Le film de la dernière heure se rejouait en boucle dans l’esprit de Colleen. Le SMS de Livia. La surprise de découvrir Marius à ses côtés. L’embarras qui avait coloré les joues du professeur d’histoire des arts quand elle l’avait interrogé sur sa relation avec la belle Italienne. Leur mystérieux aparté à l’abri des regards. Le manque d’impartialité de Marius dans la compétition de cheesecakes. L’aquarelle de Gabriele. Leurs sourires, leurs regards, leur complicité… Tant d’indices qui lui avaient mis la puce à l’oreille, tant de détails qui avaient tissé une conviction tenace dans son esprit tourmenté. Plus jeune, Colleen se serait efforcée de dissimuler le malaise qui l’animait, elle aurait choisi la fuite plutôt que la confrontation. Elle aurait fait de son mieux pour maquiller sa déception et accepter qu’elle s’était tout simplement bercée d'illusions. C’était de cette manière qu’elle se protégeait le mieux : en refermant son cœur à double cœur et en fuyant. Mais elle avait évolué. Ces derniers mois en particulier. Son expérience en Australie lui avait permis d’appréhender les choses différemment, et sous le regard peiné de Marius elle avait été incapable de maintenir l’illusion de son mensonge plus longtemps. Non, ça n’allait pas. Oui, elle était triste. Triste de réaliser qu’elle s’était trompée sur toute la ligne. Bouleversée de se rendre compte qu’elle s’était tant attachée à Marius qu’il lui était difficile de se satisfaire pleinement du bonheur qu’il semblait avoir retrouvé. Troublée par son égoïsme, elle qui avait pourtant affirmé à Marius qu’il méritait d’être heureux après tout ce qu’il avait traversé, peu importait la forme que ce bonheur prendrait. Pour la deuxième fois de sa vie elle essuyait un échec amoureux – ou du moins un échec dans sa vie amoureuse. En dépit de ses réticences utopiques, de ses promesses illusoires, de ses tentatives futiles pour s’en tenir à ce qu’elle avait prévu à son arrivée en Australie, la réalité était indiscutable : cela faisait plusieurs semaines qu’elle ne considérait plus vraiment Marius comme un simple ami. Elle qui s’était raccrochée à son serment sentait bien que les barrières qu’elle était parvenue à ériger continuaient de tomber les unes après les autres, au fil de ses rencontres avec le beau brun. Que son désir d’apprendre à le connaître n’était pas tout à fait innocent. Qu’envers et contre tout, l’espoir s’était immiscé en elle et avait englouti sa détermination initiale. Et le pire était qu’elle ne le réalisait qu’en cet instant, alors qu’il était déjà trop tard. Une fois de plus elle maudissait sa faiblesse. Elle aurait tant aimé faire partie de ces femmes qui assumaient complètement leurs désirs, celles qui n’avaient pas froid aux yeux et qui osaient – force était de constater qu’elle ne faisait nullement partie de cette catégorie et en était même aux antipodes.

Les secondes qui suivirent l’appel de Livia sur l’estrade s’étirèrent et se prolongèrent de manière insoutenable. Marius n’avait pas eu le temps de lui répondre, et elle sentait son ventre se nouer d’anxiété à l’approche des révélations fatidiques. Elle fit de son mieux pour se concentrer sur la silhouette de Livia, sur son sourire éblouissant lorsqu’elle accepta le prix qu’on lui tendait, sur son regard dans lequel elle décelait un mélange de fierté et d’humilité. Mais tout ce que son esprit enregistrait était les cliquetis de l’appareil photo du téléphone de Marius et ce qu’ils représentaient pour elle. Elle s’en voulait tellement de ne pas pouvoir apprécier pleinement la victoire de son amie ! S’agaçait de son nombrilisme, elle qui était d’ordinaire si désintéressée. La vérité était qu’elle ne parvenait pas à jouer la comédie et que son sourire était aussi figé que son esprit.  

Profitant de l’éloignement temporaire de Livia, Marius rangea finalement son portable et lui fit face. Elle ressentit son trouble et s’interrogea. Se rendait-il enfin compte de ce qu’elle éprouvait ? De la déception qui teintait son regard ? Peinait-il à trouver les mots pour lui expliquer la situation ? A trouver les mots qui, à n’en pas douter, lui feraient l’effet d’une gifle ? Elle retint son souffle.

