Un soupire s'échappe d'entre mes lèvres alors que je pousse la porte vitrée d'une énième boutique. Ce matin, je me suis levée aux aurores avec l'idée de me trouver un travail. N'importe quel genre de petit boulot tant que cela me permet de m'échapper un peu. J'ai besoin de m'occuper l'esprit pour ne pas ruminer, pour ne pas laisser mes pensées me convaincre que j'ai fait une erreur, que je devrais retourner auprès de Lawrence. Depuis mon retour à Brisbane, il y a désormais trois jours, je mène une véritable bataille contre moi-même. Entre ce sentiment de liberté retrouvée que j'avais perdue au fil des mois et ce regret immense de ne pas lui avoir laissé une autre chance. Il m'avait frappé, certes, mais peut-être qu'il avait passé une mauvaise journée, peut-être qu'il avait une bonne explication à tout cela, de toute manière, je l'avais bien mérité. Mon esprit oscille entre le désir de lui trouver toutes les excuses possibles et des épisodes de lucidité qui me ramène en plein dans la réalité. Il n'aurait jamais dû lever la main sur moi, pas cette fois-là, ni celle d'avant. La guerre me semble perdue d'avance quand l'envie de lui téléphoner devient si forte que j'en cache mon téléphone dans des endroits improbables. Alors, il est temps que je fasse quelque chose, que je sorte de l'appartement de Lucia dans lequel j'ai trouvé refuge sans grande explication. Elle est adorable avec moi, mais je sens bien que tout cela est bien trop précaire, qu'elle a reconstruit sa vie et que je ne lui rappelle que de mauvais souvenirs. Retourner chez mes parents me paraît encore inenvisageable, mais avec un travail et un salaire, je pourrais peut-être au moins me trouver un logement temporaire. En réalité, tout me paraît temporaire, ma présence à Brisbane, la fin de mon couple, l'errance qui semble m'attendre à chaque tournant. Mais lorsque le carillon de la boutique retentit pour signaler ma présence, je colle un faux sourire sur mes lèvres et tente le tout pour le tout, une étape après l'autre.

La matinée s'est déroulée en un éclair et ma pile de CV a bien diminué lorsque je décide qu'il est temps pour une pause. Comme une évidence, la devanture d'un Starbucks s'impose sur ma route. L'endroit parfait pour une candidature, un lieu que ni mes parents, ni ma sœur ne fréquente réellement, et je vais pouvoir m'octroyer une bonne tasse de thé et probablement une petite sucrerie. C'était le plan. Avant que mes pieds s'emmêlent entre eux et que je ne vienne trébucher contre une jeune femme qui attendait son tour. Une jeune femme que je connais... « Danika ? » Ma voix se met à trembler dès l'instant où je reconnais les traits de ma demi-sœur. Je voudrais m'en aller, mais je reste comme bloqué sur place, avec l'idée que mon retour passerait inaperçu qui semble s'envoler en fumée. « Tu ne m'as pas vu... » que je marmonne avant de lui tourner le dos bien rapidement.

@danika riley

Elle a marché un long moment, poussant la poussette à travers la ville, profitant du beau temps et de son jour de congé pour passer du temps avec son fils, moment qui n’arrivait plus souvent. L’enfant avait fini par s’endormir après avoir babillé pendant une bonne demi-heure, heureux de passer du temps avec sa mère, lui qui était trimballé de maisons en maisons quand elle travaillait ou quand elle s’entraînait. Danika s’était arrêté au Starbucks, avait commencé la longue queue pour prendre un café à emporter, la poussette à côté d’elle, elle regardait son téléphone d’un air distrait envoyant un message à Louisa pour la remercier d’avoir gardé Maddox la veille quand une personne lui avait foncé dessus.

Les mains de Danika rattrapent automatiquement le corps qui trébuche et qui percute le sien, ses pieds s'ancrent dans le sol, manquant d’en faire tomber son téléphone par terre. Son regard se perd sur les cheveux blonds, sur le visage de la jeune femme et il faut une demie seconde pour qu’elle la reconnaisse.  « Danika ? » La voix de Shiloh est tremblante, surprise. « Shiloh ?! » « Tu ne m'as pas vu... » Elle fronce les sourcils, surprise de voir la jeune femme qui n’est pas censée être à Brisbane, surprise encore plus de la voir fuir ainsi. Maddox est profondément endormi dans la poussette elle en profite pour faire les trois pas qui la sépare de la jeune femme.  « Shiloh attend ! » Elle rattrape la jeune femme sa main attrapant son bras doucement pour l’arrêter dans sa fuite.  « Qu’est ce que tu fais là, t’es rentrée à Brisbane ? Louisa me l’a pas dit… »   Elle aurait pu dire que Shiloh ne lui avait pas dit, mais les deux jeunes auraient pu être plus proches et l’éloignement de Danika ces trois dernières années n’avait pas aidé. Si Danika, depuis la mort de son père, faisait tout pour tenter de réparer les relations familiales qu’elle avait laissé s’étioler, le fait que Shiloh n’habitait pas à Brisbane n’avait pas aidé et ne lui avait pas permis de rattraper les choses comme elle l’aurait voulu.

La brune passe une main sur sa nuque peu à l’aise avant de jeter un coup d’œil à la poussette où Maddox dort profondément. Les gens ont commencé à la contourner pour avancer dans la queue. « On pourrait prendre un café ? Tu es pressée ? Maddox dort mais il sera content de te voir quand il va se réveiller. » L’enfant de trois ans connaissait à peine Shiloh mais elle espérait que la bouille d’ange qu’on apercevait dans la poussette allait convaincre la jeune femme de ralentir sa fuite.  Elle aurait pu dire qu’elle était contente de la voir, qu’elle était celle à vrai dire qui voulait la voir, mais comme toujours Dani avait du mal à trouver les bons mots et à les exprimer.

