Même maintenant mes lèvres n’arrêtent pas de se poser sur sa peau, je suis encore étonné qu’elle ne se plaigne pas de quoi que ce soit à ce sujet. On est de nouveau allongés dans le lit tous les deux, mon discours étant définitivement passé depuis bien longtemps maintenant. J’ai un sourire au coin des lèvres que je tente stupidement de cacher et un sentiment de plénitude que je ne laisse pas s’exprimer. C’était la dernière fois, cette fois-ci c’est vrai. On ne peut pas jouer à ça ; je je ne peux pas jouer à ça. J’aime transgresser toutes les règles en ce mode par simple besoin de défi permanent mais cette fois-ci cela ne compte pas. Le tableau des scores ne la prend pas en compte. Elle est hors jeu, elle l’a toujours été. Elle a tous les codes de triche dans sa poche, tous ceux qui n’étaient pas déjà ancrés en elle et sur sa peau. Elle a toutes les armes en main et c’est terrifiant de savoir qu’elles appartiennent pour le moment encore à une gamine qui ne sait pas s’en servir, laquelle deviendra femme et maître du monde par la même occasion.

On ne recommencera plus jamais, pourtant mon bras la ramène toujours un peu plus vers moi même si elle ne cherche jamais à se déloger de mon étreinte. Mes doigts jouent distraitement de ses cheveux alors que ma tête a trouvé un temps refuge entre sa nuque et son épaule. La couverture remontée bien au dessus de nos têtes nous protège autant qu’elle nous étouffe, elle l’empêche d’avoir froid alors que mon souffle encore bruyant se perd contre sa peau. Elle se pense une parmi tant d’autres, elle qui ne sait pas que je serais déjà en train de conduire jusqu’à chez moi en temps normal. Elle ne sait rien, elle imagine tout et ainsi naissent les rêves. C’est dangereux que de rêver. C’est addictif aussi, telle une drogue pour laquelle il n'existerait aucune cure si ce n’est de rêver davantage encore.

Alors soit, rêvons. “J’aimerais pouvoir rester ici.” Ici dans la chambre d’hôtel, ici dans la ville elle même. Peu importe. Je lui confesses ces quelques mots desquels elle fera ce qu’il pourra bien lui plaire, ma tête apaisée toujours posée contre elle, yeux fermés. Elle sent la lavande, elle sent toujours la lavande. “Même si le temps est bizarre. Même si la nourriture n’est pas top. Même si l’accent des gens est horrible.” Ce n’est pas pour la ville que je voudrais rester, encore moins pour l’hôtel et son ascenseur bien trop petit. Pourtant je ne pourrai certainement jamais le lui dire, histoire d’un soir ou deux ou mille de toute façon vouée à l’échec.

“J’aimerais pouvoir rester ici.” moi aussi. C'est ce que j'aurais dit, si mes lèvres n'étaient pas occupées à pourchasser ses doigts, ceux-là même qui s'égarent sur ma peau encore tracée de ses esquisses de futurs tatouages, ceux d'un après qu'on ne s'autorisera probablement jamais. On devrait pas et pourtant on s'est jamais demandé pourquoi ; ça, au moins, on aurait dû le faire. “Même si le temps est bizarre. Même si la nourriture n’est pas top. Même si l’accent des gens est horrible.” même si ça veut dire rester toi et moi, même si ça veut dire mettre des mots sur ça.

Il a ramené le drap par-dessus nos têtes en croyant qu'un énième de mes frissons était dû au froid, alors que c'était simplement dû à lui. C'est toujours dû à lui, des sourires aux rires, éternels secrets qu'il connaîtrait par coeur si j'arrêtais d'avoir peur, si j'arrêtais d'être faible, diffuse, dissipée. Si pour lui, j'osais oser. Si on n'en parle pas c'est qu'il n'y a rien à dire, c'est qu'on ne veut pas le dire non plus, j'imagine. Mon nez se perd dans ses cheveux, le sien contre ma nuque, mes paumes ont depuis longtemps abandonné l'idée de chatouiller son flanc, massant l'épiderme doucement.

