Elle serait tombée à peu près dix sept fois depuis le début de la journée si elle n’avait pas enfilé ses chaussettes spéciales anti-dérapant, celles qui servent plus ou moins de chaussons tellement elles sont épaisses quand bien même Lily n’a jamais compris qu’en vivant en Australie il ne faisait jamais assez froid pour ce genre de choses. Cela ne la dérange en aucun moment de les porter à la fin de l’été, ce n’est que pour l’amour des motifs de mamie. Matt sait tout ça et il ne la ménage en rien au moment de faire le deuil du faux-vin, épreuve qui leur sera aussi difficile à surmonter pour l’un que pour l’autre.

Parce qu’elle est sa femme et que c’est une habitude qu’elle a prise sans jamais ne chercher à le faire, la moue de Lily devient le parfait miroir de celle de son mari. L’effet dramatique de la situation (qui n’est pas si dramatique que ça mais qui l’est quand même beaucoup pour eux) n’en est que accentué. « Comment on va faire? » Pendant un instant, l’idée de sacrifier Flocon et Neige lui traverse l’esprit mais elle revient sur Terre bien assez rapidement : personne n’en aura rien à faire des deux chats qui préfèrent Matt s’il est question de les approvisionner en faux vin. Le pire dans l’histoire c’est qu’il n’est pas si bon que ça, mais au moins il faisait illusion et permettait de ne pas trop s’attarder sur le sujet du bébé/non-bébé. « Okay, on va trouver. Sors tout ce que tu peux du frigo, j'fais pareil avec les placards. » Reprenant peu à peu ses esprits, elle hoche vigoureusement de la tête.

Elle prend son rôle autant au sérieux que possible, sortant tout ce qui semble utile de près ou de loin (et surtout de loin). C’est donc avec toute la logique dont elle puisse faire preuve qu’elle sort en premier lieu le pot de moutarde, suivi de fromage blanc, de confiture de fraise et d’oeufs. Tout en trichant un peu, elle tend son bras pour attraper le pot de miel et les fines herbes, sans que cela n’arrange quoi que ce soit à la situation. Alors que Matt continue de fouiller de son côté, elle en profite pour y ajouter leurs dernières livraisons de box et en premier lieu celle de bonbons puis celle de smoothies et enfin celle de bonbons. « Atteeend Matt tu sais ce qu’on peut faire ? On peut faire un sandwich à la moutarde et au miel et je te jure que c’est bon et que c’est pas une de mes inventions cette fois. » Okay, ce n’était pas du tout le but de l’opération mais elle n’a pas une âme de mixologue au fond de son âme et n’imagine pas réellement quoi faire de tout cela. Au contraire elle prévoit déjà mille repas dans son esprit, du plus au moins excentrique, avec plus ou moins de bonbons au milieu de plats supposés être salés. Elle est peut être enceinte mais à aucun moment cela ne sous entendait aussi de devenir une adulte. « On fait une journée pique nique ? Pique nique balcon, tu vois. Tu fais les boissons et je fais la nourriture et … oh non Flocon me regarde pas comme ça, je sais que c’est trois heures mais ça veut rien dire çaaa. » Le temps qu’ils préparent à manger et qu’ils parlent et qu’ils se lancent la nourriture et qu’ils en oublient ce qu’ils étaient en train de faire alors c’est certain qu’ils seront prêts quelques minutes à peine avant que Zorro-Dragon ne pointe le bout de son nez. « Si tu dis que tu fais tes préparations avec une pincée d’amour ça ne te rapporte aucune point bonus par contre. Au - cun. » Elle affirme sans aucune crédibilité et sans même n’avoir précisé à aucune moment que tout ceci allait être un concours. Bien sûr que c’en est un, ils en font pour tout et surtout pour rien. Les époux savent d’autant plus que dans cette maison personne ne rigole avec la nourriture, encore moins avec le vin.

