Il n'avait pas prévu l'affaire en avance, du Doherty tout craché. Alors, il avait tout balancé dans des cartons au dernier moment, ne prenant même pas la peine de plier ou ranger correctement puisqu'il allait tout devoir refaire en sens inverse de l'autre côté. Autant s'épargner du boulot supplémentaire, à croire qu'il devenait fainéant depuis qu'il avait quitté la caserne, la vie civile vous ramollissait d'une manière ou d'une autre, à moins que ce ne fut la trentaine qui le rendait ainsi. Wren n'avait clairement pas le temps de se poser la question alors qu'il était rendu au déplacement de son centième carton de la journée, posant le tout au beau milieu du salon de Carnahan parce qu'il allait bien devoir mettre son bordel quelque part, non? Les animaux ronchonnaient de ce changement d'aménagement de leur espace vital, Croustibat était caché sous le canapé depuis le début de l'affaire, clairement apeuré de ne pas retrouver toutes ses odeurs corporelles étalées sur le mobilier. Il s'y ferait lui aussi, à cette nouvelle vie, c'était bien pour le bien de tout le monde. Wren n'avait plus un rond en poche en attendant de commencer ses services au DBD et puis, un loyer, cela ne se payait pas avec des prières alors autant payer moins en habitant à plusieurs, non? Gabriel était tellement gentil qu'il lui avait proposé ce deal à durée indéterminée, fermement ancré dans l'idée qu'il était né pour filer des coups de main à droite à gauche. On parlait tout de même du bonhomme qui avait sevré Wren quelques mois auparavant, un courageux qui ne se laissait pas terroriser par un géant suédois qui était en mesure de donner des cauchemars à n'importe qui. Il referma finalement la porte derrière lui en relâchant le dernier carton de fringues au beau milieu de l'entrée, en sueur, se dirigeant vers le divan pour s'y laisser choir, question de principe. "Promis, je range mon merdier après. Je vais juste boire un coup, me reposer deux minutes, Gab... Promis, promis." Ce qui ne présageait rien de bon avec un Doherty, toujours des promesses en l'air et rien d'autre. Jamais de concret.
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Les choses s’étaient faites avec un naturel déconcertant, comme à chaque fois entre eux. A croire qu’ils se connaissaient depuis toujours ou que ce fut le cas dans d’autres vies. La réalité était pourtant tout à fait différente, Gabriel ayant posé le pied en terres australiennes depuis seulement un peu plus de deux ans quand Wren, lui, y était bel et bien né, et sur le papier rien ne semblait franchement les prédestiner à se lier avec tant de force. Mais la vie avait ses surprises et tours dont elle seule possédait le secret. Et traverser ensemble des épreuves telles qu’une violente agression ou un sevrage forcé étaient, sans le moindre doute, de ces choses qui rapprochaient tout particulièrement les êtres, quelques soient leurs différences. Cependant, et pour une fois, les événements qui les rassemblaient présentement n’avaient rien de la teneur tragique des précédents, et c’était certainement pour le mieux. Du moins était-ce le pressentiment de Gaby alors qu’il naviguait tant bien que mal entre les nombreux cartons qui envahissaient désormais son salon. Lui qui, quelques temps auparavant, disait justement à Wren qu’il regrettait que l’endroit manque de vie, le voilà servi. Il en était à vrai dire ravi, trop heureux d’à la fois offrir un toit au suédois et de partager son espace avec une personne qui lui était chère, même si cela demandait quelques aménagements et était synonyme d’un vaste labyrinthe au milieu de son séjour. Des détails qui se régleraient dans les jours et semaines à venir, à n’en point douter. Ce serait sûrement une nouvelle organisation à trouver mais il ne s’en inquiétait pas outre mesure, l’appartement était bien assez grand pour eux deux et leurs compagnons à quatre pattes, ils ne risquaient pas de se marcher dessus et cette cohabitation n’effrayait pas le moins du monde le libraire. Au contraire, la solitude lui avait appris quelque chose, s’il ne souffrait pas du calme ou d’être seul par choix, l’interaction et le mouvement ailleurs qu’à la boutique lui manquait toute de même de plus en plus. « C’était le dernier ? » L’arrivée du nordique dans l’entrée après un énième aller-retour coupa court aux songes de Gabriel. « Eh bien, jamais je n’aurai cru qu’il y en aurait autant. » Son ton s’était teinté d’amusement alors que ses prunelles bleutées s’offraient un tour d’horizon de la pièce principale transformée en véritable aire de déchargement. « La chambre est plutôt grande et il y a pas mal de placards, mais si jamais il n’y a pas assez de place tu peux stocker le reste dans le bureau. » L’irlandais désigna les pièces en question tandis que Wren se frayait un chemin, jusqu’au canapé. « Quand tu dis promis plus d’une fois dans la même phrase, c’est plutôt mauvais signe non ? » Un sourire malin s’étira au coin de ses lèvres, alors qu’il avisait le grand brun littéralement affalé au fond du sofa, clairement pas une disposition qui promettait une mise en action prochaine. « Mais bon, va pour un coup à boire d’abord. » Après tout il n’était ni maniaque, ni psychorigide alors même l’état présent de son salon ne le défrisait pas réellement, si tant est que cela ne dure pas des jours toutefois. Gaby slaloma encore un peu entre les cartons, le temps d’attraper deux bières et de revenir en caler une entre les mains de son tout nouveau colocataire, avant de faire mine de porter un toast. « A ton emménagement alors. Bienvenu. » A son tour il vint s’asseoir, avisant d’un coup d’œil le manège de son chat autour des affaires de Wren. « Par contre tu ne devrais pas trop tarder à déballer tout ça quand même, avant qu'Aodh ne se charge de le faire pour toi. » Car il ne faudrait sûrement pas beaucoup de temps au félin roux pour s’amuser à tenter d’ouvrir chaque boîte et en étaler le contenu par terre. Un chat restait un chat.
C'était une situation totalement inédite pour Wren qui ne s'était jamais osé à aller habiter avec quelqu'un en dehors de son cercle familial. Et encore, on pouvait laisser même planer le doute à ce sujet car, s'il était resté aussi longtemps chez sa mère, c'était avant tout pour s'occuper d'elle, de servir de garde malade. Le grand Doherty avait fini par abandonner l'idée, s'usant à la tâche pour un résultat très peu probant. Sa génitrice avait fini par le haïr de tous les efforts qu'il mettait en oeuvre pour la tenir à flot, du matin jusqu'au soir. Il était là pour lui donner des soins, la nourrir, ouvrir ses volets malgré les tentatives d'assassinat par lancer d'assiettes interposé et il avait tenu le choc durant bon nombre d'années. Il s'avérait qu'il n'était pas invincible, que son coeur n'était pas fait de pierre et qu'il avait fini par mettre un trait là dessus, sur le sauvetage inopiné de sa mère et de tant de faits de son passé. Désormais, Wren voulait regarder vers l'avenir et cette colocation avec Gabriel était tout simplement une idée ingénieuse pour réaliser son rêve, enfin arrêter de ressasser, de passer son temps à revivre les mêmes moments de manière inlassable pour profiter pleinement de ce que le présent avait déjà à lui offrir. Cela ne voulait pas dire que ce serait simple, pas quand on avait foutu en l'air son avenir dans un métier comme le sien, tout cela pour e retrouver serveur au bar du coin. C'était même extrêmement difficile pour le suédois qui avait toujours eu besoin d'action et d'adrénaline pour se sentir vivant. Cela dit, si les circonstances avaient changé, désormais Wren arrivait à se contenter du minimum, à se dire que ce n'était pas si grave de ne pas avoir un sou en poche tant qu'il avait la santé et qu'il pouvait compter sur la présence d'un ami pour le réconforter et aller à de l'avant. Et quel ami était Gabriel Carnahan, un ange, un homme précieux qui lui sauvait la vie constamment, sans le savoir réellement. Cette fois, le suédois empiétait sur son lieu de vie et par extension, sur son intimité en laissant traîner ses cartons dans le salon, voyant bien les animaux tourner autour en se demandant ce qui se passait mais Wren était fatigué de ses voyages et il avait juste besoin de siroter sa bière dans la plus grande quiétude. Le bouclé semblait être sur la même longueur d'ondes que lui sur la question puisqu'il ne lui mit pas un coup de pied aux fesses pour tout ranger derechef. Pour cela, Doherty le remerciait, lui qui avait pris tant de décisions récemment et qui avait peut être besoin de se laisser vivre deux petites minutes par jour. "J'ai vécu trop longtemps dans cet appart', c'est un fait. J'aimerais bien te contredire mais je peux pas... Après ma pause, je me bouge, crois en moi." Il tapota l'épaule du brun, un sourire aux lèvres, avalant une nouvelle gorgée de liquide qui le rassasiait vraiment, une aubaine vu l'état dans lequel il était. "Merci, à ton chat qui va manger mes fringues dans ce cas." L'idée le faisait rire parce que Wren semblait moins sombre qu'auparavant, prenant peut être le temps désormais de penser à tout ce qu'il avait traversé et qui aurait pu le briser. Il était resté debout et il en était fier. "Alors, qu'est ce que tu racontes depuis la dernière fois? Émerveille ma vie de serveur célibataire, s'il te plaît." Facile à dire et sûrement moins à faire avec un Gabriel tout réservé mais Wren l'aimait ainsi, son frère.