« On peut manquer notre avion. » je m'entends céder, si bas que même si l'univers en entier avait tendu l'oreille, Auden aurait été le seul à avoir pu entendre. « On l'aurait sûrement manqué de toute façon, je me souviens même plus du jour ni de l'heure où on doit partir. » je pouffe, ses mèches ébouriffées piquent avec une douceur infinie ma peau. Je perds un baiser et dix autres contre son crâne parce qu'on est cachés, parce qu'on est tous les deux, parce qu'on veut rester, parce qu'on en fait le scénario parfait bourré d'alibis auquel on dira adieu quand il le faudra, bien plus que quand on le voudra. « Y'a des tas de musées historiques, ça sera comme un voyage scolaire, encore. » le encore me fait rire lui aussi, parce que nos voyages scolaires n'en ont jamais que l'air. On n'a pas assisté à aucune des conférences, il a seulement menacé des étudiants pour lui filer les notes le temps que je les retranscrive dans mes mots et dans les siens sur les pages de notre carnet commun. « Et si t'avais pas peur des moustiques on aurait même pu camper. » on dirait presque que j'ai cherché, on dirait presque que j'ai planifié, on dirait presque que je le lui dis à ma façon, que je veux rester.

« C'est con, oublie. » mais ça, ce serait prendre pour acquis qu'il veut que je reste, moi aussi. Stupide, naïve Ginny.

J’arrive à distinguer son sourire grâce aux quelques rayons de soleil qui arrivent à transpercer le drap fin, hiver en Italie, été étouffant en Australie. Elle le voit aussi, mon sourire, celui que je ne donne jamais à qui que ce soit d’autre. Je ne souris jamais comme ça, je ne reste jamais comme ça. Je ne fais jamais quoi que ce soit ce genre et pourtant je ne m’en rends pas compte, là, m’obstinant à donner à Ginny le statut d’amante en plus de celui de gamine effronté, savant mélange que je pense naïvement suffisant pour la décrire toute entière. Pourtant mon souffle reste court bien des minutes plus tard ; il l’est toujours quand il ne s’agit plus que de nous deux. Mon sourire reste présent simplement parce qu’elle l’est aussi, mes yeux toujours vissés dans les siens sans jamais émettre l’hypothèse de se dérober à aucun moment. Mes doigts se jouent des traits de son visage sans la déranger, ils parfairent invisiblement les traits marqués sur sa peau, ils caressent doucement chacune de ses côtes. Ils ne font jamais ça, eux non plus.

Mes lèvres à la base de son cou en profitent pour l’embrasser, baiser que je veux distrait mais qui est loin de l’être. « On peut manquer notre avion. » Mon souffle se casse contre sa peau, mes paupières que je ferme viennent la chatouiller doucement. On pourrait, oui. Elle ajoute des explications, en rigole. Je la ramène un peu plus vers moi, son corps glissant sur le lit sans émettre la moindre objection, sa peau déjà gelée venant réguler la température de la mienne. Un sourire triste se dessine sur mes lèvres, tiraillé entre deux mondes. Cet instant semble appartenir à un autre monde, on retrouve nos marques quand bien même personne ne nous a jamais laissé le temps d’en créer. On a l’impression de vivre ce moment depuis toujours alors qu’on l’a volé il y a quelques heures à peine, qu’on devra de nouveau le rendre. On profite des choses pour mieux souffrir de leur absence ensuite, c’est tout ce qu’on sait faire. Je voudrais souffler son nom pour lui dire d’arrêter de chercher des excuses, je voudrais relever mes yeux vers elle pour le lui faire comprendre, je voudrais la faire taire pour qu’elle arrête de nous faire tant surprise. Je voudrais faire tout ça alors que je ne fais que dessiner des cercles invisibles sur sa peau et y amarrer encore un peu plus mes lèvres, vérité sous jacente que je ne m’autorise pas à décrypter.

