| never been the type to let someone see right through | willer |
| | (#)Ven 1 Mai 2020 - 23:50 | |
| Paris se réveille en même temps que la nuit tombe. Elle brille d'un éclat plus vif, terriblement plus vif. Dans les rues éclairées, on confondrait presque la journée et la nuit. Le froid est encore vif, malgré la chaleur du jour. L'air de la nuit est toujours très tranchant, pas encore assez doux pour que Saül ne quitte son pardessus. Le pas pressé, l'italien traverse une rue agitée. Ses yeux s'accrochent aux noms des avenues, alors qu'il guette à la fois l'environnement et l'écran de son téléphone.
Elle manque de panneaux, ta ville.
Saül n'a pas l'habitude de Paris. Il ne s'y est pas beaucoup rendu, ces dernières années. Ce voyage, c'est l'occasion de renouer avec l'Europe. De laisser entendre qu'ici, le terrain des affaires est fertile. Ce ne sont pas des vacances, pas vraiment. Sauf quand vient la nuit.
Et il fait froid.
Il n'est pas arrivé qu'il se plaint déjà que la nuit est trop mordante. L'italien pousse enfin la porte d'un bar, les doigts crispés sur le stylo qu'il a trop manipulé dans la même journée. La tranche de sa main droite porte encore l'ombre de l'encre, et sa tête bourdonne encore de chiffres, lorsqu'il s'enfonce dans le bâtiment. Le brouhaha ne lui permet pas de distinguer une voix connue, dont il cherche la propriétaire du regard. C'est au détour d'une galerie et d'une autre que Saül se retrouve dans les limbes de l'établissement. L'ambiance change. L'air aussi. La musique est plus tranquille.
Ses yeux ne la trouvent toujours pas elle. Elle doit être quelque part, c'est certain, à moins qu'elle se fiche de lui depuis le départ. A moins que son avion à elle ne se soit arrêté à Dubaï. Après tout il ne sait pas, Saül, lui qui a voyagé avec sa brochette de collaborateurs, lui qui n'a pas dormi depuis trop d'heures de suite et qui pose son regard un peu hagard partout dans l'assistance. Au fond de sa poche, le stylo cliquette, deux fois.
Lorsque le bleu de ses yeux rencontre le feu qu'il connaît trop bien, l'italien pousse un soupir. Agacé, bien sûr. Ses doigts relâchent le stylo, à mesure qu'il s'avance pour aller la rejoindre à table.
« Je te déteste. » Pour l'avoir fait attendre - alors que c'est elle qui l'attend depuis le début - pour l'avoir fait sortir de l'hôtel malgré le froid de la nuit, pour cet endroit sans fenêtres qui anime ses envies de partir en courant. Pour tout ça, pour tout autre chose. D'une main impatience, Saül desserre sa cravate d'homme pressé. « Ton vol était agréable, en classe économique ? », qu'il ricane déjà, accoudé à la table. D'un geste rapide, il attrape le verre de la jeune femme, le porte à son nez, grimace un coup. « J'ai l'impression d'être dans les catacombes. » Le. cauchemar. « Est-ce que tu as mangé ? Je te préviens, je ne mangerai plus jamais de sandwich. Mes vacances, mes lois. » Ce ne sont pas des vacances, pas des vacances du tout. Du travail. Elle profitera de son côté. Ils ne font que se retrouver, voyager côte à côte, pas pour les mêmes raisons. C'est tout. Elle n'aura pas sa peau cette fois-ci, Ariane. |
| | | | (#)Sam 2 Mai 2020 - 1:17 | |
| Le téléphone qui vibre sur la table de bois vernis et qui trouble l'ambiance la plus feutrée que j'ai connue depuis longtemps, c'est le mien. Et ça vibre, et j'en ai absolument rien à foutre en vrai, que ça dérange le monde entier. À peine que je daigne être rapide à intercepter un message puis un autre, le livre que je cale sur mes cuisses et le sourire de merdeuse que je renvoie à tous ceux autour qui sont venus ici pour boire un verre tranquille, pour s'imprégner de l'ambiance des 20's. Désolée, on m'a textée.
Mets tes lunettes, tu les verras mieux. Il y connait rien à Paris Saül, je l'imagine perdu dans les dédales des rues à dire que ouais ouais non non je connais cette ruelle-là, pour sûr qu'elle m'amènera au bon endroit j'ai le flair pour ça c'est pas un détour c'est un raccourci je suis pas perdu je cherche un chemin plus rapide c'est ça que je fais.
L'omega 3 fait des miracles pour les rhumatismes. Et il a froid le pauvre. Il a froid et je serais presque tentée de lui dire que je suis assez parfaite pour avoir anticipé qu'il râlerait de la météo comme il râle de tout. Qu'ainsi je nous ai posés direct dans les canapés capitonnés installés près de la cheminée en pierre des champs encastrée. Mais à la place je soupire sagement, le laisse mariner sa rage et sa future angine comme un grand garçon qui a tout vu tout vécu.
Dépêche, c'est encore plus pénible quand t'es pas là que quand t'es là imagine l'horreur. Tout vu, tout vécu, sauf ça apparemment. Parce qu'avec la tête de mec perdu et pathétiquement dépassé qu'il fait en entrant ici, c'est bien la première fois qu'on l'attend dans un speakeasy. Il se cherche et il bouille, je fais pas du tout le moindre effort pour lui signaler ma présence au fond du bar coin foyer tant et aussi longtemps qu'il m'aura remarquée. C'est bien plus marrant de le voir tourner d'un sens, de l'autre, souffler et s'essouffler encore, faire un vrai John Travolta perdu de lui. Enfin, après une longues poignée de minutes à être observé par mes prunelles aussi malicieuses que fascinées, il finit par s'avancer. Pas trop tôt.
« Je te déteste. » « Pour quoi, aujourd'hui? »
Si ma voix sonne lasse, c'est qu'elle l'est. Il me déteste toujours et l'inverse est toute aussi vraie, faut juste prendre le temps d'y apposer des raisons pour être certains que demain ce sera pour autre chose qu'on se coltinera de la haine entre tout le reste. Demain. « Ton vol était agréable, en classe économique ? » « Ton meeting était agréable, dans ta salle sans clim sans fenêtre sans café? » il s'attaque à sa cravate en grognant, ma silhouette s'allonge par-dessus la table décalée pour la lui retirer au passage. Elle sert à rien, elle y a pas sa place, elle apartient à sa vie de jour, et ce que je veux là, c'est le Saül de nuit. La cravate s'échoue au sol la seconde d'après.
Mon verre ne lui fait pas envie, quel goujat. « J'ai l'impression d'être dans les catacombes. » et mes paupières elles battent la mesure, la voix charmante au possible, acide surtout, le rire qui casse le peu de sérieux que je n'aurai jamais quand il me l'offre si facilement, sur un plateau. « Avoue, limite tes potes de l'Antiquité vont venir te demander quoi de neuf depuis le temps. »
Il parle, il parle. « Est-ce que tu as mangé ? Je te préviens, je ne mangerai plus jamais de sandwich. Mes vacances, mes lois. » et il s'occupe, et il regarde partout, et il est beau l'idiot, la faute à la lumière tamisée sûrement. « Tu rages, tu paies. » le menu qui arrive, le timing est impeccable. Le verre pour lui, les choix faits sur la carte aussi. C'est pas le plus grand des restaurants mais ils ont des entrées sympas, et à voir les assiettes qu'on dépose vite fait entre nous y'a de quoi faire. « Ils m'ont demandé ce que t'aimais j'ai dit que t'étais un riche chiant et bourgeois ils ont dit que ça te plairait parfaitement. » j'aime pas choisir les plats un à un, je préfère faire dans la totale. La demie-mesure m'ennuie - il l'a appris à ses risques et périls depuis.
« Tes vacances, tes-quoi déjà? » que je reprends, entre un coup d'oeil sur la plaque à fromages variés et un autre sur celle à charcuteries colorées. « Y'a un plan, pour chaque soir. Et tu sauras rien d'avance. » le dit plan, fait à la va vite avant qu'il arrive. Il a rien de mystérieux et il pourra bien le négocier un jour proche je pense, je sais pas, j'ai quand même en vie de le faire chier avec ça. « Oui, tu peux râler, et oui tu peux être terrifié. Ça sera pas fun sinon. » le menton que je redresse vers lui, l'air de défi avec. Il a dit des vacances, il l'a dit. Il en aura besoin après Paris. |
| | | | (#)Sam 2 Mai 2020 - 2:21 | |
| « Pour quoi, aujourd'hui? » « Je n'ai pas encore décidé. »
Il y a trop de raisons, de toute façon, pour les énumérer. Les soupirs de Saül parlent à sa place, alors que ses yeux n'ont plus besoin de chercher où s'accrocher. Ses yeux qui piquent, sa langue qui se fait acide. « Ton meeting était agréable, dans ta salle sans clim sans fenêtre sans café? » Une seconde de bagarre avec la cravate, et Ariane s'est met aussi. Il ne bouge pas, Saül, la laisse faire en soupirant. « Les français sont énervants. » Peut-être certains plus que d'autres. Son regard couleur banquise vrille les yeux de la jeune femme, alors qu'un sourire monte au moins jusqu'aux dites prunelles glacées. Quand la cravate n'est plus, il respire un peu mieux, l'italien, pas très à son aise qu'elle traîne par terre malgré tout. Il ira l'attraper quand elle n'y pensera plus. Si elle est concentrée sur autre chose.