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A présent assis dans le canapé, Gabriel contemplait son salon envahit de montagnes de boites et cartons. Il ne trouvait pourtant là rien de dramatique ni d'ennuyeux. Au contraire même, il en était plutôt ravi. Il y avait de la vie dans l’appartement, du mouvement, et, là, à cet instant précis, il avait l’évidente certitude que cela lui avait manqué. Et quoi de mieux que d’accueillir chez lui, dans cet espace qu’il voulait chaleureux et apaisant, un ami. Celui avec qui tout semblait toujours se faire si naturellement, sans jamais forcer. La vie leur avait pourtant imposé des lots d’épreuves, dont certaines, et pas des plus agréables ni aisées, qu’ils avaient dû traverser côte à côte. Ils s’en étaient malgré tout sortis, à chaque fois. Quelque chose de profond les avait rapproché et les liait désormais, quelque chose de fort. Il était de ces amitiés précieuses, uniques, si indéfectibles et évidentes que le temps passé ensemble comptait moins que la qualité de ces moments et la force intrinsèque de ce lien. Et c’était bien de cela dont il était question entre les deux hommes. Ils ne se connaissaient peut-être pas depuis leur plus jeune âge mais qu’importait, quand ils avaient tout de même l’un pour l’autre l’importance d’un frère, bien au-delà des liens du sang. « Ca faisait vraiment tant de temps que tu y habitais ? » Il était curieux Gabriel, mais pas au mauvais sens du terme, il s’intéressait réellement, à ce que disait Wren. Et puis, pour lui qui avait tout de même pas mal cavalé de par le monde, bougé régulièrement et déménagé à quelques reprises, le concept de rester trop longtemps au même endroit demeurait quelque chose de relativement étranger. Alors c’était aussi une façon de partager leur vécu respectif. « Mais je crois en toi. » Et malgré son ton léger il n’y avait rien de plus vrai que ces quelques mots-là, parce qu’il l’avait toujours fait, croire en Wren, même quand ce dernier lâchait prise, qu’il semblait toucher le fond et n’espérait plus rien de la vie, qu’il ne croyait plus en quoi que ce soit et se considérait comme un moins que rien. Même dans ces moments-là Gaby avait continué de le faire pour lui, c’était le cas depuis le départ, et ça l’était encore aujourd’hui. Alors oui, son ton était sincère à cet instant. Son attention finit par se reporta de nouveau sur le manège de son chat qui semblait bien décidé à inspecter le contenu de chacun des cartons qui envahissaient l’espace autour d’eux. « Vois le bon coté des choses, s’il les mange, ça fera toujours ça de moins à ranger. » Le libraire rebondissait sur l’amusement de son nouveau colocataire. Car ce dernier riait réellement et il y avait un soupçon d’insouciance dans ce rire-là. Cela faisait plaisir à voir. D’autant plus à Gabriel, qui se souvenait encore de l’état plutôt désastreux dans lequel il avait retrouvé le grand brun. Au fond du gouffre, le corps et l’âme ravagés, des marques morbides plein les bras, une silhouette amaigrie et une pâleur mortelle. L’image l’avait marqué, nul doute qu’elle resterait bien longtemps encore ancrée dans sa mémoire. Aujourd’hui la vie semblait avoir repris ses droits sur le trentenaire, il avait bien meilleure mine, et bien au-delà de ça, perçait au fond de ses prunelles vertes quelque chose de bien plus précieux encore aux yeux de l’irlandais, une pointe d’espérance. Et ça, ça valait largement toutes les épreuves qu’ils avaient traversé ensemble, tous ces jours de peine et de ténèbres pour qu’enfin, au bout du compte, la lumière reparaisse, brille à nouveau, quelque part chez le nordique. Gabriel en était heureux, vraiment heureux, et bien plus encore, quelque part il était fier, fier du chemin accompli par son ami, de sa ténacité, fier de le voir revivre ainsi. Il en souriait d’ailleurs, sincèrement. « Oh, je doute que ma vie de libraire veuf soit beaucoup plus palpitante tu sais. » Certainement que non. En revanche il s’étonnait presque de parvenir à évoquer son veuvage si aisément au détour de la conversation. Sans doute était-ce parce que Wren était au courant, qu’ils avaient déjà eu l’occasion de parler de leurs blessures les plus profondes, à cœur ouvert, sans détours ni fausse pudeur. Ils avaient toujours eu cette facilité à communiquer, à se parler avec sincérité, eux qui n’étaient pourtant pas de grands bavards, pas vraiment du genre à s’épancher sur eux pendant des heures. Ils avaient pourtant cette aisance là lorsqu’ils étaient ensemble, à s’exposer, se confier, sans craindre le jugement de l’autre. Simplement parce qu’il n’y en aurait jamais. C’était un fait, une vérité apparemment absolue, depuis leur première rencontre. Et ce fut sans doute ce qui poussa l’irlandais à finalement poursuivre, malgré son introversion naturelle et sa plus grande faculté à écouter les autres qu’à parler de lui. Il se cala alors un peu plus confortablement dans le fond du canapé tout en faisant tourner inconsciemment sa bouteille de bière entre ses mains, silencieux quelques instants, pensif. « Il n’y a pas grand-chose à dire en vérité, à la librairie tout se passe bien, j’ai même pu embaucher deux personnes. Et pour le reste, ma vie est plutôt calme. » Hormis bien sûr quand il se retrouvait à ramasser un grand suédois en piteux état dans la rue. Mais une fois n’était pas coutume. Heureusement d’ailleurs. Il préférait voir Wren comme à cet instant, parvenant à rire un peu et à se laisser porter par quelques minutes de calme, une bière à la main. Il y avait toutefois autre chose qui était survenu récemment dans la vie de Gaby, une chose qu’il s’osa à aborder après une autre gorgée d’alcool. « En réalité, il s’est passé quelque chose d’assez… Inattendu. » Pour le moins. « J’ai retrouvé quelqu’un que je ne pensais pas avoir la chance de revoir un jour, et d’une manière plutôt étrange je dois dire. Enfin c’est une longue histoire. » Une très longue histoire. Et il était songeur, Gabriel, alors qu’il portait une nouvelle fois la bouteille à ses lèvres, en repensant à la manière, toujours improbable, dont sa vie et celle de Robin se croisaient. D’étonnants hasards. Ou peut-être que le hasard n’existait pas vraiment, allez savoir.
Il y repensait forcément très fréquemment au fait que sans Gabriel, il ne serait plus de ce monde. C'était l'irlandais qui l'avait repêché à l'agonie près des caniveaux au fond d'une ruelle sombre, loin de tout passage de personnes bien intentionnées. Par un concours de circonstances, c'était ce cher Carnahan qui était passé par là au moment où Wren avait décidé de choir pour ses dernières minutes d'existence... Mais tout cela, c'était sans compter sur la détermination du libraire pour le remettre sur ses pattes, définitivement. Chacun son tour, c'était ce qui semblait être leur devise depuis l'incident qui avait amené le petit brun jusqu'à un lit d'hôpital, rencontrant ce cher Doherty dans un contexte des plus étranges. Leur lien était né de là, d'un coïncidence de plus dans leur vie d'amoché et ils n'avaient pas fini de se retrouver, comme une invitation du destin à rendre leur amitié plus forte que tout ce qu'ils avaient déjà dû vivre jusque là. Le suédois n'avait définitivement pas oublié tout ce que le bouclé avait supporté pour le voir de nouveau vivant et en un seul morceau: les provocations, les fugues voire les insultes. Il avait donné dans le pire, ce cher Wren, mais Gabriel avait tout de suite compris qu'il n'était pas tout à fait dans son état normal et le pacte tacite entre eux avait fait la reste du travail. Depuis, l'idée avait germé qu'ils habitent ensemble, une manière comme une autre de pallier à leur solitude respective tout en veillant sur l'autre puisque tous deux avaient cette manie de se retrouver dans les ennuis. Doherty s'était promis cela dit de mettre peu le frein à toutes ces histoires sordides qui avaient bien failli le faire chuter définitivement quelques semaines auparavant. La voix de la sagesse, voilà ce que le nordique avait choisi et la présence d Carnahan à ses côtés allait clairement l'y aider. "Deux ans, à peu près." Avant cela, il tenait encore le rôle d'aide de vie pour sa chère et tendre mère mais en vue des piètres résultats de l'affaire, Wren avait pris cet appartement qui ne payait pas de mine mais qui avait fait le job le temps qu'il avait fallu. Il était tout de même content de s'en échapper, pour effacer les mauvais souvenirs qui persistaient au fond de sa boîte crânienne malgré sa sobriété retrouvée. "Autant que je crois en toi vieux frère." Il lui fit un clin d'oeil en choisissant d'ignorer la multitude de cartons qui traînaient pour l'heure à venir. Là, Doherty avait juste envie de fêter cette toute nouvelle colocation, clairement hors du commun, en interrogeant son cher Carnahan sur les dernières nouveautés de son existence. Il avait tendance à s'encroûter, Wren l'avait forcément remarqué avec ce comportement casanier qu'il avait fini par adopter mais le suédois ne le laisserait pas faire plus longtemps: son avenir l'attendait. Plus que jamais. En témoignait d'ailleurs ce début de récit qui tenait en haleine le grand dadais en plein milieu de sa bière. "Passons les détails routiniers de la librairie et ta vie de vieux gars là... Raconte au lieu de balancer une bande annonce là. Tu vas pas me cacher quelque chose direct comme ça, hein mon Gaby? Après, promis, j'te raconte tout ce que tu veux. J'suis toute ouïe, fais attention." Effectivement, Wren s'installa confortablement au fond du divan, dans l'attente des aventures trépidantes de son ami le plus cher.