Et elle part et elle vole et elle s'envole Lily, elle s'investit de mille missions quand j'essaie encore d'en clarifier une et une seule dans ma tête vu le drame dans lequel on vient de sombrer - oui, drame, pour du vin, du faux, oui oui. « Atteeend Matt tu sais ce qu’on peut faire ? On peut faire un sandwich à la moutarde et au miel et je te jure que c’est bon et que c’est pas une de mes inventions cette fois. » « Okay okay okay et je fais un cocktail pour aller avec okaaaaaay. » et en un claquement de doigt, la crise de larmes (presque), les tremblements avec la silhouette recroquevillée au sol (ish) et l'éternelle panique sont tous calmés direct. On a un plan, et il va goûter bon.

« On fait une journée pique nique ? Pique nique balcon, tu vois. Tu fais les boissons et je fais la nourriture et … oh non Flocon me regarde pas comme ça, je sais que c’est trois heures mais ça veut rien dire çaaa. » « T'as dit le mot en T Lily, tu l'as dit. » elle butine dans la cuisine et moi j'ai tout arrêté pour la fixer, Flocon fait pareil et Neige cesse de ronronner, ça veut tout dire. « C'est pas moi qui vais leur annoncer la nouvelle. » qu'on a dû couper les saumons avec de vulgaires croquettes au poulet/carotte, et que ce sera le début de la fin parce que jamais ils nous pardonneront quand on devra remplir leurs bols à nouveau. « Vas-y, gère tes propres problèmes, you're on your own. » mes paumes se lèvent à hauteur de mes yeux, ma tête qui se secoue de gauche à droite et mon expression est fermée, intransigeante. Genre pendant une bonne, longue seconde. « Non, oublie, je m'en occupe, je gère, fais nos sandwichs s'il-te-plaît, je fais le reste. » une seconde et déjà je reprends le rôle du père aimant mais surtout qui apporte et assume les mauvaises nouvelles. J'pense que vu que je suis leur préféré ça va passer mieux en plus - sinon, j'achèterai un autre arbre à chats et j'y laisserai mes t-shirts partout cachés dedans, ça aidera.

Carnage évité et chats nourris : la vie peut reprendre son cours presque sans heurts. « Si tu dis que tu fais tes préparations avec une pincée d’amour ça ne te rapporte aucune point bonus par contre. Au - cun. » je passe derrière elle, égare un baiser et cinq autres sur sa nuque et la brève partie de ses épaules qui est dénudée, finis par attraper une salve d'ingrédients pour m'installer, mixologue et idiot, à même le sol. Y'a des bouteilles de jus de fruits partout, des infusions de fines herbes, j'ai fait différents sucres de différentes couleurs et là j'en suis à choisir les plus beaux verres pour tout verser. « Je fais avec une pincée de sucre. » le geste se joint à la parole, quand j'en enrobe les rebords. « Et une pincée de sel. » ça aussi, ça sert autant au mélange qu'à la décoration. « Eeeeeet une pincée d'a-aaaa-a-aaaaaa-aaa-aaa (...) d'ananas ouais j'avoue j'aurais pu faire mieux. » l'immense fruit qu'elle m'a vu trancher y'a 5 minutes même pas, en mettre partout sur la plancher et les éclats d'écorces qui colleront le plancher pendant mille ans après c'est sûr.

« C'est comme des pina colada en vrai. C'est comme Cuba. » on a fini par s'installer avec mes cocktails façon Cuba et ses sandwichs façon improvisés sur le balcon. On est bien là, à l'air, on est bien et on oublie qu'on est confinés ici depuis plus longtemps qu'on était colocs, avant. « Quand on pourra sortir du pays, t'aimerais qu'on aille en Californie? » l'idée semble venir de nulle part, mais pas vraiment quand on y additionne les vagues et les vignobles. Ce qui sort de nulle part par contre, c'est le jeu que je tente d'en faire, la seconde d'après. « En vrai on pourrait faire la liste des pays qui commencent par C et tous les visiter. C'est un jeu cool, mais c'est un jeu con aussi. » see what he did there?  