@Shiloh Atkins  

Cela devait être un simple arrêt dans mon programme de la journée. Rien de complètement fou, juste une pause pour reposer mes jambes et reprendre un peu d'énergie. L'excuse était toute trouvée pour déposer également un CV. Ce n'était rien de plus qu'une pause. Alors pourquoi faut-il que je trébuche sur de l'air pour atterrir tout droit dans les bras de ma demie-soeur ? En arpentant ce coin de la ville, je pensais pouvoir éviter toutes mes connaissances, comme si changer mes habitudes allait me rendre invisible aux yeux des autres. Jamais, dans l'élaboration de mon plan, je n'avais pensé à Danika. Elle qui est là, d'abord surprise de me voir, puis souriante la seconde d'après. On ne se connaît pas toutes les deux, enfin presque pas... J'avais voulu la connaître, tout autant que Louisa, mais je n'avais pas été aussi bien accueilli, puis à l'époque Nathan ne voulait pas vraiment se mêler à tout cela, j'avais fini par baisser les bras. Alors je n'en attendais pas moins d'elle à cet instant précis. Qu'elle me laisse partir en prétendant ne jamais m'avoir vu ici. C'est tout le contraire qui se produit. « Shiloh attend ! » Et lorsque ses doigts se referment sur mon bras pour me retenir, je suis prise d'une peur panique. D'un geste incontrôlable, je me dégage de son étreinte avant de reculer de plusieurs pas, manquant de foncer dans un homme qui attendait là. Je bégaye des excuses dans tous les sens, refusant de croiser le regard de la jeune femme face à moi. « Qu’est ce que tu fais là, t’es rentrée à Brisbane ? Louisa me l’a pas dit… » Bien sûr qu'elle évoque Louisa, elles qui semblent avoir lié une relation si importante qu'elles se parlaient de ce genre de chose. « Je veux pas que Louisa sache... » que j'avoue dans un murmure, la tête baissée, mon regard fixé sur mes chaussures. Il ne faut pas que ma sœur l'apprenne, encore moins Nathan. Pas pour le moment, je ne suis pas encore prête pour affronter leur regard et leurs questions. Tout comme je ne suis absolument pas prête à vivre ce moment de "retrouvailles" avec Danika.

Elle semble tout aussi mal à l'aise que moi et c'est lorsque je la vois jeter des coups d'œil réguliers vers une poussette que je comprends qu'elle est accompagnée. Son fils, je ne l'ai vu que deux fois et il était encore petit. Parfois, Louisa en parle, de toute manière, c'est celle qui a toujours eu le plus de contact avec Danika. « On pourrait prendre un café ? Tu es pressée ? Maddox dort, mais il sera content de te voir quand il va se réveiller. » Je ne sais pas si son enfant serait heureux de me voir lorsqu'il ne doit même pas savoir qui je suis. Et je ne sais pas non plus ce qui me prend lorsque je murmure un léger. « D'accord pour un café. » Elle m'a vu, ce n'est pas comme si je pouvais prétendre que ce n'était pas le cas et malgré ce manque de lien, elle est ce qu'il y a de plus proche de ma famille. Eux que j'ai encore tant de mal à me décider d'aller voir. Je suis nerveux à ses côtés alors que l'on rejoint la file d'attente. Je ne sais quoi lui dire, je me sens tremblante. Elle va poser des questions, j'en suis certaine, je voudrais la devancer, mais je ne cesse de bégayer dans le vide. « J'ai rompu avec mon copain. » C'est une explication comme une autre après tout, non ? Elle n'a pas besoin de connaître les détails, pas besoin de déceler cette honte qui m'envahit à chaque fois que je parle de lui.

Ca ne lui semblait pas normal de la laisser partir ainsi. Pas quand Shiloh était en train de fuir, comme Danika avait pu la fuir par le passé.

Ses doigts s’enroulent autour du bras de sa sœur quand elle remarque immédiatement le geste panique, la peur immédiate dans son regard, réaction instinctive, alors qu’elle vient percutait un homme derrière elle. Danika fronce les sourcils. Elle ne connaissait pas bien Shiloh, mais même elle pouvait remarquer que la réaction était excessive.  

« Je ne veux pas que Louisa sache.. » Cela ne fait qu’inquiéter un peu plus Danika. Shiloh et Louisa avaient toujours été proches et elle ne pouvait pas imaginer pourquoi Shiloh voulait lui cacher son retour, elle qui avait toujours adoré l’ainée. « Pourquoi tu ne veux pas qu’elle le sache ? » Elle demande doucement, calmement, comme s’il y avait une explication logique. Elle aimerait soudain revenir dix ans en arrière, réparer cette relation qui n’aurait jamais dû être aussi abimée. Elles étaient bien trop mal à l’aise l’une avec l’autre, comme deux inconnues avec bien trop de bagages. Car malgré tout, le lien du sang ne pouvait être ignoré et Dani était bien décidée à réparer ses erreurs.  Alors hésitante, elle propose un café à sa petite soeur, qui pourrait très bien refuser, prétexter une excuse pour se sortir de cette situation comme Danika avait eu bien des occasions de le faire, évitant les moments qui l’aurait rapprochés de Shiloh.  Elle utilise son fils comme l’excuse pour la faire rester, plutôt que d’admettre que c’est elle qui veut la voir, elle qui a envie de combler le gouffre entre elles. « D’accord pour un café. »  Immédiatement, la tension s’apaise légèrement et elle retient un soupir de soulagement de franchir la barrière de ses lèvres.  Elles se remettent dans la file d’attente et Danika ramène la poussette vers elles, ne sachant pas vraiment quoi dire à présent que la première étape est franchie. « J’ai rompu avec mon copain. »  

Elle aimerait que ce soit plus simple. Elle aimerait connaître les détails de la vie de Shiloh comme elle connait celle de Louisa, elle aimerait que chaque mot vienne naturellement, pourtant tout semble difficile quand il s’agit de la jeune femme, sans qu’elle n’ait jamais réussi à comprendre pourquoi. Alors elle la regarde, tentant de déceler tout ce qu’elle ne dit pas, sans la connaître assez pour y arriver. « Oh ? Je suis désolée Shiloh. » Rompre avec quelqu’un ne faisait jamais plaisir à personne mais ce n’était pas une raison de fuir sa famille. « Qu’est ce qui s’est passé ? » Elle demande innocemment, prudemment alors qu’elles avancent dans la queue et qu’il va être temps de choisir. « Je t’invite. » Danika annonce, résolue, bien décidé à aller de l’avant, à enfin ouvrir cette porte qui aurait dû être ouverte depuis longtemps. « Qu’est ce que tu aimerais ? »