L'endroit est joli, bien agencé. Agréable, si l'on ne déteste pas être enfermé sous des plafonds bas. « Avoue, limite tes potes de l'Antiquité vont venir te demander quoi de neuf depuis le temps. » « T'auras tenu... » D'un mouvement leste, Saül dégage de sous sa chemise la montre, brillante, qu'il détaille du regard. « ...cinq minutes, avant de te montrer ingrate et insupportable. » C'est lui qui se montre ingrat, à dénigrer le verre d'Ariane. C'est lui qui joue les difficiles. Pas lui qui se préoccupe d'elle, non, ça c'est un autre type. Le genre fatigué, qui a passé une journée de merde et qui se languissait de la nuit. « Tu rages, tu paies. » Evidemment. Elle a tout choisi pour lui. Bien choisi, en plus, mais ça ne pas le dire, surtout ne pas le dire. C'est risquer qu'elle le charrie pour trop de jours de plus. Les remerciements trop faciles, ce n'est pas son genre. Elle n'aimera pas gagner du terrain s'il l'aide de trop - Saül commence à la connaître. Un peu. Rien qu'un peu.
« Ils m'ont demandé ce que t'aimais j'ai dit que t'étais un riche chiant et bourgeois ils ont dit que ça te plairait parfaitement. » Ses yeux se lèvent au plafond, se fixent de nouveau dans ceux d'Ariane - parce que le plafond est bas, qu'il faut oublier son envahissante et oppressante présence, bien sûr. « Ha, tu as oublié de préciser que je suis vieux, aussi. Tu fais des progrès. » Lui glisser l'idée n'était peut-être pas l'idée du siècle. Sa fourchette pique déjà tout ce qui lui tombe sous la main. Non, lui n'a rien mangé depuis le repas sur le pouce du midi. « Tes vacances, tes-quoi déjà? » A nouveau, ses yeux vrillent ceux de Ariane. Elle est trop détendue quand lui guette à l'excès. « Y'a un plan, pour chaque soir. Et tu sauras rien d'avance. » Rien d'avance. Un plan pour chaque soir. Saül a déjà fait l'expérience du parachute. Probablement savoure-t-il ce morceau là d'inconnu qu'elle manie si bien - qui l'effraie un peu, pourtant, lui qui aime tout gérer, tout prévoir, tout, tout. Pourtant, c'est un sourire qui prend toute la place, sur son visage, jusque dans ses yeux. Accoudé à la table, un index qui passe et repasse devant ses lèvres, il a arrêté de manger pour jouer le détendu alors que l'inconnu le catastrophe un peu - beaucoup - de l'intérieur. « Oui, tu peux râler, et oui tu peux être terrifié. Ça sera pas fun sinon. » « Je ne te ferai pas ce plaisir. » L'italien reprend son repas, sourire traînant dans la voix. S'il ne lui fait pas ce plaisir, c'est parce que son plaisir à lui là tout de suite, c'est de ne rien savoir d'avance, juste comme elle l'a prévu.
Tout ce qu'elle a choisi lui a convenu, finalement. Jamais il ne le lui dira, donc, s'il est utile de le rappeler. « T'as pas mis de saut en parachute, mh ? » Juste pour être sûr et certain. Mais la routine, ce n'est pas son truc à elle, pas plus que ce n'est son truc à lui - leur truc à eux. Saül porte son verre à ses lèvres, se retient de critiquer le vin français juste pour l'embêter elle, la française pas énervante-juste-un-chouilla-presque. « C'est quoi, le plan de ce soir, alors ? Juste un dîner ? » Juste, bien sûr. C'est qu'il s'y fait, à l'ambiance de l'endroit, l'italien. « Il reste combien de temps avant ton couvre-feu ? » Oh, celle là, ça faisait longtemps. C'est plutôt son couvre-feu à lui qui devrait lui importer, au final. Lui qui, demain matin, enfilera un costume différent pour aller discuter chiffres avec de vieux croulants aigris - mais non, lui n'est ni vieux, ni croulant, ni aigri, n'en déplaise à Ariane qui aime peut-être un peu trop le lui rappeler. D'accord, peut-être juste le dernier adjectif. |
| | | | (#)Sam 2 Mai 2020 - 6:07 | |
| « Les français sont énervants. » « Les italiens sont pires. » Fait chier de réaliser qu'il m'a manqué. Connerie.
« T'auras tenu... cinq minutes, avant de te montrer ingrate et insupportable. » sa montre qu'il dégaine en toute cérémonie, et le bar peut bien être sombre, et la pénombre peut bien être à peine brouillée par les flammes qui crépitent à ma gauche. N'en reste qu'il les verra clairement mes yeux qui roulent et que sinon y'a mon soupir, exagérément exagéré, qui résonnera dans ses oreilles la seconde d'après. « T'auras tenu cinq minutes 20 secondes, avant de te montrer arrogant et désagréable. La prochaine fois je ferai plus vite encore. » range pas ta montre Saül, qu'elle hurle comme avertissement ma main, celle qui s'enserre autour de son poignet et qui tire son bras vers moi le temps d'ajouter de la dramatique à la scène d'un compte à rebours que je nargue le sourire aux lèvres.
Les plats qu'ils disposent entre nous, y'a de la truffe là, je la vois, je la sollicite, il est trop aveuglé par mes choix parfaits qu'il soulignera jamais pour le mentionner. « Ha, tu as oublié de préciser que je suis vieux, aussi. Tu fais des progrès. » ma fourchette chasse la sienne, la guerre est lancée quand je m'entends chanter, gamine condescendante qu'il a invoquée sans même forcer. « Je tente un truc là, ça s'appelle la créativité ; tu devrais essayer. » mais à la place, il essaie de me voler ma prochaine bouchée, il essaie de sortir victorieux d'un plateau choisi par mes soins. Qu'il dévoile aimer sans même se cacher le gars, c'est lui là, qui fait du progrès. « Dégage de là. » entre deux confessions, entre deux plans dont il n'aura aucun, mais alors là aucun détail avant qu'il soit mis en place. J'y tiens. « Je ne te ferai pas ce plaisir. » j'aurais pu me fouler le nerf optique, en vrai, durant les 10 seules et uniques premières minutes de son arrivée. Je l'aurai blâmé pendant une vie entière et une suivante ensuite.
« T'as pas mis de saut en parachute, mh ? » mes épaules se haussent de la plus innocente des façons. Pour qu'il en reparle à chaque occasion possible, c'est que ses hurlements de jeune effarouchée transposaient bien plus qu'une frousse de fillette. Il a été piqué à l'adrénaline. « C'est quoi, le plan de ce soir, alors ? Juste un dîner ? » au tour de mes sourcils de se hausser, immuables, mes lèvres scellées en un sourire de Joconde qu'il arrivera jamais à déchiffrer même s'il me connaît de plus en plus par coeur et que ça a le don de m'enrager à chaque fois qu'il fait tout sauf l'assumer. « Il reste combien de temps avant ton couvre-feu ? » là par contre, il m'arrache un rire, un grand. On est pas en Australie, on est pas greffés à nos autres vies. La balance retourne, l'air change, l'ambiance avec. « Le tien est levé ce soir? » et ce genre de question-là, aussi diffuses soient-elles, ici on peut les poser. On peut les accepter aussi, encore heureux. « On se sent comment quand on peut se coucher à l'heure des grandes personnes? »
*** C'était prévisible, c'était clair, c'était évident, et c'était exactement pour ça que j'ai rien dit entre le bar et ici, juste pour laisser sa panique, ses questionnements incessants et ses nombreuses salves de râles monter au fil de la balade.
Qu'il flippe, qu'il grommelle, qu'il soit le pire d'entre tous parce que ça m'amuse de l'entendre et de le voir perdre tout contrôle. Il est pas habitué à ça Saül, t'y habitues pas, et il fait un boulot impeccable pour me le montrer quand y'a pas une seule rue parcourue où il a pas fait exprès de rendre le tout douloureux et chiant au possible.
Mais on y est, aux quais.
On y est et il a enfin fini par se la fermer, j'imagine que ma main dans la sienne aka mes ongles qui lacèrent la chair du revers de sa paume ont suffit à régler la donne. C'est lui le pire, si à chaque fois où il râlait je m'assurais de le faire payer - une cicatrice à la fois. « Si t'es comme ça à tous les soirs c'est là où tu vas finir tes vacances. » ma main encore dans la sienne se redresse, mon index qui s'en dégage pointe le large où, l'eau tranquille d'une nuit beaucoup trop calme pour nos goûts s'étale.
Ils sont beaux, les quais. Ils sont vivants, y'a des terrasses à perte de vue, des annexes où on entend des notes de musique s'entrecumuler, des bars éphémères où on peut s'arrêter. Je resterais là, j'avoue, je resterais éternellement là pour faire office de tradition, celle que j'ai toujours, seule, quand je viens à Paris. Celle que je lui raconterai jamais non plus, il a pas besoin de savoir ça. C'est trop personnel, ça fait pas partie du deal, du moins, pas déjà. |
| | | | (#)Sam 2 Mai 2020 - 13:10 | |
| « Je tente un truc là, ça s'appelle la créativité ; tu devrais essayer. » « Je t'emmerde. », qu'il lui réplique légèrement penché en avant au dessus de la table, grand sourire aux lèvres. Les plats sont servis de toute façon. Quand lui vole ce qu'elle a dans son assiette, elle se défend. Là non plus, elle ne le laisse pas sortir vainqueur. « Dégage de là. » « Tu manques cruellement d'altruisme. » Comme s'il faisait preuve de générosité, lui, de toute façon, à ramener le plus de nourriture à lui. Elle le volera probablement de toute façon, le repas s'éternisera autant qu'ils voudront bien laisser les plats en l'état - pas longtemps, donc.
Bien sûr, qu'elle a prévu mille et une aventures - galères. Bien sûr, qu'elle n'en dira mot. Ce n'est pas qu'il n'essaye pas de lui tirer des informations, pourtant Saül. Lui qui planifie jusqu'à la prochaine cravate qu'il portera demain est maintenant piqué de curiosité - et d'un peu de stress, aussi. Elle ne dira rien, Ariane. Elle ne lâchera rien du tout. « Le tien est levé ce soir? » « Peut-être. » Personne pour l'en empêcher. Personne pour lui rappeler à ses devoirs, ses obligations, pas de lit commun qui l'appelle, quelque part, dans une villa Australienne. Rien que Paris, Ariane. Rien que la nuit, qui est à eux juste comme ils le savent trop bien. Pas comme d'habitude - pas d'habitude. « On se sent comment quand on peut se coucher à l'heure des grandes personnes? » « A toi de me le dire. » On se sent libre.