La moutarde a dérivée de partout sur le plan de travail et le miel avec, les bouts de poulets émincés restant désormais parfaitement collés avec les meubles en tout genre. Chacun prend son rôle bien plus au sérieux qu’il ne le devrait, preuve en est qu’ils ne trouvent (presque) plus le temps de balancer des blagues. Le laps de temps entre chacune d’elles passe finalement de deux secondes à deux minutes et ça sonne comme une vie à leurs yeux. Lily sourit parce qu’il a l’air d’un enfant qui vient de retrouver ses anciens jouets et par conséquent s’en amuse comme au premier jour. Il est à même le sol et il ne s’en plaint pas, il joue, il passe à droite et à gauche et il ramène bien trop d’aliments ensemble pour créer un tout qui finalement fait du sens. La brune en profite pour nourrir les chats au poulet et tenter de secrètement remonter dans leur estime. Il y ajoute toutes les pincées du monde, elle sourit et en rigole, comme d’habitude, on ne devrait même plus avoir besoin de le préciser maintenant. Ses mains collent, elle grimace au moment de lécher la moutarde trop forte restée collée au bout de ses doigts.


« C'est comme des pina colada en vrai. C'est comme Cuba. » L’épaule de Matt est depuis longtemps devenue le coussin le plus moelleux de tout l’univers, la sauce de son sandwich tombe goutte par goutte sur sa chemise et si jamais il a des doutes elle lui affirmera dans la seconde que c’est son sandwich à lui qui goutte de cette manière là. Elle les a coupés en triangle comme dans les cafés cools de la ville, ils sont petits et en deux bouchés ils ont tout mangé et ils sont finalement aussi épais que longs et ça ne fait aucun sens n’empêche que ça reste cool. Il leur rappelle Cuba, elle leur rappelle tout sauf l’isolement. « C'est mieux que Cuba. » Son baiser sur sa joue l’affirme, celui là même qui sent la moutarde et qui colle le miel.

Et là, juste là, elle arrête de nourrir Flocon d’une main derrière son dos et de jouer avec les boutons de sa chemise de l’autre. « Quand on pourra sortir du pays, t'aimerais qu'on aille en Californie? » Son corps tout entier se redresse et ses yeux avec, ses deux mains finalement occupées à triturer sa chemise qui n’avait de toute façon rien de repassée. « C’est pour vrai ou c’est une blague ? » Elle est une enfant à qui on vient de proposer un séjour à Disney World mais qui se souvient encore trop bien de toutes les bêtises qu’elle a faite pour ne pas le mériter. « Est ce que je peux aller chercher les meilleurs spots pour le surf là maintenant tout de suite ou est ce que là maintenant tout de suite je vais commencer un plaidoyer pour qu’on parte vraiment en Californie ? » Sa hâte se cache à peine entre sa voix haut perchée et ses lèvres qu’elle emprisonne entre ses dents pour se forcer à ne pas lui poser mille questions à l’instant. Elle n’avait jamais quitté le pays avant Cuba et rien ne lui ferait plus plaisir au monde que de partir de nouveau avec lui pour une destination telle que la Californie. Tout serait parfait en tout point de vue - sauf Lily, parce qu’elle elle serait réellement insupportable.