@Shiloh Atkins  

Le regard de Danika se fait si insistant que je voudrais disparaître dans un trou de sourire. C’est comme si l’univers avait décidé de me jouer un tour quand ma demi-sœur avait passé son temps à vouloir m’éviter. Je n’ai jamais pu la rencontrer sans la présence de Louisa et aujourd’hui elle voudrait que je reste auprès d’elle. Un rire nerveux s’étouffe au fond de ma gorge alors que je tente de trouver une excuse pour me sortir de là. Je pourrais lui dire n’importe quoi, après tout, on ne se connaît même pas. Pourtant, c’est mon honnêteté qui reprend le dessus, incapable de mentir sciemment. Je m’emmêle les pinceaux dans une explication qui n’a ni queue ni tête et qui semble la laisser plus perplexe qu’autre chose. « Pourquoi tu ne veux pas qu’elle le sache ? » « On c'est disputé, mais c'est rien... Je... J'irais la voir, mais pas tout de suite. » C’était si stupide de parler de Louisa de la sorte alors qu’elle sait parfaitement à quel point nous sommes proches. Enfin… À quel point on pouvait être proche ? À ce jour, je ne saurais comment qualifier la relation avec ma grande sœur tant il semblerait que l’on ne se soit pas adressé la parole depuis des années. C’est dans ce café, alors que je rêverais de prendre la fuite, que je réalise – juste un peu – à quel point Lawrence à réussi à m’isoler de mes proches et notamment de ma famille. Il a toujours clairement exprimé le fait qu’il détestait, Nathan, critiquant sans cesse notre relation fusionnelle et il avait son opinion sur Louisa également. C’était des remarques sans cesse, alors j’avais arrêté d’en parler, puis j’avais fini par arrêter de les appeler ne sachant jamais vraiment trop quoi leur raconter. Je me suis perdue et je le réalise pleinement devant Danika. Si je me retrouve seule maintenant, je vais m’effondrer, sans même savoir si je trouverais la force de me relever à un moment. Alors j’accepte de boire un café avec elle. Et sans réaliser quoique ce soit, je lui explique que j’ai rompu avec Lawrence. Comme ça… Sans prévenir.

Elle semble gêner Danika, mais je crois que nous deux, c’est moi qui suis en train de rougir comme jamais. Qu’est-ce qui m’as pris de lui raconter ça alors que l’on n’a jamais vraiment eu de véritable conversation toutes les deux ? J’ai honte, mais je reste là à ses côtés, comme l’idiote que j’ai toujours été. « Oh ? Je suis désolée Shiloh. » Je hausse les épaules, priant pour qu’elle n’insiste pas plus, mais il faut croire que cette journée n’est qu’une vaste blague. « Qu’est-ce qui s’est passé ? » « Rien de bien important. » que je réponds dans la seconde essayant d’être la plus convaincante possible. Est-ce qu’elle va voir à travers mon mensonge ? Merde. Est-ce que la marque que j’avais sur la joue se voit encore ? J’ose espérer que non. Je souffle, éviter son regard et me concentre sur la file qui avance devant nous. Jusqu’au point où l’on se retrouve devant la barista. J’ai trop honte pour sortir mon CV et je crois que je ne sais même plus ce que je voulais commander. « Je t’invite. » « Non, tu es pas obligé, vraiment. » Mais déjà elle passe sa commande et se tourne vers moi. « Qu’est-ce que tu aimerais ? » Je me mords la lèvre et finis par relever la tête pour croiser le regard de la jeune femme qui attend ma commande. « Un thé froid s’il vous plaît. » Elle reste avec son stylo en l’air et je réalise que je ne lui ai pas dit la saveur qui me plairait. « Aux fruits rouges. » que j’ajoute brièvement avant de laisser la place à Danika pour qu’elle puisse payer.

On part s’installer à une table et mon regard ne cesse de se balader vers la poussette. « Il a grandi. » que je marmonne doucement. Je ne l’ai pas vu souvent son fils et il était tout bébé encore. « Ca se passe bien avec lui ? » Tout pour diriger l’attention vers elle et jamais vers moi.

« On c'est disputé, mais c'est rien... Je... J'irais la voir, mais pas tout de suite. »  Danika fronce les sourcils, sachant pertinemment que la jeune femme ne lui dit pas tout. « Vous vous êtes disputées ? »  Elle répète, elle sait de part Louisa que l’éloignement n’a pas été facile,  mais de là à ne pas vouloir la prévenir de son absence il y a un monde.  La jeune femme semble bien trop paniquée, comme prise au piège dans un endroit où on aurait pas dû la trouver.  Elle ne pouvait pas prétendre connaître par cœur Shiloh, à vrai dire, elle s’était toujours pensée loin de la connaitre tout court, mais elle l’avait assez cernée et l’avait assez côtoyée pour savoir que ce comportement était inhabituel. Même lorsqu’elle explique qu’elle a rompu avec son copain, cela sonne comme un début d’explication mais pas comme toutes les explications qu’elle pourrait donner. Ses joues rougissent et si pendant un instant elle fixe sa joue, sa joue où elle croit apercevoir une marque, le genre de marque que Dani aurait pu se prendre à l’entraînement. « Rien de bien important. » La brune fronce les sourcils parce que cela sonne faux. « C’est toi qui l’a quitté ? » Elle demande alors qu’elles avancent dans la queue et qu’il va être temps de payer. Elle insiste, sortant son porte monnaie pour l’inviter.

« Non, tu es pas obligée, vraiment. » « Ca me fait plaisir. » Elle assure, comme si lui payer une boisson au Starbucks allait rattraper des années de relations distantes. Mais c’est un premier pas, un premier pas nécessaire. Elle la laisse commander après avoir commandé un café noir. « Un thé froid s’il vous plaît. Aux fruits rouges. »  Est-ce que deux boissons pouvaient résumer des personnalités qui lui avaient toujours paru opposées ? Un léger sourire étire ses lèvres à la mention de la boisson et paie sans rien dire.

Les deux femmes s’assoient à une table libre, la poussette à côté d’elles.  Le regard de la jeune femme s’attarde sur son neveu. « Il a grandi. »  Danika regarde son fils endormi dans la poussette. A vrai dire il grandit bien trop vite à son goût. Elle n’a pas l’impression d’avoir vu les trois années passées, trop occupée à s’occuper de la maladie de son père, trop occupée à ne pas penser qu’elle élevait un fils seul. « M’en parle pas. » Elle rit un peu plus naturelle et soudain avoue « J’ai pas l’impression de l’avoir vu beaucoup depuis qu’il est né. » Elle ne regarde pas Shiloh en disant cela, un peu honteuse. Si elle essaye de rattraper le temps perdu aujourd’hui, les heures ne semblent pas suffisantes. « Ca se passe bien avec lui ? »  Danika est presque surprise de cette curiosité, toujours un peu mal à l’aise face à sa petite sœur.

