| never been the type to let someone see right through | willer |
| | (#)Lun 11 Mai 2020 - 4:00 | |
| Je suis prévisible, il porte très mal les robes, je prends pour acquis tous les prochains, et il a dit les mots qu'il ne fallait pas. Il les a tous dits, et il ne devrait pas.
« Ne me dis pas quoi faire. » « C'était qu'une suggestion. »
La lumière du jour brûle ma nuque, il brûle le reste de ses mains qui remontent le long de mon dos, ses yeux qui s'accrochent à ma peau. Sa montre glisse même s'il l'a serrée à mon poignet, deux fois trop grande quand à mes yeux elle est à sa place. Il force les baisers quand je force les menaces, mes mots à moi faisant écho aux siens sans vraiment l'assumer. Entre les jours et les nuits qui se mélangent, Saül vient apposer une étiquette qui a une drôle de saveur de champagne tout sauf mauvais. Celui qui rend ça personnel. « Je le sais. » alors pourquoi est-ce qu'il me laisse continuer? Pourquoi est-ce qu'il ne m'embrasse pas, là, quand je dérive, quand j'ose, quand je devrais pas, à mon tour à moi?
« Ariane- » une remontrance, un baiser sur ma nuque. Mieux. « Massimo- » un éclat de rire contre sa mâchoire, une morsure avec. Encore mieux.
« Tes goûts vont commencer à peser sur mes comptes vides. » mes mèches cèdent sous ses doigts quand mon souffle cède sous ses caresses - dehors, on entend les klaxons et leurs relances en conversations. On entend le monde entier qui se réveille pour mieux s'endormir. On entend le vent qui fait bruisser les fougères accrochées au balcon, les pages d'un journal français laissé las sur la table de nuit, la cuillère qui résonne au creux d'un bol dramatiquement vide. Et je n'entends que lui, rien que lui. Merde. « Tu disais quoi déjà, qu'on aurait toujours de quoi me gâter? » ses comptes resteront pleins, je m'en convainc, entre les murmures d'aujourd'hui et ceux d'un demain qui s'autorise de lui-même. On est ici et on est nous, on ne le sera plus quand on partira. C'est ça qu'il aurait dû dire et que j'aurais dû vouloir entendre.
On en est loin - on est loin aussi. De tout le monde, de tout le reste. Et c'est tant mieux.
« Tu abandonnes le jet privé, alors ? » « Il est pas encore acheté? Tu tardes, je t'ai connu plus empressé. » « Tu n'es là que pour mon argent, pas vrai. » « Et pour la montre - mais comme je l'ai déjà, je pense que le mieux serait que je parte. »
J'esquive une seconde une seule un faux départ, mes lèvres s'attachant à son épiderme comme les siennes dérivant sur le mien. Sa peau n'a plus rien de glacé, quand mon sillage s'assure de tout réchauffer, chaque parcelle se retrouvant couverte de baisers. On est quoi aujourd'hui? On est empressés, et on ne part pas. On ne part plus. « La chemise te va bien, aussi. » « La quoi? »
Elle ne sert à rien la chemise, alors qu'elle tombe au sol rejoindre le reste de ses vêtements, des miens. On ne part pas. On ne part plus.
*** « Celle là irait mieux à ton poignet. » « Les diamants m'ennuient, maintenant. » je pouffe contre sa nuque, une morsure à peine qui l'effleure, qui y reste l'espace d'un rire, d'un soupir. J'ai laissé les diamants à l'Ariane d'Australie, à celle des premières nuits qui apprend, qui avance à tâtons. Celle d'aujourd'hui reluque l'or, dérive vers les perles, roule des yeux en voyant à quel point il est prévisible en s'arrêtant devant l'un et l'autre des étalages de bijoux quand le vin, le pain et le fromage attendent sagement dans mon immense besace de voyage. Les jardins des Tuileries me manquaient ce matin, quand son agenda lui hurlait une rencontre que je l'ai vu balayer du revers en inventant un prétexte auquel je n'ai même pas porté attention. Trop occupée à apprendre par coeur sa silhouette sous les draps, de toute façon. Il est lourd à traîner du pied sur un trajet qu'il n'a même pas décidé, qu'il s'affaire à maîtriser en conquérant qu'il personnifie trop à merveille pour ne pas en être chiant. « Ce qu'ils se la pètent, chez Chopard. » à son oreille maintenant, quand le reste du monde m'importe peu, quand j'en ai rien à battre d'eux. « Sois pas jaloux, tu te la pètes bien plus. » ses doigts m'énervent à être glacés, les miens bouillants qui jouent avec ses phalanges, qui les comptent et les tracent encore. Il a retiré son alliance.