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Ils étaient confortablement installés sur le canapé, à siroter leur bière, comme s’il s’agissait d’un quelconque rituel entre deux vieux amis. Et malgré le temps passé ensemble c’était bien l’impression qu’ils donnaient, d’être deux vieux amis. En réalité leur amitié, comme leur colocation, étaient fraîches et ils avaient sans doute encore un tas de choses à apprendre l’un de l’autre. Mais les choses se faisaient avec un tel naturel entre eux, c’était précisément pour cette raison que Gabriel n’avait pas hésité une seconde à proposer au suédois de partager son toit, pas plus qu’il ne s’inquiétait de cette cohabitation malgré leurs caractères relativement opposés de prime abord. L’irlandais préférait de toute façon toujours se fier à son instinct plutôt qu’aux apparences. Jusqu’ici cela ne lui avait jamais vraiment joué de tours. Alors il n’avait pas douté un instant en plaçant sa confiance en Wren, pas plus que son espoir ou sa détermination lorsqu’il l’avait aidé à remonter la pente. Et au fond de lui Gaby en était persuadé, il avait eu raison de le faire, de croire en lui et de ne jamais lâcher. La preuve, ils étaient là, une bière à la main, à discuter normalement, de tout et de rien, le nordique ayant recouvré un peu de la stature qu’il avait avant de se laisser sombrer. Rien que ce constat pouvait suffire à faire sourire Gabriel, heureux de retrouver pleinement celui qu’il considérait comme un ami, comme un frère même. « A peine arrivé que tu me traites déjà de vieux ? Ne défais pas tes cartons tout de suite, je vais peut-être revenir sur ma proposition de colocation tout compte fait. » Evidemment qu’il ne le ferait pas, il lui en fallait bien plus pour se vexer, comme le prouvait l’amusement qui teintait sa voix à ce moment. Et à vrai dire le franc-parler de son jeune camarade, loin de l’offusquer, avait même plutôt tendance à le faire rire. « La bande-annonce servait uniquement à capter ton attention, juste pour être sûr que je ne parle pas dans le vide avant de me lancer dans pareille histoire. Après tout vous autres les jeunes, vous avez tendance à vite vous déconcentrer. » Il y avait cette petite pointe d’espièglerie dans son ton. Celle qui lui était propre, depuis toujours, quelques notes de douce malice parfumées d’un quelque chose d’enfantin. Celle que la vie avait tant abîmée aussi et que Gaby ré-apprivoisait peu à peu, doucement, mais sûrement. En réalité si l’irlandais ne s’était pas lancé aussitôt dans ce récit c’était pour la simple et bonne raison qu’il n’était pas de ces bavards qui contaient leur vie de but en blanc et sans la moindre hésitation. C’était même tout l’inverse quand le libraire préférait de loin écouter les autres plutôt que parler de lui, plus du genre à aimer sa discrétion qu’être le centre de l’attention. Ils étaient rares ceux pour qui il faisait une exception à ce propos, ceux à qui il parlait réellement de sa vie, à qui il se confiait. Très rares, essentiellement des amis de longue date. Avec Wren les choses étaient bien différentes, elles l’avaient toujours été, et ni l’un ni l’autre n’avait craint de se confier lorsqu’ils se retrouvaient face à face, et ce même lorsque le lien qui s’était noué entre eux était encore naissant. Aujourd’hui leur amitié était aussi solide et indéfectible que si elle avait été étrennée par de bien nombreuses années. Ce n’était certes pas le cas, mais qu’importait. Il y avait cette évidence, ce sentiment qu’ils se connaissaient depuis toujours, ou presque, et au fond cela comptait bien plus que le nombre exact de jours écoulés depuis leur première rencontre. Aussi Gabriel ne s’accorda t-il qu’un court silence avant de se lancer dans une histoire qui trouvait ses racines bien des années plus tôt. « J’espère que tu es bien installé, quand je te disais que c’est une longue histoire, je n’exagérais pas. Ca remonte à… » Gaby marqua une courte pause, un instant, comme pour se remémorer le temps qui passe et les années qui s‘étiraient les unes après les autres. « … Presque quinze ans. » Une éternité, et pourtant dans sa tête c’était comme si c’était hier. Son ton s’était certainement fait plus songeur en repensant au jeune homme rêveur et plus insouciant qu’il était alors, encore épargné par des drames qui surviendraient des années plus tard. « J’étais en Irlande, et j’ai rencontré cette jeune femme, d’une manière assez improbable. » Le grondement de l’orage, la pénombre de la grotte, l’odeur de pierre, de terre et d’herbe mouillées, et cette drôle de demoiselle qui avait surgi de nulle part pour trouver refuge au même endroit que lui, tout était resté gravé là, dans sa mémoire, dans le moindre détail. « Elle s’appelle Robin. Je ne saurai pas l’expliquer mais elle a quelque chose de spécial, quelque chose qui m’a marqué. » L’irlandais faisait distraitement tourner la bouteille de bière entre ses mains, ses prunelles bleutées égarées quelque part entre les souvenirs et la marque que l’alliance dont il s’était défait quelques mois auparavant avait laissé à son annulaire. « A l’époque je vivais déjà avec Moïra, et jamais cette rencontre n’a remis en cause l’amour que j’éprouvais pour elle. Seulement je n’ai jamais pu oublier Robin pour autant. » Jamais. Elle s’était faite une petite place, là, dans sa tête, dans son cœur, y avait laissé son empreinte, indélébile. « Je l’ai revu quelques années plus tard, au Canada, elle faisait du stop, je me suis arrêté. Je dois dire que nous étions aussi surpris l’un que l’autre de nous retrouver là. J’étais marié depuis peu, et elle parcourait le pays. » Il eut un sourire nostalgique. Cela faisait beaucoup de souvenirs qui remontaient. Aujourd’hui il parvenait à voir les bons, mais il savait que les mauvais n’étaient jamais bien loin non plus. « Et en début d’année je l’ai revu. Au mois de février pour être précis. Ca faisait plus de dix ans. Tu as déjà entendu parler de ces émissions de téléréalité où des gens se marient avec de parfaits inconnus sur la base d’une compatibilité soi-disant calculée scientifiquement ? Eh bien un de mes amis y participait, et m’a invité à assister à la cérémonie. Il se trouve qu’en sortant de la salle je suis tombé nez à nez avec Robin. Elle allait se marier. Malgré toutes ces années nous nous sommes tout de suite reconnus. Elle n’a pas changé. » Elle était toujours cette drôle de petite fée rayonnante et tourbillonnante. « J’ai failli la laisser partir, et finalement j’ai fait demi-tour, pour retourner dans cette salle. Ce qu’il s’est passé ensuite est assez difficile à expliquer, je ne suis même pas certain d’en avoir tout saisi, et pourtant je me suis retrouvé aux premières loges bien malgré moi. Enfin j’imagine que tout le pays aura l’occasion de profiter du… spectacle le jour où ils diffuseront ça. » A vrai dire le libraire n’avait pas spécialement hâte. « Bref, Robin a filé, je l’ai suivi, et puis nous sommes partis. » Et ça avait été un sacré soulagement pour l’un comme pour l’autre d’échapper à tout le cirque qui s’était joué à la mairie. « Voilà, tu sais tout. Dans les grandes lignes tout au moins. J’ai essayé de faire de mon mieux pour ne pas t’endormir. » Un sourire malin pour ponctuer sa phrase, avant qu’une nouvelle gorgée de bière ne vienne s’échouer au fond de sa gorge.
Wren n'était pas le premier choix en tant qu'ami, c'était le moins que l'on pouvait dire. Les gens sensés n'iraient pas vers un Doherty pour s'épancher, pas quand on connaissait leur propension à la violence ou au je-m'en-foutisme face à la vie d'autrui. Ce cher suédois n'était pas une personne qui s'était montré apte à être à l'écoute, même si, récemment, il avait une certaine tendance à faire plus d'efforts. Peut être qu'il avait décidé de changer ou juste d'embrasser sa nature profonde, en espérant sincèrement que ce n'était pas juste une phase qui lui passerait car il était &n train de développer une qualité majeure. En effet, il écoutait vraiment Gabriel, à la limite de l'inquiétude si celui-ci lui contait une histoire triste à mourir. Avec le libraire, on ne pouvait jamais vraiment savoir: les deux hommes s'étaient tout de même rencontrés réellement alors que le petit brun traînait au fond d'un lit d'hôpital après un passage à tabac. Alors, depuis ce jour, Wren faisait particulièrement attention à la santé mentale de Gaby, même s'il avait failli à sa tâche au moment où le libraire avait dû le sauver de son mauvais pas, plutôt que l'inverse. Néanmoins, c'était la base même de leur amitié, être présents l'un pour l'autre, se taquiner ce qui fit rire Doherty parce que son ami n'était clairement pas prêt à le mettre dehors. Il avait besoin d'une présence et il avait l'air heureux comme un gamin de savoir le nordique présent aujourd'hui, s'autorisant même une petite plaisanterie qui continua de faire sourire Wren. Il ne répondit rien cela dit, se contentant de s'asseoir bien confortablement au fond du divan pour écouter le récit lyrique de son nouveau colocataire. Il apprenait clairement des informations essentielles, cruciales même et son regard se mit à pétiller alors que Gabriel semblait se taire un petit moment après cette douce révélation. "Robin, hein? Et tu vas l'inviter à un date ou... C'est déjà un deal fait?" Est-ce qu'il était vraiment en train de demander à Gabriel s'il avait couché dernièrement, on en était peut être là mais avec Wren, il fallait toujours s'attendre à tout, c'était même la base du personnage. "Une téléréalité? Mais bordel, j'ai été absent combien de temps pour louper tout ça? Non, parce que dans ma tête, j'ai loupé grand max deux semaines de civilisation..." Il avait zoné un peu de ci de là après sa rupture avec Lizzie, profiter un peu aussi de cette sensation de légèreté qu'il n'avait pas ressenti depuis des années et il était vite revenu jouer les trouble fêtes chez Carnahan. "En tout cas, conseil d'ami, tu la laisses pas filer là, mon vieux. Quinze ans sans déconner, c'est trop long, on arrête maintenant." Comme s'il était en mesure de donner le moindre conseil en la matière, il abusait jusqu'au bout, le grand Doherty.