« Ca va. » Elle hausse les épaules, plutôt crever que d’avouer que c’était dur, plus dur qu’elle ne l’aurait jamais cru, que sa vie d’avant lui manquait, terriblement mais malgré tout elle aimait l’enfant. « Il est adorable donc j’ai pas à me plaindre… » Elle évite son regard mais finit par avouer sans la regarder dans les yeux. « C’est pas facile tous les jours. »  Elle remettre en place le doudou qui va manquer de tomber de la poussette et se tourne de nouveau vers Shiloh. « Ca me ferait plaisir qu’il te voit plus souvent…qu’on se voit plus souvent. » Elle se corrige pour s’inclure dans l’équation, pour arrêter de se cacher derrière son gamin de trois ans.  Danika observe de nouveau le visage de Shiloh, elle a beau ne pas la connaître aussi bien que Louisa, elle a le sentiment que quelque chose ne va pas sans arriver à mettre le doigt dessus. Elle lui demande doucement « Tu restes longtemps à Brisbane ? Ou tu vas retourner à Sydney ? »

@Shiloh Atkins  

« Vous vous êtes disputées ? » Je soupire lourdement, elle commence à m’énerver avec sa série de questions. « Oui ça arrive, tu sais ! » Ce n’est pas comme si c’était une exception entre Louisa et moi. On a toujours eu des petits conflits, rien de majeur, c’est bien vrai, mais tout de même. On est sœur et on a deux caractères bien différents, alors parfois, on se prend la tête. C’est tout. Elle ne devrait pas avoir à poser tout un tas de questions à ce sujet. « C’est pas parce qu’elle t’en a pas parlé que c’est pas arriver. » Je voudrais rajouter que Danika ne sait rien de notre famille, mais ce n’est pas mon genre d’être aussi méchante. Ce n’est pas moi de pointer du doigt les erreurs des autres, je ne suis pas du genre à aboyer, mais elle est en train de me pousser dans mes retranchements. Tout ce que je voudrais, c’est prendre un café avec elle, pour lui faire plaisir et après partir. Je voudrais apprendre à connaître Danika, mais pas dans ces conditions, pas comme ça, pas alors que je voudrais tout simplement être transparente. Pourtant, tout m’échappe quand je lui parle un peu de Lawrence. Il faut croire que je n’ai jamais réellement su me taire. Je ne sais pas faire dans le conflit, pas avec ceux qui me connaisse un tant soit peu en tout cas. « C’est toi qui l’as quitté ? » Je hoche la tête ne sachant vraiment quoi lui dire là-dessus. « Euh… oui. Enfin… » Pourquoi je lui ai parlé de tout ça ? Je soupire quelque peu, joue nerveusement avec mes doigts. « J’ai fait une pause en venant un peu ici, c’est tout. » Et ça va probablement sonner encore plus bizarre. Je devrais vraiment apprendre à me taire parfois. Tout ce que je veux, c’est partir d’ici, mais voilà que je passe commande et que je me retrouve attabler à une table avec Danika.

Il me faudra plusieurs minutes pour retrouver mon souffle et tenter de détourner l’attention sur le petit garçon qui continue sa sieste comme si de rien était dans sa poussette. C’est bien plus simple de faire parler Danika, ça me fait gagner du temps aussi. « M’en parle pas. J’ai pas l’impression de l’avoir vu beaucoup depuis qu’il est né. » Je ris un peu et hoche la tête même si je ne peux réellement me mettre à sa place. J’imagine que la naissance de Maddox a réellement chamboulé sa vie et que tout va bien trop vite depuis. Alors je l’écoute avec attention mon regard se baladant entre la jeune femme et son petit garçon. « Ça va. Il est adorable donc j’ai pas à me plaindre… » « Il a vraiment l’air adorable. » que je murmure quelque peu, cachant mon sourire derrière ma tasse.

« Ça me ferait plaisir qu’il te voit plus souvent… Qu’on se voit plus souvent. » Je soupire quelque peu sans vraiment vouloir croiser son regard. « Je voulais te connaître et c’est toi qui n’as jamais vraiment voulu. » que je murmure sans que cela ne sonne réellement comme un reproche. Juste un fait qui est là depuis bien trop longtemps entre nous. Elle acceptait de voir Louisa, mais jamais nous, jamais vraiment. « Tu restes longtemps à Brisbane ? Ou tu vas retourner à Sydney ? » « Je sais pas encore. » Je repense aux mots de Lucia, elle qui m’a presque supplier de ne pas retourner auprès de Lawrence. Elle avait probablement raison, mais je n’arrive pas à prendre une véritable décision pour le moment. « C’est temporaire pour le moment. » que je rajoute en souriant timidement.

 

« Oui ça arrive, tu sais ! »  Elle n’aime ni son soupir lourd d’énervement ni sa façon de lui parler. Mais sans doute n’avait-elle pas le droit de poser ces questions-là, pas le droit de s’immiscer dans sa vie et de demander la source de la dispute entre les deux sœurs, entre ses deux sœurs. « C’est pas parce qu’elle t’en a pas parlé que c’est pas arriver. » A ca, Danika reste silencieuse, le visage de marbre, refusant de répliquer quelque chose qu’elle ne penserait sûrement pas et qui ne ferait qu’aggraver une relation déjà bien assez fragile. Évidemment que Louisa et Danika ne se disaient pas tout.  C’était déjà un miracle qu’elles aient réussi à garder une relation aussi proche après tous les efforts de Danika ces dernières années pour en rester éloignée.  

Elle ne connaît pas aussi bien qu’elle aimerait Shiloh, mais même sans la connaître elle remarque une agressivité inhabituelle, elle qu’elle avait toujours trouvée trop gentille, trop douce, trop…parfaite.  Quelque chose ne va pas mais elle n’est pas sûre qu’elle arrivera à en savoir la cause. Aussi elle est surprise quand la jeune femme lui explique qu’elle n’est plus avec son petit ami.  « Euh… oui. Enfin… J’ai fait une pause en venant un peu ici, c’est tout. »

«  Tu n’as pas l’air sûre. » Et il est là le sarcasme et le manque de tact habituel de la brune.  Peut-être qu’elle pose trop de questions, véritable interrogatoire où Dani essaye tant bien que mal de cerner sa petite sœur sans avoir aucune idée de la solution miracle pour la faire s’ouvrir. Comme si elle pouvait prétendre qu’elles étaient assez proches pour cela, alors qu’elle comprenait parfaitement que Shiloh n’ait aucune envie de s’ouvrir à elle.

Au moins lorsqu’elles sont assises lors attention à toutes les deux est fixée sur le petit garçon endormi qui elle le sent ne tardera pas à se réveiller. Se souviendra-t-il de Shiloh ? Elle n’en est même pas sûre.  « Il a vraiment l’air adorable. »  Shiloh cache son sourire derrière sa tasse et Danika lui adresse un sourire lumineux en retour avant d’avouer pour la première fois qu’elle aimerait voir plus la jeune femme.

