au moins les hurlements ce calme un peu. « Bon d'accord, y a des risques de calvitie précoce dans ma tactique, mais eh, regarde, ils pleurent plus. » « Okay, je me dépêche avant que tu perdes toute ta tignasse. » Je me dirige vers la cuisine et sors tout le nécessaire pour préparer le repas des jumeaux. Ils pleurent encore tous les deux, mais Gabriel est clairement en pleine maîtrise des larmes de crocodile. « Il a un sacré caractère ce petit. » Et il me fait tellement penser à Charlie enfant. « Un peu comme Charlie quoi. » Je ris une nouvelle fois et chauffe le deuxième biberon. Je dois agir vite, parce qu’il faut leur donner les biberons en même temps pour ne pas créer une nouvelle crise. Je reviens donner les bouteilles à Tim. « Tiens. » Je l’aide à s’installer un peu plus confortablement et récupère Gabriel puisque Willow semble ne plus vouloir lâcher son père. « A table tout le monde. » Ils se mettent à téter avec force et le calme retombe dans la pièce. « Je te préviens s’ils ont pris de Charlie, il va falloir que tu repasses ton brevet de secourisme. » Elle était casse-cou Charlie, toujours à grimper de partout, à tout vouloir découvrir et à tomber parfois. « Enfin juste être doué avec une boîte de pansements, c’est déjà bien. » Je vais pas le faire paniquer non plus.

Cian avait l'air de tant apprécier son métier, ce que Tim n'avait pas eu l'occasion de connaître durant ces quelques semaines au camp de formation. Il fallait être taillé pour la vie loin de toute commodité, à dormir par terre avec des camarades de chambrée qui n'étaient pas toujours d'une grande aide. La vie en groupe s'apprenait là bas cela dit, à la dure, parce qu'il n'y avait pas la possibilité de faire autrement. Non, on ne pouvait pas juste dire merde et aller s'enfermer dans sa tente le temps qu'il fallait pour se sentir mieux. L'armée n'avait rien d'une colonie de vacances et Decastel avait eu le temps de le constater, lui qui se sentait si mal dans sa peau à ce moment là et qui ne savait pas comment il allait s'en sortir. Il avait fait une erreur de jugement en pensant combattre son mal-être dans une institution aussi grande que celle là, lui qui n'aimait pas particulièrement se perdre dans une foule. Timothy était plus solitaire qu'autre chose, même s'il aimait énormément les gens et qu'il ne comptait pas vivre en ermite jusqu'à la fin de ses jours. Il était simplement trop timide et renfermé pour faire carrière au milieu des grands de ce monde et le brun n'avait aucun doute que Atwood en faisait partie. "Oh, tu les coaches? Genre comme les gradés du camp de formation?" Il se demandait bien comment pouvait être Cian avec les petits nouveaux. Quand on était dans l'armée, il fallait jouer un rôle pour que tout se passe au mieux, un rôle qui n'avait pas convenu à un Tim trop peu assuré pour y survivre. Il n'eut pour autant pas le temps d'y réfléchir vraiment puisqu'il avait les deux démons à gérer tout d'un coup, dont un qui lui tirait les cheveux avec une force étonnante pour un enfant de cet âge. Bien vite, l'oncle de Charlie vint à sa rescousse avec des biberons chauds, prenant Gabriel sous sa houppe pour lui donner à manger. Tim put reprendre une position décente en nourrissant Willow de son côté, alors qu'il souriait face aux remarques de l'homme à ses côtés. "Pourquoi je suis pas du tout étonné de ce que tu me dis là? J'espère juste que Willow suivra pas trop son frère parce que sinon, on va tous finir chauves de leur courir après. Mais dis moi comment a grandi Charlie, tiens, que je me prépare pour Gabriel déjà." Les enfants étaient effectivement calmes maintenant qu'ils avaient des biberons pour les occuper et Timothy pouvait concentrer son regard sur Cian, priant pour que l'avenir ne soit pas trop difficile en termes d'éducation.