« Est-ce que tu as gardé le dernier qu'on a volé ? » on toussote derrière nous, je leur lance un regard noir, le jugement qui vient avec m'arrache le genre d'éclat de rire qui ne signifie rien de bon pour eux, et tout pour nous. « Il n'y a pas de mérite à acheter ces choses là. » qu'ils tremblent, quand ma tête se love contre son bras, quand l'os de son épaule sur ma tempe me fait rager au point où mes dents le lui soulignent l'instant suivant. « Tu ferais un horrible gangster. » à hurler à tous vents ses dernières victoires, à dévoiler ses énièmes plans. Les nôtres, que je note mentalement déjà. La paire de boucles d'oreilles qui se prendrait si bien, sans le moindre tag à vol. Les boutons de manchettes assortis que je lui pointe de ses doigts, les miens les gardant à nouveau en otage - encore, surtout.
Mes yeux détaillent son profil qui se reflète dans la vitrine ; ses traits sont parfaits et il m'enrage, à vieillir aussi bien. Il m'enrage au point où je regarde ailleurs, où je m'en amuse aussi. La boutique d'à-côté vend des vêtements hors de prix - en plein son genre de bourgeoisie. « J'imagine que je te dois une cravate. » celle oubliée au sol d'un bar qu'on dira être déjà oublié alors qu'il est mémorisé, enregistré. « Et une chemise. » il est là le drame, le pauvre vêtement bousillé entre les taches de vin et de tiramisu, témoin des nuits qui se sont étirées jusqu'au matin. De celles où les édredons s'entremêlaient autant que nos corps, où les mots se perdaient du bout de la langue, du bout des lèvres. Il a perdu de l'avoir dit en premier, j'ai triché de l'avoir répété.
*** « Arrête de sourire. » et elle est derrière nous la sécurité. Celle où apparement mon passeport français n'a pas suffit, celle où ils m'ont passée par toutes les fouilles possibles et inimaginables à cause de cette fois où y'a une note à mon dossier. Amsterdam du temps du lycée n'a pas laissé que de bons souvenirs sur papier. « Je vais te casser chacune de tes dents si t'arrêtes pas tout de suite. » et il se réjouit le con, le bâtard, l'odieux personnage d'en savoir un peu plus sur l'Ariane adolescente et sa rébellion de bac à sable. Elle qui s'était fâchée pour je sais même plus quoi à l'époque, les insultes qu'elle avait crachées sans surprise à la douane, cette même douane qui l'avait gardée une nuit entière sous surveillance rien que pour m'apprendre une leçon. Connerie.
Connerie que j'étouffe en arrimant ma main à sa nuque, en lui forçant une proximité volée, une bribe d'instant et un baiser qui s'efface aussi vite qu'il a été échangé. « J'en profite, avant le carnage. » que je pouffe contre ses lèvres, les dites dents qui voleront en éclat, si justement, il ne m'écoute pas. |
| | | | (#)Mar 12 Mai 2020 - 0:17 | |
| « Les diamants m'ennuient, maintenant. » « Evidemment. »
Tout l'ennuie trop vite, et c'est mieux - pour éviter les habitudes. Le regard de l'italien se promène, court partout où l'or attire son attention fuyante, ne quitte Ariane des yeux que pour s'arrimer aux luxueuses pièces qui trônent fièrement en vitrine. Ils doivent être beaux, main dans la main, devant cette boutique qu'ils ont cambriolé dix fois au moins directement au cou d'une propriétaire malchanceuse - ou en mal de talent, incapable de résister à leur duo. Que Saül l'aime, cette perspective, eux qui n'ont plus rien volé depuis trop longtemps à ses yeux. Ce n'était que du poker, à l'époque des colliers de perles. Les perles qu'il remplace trop souvent par des baisers soufflés dans le cou d'Ariane. Les mauvaises habitudes sont déjà prises. On le remarque à la main gauche de Saül, pressée dans celle de Ariane.
