| sous les feux d'artifice (ua) |
| | (#)Mer 13 Mai 2020 - 0:03 | |
| "Je suis venu aussi vite que j'ai pu." Je suis essoufflé par la montée de la falaise, et je comprends pourquoi Jill a dû m'envoyer un SOS par texto : enceinte, elle ne devrait pas du tout venir sur les hauteurs de Kangaroo Point. Je tente d'avoir l'air parfaitement serein (seules mes joues rougies par l'effort trahissent mon manque d'exercice récent), tandis que mes yeux parcourent à toute vitesse la situation. Jill est assise sur une nappe sur la pelouse, pas très loin d'un groupe d'adolescents qui auraient parfaitement pu l'aider bien avant moi. Elle me regarde avec un sourire, et à côté d'elle il y a une pile de carnets à dessin. "Non", je dis, en secouant la tête, car c'est impossible qu'elle m'ait manipulé, qu'elle m'ait fait croire qu'il y avait une urgence alors qu'en réalité elle va parfaitement bien. "Non, non, tu as terriblement mal quelque part, et tu souris pour ne pas m'inquiéter." Si elle a besoin d'aide pour trouver où est la douleur, je peux lui marcher sur la main, et elle saura bien vite.
Je vois qu'elle a un thermos, et je tends le bras, sans toutefois m'asseoir. J'ai soif, il y a du soleil, je suis en costume complet parce que j'étais au travail. J'ouvre pour boire une gorgée et n'écoute pas ses avertissements - résultat : je me brûle la lèvre et éloigne le thermos (engin du diable) de mon visage. "Tu te rends compte que j'étais en réunion avec tous les directeurs de département ?" Finalement, l'idée de l'empoisonner n'est plus aussi fantasque qu'avant, et viendrait même faire un tout petit peu sens. Je remarque qu'il y a aussi le livre d'Austen sur la nappe. "Tu l'as fini ? Déjà ?" Elle était chez moi il y a seulement une semaine, et elle disait qu'elle n'avait pas lu depuis longtemps. Aurait-elle retrouvé un appétit de mots aussi vite ? "Ou tu as abandonné au milieu parce que tous les malentendus et conflits te faisaient pleurer ?" Je prie simplement pour qu'elle n'ait pas mis de chips dans mon livre. Le soleil va bientôt se coucher, et je vois que d'autres groupes grimpent sur la falaise et s'installent sur la pelouse. Au moins, mon voeu de se voir seulement en public à partir de maintenant s'est réalisé. Ce sera plus simple comme ça.
@Jill McGrath-Fitzgerald |
| | | | (#)Mer 13 Mai 2020 - 0:44 | |
| Elle s’amuse Jill. Une semaine pile après l’aquarium elle est à kangaroo point. Avec tous ses dessins de Londres. Elle attend depuis quelques minutes, et elle a envoyé un texto à Sébastian. Elle lui a dit qu’elle était blessée et coincée sur la colline. Fourbe, certes, mais c’était un bon moyen de lui faire quitter une réunion importante au Label. Et il arrive, il est essoufflé et elle est tellement fière de sa connerie. “T’aurais pu faire encore plus vite.” Elle hoche la tête avant de se tourner vers lui pour sourire. Et il pourrait presque s’énerver, et son visage est fermé mais Jill fait la moue pour l’attendrir un peu. “Tu viens sauver une jeune femme en détresse ?” Ses yeux papillonnent et elle l’invite à s’asseoir juste à côté d’elle. “Fallait que tu viennes vite t’aurais traîné sinon.” Elle roule des yeux et elle grogne alors qu’il s’avance pour attraper le thermos. Il ne s’assoit pas, il attend debout et elle grogne encore plus. “Attention c’est chau…” Et il boit, et il se brûle et elle sourit parce qu’il aurait dû l’écouter.
“Ouais mais t’es là maintenant.” Et c’est bien mieux là que Kangaroo point. “C’était important ?” Elle se tourne vers lui qui est toujours debout. “Assieds toi ou je te montre jamais ces dessins.” Et elle attrape le carnet pour le garder contre elle. Il va craquer, elle le sait. Elle a ramené le livre, livre qu’elle a déjà lu plusieurs fois et qu’elle a relu en une semaine. “ca t’étonne ?” une semaine c’est largement suffisant pour un livre. Surtout depuis qu’elle ne travaille plus au DBD et qu’elle reste une grande partie de ses journées seule. Elle pouffe de rire avant de le regarder dans les yeux. “Les malentendus et les conflits me faisaient pleurer.” Elle fait la moue encore et elle hoche la tête en continuant de le regarder. Le soleil se couche, et la vue d’ici est magnifique. “Tu vois qu’il y a des lieux qui en valent la peine.” Et son regard se perd sur les belles couleurs du ciel alors que le carnet glisse dans les mains de Sébastian.
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| | | | (#)Mer 13 Mai 2020 - 1:19 | |
| Non, je n'aurais pas pu faire plus vite. Le temps estimé sur GPS entre le bureau et le sommet de cette colline ridicule est de 27 minutes en voiture et 45 en transport en commun. J'ai fait mieux : j'ai commandé un taxi-moto, pour arriver rapidement (trois vies étaient en jeu, d'après le message que j'ai reçu), et j'ai mis 23 minutes. Je n'aurais donc littéralement pas pu arriver plus vite. Mais je ne prends pas le temps de rétorquer, car il faut que je trouve où est la blessure (qui semble très bien cachée). Je découvre la supercherie, et pour seule défense, Jill se moque de mes instincts de chevalier et cligne les yeux de très nombreuses fois - fun fact : les êtres humains trouvent cela mignon d'avoir de très, très grands yeux (allez dans un magasin de peluches, et vous verrez) et de cligner d'un ou deux yeux le plus de fois possible (allumez la télévision). "Pourquoi il fallait que je vienne vite ?" Je regarde autour de moi, et rien ne semble avoir un caractère urgent.
Bien sûr que c'était important ; je ne fais pas de réunions pour le plaisir ; d'ailleurs, je pensais qu'on s'était mis d'accord sur le fait que je ne fais rien pour le plaisir. C'est peut-être pour ça qu'elle a feint une urgence médicale pour m'entraîner dans un lieu où, clairement, l'espèce humaine s'allonge et discute de choses et d'autres sans aucun but. Comme s'ils voulaient perdre du temps. La grimace sur mon visage s'agrandit. "Très important, j'ai un artiste en tournée et j'ai des rapports hebdomadaires sur ses performances, les chiffres - Peu importe." Si je continue à en parler, je vais m'énerver d'avoir dû partir, d'autant qu'elle a été reportée à demain, ce qui vient en contradiction avec d'autres rendez-vous, qui ont aussi dû être déplacés ; bref, c'est un tsunami dans mon emploi du temps. Et tout ce qu'elle trouve à faire, c'est me menacer pour que je m'assoie.