« Oh, tu les coaches? Genre comme les gradés du camp de formation? » « C’est ce que je fais oui. » Je hoche la tête face à la question du jeune homme. Il a connu le milieu, il doit parfaitement savoir ce que cela représente d’être celui qui forme les petits nouveaux. On joue tout un rôle à ce moment précis. On doit faire nos preuves, on se doit de les impressionner tout en les faisant aimer le métier. La ligne est fine entre la fermeté et l’hystérie qui ne fera jamais avancer les choses. Il faut être dur sans être cruel, compréhensif sans jamais verser dans le sentimental. C’est un exercice difficile, mais qui me plaît tellement dans le fond. J’aime passer le flambeau, voir des jeunes se trouver une voie, une vocation. « Promis je ne torture personne. » Et probablement que mon dernier groupe a qui j’en ai fait baver hier hurlerait l’inverse, mais ils ne sont pas là pour que Tim puisse les entendre. « Enfin… Tu as connu la formation. » Et probablement qu’il a son opinion. Je ne sais pas comment était son instructeur. Je me souviens avoir détesté Sullivan pendant des années d’une force viscérale. Aujourd’hui, il est celui que j’admire le plus et avec qui j’ai noué une relation si importante.

Notre conversation sur l’armée n’aura pas vraiment le temps de s’attarder. Les jumeaux ont faim, il faut agir vite avant que Tim se fasse arracher des touffes de cheveux par son propre fils. Heureusement, je me débrouille pour faire des biberons assez rapidement et en quelques minutes le calme retombe dans l’appartement tandis que les jumeaux mangent avec appétit. J’apprécie tellement ce moment. Quand ils sont blottis dans nos bras, que leur petite main s’enroule autour de nos doigts et que leur regard se plonge dans le nôtre. La connexion est exceptionnelle. Le temps se suspend un instant. Avant que l’on échange à nouveau. « Pourquoi je suis pas du tout étonné de ce que tu me dis là? J'espère juste que Willow suivra pas trop son frère parce que sinon, on va tous finir chauves de leur courir après. Mais dis moi comment a grandi Charlie, tiens, que je me prépare pour Gabriel déjà. » Un sourire se dessine sur mes lèvres alors que je me plonge dans mes souvenirs. « Je ne pourrais pas vraiment te dire au quotidien. J’étais constamment en mer quand elle avait leur âge et pendant des années après. » Peut-être que je le regrette un peu dans le fond. « Puis j’étais l’oncle cool et quand je revenais elle avait un peu le droit de faire ce qu’elle voulait avec moi. Mais… Charlie, elle était si curieuse de tout. Je lui ramenais une carte postale de chaque pays que je visitais et on avait une carte du monde dans sa chambre pour marquer les endroits. » C’était notre jeu favori. « Elle était déjà têtue et elle a maîtrisé le sarcasme bien trop jeune. » Je pouffe de rire. « Elle était pleine de vie, mais j’étais autant un gamin qu’elle. Peut-être que j’ai pas forcément aidé à la garder bien sage. »

Il y avait effectivement un trait des plus fins entre l'enfer et le paradis. L'armée devait se situer quelque part, beaucoup plus proche du premier environnement que du second, du moins aux yeux de Tim qui avait fini tellement de journées en pleurs avec une fatigue extrême. C'était dur, on pouvait au moins dire cela mais c'était ce à quoi il s'était attendu pour être honnête. Il s'était engagé pour cette raison même, pour la douleur qu'on lui ferait subir et qui lui permettrait de légitimer ce mal de coeur qui le brisait au quotidien. Il en était sorti plus fort, le soldat Decastel, et il avait mis bien du temps à s'en rendre compte. Au final, il remerciait ses quelques moments à l'armée plus qu'il ne les méprisait parce que Timothy était conscient que cette expérience l'avait fait grandir. Alors, il n'avait pas grand mal à comprendre ce que voulait dire Cian sur son rôle de formateur. La tyrannie n'était jamais loin lorsqu'il fallait pousser un homme à aller au bout de ses capacités mais c'était aussi beaucoup de reconnaissance qui en ressortait car les jeunes savaient que c'était pour leur bien. Tim, en tout cas, voyait les choses ainsi, du moins jusqu'à ce que les sanglots des bébés les amènent à se concentrer sur eux, le biberon à la main. Le silence était paisible mais ne dura pas des heures parce que Timothy était curieux d'en apprendre plus sur le passé de la mère des jumeaux, peut être pour se préparer à ce qui l'attendait dans les années à venir. Certes, les circonstances étaient différentes mais le caractère de Gabriel se montrait déjà troublé alors, autant prendre un peu d'avance au cas où l'enfer persistait à jouer des tours à ses parents. "Vous avez l'air de tant partager, Charlie et toi. Je crois qu'elle te considère plus comme un père que comme l'oncle pas sage que tu décris. Et, au final, regarde, elle s'en sort pas si mal alors j'ai bon espoir qu'on fasse au mieux si Gabriel est aussi têtu que sa mère. Enfin, on dit ça mais si ça se trouve, ce sera Willow la teigne. A cet âge là, c'est difficile de dire. Je sais pas comment est ta petite mais, mine de rien, les bébés changent vite." Les caractères étaient changeants tant qu'ils portaient des couches, c'était indéniable et les parents auraient certainement le temps de voir venir.