« Livia et moi ne sommes pas ensemble ». Elle fronça les sourcils, dubitative, alors il se lança dans ses explications. Il lui parla de l’épicerie, de la rencontre sur la plage, de la curiosité de Gabriele, de leur entente… Et de l’absence totale d’ambiguïté entre Livia et lui. Les convictions de Colleen s’effondrèrent et elle se rendit compte que comme souvent, son imagination avait joué un film bien loin de la réalité. Son cœur se desserra, elle déglutit, et le laissa poursuivre alors qu’il avouait qu’il ne se serait jamais comporté comme il l’avait fait avec elle s’il y avait eu quoique ce soit entre Livia et lui. Leur soirée ensemble, le bouquet de fleurs qu’il lui avait fait livrer, la surprise qu’il lui préparait pour son anniversaire… Tant de preuves qui l’innocentaient. La gifle fut réelle, mais ce fut Colleen qui se l’assena. Elle avait laissé ses craintes altérer son jugement et avait l’air d’une parfaite idiote à présent ! Elle n’avait qu’une envie : se cacher dans un trou de souris et ne plus jamais en sortir. « Oh ». Douchée par la honte, elle était rouge écarlate. « Non, c’est moi qui suis désolée… J’aurais dû te laisser une chance de te justifier avant de me faire des films. Mais… » Elle plissa les yeux. « Je tiens à te dire que tu ne me dois rien Marius. Tu… Tu comprends ce que je suis en train de te dire ? ». Elle se sentit très mal à l’aise mais n’échappa pas au regard du beau brun pour autant. Elle avait décidé que fuir n’était pas la solution et que pour éviter le moindre malentendu il était plus sage d’être honnête avec lui. « Je pensais que vous étiez ensemble et je ne comprenais pas pourquoi tu ne m’en avais pas parlé. C’est pour cette raison que je me suis sentie blessée. Du reste… Ce serait mentir que de dire que tu ne comptes pas pour moi, mais je répète que tu mérites de trouver le bonheur, et si c’est avec une femme aussi formidable que Livia j’en serais ravie ». Elle eut le sentiment de ne pas être totalement transparente avec lui, mais que pouvait-elle lui proposer de plus ? Il lui était impossible de lui promettre quoi que ce soit, même s’il était évident à présent qu’ils ressentaient la même chose l’un pour l’autre. Même si elle en mourrait d’envie. Elle n’était pas encore complètement remise de son divorce et de ses désillusions, et envisager le début d’une histoire l’effrayait.

Rayonnante, Livia se rapprocha d’eux et elle décrocha son attention de Marius pour l’accueillir. La jolie Italienne tenait son prix dans une main, une coupe dans l’autre. Son bonheur faisait plaisir à voir et tout esprit de compétition envolé, la brune se réjouissait véritablement pour elle. Marius la félicita à son tour et lui promit de beaux clichés de ce moment qu’il était parvenu à immortaliser. Livia resta modeste malgré tout et proposa à Colleen de goûter son cheesecake. Elle esquissa un sourire. « Avec plaisir, j’en ai un deuxième à l’appart – je l’avais fait au cas où il arrivait un malheur au premier. Je t’en amènerai une part » Lui promit-elle. Livia s’excusa de ne pas pouvoir les inviter chez elle pour fêter ça ; elle était attendue pour dîner. Si Colleen se fiait à l’éclat du sourire qu’elle arborait, ce quelqu’un qui l’attendait n’était certainement pas Gabriele. « Une prochaine fois avec plaisir ». Puis libérée du poids qui pesait sur ses épaules depuis le début de leur conversation, elle lui fit un clin d’œil. « Allez, file avant de faire attendre ce quelqu’un ». Elle se tourna vers Marius et lui offrit un sourire timide. « S’il reste un peu de cheesecake, que dirais-tu d’en goûter une part ? Promis, je ne te demanderai pas de faire un choix entre celui de Livia et le mien !». Ce serait sans doute l’occasion pour elle de se rattraper – il n’y avait rien de tel qu’un plaisir sucré pour s’excuser.