Leurs doigts sont entremêlés de la façon la plus naturelle qui soit, même si le quarantenaire sent sa paume brûler au contact de celle d'Ariane. Elle doit le maudire pour le froid qu'il insuffle sous sa peau palpitante. Tant mieux, qu'elle le maudisse pour ça et pas pour autre chose. « Sois pas jaloux, tu te la pètes bien plus. » « C'est parce que moi, je le peux. » Saül a lâché du regard la vitrine pour planter ses yeux dans ceux d'Ariane. Qu'elle fasse ce qu'elle veut du sous-entendu, lui garde son visage résolument moqueur, fuyant le sérieux pour quelques heures encore. Son masque il ne se résout pas à le repasser. Pas encore.
La couple d'à côté dévisage, le couple d'à côté n'est composé que d'un duo de jaloux et creux, qui vient traîner devant les vitrines non pas parce qu'ils le peuvent mais seulement pour faire comme tout le monde. « Tu ferais un horrible gangster. » Le contact d'Ariane lui arrache un autre sourire, et pour le masque de sérieux, on repassera. « Ce que tu es indécise. Tu me veux en Juliette ou en gangster ? » Lui n'a pas de préférence, tant qu'elle admet qu'il fait les meilleurs tiramisus de la planète Terre. Elle ne lui a toujours pas donné les pages - le livre - qu'elle lui doit, d'ailleurs. Cette information là trotte toujours dans la tête de Saül, qui attend juste le meilleur moment pour ressortir le tout dans les négociations. Il ferait bien de se dépêcher. La fenêtre de tir se refermera probablement bientôt.
Ses yeux suivent ceux d'Ariane, après que ces derniers se soient posés un instant dans le reflet de la vitrine impeccable. « J'imagine que je te dois une cravate. » Et une chemise. « Et une chemise. » « Oui, tu vas devoir t'endetter ou prendre sur tout l'argent de ton contrat pour le livre. » Ses lèvres se posent contre la joue d'Ariane dans un baiser léger, moqueur. Pour que la pique soit parfaite, il lui faudrait jouer l'indifférence et se détacher d'elle. Pourtant, les doigts de Saül restent accrochés à ceux de la trentenaire. Pourtant, c'est dans son sillage qu'il l'entraîne, lui aussi ennuyé par les pierres. Pour la chemise, il ne lui en veut pas. Elle la portait mieux que lui, de toute manière. Cette chemise, elle l'a abîmée de la plus jolie des façons.
* « Arrête de sourire. » « Je ne souris pas. » Et ne me dis pas quoi faire, blablabla.
Les zygomatiques lui tirent, tant il n'a pas arrêté après avoir croisé des yeux les papiers de Ariane. Lui a l'air de sortir de prison, sur ses papiers d'identité. C'est facile de le reconnaître, sur sa photo. Depuis toutes ces années, il fait toujours la même tête renfrognée partout, tout le temps.
Sauf là, visiblement, pas quand Ariane est dans les parages et qu'elle fait tout pour qu'il ne respecte pas ses demandes. « Je vais te casser chacune de tes dents si t'arrêtes pas tout de suite. » « Je meurs de peur, regarde moi. » C'est trop simple, de se rapprocher encore d'elle pour la piquer un peu; ses dents qu'il dévoile dans un nouveau sourire de rébellion.
L'aéroport est bruyant, autour d'eux. Bruyant, mouvant, agité, juste parfait pour prendre des décisions de dernière minute. Qui le leur reprochera ? Un voyage d'affaires, ça se prolonge à l'infini, quand on sait choisir les bons mots. Ce n'est qu'un vol de plus. « J'en profite, avant le carnage. » La main de Saül a retrouvé le dos de Ariane, juste quand il retourne profiter avant le carnage sans un mot, lui aussi. « Tu n'oseras jamais m'abîmer. » Pas de blague sur les avocats, cette fois-ci. Juste un autre sourire qui provoquera probablement le carnage qui suit, suivi d'un autre baiser volé pour retarder la sentence. « Je te déteste dans toute ton ingratitude. Et je prends le hublot pour cette raison. Non, ne négocie pas. » Les doigts froids de Saül attrapent le menton d'Ariane. Elle n'échappera pas à sa sentence à elle - un baiser sur le front.