« Je voulais te connaître et c’est toi qui n’as jamais vraiment voulu. » Son murmure ne sonne pas comme un reproche et pourtant Danika le vit ainsi, parce qu’elle culpabilise depuis longtemps d’avoir toujours été incapable d’accepter complètement Shiloh et Nathan dans sa vie. « Je sais. » Elle ne se cache pas derrière des mensonges ui ne serviraient à rien, son regard s’ancre dans le sien.  « Et maintenant, tu le voudrais encore… me connaître ? De nous connaître ? » Demande-t-elle doucement incluant son fils dans l’équation. Ou est-ce trop tard ? Trop tard pour réparer des années à la repousser et à ne pas l’accepter ?

Son regard se détourne un instant et elle choisit de lui demander combien de temps elle va rester à Brisbane. « Je sais pas encore. C’est temporaire pour le moment. » Shiloh sourit doucement et Dani boit un peu de son café.  Quelque chose a amené Shiloh à Brisbane, mais quelque chose aussi l’empêche aussi d’annoncer sa présence à ses frères et sœurs. « Qu’est ce qui s’est passé entre vous pour que tu ais besoin de cette…pause ? »  Son regard ne cesse d’être attiré par le visage de Shiloh, par la marque qu’elle croit distinguer sur son visage. La question ne passe pas la barrière de ses lèvres, non pas tout de suite, elle ne veut pas tirer des conclusions hâtives.



@Shiloh Atkins  

Elle s’immisce de partout, Danika. Elle fouine dans les moindres recoins, pose des questions qui n’ont pas lieu d’être tant elle n’a jamais réellement été présente dans ma vie. Elle se devrait de prendre quelques pas de recul, mais elle insiste et c’est ma patience qui finit par me faire défaut. À penser qu’elle est au courant de tout, elle ne fait que foncer dans le mur. Louisa ne lui parlerait jamais réellement des soucis qu’il pourrait y avoir entre nous, j’en suis certaine. Après tout, elle reste une étrangère avec qui on partage la même mère. Je me déteste de penser ainsi, mais c’est qui me sauve, ce qui me fait garder un léger sourire, malgré les questions sans fin de la brune. Elle pense tout savoir, alors qu’elle ne connaît strictement rien de nous. Je voudrais lui dire que ça suffit, qu’elle ne devrait pas continuer dans cette direction, mais j’ai toujours été bien incapable de hausser le ton auprès de qui que ce soit.

« Tu n’as pas l’air sûre. » Carrément, que je ne suis pas sûre, quand elle insiste sur tous les sujets, oscillant entre Louisa et Lawrence. Si ma sœur reste dans le domaine d’une simple broutille qui finira probablement par s’arranger, l’histoire avec mon copain est bien plus différente. Tout est parti en vrille et désormais, je ne sais plus. J’invoque le besoin d’une pause quand clairement, j’ai fui sans demander mon reste. Elle tape en plein dans le mille sans en demander son reste et c’est tout ce qui me pétrifie sur place. Pourquoi, je ne lui dis tout simplement pas que cela ne la regarde en rien. Je ne sais pas… Tout se mélange dans un coin de ma tête alors que, docilement, je m’assoie à sa table sans rien dire.

Malgré tout, dans un élan que je ne saurais définir, je lui rappelle que c’est elle qui n’a jamais voulu entendre parler de nous avec Nathan. Nous n’étions au courant de rien, on a tout appris quand Louisa nous a parler de son existence. En rien, nous ne sommes responsables des actes de notre mère et pourtant, c’est comme si elle nous le faisait payer sans cesse. « Je sais. » Elle sait, mais elle oublie déjà. « Et maintenant, tu le voudrais encore… me connaître ? De nous connaître ? » La question est légitime, ma réponse se fait attendre. Je lui en veux de ne pas m’avoir accordé ma chance, il y a des années en arrière, mais tout le monde mérite une deuxième chance, non ? « On pourrait essayer. » que je lui réponds timidement. « On est pas responsable des actes de maman, tu sais. » dis-je doucement en soupirant. « Moi, je voudrais apprendre à te connaître. » Qu’importe si elle me met mal à l’aise avec ses questions, je pense à notre famille avant tout.

Timidement, je joue avec ma tasse de thé. Je sirote un peu ma boisson, observe le petit garçon qui continue à dormir comme si de rien était dans sa poussette. « Qu’est-ce qui s’est passé entre vous pour que tu ais besoin de cette… Pause ? » La question que je redoutais, celle qui me fait me renfermer dans ma bulle à la vitesse de l’éclair. Mes dents viennent torturer ma lèvre inférieure alors que mes yeux semblent s’humidifier comme jamais. « On s’est disputé. » Et il a levé la main sur moi… Une deuxième fois. Je suis incapable de tenir le regard de la jeune femme. Je voudrais m’enfuir, trouver un autre sujet de conversation, mais rien ne me vient. Alors je soupire, je tente de gagner du temps en réarrangeant ma tasse. « Mais c’est rien, j’avais besoin d’un peu de temps. » que je rajoute en tentant de sourire un peu. « Je… » Tu quoi Shiloh ? Il m’a frappé et je ne sais plus ce que je dois faire pour notre couple. « Il me manque, mais je sais pas. » que j’avoue tout doucement.

 
La question est hésitante, le regard fuyant, le cœur qui bat un peu trop vite se préparant instinctivement au rejet qui risque de suivre. Danika est des années trop tard.  Le silence s’étire, dure trop longtemps et déjà Dani s’apprête à se refermer pour se protéger un peu plus.

Pourtant la voix de Shiloh retentit timidement dans le Starbucks. « On pourrait essayer. » Ce n’est pas un non, c’est un peut être, une porte ouverte, une porte ouverte qui fait immédiatement se détendre ses épaules, le soulagement se lisant sûrement sur son visage. « On est pas responsable des actes de maman, tu sais. » Elle le sait, pourtant elle a toujours eu du mal à séparer les deux, dans les jumeaux elle ne voit que les enfants que cette « Maman » a choisi de garder, ceux qu’elle aura voulu, ceux qui ont été assez biens pour qu’elle les garde. Danika a beau avoir assez de recul aujourd’hui pour savoir que son père avait une grande part de responsabilité dans cette histoire, la barrière a toujours été présente avec Shiloh comme avec Nathan.  Surtout avec Shiloh à vrai dire. Shiloh qui ne lui ressemble en rien, Shiloh qui est une fille.  « Moi, je voudrais apprendre à te connaître. »  La culpabilité revient s’insinuant doucement et Danika répond lentement « Moi aussi. » Elle ne s’est pas excusée, a bien trop de fierté pour ça. Peut-être qu’un jour elle le fera. Aujourd’hui elle est seulement capable de ce petit pas en avant, une porte entrouverte, la promesse de plus.