Et tout ce que je trouve à faire, c'est m'asseoir.
"Je pense qu'on peut désormais partir du principe que tu m'étonnes", je dis, le visage toujours sérieux, même si mes yeux se posent sur le carnet qu'elle tient entre ses mains. Cette femme est folle, mais je souhaite malgré tout voir ses dessins. "Tu as vraiment pleuré ou c'est du deuxième degré ?" D'habitude, je ne demande pas (parce que ça m'indiffère), mais là, j'ai envie de savoir. "D'ailleurs, as-tu commencé ton carnet de ressentis ?" Je suis avide de découvertes et d'apprentissages ; elle s'y est peut-être habituée, ou peut-être que moi aussi, je l'étonne. Et tandis qu'elle contemple la vue et complimente le lieu, je sens qu'elle dépose le carnet entre mes mains, et je souris, sans un regard vers Brisbane, "Oui."
J'ouvre le cahier, et mon visage se transforme dès les premières illustrations. Je me tais, et j'observe près d'une minute chaque croquis, page une, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit. J'éprouve une émotion (voilà, vous êtes satisfaits ? bande de charognards). J'y suis. J'aimerais y être. Les dessins rendent mon monde si près et si loin à la fois. Je reviens au premier, et recommence mon trajet, avant de refermer le carnet et de le poser sur mes genoux. Je jette un regard à Jill pour lui signifier de ne pas reprendre le carnet pour le moment. "Et donc quand est-ce que tu commences à dessiner tes propres maisons et est-ce que la mienne pourra être la première ?" J'ai de l'argent, elle le sait, donc je pourrai la rémunérer généreusement. Comme premier travail, il y a pire.
@Jill McGrath-Fitzgerald |
| | | | (#)Mer 13 Mai 2020 - 1:53 | |
| Elle continue de sourire, il faut bien détendre l’atmosphère quand il a l’air de vouloir la tuer d’un seul regard. Mais elle ne s’inquiète pas Jill, il va finir par se calmer, il finira par oublier ce moment où il était essoufflé parce qu’il ne se rappellera plus que du moment et des mots. Pourquoi il fallait qu’il vienne ? Parce qu’elle en avait envie, parce que rien ne va dans sa vie depuis des semaines finalement, parce qu’elle enchaine les engueulades avec Bailey et avec sa soeur. Parce qu’elle a l’impression qu’il est la seule personne qui la comprend un peu. Mais elle pince les lèvres Jill, elle baisse un peu les yeux et elle attend qu’il s’assoit. Et il s’assoit. “Tu peux toujours partir si tu veux pas rester là.” Elle lui laisse une porte de sortie, il en a toujours une. Et elle n’aura plus qu’à rester seule pour admirer le couché de soleil. parce qu’elle ne comptait pas rentrer ce soir.
La réunion était importante, mais il est là. Une histoire d’artiste en tournée et de chose que Jill ne peut pas gérer. Mais elle hoche la tête. “Et t’as tout arrêté pour venir…” Elle pourrait presque s’en vouloir. Mais elle n’avait pas envie de rester seule. C’est totalement égoïste, et pourtant, elle ne regrette toujours pas de l’avoir fait.
“J’espère que je t’étonnerai toujours.” Elle hoche la tête, ça l’amuse beaucoup de le voir comme ça, de le voir perdu, de détruire chacun de ses plans. Parce qu’il met tous ses principes de côté quand elle est dans les parages à ce qu’elle a vu. “C’était du second degré, je pleure pas aussi facilement.” Son ton n’est pas amusé, elle le voit qu’il pose une vraie question alors elle ne fait que le rassurer. Un autre carnet qu’elle doit faire, un carnet plus petit qui reste dans son sac et dans lequel elle a noté quelques trucs. Des émotions seulement négatives, et vous la croirez ou non, mais elle trouve ça plutôt bénéfique de tenir un tel carnet. Carnet dont personne ne connait l’existence, personne sauf lui.
Il regarde les dessins et elle elle continue d’observer tout le reste de la ville. Elle aime cet endroit, elle y vient souvent seule pour respirer. Et il passe de longues minutes à regarder et re regarder le carnet. Elle se tourne vers lui pour lui poser une question. “Tu veux le garder ?” Elle n’est pas du genre à observer ses dessins, ce carnet prenait encore la poussière il y a quelques jours. “Regarde derrière le carnet.” Elle y a collé un dessin, un dessin de hill garden and pergola. Il reconnaitra. “Tu me laisserais dessiner ta maison alors que je ne suis même pas dans le métier ?” Parce qu’elle peut en dessiner des tas de maisons, mais qui restent dans ses carnets en général.
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| | | | (#)Mer 13 Mai 2020 - 2:19 | |
| Maintenant que je suis là et que j'ai tout interrompu pour la sauver des dangers (inexistants), elle me dit que je peux partir. Quelle grandeur d'âme, quelle générosité. Je ne réponds pas, car ce serait cynique et agressif, et qu'avec Jill, on a une entente. "Tu connais le conte de Pierre et le loup ? Pierre criait qu'il était en danger de mort à cause d'une bête sauvage, et tout le monde arrêtait leurs activités pour venir le sauver. Mais en fait, c'était juste qu'il se sentait seul. Il le fit une fois, deux fois, trois fois, et un jour, quand le loup vint vraiment, personne ne vint le sauver et il se fit manger." Je fronce les sourcils, et je me tourne vers elle pour rencontrer son regard. "La moralité de l'histoire, c'est que s'il avait tout simplement dit qu'il se sentait seul, les autres seraient venus lui tenir compagnie. Il n'avait pas besoin d'inventer un mensonge." Je tiens trop à la vérité pour excuser qu'on s'en défasse. Ceci dit, je n'ai aucune envie de partir, car la réalité de Jill est la même que celle de Pierre : si elle se sent seule, je viendrai - de préférence, après la fin de ma réunion.