✵ L'air est plus doux, ici. Moins tranchant. Sur les quais, la lumière est plus diffuse, moins agressive. L'endroit est plus ou moins désert. Quelques promeneurs se dépêchent de retrouver leur logis, sans accorder à Ariane et Saül un seul regard. L'endroit est tranquille, très tranquille. Depuis un endroit non identifié, on entend un peu de musique. Saül ne s'est jamais promené sur les quais. Il y a déjà marché, d'un pas pressé, pour rejoindre un autre endroit de la ville. Il n'a jamais vraiment posé sur l'eau son regard bleuté, pas plus qu'il n'a un jour tenu la main de qui que ce soit sur les bords de la Seine. C'est agréable, au final.
« Si t'es comme ça à tous les soirs c'est là où tu vas finir tes vacances. » Elle désigne l'eau, Ariane, et Saül ricane. Sa main, dans celle d'Ariane, désigne un banc. « Je te laisse là, tu dormiras ici jusqu'à ce que tu termines d'être arrogante et ingr- » Non, créativité, vite. Se creuser les méninges. « ..discourtoise. » Elle va se moquer, encore. Elle va rire, mimer son accent français quand il prononcer l'adjectif en déformant tout, surtout de -oi qui devient un -o plat, surtout parce que le -r accroche son palais et roule contre sa langue. Au moins aura-t-il fait l'effort de s'essayer à cette langue qu'il maîtrise mal autrement que pour écorcher les oreilles de ses clients, des français qu'il déteste - pour changer. Les Italiens sont pires ? Mensonge.
Les terrasses se font plus nombreuses, sur cette section là. La musique est plus douce, presque reposante. L'ambiance rappelle celle des guinguettes. Les gens s'y pressent, Saül n'a pas envie de s'y mêler. Ils sont bien, là, sur les quais, à part de la foule. « Combien tu viens, ici ? » A quelle fréquence ? Est-ce que c'est une fois par mois, est-ce que c'est une fois par an ? Est-ce que c'est jamais, est-ce que c'est tout le temps ? Lui prépare sa réponse, si elle venait à lui renvoyer la balle. En Italie, il ne s'y rend qu'à noël, c'est bien assez. Ses frères et sœurs sont en Australie, de toute façon. Et la mamma se porte bien mieux quand elle ne les voit pas se chamailler. Est-ce qu'elle a des frères et sœurs, même, Ariane ? Saül ne lui a jamais posé la question. Ce ne sont pas des choses qu'ils se demandent, de toute façon. Sa main dans la sienne, c'est largement suffisant.
Ce qu'ils sont clichés, les airs qui descendent jusqu'à eux. Ce qu'ils sont clichés, et pourtant Saül y prête l'oreille. « J'imagine que tu ne sais pas danser la valse. », qu'il pique, sourire aux lèvres, le regard tourné vers Ariane. Elle va le détester, lui le bourgeois qui connaît les pas absolument par cœur. Le pousser dans l'eau, peut-être. C'est un risque à prendre. |
| | | | (#)Sam 2 Mai 2020 - 20:14 | |
| Elle reste derrière la cravate. Elle reste dans son sillage, oubliée, rejetée, à travers les miettes qui sont tombées des plats qu'on a terminés entre deux insultes et deux sourires. Et ma serviette de table qui sert de diversion et que je jette dessus, par terre, désabusée, ingrate.
Il en a pas besoin de toute façon, quand il est avec moi.
*** « Je te laisse là, tu dormiras ici jusqu'à ce que tu termines d'être arrogante et ingr- ..discourtoise. » « Ça s'améliore pas ton truc. »
Je le regarde même pas son banc, au comble de l'impolitesse. Il menace mais il fera rien, j'ai depuis longtemps piqué la clé de son hôtel dans la poche intérieure de sa veste, et il me fait pas peur Saül, pas du tout. Surtout quand il prend une seconde une seule pour apprécier le moment, et que ça lui ressemble absolument pas, de s'arrêter, juste de profiter. Il passe sa vie à être pressé le gars, il passe une éternité à compter les heures et les minutes, à vivre en secondes volées tellement son horaire est serré. C'est étrange et c'est surtout pas pareil, de voir sa mâchoire se décontracter pas seulement parce qu'il dort et qu'il ronfle et qu'il bave sur mon épaule. Là, il décante, il debriefe avec lui-même, il s'arrête. Tant mieux.
« Combien tu viens, ici ? » ici ici, ou ici Paris? « Chaque année quand j'étais enfant, aux deux trois ans maintenant. » il précise pas, alors moi non plus. Je précise pas que depuis que ma grand-mère maternelle est décédée c'est toujours difficile de revenir ici avec maman. Je précise pas qu'avant on passait tous les Noël ici, et le nouvel an. Je précise pas les détails parce que c'est pas parce qu'il pose la question qu'il veut les connaître, et ça m'arrange. Y'a encore des zones grises et y'aura toujours des limites. Sa paume qui presse la mienne en fait pas partie, obivously, n'en reste que ma famille est probablement l'équation que je garde la plus secrète, la plus diluée, version édulcorée. Y'a trop de séquelles et de dommages collatéraux pour que je m'y avance de plein gré, ni avec lui ni avec qui que ce soit.
Il est prévisible à un niveau, quand les notes le précèdent, mais qu'il s'assure d'entrer dans le cliché parisien à fond l'instant d'après. « J'imagine que tu ne sais pas danser la valse. » « Oh si je sais, bien sûr que je sais. » je raille, ma voix nargue, ma silhouette en entier. Je roule des yeux un peu pour lui, surtout pour les passants qui s'arrêtent au coin des quais pour se murmurer des mots doux à l'oreille, pour soupirer à la vue de la lune qui se reflète sur la Seine, suffocants, amoureux transis qui ont rien compris. « Et je sais aussi comment broder mes initiales sur un métier à tisser. » je finis par me tourner vers lui, laissant mes mains remonter le long de ses bras, le mouvement aussi lent que mon ton se moque, exagérément sarcastique. « Et je suis impeccable pour nettoyer l'argenterie avant les dîners avec des dignitaires. » même mes sourcils se froncent, elle est fausse l'ingénue, elle est ridicule la version de la parfaite aristocrate de merde à la perruque poudrée et aux joues rosies d'avoir été pincées que je lui décris, entre deux rires mauvais. « Et y'a pas mieux que moi pour enfiler un corset sans suffoquer. » ma paume tapote sa joue avec bien trop de désespoir pour que ce soit pris au sérieux, son homologue occupée à pincer la peau de son cou. Je sais pas s'il s'attendait à ce qu'on fasse un remake de son film nul mêlant l'Italie et la France, mais c'est pas aujourd'hui que je me tâterai à la bourgeoisie.
« On valse pas, là. » pourtant, ç'a en aurait tout l'air, un instant éphémère après. « Je cherche juste le meilleur angle pour t'étrangler vite et bien. » ma tête qui penche d'un sens, de l'autre, mes mains lovées contre sa nuque et mes doigts qui y tracent des lignes invisibles, aussi imaginaires qu'inventées. La morsure qui se perd sur sa peau cachée entre deux de mes doigts laissera à peine une marque demain. Entre ça et l'attention que je porte à hypothétiquement abréger ses souffrances une fois la chanson terminée, il pourra pas dire que je ne pense pas à lui. |
| | | | (#)Lun 4 Mai 2020 - 1:53 | |
| Quand est-ce que tu viens, Ariane ? A quelle fréquence est-ce que tu viens faire une pause sous ce ciel là ? « Chaque année quand j'étais enfant, aux deux trois ans maintenant. » Il opine du chef, Saül, saisissant la limite. Cette partie là, comme toutes les autres, lui appartient à elle. Lui sait combien les histoires de famille et de retour en terre connue sont compliquées. Sur ce terrain là, Saül ne jouera pas au curieux, ni à l'intrus piquant. Pour une fois, juste.
Combien lui rêverait de n'avoir à retourner en Italie que quelques fois tous les trois ans. C'est déjà une fois à noël, une fois pour l'anniversaire de sa mère - une carte postale pour celui de son père - une autre fois pour les célébrations de la Pâques, et une dernière "juste quand je suis de passage". Ces fois là, Saül se les épargne la plupart du temps. C'est probablement un peu un mensonge, quand il pense très fort qu'il déteste retourner en Italie. La famille a, pour lui, toujours été quelque chose d'important - même lorsqu'il a fallu faire des sacrifices et des sacrifiés.
La valse, donc. « Oh si je sais, bien sûr que je sais. » Avec tout le sarcasme dont elle déborde, Saül n'en est pas si sûr. « Et je sais aussi comment broder mes initiales sur un métier à tisser. » C'est à son tour de lever les yeux au ciel, quand il a bien compris qu'elle se moque. Quand elle lui fait face, aussi, et que ses mains à lui trouvent le creux de ses reins. « Et je suis impeccable pour nettoyer l'argenterie avant les dîners avec des dignitaires. » « J'ai compris. Et tu as un prix Nobel en rangement, aussi ? » Non, ça c'est son rôle à lui, le maniaque avec pas un fil qui ne dépasse, les chaussures toujours cirées et les stylos toujours parfaitement alignés sur son bureau de ministre. Le manique auquel il manque sa cravate, d'ailleurs. « Et y'a pas mieux que moi pour enfiler un corset sans suffoquer. » L'italien ne peut que trop bien l'imaginer se battre avec les lacets de son corset, s'évanouir, demander après des domestiques pour l'aider à se relever, coincée dans sa robe de malheur. Quand elle lève la main vers la joue de Saül, ce dernier l'attrape au vol. « Tu es vraiment prête à marier. » Oh non, on ne retourne pas par là. Pas cette fois. Alors vite, l'italien s'y soustrait. « Tu aurais fait une très jolie aristocrate du XVIe siècle. » Dans une robe en brocart de soie rehaussée d'or.