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Gabriel n’aimait guère parler de lui en général, pourtant il fit une exception, de bon cœur, pour répondre le plus sincèrement du monde aux interrogations de Wren. Lui parler ne lui demandait, à vrai dire, aucun effort, pas plus qu’il ne devait en faire pour l’écouter. En présence du suédois les choses lui venaient tout à fait naturellement, et le fait de se confier aussi aisément à lui était en vérité une grande marque de confiance qu’offrait le libraire à son ami. Il avait de bonnes raisons de la lui accorder, de cela Gaby en était absolument convaincu. Aussi s’était-il lancé dans le récit de sa rencontre et de ses retrouvailles avec Robin sans la moindre appréhension, si ce n’était celle d’endormir son camarade. Il n’en fut toutefois rien, ce dernier se contentant de se laisser couler un peu plus dans le fond du canapé pour mieux écouter cette histoire, silencieux mais parfaitement attentif jusqu'à la fin, à n’en point douter. « Robin oui. » Comme Robin des Bois. Voilà ce qu’elle avait dit dans un rire léger, ses boucles virevoltant au vent, près de quinze ans plus tôt, alors qu’ils faisaient plus ample connaissance dans la campagne irlandaise. Gabriel s’en souvenait, comme si c’était hier. Des images, si joyeuses et insouciantes, qui lui revenaient en tête, laissant l’esquisse d’un sourire se dessiner sur ses lèvres. Cette insouciance là, que la vie lui avait dérobé, et dont il avait pourtant tant besoin, lui, le Petit Prince égaré dans le monde des Hommes. « Je t’arrête tout de suite, rien n’est fait. » Le ton un peu trop curieux et pas gêné pour un sou, comme les sous-entendus à peine dissimulés du suédois n’avaient pas franchement échappé à Gaby, tant et si bien qu’il ne put réprimer un rire soufflé. « Mais… » Car il y avait un mais. « On a l’intention de se revoir. » Ils avaient eu un millier de choses à se dire, et ils en avaient probablement encore au moins autant après toutes ces années, et tout ce qui était advenu de leur vie durant ce temps. Alors une chose à la fois, et advienne que pourra. Même si Gabriel avait parfaitement conscience de ce qu’il avait éprouvé en recroisant le regard de Robin à la mairie, du trouble qui l’avait saisi, le même qui l’avait saisi chaque fois que la vie les avait posé face à face. Même s’il se souvenait de la manière qu’avait eu son cœur de se serrer en la regardant s’éloigner dans sa robe de mariée, et de la sensation qu’il avait éprouvé lorsqu’il l’avait rattrapé par la main alors que les événements de cette étrange cérémonie avaient échappé à tout contrôle, cette façon qu’il avait eu d’oublier le monde entier, tous les yeux et les caméras braqués sur eux, simplement pour lui dire que tout allait bien. L’espace d’un instant il était alors redevenu ce garçon d’Irlande, avec ses boucles folles, ses yeux rêveurs et son sourire doux, qui ne s’était pas lassé de voir tourbillonner tout autour de lui cette surprenante petite fée volubile. Oui, il se rappelait exactement de tout cela. Mais les choses devaient suivre leur cours, à leur rythme. Gabriel s’était un instant égaré dans ses pensées, ses souvenirs, et ce fut la remarque de Wren qui finit par l’en tirer. « Une téléréalité oui. Bien que le principe m'échappe totalement. » Il eut un rire face à l’étonnement de son jeune ami. « A vrai dire ce n’était que le tournage, tu n’es pas si à la masse que ça. Du moins pas à ce niveau-là. » La malice qui montrait de nouveau le bout de son nez, comme s’ils étaient tout à fait incapables, l’un comme l’autre, de ne pas se taquiner lorsque l’occasion se présentait. « En réalité j’ignore quand est-ce que ce sera diffusé, et je ne suis pas spécialement pressé de le savoir. » Car le libraire s’était retrouvé sous les feux des projecteurs bien malgré lui et qu’il s’en serait volontiers passé. A vrai dire si les enregistrements venaient malencontreusement à se perdre avant le montage, il n’en serait pas contrarié le moins du monde. « Les choses étaient bien différentes à ce moment-là, et puis je vivais avec Moïra, j'étais amoureux et heureux. Et ça faisait dix ans que je ne l’avais pas revu, pas quinze, tu vois tu n’as pas tout écouté. » L’air malin le libraire afficha un sourire espiègle. Evidemment que Wren lui avait accordé patience et attention tout au long de son récit, et bien sûr qu’il avait raison, toutes ces années écoulées, c’était trop long. Mais ainsi allait la vie. Après tout, si leurs chemins ne s’étaient pas recroisés plus tôt c’était peut-être parce que ce n’était pas encore le bon moment. Qui aurait pu le dire ? Pas Gabriel en tous cas, lui qui ne faisait plus tellement de plans sur ce que lui réserverait demain, qui se contentait de concevoir le monde un jour après l’autre. Car, il l’avait appris à ses dépens, la vie était une chose fragile, il suffisait d’une fraction de seconde pour la briser irrémédiablement, et un temps infini pour tenter de s’en relever. Il le savait parfaitement, et ce fut peut-être pour cette raison que son ton se fit plus bas et surtout plus sérieux, plus pensif aussi. « Mais… Je ne l’ai pas laissé filer, et je ne crois pas avoir envie de le faire. Considère donc ton conseil comme acquis. » L’irlandais fit alors un sort à ce qu’il restait de bière au fond de sa bouteille avant de visser ses prunelles bleutées à son camarade. « Et toi alors ? Qu’est-ce que tu as à me raconter ? » Ou tout au moins qu’avait-il envie de lui raconter, car Gaby n’était pas du genre insistant ni envahissant, il se contentait généralement d’écouter ce que chacun voulait bien lui dire, de lire entre les lignes ou dans les silences ce que les mots ne contaient pas. Mais jamais il ne se montrait importun ou indiscret, jamais il ne forçait la main à qui que ce soit, moins encore lorsqu’il s’agissait de quelqu’un qu’il appréciait autant.
Wren était heureux pour son ami, lui qui avait mis sa vie entre parenthèses pendant de nombreuses années parce que le deuil lui avait été difficile. Gabriel avait extrêmement souffert de la disparition de sa femme et même s'il n'avait jamais vécu quelque chose de similaire, le suédois s'était identifié aisément à son nouveau colocataire parce qu'ils avaient un lien indescriptible. Entre eux, tout avait cliqué instantanément, même quand l'un ou l'autre n'était pas dans le meilleur état du monde, ils savaient tous deux qu'ils pouvaient s'appeler à n'importe quel moment et auraient un soutien indéfectible de la part de leur alter ego. C'était en tout cas ainsi que le grand suédois le considérait, bien plus qu'un ami, aussi fièrement qu'un frère parce que Carnahan avait été présent dans les moments qui comptaient, ceux où sa vie aurait pu basculer dans un sens ou dans l'autre. Gabriel l'avait récolté à chaque fois et il avait recomposé le puzzle pour que Wren retrouve de sa superbe, même si rien n'était jamais totalement joué vu sa propension à tout foutre en l'air en moins de temps qu'il ne s'en fallait. Ce jour-là, c'était Wren qui lui rendait la pareille en l'écoutant parler de ses histoires de coeur, de cette Robin qui rendait son visage si éclatant, les affres de l'amour le happaient déjà et il ne devait pas le réaliser totalement, peut être même n'était-il pas prêt pour cela encore. Wren n'en dirait rien, simplement souriant face à cette nouvelle réalité qui allait occuper l'existence de Gabriel dans les mois à venir. "Tout est fait, mon beau, t'es un bourreau des coeurs avec tes boucles et tes yeux bleus, elle est déjà amoureuse, on le sait, va." Avec Doherty, il fallait toujours aller droit au but où il menaçait de s'ennuyer et il n'allait pas déroger à la règle pour conserver les limites du libraire intactes. Le nordique avait ce besoin de retrouver de la joie de vivre dans peur de choses, juste dans un instant autour d'une bière à parler de leur avenir, Gabriel s'extasiant d'ores et déjà de ce qui adviendrait dans les mois à venir lorsqu'il reverrait cette Robin qui lui plaisait tant. "Un détail ça, Gab', j'ai sévèrement écouté et je vois que ce que je dis n'est pas tombé dans l'oreille d'un sourd alors, on est tous gagnants là." Il tapota délicatement l'épaule de son ami, clairement fier du chemin qu'il était en train de parcourir de son côté pour se remettre sur ses pieds. Cela dit, le petit brun interrogeait à son tour Wren pour connaître plus en détail ce qui se passait pour lui. "En version accélérée alors parce que c'est pas ultra intéressant en comparaison de on futur coupe avec Robinette... Je me suis remis avec Lizzie et on a rompu très vite ensuite. J'ai décroché un job dans un bar aussi et j'ai revu une belle brunette là bas, meilleures parties de jambes en l'air de mon existence, et Maze est revenue dans la région... Ouais, je crois que j'ai fait le tour." Mine de rien, c'était beaucoup pour un type comme lui qui se targuait d'avoir une vie extrêmement simple et sans accroc parce qu'il était censé ne rien ressentir et de manière générale, ne rien avoir dans le coeur.