Le récit m'apaise, cependant, et lorsqu'elle mentionne le fait que j'ai tout arrêté pour venir, je balaye le fait d'un geste de la main. C'est bon. On en a parlé. Elle ne recommencera plus - pas par peur, mais par respect. Nous sommes là, maintenant. "Je n'imagine pas un monde où tu ne m'étonnerais pas", et je le dis en connaissance de cause, puisque j'ai imaginé des dimensions parallèles et nos comportements dans chacun. Il y a des personnalités qui s'allient comme les métaux. (Wikipédia précise : Pour obtenir un alliage homogène, il faut qu'il y ait miscibilité totale entre les éléments d'alliage.) L'argent (moi) et l'or (elle) s'allient, par exemple. Quoi qu'on fasse, qu'il y ait une catastrophe naturelle ou des erreurs humaines, il y aura toujours le fait indéniable que nos composantes vont ensemble, pour une raison que ni elle, ni moi pouvons expliquer. J'ai arrêté d'essayer de le justifier ou d'y réfléchir : ça provoque des migraines et mène nulle part. Je me contente de parler avec elle en public. C'est mieux que de ne plus la voir pendant des années, ce qui a été le cas après son départ de Londres.
Du second degré. J'ai bien fait de poser la question, car j'aurais opté pour de la sincérité. (Note mentale : Jill ne pleure pas facilement.)
Je parcours le carnet qu'elle me laisse explorer, et elle saisit à mon regard qu'il vaut mieux pour sa santé ne pas le reprendre tout de suite. En revanche, je ne m'attends pas à ce qu'elle propose de me l'offrir. Je scrute son visage, car j'ai peur que ce soit une nouvelle plaisanterie. "Sincère ou deuxième degré ?" Selon ses indications, je tourne le carnet, et mon visage reste incroyablement sérieux tandis que je regarde notre jardin. C'était un de mes lieux préférés avant de le lui montrer, et je n'ai jamais pu y retourner, car depuis notre soirée là-bas, il me faisait peur. Il avait une odeur et un goût d'interdit, de danger. Rien ne va lorsque mes émotions prennent le dessus sur mes pensées. Here be dragons. Je hoche de la tête sans commenter. A la place, je lui propose de dessiner ma maison, et elle semble surprise. "Je ne regarde jamais un CV quand j'embauche quelqu'un. Je n'ai pas besoin de lire ce qu'ils ont fait, j'ai besoin de lire qui ils sont, et ça, je ne peux le faire qu'en parlant avec eux. J'ai non seulement parlé avec toi, mais maintenant j'ai aussi vu ton travail. J'ai toutes les preuves dont j'ai besoin."
La nuit tombe lentement, et j'entends derrière moi des voix excitées parler d'un feu d'artifice. Mes yeux se tournent lentement vers Jill. Plaît-il ? Un feu d'artifice ? "Je n'en ai pas vu depuis mes huit ans", je commente, en partant du principe qu'elle a entendu aussi. "Pourquoi moi ?" Pourquoi n'a-t-elle pas demandé à un autre de ses proches d'être ici avec elle ce soir ? Est-ce que tout le monde était indisponible ? Est-ce qu'elle s'était disputée avec la planète entière ? "Non, ne réponds pas. Je crois que c'est une de ces occasions où les humains préfèrent ne pas savoir. Je vais essayer pour voir ce que ça fait." Je tiendrai moins de quatre minutes, clairement, mais j'obtiendrai peut-être quand même un autocollant dans mon carnet de listes pour bien essayé.
@Jill McGrath-Fitzgerald |
| | | | (#)Mer 13 Mai 2020 - 2:46 | |
| Il a vraiment l’air contrarié, et elle fronce un peu le nez Jill. Il n’aime pas le mensonge et il lui fait comprendre. Il la regarde et elle tient son regard parce que même là elle ne lâchera pas. “Tu veux dire que si je t’avais demandé de venir me rejoindre parce que j’avais besoin de compagnie tu serais venu aussi vite ?” Certainement pas, il avait une réunion apparemment. Une réunion importante, et elle a décalé tous ses plans, mais elle a envie de profiter et lui aussi puisqu’il fait un signe de la main pour qu’elle parle d’autre chose. Très bien, ils vont passer le sujet, tant mieux. “Tu travaille demain ?” Juste une question. Et elle l’étonne, elle en est ravie. Parce qu’elle trouve toujours quelque chose à faire ou à dire qu’il ne peut pas prévoir. “Heureusement que ça te dérange pas alors.” Pourtant il n’aime pas les surprises pas vrai ? Mais Jill le surprend et ça lui va, et il vient quand elle lui envoie un texto. Elle respire calmement, il lui change déjà un peu les idées alors que tout va de travers dans sa vie à elle. Elle n’a parlé de rien, elle ne le fera peut-être pas, mais elle sait que sa soirée sera hors du temps, et elle en a besoin.
Il observe ses dessins, et elle ne sait pas vraiment ce qu’il en pense. Il ne dit rien, il ne fait que les regarder et le faire encore. “Sérieux, il est à toi si tu le veux.” Elle hoche la tête, elle ne rit pas, elle est vraiment en train de lui offrir ses dessins de Londres et des endroits qu’elle a aimé. Il regarde le dernier dessin et il ne dit rien. Elle ne sait pas ce qu’il en pense, et elle n’est pas vraiment sûre de vouloir savoir après tout. Si il le garde c’est qu’il aime non ? Et puis depuis quand l’avis des autres compte autant pour elle ? Peut-être parce qu’elle a dessiné en partie des lieux qu’elle a vu quand il était dans les parages, et un lieu en particulier qui est bien à eux. Un de leur souvenir, un de leur secret gardé enfouis jusqu’à la semaine dernière. Il veut qu’elle dessine sa maison, et elle est surprise mais ravie qu’il propose. Elle pourrait au moins essayer, elle n’a pas plus à faire pendant cette grossesse de toute manière. “Tu veux une maison à Brisbane ?” Tu veux rester ici Sébastian ?
“C’est l’occasion alors.” Elle le savait très bien qu’il y avait un feu d’artifice. Et elle l’a embarqué ici sans même savoir si il aimé ça. “T’aimes bien ?” Elle oui. Elle aime être sur Kangaroo point quand tout est compliqué et quand il fait nuit. Quand le bruit du feu d’artifice est si assourdissant qu’elle ne s’entend même plus penser. Pourquoi lui. Si elle savait répondre à cette question elle penserait déjà un peu moins certainement. Et il dit qu’il ne veut pas savoir, elle n’y croit pas une seule seconde Jill. Elle ne peut pas le laisser comme ça, sans réponse à cette question. Sinon il va réfléchir tout la soirée et sera incapable de profiter de ce qu’il se passe. “Parce que…” Elle secoue la tête. “Je sais même pas, j’ai pas réfléchis. J’avais envie de te voir je crois.” Et c’est pour ça qu’elle a envoyé ce texto, et qu’elle a attendu 20 bonnes minutes assise sur cette colline à regarder le paysage.