« On valse pas, là. » « Si. » « Je cherche juste le meilleur angle pour t'étrangler vite et bien. » « T'aimes juste la valse. Admets. », qu'il souffle sur sa peau. Doucement, sa main droite vient attraper la gauche de Ariane. Sa main gauche à lui descend le long de son flanc à elle, élit domicile juste contre son omoplate. « Si tu me marches sur les pieds je te jette dans le fleuve. » Elle ne fera ça que pour l'emmerder, à coup sûr. Doucement, Saül guide la danse sur la musique, ne rate quelques pas que parce qu'elle est lente. Parce qu'elle ne sait pas danser. Pas parce qu'il n'est pas concentré du tout. « Pour autant de fois que tu m'as marché sur les pieds, je me rajoute des nuits passées à dormir du côté gauche. » Les négociations, toujours. Elles ne s'arrêtent qu'avec la danse, quand Saül a déjà perdu le compte, quand la musique s'est arrêtée.
« Est-ce j'ai mon mot à dire sur le programme ? » Non, donc oui. Avant qu'Ariane ne se relance dans des protestations, Saül plante un index sur son philtrum. « On se trouvera des colliers à voler, un soir. J'adore la manufacture française. » Les grands colliers des maisons avec lesquelles il fait affaire, volés aux cous des gens avec lesquels il fait affaire. Le summum du manque de déférence. « Oui, je te dis quoi faire. Non, ne négocie pas. » Et pour lui empêcher de s'y risquer, Saül plante sur ses lèvres un baiser qui scelle le contrat qu'il vient lui même d'établir. Un véritable homme indépendant - la faute à la cravate oubliée quelque part. « Tu peux te garder tes requêtes d'ingrate. J'ai toujours préféré les aristocrates, de toute façon. » |
| | | | (#)Lun 4 Mai 2020 - 21:39 | |
| « J'ai compris. Et tu as un prix Nobel en rangement, aussi ? » « Non, ça c'est ton prix à toi. J'en veux pas. » « Tu es vraiment prête à marier. » « Ah ouais, tu crois. » « Tu aurais fait une très jolie aristocrate du XVIe siècle. » « Très jolie, très ingrate, l'un ne va pas sans l'autre. »
Ma main se dégage de la sienne, il se replace comme si c'était prévu Saül, comme si l'altercation faisait partie de la chorégraphie au grand complet alors qu'on improvise à l'aveugle chaque pas depuis trop de semaines déjà. « Si. » ses paumes remontent, le frisson qui suit sur mon échine est un mélange d'air ambiant, de fin d'hiver, et de lui, évidemment. « À peine. » la musique résonne au loin, au large. Ses pas sur les dédales des pierres, les miens plus pressés, empressés par moment. C'est lui qui est le plus à vif de nous deux d'habitude. « T'aimes juste la valse. Admets. » « Toi t'aimes juste la valse. Moi, j'aime mille autres choses, mais surtout pas ça. » ça quoi, Ariane? Ta gueule. Ça, la valse. Ça, que la valse, que sa foutue valse qui ne se termine pas.
« Si tu me marches sur les pieds je te jette dans le fleuve. » « On terminera tes vacances au même endroit, alors. »
Sur un banc, au fond de l'eau, c'est du pareil au même et mes yeux brillent, et mon sourire avec, quand j'exhibe mon air de gamine insolente maîtrisé en long et en large depuis des années. « Pour autant de fois que tu m'as marché sur les pieds, je me rajoute des nuits passées à dormir du côté gauche. » oh le lourd, oh le suicidaire. « Terrifiant. » le sarcasme passe moins bien, quand il se niche à son oreille et qu'il ne voit pas mes yeux qui roulent sur eux-mêmes comme tant d'autres fois déjà. Faudra que je me fie au fait qu'il est capable de déceler la moindre émotion dans ma voix, à force.
La musique s'efface, mais mes tentatives de lui piler autant sur les pieds que possible restent. Ma silhouette reste instinctivement accrochée à la sienne. « Est-ce j'ai mon mot à dire sur le programme ? » et elle se secoue de la gauche à la droite ma tête, même pas un seul mot à poser quand il se répond de lui-même. « On se trouvera des colliers à voler, un soir. J'adore la manufacture française. » son index qui bloque mes mots, un temps. Le contact à peine qui effleure, qui dérange, qui brûle, ses doigts sont glacés. « Ouais, non. Je- » « Oui, je te dis quoi faire. Non, ne négocie pas. » il est doué, trop.
Et un baiser, juste un. On fait jamais ça en public, on le fait jamais dehors. On le fait toujours la nuit, par contre. Les habitudes d'ailleurs cassent celles d'ici. « Tu peux te garder tes requêtes d'ingrate. J'ai toujours préféré les aristocrates, de toute façon. » il le sent, mon sourire, celui qui se mêle à ses lèvres, celui qui relance, entre un mot et un autre. « Je te déteste. » si seulement.
*** « Tu vas être en retard. »
Y'a aucun touche de désolation dans ma voix. Je ne le presse pas, je ne le retiens pas non plus, quand ma silhouette est redressée dans le lit, perdue à travers les couvertures et autres oreillers. Mes prunelles le suivent, le pauvre type presque en retard, qui sillonne la chambre d'un sens comme de l'autre, comme si ça allait lui occasionner des minutes de moins au compteur. « Tu peux toujours mettre la faute sur le décalage horaire. » il pourra pas dire que je suis pas avenante, quand j'inspire doucement, moqueuse. Le café est servi sur la table de nuit et je le cale contre mes paumes, toujours à même de scruter chacun de ses gestes en anticipant le prochain le sourire aux lèvres. « Ou sur le manque de panneaux, dans ma ville. » ma ville que j'ai prévu envahir aujourd'hui, redécouvrir mes quartiers préférés, mes cafés, mes librairies, mes parcs avec. Il restera pas et jamais je lui demanderais de le faire. C'est bien plus fun de le voir angoisser quand le simple fait que je garde mon calme doit le faire flipper encore plus.
La seconde d'après, je décide que non, je veux pas qu'il parte finalement. Changement de tactique, déviation du plan. « Ou sur le fait que ta montre est pas à la bonne heure - tu bouges d'un seul millimètre et je dérègle tout, tu le sais. » la table de nuit où j'ai redéposé ma tasse de café, où j'ai piqué la montre qu'il y a laissée dans son empressement de cadran qui ne sonne pas, de réveil malencontreusement débranché hier, entre deux baisers volés. Montre que j'agite d'un sens de l'autre sous ses yeux comme un pendule. Une épée de Damocles nouveau genre que j'apprécie bien plus que toutes les autres, assurément. |
| | | | (#)Lun 4 Mai 2020 - 23:25 | |
| « Toi t'aimes juste la valse. Moi, j'aime mille autres choses, mais surtout pas ça. » « Tu vois, tu juges encore. Il y a tellement de choses que j'aime, tu ne peux même pas imaginer. » Non, elle ne peut pas imaginer. Elle ne doit pas imaginer, surtout, c'est ça le plus important.
« On terminera tes vacances au même endroit, alors. » « Mes vacances. » Même si c'est trop tard, même s'il se souvient du mes vacances, mes lois. Pas des vacances. Un truc d'affaires, rien de plus. Juste de quoi signer des contrats. Le reste n'est que de l'à-côté, du non nécessaire. Pas grand chose, non, rien du tout. Pas des vacances, parce que ce n'est pas comme s'ils passaient toute la journée ensemble. Eux font l'inverse, eux prennent leur temps de liberté sur la nuit. Eux prennent le temps de valser sur les bords de la Seine. Elle ne se débrouille pas trop mal, Ariane, même si elle marche un peu sur les pieds de Saül, qui ne s'en plaint que pour la forme. « Terrifiant. » « N'est-ce pas. » Elle a l'air de mourir de peur, oui, c'est vrai.
Le contrat, les demandes de plus ne sont que prétexte à avoir le dernier mot, juste une fois de plus. Mes vacances, mes lois. Même si elle agite la tête, même si Saül lit dans le regard d'Ariane qu'il ne négociera pas - pas cette fois - c'est sur la musique qui s'arrête qu'il s'essaye à l'exercice. Les négociations, et puis un baiser, en guise de paraphe. « Je te déteste. » Son sourire appelle celui de l'italien, entre deux baisers de plus. « Tu mens comme tu respires. » Qui ment le plus ?
✵
« Tu vas être en retard. » « La faute de qui. »
La faute de cette maudite cravate, qu'il n'est pas arrivé à nouer du premier coup. La faute de ce réveil qui ne sonne pas. La faute de ces boutons de chemise qui sont longs à attacher. La faute de cette maudite montre que Saül ne retrouve pas des yeux - c'est cette foutue chambre, elle est mal organisée, c'est Ariane, elle laisse traîner ses affaires.
Certainement pas de sa faute à elle, mais non, elle qui est toujours installée trop sagement dans son trône de coussins et d’édredons, les cheveux en bataille. Il continue de chercher frénétiquement, l'homme d'affaires, comme si sa vie en dépendait. Au final, il suffit toujours d'un accroc - d'un seul - pour que son petit équilibre vacille. « Tu peux toujours mettre la faute sur le décalage horaire. » « Tu es mignonne. » Ces gens là se fichent bien des histoires de décalage horaire, ces gens là n'ont pas de temps à perdre avec un collaborateur qui leur fait perdre du temps.
C'est qu'il se sent inhabituellement lourd, Saül, sans sa montre. Sans son repère. Impossible d'avoir perdu la montre la veille. Elle était là, du côté gauche qu'il a partagé avec Ariane. Elle devait être là aussi, au moment des baisers éparpillés. Quand a-t-elle disparu ? « Ou sur le manque de panneaux, dans ma ville. » « J'ai rendez-vous à dix minutes à pieds d'ici. Ça fait encore moins de temps en voiture. » Si on ne compte pas les embouteillages, mais Saül a déjà calculé ce mensonge là et tous les autres. Rien, il n'y a rien qui pourrait justifier son retard. Ils le regarderont pareil quand il se présentera au rendez-vous : un mélange de déférence et de déception, tartiné d'hypocrisie.