Peut-être qu’elle pose la nouvelle question de trop mais elle voit immédiatement Shiloh se fermer dès que son petit ami, ou ex-petit ami est mentionné.  Ses yeux se remplissent de larme, faisant immédiatement paniquer intérieurement Danika qui n’est pas vraiment habituée à gérer les émotions des autres, ayant toujours préféré enfermer les siennes. « On s’est disputé. » Le « et » ne vient pas, il n’y a pas de suite, pas d’explications, pas de raisons, son regard la fuit et Dani fronce les sourcils, consciente qu’il y a plus.

« Mais c’est rien, j’avais besoin d’un peu de temps. Je…  Il me manque, mais je sais pas. » Elle avoue tout doucement. Cela ne semble pas être rien pourtant. « Je comprends. » Elle lui dit doucement, sachant pertinemment que ce n’était jamais facile, qu’elle avait peut-être besoin de temps de faire le point sur ce qu’elle ressentait et que Danika ne devait pas aider à poser toutes ces questions.

L’ainé ne sait pas si ce sont ses réactions, la façon dont elle a réagi lors que sa main a attrapé son bras, la pure panique dans ses yeux, son regard humide. Ou la trace sur son visage. Elle pourrait ne rien dire, réfléchissant aux conséquences de sa question si elle a tout faux ou même si elle a tout bon à vrai dire. Elle boit une gorgée de café, hésitante.  « Et ça, c’est lui qui en est responsable ? » Son doigt se tend un court instant vers la peau qui porte encore une légère trace, proche de s’estomper et pourtant bien présente. Son regard s’ancre dans celui de Shiloh sans jugement ou accusations, sans pitié non plus. Sa voix est calme, rassurante. Peut-être que Shiloh lui dira qu’elle a commencé un sport de combat, peut-être qu’il y aura une explication logique, une mauvaise chute. Mais Danika n’en voit aucune qui lui semblerait crédible, non elle n’envisage que les plus terribles et déjà appréhende la réponse.





@Shiloh Atkins  

Se donner une chance. Essayer.

Tout est encore dans le champ des possibles tant on semble être deux étrangères l’une en face de l’autre. À ce jour, le seul point qui nous relie est le sang qui coule dans nos veines. Elle que maman a si violemment rejeter, elle dont on n’avait jamais entendu parler. Je voudrais qu’elle voie, qu’elle comprenne que l’on ne représente en rien les choix de notre mère. J’aurais aimé tout savoir depuis le début, grandir à ses côtés, être présente pour elle lorsqu’elle a eu Maddox. Malgré la rancœur que j’ai pu avoir envers elle, malgré le fait qu’elle semble préférer Louisa, je voudrais prendre le temps de la connaître, elle. Danika. Pas au travers des yeux des autres, mais dans tout ce qu’elle voudra bien me montrer. Cela me semble important, malgré tout. « Moi aussi. » Je prendrais ces quelques mots comme le gage de quelque chose de nouveau. Elle semble avoir son caractère bien trempé, Danika et il est certain que je ne lui forcerais pas la main. On ne devrait pas avoir à se battre pour faire parti de la vie de quelqu’un de sa famille. Ce n’est pas comme cela que cela doit fonctionner. Alors, je me contente de hocher la tête en lui souriant quelque peu. On ne se connaît pas, il reste tout à entreprendre désormais.

La conversation aurait pu continuer ainsi sur un ton léger avec quelques questions parfois un peu gênante, mais qui nous aurait permis de mieux apprendre l’autre. Cependant Danika semble bien plus brute de décoffrage que ce que j’aurais pu imaginer. Elle n’hésite pas un instant à poser des questions, à titiller sur la raison de ma présence à Brisbane. Ce sont surtout ses questions sur Lawrence qui me mette étrangement mal à l’aise. Je voudrais qu’elle lâche l’affaire, qu’elle se contente de hocher la tête en signe de compréhension, mais je vois dans son regard qu’elle veut en savoir plus. Ou que tout, simplement, je ne suis pas assez convaincante à ses yeux.

Je n’ai pas le temps de réaliser quoique ce soit que déjà ses doigts s’approchent de ma pommette. « Et ça, c’est lui qui en est responsable ? » Dans la seconde qui suit, mon souffle se coupe. Le mouvement de recul est inévitable. Mon dos vient heurter le dossier de la chaise, alors qu’avec mes pieds, je tente de m’éloigner. « C’est rien. » que j’aboie presque sur la jeune femme. Les battements de mon cœur s’accélèrent alors que je tente de garder un visage impassible. Je n’avais pas prévu que l’on m’interroge autant. Je ne pensais pas que quelqu’un remarquerait la trace infime qui plane encore sous mon œil. Je n’avais rien prévu et j’angoisse. « Je me suis pris l’angle d’une porte de placard. » Je serre les dents pour ne pas bégayer, plonge mon regard dans le sien pour appuyer le mensonge. « Je suis maladroite parfois. » Ce n’est que la stricte vérité, elle le saurait si elle me connaissait un peu mieux. Mais je suis mal à l’aise, cela émane de chacun de mes pores. Il est temps que je m’en aille. « Je devrais y aller, tu… Tu as sûrement mieux à faire. » Elle ne doit rien savoir.

 
Elle a tout à découvrir de cette jeune femme en face d’elle. Cette femme qui partage le même sang qu’elle et qui ne lui ressemble pas. Cette femme qu’elle a jugé dès le départ, pour les actes de leur mère.  Cette femme qu’elle a considérée comme trop lisse, trop parfaite, trop fille, trop tout simplement. Elle a jugé trop vite, elle a cherché à se protéger comme à son habitude. Aujourd’hui elle regrette. Elle regrette maintenant que son père n’est plus là, que ses sœurs et son frère sont la seule famille qu’il lui reste en dehors de son oncle.

Danika ne connait rien de sa sœur et pourtant la trace sur sa peau est une marque qu’elle connait par cœur. Parce qu’elle connait la précision des coups,  la façon d’un visage de marquer sous les phalanges.  Elle pointe du doigt quelque chose qui fait mal en en étant parfaitement consciente.  Elle aurait pu se dire, ce n’est pas mon problème, laisse la tranquille, ça ne te regarde pas.  Pourtant l’instinct la pousse à creuse quitte à voir Shiloh se fermer, quitte à briser ce mince pas en avant vers un semblant de relation.  