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Wreniel
Qui aurait cru que ces deux là se retrouveraient ainsi, installés sur le canapé de Gabriel, qui était désormais le leur, au beau milieu des cartons, une bière à la main et le sourire aux lèvres. Personne sûrement, quand peu de gens auraient sans doute parié sur ce binôme un peu improbable en apparence. Pourtant, ils étaient bien là, à se confier l’un à l’autre, comme ils le faisaient chaque fois qu’ils se retrouvaient ensemble, sans personne autour pour perturber cette bulle d’amitié qu’ils se composaient encore et toujours. Ensemble ils avaient affronté quelques unes de leurs chutes les plus terribles, se relevant mutuellement lorsqu’ils trébuchaient sous les cahots de la vie. Cette fois point de drame, ni hôpital, ni aiguilles, et c’était assurément pour le mieux. Il n’y avait qu’une atmosphère chaleureuse, des plaisanteries idiotes et des bouteilles de bière qui se vidaient à mesure. Et au milieu des conversations plus sérieuses, sans jamais être pesantes. Ils semblaient s’être trouvé un équilibre, le leur, tout à fait inédit et unique, mais aussi indéfectible que ce qui s’était noué entre eux. Gabriel laissa un sourire amusé éclairer son visage aux propos de son ami. Lui, un bourreau des cœurs, il avait du mal à le croire. En réalité il n’avait jamais eu réellement conscience qu’il pouvait plaire. La plupart du temps ses ais charmeurs n’avaient pas grand-chose d’intentionnels et il n’était définitivement pas un séducteur dans l’âme. Bien sûr, les années passant il s’était fait moins candide, toutefois il n’en demeurait pas moins dubitatif quand à ce que quiconque pouvait bien trouver à quelqu’un comme lui. Par ailleurs il n’était pas rare qu’il ne s’aperçoive pas immédiatement lorsqu’il plaisait à quelqu’un, et, à vrai dire, cela lui avait déjà joué quelques tours dont il se souvenait encore. Cela avait toujours profondément amusé Moïra, de le voir tout empêtré dans des situations dont il n’avait rien soupçonné. Désormais, l’irlandais ne doutait pas que ce serait Wren qui se moquerait gentiment de lui à ce sujet, si l’occasion venait à se présenter. « On verra. » Gaby ne prenait plus rien pour foncièrement acquis, inconsciemment certainement, depuis l’accident. Depuis qu’il avait appris si douloureusement qu’il suffisait d’une seule seconde pour que tout, absolument tout, s’effondre, que tous les projets, les espoirs, et la notion même de futur, s’effacent en un battement de cils. A présent il faisait avec ce que la vie lui donnait, un jour à la fois. Elle avait déjà remis Robin sur son chemin, il n’osait se risquer à imaginer plus. Pas encore. Gabriel avait besoin d’un peu de temps pour y croire, et apprivoiser ce que cette extravagante petite fée insufflait dans tout son être. Son cœur s’était transformé en un vaste champ de ruine à la mort de la femme qu’il aimait tant, et il y avait encore du chemin à faire, avant qu’il ne puisse songer à en reconstruire les fondations selon de tous nouveaux plans. Cependant il se souvenait aussi de la sensation qui l’avait saisi à la seconde où il avait reconnu Robin à la mairie, de celle qui l’avait traversé lorsqu’il l’avait retenu, sa main nichée dans la sienne. Il se surprenait à y repenser en faisant distraitement tourner sa bouteille vide entre ses doigts fins, l’esquisse d’un sourire aux lèvres. Un sourire qui avait la saveur de l’espoir. « Comme quoi, moi aussi je t’écoute tu vois. » Il était indéniable qu’ils avaient des choses à s’apporter, l’un comme l’autre, sans même le soupçonner. C’était le cas depuis le premier jour, depuis qu’ils avaient établi les bases de ce lien si particulier et fort qui s’était noué entre eux en un rien de temps. Ils s’écoutaient, réellement, et ce qu’ils parlent ou se taisent. Car leurs silences en disaient autant, sinon plus, que leurs mots, et ils savaient tous deux lire entre les lignes de l’autre. C’était pour cette raison, qu’ils se comprenaient si aisément, malgré toutes leurs différences. Pour des regards extérieurs ces dernières devaient assurément sauter bien plus aux yeux que leurs points communs. Pourtant, ces derniers ne manquaient pas. Mais ils étaient comme autant de secrets qui n’appartenaient qu’à eux, qu’à cette amitié qui avait tout de fraternel. C’était cela qui les liait, ce tout, ce savant mélange de ce qu’ils avaient de commun et de différent, autant que le soutien indéfectible qu’ils représentaient l’un pour l’autre. Et si une certaine lueur de fierté brillait dans les prunelles pâles de son camarade, elle trouvait le même écho chez Gabriel. Car fier il l’était, de voir Wren remonter la pente vaille que vaille, après les épreuves qu’il avait traversé. Celles qu’ils avaient affrontées ensemble. Le voir se relever, sourire et plaisanter autour d’une simple bière était certainement la meilleure des récompenses pour l’irlandais. Il n’en demandait pas plus, que de voir la santé et la vie reprendre toute leur place dans sa haute silhouette. Et il en était heureux à son tour. Gabriel ne put retenir un léger roulement d’yeux amusé lorsque le suédois évoqua d’ores et déjà son futur avec Robin, qu’il avait visiblement tout tracé dans sa caboche, avant d’écouter son récit avec une attention qu’il ne feignait pas. Jamais, moins encore quand il s’agissait du nordique. Après ce qu’ils avaient traversé côte à côte, il ne pouvait que faire preuve de plus de sincérité à son égard. C’était ce qu’il faisait à cet instant. « Désolé de l’apprendre, pour Lizzie et toi. » Gabriel avait beau ne pas connaître tout le déroulé de leur histoire commune, il avait plus ou moins deviné comme ces derniers mois avaient été compliqué pour eux. Il fallait dire que les deux jeunes gens faisaient partie de son entourage, et, comme à son habitude, le libraire avait été aussi attentif aux mots de chacun qu’à leurs silences, ceux qui en disaient beaucoup. Quelques informations lâchées ici ou là, qui lui avaient permises de reconstituer le tableau, dans ses plus grandes lignes. Il était néanmoins resté discret, n’en avait jamais parlé sans y être invité. Les histoires de cœur n’appartenaient qu’à ceux qui les vivaient. Pour le reste, il estimait, de son coté, que son rôle n’était pas de juger des tenants ou aboutissants, ni de s’immiscer, mais simplement d’être là pour ses amis, dans les bons comme les mauvais moments. Gaby ignorait comment les deux trentenaires avaient vécu cette nouvelle relation éphémère, comment chacun avaient vécu la rupture qui s’en était suivie. Il se contenta de songer à prendre des nouvelles de Lizzie, et d’assurer à Wren son soutien sans failles dans toute son honnêteté. S’il voulait en parler, il était libre de le faire, s’il ne le souhaitait pas, l’irlandais n’en dirait pas plus. « Tu aurais dû me le dire pour ton nouveau boulot, j’aurai sorti autre chose que de la bière pour fêter ça. Félicitations donc. » Il sourit, sincèrement ravi de savoir que Wren était parvenu à décrocher un emploi, si éloigné fut-il de celui qu’il avait occupé ces dernières années. Il fallait bien commencer quelque part. « Et c’est moi le bourreau des cœurs ? » Gabriel se moqua gentiment, jetant un coup d’œil amusé au trentenaire non sans retenir un rire soufflé. En voilà une, de leurs différences, entre un irlandais plutôt effacé et un suédois séducteur, ils formaient un duo pour le moins atypique. « Maze, je me souviens que tu m’en avais parlé oui. » Son ton se fit songeur comme le libraire essayait de se remémorer l’ensemble de l’histoire, tout au moins ce qu’il en avait saisi au détour d’une conversation. « Ca fait pas quand même mal de choses en peu de temps. » Ca en faisait même un paquet, l’air de rien. « Et toi, ça va ? » La question semblait terriblement banale, et d’aucun aurait été étonné de l’entendre posée aussi tardivement dans la conversation quand c’était généralement par là qu’elle commençait. Mais pour Gaby il ne s’agissait pas là d’une quelconque politesse, il posait véritablement la question à Wren, car les dernières semaines avaient été riches de changements, et visiblement d’événements qui n’avaient finalement rien d’anodin, entre un nouveau job, une rupture, des retrouvailles, un nouveau lieu de vie, de nouvelles habitudes. Sans parler de ce que son ami avait vécu dernièrement. Alors oui, si Gabriel l’interrogeait sur son état, c’était bien parce qu’il s’en inquiétait, que cela n’avait rien de banal à ses yeux, c’était, au contraire, d’une importance capitale à ses yeux. De savoir que Wren allait bien, vraiment.