« Ou sur le fait que ta montre est pas à la bonne heure - tu bouges d'un seul millimètre et je dérègle tout, tu le sais. » Sur ses mots, Saül s'immobilise comme un coupable pris sur le fait. Entre les doigts de Ariane, la montre brille d'un éclat doré. « Ariane. », qu'il sur le même ton que celui qui cède des jours de plus et des demains. Sa main, celle qui porte habituellement la montre, se tend vers le lit. « C'est le fait d'être ici, qui te connecte avec les gènes pénibles de ton peuple ? » Saül avance doucement, jusqu'au pied du lit, la main toujours tendue. Quand ses chaussures effleurent le bois du lit, le quarantenaire s'arrête de nouveau. « Ne m'oblige pas à venir la chercher. » C'est une mauvaise idée, parce que cela va froisser sa chemise, abîmer sa veste, défaire le nœud de sa chemise qu'il a déjà passé de trop longues minutes à faire et à refaire, et puis Ariane pourrait rayer la montre dans la bataille, et puis ses cheveux à lui pourraient se décoiffer de trop, et on ne met pas ses chaussures sur le lit, et et et
Trop tard. Le voilà déjà arrivé à la portée de la jeune femme, un genoux sur le lit, la cravate traînant sur les draps blancs et la main tendue. « J'ai fait du judo, tu te rappelles ? », qu'il raille en tremblant d'angoisse à l'idée de faire traîner ses chaussures sur le lit. « Donne. » Ses doigts frôlent la montre, à peine. Sa main parvient malgré tout à se saisir du poignet de Ariane, alors que lui s'échoue contre son adversaire dans un soupir las. « Je n'ai pas envie d'y aller. Ne me rends pas la vie compliquée. » Il ne bouge pas pour autant, Saül, sa main toujours accrochée au poignet d'Ariane. « Ne me rends pas la vie compliquée. », qu'il répète, un peu plus bas. Plus compliquée qu'elle ne l'est déjà, en ce moment, c'est difficilement possible. |
| | | | (#)Mar 5 Mai 2020 - 0:15 | |
| Le pauvre, pauvre homme d'affaires. Il va finir par abimer le parquet à tourner comme un lion en cage, il va finir par faire des stries du bois sur ses pauvres chaussures vernies et c'est un spectacle dont je ne me laisserai probablement pas. Jamais.
« La faute de qui. » « Eux, ils diront que c'est la tienne. » j'existe pas de tout façon, dans ce scénario-là. Autant en tirer profit, pour une fois, d'être celle de la nuit, quand il a tout un monde à lui de jour.
« Tu es mignonne. » « Et toi officieusement en retard. »
J'aurais pu continuer sur la longue et définie liste de ses éternels défauts, des critiques que j'emmagasine et qui se répètent, que j'étale avec ravissement à chaque occasion qu'il me donne sur un plateau d'or - pas d'argent - sans le savoir lui-même. Faut croire que c'est la carte de la créativité que je dégaine ce matin. Demain, ce sera autre chose.
« J'ai rendez-vous à dix minutes à pieds d'ici. Ça fait encore moins de temps en voiture. » « Dans ce cas, t'es même en avance. »
Elle est maligne ma voix, la lueur au creux de mes prunelles aussi. Autant heureuse que lui rage, autant légère que lui traîne de la patte, du pied aussi. Il fait volteface à un moment, trop tard dans le processus pour avoir prévu le geste, trop tôt pour ne pas avoir une marge de manoeuvre avec sa tentative de figure d'autorité à laquelle je ris effrontément au nez. Ingrate et créative, désormais.
« Ariane. » « Plaît-il? » « C'est le fait d'être ici, qui te connecte avec les gènes pénibles de ton peuple ? » « Tu dois être l'enfer en Italie. »
Je pouffe de rire, les coussins se calent contre moi ou alors c'est l'inverse, j'ai oublié de porter la moindre attention à tout le reste quand je le vois, qui bouge d'un millimètre. Il ose, il ose et il avance et si la menace volait pour lui, c'est maintenant moi qui reste absolument immobile, bleu contre bleu. « Ne m'oblige pas à venir la chercher. » le transfert de son poids d'un genou aux couvertures transparaît à peine, dans ce matelas immense qu'on a investi que d'un côté, un seul. Le droit est encore parfaitement rangé, plié, oublié. « Je t'oblige à rien, t'es libre de faire ce que tu veux. » pars, si c'est ce que tu veux, pars, si c'est ce dont t'as envie. Il devrait.
Saül qui minimise, Saül dont le souffle chaud se casse sur mon épiderme dévoilée. Il sent la lavande et le cyprès, les savons éparpillés dans la douche qui ont teinté sa peau, ses cheveux. Cheveux que je vise des yeux la seconde d'après, que j'anticipe de décoiffer. Mais il est pas encore assez proche. Encore. « J'ai fait du judo, tu te rappelles ? » « Vaguement. » « Donne. » « Sinon quoi? » sinon rien.
Le soupir, la main tendue. Le coup d'oeil voilà, aussi. « Je n'ai pas envie d'y aller. Ne me rends pas la vie compliquée. » j'aurais pu parier.
« Ne me rends pas la vie compliquée. » il est proche là, assez.
La montre file s'égarer à droite, il viendra à gauche, de force. Il s'en plaindra, il en râlera pendant des heures, des jours, une vie. Mes paumes passent sur ses cheveux d'abord, le terrorisent, investissent sa nuque aussi, son collet de chemise. La chemise qui sert d'alibi aussi quand elle cède sous mes doigts empressés, kidnapping inopiné et totalement planifié. J'ai pris une seule seconde pour créer le programme de toutes pièces dans ma tête consistant à un seul et unique mot, soufflé contre sa mâchoire, maintenant que mes jambes se sont enlacés de la plus fourbe des manières autour de sa taille, qu'il est pris en otage. « Reste. »
J'avais dit "un seul et unique mot", c'est ça? J'ai menti. Tu mens comme tu respires. Qui ment le plus? « Oui, je te dis quoi faire. Non, ne négocie pas. »
Dernière édition par Ariane Parker le Ven 8 Mai 2020 - 4:47, édité 1 fois |
| | | | (#)Mar 5 Mai 2020 - 2:13 | |
| « Eux, ils diront que c'est la tienne. » « On sait très bien que c'est de ta faute. » On, lui-même et son ego, et elle aussi. « Et toi officieusement en retard. » « Tu es pénible, aide moi à chercher, plutôt. » C'est une montre qui coûte. Pas compliquée à trouver, normalement, parce que Saül ne perd jamais rien. Saül sait où sont ses affaires, toujours. Saül a la tête ailleurs, c'est tout. « Dans ce cas, t'es même en avance. » « Arrête de te moquer. » Lui dire quelque chose, c'est forcément lui induire de faire le contraire. Ça, c'est un enseignement qui a du mal à rentrer dans la tête de l'homme d'affaires.
Mais la montre est toujours hors de portée, hors de vue, et l'italien est à deux doigts de s'arracher les cheveux. Parce qu'elle est d'un calme olympien, Ariane. Elle ne bouge pas, sinon pour renvoyer la balle à Saül, qui nage dans sa panique. Elle est trop calme et voilà pourquoi il la déteste. Voilà ce qu'il aurait dû lui dire la veille au soir. Pour la prochaine fois, il s'en souviendra.
Pour l'heure, elle se rend encore plus insupportable et bien sûr que c'était elle, c'est toujours elle, imbécile d'idiot de Massimo Saül Williams premier du nom. « Plaît-il? » Ariane est détestable, assise sur son trône et gouvernant son royaume de coussins, le joyaux-montre qui tangue dans sa main comme un pendule. L'homme d'affaires plante ses yeux dans ceux de la jeune femme, juste quand son agacement atteint son paroxysme - et se dégonfle presque aussitôt. « Tu dois être l'enfer en Italie. » « Ce n'est pas le sujet. » Bien sûr qu'il est l'enfer, en Italie. Elle le sait déjà, mesure déjà, s'y fait déjà, en avance.
La montre, pourtant, qu'il entend réquisitionner. La montre qu'elle n'entend pas rendre, quand il menace de son ton las qui se voudrait piquant. « Je t'oblige à rien, t'es libre de faire ce que tu veux. » Saül n'a de toute façon pas le temps de peser le pour, le contre, ni tout ce qui se trouve entre les deux. Le voilà qui s'aventure, déjà, en froissant les draps, main tendue comme s'il pouvait reprendre son dû. Est-ce qu'elle se souvient qu'il maîtrise les arts martiaux comme personne, du bout de sa pratique trop ancienne pour se souvenir de tout ce qu'il a appris en ces temps là ? « Vaguement. » Qu'elle donne, alors. Qu'elle rende la montre, avant qu'il ne fasse étale de toutes ses grandes qualités oubliées, largement exagérées et un poil factices. « Sinon quoi? » « Sinon... » Échos. On en revient encore à ces moments là de bataille, pour savoir qui aura le dernier mot. Pour cette fois, Saül le lui laisse. Pour cette fois - encore une fois de plus, notons.
C'est tout son corps qu'il relâche, à mesure qu'il laisse échapper son soupir. Tant pis pour la montre. Ariane comprendra peut-être, lui remettra peut-être autour du poignet, l'encouragera peut-être à partir dans la seconde.
Les doigts de Saül cèdent, à mesure que ceux de Ariane glissent dans ses cheveux. Elle va tout déranger. Ce n'est pas pour autant qu'il bouge, juste un grognement étiré pour la forme, qui se transforme en soupir quand elle défait, avec une facilité déconcertante, tout ce que lui a eu du mal à mettre en ordre.