« En vrai on pourrait faire la liste des pays qui commencent par C et tous les visiter. C'est un jeu cool, mais c'est un jeu con aussi. » Son sourire s’agrandit, ses dents brillent presque sous le soleil étouffant de la ville. « Le Christ du Corcovado ça compte comme un pays ? Parce que ça serait vraiment cool à voir, quand même. » Elle rêve, elle divague, elle s’imagine en Costa Rica, au Canada, en Chine, au Kenya parce que même si ça ne commence pas par un C ça sonne comme tel, elle s’imagine en Corée du Sud parce que la nourriture doit être trop cool. Elle s’imagine partout et nulle part, elle qui n’avait jamais rêvé d’un ailleurs mais pour qui tout semble si évident désormais. « Tu me promets que tu dis pas ça parce que t’as oublié de ne pas mettre d’alcool dans les Pina Colada et que t’as commencé à boire avant moi, hein ? » Un bébé grandit peut être dans son ventre ; peut être pas. Le mystère demeure et leur vie continue. Sans même avoir la réponse à sa question elle a l’impression que le pire est passé et que maintenant qu’elle a commencé à réellement s’ouvrir à lui alors rien ne l’empêche de continuer. Mais plus tard. « Je t’aime. Je sais que je te l’ai déjà dit mille fois aujourd’hui mais t’as jamais posé de limite donc c’est ta faute. » Comme si il allait réellement lui en vouloir. Ses doigts qui collent se nichent au niveau de ses joues alors qu’elle l’embrasse tendrement, une seconde avant que son attention ne dérive ailleurs en même temps qu’une main dans ses cheveux. « Par contre va vraiment falloir couper tout ça, on a déjà dit que le style hippie aux cheveux longs ça n’est pas pour toi. » Elle s’improvisera coiffeuse pendant leur confinement, pour le meilleur et pour le pire.

« C’est pour vrai ou c’est une blague ? »
« C’est pour vrai tu penses quoi que j'ai pas de coeur?! »

Et ça serait pas de coeur autant pour elle que pour moi. Parce que la Californie me tente tellement, parce que le surf y est trop cool, parce qu'on va se louer une voiture pour conduire le long de la côte, parce qu'il y a des vignobles à perte de vue, parce que dans les films la côte ouest est toujours cool et parce que je veux y aller, voilà, c'est bon, c'est décidé, et encore plus avec elle, ça va de soit, vous l'aviez compris bien avant moi. « Est ce que je peux aller chercher les meilleurs spots pour le surf là maintenant tout de suite ou est ce que là maintenant tout de suite je vais commencer un plaidoyer pour qu’on parte vraiment en Californie ? » elle parle et elle s'enflamme Lily, et elle est tellement belle à chaque fois qu'elle saute dans mes plans de merde en leur trouvant mille et unes qualités, mille et unes alternatives à tester. « Est-ce que je peux t'embrasser là tout de suite, après tu feras ce que tu veux mais là ça urge vraiment Lily c'est sérieux il le faut c'est une question de vie ou de mort. » c'est bas et c'est fourbe, et j'attends pas qu'elle réponde quand ma paume vient se lover contre sa joue et que je lui vole un baiser puis trois autres. Elle négocie jamais, elle râle pas plus. Elle négocie et elle râle oui, mais juste pour le choix des fruits en garniture sur nos smoothies du matin aux mille couleurs, ou pour les joggings de pyjama que je portais mais qu'elle voulait parce qu'ils sont plus confos mais y'en a des propres dans sur la corde à sécher Lily ouais mais c'est ceux que tu portes que-je-veux. Bref, je l'embrasse, elle est parfaite, c'est lassant de le dire autant mais je m'en lasserai jamais.