Wren n'avait jamais réussi à tisser une relation de la sorte, jamais rien d'aussi fort, avec personne. Pendant très longtemps, il avait réellement cru qu'il en était incapable, toujours trop distant, toujours à rechercher sa tendre amie la solitude plutôt que d'aller s'épancher aux oreilles d'une personne de confiance. Gabriel s'était imposé de lui-même, sans que Doherty n'ait le temps de réagir, lui cet ami idéal qui ne cherchait pas à le juger constamment et pourtant, il y aurait eu milles choses à en dire du grand suédois. Rien de bien, par contre. Wren ne faisait qu'enchaîner les erreurs, les ruptures toujours douloureuses et les remords d'un homme incroyablement dangereux pour autrui. Avec le temps, le suédois avait appris à ne pas se faire confiance mais il avait toutefois bien du mal à fuir les individus qu'il implorait de s'éloigner de sa grande stature. Au moins, il avait conscience de ses imperfections, de ce maudit patrimoine génétique qu'il passait on temps à haïr, sans jamais pouvoir s'en défaire. Aucun individu ne pouvait réellement comprendre les pensées terribles qui l'étrennaient mais aux côtés de Gabriel, Wren avait la sensation de ne pas porter ce fardeau seul. Il avait su l'écouter dans les pires moments, le relever une fois qu'il avait chuté plus sèchement qu'il ne l'aurait cru et maintenant, il était encore là au moment du renouveau. Cette fois, c'était au Doherty d'être à la hauteur de la tâche, devenir cette fameuse oreille qui pourrait le guider vers une résurrection car son ami méritait réellement d'avoir le droit au bonheur, le vrai. Il avait tant souffert de la disparition de sa femme, de cette solitude qu'il s'était infligé parce qu'il culpabilisait d'avoir été à l'origine de cette douloureuse perte. Au moins, le nordique pouvait le comprendre sur le sujet, même s'il n'avait jamais subi une épreuve comme celle qu'avait dû surmonter Gaby. Il pouvait le soutenir, lui dire qu'il trouverait son chemin et que celui-ci pourrait se mêler aisément à celui de Robin. Il y croyait dur comme fer, le fichu suédois, souriant avec cet air assuré et taquin qu'il arborait bien souvent en compagnie de ce petit brun renfermé que pouvait être Gabriel. "On continue de s'écouter dans ce cas." C'était un deal mais ils n'avaient même pas besoin de se serrer la main pour signer le contrat officiellement, les deux hommes n'avaient clairement pas besoin de cela maintenant. Leur amitié allait bien au delà de ce genre de considérations depuis le temps et les événements, oui, surtout les événements. "C'est rien, t'en fais pas. Je me suis juste rendu compte que j'aimais un fantôme, je sais pas si ça fait sens." Il ne comprenait pas lui-même ce qui lui était passé par la tête mais Wren avait passé tant de temps à se mettre dans un état pitoyable pour Lizzie, elle qui l'avait rejeté maintes fois et maintenant, c'était lui qui s'y mettait, perdu qu'il pouvait être dans le paradigme de son passé. Il ne s'y laisserait plus sombrer, plus sûr de lui maintenant qu'il saisissait ce qu'il était et ce qu'il voulait, aussi. "Je suis pas passé à MPR avec mes histoires, moi, mon coco, donc oui, c'est toi." Wren s'amusait de son Gabriel, bien trop heureux de pouvoir parler avec autant de nonchalance maintenant qu'il ne risquait plu de le faire souffrir avec ses aiguilles et ses fuites à répétition, mauvais ami qu'il avait été pendant bien trop longtemps. Il comptait bien se rattraper maintenant. "Au poil, oui. J'arrive à tout gérer donc je suppose que c'est une réussite. J'apprivoise la vie, en fait, et je prends mon temps pour tout le reste. Il fallait ça au moins pour que j'arrête de couler comme un idiot. Puis, eh, faut dire que j'ai pu compter sur le meilleur ami du monde, ça aide." Il lui tapota l'épaule avec un sourire, heureux qu'il était de le retrouver. Mieux encore, de vivre avec lui et de ne plus jamais être seul avec Gabriel non loin de lui.
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Elles étaient loin, ces semaines qu’ils avaient passé ensemble à lutter contre les addictions de Wren, loin ce sevrage sévère et brutal, mais nécessaire. Au jeu des aiguilles, le suédois avait bien failli y laisser sa peau. Et cela, Gabriel n’aurait pu le tolérer. Il ne l’avait d’ailleurs pas fait, ce soir où il l’avait ramassé comme une âme en peine à même le pavé de la rue, ces jours où il avait veillé sur lui durant d’interminables heures à le regarder se tordre de douleur, cette fois où il s’était fait un sang d’encre après la fugue du nordique, où il l’avait cherché en vain avant de le voir reparaître en piteux état, tout son être défait et les yeux délavés de toute lueur de vie. Tous ces souvenirs semblaient ceux d’une autre vie quand Gabriel posait ses prunelles bleutées sur Wren à présent. Le voir sourire, jouer de sa malice, l’entendre le taquiner, le sentir apaisé, tout cela lui réchauffait incroyablement le cœur. C’était une bataille qu’il était heureux d’avoir mené, lorsqu’il voyait désormais à quel point cela en avait valu la peine. Et quoi qu’il puisse arriver à l’avenir, il jurait d’être toujours là, présent, pour cet ami qui lui était si cher. « On continue. » C’était un accord tacite entre eux, qui remontait d‘ores et déjà à leurs premières discussions. Se parler, s’écouter, se confier, ne pas se juger. Aucune signature, aucune poignée de main, n’était nécessaire pour que ces deux là s’y tiennent. Ils le faisaient naturellement, sans rien avoir à forcer. Et Wren comme Gabriel savait parfaitement lire dans les mots et les silences de l’autre. Chacun connaissait les maux de l’autre, ses démons et ses blessures, ensemble ils avaient traversé des épreuves éprouvantes, pourtant rien de tout cela n’avait entamé le lien qui s’était tissé entre eux, rien n’avait entaché cette amitié, désormais forte, qui les avait mené à cet instant d’échange enjoué et profond à la fois. « Je crois que ça fait sens oui. On court parfois après des illusions, des idéaux qui n’en sont pas. » Gaby entendait ce que son ami voulait dire. Cette façon de s’accrocher à des souvenirs, des bribes du passé, sans s’apercevoir qu’en réalité les choses sont différentes, que le contexte et les gens ont changé, que le passé demeure passé, et qu’il ne sera jamais conjugable au présent. Du moins était-ce ce qu’il en saisissait, l’irlandais. Lui qui avait si longtemps vécu dans le passé après l’accident, qui s’était noyé dans les souvenirs sans parvenir à rattraper le présent. Il avait finalement appris à se dépends que la vie ne souffre nulle mise sur pause ou retour en arrière, que seul l’instant en cours compte, et qu’il faut avancer, à son rythme, certes, mais avancer, un pas après l’autre. C’était désormais ce qu’il s’employait à faire, refermant lentement un chapitre à jamais clos, une partie de sa vie qu’il ne pourrait jamais réécrire, pour se pencher sur ceux à venir, songer à la suite de l’histoire. La sienne. Alors il ne pouvait que souhaiter que le suédois ne se perde plus dans les fantômes d’un passé révolu, qu’il parvienne à trouver son propre chemin dans ce monde. Et le libraire était prêt à l’y aider, coûte que coûte. Comme une promesse qu’il s’était fait, d’être toujours là pour lui. « Ce n’était pas dans mes intentions figure-toi, je venais simplement assister au mariage d’un ami. Les choses m’ont un peu… échappé. Je n’avais pas prévu de me retrouver nez à nez avec les caméras. » Il n'avait rien prévu du tout, en effet, et moins encore de se retrouver ainsi exposé sous les projecteurs, lui qui était toujours d'un naturel si discret. Gabriel laissa un rire soufflé lui échapper, clairement amusé de voir Wren le taquiner de la sorte. Evidemment qu’il ne lui en tiendrait pas rigueur, bien au contraire même, comme c’était là l’un des traits de caractère qu’il appréciait tant chez son jeune camarade. Et puis, il n’avait pas dit son dernier mot après tout. « Mais dis-moi, Lizzie, la belle brunette, Maze… » Voilà qu’il énumérait les jeunes femmes, dans le même ordre que Wren les avait cité une à une, comme une façon de rappeler que ce qu’il disait ne tombait décidément pas dans l’oreille d’un sourd, et que sa mémoire fonctionnait toujours parfaitement bien. « Je continue à croire que tu colles bien mieux à la définition de bourreau des cœurs que moi. » Le libraire adressa un sourire espiègle à son ami. Définitivement, s’il y avait un bourreau des cœurs ici c’était bien l’ancien pompier. Avec sa grande carrure, ses yeux verts aussi perçants qu’insondables, et les airs charmeurs dont il savait jouer à merveille, Gaby ne doutait pas le moins du monde qu’il puisse faire des ravages dans les cœurs. « C’en est une. » Une réussite, oui c’en était une. « Apprivoiser la vie, prendre son temps, ça me semble être un excellent plan. » Ca l’était, pour le libraire en tous cas. A vrai dire c’était même celui qu’il employait pour lui-même depuis qu’il avait décidé de se reprendre en main et d’aller de l’avant au lieu de sombrer toujours plus profondément jusqu’à se faire du mal. « Tu m’en vois heureux en tous cas, et ravi de te voir t’installer ici. Comme ça je vais pouvoir te garder à l’œil. » Gabriel laissa un rire léger glisser dans l’air. En réalité il se contenterait simplement d’être là chaque fois que Wren en éprouverait le besoin, comme il l’avait fait jusque là. Il ne comptait pas non plus le surveiller jour et nuit, ce n’était ni constructif, ni son intention. En revanche, heureux il l’était réellement, plus encore à cet instant, alors qu’il observait son appartement rempli de cartons et qu’il pressentait que son tranquille quotidien allait être passablement chamboulé par ce terrible suédois. Il ne voyait là nul drame, tout au contraire même, un peu de remue-ménage lui ferait certainement le plus grand bien. « Le meilleur ami du monde ? Il faudra que tu me le présentes. » Un sourire malin étira alors le coin de ses lèvres, alors qu’il jouait au faux idiot, comme une manière de ne pas relever, lui qui ne se considérait pas meilleur qu'un autre. Ce faisant il s'obstiner à faire tourner sa bouteille vide entre ses mains. Et justement, puisqu’elle était désespérément vide. « Deuxième bière ou rangement ? Je te laisse choisir la sentence. » Le libraire se leva pour se diriger vers la cuisine dans l’attente d’une réponse, enjambant quelques boîtes au passage. « Et ce soir c’est moi qui cuisine, non négociable. » Après tout, Wren aurait déjà assez à faire en matière de rangement, alors il serait encore un peu son invité, avant d’être parfaitement et totalement installé. Soudain un bruit de chute se fit entendre au beau milieu de la pièce de vie, un des cartons avait ballé de coté, un éclair roux en sortant en trombe. Aodh et sa passion des boîtes en tous genres, il avait encore fait des merveilles en renversant le contenu de ladite boîte sur le sol. « Aïe désolé, j’espère qu’il n’y avait rien de fragile ? » Ni une ni deux Gaby s’approcha pour constater les dégâts, non sans se frotter la nuque en espérant que, si dégâts il y avait, ils ne seraient pas irréparables. Ah les chats…