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| | | | (#)Mer 13 Mai 2020 - 3:14 | |
| Aussi vite, aussi vite, tout est relatif. Si elle avait dit la vérité, je serais arrivé quarante minutes après. Je comprends l'argument qu'elle défend, et elle comprend le mien, de toute façon, donc je considère que c'est réglé. Dieu sait que j'ai assez de conflits à gérer au bureau pour ne pas en plus me lancer dans une dispute maintenant, dans ce lieu improbable où je me retrouve assis. C'est donc ça qu'elle aime : un vaste horizon. Elle doit se sentir enchaînée par tant de responsabilités qu'elle a soudain, des réalités qui vont la maintenir pendant des années au même endroit. Peut-être, ceci dit, a-t-elle assez voyagé pour le moment. Peut-être apprécie-t-elle justement le calme de pouvoir se construire une existence ici, auprès de ceux qu'elle aime. C'est le domaine des débats sentimentaux, donc je ne peux que jouer à deviner ; et je préfère ne pas la déranger avec de telles questions pour le moment. Si elle est venue ici, ce n'est certainement pas pour discuter de ce qu'il se passe en bas, dans les rues de Brisbane. "Oui, et après-demain aussi", je dis avec un léger froncement de sourcils. Elle vient d'arrêter de travailler (j'ai un nouvel informateur : il s'appelle Garth, et il semble un peu plus performant) et elle en perd déjà la notion des jours de la semaine. Nous sommes mercredi. "Tu ne t'ennuies pas trop ?"
Jill insiste que le carnet est pour moi, et je fais une moue, car je ne suis pas habitué à exprimer de la gratitude. Lorsque des employés réussissent un exploit, je leur dis qu'ils ont fait un bon travail. Je m'imagine mal dire à Jill qu'elle a fait un bon travail ; elle risquerait de me reprendre le carnet et de me taper dessus avec. "C'est...", je cherche une formulation appropriée, tout cela n'entre pas dans mon vocabulaire, peut-être gentil, mais je n'ai aucun respect pour la gentillesse, donc ce ne serait pas vraiment un compliment, généreux, mieux, pas tout à fait ça, mais mieux, "... un cadeau précieux." Voilà : factuel et efficace. Qui plus est, je lui propose un premier projet d'architecture, et elle me demande si c'est ici que j'en veux une, de maison. "Ce n'est pas mon premier choix, disons. Mais j'aurai bientôt un neveu et une nièce, ici. C'est donc chez moi aussi, en partie." Une pause. En théorie, je pourrais m'arrêter là, mais en pratique, pas du tout. "Londres sera toujours mon foyer." Si j'étais du genre à me faire tatouer, les lettres de ma ville trôneraient, flamboyantes, sur une partie de mon corps ; mais le concept de s'enfoncer une aiguille dans la peau pour la marquer indéfiniment m'a fait pleurer de rire la première fois que je l'ai découvert, parce qu'on dirait une invention de science-fiction pour prouver la bizarrerie d'une culture extraterrestre. "Tu voudrais une maison en Angleterre ?"
Bien sûr que Jill savait qu'il y a un feu d'artifices. Tout cela est un plan suivi à la lettre. Je ne peux reconnaître une joueuse douée quand j'en vois une. "Je ne me souviens plus", je réponds très honnêtement. L'idée générale est des explosions sonores concomitantes avec des éclats de couleurs qui s'estompaient en immenses nuages de fumée polluante. Pour ce qui est d'un ressenti, il faudrait attendre que la nuit soit complètement tombée et que les festivités commencent. La vraie question, c'est de savoir pourquoi je suis ici, pourquoi c'est moi à qui elle a écrit. J'ai beau tenter de renoncer à en connaître la réponse, c'est elle qui me l'apporte, par choix. Je salue cet effort d'un sourire. "Je sais même pas, j’ai pas réfléchi. J’avais envie de te voir, je crois." C'est comme si elle parlait russe. Je n'y comprends rien. Je hausse les épaules, plutôt que de poser une série de questions qui nous ramèneraient droit à des sujets qu'on s'interdit. "Est-ce que tu penses que la résolution de l'intrigue de Marianne est triste ou heureuse ?" Je signe ainsi le lancement de notre club de lecture très exclusif : deux participants seulement.
@Jill McGrath-Fitzgerald |
| | | | (#)Mer 13 Mai 2020 - 17:11 | |
| Elle lui demande si il travaille le lendemain, elle perd un peu la notion du temps. Elle hoche la tête, il travaille. "Oui" elle passe ses journées seule, certaines de ses soirées aussi. Donc elle lit, elle dessine elle essaie de s'occuper comme elle le peut mais le temps est long. Et pourtant, elle fatigue toujours aussi facilement. Mais ce soir, elle est occupée, alors elle profite.
Elle lui montre son carnet de dessin, comme elle l'a promis il y a une semaine. Elle tient toujours ses promesses Jill. Et il observe, soit il déteste soit il aime tant qu'il n'a pas les mots pour décrire les dessins. Alors elle le laisse tranquille, elle ne parle pas sauf pour lui demander si il veut garder le carnet. "Ravie que ca te plaise, t'en fera certainement un meilleur usage que moi." peut-être qu'il ne laissera pas le carnet prendre la poussière dans un tiroir sans jamais le ressortir. Et il lui demande de dessiner une maison. De faire une maison pour lui, à Brisbane apparemment. Elle en est étonnée, il n'était pas censé rester dans cette ville pour toujours. Elle soupire un peu, Londres sera toujours son foyer, Brisbane sera toujours celui de Jill. Deux endroits à l'opposé l'un de l'autre. Elle continue de regarder le paysage et le soleil qui se couche lentement. "Brisbane sera toujours le mien." elle hoche la tête, ca donnerait presque comme une fatalité. Et il lui demande si elle aimerait avoir une maison en Angleterre. Bailey et Ginny ont une maison en Angleterre. Elle secoue la tête. "J'en sais rien, je sais pas si j'y retournerai un jour." pourtant, elle a finit par apprécier la ville après l'avoir découverte d'un peu plus près. "J'ai trop de mauvais souvenirs là-bas…" ses parents, les internements… "j'ai rarement aimé cette ville le seul moment où je l'ai vu sous un autre angle c'est quand…" elle soupire. "Tu sais très bien quand." mais ils ont oublié, ce moment est censé ne jamais avoir existé.
