Il ne comprend pas la question de Diana. Évidemment que c’est ce qu’il aime, la danse. Il n’y a que ce sport qui l’aide à se lever le matin, il n’y a que cet art qui lui permet d’évacuer les pensées dans lesquelles il se noie. Sa honte d’être encore un adolescent, sa peur du rejet, son incapacité à accepter qui il est réellement et ce dont il a envie, sa peur de ne jamais réussir à atteindre le seul objectif de sa vie. « J’adore ça, la danse. » Il répond, sur un ton légèrement perplexe, incapable de comprendre si Diana n’a simplement pas encore capté qu’ils ont eu un parcours semblable avant qu’elle ne change de branche ou si elle fait référence à… « Ou, tu parles de la danse en duo ? » Il demande en haussant un sourcil, espérant qu’elle évoquait effectivement cette seconde option. Il préférerait ne pas apprendre qu’elle a non seulement oublié son nom mais qu’elle n’a jamais su, non plus, que tous les deux partageaient une passion. Parce qu’elle est bien l’une des raisons pour lesquelles il a continué à tourner sur son pied même lorsqu’on se moquait de lui. Elle était si belle, si gracieuse sur la pointe de ses orteils, il voulait l’atteindre dans le haut de ses prouesses. Il a simplement oublié l’étape la plus importante : celle de lui adresser un seul mot avant qu’elle ne disparaisse de sa vie. « Tu pouvais pas savoir qu’il allait tomber en panne. » « Alors ce n’est la faute de personne. » Il conclue en se pinçant les lèvres, ne désirant pas poser le blâme. Ce serait complètement inutile. Leur problème n’est pas de trouver un coupable mais bien de sortir d’ici avant que la nuit ne tombe sur Brisbane.

Réalisant que la seule option qui s’offre à eux est l’attente, il se dit qu’ils devraient au moins faire passer le temps en se divertissant d’une façon ou d’une autre. Sous sa main se trouve justement une bouteille de vin et, c’est connu, l’alcool peut te faire complètement oublier une soirée. Raphael ne se souvient pas de la dernière fois qu’il avait assez pu pour se réveiller plusieurs heures plus tard n’importe où sauf dans son lit et il n’a pas l’intention d’exagérer  car, comme Diana le dire, ce ne serait pas très sérieux de leur part. Il se pince les lèvres en haussant les épaules, retenant un sourire amusé. Personne ne les verra, ici, et ils seront raisonnables. Évidemment. Alors, attendant le feu vert de la jeune femme, il ne fait que la regarder dans les yeux en tapotant le verre de la bouteille avec son doigt pour la tenter. Quand elle accepte, il sourire à pleines dents et se remet à rougir comme s’il venait de réaliser que de boire était son idée à lui. « Tu t’assoies aussi ? » Elle demande, la tête basculée vers le haut pour regarder le grand garçon perché dans le haut de ses jambes interminables. « Oh, oui, oui. » Il avait oublié de réagir depuis qu’elle accepté de trinquer à leur malchance. Dans un geste calculé, il vient s’installer près de Diana, laissant tout de même une quinzaine de centimètres entre eux – il ne veut pas d’imposer à son espace personnel une deuxième fois dans la soirée. Le regard impatient, il pose son téléphone sur le sol, laissant sa lumière éclairer la cabine. Il dévisse le bouchon de la bouteille et la tend à sa compagne, lui proposant la première gorgée. « Il n’y a malheureusement pas de verre à notre disposition alors… À la tienne. » Il déclare, la timidité toujours aussi présente dans sa gorge. Il la laisse se servir, observant discrètement ses lèvres tandis que le goulot se pose dessus puis il se secoue les puces pour s’empêcher de l’espionner ainsi plus longtemps. « Tu connais un jeu d’alcool ? Ce n’est pas ma spécialité. » Il annonce avant d’ajouter quelques précisions pour expliquer sa proposition : « Pour éviter qu’on se mette à chialer. On ne sait jamais en quoi l’alcool peut nous transformer. »    