L'instant d'après, leurs doigts s'emmêlent et Saül râle à propos de combien l'endroit est bondé, je déteste leur café, il est dégueulasse, j'ai soif, j'aurais dû boire avant qu'on passe là-bas - et d'autres plaintes à propos de combien il a mal aux épaules, combien sa valise lui pèse alors qu'il n'a pris que quelques affaires pour Paris, franchement c'est pénible, je déteste les trucs à la dernière minute. Combien il l'a voulu, pourtant, cet instant là d'aventure. Combien ses mensonges bidons qui rallongent le séjour ailleurs ne vaudront rien du tout - tout ça est une variable à laquelle Saül a oublié de penser. Tout ce qui compte tient avant tout à sa main accrochée à celle de Ariane et à leurs petites guerres intestines pour savoir qui aura le hublot - elle - qui dormira le premier - lui - et qui râlera le plus à propos de la mauvaise qualité de la nourriture dans l'avion - eux.
« Heureusement que je- oh, merde. » Les affaires reprennent. Saül soupire quand c'est le prénom d'Elise qui s'affiche sur son écran. Le regard levé au ciel, il ne décroche qu'au second appel, écoute sans dire un mot avant de fixer ses yeux ailleurs. Son souffle a changé en même temps que l'ont fait ses yeux. Sa main est encore chaude de la présence de celle de Ariane, quand il s'éloigne un instant pour se masser le front, toujours pendu à ce cellulaire qu'il aurait dû éteindre tout du long, jusqu'à la grande traversée - grande des quelques heures restantes à peine. Son menton s'abaisse, plusieurs fois. L'appel semble interminable, et Saül lance parfois quelques regards à Ariane. Elle est loin, la dispute pour le hublot.
Elle s'éloigne encore quand il revient, les idées déjà ailleurs et le visage fermé. Sa posture lui donne dix ans de plus, tout comme le font ses traits.
« Ma femme. », qu'il lance simplement, en appuyant sur le second mot, comme rappelé à lui. « Mon fils est rentré. » Et moi aussi, je rentre. « Je prends le prochain vol pour l'Australie. » Silence.
Soudain, tout est bancal. D'habitude, Saül triture son alliance, qu'il n'a pas repassé à son doigt. Pour s'occuper les mains, le voilà qui les croise par dessus sa tenue d'homme d'affaires. Les choses reprendront la digne place qu'elles doivent reprendre. Ce n'étaient pas des vacances, de toute façon. « Et tu devrais faire de même. » Retourner à ta vie. Qu'elle ne réponde pas "ne me dis pas quoi faire" - Je n'ai pas envie d'y aller. Ne me rends pas la vie compliquée.
Il reste combien de temps avant ton couvre-feu ? Plus une seule seconde. Le temps est écoulé depuis longtemps. |
| | | | (#)Mar 12 Mai 2020 - 20:28 | |
| « Je ne souris pas. » « Menteur. » « Je meurs de peur, regarde moi. » « Jamais. »
Les menaces fusent et les sourires avec. Les miennes, et les siens. C'est du pareil au même et à ça, je m'y habitue. Je m'habitue à ses doigts qui apparemment ont élu domicile contre les miens à presser, serrer, attirer, et pincer encore. Lui qui parfois avance bien trop lentement et d'autres fois bien trop vite pour que ce soit supportable d'un sens comme de l'autre. Je ralentis rien que pour le faire rager de mes pieds traînés, je le tire à l'avant rien que pour sentir son bras se tendre, l'entendre grogner dans l'angle. Il est lourd à porter mais l'air est léger - et on est cons, on est terriblement cons de s'attacher.
Les billets ont été réservés entre une pique et une autre, entre un t'es trop trouillard pour dire oui et un t'es tellement ingrate regarde ce que ma carte bancaire te dit. Ils siègent comme la plus fatale des victoires au creux de mon passeport entre les pages de voyages autant achetés sur un coup de tête que celui qu'on fera à Granada, ces voyages-là que j'ai pourtant oubliés quand piquer une gorgée de son café imbuvable mais à lui donc bien meilleur que le mien devient ma nouvelle et tangible priorité. « Tu n'oseras jamais m'abîmer. » « Me mets pas au défi. » mon index tapote son torse comme tant de supplices pathétiques, il embrasse mon front, même front qui se charge de repousser sur le sien, l'impact est à peine volé, un peu plus assumé qui finit par rester pour s'y appuyer. « Je te déteste dans toute ton ingratitude. Et je prends le hublot pour cette raison. Non, ne négocie pas. » l'ingrate cherche déjà le numéro de la porte d'embarquement sur les écrans au-dessus de sa tête, l'ingrate joue parfaitement son rôle en l'ignorant sans bouger d'un seul millimètre, quand ma rébellion à moi restera de laisser mes ongles gratter l'intérieur de sa paume sans même le réaliser. Il fait chier, l'instinct de proximité.