« C'est con, oublie. » Sa voix se brise, ma résistance avec. Mon visage se fronce contre son cou, je reste étonnamment silencieux quelques secondes de plus encore. Cette fois-ci aucun plan amusant ne ressortira de ce silence, pourtant. “On peut rester ici.” Ici du genre ici, ici. Dans cette chambre, dans ce lit ; par terre pour elle quand j’en aurai marre de ses coups de coude à répétition. “On inventera des histoires à tes parents, je referai le bruit des vagues pour qu’ils te croient sur la plage.” Je me redresse légèrement, appuyé sur mes coudes, mes yeux toujours dans les siens. A mon tour maintenant d’enchaîner les arguments pour qu’on reste encore un peu, un jour, deux, trois. Un peu de répit, c’est tout ce qu’on demande. “On volera les notes de Thomas mais pas celles de Suzie, elle ne comprend jamais rien.” Le plan est parfait, tout est parfait. On peut rester tous les deux. “On commandera assez de petit déjeuner en room service pour qu’il dure toute la journée.” Un de mes coudes passe de l’autre côté de son torse, mes lèvres viennent retrouver les siennes sans prévenir pour mettre un terme au flot de paroles qui ne me ressemble pas. Je veux rester et je sais qu’elle le veut aussi, là n’est même pas le problème. C’est tout le reste, le problème, ce sont tous les autres aussi.

“On peut rester ici.” il a dit "on" et il a sourit et je l'ai cru. Je l'ai cru lui qui voulait que ce soit un nous qui reste. Je l'ai cru alors qu'il disait pas ça juste pour se moquer, pour me dire qu'il pensait à l'inverse la seconde d'après, la vie d'ensuite. Il a dit "on" et si j'étais pas occupée à embrasser à répétition la même parcelle de son épiderme au hasard, peau cachée sur laquelle mes lèvres sont tombées instinctivement y'a une seconde de ça, je suis sûre qu'il l'aurait vu de suite mon sourire de gamine amoureuse. J'ai même pas envie de le cacher, plus envie du tout.

“On inventera des histoires à tes parents, je referai le bruit des vagues pour qu’ils te croient sur la plage.” il bouge Auden et je bouge avec, laissant ma silhouette se rapprocher le plus naturellement possible de la sienne comme si mon nez avait toujours dû se loger entre la naissance de sa mâchoire et de sa nuque, comme si ses paumes étaient parfaitement faites pour épouser l'arche longeant mon cou jusqu'à mes épaules.

“On volera les notes de Thomas mais pas celles de Suzie, elle ne comprend jamais rien.” j'ai un instant d'égarement, quand je ne sais même plus qui est Thomas et qui est Suzie, quand les noms semblent être si loin et appartenir à un autre monde complètement. Le monde de l'autre côté de la porte, le monde de Brisbane et de partout ailleurs. Le monde qu'on a fuit en venant, le monde qu'on oubliera pour encore quelques jours, en restant.

“On commandera assez de petit déjeuner en room service pour qu’il dure toute la journée.” je pouffe et j'étoufferais même, contre ses lèvres et contre son corps qui se presse au mien, si je n'avais pas trouvé parfaitement l'angle pour inspirer à chaque fois où on s'embrasse à la volée. Ce sont des habitudes qu'on prend pour mieux les perdre, ce sont des stigmates qui font de plus en plus mal quand on le réalise, quand on se les retire d'un coup d'oeil qui se détourne, d'un sourire aussi las que brisé. J'en ai assez.

« Auden, je veux être avec toi. » et mon coeur, mon coeur qui menace de sortir de ma poitrine tant il bat vite et mal, tant sa rythmique n'en peut plus d'elle-même. Il va dire non et il va rire, il comprendra pas et il va partir.

« Pas juste avec toi ici. » il va répondre que c'est moi qui ai mal compris, qu'il blaguait, que rien de tout ça n'est vrai et que je me suis fait des idées, que je sais que me faire des idées. Que c'est un jeu, qu'à la seconde où on est plus que deux il décroche et il désenchante, et que rien de tout ça il n'en veut.