Il y a un feu d'artifice, et elle avait prévu le coup Jill. Mais elle ne sait pas si il aime. Si il n'aime pas il pourra toujours se boucher les oreilles pendant quelques minutes. Il demande pourquoi elle est là, pourquoi elle lui a demandé à lui de venir. Et elle ne sait pas. Elle est honnête, et il ne répond pas vraiment. Alors elle non plus elle n'en rajoute pas, et il parle du livre. L'art de Sebastian de détourner la conversation, et ça la fait rire, encore. Elle fronce les sourcils en tournant sa tête vers lui. "Elle grandit et elle évolue, ça peut pas être triste. Elle passe par des étapes tristes mais c'est ce qui fait qu'elle devient adulte. Mais je trouve qu'Elinor est bien plus intéressante que Marianne, et bien plus forte aussi. Leurs histoires sont tout aussi difficiles mais l'une sait bien mieux tout cacher que l'autre. Après certains disent que c'est plus dur de montrer ses émotions que de les cacher, ça dépend des points de vus."/b] et, là encore, la conversation pourrait durer des heures. [b]"A toi !" elle sourit parce que ça fonctionne toujours comme ça, elle parle, puis lui donne son avis, et les deux sont souvent différents.
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| | | | (#)Jeu 14 Mai 2020 - 0:05 | |
| Jill s'ennuie. Personne ne l'avait prévenu, peut-être, que la grossesse est une chrysalide qui dure longtemps, un trajet qui, même si on est entourée, se vit principalement seule. Je sais qu'elle déteste s'ennuyer, et je commence déjà à réfléchir à des solutions. Tricoter n'est a priori pas une activité qui lui plairait beaucoup. "Il te faudrait un projet", je dis à haute voix, mais je réfléchis toujours, quel genre de projets, elle dit qu'elle ne tient pas forcément à l'utilité mais c'est un moment où elle a besoin d'avoir son énergie canalisée quelque part, sans trop d'activité physique, pas de jardinage, a priori pas de cuisine, du moyen-terme. "Un blog ?" Mais j'ai une grimace, car je ne suis pas convaincu. Ecrire, pourquoi pas, mais un blog ? C'est un format qui manque de dignité, de panache. "Tu pourrais écrire sur tes voyages... Ca te plairait ?" Je ne sais pas si elle aime écrire, à vrai dire.
Elle me lègue son carnet, et se montre d'une politesse qui me surprend. Elle n'a jamais été que tornade, mais je l'ai rarement connue aussi douce. J'en deviendrais suspicieux avec n'importe qui. Pour l'heure, je suis détendu. J'acquiesce, car bien sûr, je le regarderai bien plus qu'elle ne le fait. C'est chez moi, après tout. Et ici, c'est chez elle. Nous regardons la ville en discutant de nos foyers, qui sont si inexorablement loin l'un de l'autre. "J'en sais rien, je sais pas si j'y retournerai un jour." Ah. Je hoche de la tête, la mâchoire serrée. Le problème est réglé. Pas besoin d'être clairvoyant pour savoir que si elle ne veut même pas remettre les pieds en Angleterre, nous n'aurons pas souvent l'occasion de nous voir. Je passerai ici, bientôt, pour voir la petite progéniture Fitzgerald, mais mon travail me maintiendra principalement là-bas. "J'ai trop de mauvais souvenirs là-bas…" Je me souviens de l'hôpital avec une grimace. J'avais détesté la voir dans cet état, une bête en cage, trahie par les siens, et j'avais tout fait pour la sortir de là - mais ça avait pris du temps, et elle en était sortie abîmée, brisée. "J'ai rarement aimé cette ville le seul moment où je l'ai vu sous un autre angle c'est quand… Tu sais très bien quand." J'acquiesce. "Oui", je confirme, "j'avais essayé d'être présent ce soir-là, mais j'avais dû voyager pour un contrat", car elle parle de la soirée où elle a rencontré Bailey, bien sûr, j'avais vu sur le visage de mon frère que sa vie avait changé, et j'avais su qu'il s'agissait d'une femme. Les calculs avaient été assez simples à partir de là.
Mais plutôt que de parler d'eux, ou de nous, nous parlons de littérature, car nous sommes passés maîtres dans l'art d'éviter les sujets compliqués. Elle m'expose son point de vue, et je souris. "Marianne m'a exaspéré pendant tout le livre, et pourtant j'ai détesté qu'elle renonce à la fin. Elle s'est tant battue pour vivre sa vérité - ce que je trouve ridicule, certes, mais elle y a mis tant d'énergie, et de courage." Je lève les yeux vers le ciel à la recherche des étoiles qui ne sont pas encore visibles. "Et puis, l'histoire d'Elinor est invraisemblable. On ne passe pas sa vie à cacher ses sentiments pour soudain être récompensé par un amour véritable." Mon ton est peut-être plus sec que je ne l'aurais souhaité. Je me tourne vers le thermos, incertain : "Est-ce que je vais encore me brûler ou est-ce que ce sera buvable maintenant ?" Je suis circonspect. C'est gentil d'avoir amené du thé, mais je préfère le boire en tasse.
@Jill McGrath-Fitzgerald |
| | | | (#)Jeu 14 Mai 2020 - 1:00 | |
| Il réfléchit pour l’aider. Pour l’aider vraiment, parce qu’elle s’ennuie. Et lui il s’affaire à lui trouver un projet. Jill sourit, il réfléchit sûrement bien plus qu’elle. Elle attend qu’il trouve des idées, peut-être qu’il peut vraiment l’aider. “Si ça m’occupe assez j’aurais peut-être même plus besoin de t’envoyer des textos.” Elle hausse un sourcil mais continue d’écouter ce qu’il a à dire. Elle fronce les sourcils à l’idée du blog, pas vraiment son genre d’étaler sa vie sur un ordinateur. Ecrire sur ses voyages, pourquoi elle n’y a jamais pensé ? Raconter à l’écrit tous ses souvenirs, peut-être que ça lui permettrait de ne plus “Je crois bien.” Elle se retrouve à réfléchir à tout ce qu’elle pourrait raconter. “Mais rien de public, je me ferai un nouveau carnet.” Et ça va lui en faire des tas et des tas de carnets à garder pour elle dans sa maison.