« Heureusement que je- oh, merde. » « Heureusement que tu quoi? »
Heureusement que je ne parle plus? Heureusement que je déclare enfin forfait? Heureusement que je t'- « T'es chiant, tu quoi là? »
Il part, là. Et je roule des yeux, je soupire avec. La gamine que je me hais d'être, le pied qui taperait presque sur le linoléum si c'était pas évident, qui était à l'autre bout du fil. Elles étaient cool, les vacances ; si elles en avaient vraiment été. Il a même pas besoin de jeter de coup d'oeil vers moi de toute façon, que je sais. Alors je regarde ailleurs. Alors je mémorise toutes les données qui flottent, les chiffres et les heures, des tas de conneries que j'oublierai la seconde suivante pour en apprendre toutes autant d'autres par coeur celle d'après. À saturer j'oublierai le reste avec et ça n'en sera qu'amplement mérité. On aurait jamais dû se l'avouer.
« Ma femme. » you don't say. « Mon fils est rentré. » je le voulais même pas, le hublot. « Je prends le prochain vol pour l'Australie. » ni même son gobelet de café, que je jette dans la première poubelle à portée, l'impression d'avoir absolument besoin de me donner un truc urgent à faire dans l'instant. « Et tu devrais faire de même. » on aurait jamais dû se l'avouer.
« Il part demain, ton vol. »
Ça paie, d'avoir mémorisé les données qui flottent, les chiffres et les heures. Ça paie que dalle finalement, quand plutôt que d'avoir aidé à oublier, j'oublie rien, absolument rien.
*** Il reste 24 heures, au compteur.
« Leur champagne est infect. » 24 heures, et l'hôtel de l'aéroport, et son bar à jazz de pacotille. 24 heures et son pianiste du dimanche qui se donne la mission de passer à travers toute la sélection la plus crève-coeur qu'il a en banque l'idiot.
Dehors, il pleut. On saurait absolument pas, on en aurait jamais connaissance, tellement la salle est feutrée, tellement les immenses rideaux de velours bourgogne clichés à un niveau comblent les toutes aussi immenses fenêtres. La baie vitrée contre laquelle on a pas été assez stupides pour se poser, le bar au bois vernis et ses sièges individuels rendant le tout bien plus aseptisé que tout le reste. Ça vaut plus rien en vrai, de s'isoler.
C'était une fois et une seule, on recommencera pas et la chandelle face à moi me semble dans l'angle parfait pour n'observer qu'elle et encore. Les bulles attendant patiemment dans la flûte à ma droite, le scotch double que je commande au barman envahit ma gauche. Et lui aussi, dans l'attente de son vol. Je dis le sien, parce que je fabule encore sur l'idée de ne pas rentrer, pas encore du moins.
« Ça aurait été le bon moment pour te laisser le lire. Mon livre. » lui qui d'abord voulait la première page ; lui qui sonne bien plus comme une conclusion finalement. Un autre de nos paradoxes. |
| | | | (#)Sam 16 Mai 2020 - 2:34 | |
| Si Saül n'avait pas traîné des pieds, pas râlé pour une raison ou une autre - toutes plus idiotes les unes que les autres - probablement seraient-ils déjà en train d'embarquer. Trop tard, pour faire demi-tour. Pourtant, quand l'opportunité - la malchance - se présente, l'italien la saisit, contraint d'abdiquer face aux responsabilités qu'il prend soudain en pleine figure. Même quand il est si proche de dire à nouveau à Ariane tout ce qu'elle a déjà entendu, là encore il faut rentrer. Ce monde qu'ils ont mis sur pied n'existe qu'ici, ailleurs.
« Il part demain, ton vol. » Le tien aussi, qu'il voudrait répliquer sans le faire pour autant. Venir ensemble, partir ensemble. La boucle en serait bouclée, toujours au conditionnel.