« Reste. » Et c'est une mauvaise idée, parce que les autres l'attendent. « Reste. » Et c'est déraisonnable, parce qu'ils ne se voient pas de jour. La dernière fois, c'était l'exception, juste parce qu'il n'aime pas conduire de nuit, parce que le cinéma ne pouvait pas les planquer dans l'ombre pour l'éternité. « Reste. » Et il lui faudrait attraper sa montre, quelle a jeté à droite quand eux ont déjà investi le côté gauche.
« Oui, je te dis quoi faire. Non, ne négocie pas. » Elle n'a pas besoin d'argumenter, de toute façon. Il a déjà cédé.
✵ « Non, bien sûr. Demain, oui. »
Sur ce demain là, jeté à travers le combiné de son téléphone, Saül lance un coup d’œil à Ariane. Il ne sait plus très exactement à quel moment il s'est retrouvé sans ses chaussures, sans sa chemise, ni quand il a attrapé un tee-shirt. Ni à quel moment il a commencé à emmêler les cheveux d'Ariane de ses doigts glacés, non plus. « N'oubliez pas de me le faire parvenir par mail. Évidemment. A demain. » Le téléphone termine sa course sur le côté droit - les oubliettes.
« Je te déteste. Je sais pour quoi, cette fois. » Mais elles seront plus plus tard, les explications, quand Saül aura terminé d'éparpiller dans le cou d'Ariane tous les baisers qui remplacent les colliers de perles qu'ils n'ont pas pris le temps de voler jusque là.
Quand il a laissé sonner le téléphone deux fois de suite, Saül a enfin l'idée de relever la tête. Les affaires sont là, quelque part, en tâche de fond dans sa tête. Ça se bat, dans sa tête, pour savoir ce qui est pire entre "laisser entendre qu'on a oublié un rendez-vous" et "mentir à propos de la raison pour laquelle on ne se présente pas à un rendez-vous". « Tu te rappelles du tiramisu dégueulasse de l'autre fois ? » Avant la route. « Et des sandwichs horribles, tu t'en rappelles ? » Et tous les trucs qu'ils ont mangé à l'hôtel le lendemain, aussi. Lui s'en rappelle pour deux, au pire du pire. « Rends toi utile et appelle la réception, que quelqu'un nous monte des courses. C'est pour le bien de l'humanité, prends mon téléphone, ne décroche à personne, et trouve la recette du meilleur tiramisu que tu auras mangé de ta vie dans les notes. » C'est à regret - un peu, à peine, ça va - que Saül se détache de Ariane. « Tu ne peux pas dire que je ne pense pas à toi. » C'est pour le bien de l'humanité, s'il investit déjà la cuisine sous les toits, la toute propre dans laquelle ils n'ont même pas encore mis les pieds. |
| | | | (#)Mer 6 Mai 2020 - 15:03 | |
| « Non, bien sûr. Demain, oui. » qu'il se considère chanceux que dis-je, honoré, que je retienne un énième soupir d'ennui à l'entendre reformuler les mêmes banalités à l'autre bout du fil, encore et toujours. Ses doigts immobilisent mon roulement d'yeux le temps d'appuyer exactement là où il faut, j'enrage qu'il le sache si bien alors que je m'applique constamment à changer de tactique. À ne pas lui permettre de la gagner à la régulière, en ne laissant rien paraître. Les barrières ont sauté, ses chaussures, sa montre, son rendez-vous et sa chemise avec.
Sa chemise d'ailleurs, que j'ai fini par enfiler. « N'oubliez pas de me le faire parvenir par mail. Évidemment. A demain. » un peu parce qu'ainsi je m'assure qu'il ne la réenfile pas, surtout parce que le regard de terreur qu'il a exposé à la seconde où j'ai menacé de la froisser valait tout l'or du monde. « Je te déteste. Je sais pour quoi, cette fois. » ses baisers se perdent sur ma nuque, je le soupçonne de jeter des regards à la dérobée vers les boutons, vers les coutures, vers les plis du tissu passé par-dessus ma silhouette dénudée rien que pour planifier la prochaine attaque. La prochaine façon de la faire voler à nouveau au sol sans que finalement ni lui ni moi ne s'en plaigne le moins du monde. « Tes français, tu les as rencontrés quand t'as fait tes classes avec Louis XIV et ils savent pas que tout s'envoie par mail de nos jours? » j'imagine que les attaques sur son âge seront moins ingrates si elles s'additionnent d'une main s'égarant sous son t-shirt, remontant le long de son épiderme pour finir par se lover contre son cou, dérivant à sa mâchoire bien moins contractée. Mon souffle qui se casse sur ses lèvres doit y être pour quelque chose. Dans un autre monde tous les honneurs me reviennent.
« Tu te rappelles du tiramisu dégueulasse de l'autre fois ? Et des sandwichs horribles, tu t'en rappelles ? » « Ma mémoire est encore dans la fleur de l'âge, oui. » je me rappelle de tout.
Et il se lève, il se dérobe, je grogne une seconde contre sa peau, dix autres que je cache d'un soupir aussi exagéré que ridicule. « Rends toi utile et appelle la réception, que quelqu'un nous monte des courses. C'est pour le bien de l'humanité, prends mon téléphone, ne décroche à personne, et trouve la recette du meilleur tiramisu que tu auras mangé de ta vie dans les notes. » le rire qui monte s'amuse, oh qu'il rigole lui-même. « Tu ne peux pas dire que je ne pense pas à toi. » je prends bien le temps d'hausser le sourcil, de le suivre des yeux maintenant qu’il investit la cuisine. Attrapant contre toutes attentes son portable que je tiens du bout des doigts comme s'il avait la lèpre tant son écran illuminé de notifications de l'autre monde me révulse. Mes pieds s'avancent sur le carrelage froid, le bois travaillé laissé à la chambre pour le marbre qui tapisse le reste de nos combles.
Mes bras l'immobilisent dans sa course qui n'en est pas une, lui qui n'a plus besoin de courir, s'enroulant autour de ses épaules alors que ma silhouette elle se plaque contre son dos. Qu'il essaie de bouger du moindre millimètre et le jeu des aiguilles remontées et de la montre kidnappée ne sera que partie remise. « Je suis pas ta secrétaire. » le téléphone qui était jusqu'à maintenant contre mes paumes glisse sur son torse pour finir entre l'une de ses mains - dommage, qu'il se soit pas éclaté sur le plancher lustré, ç'aurait fait une jolie tragédie de laquelle je me serais facilement réjouie. « Gère la plèbe, j'ouvre le vin. » ses courses, ses recettes, ses envies, son appel. Le vin que j'ouvrirai bien plus tard par contre, trop occupée à tatouer sa nuque de mes lèvres pour compter les secondes, encore moins les minutes, les heures.
*** « Tu triches. » ce qui me semble être la seule est unique option, la simple et pure vérité. Chaque bouchée est meilleure que la précédente. Et je rage, installée en tailleur à même l'immense fauteuil une place mais qui en contient facilement deux, en coin de chambre. Lui, il s'est posé dans l'entrebâillement de la pièce à scruter chaque geste. Son visage de merdeux qui ne fait que se couronner encore et toujours d'un sourire de plus en plus grand, son silence me donne la chair de poule tellement je rage.
« Tu sais juste tricher. » et je reprends la bataille, comme je reprends une longue gorgée de rouge, la coupe qui tangue au-dessus des assises blanches, au-dessus de sa chemise qui l'est toute autant. Dehors, la journée s'effrite et s'écoule, on voit par les immenses fenêtres ouvertes les bribes d'un soleil qui tend vers l'orangé et vers l'horizon. La lumière se faufile entre les immeubles au goût d'antan qui bordent l'hôtel. Paris est belle et Paris est magnifique et Paris est brûlante, je le suis encore plus. « Et ça, c'est la raison pour laquelle je te déteste. » ses mots que je reprends sans la moindre once de colère pourtant, ni même d'accusation. Le tiramisu s'est chargé de régler tous les maux du monde, c'est mon orgueil qui est en rogne de lui céder si facilement la victoire sans même la moindre relance, la moindre contre-attaque. C'est pour ça que je le déteste, donc. « Aujourd'hui. » demain ce sera pour autre chose. Évidemment.
« C'est même pas ta recette à toi. » la seule contre-attaque qu'il me reste, prête à donner le crédit à sa mère, à son père, à son pays en entier s'il le faut, mais jamais à lui. Il est dangereusement beau quand il sourit. |
| | | | (#)Sam 9 Mai 2020 - 1:13 | |
| « Tes français, tu les as rencontrés quand t'as fait tes classes avec Louis XIV et ils savent pas que tout s'envoie par mail de nos jours? » « Ils sont français. C'est synonyme de 'lourds'. Je croyais que tu savais ça. »
Mais ils sont loin, les autres, quand bien même ne l'attendent-ils qu'à quelques rues de là. Ils sont loin, quand Saül se retient de faire un commentaire sur la chemise qu'elle a volée. Les doigts de l'italien en éprouvent le tissu, quand il essaye de maintenir sur son visage autre chose qu'un sourire. Elle va l'abîmer, cette chemise. La froisser, peut-être en tirer des fils, la tâcher. Il ne relève pas de nouveau qu'elle vient de le traiter de vieux, encore, ça serait lui faire une fleur. Une victoire trop facile. Lui préfère rappeler à Ariane les horribles expériences culinaires qu'ils ont vécu par sa faute à elle. Lui préfère rappeler à Ariane la route. « Ma mémoire est encore dans la fleur de l'âge, oui. » « La mienne aussi, parce que je me souviens précisément de ce moment où je me suis mis à te détester encore plus que les autres fois. » Lui se souvient surtout de ce siège trop étroit, dans la voiture. Du cinéma, de l'échappée en courant, de la plage, de tout le temps qu'elle a passé à conduire la voiture. De combien il a râlé, de combien elle a râlé en retour. De l'hôtel le lendemain, quand elle a accepté de l'accompagner à Paris. Des détails, aussi. Du pull sous sa tête, de ses mains qui en retiraient les grains de sable. La mémoire de Saül aussi, est très vive. Brûlante de ces souvenirs là.