Shiloh a un mouvement de recul pour éviter que les doigts de Danika n’arrivent à toucher sa peau, son souffle se coupe et si elle pouvait fuir elle le ferait sans doute. La main de Dani retombe le long de son corps alors que l’écho d’un sourire triste étire ses lèvres et que ses doutes se confirment.  « C’est rien. »  Shiloh aboie,  Shiloh ment, Shiloh fuit et sa sœur hausse un sourcil attendant les mensonges qui vont inévitablement suivre. Elle les connait les mensonges elle les a entendus de la bouche de dizaines de victimes qui ont passé les portes du dojo dans le but de ne plus jamais se faire blesser de la sorte.   « Je me suis pris l’angle d’une porte de placard. Je suis maladroite parfois. » « Bien sûr. » dit-elle sans la croire une seule seconde, son regard refusant de lâcher le sien.  « Je devrais y aller, tu… Tu as sûrement mieux à faire. »  Bien sûr qu’elle l’a fait fuir, elle regrette d’avoir poussé trop fort, trop vite et pourtant une colère sourde gronde, l’instinct de protection présent malgré qu’elles se connaissent peu. Car malgré tout Shiloh reste sa sœur et l’idée que quelqu’un ait cherché à lui faire du mal lui serre le cœur. « Non je n’ai pas mieux à faire. Reste Shiloh. » dit-elle doucement.

Elle observe un instant Maddox, lui remet sa petite couverture, l’enfant dort toujours. « Tu dis que tu t’ais pris l’angle d’une porte de placard à une fille qui se prend des coups en pleine figure et qui en donne depuis qu’elle sait marcher Shiloh. »  ajoute—elle avant de planter son regard dans celui de sa cadette. « Alors t’es pas obligée de m’en parler si tu n’en as pas envie mais me ment pas. Parce que je ne te croirai pas. »  Son ton est plus dur, malgré elle.  Danika boit une gorgée de son café qui a refroidi. « C’est pour ça je suppose que Louisa et Nathan ne doivent pas savoir que t’es en ville ? » Cela serait logique au vu des brides d’information qu’elle a pu obtenir de la jeune femme. Son regard est sincère, il n'y a ni pitié ni jugement dans ses pupilles.



@Shiloh Atkins  

C’est toute mon assurance qui s’écroule dès l’instant où ses doigts s’approchent de ma joue. Dès le moment où elle formule la simple hypothèse que Lawrence soit responsable de la trace qui réside encore sur ma pommette. Elle n’hésite pas une seule seconde Danika, c’est à peine si elle pose une question en réalité. Comme si elle m’avait mise à nue, elle semble tout découvrir en un claquement de doigt et cela me fait entrer dans un état de panique presque incontrôlable. Le masque que je m’efforçais de maintenir depuis le début de la conversation vole en éclats alors que je cherche désespérément à m’éloigner d’elle tout en gardant une contenance et en affirmant qu’elle se trompe. Je veux aller trop vite et je me trompe, je m’emballe, je perds de la crédibilité sous son regard. Elle ne s’emporte pas pour autant, bien au contraire. Soudainement, les traits de son visage semblent se radoucir alors que les battements de mon cœur s’affolent encore sous la panique. « Non, je n’ai pas mieux à faire. Reste Shiloh. » Elle est douce, elle ne s’impose plus dans ma bulle, mais elle insiste malgré tout. Un regard. C’est tout ce qu’il faut pour que je comprenne que la supercherie ne prendra pas avec elle, que je pourrais raconter n’importe quoi et que ça ne prendra toujours pas.

« Tu dis que tu t’ais pris l’angle d’une porte de placard à une fille qui se prend des coups en pleine figure et qui en donne depuis qu’elle sait marcher Shiloh. » Alors elle sait… Que tout cela n’a rien d’un accident, que je n’ai pas pu me le faire par manque d’attention. Elle sait que c’est une main qui a frappé. Une paume ornée d’une bague qui est venue laisser sa marque sur ma joue. Une main qui m’a terrifiée, qui m’a pousser à partir. Une main appartenant à l’homme que j’aime me laissant dans un désarroi que je serais bien incapable d’expliquer. « Alors t’es pas obligée de m’en parler si tu n’en as pas envie, mais me ment pas. Parce que je ne te croirai pas. » Je hoche la tête incapable de prononcer le moindre mot tant, la boule dans le fond de ma gorge semble grossir à la seconde. C’était si simple pour elle de deviner… Est-ce que tout chez moi hurle à la femme frappée ? Est-ce que je ne dissimule pas assez bien ? Tout semble tourner dans ma tête alors que Danika semble s’efforcer à garder un ton calme avec moi. « C’est pour ça je suppose que Louisa et Nathan ne doivent pas savoir que t’es en ville ? » Je hoche la tête, cherche un peu l’air et ferme les yeux quelques secondes pour souffler. « Promets moi que tu ne diras rien. » Au pire, ce sera elle la menteuse. Parce que si Louisa pourrait hésiter, Nathan m’écoutera moi sans aucun doute. « Je veux pas qu’on s’inquiète, c’est vraiment rien. » C’était une erreur, il a pas fait exprès. « Tu dois me croire sur ça, c’était pas sa faute. » Ce n’était que la mienne, je n’avais pas su faire les choses correctement, une fois encore. Je ne m’écoute à peine, perdu dans mon tissu de mensonges, c’est lui que je cherche à protéger. « Tu dois vraiment rien dire ! » que j’insiste à nouveau.

 
Danika lit la panique incontrôlable dans son regard, comprend immédiatement qu’elle a touché juste. La voir aussi démunie réveille un instinct de protection qu’elle ne pensait pas ressentir face à la jeune femme. « Promets moi que tu ne diras rien. » Shiloh ne dément pas, elle ne cherche pas à mentir, à prétendre que ce n’est pas vrai, qu’elle s’est simplement pris un placard.

« Je veux pas qu’on s’inquiète, c’est vraiment rien. »  Son regard s’assombrit. Elle l’a entendu combien de fois cette phrase de la part de victimes venant au dojo pour des cours de self defense ? Ce n’est pas grave, c’est de ma faute, et celle qu’elle s’attend ensuite à entendre, c’est rien. « Je veux pas qu’on s’inquiète, c’est vraiment rien. »  Elle reste calme, le visage doux malgré les flammes d’une colère glaciale qui brillent dans ses yeux.