Je sens dans la conversation que mon opinion et celui de Timothy finirons par diverger si nous continuons notre conversation sur l’armée. Je ne peux pas lui en vouloir d’avoir vécu l’expérience de manière négative ou tout simplement si ce n’était pas ce qu’il recherchait réellement. Malgré tout, je pense aussi avoir trop le nez dans le guidon pour mener la conversation à bien. Je suis militaire depuis plus de vingt ans, cela a régi la moitié de ma vie et c’est énorme. Mais comme si les jumeaux avaient compris que l’on se baladait sur un fil légèrement tendu, ils décide de faire entendre leur douce voix pour nous faire savoir qu’il serait temps que l’on s’occupe de leur remplir le ventre.

Et je suis bien plus à l’aise soudainement, lorsque l’on se retrouve chacun à un bout du canapé, chacun un bébé dans les bras. Le calme retombe dans l’appartement et la conversation se dirige vers quelque chose qui sera bien moins tendancieux, bien plus simple pour moi aussi. « Vous avez l'air de tant partager, Charlie et toi. » Je ne peux que hocher de la tête pour venir confirmer ses dires. « Elle est née à une période difficile pour moi. Je venais de perdre ma petite sœur, j’en voulais à la terre entière et bébé Charlie a été un peu ma lueur d’espoir. » Je me suis raccroché à elle pendant des années, c’était mon boulot et Charlie. Rien d’autre. « Je crois qu'elle te considère plus comme un père que comme l'oncle pas sage que tu décris. Et, au final, regarde, elle s'en sort pas si mal alors j'ai bon espoir qu'on fasse au mieux si Gabriel est aussi têtu que sa mère. Enfin, on dit ça, mais si ça se trouve, ce sera Willow la teigne. A cet âge là, c'est difficile de dire. Je sais pas comment est ta petite mais, mine de rien, les bébés changent vite. » Je suis touché par ses paroles. Touché de savoir que ma nièce parle ainsi de moi, que notre relation soit aussi forte. « Je suis l’oncle cool, mais je me suis jamais gêné pour lui faire comprendre quand elle faisait de la merde. Avec moi, elle faisait ce qu’elle voulait, mais elle était toujours plus sage qu’avec sa mère. » Parce que je savais mettre des limites sans hurler, sans la punir, sans passer par mille et unes frustrations. Je regarde la petite Willow qui tète joyeusement sur son biberon tandis que ses petits pieds battent le rythme. « Ils vont changer, ils vont grandir, c’est certain. » Et je pense à Ailis aussi, ce petit bébé si sage et si adorable. « Ailis, c’est un peu le bébé soleil, elle est toujours en train de sourire, toujours à babiller. » Et peut être que j’ai un sourire niais, mais je m’en fiche. « Elle adore les jumeaux d’ailleurs, elle adore les regarder. » Ils se sont vus quelques fois, tous les trois. « J’espère qu’ils pourront grandir ensemble. »