Avoir un ami n'était clairement pas une évidence pour Wren, il n'avait jamais franchement réussi à en conserver plus de quelques semaines. Il arrivait toujours un moment où les différences promettaient un éloignement logique, si ce n'était de intérêts communs qui finissaient par créer des scissions inévitables. Être dans le milieu de la drogue n'avait certainement pas aidé le jeune Doherty à se construire des relations amicales saines et basées sur la confiance: dans cette atmosphère, il n'y avait jamais la place pour bâtir de tels liens. Tout ce qui comptait, c'était la prochaine dose et la manière la plus facile de se la procurer. Si, pour cela, il fallait marcher sur un de ses pairs, il n'y avait pas de regrets ou de réflexions amorcées, c'était une évidence et Wren, comme d'autres avant lui en avait forcément joué. L'instinct de survie était le seul qui rentrait en ligne de compte dans ce genre d'instants et avec du recul, le suédois ne pouvait qu'avoir honte de telles pratiques. Cela dit, il ne pouvait pas tellement revenir en arrière, refaire le cheminement et commencer son long parcours d'excuses odieuses envers toutes les personnes blessées dans le processus mais il pouvait au moins regarder vers l'avant, faire attention aux individus qui faisaient partie de sa vie dans ce présent réinventé. Gabriel était en tête de liste pour sûr parce qu'il avait été présent dans ses pires moments et il ne l'avait pas laissé tombé, même si Doherty ne comprenait pas comment il avait pu tenir le coup et conserver cette envie de le remettre sur pied. Pour sûr, Wren n'aurait pas eu les mêmes scrupules si la situation avait été inversée mais on ne pouvait pas dire que le nordique était très patient. Sa nature était beaucoup plus tempétueuse que celle de Carnahan et c'était certainement ce qui lui avait sauvé la vie le soir où le brun l'avait trouvé étendu au milieu d'une ruelle après la dose de trop. Il lui était si redevable et il savait qu'en promettant de toujours écouter Gaby, il ferait toujours absolument tout ce qui était en son pouvoir pour lui faire honneur. Être un ami qui méritait un tel homme au sein de son existence. Bien sûr, la route était encore longue pour que le résultat fut concluant mais Wren désirait commencer l'apprentissage dès maintenant en profitant de l'extrême sagesse de son tout nouveau colocataire. "Je surveilla la date de diffusion, je veux tout savoir. Et non, je suis un bourreau des corps à la rigueur mais pour ce qui est des coeurs, ça marche jamais très longtemps. J'ai pas été marié à la femme de ma vie comme toi et je sais pas si je suis le genre de gars qui vivra quelque chose dans ce genre un jour." Il se complaisait dans son apparente solitude, choisissant toujours la cigarette avant une quelconque relation amoureuse car il se refusait à aimer réellement. Il fallait toujours qu'il se mette des bâtons dans les roues en cachant l'homme qu'il était, en faisant taire son coeur quand celui-ci avait quelque chose à lui dire mais qu'importe la fuite choisie, il finissait toujours seul avec cette fameuse clope au bec. "Me garder à l'oeil? Je vois vraiment pas pourquoi t'en aurais besoin." Il lui fit un clin d'oeil amusé: il était évident que Gabriel trouverait ce genre de parades après tout ce que le suédois lui avait fait subir durant sa cure de désintoxication forcée. Jamais le bouclé ne le laisserait sombrer s'il conserve une vue sur lui, histoire de l'empêcher de retourner dans ses vieux travers. "T'es trop modeste, tu le sais ça." Il était vraiment le meilleur ami qu'il ait jamais eu et ce n'était pas une dénomination que Wren prenait à la légère, plutôt l'inverse en vue de la rareté du lien tissé avec Carnahan. "Bière, sans hésiter. Déjà à faire le tyran qui m'empêche d'utiliser la cuisine? Tu prends la confiance, dis moi." Au fond, il était heureux de voir que Gabriel était à l'aise à ce point là en sa compagnie. Néanmoins, ils furent interrompus par les bêtises des animaux, Wren ne réagissant même pas d'un poil tant il n'était pas matérialiste. "Rien d'intéressant, t'inquiète. Je porte pas tellement d'intérêt à mes affaires. Si ça tenait qu'à moi, j'aurais rien pris d'autre que Croustibat mais il paraît que les humains sont des êtres profondément matérialistes alors j'ai pris la vaisselle et les fringues aussi." Au pire, il y aurait une assiette en moins, pas de quoi en faire un foin et hurler sur un pauvre chat sans défense. "Je m'excuse par avance d'ailleurs si Crousti squatte ton lit, il a hérité du côté chieur de son patron, parait-il." Il en était sacrément fier, voyant son chat finalement le rejoindre sur le divan à l'appel de son prénom. Il venait de la rue comme lui et maintenant, voilà où ils en étaient, à l'aube de leur nouvelle vie.
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Wreniel
Elle était spéciale, cette amitié entre eux. Gabriel en était conscient, à quel point Wren prenait une place particulière au sein de son existence. Ce n’était, après tout, pas sans raison qu’ils s’étaient rapprochés si vite, si aisément, malgré leurs différences. Quelque chose se faisait écho chez eux, quelque chose d’assez fort pour qu’ils puissent créer ce lien unique qui les avait mené à cet instant précis, dans le salon de l’appartement de Gaby. De leur appartement désormais. Une perspective qui réjouissait grandement le libraire, que celle de voir son ami s’installait et prendre ses aises dans ce lieu. Il lui semblait déjà que la vie réinvestissait plus assurément les lieux, que cela couperait un tant soit peu l’isolement dans lequel il finissait toujours pas se retrouver, consciemment ou non. C’était une bonne chose, Gabriel en était persuadé. Un nouveau départ, car si le cadre ne changeait pas l’atmosphère elle oui, et il faudrait prendre de nouvelles habitudes de colocataires, sans doute différentes de celles d’un discret libraire, veuf, aux portes de la quarantaine. Sans doute avait-il trop oublié de vivre depuis quelques années désormais, se contentant de survivre, ou d’exister, sans plus. « Je suis à peu près certain que tu hantes encore les rêves de certaines de tes conquêtes, et je maintiens que tu fais un meilleur bourreau des cœurs, ou des corps si tu y tiens, que moi. Tu ne me feras pas changer d’avis sur la question. » Il n’en démordrait pas le libraire. « Je ne suis pas sûr d'avoir été un jour très doué en la matière. » L’irlandais avait toujours été plus doué pour écouter les histoires des uns, les confidences des autres, prodiguer ici ou là un conseil ou une bonne dose d’encouragements, que pour séduire. Sans compter que le reste du temps il était trop rêveur, trop lunaire, toujours trop ailleurs, perdu dans ses pensées, dans ses livres ou ses dessins, pour tout ça. Gabriel ne savait pas si c’était une bonne chose ou non, c’était seulement un fait, ni plus ni moins, une partie de lui. « Et je ne suis plus celui que j’étais. » La perte de Moïra n’avait fait qu’accentuer les choses, Gaby s’était peu à peu effacé, jusqu’à presque disparaître, un peu coupé du reste du monde. Bien sûr, il restait cette épaule idéale sur laquelle se reposer en cas de besoin, celui sur qui comptait, mais la solitude finissait toujours par revenir à la charge, plus pesante que jamais. Le libraire avait laissé la vie de coté durant si longtemps, à présent il ne savait plus par où commencer pour rattraper le train en marche. Peut-être était-ce finalement impossible ? Ses espoirs étaient minces, pourtant il essayait, de toutes ses forces, de continuer à avancer. Un pas après l’autre, une étape à la fois. Il pouvait le faire. Après tout, ne s’était-il pas enfin défait de l’alliance qu’il portait encore, cinq ans après le drame qui lui avait enlevé sa femme ? Ce n’était peut-être rien, toutefois, pour lui, ce simple geste représentait beaucoup. Énormément même. Une nécessité pour continuer. L’irlandais faisait son deuil, essayant de se tourner peu à peu vers d’autres lendemains. Mais ceux-ci lui paraissaient parfois si lointains, presque inaccessibles, qu’il osait à peine les imaginer. La vérité était qu’il était fatigué, épuisé de tenter chaque jour de colmater une nouvelle brisure en lui, de tenter d’oublier le sentiment de vide qui persistait dans son âme. Il lui semblait n’être qu’une enveloppe évanescente, luttant contre vents et marées, espérant que la prochaine bourrasque que le destin soufflerait sur sa vie ne l’emporterait pas sans espoir de retour. Gabriel n’était plus le jeune homme qu’il était, ce garçon parfois si insouciant, rêveur, capable d’inventer des mondes entiers, voyant le beau partout, dans chaque battement de vie. La mélancolie s’était installée dans son cœur, drapant le monde d’un voile moins chatoyant. Une partie de lui s’était envolée après tous les coups qu’il avait reçus, et peut-être ne la retrouverait-il jamais. « Tu sais, je ne pensais pas que ça m’arriverait