Non, elle n'est pas capable de le laisser gagner juste pour cette fois, même si c'est parce qu'il s'impose cuisinier. « Je suis pas ta secrétaire. » Les doigts de Saül viennent chercher ceux de Ariane, alors qu'il étouffe un petit rire sans lâcher la cuisine des yeux. L'endroit est vraiment splendide. Simple, tranquille, idéal. Loin de sa grande cuisine froide, inanimée. Vivante des railleries d'Ariane. « Je croyais. » Le téléphone qu'il serre maintenant entre ses mains lui brûle les doigts. Les autres ne parviennent pas, pourtant, à consumer toute l'attention qu'il a pour la peau d'Ariane contre la sienne. « Gère la plèbe, j'ouvre le vin. » A son tour de se tourner pour lui rendre la monnaie de sa pièce, peau contre peau.
✵ « Tu triches. » Elle est splendide, Ariane, quand elle enrage. Quand il lit son propre triomphe sur son visage à elle. Les bras croisés, Saül savoure le moment autant qu'elle a l'air de déguster son tiramisu parfait, le dessert qu'il a le plus fait et refait. Simple, délicieux. Il y a longtemps que le quarantenaire ne s'était pas penché sur cette recette, pourtant. « Tu sais juste tricher. » « Et toi tu sais juste pleurnicher comme une ingrate parce que tu détestes admettre que c'est le meilleur tiramisu que tu aies mangé de ta vie. » Le verre de vin au dessus de sa chemise immaculée donne à Saül des sueurs froides. Lentement, il s'avance vers elle, vers son trône - différent de celui formé de coussins, tout aussi dangereusement tentant. La lumière a changé. L'ambiance a changé, aussi. C'est beaucoup mieux depuis qu'il a complètement éteint son téléphone. Un tour dans la pièce et il reprend sa montre, alors qu'elle continue de ruminer sa douce rage, meilleure encore que tout le vin dont Saül a pu se délecter jusque là.
« Et ça, c'est la raison pour laquelle je te déteste. » « C'est un peu faible. » « Aujourd'hui. » « Ne t'habitue pas, surtout, change de prétexte demain. » J’vais pas m’habituer à ça, qu'on soit clairs. T'y habitues pas non plus. - J'ai l'air de m'habituer, là ?
« C'est même pas ta recette à toi. » Oui, là ils ont l'air de s'habituer, quand il se coule à ses côtés sur le siège, quand il se glisse juste contre Ariane, quand il l'attrape par la taille pour la poser tout contre lui. Ses cheveux crépuscule lui piquent le nez. En glissant ses bras contre les flancs de la jeune femme, il parvient même à subtiliser sa cuillère, à piocher un morceau de son oeuvre. « Si, c'est parfait. C'est ma recette. » Les jambes froides de Ariane lui donnent à frissonner. Doucement, sur un soupir, Saül dépose des baisers partout où le col de la chemise qu'elle porte ne l'en empêche pas. Quand enfin il délaisse la peau de Ariane pour caler son menton contre l'épaule de l'auteure, ses yeux trouvent la montre, qu'il a repassé à son poignet. Ses mains en défont le bracelet, patiemment.
Dis-moi qu’il y a un risque. - Un jour j'en aurai assez du poker. Ses doigts trouvent encore le poignet d'Ariane, sur lequel il fait glisser le bracelet de cuir brun. Un jour t'en auras assez de cet endroit, des fraises, de la villa de Grenade où t'auras peut-être même jamais mis un pied. Le fermoir coulisse sur la lanière, trouve juste sa taille limite, enserre à peine la peau de la jeune femme. Chacun retournera tout juste où est sa place.
« T'as raison, elle te va bien à toi aussi. Pas mieux qu'à moi. J'ai dit à toi aussi, ne prends pas la confiance. » Ne t'habitues pas. « On est qui, aujourd'hui ? » Si elle veut jouer à reprendre ses mots, lui gagnera à coup sûr. Lui dont la mémoire n'est pas si gâteuse, finalement, quand il s'agit de se souvenir des détails. C'est l'instant d'après qu'elle s'était interrogée sur la fameuse - Elle m'irait mieux à moi. - T'en sais rien. Si, lui il sait. « Je suis toujours parachutiste ? Tu es toujours insensée ? » Ses cheveux chatouillent le nez de Saül, quand ce dernier vient déposer derrière son oreille gauche toute une autre série de baisers.
C'est maintenant qu'il en a assez du poker, d'une toute autre manière qu'il ne l'avait alors imaginée. « Je n'ai pas envie de rentrer. » Ces mots là sont familiers à ceux de la route. Sauf qu'elle, après, elle devait avoir rajouté de quoi piquer, un pas encore ou un pour l'instant pour faire basculer la remarque dans l'humour. Saül n'y rajoute rien, sinon un silence, quand ses mains se sont immobilisées dans celles d'Ariane, dont les mains ont été délestées du plat de tiramisu au moment où il s'est installé tout contre elle.
« Vends les droits de ton livre, vends l'endroit où tu vis, je vide mon compte et on achète l'immeuble d'en face ici. » Le sourire dans sa voix ne trahit qu'à moitié toute la montagne de choses qui se cachent derrière ces petits mots là, qui tournent nerveusement dans son esprit depuis qu'elle s'est mise à râler à propos du tiramisu. Probablement avant.
Était-ce la route ? Étaient-ce les sandwiches rances ? Était-ce la plage ? Les quais ? Les menaces de mort entre deux temps de la valse au bord de l'eau ?
« Je t'aime. » |
| | | | (#)Sam 9 Mai 2020 - 15:28 | |
| « C'est un peu faible. » « Me force pas à faire plus fort. » « Ne t'habitue pas, surtout, change de prétexte demain. » « Blablabla embrasse-moi maintenant. » et parle pas de demain - demain existe pas, ici. Surtout pas.
Il prend toute la place et il dérange tout Saül, quand il se faufile sur le fauteuil et qu'il me ramène à lui. Y'a un regard noir qui vole en sa direction à un moment je pense, je sais plus, quand ses lèvres se chargent d'agresser mon épiderme maintenant que je ne lui laisse pas la moindre chance de se dérober au fil des lignes imaginaires qui dessine dans son sillage dévoué. On est dans la merde, on l'est à un niveau encore jamais atteint, on le sait pas encore tout à fait, on le saura bien assez vite. « Et toi tu sais juste pleurnicher comme une ingrate parce que tu détestes admettre que c'est le meilleur tiramisu que tu aies mangé de ta vie. »
En attendant, on pique. On pique avec les mots, on pique avec la cuillère qui se transforme en arme blanche, on pique des baisers les uns les autres pour les laisser s'envoler de ses lèvres aux miennes, ma nuque en otage à travers. Ses doigts qui se mêlent à mes mèches et à ma bulle, il y prend toute la place sans que j'ai jamais pu négocier autrement, ai voulu le faire à l'inverse, apparemment. « Si, c'est parfait. C'est ma recette. » « Tu sais qu'à partir de maintenant ma seule raison de vivre sera que tu rates le prochain. » ma tête se dégage, quelques mèches barrent ma vue, relâchées d'un chignon qui ne sert strictement à rien à voir à quel point il tombe sur l'une de mes épaules. Je les dégage d'un soupir vif, espiègle. « Et l'autre d'après. » gamine aux dizaines scénarios qui s'inventent au fur et à mesure que de nouveaux baisers prennent d'assaut sa mâchoire. « Et l'autre d'après, encore. » et tous les autres qu'on mentionne en sachant très bien qu'ils ne le resteront, que mentions.
J'ai le temps de prévoir le geste une infinité de secondes avant qu'il ne le fasse, avant même qu'il ne commence à même penser le faire. Le bracelet cède, ses doigts s'y font agilement. Pas la moindre seconde je pense à me dégager de son étreinte, quand bien même l'os de son menton torture la naissance de ma clavicule. « T'as raison, elle te va bien à toi aussi. Pas mieux qu'à moi. J'ai dit à toi aussi, ne prends pas la confiance. » mes yeux suivent les aiguilles, analysent le bracelet, scrutent le cadran. Mes yeux enregistrent tout, un temps. « Un jour je te la volerai pour vrai. » la menace glisse le long de sa tempe sans qu'il ne la prenne au sérieux, elle qui s'additionne de mon souffle bouillant sur sa peau éternellement glacée. Un de nos paradoxes par milliers. « On est qui, aujourd'hui ? » j'étouffe un rire, un autre, contre sa joue. « Je suis toujours parachutiste ? Tu es toujours insensée ? » c'est lui qui parle de parachute, c'est lui qui s'y fait encore à peine. À trop sauter dans le vide il en redemande, il n'en a jamais assez. À force de tomber, on en vient à aimer autant la chute que l'envolée. « Des amants transis. Et c'est toi ce coup-ci, qui fait Juliette. » je pouffe une seconde de plus. Sa tête est beaucoup trop lourde pour qu'il renchérisse d'une nouvelle attaque, pour que le tiramisu parfait d'aujourd'hui mais immangeable de demain ne serve d'alibi pour quoi que ce soit d'autre.
« Je n'ai pas envie de rentrer. » pour l'instant. C'est ça qui manque à la fin de ta phrase, Saül, hm? « Vends les droits de ton livre, vends l'endroit où tu vis, je vide mon compte et on achète l'immeuble d'en face ici. » on est dans la merde, on l'est à un niveau encore jamais atteint, on le sait pas encore tout à fait, on le saura bien assez vite.
« Je t'aime. » « Tu devrais pas. » que je m'entends murmurer, remontrance qui n'en a que le nom, quand mon corps entier finit par faire volteface.
