Tout effacer pour tout recommencer, c’était le mot d’ordre. Daniel devait tirer un trait sur beaucoup de choses et repartir à zéro, histoire que rien ne nuise à sa relation avec Nathan. Il n’avait plus envie de se morfondre dans son coin alors qu’il pouvait simplement passer du bon temps en compagnie de son ami. Il n’avait plus envie de mettre cette amitié en danger, de jouer avec le feu ou même d’être aussi présomptueux. Et puis il savait encaisser les coups durs, il avait toujours été ainsi et ça ne lui avait jamais posé de problème. Cet accident était certes une dure épreuve, mais il saurait la surmonter tant qu’il continuait de positiver. Est-ce qu’il avait seulement envie de se laisser sombrer ainsi ? Non, pas le moins du monde, surtout lorsqu’il savait qu’il avait de l’ambition pour son avenir, qu’il rêvait de découvrir d’autres choses, vivre des expériences inédites. En somme, il avait beaucoup à apprendre du monde, et il ne comptait pas s’arrêter en si bon chemin. Il y avait seulement quelques petits éléments qui venaient lui mettre des bâtons dans les roues, rien de bien méchant tant qu’il passait au-delà de ça et qu’il persévérait. Il voulait pour l’instant redevenir le garçon que Nathan connaissait, et il n’eut pas de difficulté à reprendre le fil. Une pointe d’humour, quelques sourires, et le tour était joué. Ils allaient passer une bonne journée ici et il devait y croire jusqu’au bout. A la recherche d’un endroit où s’arrêter pour se détendre un peu, l’anglais fit quelques propositions. Danny hocha brièvement la tête. « Tir à la carabine, ça me va. Par contre je te préviens, tu disais me mettre une raclée, mais ne vends pas la peau de l’ours avant de l’avoir tué. Je suis très bon tireur. » Il lui adressa un clin d’œil et commença à observer les alentours, à la recherche d’un stand correspondant à ce qu’ils voulaient faire.
A la question de Nathan, Daniel perdit immédiatement son sourire et se mit à regarder droit devant lui. S’il avait pu, il l’aurait fait sans hésitation. Seulement, il avait des parents qui s’inquiétaient, et qui ne voulaient pas le voir forcer inutilement tant qu’ils n’étaient pas certains qu’il serait capable de se remettre debout. L’américain se racla la gorge. « Je peux, mais c’est… beaucoup trop douloureux. Et à peine trois pas et je suis fatigué, alors… » il haussa les épaules et afficha un sourire triste, « … faut croire que ce ne sera pas pour tout de suite. » De plus, il peinait encore à ne serait-ce que se pencher en avant ou même bouger l’un de ses pieds. Il sentait sa colonne se compresser, comme si tout le poids du monde retombait sur sa tête et l’enfonçait dans le sol. Il savait que ce n’était qu’une question de temps, mais il finirait bien par y arriver une bonne fois pour toute, quitte à commencer avec des béquilles pendant quelques mois, il saurait s’en accommoder, plus qu’un fauteuil roulant en tout cas. « Ah, regarde ! » Il pointa un stand du regard, afin de rapidement changer de conversation et s’y dirigea. Il n’y avait pas grand monde, ils auraient donc la liberté de se défouler. A ce moment-là, Bruce et Annie refirent leur apparition, main dans la main. Daniel aimait les voir comme ça, la complicité qu’ils partageaient était la plus belle qu’il n’avait jamais vue. « Bon les jeunes, quelle est la suite du programme ? » demanda le père en donnant une tape sur l’épaule de son fils. « Mettre une raclée à ce garçon qui pense me détrôner en tant que tireur d’élite confirmé. » Bruce ricana et sortit un billet de sa poche pour le tendre au forain. « Je veux voir ça ! » Daniel prit l’une des carabines entre ses mains et tourna la tête vers Nathan, lui adressant un regard de défi. « J’espère que t’es prêt, tu ne vas pas avoir le temps de souffler que tu seras déjà vaincu. »
D'un commun accord, ce sera donc le tire à la carabine que nous feront ce soir. Je rigole doucement lorsque Daniel me rappelle ce que tu lui ais dit avant. Je lui ai promis que je lui mettrais une raclée mais il ne veut pas me croire car il me dit que lui-même se débrouille très bien. Je le défie du regard «Challenge accepted » souriais-je en lui tendant la main « Celui qui perd payeras une bière à l'autre » je conclus notre deal en serrant sa main avant de pousser sur mes roues.