✵ Pas si elle reste ici. Pas s'il part tout seul. Pour l'heure, ils rejoignent un hôtel froid qui n'a rien de leur petit palace sous les toits. La cuisine trop étroite doit sommeiller, désormais. Le menton appuyé sur les poings, dos voûté, Saül perd ses yeux dans la salle. « Leur champagne est infect. » Ça n'a plus aucune importance, désormais. L'italien jette un coup d’œil à sa montre. Il a le soupir facile, depuis quelques heures. Surtout depuis quelques minutes, en fait, quand tout le bar semble s'être acclimaté à leur humeur morose. Quel temps fait-il, à Grenade ? Probablement aucun nuage à l'horizon. Ciel limpide, étoiles apparentes. Grand beau même dans le noir, quand il fait ici gris à travers la baie vitrée.
« Ça aurait été le bon moment pour te laisser le lire. Mon livre. » Les yeux de Saül se plantent dans ceux de Ariane, bleu contre bleu, au delà de la flamme dorée de la chandelle. C'aurait été un parfait moment. Encore une boucle terminée. « Je l'ai toujours gagné. » Cela, ça ne change pas. A cela, Saül s'y accroche encore un peu, planqué derrière un sourire qui ne monte pas jusqu'à ses yeux. Ce temps là sera terminé d'ici vingt-quatre petites heures. Dans l'esprit de l'italien, tout est arrêté depuis qu'il a entendu les premiers mots sortir de la bouche d'Elise, par l'intermédiaire de ce téléphone qu'il a désormais éteint.
L'endroit est triste, Saül n'en veut pas. Les quais sont trop loin, comme tout le reste. « J'en veux toujours, du livre. » De tout le reste aussi. C'est une mauvaise idée. C'est juste pour qu'elle sache - probablement sait-elle déjà. « Ne m'en dis rien. » Il ne veut rien en entendre, dans ces conditions là. Tout ça aussi doit rester là, à Paris. Intact, tranquille, avant le juste retour des choses. Quand Saül délie les poings, il revient jouer avec son alliance.
Il pleut, dehors.
Sur la banquette, Saül attrape son pardessus en même temps qu'il se lève, soudain plein d'une bougeotte qui lui irrite le corps et l'esprit. « Je déteste cet endroit. Allons marcher. » C'est une demande qu'il glisse à Ariane en même temps qu'il termine de fermer sa main sur le col noir de son manteau. Les bagages sont dans la chambre qu'il ne veut pas occuper non plus. Quand Saül atteint le perron, après s'être retenu d'attraper au passage la main de Ariane, il pleut encore. Son pardessus n'est pas enfilé quand il contemple avec méfiance le crachin qui s'abat sur le parc tout autour de l'hôtel. Cette veste qui termine sur les épaules d'Ariane, dans un automatisme qu'il ne cherche même pas à contenir. « Il fait froid, dans ton pays. » Juste pour combler le silence. Lui a toujours froid, de toute façon.
C'est Saül qui met le premier un pied sous l'eau qui détrempe déjà ses cheveux dérangés. « Attraper la crève, c'est une merveilleuse façon d'attendre l'avion, non ? » Pour ne pas dire "écouler les dernières heures". Le ciel est si gris qu'on ne sait distinguer l'heure qu'il est précisément. La montre est brouillée de pluie, de toute façon. « Il n'y a personne à écraser au poker, ici, de toute manière. » C'est nous, juste nous. Juste nous. La pluie est légère, très supportable. Juste fraîche.
« Qu'est-ce que tu ne feras pas, après ? » Lui sait déjà. Pas de poker, même s'il voudrait. Cela ne sera plus pareil. La villa en Espagne restera silencieuse encore pour un moment. Peut-être Saül la vendra-t-il vraiment, finalement, pour prévenir l'arrivée d'idées stupides qui ont failli les pousser ailleurs, encore. Ce n'est pas quelque chose qu'il faut se demander, qu'est-ce qu'on ferait s'il ne nous restait que vingt-quatre heures à dépenser ? Saül n'en sait rien, pas plus qu'il ne sait quand sa main a attrapé celle d'Ariane. Son regard s'est, quant à lui, accroché ailleurs. Tout lui manque déjà.