Mes cuisses se lovent de chaque côté des siennes, mes bras qui se nichent autour de son cou alors que son regard banquise est loin, très loin. Pourtant lui il est près, tout près. « Et je devrais pas moi aussi. » si je ne le dis pas en ses mots, pas tout de suite, pas comme ça, c'est pas parce que je ne le pense pas. Il est con, il aveugle, il est idiot s'il ne le voit pas, s'il ne le sent pas quand mes dents s'attaquent à ses lèvres, les esquives toutes en douceur qui dérivent jusqu'à leur commissure. C'est sa partie de poker à lui, ce sont ses cartes à lui, je joue pas contre, jamais. On joue ensemble. Mais on joue pas là, on joue absolument pas. Il pourrait avoir tout, il devrait. Il pourrait avoir la femme et l'autre, la maîtresse. Il pourrait avoir l'entreprise et les centaines de comptes en banque et les sabres et tous les immeubles d'en face de l'univers. Toutes les suites présidentielles possibles, l'entièreté des pages du menu. Il veut toutes les fraises du monde et il devrait les avoir, ça aussi il le devrait. Il pourrait. Réclamer la totale quand lui-même y va all in.
« Je te demanderai jamais de vider quoi que ce soit. » je te demanderai jamais de quitter ta femme, je te demanderai jamais de ruiner ton mariage, de casser ta famille. Je lui demanderai jamais rien si ce n'est ce qu'il me donne. Je lui volerai tout, je ferai tout en mon pouvoir pour dérober sans la moindre honte, sachant qu'il l'autorise, sachant jusqu'où vont mes limites, les siennes. Sa montre à mon poignet tinte maintenant que mes doigts se perdent dans ses cheveux éternellement décoiffés, mes lèvres qui relâchent les siennes pour préciser, ajouter, questionner. Elles osent bien plus que moi, elles. Lui aussi. « Tu le ferais quand même? » on saura pas, ni lui, ni moi, alors qu'un énième baiser reprend d'assaut ses quelques mots que j'étouffe volontairement, la réponse qui restera sienne encore pour un temps.
« On est en France, Saül. Je veux pas acheter un immeuble, je veux acheter un vignoble. » ils se perdent à son oreille ces mots-là, un autre moi aussi qui gratte, une autre habitude qui éclate.
Dernière édition par Ariane Parker le Lun 11 Mai 2020 - 4:24, édité 1 fois |
| | | | (#)Lun 11 Mai 2020 - 0:38 | |
| « Tu sais qu'à partir de maintenant ma seule raison de vivre sera que tu rates le prochain. » « Tu prends un peu trop pour acquis qu'il y aura un prochain, je trouve. », qu'il pique dans un sourire, quand le sous-entendu d'un demain se fait lourd dans sa voix. C'est Ariane qui avait, la première, évoqué les lendemains qu'il n'a jamais noté dans son agenda, la date du "dis-moi qu’il y a un risque". Qu'il rate le prochain, c'est souligner que le prochain existe déjà. Ils n'y sont pas encore, mais il existe déjà. « Et l'autre d'après. » Et l'autre d'après encore ? « Et l'autre d'après, encore. » « Tu es prévisible. », que Saül rétorque, un sourire aux lèvres. Les baisers d'Ariane ne font qu'augmenter l'amplitude de la risette qui prend définitivement ses quartiers sur le visage de l'italien.
C'est elle qui porte la montre, désormais. Elle va bien à son poignet, même si elle l'alourdit un peu. Saül n'a pas l'habitude d'avoir la tête dans les bijoux, mais il sait reconnaître quand les choses sont à leur place. En l'occurrence, l'or rose convient bien à la peau de Ariane. Le bracelet ne mord pas trop férocement sa peau claire. Le cadrant ne tranche pas de trop avec le reste. Oui, la montre lui va bien. Les yeux de Saül ne quittent pas ce tableau, lui dont la tête a élu domicile contre celle de Ariane. « Un jour je te la volerai pour vrai. » Un rire s'enfuit de la cage thoracique de Saül. « Tu n'as rien retenu de ce que je t'ai déjà dit trop de fois à propos de mes avocats. » Leurs rires se mélangent, un peu. Elle est brûlante, Ariane, quand lui est glacé. Le contraste le fait frissonner. « Des amants transis. Et c'est toi ce coup-ci, qui fait Juliette. » « C'est une mauvaise idée. Je porte très mal les robes. » Bien sûr qu'il ne se concentre que sur cette partie là de la phrase, pas sur ce qui précède. Pas quand ses baisers ont déjà retrouvé leur territoire fétiche. La chemise l'embête.
« Tu devrais pas. » « Ne me dis pas quoi faire. »
Ses mains retrouvent le dos de Ariane, s'y accrochent comme du lierre grimpant à mesure qu'elle se tourne. L'arrière de la tête appuyée sur le dossier de leur siège commun, Saül la détaille du regard. Les derniers rayons du soleil cueillent ses cheveux mordorés, mordus de feu. Les mots sont lâchés.
« Et je devrais pas moi aussi. » Les doigts du quarantenaire froissent le tissus de la chemise, dans le dos d'Ariane, juste quand elle vient attraper ses lèvres à lui d'un baiser. C'est qu'il s'en fiche, sur l'instant, Saül, de l'emploi du conditionnel. Il s'en fiche quand il l'attaque à son tour, fait déborder l'embrassade jusque sur la mâchoire d'Ariane, jusqu'à la peau de son cou, juste pour pouvoir faire le chemin inverse ensuite. Sa peau sent l'aventure, les derniers rayons du soleil et puis le côté gauche. La mains ornée d'or de Saül est remontée jusqu'entre les omoplates d'Ariane, où des mèches rebelles ont aussi élu domicile. Par dessus la chemise, la paume de l'homme d'affaires s'imprègne de la chaleur qui émane du dos de Ariane.
« Je te demanderai jamais de vider quoi que ce soit. » « Je le sais. » Les doigts de l'italien ne comptent plus les vertèbres. Son regard s'est immobilisé dans celui de l'auteure, pour un temps, juste avant qu'ils ne reviennent ensemble à la charge. « Tu le ferais quand même? » « Ariane- », qu'il souffle sur sa peau, comme une remontrance. C'est sa meilleure arme pour la taire, outre les baisers, outre sa main libre qui s'est accrochée à la peau de la joue de la jeune femme. Son pouce qui passe, repasse, dérive jusqu'à s'arrimer contre la jugulaire d'Ariane. « On est en France, Saül. Je veux pas acheter un immeuble, je veux acheter un vignoble. » « Tes goûts vont commencer à peser sur mes comptes vides. » A son tour de repousser du bout des doigts une mèche qu'elle a dérangée.
Les comptes vides, quand bien même elle a déjà souligné qu'elle ne lui demandera jamais de vider quoi que ce soit. Les comptes vides, parce que peut-être qu'il se surprend à imaginer ce que ça ferait vraiment, d'abandonner tout le reste, tout ce qu'elle n'a que sous-entendu. Non, il ne le dira pas. Pas tout de suite. Pas quand y penser l'effraie, pas quand le sentiment de liberté est encore retenu à autre chose à l'autre bout du monde. Pour l'heure, Saül préfère s'abandonner à leur bulle. C'est mieux ainsi.
La tête que quarantenaire se recule un peu, pour qu'il puisse attraper les yeux d'Ariane des siens. « Tu abandonnes le jet privé, alors ? » Jamais Saül n'a acheté quoi que ce soit, en France. Si, des actions dans des entreprises françaises. Des bijoux, aussi. Rien dont il ne se souvienne précisément. Pas de vignoble, pas plus que des immeubles d'en face. « Tu n'es là que pour mon argent, pas vrai. » Ça serait presque rassurant, moins casse gueule, ô combien plus simple. Il est trop tard pour que cette option là ne fasse pas naître chez l'italien une âpre déception qu'il camouflera probablement d'un haussement d'épaules. Trop tard aussi pour qu'Ariane réponde, parce qu'il a repris ses lèvres d'un assaut conquérant. « La chemise te va bien, aussi. », qu'il glisse à son oreille. La nuit est jeune.
✵ « Celle là irait mieux à ton poignet. »
C'est sur la place Vendôme qu'ils ont pris leurs quartiers pour la matinée. La réunion de Saül est avortée - comme c'est dommage - pour des raisons obscures dont lui seul connaît et a déjà oublié les raisons. Devant la vitrine de Chopard, Saül désigne à Ariane une montre à cadran rond, sertie de diamants. Pas assez d'or, cependant, selon les goûts de l'italien. Ses yeux se posent ça et là, partout où les pierres brillent. Sa main droite désigne un nouveau bijou, quand sa main gauche est fermement arrimée à celle de la trentenaire.
Un nouveau sourire prend place sur son visage quand ses prunelles se posent sur une montre similaire à celle qu'il porte au poignet, sous laquelle trône un petit écriteau signalant très humblement L'Impériale. Une montre au cadran rond, fait d'or, et au bracelet de cuir brun, juste comme la sienne. « Ce qu'ils se la pètent, chez Chopard. » Lui a récupéré sa montre juste pour ne pas céder à Ariane ce terrain là, juste parce que tout le reste lui semble être déjà beaucoup, quand ils se promènent ensemble en plein jour sur une place parisienne.
Combien en ont-ils vu, des bijoux comme ceux-ci, aux cous des impératrices contemporaines ? Celles qui jouent tout sans même imaginer un instant pourvoir tout perdre ? Saül jette son dévolu sur un collier de perles en fond de vitrine, le même qui fait baver le couple qui se trouve juste à leur droite. « Est-ce que tu as gardé le dernier qu'on a volé ? » Sur les mots de l'homme d'affaires, le couple le dévisage. Pourtant, dans leur milieu, on apprend à ne pas dévisager de cette manière là, d'habitude. Ceux là doivent être des étrangers. Où sont les français, qui ont l'avantage de ne pas parler assez d'anglais pour pouvoir les interrompre dans leurs conversations d'adultes capricieux ? « Il n'y a pas de mérite à acheter ces choses là. », qu'il se contente d'ajouter en pressant la main d'Ariane dans la sienne.
Ce matin, il a laissé son alliance sur la table de chevet - du côté droit. |
| | | | | | | | never been the type to let someone see right through | willer |
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