En route, je lui demande pourquoi il reste en fauteuil roulant étant donné que je l'ai déjà vu marché. Et effectivement, j'avais raison en pensant que c'est encore trop fatiguant. J'hoche doucement la tête et pince un peu les lèvres lorsqu'il me dit qu'en plus il a encore trop mal. Au dos, surement? Ou au genou? Peut-être à la cheville? Ou aux trois en même temps? J'hausse un peu les épaules « Ouais, je comprends. En tout cas faux pas te surestimer et encore moins vouloir griller les étapes. Tu pourras remarcher bien assez tôt » je lui offre un petit sourire quelque peu triste avant de reporter mon attention sur le chemin. Je suis heureux pour lui et je ne veux pas accepter le fait que, dans le fond, je le jalouse un peu. Beaucoup. Bref.
Il désigne un stand de tire et, alors que nous nous en approchons, Bruce et Annie reviennent vers nous, main dans la main. Je leur souris et les salue à nouveau avant de lancer un coup d'oeil ennuyer à mon ami lorsqu'il dit à son père qu'il veut mettre une râcler. Je roule des yeux et soupire théâtralement en secouant la tête « Faut pas l'écouter Bruce, la morphine lui monte encore à la tête » je fais un clin d'oeil puis attrape la carabine que l'homme me tend. Je désigne Daniel d'un coup de tête « Honneur aux dâmes » déclairais-je innocement avec un large sourire.Je pose la carabine sur mes genoux et observe Daniel se mettre en place. Peu m'importe s'il me bat ou non, je m'en fout.
Ce petit défi à relever lui changea brièvement les idées. Il préférait voir ses parents sourire, ne pas s’inquiéter. C’était la meilleure chose à faire, et puis, il avait si longtemps encaissé les coups durs qu’il était sûrement capable de continuer sur cette voie. Ce n’était qu’une passe, il finirait par s’en sortir et se souviendrait de ces moments difficiles avec un certain recul. Nathan et lui devaient continuer d’entretenir cette belle relation sans accrochage, et avec ce petit instant de tension, qui avait dit que ça ne pouvait pas les rendre plus fort ? En tout cas, Daniel voulait y croire, et songer qu’ils pouvaient récupérer cette complicité d’antan était sa motivation première. Provocation sur provocation, les deux garçons s’apprêtaient à se défier mutuellement au tir à la carabine. Non sans avec une certaine assurance, Danny lui fit comprendre qu’il était sûr de remporter la victoire. L’anglais ne semblait pas convaincu, et lorsqu’il laissa commencer, l’américain haussa les sourcils. « Ok, prépare-toi à en prendre plein les yeux. » dit-il en levant la carabine. Il sentait son père l’observer dans son dos, et un sourire se dessinait d’ailleurs sur ses lèvres. « Mais on dirait qu’il tremble… » marmonna Bruce en se penchant légèrement vers son fils. Daniel afficha un sourire sans lâcher sa cible des yeux. « Si je me loupe, ce sera de ta faute papa. » « J’espère bien ! » répondit l’homme du tac au tac avant de reculer et d’observer la scène avec amusement.