« Le Christ du Corcovado ça compte comme un pays ? Parce que ça serait vraiment cool à voir, quand même. » « En vrai on peut mettre un C devant tout ce que tu veux tant que t'amènes ces sandwichs-là illégalement dans nos bagages. » c'est pas poli de parler la bouche pleine pourtant c'est pas ce qui m'empêche de le faire, y additionnant le plus grand sourire aux gencives tachées de bouffe que j'ai en banque. C'est dégoûtant mais c'est l'appréciation de son repas improvisé et d'un pique-nique qui en deviendra une tradition parce qu'on a pas aménagé quatorze fois de quatorze angles différents le balcon pour le laisser sécher seul dans son coin. « Tu me promets que tu dis pas ça parce que t’as oublié de ne pas mettre d’alcool dans les Pina Colada et que t’as commencé à boire avant moi, hein ? » on attend peut-être un bébé. On attend peut-être un gamin et pourtant on trouve le moyen de relativiser, de dire de la merde au carré, d'inventer des scénarios pour trafiquer tous les faux-alcools du monde et de planifier des voyages qu'on va faire partout autour du monde à travers. On la gère plutôt bien finalement, l'anxiété de p't'être être parents. « Promis, juré, je crache pas par contre - les sandwichs blablabla. » sandwichs que j'exhibe sous ses yeux, sa plus grande réussite avant la prochaine.

Je m'inquiète pas, tout ce qu'elle touche lui réussi anyways à ma femme. « Je t’aime. Je sais que je te l’ai déjà dit mille fois aujourd’hui mais t’as jamais posé de limite donc c’est ta faute. » j'hoche de la tête, affligé, le plus faussement du monde, avant d'y ajouter de la voix la plus sérieuse que j'ai en banque pour la forme. « Tu dis ça maintenant mais quand on ira sur la Constellation de Zorro-Dragon tu vas me l'avoir dit 1002 fois dans la journée et là tu vas te sentir petite. » mon index et mon pouce qui lui montrent, le petit du petit, le rire qui vient avec et le baiser qui se perd à nouveau sur ses lèvres. C'est con de l'aimer autant, c'est con mais je fais absolument rien pour que ça arrête non plus. « Par contre va vraiment falloir couper tout ça, on a déjà dit que le style hippie aux cheveux longs ça n’est pas pour toi. » elle tire mes mèches et elle casse le moment, la serpillère sur ma tête que j'avais vraiment, vraiment commencé à endurer au point de presque l'aimer. Presque. « Oh boy. »

***

« Oh boy. » ça fait écho, quand je suis posé directement dans la baignoire vide, assis en tailleur, un drap par-dessus mes épaules et le bruit du rasoir électrique qui emplit la pièce. Les chats sont planqués Dieu sait où à avoir peur d'être les prochains sur la to-do list de Lily la pseudo coiffeuse, et j'ai depuis longtemps abandonné l'idée que mes oreilles en sortent indemnes.

J'inspire, bruyamment, mes épaules se relèvent et mes yeux se ferment fort. C'est quand elle est prête, parce que moi, je le serai sûrement jamais.

Il a l’air d’un enfant, sagement assis dans la baignoire à triturer tous les gels et shampoings parce que c’est Matt et parce qu’il s’ennuie déjà d’être dans un environnement trop stérile à son goût dans lequel il ne peut pas refaire le monde. Elle s’en amuse et elle ne le lui fera pas remarquer, trop occupée à être faussement sérieuse et à cacher son immense sourire en le cachant entre ses lèvres qu’elle mord de ses dents. « Oh boy. » Il perd sa tête entre ses épaules et elle l’imagine déjà avoir fermé ses yeux et être entré en apnée, comme si elle s’apprêtait à tester une toute nouvelle méthode de torture moderne. “Mais Mattt promis j’ai déjà fait ça. Une fois ou deux. Je crois.” Elle réfléchit entre chaque phrase, de moins en moins certaine de ses affirmations à chaque seconde qui passe, les détails de sa vie devenant toujours un peu plus flous à chaque fois. Ou peut être qu’elle a seulement rêvé qu’elle était en train de le faire mais dans ce cas là il faut souligner que le rêve était quand même très réaliste.