un jour non plus. Et je ne pensais pas que ça s’arrêterait de cette manière. » Gaby doutait que son sort fut enviable en l’occurrence. Certes, il avait été amoureux, heureux et marié, mais désormais, que lui restait-il de cette ancienne vie ? Des souvenirs, une nostalgie douce-amère, et du chagrin. Comment aurait-il pu être un bourreau des cœurs, quand le sien, de cœur justement, état si abîmé, si écorché ? « Je ne pense pas qu’il s’agisse d’être un certain genre de personne. Je ne croyais pas l’être, si tu veux tout savoir. On ne peut jamais savoir à l’avance ce que l’avenir nous réserve. » Il en savait quelque chose, Gabriel. « On croit que la solitude nous convient, et puis un beau matin on se rend compte que ce n’est pas le cas. D’autre fois on pense que ça n’arrive qu’aux autres, les histoires, les rencontres, l’amour aussi, les coups de foudre pourquoi pas, le mariage,… Toutes ces choses qu’on ne pense pas faites pour nous. Et puis un jour ça arrive, et l’on n’y peut rien. » La preuve, l’irlandais n’avait jamais songé que cela lui arriverait, lui que certains disaient trop doux, trop rêveur, trop introverti, trop bizarre, et tant d’autres choses encore, toujours à base de trop. Le mariage ne lui avait même jamais effleuré l’esprit. A l’époque, il se serait presque plus aisément imaginé un enfant dans les bras plutôt que la bague au doigt. Au final, point d’enfant mais bien une bague. La vie avait ses tours et ses mystères, que rien ni personne ne pouvait prévoir, pas même les principaux concernés, ainsi allaient les choses. Cependant, l’existence avait parfois également la bonté de faire se croiser des destins pour mieux les réunir et les lier l’un à l’autre. C’était assurément le cas pour les deux hommes, entre lesquels était né un lien fort, immuable désormais, la promesse d’être là l’un pour l’autre dans le pire, comme le meilleur. Il était à espérer qu’à l’avenir ce serait néanmoins cette dernière option qui prévaudrait sur la première. « Tu as raison, peut-être qu’au final c’est toi qui devras me garder à l’œil. » Son sourire vint alors faire écho au clin d’œil de son camarade. Il n’était pas à douter que, malgré leurs présentes plaisanteries, ils s’emploieraient malgré tout à veiller l’un sur l’autre, l’air de rien. Il était probablement tout à fait aussi inconcevable pour Gaby de revoir son ami dépérir qu’exclu pour le suédois de laisser son camarade se perdre en cours de route. Ils avaient besoin l’un de l’autre, seraient là, l’un pour l’autre, chacun à manière sans doute, mais tout aussi certainement avec autant de sincérité. « Je vais donc rajouter ça à la liste des choses que je suis trop. » Son ton amusé s’élevait tranquillement dans l’appartement tandis qu’il ouvrait le frigo en quête de la deuxième tournée de bière. « Va pour une bière alors. Je te rappelle que je suis le plus vieux de nous deux et celui qui vit ici depuis le plus longtemps. Sans compter que tu viens seulement d’emménager. Alors, je crois que j’ai de quoi avoir la confiance, non ? » En réalité, le fait que ce fut Wren en face de lui, jouait beaucoup dans l’aisance avec laquelle les choses se faisaient. Parce qu’un lien particulier, unique, inébranlable, s’était noué entre eux, et que Gabriel y était forcément sensible, lui qui pouvait s’attacher si singulièrement à certaines âmes en ce monde. Wren en faisait partie, c’était une évidence pour l’irlandais, et il avait pour ce grand suédois une affection assurément sans bornes. Il n’aurait su dire pourquoi, définir précisément ce sentiment. Gaby n’était définitivement pas de ceux qui cherchaient des explications à tout, qui voulaient absolument mettre des mots sur tout, il préférait se fier à son instinct et à ce qu’il ressentait plutôt que de coller des étiquettes sur la moindre chose. Il n’avait pas besoin de cela pour savoir que le nordique comptait pour lui, énormément. C’était tout ce qui importait finalement. « Si ton matérialisme se cantonne à tes vêtements et la vaisselle, je te rassure, tu es en bonne voie vers le dénuement le plus total. » Gaby posa alors les bières sur la petite table du salon, libérant ainsi ses mains afin de ranger un tant soit peu le bazar créé par son chat, parti se planquer quelque part, sûrement dans l’espoir de se faire oublier un instant après ses bêtises. « Paraît-il ? Aurais-tu eu de mauvais retour quand à l’éducation que tu as donné à ton chat ? » L’irlandais eut un rire. Un véritable rire amusé. « Enfin, j’ai bien supporté le maître, je devrais pouvoir supporter le chat. Et puis il prend toujours moins de place que son patron, on devrait pouvoir partager le lit sans trop de soucis. » Après tout, Gabriel n’était clairement pas à un chat squatteur près, étant donné qu’Aodh était le roi à ce jeu-là. En fin de compte, les deux matous devraient bien s’entendre, entre squatteurs sauvés de la rue et d’un destin malheureux. Peut-être aussi bien que leurs humains respectifs, allez savoir.
Wren ne se considérait pas comme un homme appréciable, à bien des égards. Il avait forcément conscience de bon nombres de comportements déviants, de ceux qui pouvaient effrayer les autres personnes supposées évoluer autour de lui. Le suédois était obligé de repenser à cette cure de désintoxication forcée après la dernière dose d'héroïne qui avait bien failli le mettre à terre. Il se revoyait encore, le grand nordique, au bord de l'eau, à s'avancer vaillamment vers le néant, comme si mourir pouvait apaiser ce fléau intérieur qu'il s'infligeait depuis moult années. Wren n'était tout simplement plus convaincu de sa force, pas après sa dernière rupture en date, pas plus finalement que celle d'avant où on l'avait replacé en tyran parce qu'il mentait. Enfin, en vérité, il omettait plus qu'autre chose parce que personne n'avait besoin de savoir d'où il venait: qu'est-ce que les gens avaient à y gagner? De toute façon, Doherty n'aimait pas reparler de tout cela, revivre l'incendie par un récit trop pompeux, après tant de temps, à quoi bon? Il fallait franchement l'interroger sur le sujet pour que Wren se confie sur ce qu'il avait traversé, laissant des blessures béantes sur un coeur déjà à l'agonie. Tout ce qu'il avait vécu au cours de cette année n'arrangeait en rien sa situation parce qu'il avait fait du mal autour de lui, à Maze d'abord puis à Lizzie, et l'affaire n'était sûrement pas terminée, il y aurait d'autres victimes, en espérant sincèrement que cela ne devienne pas Gabriel. Doherty l'estimait beaucoup trop pour en faire un de ses dommages collatéraux inévitables, tout le monde peut être mais pas lui, le meilleur ami qu'il ait jamais eu, en tout cas c'était le seul. Wren n'était pas un être profondément sociable de base et il n'aimait pas vraiment entamer des conversations et faire semblant de s'y intéresser durant des heures, il laissait ce rôle à d'autres sans le moindre problème. En ce sens, au moins, il n'était pas un menteur, les autres savaient quand le suédois ne pouvait pas les voir en peinture et quand il n'avait pas envie d'être là. C'était moins évident lorsqu'il fallait prouver l'inverse, sourire pour prouver qu'on était bien en compagnie d'autrui... Et c'était pourtant si facile en compagnie de Carnahan, comme quoi il fallait toujours une exception dans une histoire si tragique. "Tu me transformes en objet pornographique dans les rêves des nanas là, Gaby, attention. Eh, tu sais, je peux t'apprendre deux ou trois tours si t'as besoin, je suis toujours là pour filer un coup de main à un vieux pote." En réalité, le petit brun était bien plus que cela mais c'était déjà énorme d'entendre ce genre de mots de la bouche du Doherty. On ne pouvait pas dire qu'il était un bonhomme qui aimait s'épancher et narrer à son entourage à quel point il pouvait l'apprécier, il était même plus probable d'obtenir une insulte de sa part qu'un mot d'amour. Le nordique avait clairement des priorités et elles n'étaient pas communes. "Mouais. Vraiment, j'y crois pas trop. Les Doherty devraient éviter de se rapprocher trop de qui que ce soit, l'histoire a prouvé que ça se finissait jamais bien alors on va éviter de se marier, hein." Il aurait aimé avoir un discours plus réaliste, comme celui que venait de tenir Gabriel mais Wren n'avait rien vécu de tout cela. Il n'avait pas senti le coup de foudre lui tomber sur le coin de la face, même s'il avait aimé, pour sûr qu'il avait aimé, il n'avait jamais envisagé d'épouser quiconque. Le grand dadais considérait qu'il n'était tout bonnement pas fait pour cela, bien meilleur dans le rôle du bourreau des coeurs et des corps ou dans la cuisine suédoise, chacun ses qualités. "Je te surveille, mon trop doux." Wren se contenta d'un clin d'oeil en sa direction alors que Carnahan s'éloigna quelques secondes vers la cuisine pour les ravitailler en bières, il y avait des priorités dans cette vie. "Bientôt, tu vas bomber les pectoraux alors?" L'image le fit rire, nécessairement, ne s'imaginant que très peu Gabriel dans l'image du coq avec un ego surdimensionné, très peu pour lui mais c'était également et surtout ce qui plaisait chez lui. En tout cas, Doherty n'avait pas été insensible à toutes les démonstrations de gentillesse que le bouclé avait pu avoir envers lui quand il n'en méritait aucune en réalité. "Et encore les vêtements, c'était pour pas te choquer." Être pudique, un concept qu'un Doherty ne maîtrisait pas le moins du monde mais qui en était dérangé dans le fond? "Je l'ai pas vraiment éduqué, tu sais. C'était déjà un chat adulte quand je les trouvais tout rabougri dans les poubelles en bas de mon appart', il s'est forgé tout seul le Crousti'... D'où je prends de la place, moi?" Il le savait très bien et ne pouvait pas vraiment le nier en sifflant sa bière silencieusement pendant quelques instants, pas la peine d'en faire des tonnes tout de suite. "Tu sais que tu pourras toujours compter sur moi, hein?" Si jamais Gabriel en doutait, Wren le lui rappellerait jusqu'à son dernier souffle. Promis.