Heureusement que tu quoi? Ce sont précisément ces mots là qui lui piquent la langue. Elle sait déjà. Les lui répéter est trop coûteux et probablement tacitement défendu pour les heures restantes. |
| | | | (#)Sam 16 Mai 2020 - 4:46 | |
| « Je l'ai toujours gagné. » je l'ai toujours laissé gagner, nuance. Nuance qu'il a oubliée, volontairement ou non, au moment où on est entrés dans ce bar comme si on portait notre propre chemin de croix commun. On est pathétiques. « J'en veux toujours, du livre. » et moi j'en veux encore, de ça, mais regarde où on en est. On peut pas avoir tout ce qu'on désire et s'il est celui de nous deux qui a le plus vécu (j'ai pas dit vieux, j'ai pas dit croulant non plus, la déprime m'assagit) il a pas l'air d'avoir capté le concept comme il a pas l'air d'avoir rien capté du tout. « Ne m'en dis rien. » « Je comptais pas dire quoi que ce soit. » je comptais plus rien dire ce soir, de toute façon.
Il bouge au même moment où ma main se love autour du verre de scotch, que l'alcool réchauffe mes lèvres, brûle ma langue. « Je déteste cet endroit. Allons marcher. » ce sera d'un trait d'un seul alors, que je le descends, les onces de liquide ambré qui devraient ranimer mes sens, qui devraient rosir mes joues. À l'intérieur pourtant je sens rien, rien du tout. « Il fait froid, dans ton pays. » sa veste passe sur mes épaules, la brise se casse sur ma peau. Il râle et il comble les absences, mais ils font du bien, les silences. Ils sont pas composés de sonnerie de merde qui cassent tout, ils sont pas formés de soupirs définitifs, d'annonces de vol changé non plus. Les silences ne m'ont pas déçus. « Attraper la crève, c'est une merveilleuse façon d'attendre l'avion, non ? » ses mèches sont plaquées sur son front, ma paume libre de lui joue avec les différents barreaux en fer forgé d'une clôture bordant l'hôtel et la rue, le parc tout juste dans notre angle de vue. Les voitures passent et leurs pneus crissent, on entend les avions qui décollent et qui atterrissent à quelques kilomètres d'ici pourtant, ils en sont assourdissants. « Il n'y a personne à écraser au poker, ici, de toute manière. » hm? J'écoutais pas, j'écoutais plus. Trop occupée à sentir son alliance glacée au creux de ma paume moite des quelques gouttes qui se sont faufilées entre ma peau, la sienne.
« Qu'est-ce que tu ne feras pas, après ? » « Saül ça suffit. »
Ils ne se mélangent plus, mes doigts aux siens, quand ce ne sont que mes prunelles qui reprennent le contact, trouvent les siennes pour s'y planter, vindicatives. « Y'a pas de surprise, tu savais très bien que ça se finirait comme ça. » il a de la pluie qui perle sur son front et sur ses joues, il en est recouvert alors que mes propres mèches se collent à l'arrière de ma nuque. Attraper la crève, c'est une merveilleuse façon d'attendre l'avion, non? Non. Plutôt, je tiens son regard, je tiens sa silhouette en cible, je tiens tout, sauf lui, lui je ne m'y retiens pas. Y'a pas de surprises. C'est lui-même qui a déclaré forfait, qu'il ne joue pas au plus fin, au plus transis, au plus esseulé d'entre nous deux. Il a pas le droit, il a fait son choix.
« Répète après moi. » lui rendre la tâche facile, c'est pas si compliqué que ça. « T'as une femme, t'as un fils, t'as une vie, t'as un travail, t'as des comptes pleins et une famille qui t'attendent. » la liste qui reprend ses propres termes, qui est exhaustive et vitale, nécessaire et fatale. « C'était juste une fois, c'étaient juste des vacances, ça se reproduira pas et on ne s'habituera plus. » tant d'épées de Damocles, tant de piqures de rappel, tant de signaux d'alarme qu'il n'a pas ignorés quand il ignorait l'annonce d'embarquement pour Grenade. Il a fait son choix ; qu'il l'assume.
Qu'il assume, et qu'il oublie les chemises, les cravates, le côté gauche et les vitrines. « Tu les pensais pas, les mots, tu les as dits sur un coup de tête. » qu'il oublie quand j'oublierai pas. Qu'il ne les pense pas quand c'était tout l'inverse pour moi.
« Répète, s'il-te-plaît. » mes mains se logent dans les poches de son pardessus. Y'a des euros qui s'y perdent, des papiers pêle-mêle, un billet, un autre. « Répète, maintenant. » mes yeux ont pas lâchés les siens, ma voix qui craque sous la pluie, le nuage de merde qui s'éternise au-dessus de nos têtes quand nos têtes justement, elles sont détrempées. « Répète. » ose, pour une dernière fois. |
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