Shiloh et elle se connaissaient peut-être mal. Peut-être qu’elles n’ont rien en commun. Peut-être qu’elles n’ont de sœurs que le sang partagé et pourtant en cet instant elle aimerait être face à l’ex-petit ami en question, celui qui a osé poser sa main sur elle. Elle aimerait lui rendre la pareil, voir même lui casser quelques os pour les dommages causés. Un œil pour un œil. Ou plutôt un œil et des os pour un œil, elle n’avait jamais fait dans la demi-mesure.  « Tu dois me croire sur ça, c’était pas sa faute. » Elle secoue la tête de droite à gauche. Si c’est de sa faute et la jeune femme est encore bien trop sous son contrôle pour s’en rendre compte. « Tu dois vraiment rien dire ! »   Elle insiste, cherchant à protéger l’homme qui lui a fait du mal et Danika se contente de dire doucement : « Je ne dirais rien, je te le promets. » Non elle ne briserait pas cette confiance-là, elle ne trahirait pas cette confidence qui n’en avait pas été une, car elle l’avait tiré de force de la blonde, elle avait pointé du doigt ce qu’elle voyait sans aucune retenue. En parler à Louisa et à Nathan briserait toute tentative pour créer un lien avec la jeune femme, alors elle promet. « Mais c’est de sa faute. » Son ton est un mélange de rage et de calme, la colère palpable mais dirigée à quelqu’un qui n’est pas présent. « Tu crois quoi Shiloh, que les poings partent tout seul ? Non. C’était de sa faute et pas de la tienne. Et ce n’est pas rien. » Assène-t-elle avec autant de douceur qu’elle peut, c’est-à-dire trop peu, bien trop peu. « C’est déjà arrivé ? » souffle-t-elle dans une voix à peine plus haute qu’un murmure. Cela fait combien de temps que la jeune femme se fait frapper ? Combien de temps qu’elle se persuade que ce n’est pas de la faute de son ex petit ami ?

L’instant se brise pourtant, le petit dans la poussette choisit ce moment-là pour se réveiller, ouvrant les yeux, regardant autour de lui. L’instinct fait disparaître immédiatement la colère de son visage pour ne montrer à l’enfant que de la tendresse. « Regarde Maddy qui est là. Tu te souviens, c’est ta tante Shiloh ? » Mais l’enfant se souvient à peine, elles se sont si peu vues depuis la naissance de Maddox, elle l’avait vu quelques fois mais pas assez pour que cela s’enregistre dans la mémoire de Maddox. Elle le détache pour qu’il puisse sortir de la poussette et l’enfant de trois ans et demi, s’approche de la jeune femme avec un air timide mais curieux. « Shilooh ? »



@Shiloh Atkins  

Durant des mois, je n'ai pas su exprimer, pas su voir ce qui était réellement en train de se passer chez moi. Aujourd'hui encore, tout me semble flou et controversé. On était pas toujours d'accord avec Lawrence, mais n'est-ce pas le lot de tous les couples de ce monde ? Il arrivait que certains mots soient prononcés plus fort que d'autres, il n'était pas rare qu'il préfère que je vienne avec lui plutôt que de me concentrer sur mon travail, mais c'était pour notre bien. Il fallait que son album fonctionne, que sa carrière d'artiste prenne pleinement son envol. C'était important pour lui alors cela l'était forcément pour moi. J'en étais convaincue, tout devait se dérouler ainsi, que c'était ainsi que notre couple se devait d'évoluer, que cela était normal. J'en reste persuadé que Lawrence n'a jamais voulu de tout cela, qu'il s'est perdu dans son stress pour la musique et que les mots ont dépassé sa pensée. Ce n'était pas si important que tout, le monde le prétend, juste une dispute de couple. Et pourtant... Danika me repousse dans mes retranchements tant elle insiste pour en apprendre plus, tant son regard devient investigateur. C'est comme si le piège se refermait tout autour de moi sans que je ne puisse trouver une issue de sortie. Bloquée sur ma chaise, dos au mur, voilà que je panique d'un petit rien. Tout me laisse à voir qu'elle a compris, qu'importe ce que je pourrais dire désormais elle ne me croira plus. Pourtant, c'est toujours l'intérêt de Lawrence que je défends sans vergogne. Il ne l'avait pas fait exprès, je ne vais pas en démordre. C'était un accident. Jamais il n'aurait voulu me faire du mal délibérément. Alors, j'insiste, je la supplie de ne pas répandre des rumeurs. « Je ne dirais rien, je te le promets. » Je hoche la tête, même si je suis loin d'être convaincue de son honnêteté. « De toute façon, il ne sait rien passer. » Rien, absolument rien qui ne la regarde ou la touche de près. Ce n'était qu'un petit manquement, un léger accident de parcours. Ce n'était rien. « Mais c’est de sa faute. » Elle insiste et les larmes qui ne cessent de s'accumuler au coin de mes yeux n'ont jamais autant menacé de couler. « Tu crois quoi Shiloh, que les poings partent tout seul ? Non. C’était de sa faute et pas de la tienne. Et ce n’est pas rien. » Elle avait dit la même chose, Lucia, que les poings ne partent pas tout seuls, qu'il avait pensé son coup. « Tu ne sais même pas de quoi tu parles. » Ce n'est pas moi d'être autant sur la défensive, d'être aussi expéditive, mais c'est le seul choix qu'elle me laisse, lorsque c'est elle qui renvoie les coups sans attendre. « C’est déjà arrivé ? » Une fois. Je secoue la tête ne voulant plus participer à cette conversation qui me tord le ventre et m'empêche de respirer correctement.

Comme par chance, c'est l'instant que choisit Maddox pour se réveiller. Il est adorable le bambin lorsqu'il baille un peu, s'étire et reporte son attention sur moi. Ses yeux innocents me permettent de m'apaiser en un instant, alors que je lui adresse un signe de la main. « Regarde Maddy qui est là. Tu te souviens, c’est ta tante Shiloh ? » Comment pourrait-il se souvenir de moi ? Je ne l'ai vu qu'en de rares occasions, alors qu'il n'était encore qu'un minuscule poupon et je me doute que sa mère lui parle régulièrement de nous. Pourtant, il n'hésite pas le petit garçon, lorsqu'il se dresse sur ses pieds et qu'il vient à s'accrocher à ma jambe. « Shilooh ? » C'est un sourire tout en douceur que je lui offre. « Bonjour bonhomme. » Il lui faudra quelques instants avant de voir ses petites lèvres s'étirer dans un sourire, mais c'est tout ce qu'il me faut. Je prends une minute puis deux, pour regarder le petit garçon évoluer vers sa maman avant de croiser le regard de cette dernière. « Je vais y aller, j'ai encore beaucoup de choses à faire. » Je voudrais surtout m'éloigner de cet endroit et rapidement. « Merci pour le café et à bientôt peut-être. » Désormais, je ne suis plus vraiment sûre de vouloir la revoir.