Ce fut un désastre. Daniel ne put s’annoncer vainqueur pour le coup, et tourna lentement la tête vers Nathan en plissant les yeux. Il avait été un peu trop présomptueux sur le coup, et il s’en sortait avec une belle humiliation. Bruce frappa dans ses mains derrière eux en affichant une moue impressionnée pour être au comble de l’ironie. « Bravo fiston, ça, c’est du tireur d’élite. » Danny se retourna lentement vers son père et lui adressa une grimace avant de reposer la carabine sur le comptoir. Il se tourna vers Nathan et haussa les épaules. « Bon j’avoue, tu m’as bien eu. Je te paierais une bière comme promis. Mais ne monte pas sur tes grands chevaux, je t’ai à l’œil ! » Il sourit et commença à s’éloigner légèrement du stand pour laisser la place aux autres personnes souhaitant tenter leur chance. « Bon les garçons, je ne sais pas vous, mais je commence à avoir faim… est-ce que vous voulez manger ici ou on va en ville ? » Danny haussa les épaules. Il ne savait pas vraiment quoi faire pour l’instant, il se tourna vers l’anglais et lui adressa un léger sourire. « Tu veux rester avec nous pour manger ? » demanda-t-il d’une petite voix.
Le défis fut lancer. Le résultat fut catastrophique. Daniel a, encore une fois, eu la grosse gueule. Bon, après tout, c'est peut-être son père qui l'a déconcentré, mais on s'en fout. Tout ce que je sais c'est que plus il rate ses tirs, plus je gagne en assurance. Ça me laisse au moins 3 chances d'être meilleur que lui. Même si je ne touche qu'une seule cible, ce sera déjà plus que ce que Daniel aura touché. J'attrape donc la carabine qu'il me tend, avec un large sourire de vainceur et hoche démonstrativement la tête.
« Merci mon chou» souriais-je en me mettant en place. J'entends Bruce se moquer gentiment de mon ami mais me concentre assez rapidement. Je me penche en avant, prends plusieurs profondes inspirations puis appui sur la détente. La première bille passe gentiment à côté de la cible et je rage intérieurement mais ne montre rien. Je me concentre pour la suite, qui est, elle, bien plus concluante. Mes deux derniers tirs touchent la cible. Et je gagne une peluche t-rex. Je remercie l'homme avec un large sourire en attrapant le dinosaure que je cale entre ma cuisse droite et mon accoudoir avant de rouler fierement vers Daniel et ses parents.
« T'as observé et appris, au moins, de ton maître?» demandais-je sur un ton assuré et hautain. Je rigole doucement puis attrape le dino et le tend à Daniel « tien, pour toi. Histoire que tu saches à quel point tu t'es fait humilier » je me penche vers lui et le regarde fixement avant de relever le regard vers Bruce qui veut savoir si on mange ici ou en ville.
Daniel me demande ensuite si je veux manger avec eux ou pas.Je regarde autour de moi et secoue la tête finalement « Non, c'est bon. Je vais rester encore ici »déclarais-je finalement.Anni et son mari s'échangent un coup d'oeil avant que ce dernier ne reprenne la parole « Tu es sûr?» demanda-t-il « Non mais parce que ça ne nous dérange pas, tu sais j'hoche doucement la tête « Je sais Bruce.» répondais-je avec un doux sourire « Mais non, allez en ville puis rentrez » je désigne Daniel d'un coup de tête « Après cette défaite l'autre là à besoin de s'en remettre » je lui offre un large sourire. Dans le fond, ce n'est même pas faux. Daniel a réellement besoin de repos. Une telle journée avec de telle émotions ça peut en exténuer plus d'un. «On peut au moins te ramener chez toi? » je secoue la tête « Non, c'est bon, ne vous en faites pas. Je vais rejoindre ma cousine et tout ira bien » je regarde Bruce et hoche la tête pour appuyer mes propos « vraiment » déclairais-je finalement.