« Avec toi toi. »

Ou il ne répondra pas.

Mes lèvres se chargent de sceller les quelques mots dont j'ai eu si peur pendant si longtemps d'un sens comme l'autre, en venant se poser sur les siennes. Le baiser s'éternise et il s'enflamme, empressée que je suis, anticipant d'être autant terrifiée d'un non que d'un oui. Il est étrange ce paradoxe-ci quand j'ai tout, quand j'aurais tout pour être terrorisée. Mais qu'à la seconde où je relance le baiser, je n'ai plus peur de rien. Rien du tout.

Son rire contagieux me fait rire à mon tour, sans que je ne sache plus si je le pense réellement ou si je ne pense qu’à cacher la tristesse de chaque mot qu’on arrache sans ne rien espérer d’eux - ou trop espérer, justement. Je profite autant que possible de ce moment suspendu, m’attendant à devoir rentrer à Brisbane et tout ce que cela implique la minute qui suit. Mon corps cherche le contact avec elle comme jamais il ne l’aurait cherché avec qui que ce soit, autant en fond mes doigts avec toute la douceur dont je suis capable lorsqu’ils caressent son cou.

« Auden, je veux être avec toi. » Mon souffle se casse sur sa mâchoire, mes yeux se ferment encore un peu plus. Je resserre les dents, désolé qu’elle en soit arrivé là, désolé que ce soit réellement ce qu’elle désire, désolé qu’elle en ressente le besoin au point de le demander oralement. Elle a peur, pourtant, ça se sent ou en tout cas moi je le sens. Elle a peur de la réponse et je ressens exactement la même chose à ce sujet. « Pas juste avec toi ici. » Elle précise comme s’il y en avait réellement besoin. Elle ose, elle se donne une voix, elle se fait une place là où personne ne l’en aurait jamais cru capable. Là où moi je n’ai jamais douté un seul instant de sa force, peu importe sa forme. Mes lèvres quittent les siennes, mon front en vient à se déposer sur le sien alors que je reste simplement là, perdu entre deux mondes, mon corps tout entier crispé mais toujours près d’elle. « Avec toi toi. » “Je sais.”

Je sais tout, je sais tout ce qu’elle veut, je sais tout ce qu’on ne devrait pas aussi. Je sais. Depuis la première heure, c’est stupide mais c’est comme ça. Elle est la cause de bien des changements dans ma vie et elle n’en a même pas idée, la gamine. Elle n’a idée de rien du tout, sinon elle ne serait pas terrifiée à ce point pour une réponse qui, à mon sens, ne peut aller que dans une seule direction. Mes lèvres répondent aux siennes alors qu’elles se laissent faire, étrangement dociles. Ses mécanismes de défense sont les miens. Ça aussi, je le sais.

Je souffle longuement de nouveau avant de me reposer sur le flanc, lâchant ses lèvres seulement pour venir porter son visage près de mon cou, la protéger autant que je le peux. Une main se place sous sa tête et se loge entre ses omoplates, la seconde trouve refuge dans le creux de son dos comme s’il n’y avait rien de plus naturel. Ce n'est qu'une fois qu'on se trouve dans la meilleure position qui soit que j'ose enfin prononcer les mots. “Je t’aime.” Et dans un sens cela ne répond absolument pas à ce qu’elle m’a dit, pourtant ça devrait. J’ai peur autant pour elle que pour moi et c’est un fait que je ne pourrai jamais nier ni oublier, pourtant je ne peux pas simplement me contenter de ces moments là avec elle alors qu’on pourrait avoir bien plus. On pourrait tout avoir. Mes lèvres cherchent à la rassurer en embrassant son front, mes doigts s’enfoncent doucement dans sa chaire. On peut essayer, on peut au moins essayer ; même si c’est la pire idée qui soit et que la chute n’en sera que plus douloureuse.