Ils parlent de Londres et de Brisbane. Jill se sent chez elle à Brisbane, Sébastian est chez lui à Londres. Et ils ne pouvaient rien faire contre ça. Alors elle soupire Jill, et elle essaie d’expliquer à Sébastian pourquoi elle ne se sent pas chez elle là-bas, pourquoi il peut lui arriver de détester cette ville plus que tout. Elle lui dit qu’il y a trop de mauvais souvenirs, qu’elle ne peut pas rester là-bas sans penser au mariage ou à l’hôpital. Et elle croit qu’il comprend, mais non. Il ne comprend pas du tout de quelle soirée elle parle. Il ne se doute même pas qu’elle puisse parler de la soirée qu’ils ont passé ensemble loin de tout. “Je parlais pas de cette soirée là” pendant cette soirée elle avait encore détesté Londres et ses parents. Et c’est surtout pour ça qu’elle s’était retrouvée à chercher les endroits les plus calme de la maison. “Je parlais de la soirée où on a visité la ville.” Ou seulement une partie des endroits préférés de Sébastian. Pourquoi elle fait renaître tous ces souvenirs ?
“Etonnant comme analyse.” Elle hoche la tête et continue de l’écouter. Elle est plus ou moins d’accord. “Je pensais pas que t’aurais pu être triste pour Marianne.” Déjà parce qu’il ne ressent pas d’émotions en général, mais surtout parce qu’il n’est pas du genre à prendre qui que ce soit en pitié. Mais elle est assez d’accord sur le reste de son avis. Elle apporte le thermos à ses lèvres, c’est toujours chaud mais plus brûlant. “Tu peux boire c’est bon tu devrais survivre.”
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| | | | (#)Jeu 14 Mai 2020 - 1:41 | |
| "Si ça m’occupe assez j’aurais peut-être même plus besoin de t’envoyer des textos." Je me fige. Je n'avais pas réfléchi à cette conséquence-là. Je ne suis donc bon qu'à combler l'ennui ? C'est déjà une qualité remarquable. Néanmoins, je vais continuer de chercher à l'aider, car c'est devenu mon modus operandi, apparemment. Elle refuse l'idée du blog (heureusement), mais s'intéresse aux récits de voyage. C'est lorsqu'elle dit "rien de public" que j'ai soudain une idée. "Je sais ce que tu peux faire." Et j'avais dit que je ne m'en mêlerais pas, mais m'avez-vous déjà vu ne pas me mêler d'une histoire ? "Tout architecte a besoin d'un site maintenant", ce qui me semble ridicule par ailleurs, mais admettons, il faut accepter les règles du jeu telles qu'elles sont, "et un site digne de ce nom prend des mois à être créé." Si elle sait que c'est son futur, que c'est son rêve, pourquoi ne pas commencer maintenant ? Elle pourrait réfléchir aux aspects du business en tant que tel : le marketing, les clients, les budgets. Elle pourrait même créer des liens avec des personnes de Brisbane qui seraient intéressés dans une éventuelle collaboration avec eux. Je me force à arrêter de penser au fait que le label pourrait avoir besoin d'un nouveau studio, parce que c'est faux. En revanche, Saül pourrait avoir envie d'ouvrir un nouveau magasin, et elle serait parfaite - mais il voudra qu'elle ait fait ses preuves avant. Arrête, Sebastian.
"Je parlais pas de cette soirée là."
Je tourne lentement les yeux vers Jill, car il n'y a qu'une autre soirée dont elle pourrait parler - à moins qu'elle ait vécu une nuit extraordinaire avec Bailey, mais pourquoi m'en parlerait-elle ? Ce serait cruel, et ce n'est pas son genre. Non, elle ne peut parler que "de la soirée où on a visité la ville." Je soupire. "Je t'ai déjà dit tout ce que j'avais à dire sur le sujet", la semaine dernière, quand elle était chez moi, et que j'ai avoué (je n'aurais pas dû) mon regret de ne pas l'avoir rappelée à l'époque. Elle n'avait rien répondu, et m'avait entraîné dans la cuisine pour qu'on parle d'autres sujets. La conversation est donc close de mon côté.
"Etonnant comme analyse. Je pensais pas que t’aurais pu être triste pour Marianne." "Je ne suis pas triste. Je ne suis pas ravi non plus." Le spectre de mes ressentis est difficile à décrire, car il n'est partagé par quasiment personne. Le sien non plus, ceci dit. "Tu peux boire c’est bon tu devrais survivre." Je prends le thermos et bois, en regrettant qu'il n'y ait pas du gin à portée de main quelque part. Les adultes boivent de l'alcool lorsqu'ils vont voir les feux d'artifice, non ? Pas les femmes enceintes, certes. Je me retiens de mentionner la liste des prénoms. Je me retiens de mentionner quoi que ce soit en rapport avec la grossesse. Et, enfin, une étoile apparaît. Le spectacle va bientôt commencer. "Tu ne serais pas heureuse avec moi", je prononce, et ça n'a jamais été aussi difficile d'articuler une phrase de ma vie entière, mais c'est important pour elle et c'est important pour moi, "parce que nos corps ont des besoins diamétralement opposés, que nos foyers sont à des milliers de kilomètres de distance, et que mes valeurs te dégoûteraient une fois qu'elles auraient cessé de t'intriguer." Mes yeux n'ont pas quitté le ciel. Et, heureusement, les feux d'artifice commencent et annulent toute tentative de réponse qu'elle aurait pu faire. Le silence et le spectacle. Je fixe les lumières là-haut, qui brillent sur l'impossibilité que nous sommes.
@Jill McGrath-Fitzgerald |
| | | | (#)Jeu 14 Mai 2020 - 2:21 | |
| Il la fait réfléchir, vraiment. Parce que ça lui donne de vraies idées. Des trucs qu’elle pourrait faire pour s’occuper. Elle repense à ses voyages en souriant un peu. Elle a des tas de dessins, mais aucun écrit. Pourquoi pas, elle les garderait pour elle, comme elle a souvent tout gardé pour elle sur ses voyages. Il sait ce qu’elle peut faire, elle fronce les sourcils. Il a des tas d’idées quand Jill n’a pas été capable d’en trouver une à part lire. Architecte, site, tout ça sonne vraiment officiel. “Je sais pas faire ça, j’ai jamais créé de site.” Elle se pose des tonnes de questions, elle ne saurait même pas par où commencer. “Et si t’étais le seul à aimer ce que je fais ?” ça fait partie des grosses questions qu’elle se pose. “Comment je peux bien créer tout ça ? Comment je peux créer toute une entreprise ?” C’est terrifiant, c’est peut-être trop gros pour elle, trop difficile.