Elle finit par enlencher la tondeuse, bien plus amusée par la situation qu’autre chose alors qu’elle agit avec application. Application signifie indéniablement de devoir tirer la langue, signe ultime de concentration chez la trentenaire qui en paraît douze. “Je peux faire des dessins ? Genre je peux faire la constellation ? La la la je t’entends pas de toute façon le bruit est trop fort, je te fais çaaaa.” A son tour d’être une gamine et d’en profiter bien plus que de raison alors que finalement elle s’applique avec une précision sans pareille, seulement semblable à celle qu’elle doit utiliser au travail. Et il sait, Matt, à quel point elle ne rigole pas avec sa formation et son futur pour-de-vrai métier.

* * *

Le test trône dans son paquet sur la table du salon, ils n’attendent plus que les lignes se dessinent. Une ligne, ou deux. Recroquevillée sur le canapé, ses bras entourent Matt alors qu’elle a reposé sa tête contre son épaule. Il a essayé de la faire penser à autre chose, il a essayé de dire n’importe quoi, il a vraiment tout fait pour ne pas qu’elle passe littéralement dix minutes à fixer l’objet inanimé et c’est notamment pour ça qu’elle l’aime. Il savait qu’elle avait besoin de penser à autre chose et lui aussi, sûrement, sans aucun doute même. Ils ont tous deux expérimenté la grossesse à leur manière et cela ne les a pas laissé indemnes, aujourd’hui pourtant il est question d’un nous et cela change toute la donne.

Il a su la faire penser à autre chose pendant près de dix minutes mais maintenant que la fin du temps imparti approche, elle n’arrive plus à cacher son appréhension ni même à faire semblant de quoi que ce soit alors que c’est pourtant bien sa spécialité. Elle sait qu’il restera auprès d’elle quel que soit le résultat qu’affichera l’objet, il l’a promis et elle n’a aucun doute à ce sujet. Le traumatisme est bien plus profond, bien plus personnel. Il lui compresse la poitrine et la force à serrer son mari un peu plus près d’elle encore, pour pouvoir entendre son coeur à lui à défaut de pouvoir se concentrer sur son sien propre.

“Une ligne.” Les faits avant leur interprétation. Esprit scientifique oblige. “Je suis pas enceinte.” Elle respire par automatisme seulement, fixe le test une seconde de plus dans l’espoir naïf d’y voir apparaître une seconde ligne. Rien ne venant, elle relâche finalement l’objet sans plus de délicatesse avant de se reposer contre Matt, plus serrée à lui que jamais. Sa tête ne se déloge plus du creux de son épaule, ses mains ont décidé de triturer le pans de son tee-shirt jusqu’à ce que mort s’en suive. La brune prend une dernière inspiration avant d’en venir à la seconde conclusion qui lui vient à l’esprit, celle qui démange et ramine les vieux démons. “Je crois que je voulais vraiment être enceinte.” L’impression d’avoir de nouveau échoué lui noue l’estomac, quand bien même ils n’essayaiant pas d’avoir un enfant. Elle était la plus heureuse du monde, pourtant, à se comporter comme une femme enceinte pendant quelques semaines à peine. Et Matt était le meilleur (faux) futur père qui soit, même en lui faisant part de ses doutes de manière inopinée et hâtive. Il aurait été parfait, en père. “Ça veut dire que je peux continuer à vider la réserve de vin du DBD, même pas déso.” Elle improvise un rire de gamine, trouvant finalement quelque chose à quoi se raccrocher.

Mes cheveux vont repousser un jour et c'est tout à son honneur. En vrai pendant un moment j'ai presque eu envie de garder la coupe de façon ironique, mais elle aurait tellement ragé que j'insiste sur l'ironique de la chose à chaque fois qu'on me posait la question que j'ai tenté de trouver des tas de tutoriaux en ligne qui montraient d'autres petites amies - femmes - qui coupaient à la ramasse les cheveux de leur copain - mari. On aurait dû la filmer faire en vrai, elle est tellement belle et je suis tellement con, on aurait eu des dizaines de milliers de vues on s'rait sûrement même devenus viraux.