Elle confirme qu’il faisait erreur en évoquant que la danse en solo. Effectivement, il a toujours été un solitaire lorsque la musique se met à jouer mais il n’a pas du tout détesté cette première expérience, ce soir. D’ailleurs, il ne comprend toujours pas comment il a pu tenir les mains de Diana dans les siennes sans jamais la lâcher une seule fois alors qu’elle tournoyait autour de lui. C’était comme s’ils avaient dansé ensemble toute leur vie mais, ce que la jeune femme ne sait pas, c’est que Raphael l’espionnait souvent quand elle était en compagnie de Max et sa jalousie lui a permis d’apprendre les chorégraphies par cœur comme s’il en faisant lui-même partie. « Parce-que tu disais ne pas savoir faire - même si désormais j’y crois qu’à moitié, après t’avoir vu danser. Tu pourrais ne pas avoir apprécié. » Secouant timidement la tête de droite à gauche, il ne sait pas réellement quoi répondre. Il ne se rend pas compte de cette facilité qu’il a eue avec elle. Il aurait peut-être besoin de voir une vidéo d’eux pour le réaliser. Lui, il était plutôt occupé à ne pas s’évanouir sous le coup de la nervosité. « Haha, non, c’était… Bien… » C’était incroyable, euphorique, unique : plein d’adjectifs qui ne trouveront jamais le chemin vers sa bouche.

Coincé dans un ascenseur avec la femme de ses rêves : voilà un bon titre de mauvaise comédie romantique. Seulement, Raphael n’est pas le garçon charmant, charismatique et talentueux qui aurait été choisi pour jouer ce rôle. Diana est parfaite, de son côté. Heureusement pour eux, ils pourront passer le temps grâce à la bouteille d’alcool que le blond a apporté en pensant se présenter à une sorte de petit party où il n’y aurait que des gens de son âge. Pour reposer leurs jambes fatiguées de l’effort, tous les deux se posent au sol, adossé contre le fond de la boîte mécanique. Dans la noirceur, Raphael maintient toujours son regard au sol comme s’il craignait de croiser le regard de la belle. On ne sait jamais : la lumière va peut-être soudainement se rallumer et leur proximité le surprendra. « Merci pour l’honneur. » Elle répond alors qu’il lui tend la bouteille pour lui laisser la première gorgée de vin. Lèvres pincées, il ne répond rien et attend de ravoir son bien, proposant du même coup de lancer une partie de n’importe quel jeu, si elle en connait un qui consiste à boire. « Oh non, ça fait des années que je n’ai pas joué à des jeux d’alcool, tellement longtemps que je ne pourrais pas m’en souvenir. » Silencieux, il hoche doucement la tête en hésitant plusieurs secondes, la bouteille à nouveau entre les mains. Il réfléchit à ce qu’il pourrait proposer mais son inspiration est écrasée par sa nervosité. Il n’arrive pas à penser à la moindre idée. Heureusement, sa partenaire renchérit, proposant plutôt de faire un voyage nostalgique par le biais de souvenirs de leur enfance. Il pose enfin le goulot de la bouteille sur ses lèvres, avale une petite gorgée de jus de raisin pour adultes et finit par acquiescer dans une sorte de ricanement coincé : « Ouais, d’accord. Je te laisse commencer. »

Les échanges ne durèrent pas bien longtemps. La sécurité avait été alertée d’un problème d’électricité à l’école et, à peine quinze minutes et quinze gorgées plus tard, l’ascenseur s’était remis à fonctionner. Au grand malheur de Raphael, la soirée avait rapidement été écourtée et il avait salué Diana en posant ses joues sur  les siennes, comme le font deux collègues de travail qui souhaitent rester polis. Il l’avait observée quitter les lieux en serrant la bouteille à moitié vide entre ses doigts, les traits de son visage légèrement affaissés. Ce serait mentir d’affirmer qu’il désirait que la soirée se termine de cette façon. À vrai dire, il se sentait encore plus mal à l’aise maintenant qu’il se faisait avaler par la grandeur de la ville calme. Même s’il n’y connait absolument rien en femmes, il est presque certain d’une chose : la complicité n’avait été présente que lorsqu’ils avaient dansé en compagnie de la voix de Lewis Capaldi.  

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