Il est braqué Sébastian, il a dit 3 mots sur la soirée à Londres et il refuse d’en parler de nouveau. Elle grogne Jill. “C’est trop facile ça.” C’est trop facile de fuir, de ne pas vouloir revenir sur le sujet, de l’oublier pour de vrai cette fois certainement. Mais elle ne forcera pas, elle râle mais elle ne le forcera pas. Il veut taire le sujet, très bien. Ils n’en parleront plus jamais si c’est ce qu’il veut vraiment. Mais la vie n’est pas aussi simple, même quand on s’appelle Sébastian Fitzgerald.
Et ils changent de sujet, ils parlent du livre et c’est certainement mieux comme ça. C’est mieux de parler livre ou montre à quartz. Ses sentiments sont toujours aussi compliqués à comprendre, mais elle essaie encore et encore. C’est intéressant, et inconnu. Alors autant essayer. Le feu d’artifice va commencer alors elle se tait. Elle se concentre sur le ciel, sur les étoiles et sur le bruit que font les gens qui se sont installés autour d’eux. Mais il parle quelques secondes avant que tout explose, au sens propre comme au figuré. Elle ne serait pas heureuse avec lui, mais d’où il peut savoir ça ? Elle pince les lèvres, ce n’est pas le moment de parler de ça, ce n’est jamais le moment d’évoquer un truc pareil alors qu’elle est mariée et enceinte. Elle aurait pu parler quand elle a enfin tourné la tête pour essayer de comprendre ce qu’il pense réellement.
Et c’est long, et elle ne profite même pas de tout ça, et elle lutte pour ne pas partir en courant parce que l’ambiance devient insoutenable. Et c’est le bouquet final, elle le sait. Mais qu’est ce qu’il va se passer quand il n’y aura plus aucun bruit ? Elle n’a même pas envie de le savoir. “Tu n’en sais absolument rien.” Elle ne sait pas non plus, personne ne peut savoir. Et elle se lève pour rejoindre un rocher un peu plus loin, juste un peu de calme et d’espace pour profiter des quelques lumières dans le ciel.
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| | | | (#)Jeu 14 Mai 2020 - 2:36 | |
| Jill est réceptive à mes idées. Je suis habitué à trois options : soit qu'on refuse catégoriquement ce que je dis (Bailey), soit qu'on s'y plie par terreur (tout le reste de mes employés), soit qu'on les accepte le temps de jouer (Saül et Ariane). Jill, elle, est sincère dans sa réflexion. Elle considère mes suggestions, leur valeur, si elles font sens pour elle. J'espère qu'elle acceptera de me montrer ses carnets de voyage. "Ce n'est pas difficile à apprendre, et tu as tout le temps du monde. C'est laborieux, ceci dit, donc il faudra que tu sois patiente." Et je sais que ce n'est pas son fort, mais je sais aussi qu'elle est prête à tout pour réaliser ses rêves. "Je ne serai pas le seul, mais je serai toujours le premier", et je souris, car c'est ma victoire personnelle sur tout ce qui s'est mal passé, tout ce qui aurait dû être différent. J'ai découvert son travail d'abord ; c'est puéril, mais c'est vrai. "Quant à créer une entreprise, tu as de la chance d'avoir signé un pacte d'entente avec quelqu'un qui connaît tout sur le sujet. Si tu acceptes mon aide, je te l'offre." J'adore les listes, et tout ce qui va avec : les documents Excel, les présentations pour les investisseurs, les arguments de vente, les budgets. C'est un monde carré, mathématique, et facile à comprendre.
Bien plus que les sentiments, et les souvenirs. Elle parle de facilité, et je me retiens de répondre par un commentaire vif et aride. C'est tout sauf facile. Le fait que je me maintienne à distance, que je respecte ses choix, alors qu'ils ne correspondent pas à ce que je voudrais, ce n'est pas facile. Je me mure dans mon silence, dans des conversations littéraires, mais finalement, je cède. Car il faut qu'elle sache pourquoi il vaut mieux renoncer. Il faut qu'elle sache pourquoi ça ne sert à rien de parler de Londres encore et encore. Elle ne serait jamais heureuse avec moi, je le sais, et on peut tourner la question mille fois de façons différentes, le résultat sera toujours le même. Nous sommes aussi parfaits qu'impossibles l'un pour l'autre. L'or et l'argent s'allient mais ne se ressemblent pas, et un jour ou l'autre, ces différences nous sépareraient, alors pourquoi ne pas s'avouer vaincus dès maintenant ? Ce serait plus rapide. Je regarde les feux d'artifice d'un oeil désintéressé, car une douleur grave pulse en moi, et je n'en ai pas l'habitude, et ça me déplaît fortement. Elle ne fait que s'agrandir lorsque Jill s'éloigne. Tu n'en sais absolument rien, ses mots résonnent en écho, mais je refuse de les croire. Je sais tout. J'ai toujours tout su. C'est ce qui fait que je suis aussi puissant aujourd'hui. La connaissance, la capacité de prédire. Je vois des enchaînements qu'elle ne veut pas imaginer. Elle est loin, de toute façon.
Je ne regrette pas ce que j'ai dit. La vérité rendra plus simple sa vie, son mariage, sa grossesse. Je pourrai être le parrain de loin, celui qui enseigne aux enfants les vérités fondamentales de cette jungle dans laquelle on vit en faisant semblant d'être civilisés. Je me ressers dans le thermos, mais ça ne sert à rien. Je n'ai pas soif. Je n'ai pas faim. Je n'ai pas sommeil. J'aimerais ne pas être aussi lucide, mais j'ai toujours été comme ça, et on ne me changera pas aujourd'hui. Même Jill n'a pas ce pouvoir-là. J'attends, assis, et le feu d'artifice se finit. Tout le monde applaudit. Pas moi. Ils n'entendent probablement pas les applaudissements, de là où ils sont, les oreilles malmenées par leurs créations. Je caresse le livre et le carnet du bout des doigts ; je n'emporterai qu'eux chez moi, ce soir. Je rentrerai seul, comme d'habitude, mais il y aura une certaine amertume, cette fois, je le sens, et ça me débecte. Rien à ajouter, rien à retirer. "Je n'ai pas été de bonne compagnie, je suis désolé", je lui dis, une fois levé et rapproché du rocher, d'elle. "Tu veux que je te raccompagne ?" Peut-être préfère-t-elle rester seule, ici. Je ne sais pas. Je ne sais pas ce qu'elle veut.