Il sait. Il sait et il ne part pas, il sait et il bouge à peine. Il se rapproche seulement, cale sa main contre ma nuque, cale son corps contre le mien. Mes yeux le suivent dans chacun des minuscules gestes qu'il pose, entre un baiser et un sourire, sans avoir une seule seconde peur qu'il ne se dérobe. Il souffle Auden mais il réajuste le tir, ses doigts contre ma peau qui réchauffent chaque parcelle d'épiderme encore dénudée, dévoilée sous des draps qu'il n'en finit plus de ramener. Au pied du lit, mes orteils gelés jouent avec les siens comme une éternelle sortie de secours, comme un alibi pour le dédouaner si à un moment ou un autre il regrette, s'il veut s'esquiver, s'il a besoin d'un exit plan.

“Je t’aime.” stop, arrêt sur image, arrêt sur ses prunelles que je scrute des miennes, arrêt sur son visage, sa mâchoire, son rictus qui ronge ses sourcils, ses lèvres d'où s'échappe un autre soupir. Celui d'avoir dit les mots que je n'aurais jamais pensé pouvoir mériter, venir de lui encore moins. Les mots que jamais je n'aurais cru entendre. De sa bouche, juste de lui, c'est que de lui dont je veux les entendre, encore et encore et je suis égoïste, tellement. Quand mes yeux se ferment au moment où il embrasse mon front, quand mes doigts remontent en courant le long de sa colonne vertébrale, se précipitant par dix jusqu'à sa nuque, jusqu'à ses joues, hissant mes lèvres aux siennes tant j'en oublie le reste. Je t'aime qui résonne, qui tourne en boucle, que je me répète des dizaines de fois pour lui, pour toutes les fois où on ne se l'est pas dit, où on aurait surement dû. On peut, maintenant. On peut tout faire.

Mon souffle se perd, mes lèvres sont rosies de lui, d'un nous qui ne change absolument rien de celui auquel on avait droit quelques fois volées, parfois. J'aurais jamais cru que trois simple mots feraient l'affaire pour confirmer ce que je sais depuis la toute première journée. Ce que je sais pertinemment et que pourtant j'ai ravalé si bien et si souvent qu'à un moment, j'ai douté que c'était vraiment ce que je voulais. Il est tout ce que j'ai toujours voulu.

« Pardon, pardon, je m'excuse j'aurais dû le dire aussi. » et la seconde d'après, je panique de nouveau. Mon visage se détache de lui, mes paumes se plaquent sur son torse, mes yeux s'écarquillent et c'est l'angoisse, celle d'une gamine qui n'a jamais fait ça, qui n'a jamais dit ça, qui ne l'a jamais entendu non plus. « C'était mon tour de le dire et j'ai rien fait je t'ai juste embrassé et - » gamine qui gâche tout, qui flippe, qui s'imagine le pire, et qui se raccroche. À son bras, à son sourire, à celui que j'imagine grandir encore plus en m'entendant maintenant rire. De voir à quel point je suis nulle, à quel point je suis ridicule, à quel point je suis pathétique ; « Je t'aime et je suis désolée de pas l'avoir dit avant. » à quel point je suis amoureuse.

Le sourire sur mes lèvres n’a plus rien de triste maintenant et même si je suis très loin d’être assuré de quoi que ce soit, j’ai l’impression que rien ne pourrait mal se passer. Pas maintenant. Pas aujourd’hui. Pas ici. Là-bas, oui, sans aucun doute ; mais entre temps on aura oublié comment ouvrir la porte de notre chambre, on aura loupé notre avion, on aura perdu le compte des jours et elle aura appelé ses parents trois fois par jour aux heures adéquat pour ne pas qu’ils lancent une alerte enlèvement. Le plan est aussi simple que complexe, finalement.