L'homme regarde sa femme puis son fils puis soupire doucement et hausse les épaules « Comme tu le sens » me répondait-il avant de poser une main sur mon épaule « Bonne journée encore » me sourit-il. Annie en fait de même mais se penche vers moi pour me prendre dans ses bras. Avec un doux sourire et en fermant furtivement les yeux, je répond à son étreinte et profite un peu de la proximité de la mère de famille. C'est dans ce moments là que la mienne me manque. Cruellement. Je la relâche lorsqu'elle se redresse «Merci Nathan. Et bonne journée »elle se détourne et attrape la main de son mari pour partir en direction du parking. Je les suis du regard, grimace discrètement, me sentant d'un coup totalement vide avant de sourire et faire comme si de rien n'étais lorsque Daniel roule vers moi « On se revoit samedi, ok? Je commence mon stage chez ABC radio demain donc je n'aurais plus trop de temps. Mais samedi je passe, okay?»
Effectivement, Daniel était exténué. Après toutes ces émotions, ces sautes d’humeur et le fait qu’il soit enfin sortit de chez lui après toutes ces semaines, il sentait déjà la fatigue le gagner. Certes il commençait à avoir faim, mais il avait surtout hâte de retourner dans son appartement pour se reposer. Qui plus est, la foule commençait à l’oppresser et il se serait bien retrouvé un peu seul. Il en avait besoin ces derniers temps, juste un peu de calme, la solitude n’était pas si terrible que ça quand on y pense, et ce n’était pas constamment un mal. Ses parents avaient très bien compris que leur fils n’était pas friand des longues discussions en ce moment, et ils le laissaient tranquille lorsque le besoin s’en faisait ressentir. Pour ça, Danny leur en était extrêmement reconnaissant, ils n’avaient pas essayé de sortir leur enfant de sa bulle et le laissait aller à son rythme, que ce soit long ou non. La famille proposa à Nathan de manger en leur compagnie, mais ce dernier refusa, il voulait rester encore un peu ici. Bruce et Annie tentèrent d’insister un peu, mais leurs efforts furent vains. Daniel observait la scène en silence, enfin disons qu’il avait plutôt les yeux rivés sur son ami. Il n’avait pas envie de le quitter tout de suite, il voulait rester encore un peu avec lui. Ce qu’il aurait aimé par-dessus était sûrement de rester avec lui seul à seul, quitte à ne pas parler, juste apprécier sa présence. Mais Nathan avait d’autres projets, ce que l’américain pouvait tout à fait concevoir. Il afficha un léger sourire alors que ses parents saluaient l’anglais. Sa mère le serra même dans ses bras. Non sans savoir pourquoi, le fait de rentrer sans Nathan le rendit morose. Il baissa les yeux un instant tandis que ses parents échangèrent quelques dernières paroles avec son ami, puis ils s’éloignèrent tous les deux en direction du parking.
Daniel resta un moment immobile à observer son ami, puis poussa un léger soupir et s’approcha de lui. Il lui convia le prochain jour où il se reverrait. L’américain hocha doucement la tête et afficha un léger sourire. « Entendu. Tu me diras comment ça s’est passé. » Il passa à côté du garçon et s’arrêta à sa hauteur pour le regarder un instant. Bien qu’ils aient passé quelques minutes désagréables tout à l’heure, Daniel ne pouvait pas se voiler la face : il tenait trop à lui pour tenter de s’éloigner, ou même de changer ses habitudes. Il se racla la gorge et prit la main de Nathan dans la sienne. Là, il la porta à ses lèvres et y déposa un léger baiser. Sur ce geste, il lui adressa un doux sourire. « Merci encore Nathan, pour absolument tout. » Il le lâcha, et commença à s’éloigner. Une boule se serra dans sa gorge, son estomac se noua, il se sentait de nouveau mal. Les mauvaises pensées revenaient en puissance et se bousculaient dans son esprit dans un tumulte douloureux. Ses trois chiens le suivirent calmement, alors qu’ils se dirigeaient vers le parking, cette journée était terminée.
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