“Une ligne.” « Et on peut même pas choisir la couleur ils l'imposent c'est con. » mon bras se resserre autour d'elle, mes lèvres se perdent dans ses beaux et pas ironiques de cheveux, à elle. J'ai l'éternel rôle de l'idiot de service et je le tiendrai aussi longtemps qu'il le faudra, qu'elle le voudra, prêt à le troquer pour celui du gars qui fera tout pour qu'elle aille bien, pour qu'elle ne s'en veuille pas, pour qu'elle en parle si elle veut ou qu'elle l'oublie si c'est pas le cas.

“Je suis pas enceinte.” « Et je suis pas enceinte non plus, t'as vu, on est encore pareils. » y'en a des dizaines de milliers des baisers, de ses mèches ils finissent à sa tempe là, recommencent à sa joue, son nez, tout y passe. Matt l'envahissant qui s'assure qu'elle respire, pas aussi naturellement que je l'aurais voulu mais au moins elle inspire profondément, mon souffle guide le sien entre temps.

“Je crois que je voulais vraiment être enceinte.” « Je t'aime. » j'ai aucune connerie à dire pour ça, et encore une fois je trouve rien de mieux que d'être honnête. Si elle ne l'est pas maintenant elle le sera à un autre moment, si elle le voulait elle le voudra encore et c'est que le début ça, c'est juste le début, un début qui s'est précipité par moment et un début qui nous a essoufflés certainement - mais un début. On a tout notre temps.

“Ça veut dire que je peux continuer à vider la réserve de vin du DBD, même pas déso.” elle essaie de rire et son rire justement, il me brise le coeur. Mais je montre rien parce que c'est mon tour là, c'est mon tour et c'est moi qui la rapproche, et c'est moi qui l'embrasse, et c'est moi qui occupe toute la place et tout son air pour l'empêcher une seconde juste une seconde de ressasser. « Si Swann et Ariane ont pas tout bu. » tiens, la meilleure distraction du monde. La famille qui vide les stocks en bas, qu'on rage à deux pour ça.

Il parle et il la rassure, il ne s’arrête pas et même si elle en écoute la moitié ils savent tous les deux que là n’est pas le plus important. Il occupe l’espace, il occupe son esprit, c’est tout ce qui compte. Ses baisers lui font du bien, sentir son parfum de confinement la rassure encore plus. Il est là une seconde plus tard, il l’est toujours la minute qui suit. Il est là et il le reste, il ne compte pas partir et au delà de son envie d’avoir un enfant, Matt reste sa priorité. Elle ne veut pas le perdre maintenant, ni jamais si vous lui demandez.

« Je t'aime. » Ses yeux remontent vers lui alors qu’elle lui rend un de ses milliers de baisers en posent ses lèvres sur sa mâchoire. Il lui dit ces mots à chaque jour qui passe, pourtant elle a toujours l’impression que c’est la première fois. Pour une raison ou pour une autre, à chaque fois qu’il lui annonce elle ne peut s’empêcher de le regarder de ses yeux de chien battu bien trop amoureux. Il l’aime, elle l’aime. C’est okay. Un enfant pourra toujours s’ajouter plus tard. Elle n’a jamais perdu celui là, il n’existait que dans son esprit. C’est pas si pire.

Lily se résout enfin à lâcher son tee-shirt pour venir passer un bras derrière lui et le raccrocher à son autre main, elle qui soit se tendre au maximum pour arriver à l’entourer sans l’étouffer. « Si Swann et Ariane ont pas tout bu. » “Si c’est le cas il faudra mener une vendetta.” Rien n’est parfait encore mais un jour tout sera réellement simple et limpide. Un jour elle promet de lui offrir un long fleuve tranquille, un mariage sans problèmes et une famille parfaite. Une famille tout court, déjà. Un jour elle promet qu’elle y arrivera mais pour le moment encore elle adopte la technique du paresseux accroché à sa branche, laquelle n’est pas si pire quand on y repense.