L’instant d’après elle panique de nouveau et j’en souris doucement, égoïstement occupé à la voir se créer mille scénarios alors qu’elle fait tout parfaitement bien, là. « Pardon, pardon, je m'excuse j'aurais dû le dire aussi. » Elle panique, elle s’écarte, elle bouge, sa vie défile devant ses yeux et je ne fais rien si ce n’est continuer à la regarder. Je relâche la pression exercée sur sa peau pour qu’elle puisse paniquer à sa guise et trouve les mots qu’elle veut - et avant eux un bon millier d’autres pour continuer à s’excuser. « C'était mon tour de le dire et j'ai rien fait je t'ai juste embrassé et - » Et enfin elle rigole, la gamine qui m’a juste embrassé, la gamine que je vais juste embrasser de nouveau dès lors qu’elle aura fini d’occuper l’espace de ses mots qui n’ont pas lieu d’être. « Je t'aime et je suis désolée de pas l'avoir dit avant. » Mon rire avait suivi le sien jusque là, il se radoucit maintenant qu’elle ajoute une excuse qui fait du sens. Nos mots ne datent pas de ce voyage, il ne datent pas d’aujourd’hui ni d’hier non plus et ça aurait dû être aussi évident pour nous que cela l’est apparemment pour le reste du monde. “C’est é - vi - dent que tu m’aimes. Qui ne m’aime pas, même, hein ?” Elle n’a pas à paniquer, elle n’a pas à s’en faire. Pas en ce qui me concerne, en tout cas, parce que je ne peux pas parler pour le reste du monde. Pour eux, officiellement, rien ne change. Je mets un point d’honneur à ce que ce soit le cas. Elle est Ginny la parfaite, la timide, la Virginia de bonne famille un peu trop tête en l’air pour terminer la journée sans se tâcher de peinture. Je suis Auden qui n’a pas sa place ici, Auden qui parle trop, le con d’Italien qui se croit déjà roi du monde et qui va l’entraîner dans sa chute. Il y a du vrai, il y a du faux. Nous verrons bien, j’imagine. Il sera toujours temps d’arrêter la machine avant d’atteindre le point de non retour.

Je m’assure une dernière fois de la sécurité qu’on se doit de garder. “Personne n’a besoin de le savoir. C’est juste nous, okay ?” Je redeviens sérieux un temps, jouant de ses cheveux emmêlés, ne la lâchant pas du regard pour appuyer à quel point c’est important pour moi qui de ne pas s’exposer ; de ne surtout pas le faire alors qu’en parallèle je passe mon temps à me vanter de mes conquêtes aussi diverses que variées. Ce n’est pas pareil, avec eux. Avec aucun d’eux.

Il a cette capacité-là Auden, en une fraction de seconde. Il arrive si facilement et si naturellement à désamorcer toutes mes envolées de panique que ça serait presque de la triche. Il se moque et il me fait rire, il renchérit en fronçant du nez quand mes dents de bébé s'y égarent une seule seconde - craignant déjà qu'il s'en plaigne comme d'une blessure aussi violente que faussée. “C’est é - vi - dent que tu m’aimes. Qui ne m’aime pas, même, hein ?” « J'ai la liste des gens qui t'aiment pas à quelque part, si tu me laisses aller la chercher d'ici deux secondes je rétablis la vérité. » je fais mine de me dégager, rien que pour sentir ses bras se resserrer contre moi dans la volée. Mon rire finit par se perdre contre sa peau, là où mes lèvres se nichent instinctivement sans que je ne le prévois - avec lui, je ne prévois rien de toute façon. Une seconde à la fois.

Ma main a trouvé la sienne, j'y compare ses doigts noircis et les miens tachés de pastel. “Personne n’a besoin de le savoir. C’est juste nous, okay ?” je les sens, les caresses qu'il perd savamment entre mes cheveux emmêlés par des heures à se chuchoter l'interdit au creux de l'oreille. À autant se l'interdire on a finit par aller à contre-courant pour se l'autoriser. « Juste nous. » parce que de toute façon le reste du monde n'importe peu, quand il me donne l'impression d'être le mien. C'est décousu et c'est irrationnel, c'est intense et ça me semble être irréel, tant on s'est dit non des dizaines de fois avant de se dire une seule fois oui. C'est pressé, on l'est aussi, on aurait dû en parler, on aurait dû faire les choses bien avant de céder. On laissera ça à Auden et à Ginny qui retourneront en Brisbane je ne sais même pas quand, je ne sais même pas pourquoi. On devrait partir faire le tour du monde, là.