@Jill McGrath-Fitzgerald |
| | | | (#)Jeu 14 Mai 2020 - 3:05 | |
| Il propose de l’aider et ça ne l’étonne pas. “Tu crois qu’il faut faire des formations pour apprendre ça ?” Pour apprendre à créer des sites. C’est compliqué, mais elle envisage l’idée. Tout se forme dans sa tête, elle aime vraiment ce qu’elle pourrait faire de ce métier. Elle y pense souvent, elle dessine beaucoup. Encore plus qu’avant. Des dessins qu’elle n’a même pas sur elle. “Tu es toujours le seul pour l’instant.” Parce que même Bailey n’a pas vu ses dessins d’architecte. Elle a bien trop peur de les montrer, de se rendre compte qu’elle aurait pu faire ça depuis longtemps mais qu’elle s’est sabotée pendant des années. “Oh tu dois certainement avoir des tas de conseils à me donner.” A qui d’autre elle pourrait demander si elle envisage cette idée ? Elle sourit en ramenant ses jambes en tailleur. C’est le seul qui sait tout ça, qui sait vraiment qu’elle envisage de la créer son entreprise, de devenir une vraie architecte. C’est effrayant.
Mais il faut qu’elle lance le mauvais sujet et qu’il donne la mauvaise réponse. Comment il peut penser qu’une fois suffit ? Qu’une seule phrase lâchée hors de son contexte peut suffire après tant d’années ? Il l’énerve, vraiment. Et elle l’écoute quand même déblatérer une tonne de chose dont il ne sait rien. Parce que ça ne se prévoit pas ça, ça ne peut pas se prévoir même pour monsieur je sais tout. Et elle ne sait toujours pas ce qu’il pense, son visage est sans expressions. Celui de Jill aussi. Et elle profite quelques minutes du feu d’artifice avant de s’enfuir un peu plus loin. Il fuit la conversation, elle le fuit lui tout simplement. C’est mieux non ? C’est mieux de partir plutôt que d’avoir cette conversation pas vrai ? Il a ses croyances, alors autant le suivre. Autant acquiescer sans rien rajouter parce que c’est mieux pour le monde entier.
Il est bien ce rocher, il est isolé, elle est seule et elle profite des dernières explosions en essayant de ne réfléchir à rien. Mais tout se finit, et il revient et elle ne le regarde même pas. Essayant de se concentrer sur les volutes de fumée qui restent encore quelques secondes dans le ciel. Il parle, pourquoi il faut qu’il parle toujours. “Je peux rentrer seule.” Son ton est froid, son visage n’exprime rien parce qu’elle est aussi énervée que perdue. Elle se relève et tourne les talons avant de s’arrêter. Mauvaise idée Jill. Et elle fait volte face, il fallait s’y attendre. “T’as pas le droit de faire ça Sébastian.” Non, il ne peut pas faire ce genre de choses. “Tu peux pas constamment dire que tu ne peux rien ressentir pour finalement me faire des demi aveux des années après.” Elle fronce les sourcils, c’est trop compliqué. “T’as pas rappelé, ok. On a dit qu’on devait oublier cette soirée et visiblement on l’a pas oublié. Mais c’est pas parce que tu parles une seule fois de ce que t’as vraiment pensé après m’avoir laissé chez moi que tout doit être facile. Mais tu veux pas parler de Londres, très bien. On parlera plus de Londres.” Elle est presque à bout de souffle, elle aurait dû se taire.
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| | | | (#)Ven 15 Mai 2020 - 21:56 | |
| "Je pense que tu trouveras sur Internet tout ce dont tu as besoin pour apprendre à créer un site", car la magie de cette nouvelle technologie, c'est la démocratisation du savoir. Pour une fois, pas besoin de livre ou d'enseignant - dans les labyrinthes du Web, elle trouvera des vidéos, des explications pas à pas, et des exemples à suivre. Je ne m'inquiète aucunement pour elle. Jill précise que je suis le seul à être au courant, et je me demande si elle voit à mon sourire la satisfaction que cette information m'apporte. Le seul. "Des conseils, oui", je répète, car je suis plus habitué à : instructions, ordres, menaces, investissements, ultimatums ; bref : j'ajoute un mot à mon vocabulaire. Il n'y aura pas de conséquences si Jill ne fait pas ce que je dis, et c'est étrange à envisager.
Ce qui suit m'étonne bien plus encore. Je dis à Jill des phrases pour l'aider, et non seulement elle s'énerve, mais elle s'éloigne. Lorsque je la rejoins, elle semble sur le point de partir, et n'a aucune envie de me regarder dans les yeux. Je m'apprête à accepter l'échec de cette soirée, lorsqu'elle se retourne. "T’as pas le droit de faire ça Sebastian." "Au moins, tu ne m'as pas appelé Seb." Car là, j'aurais su qu'elle était vraiment furieuse. Par ailleurs, je n'ai aucune idée de ce qui a bien pu l'énerver dans ce que j'ai dit. "Tu peux pas constamment dire que tu ne peux rien ressentir pour finalement me faire des demi aveux des années après." L'être humain est fait de paradoxes. Je ne m'attendais pas à éprouver des sentiments pour qui que ce soit, du moins pas de cette nature-là, et je ne m'en suis rendu compte que bien après. Les humains acceptent tout le temps ça entre eux, mais apparemment je suis tenu à d'autres standards.
"T’as pas rappelé, ok. On a dit qu’on devait oublier cette soirée et visiblement on l’a pas oublié. Mais c’est pas parce que tu parles une seule fois de ce que t’as vraiment pensé après m’avoir laissé chez moi que tout doit être facile. Mais tu veux pas parler de Londres, très bien. On parlera plus de Londres." Je souris. "Tu es fâchée parce que je ne voulais pas parler de Londres ?" C'est inattendu. Je fais un geste vers la nappe pour qu'on s'assoit. Quitte à avoir cette conversation, autant qu'on soit installés confortablement. Elle accepte de me suivre, ce qui est déjà un premier pas considérable, et je prends le temps de réfléchir. "Je n'ai pas pour habitude de parler du passé, car la particularité du passé est qu'on ne peut pas le changer." Je jette un coup d'oeil à son visage pour déterminer si elle est sur le point de déserter la discussion. Pour le moment, elle est encore là. "Au présent, même en omettant l'obstacle le plus évident", les obstacles en réalité, car il y en a trois, "je dis d'abord que nos besoins physiques sont différents, et là-dessus, je ne vois pas ce qu'il peut y avoir d'énervant." Je sens qu'il va falloir déconstruire le discours, car tant que je ne comprendrai pas la raison de sa colère, je n'y pourrai pas grand-chose. Mais peut-être qu'il y a une façon plus simple de résoudre le mystère. "Est-ce que tu peux m'expliquer pourquoi tu es énervée ? Je ne comprends pas."
@Jill McGrath-Fitzgerald |
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