« On pourrait avoir des mots secrets, aussi. » je la protège notre bulle, celle qui a toujours été, celle que je garderai sur ma vie parce qu'elle me donne l'impression d'être vivante, justement. « On a déjà la salle. » et les regards et les silences et les règles non-dites et les centaines d'autres spécificités qui rendent notre relation impossible à définir pour les autres, et même encore pour nous. On s'aime, ça devrait être suffisant. « Mais on a pas de noms de code. Faudra travailler là-dessus. » je le vois déjà s'ajouter des tas de surnoms princiers, royaux à la clé quand je serai la sbire de service. Et je ris, je sais faire que ça quand il est près de moi.

« J'ai la liste des gens qui t'aiment pas à quelque part, si tu me laisses aller la chercher d'ici deux secondes je rétablis la vérité. » “Non non non nooooon. C’est bon okay je te crois.” Je resserre mon emprise, passe une jambe par dessus les siennes pour m’assurer qu’elle ne puisse pas se défaire d’un seul centimètre de moi. On est bien, là. On étouffe sous la couette, on ne sait pas à qui est cette main ou une autre, on rêve d’un avenir qui n’arrivera que dans bien longtemps mais on est bien. Elle se joue de moi, je tombe dans les panneaux avec le plus grand et le plus fier sourire qui soit, moi qui me pense déjà roi du monde, roi du notre.

Elle finit par me confirmer ce qu’on savait déjà tous les deux, stratégie qu’on applique depuis le premier jour sans pour autant ne jamais poser de mots dessus. « Juste nous. » Maintenant c’est chose faite, le pacte est scellé de la manière la plus naturelle qui soit alors que je ramène sa tête dans le creux de mon épaule et garde désormais mes yeux en direction du plafond sans vie. La couverture est redescendue au niveau de ses épaules à elle, de mon torse à moi. Je me surprends à la trouver un peu moins gelée, maintenant, la gamine. Je me surprends à me trouver un peux moins bouillant, aussi. Ma main caresse son épaule, rassurante. J’ai bon espoir que s’il ne s’agit que de nous alors on saura trouver un juste milieu pour que tout se passe bien.

Sa voix brise de nouveau le silence sans que cela ne me dérange plus, elle me ramène sur Terre, elle qui tente déjà de trouver les solutions à des problèmes qui auront tôt fait d’exister. On a un lien à nous (qui est en réalité tout sauf à nous mais là n’est pas la question), elle soulève qu’on devrait avoir les mots allant avec. Je plussoie sans rien dire, ça compte pour un accord silencieux. Si je devais émettre un avis contraire, elle sait très bien que je l’aurais déjà fait en râlant aussi fort et aussi longtemps que cela me l’aurait été permis. “Tu pourrais m’appeler genre Auden le plus beau le meilleur du monde entier et de l’univers …” Ma main libre se place dans les airs pour montrer de sa paume ouverte des lettres qui n’existent que dans mon esprit. “... Mais vu que c’est la vérité alors je risque d’oublier que c’est un nom de code.” A son rire s’y mêle le mien, une seconde avant que j’abandonne toute envie de nous compliquer la tâche pour aujourd’hui. Mes lèvres reviennent se nicher dans son cou et dans sa nuque là où Auden arrête arrête ça chatouille Oh Audeeeen qu’elle me hurlera dans les oreilles de sa voix cristalline sans que cela ne soit suffisant pour que j’ai un jour envie d’être autre chose que cet homme trop présent, trop chiant, trop collant qui restera là à chaque instant de sa vie.