@Livia Visconti & @Marius Warren

Tu n’avais pas envisagé que ton après-midi se déroule ainsi quand tu avais décidé de répondre présent à l’invitation de Livia pour ce concours de cheesecake. Voilà un gâteau que tu ne connaissais que de nom avant toute cette histoire et même si tu l’avais apprécié, rien ne pourrait remplacer à tes yeux les pâtisseries françaises. Mais il n’était pas question de faire de comparaisons qui n’avaient pas de sens, tu étais là pour soutenir ton amie avant tout. La présence de Colleen à cet évènement t’avait surpris mais était bien loin de te déplaire. C’était une occasion de revoir la jeune femme encore une fois entre deux de vos entrevues et comme votre prochaine date était l’anniversaire de Colleen, tu étais plutôt heureux d’avoir pu la voir aujourd’hui. Cependant, plus les minutes passaient, plus l’après-midi se déroulait et plus tu sentais que la situation t’échappait. Le sourire de Colleen se faisait moins franc et ses yeux laissaient transparaître une forme de tristesse que tu n’arrivais pas à comprendre alors que Livia vous dévorait tous les deux de son regard curieux, l’esprit de son côté occupé par un mystérieux monsieur dont elle gardait précieusement le secret. Tu ne connaissais pas assez Livia pour te permettre de la taquiner ou de l’interroger sur sa vie amoureuse, cela ne regardait qu’elle. Mais peut-être que Colleen aurait l’occasion d’en apprendre plus sur ce mystérieux correspondant. En attendant, il était temps de remettre les prix de ce fameux concours. Et la question qui sortit des lèvres de Colleen quand tu la suppliais presque de te dire ce qui n’allait pas te surprit totalement. Livia et toi ? Cela ne t’avait pas traversé l’esprit mais ce n’était pas une supposition sortie de nulle part. Vos nombreuses conversations à l’épicerie et les séances où tu avais goûté ses créations vous avait permis de créer une certaine familiarité qui n’existait pas après votre première rencontre. Mais il n’y avait jamais eu d’ambiguïté avec Livia bien que tu reconnaisses qu’elle soit une très belle femme en plus d’être charmante, intelligente et douce. Tu n’eus pas le temps de t’expliquer une fois que tu repris tes esprits parce que la deuxième position fut appelée et Livia monta sur scène pour récupérer son prix après que Colleen l’ait félicitée. N’ayant pas encore eu le temps de le faire, tu t’appliquais à prendre des photos de ton amie qu’elle pourrait conserver plus tard en souvenir de cette journée. Une fois le nombre de photos suffisant, tu te tournais vers Colleen pour t’expliquer parce que tu avais besoin de le faire. Il était hors de question que tu la laisses penser que tu étais avec Livia quand ce n’était pas le cas et quand tu t’attachais de plus en plus à elle. Il y avait une raison derrière le fait que tu ne voulais pas nommer ta relation avec Colleen. Un attachement à la jeune femme était né sans que tu ne cherches à l’arrêter et cet attachement ne faisait que grandir de jour en jour agrémenté de nouveaux sentiments. Des sentiments que tu n’avais pas éprouvés depuis longtemps et que tu avais peur de trop exposer. Parce que chaque chose dans la vie est fragile et aller trop vite pouvait tout gâcher. Mais tu étais attaché avec Colleen et tu n’avais jamais été un homme à jouer sur deux tableaux. Tes révélations semblèrent frapper de plein fouet ton interlocutrice que tu vis rougir. Elle n’avait pas à s’en faire, tu ne lui en tiendras pas rigueur, tu pouvais comprendre qu’elle ait pensé cela vu votre comportement avec Livia cet après-midi. « Oh ... Non, c’est moi qui suis désolée… J’aurais dû te laisser une chance de te justifier avant de me faire des films. Mais… Je tiens à te dire que tu ne me dois rien Marius. Tu… Tu comprends ce que je suis en train de te dire ?  » Il fallait avouer que tu ne voyais pas exactement où elle voulait en venir. Tu savais que tu ne devais rien à Colleen, pas même des explications mais tu avais eu envie de les lui donner parce que tu ne vous voyais avancer autrement. Tu n’attendais rien de la jeune femme mais tu voulais qu’elle comprenne que si vraiment tu étais avec Livia, jamais tu n’aurais agis de la sorte avec elle. Heureusement, avant que tu aies pu répondre, Colleen ajouta : « Je pensais que vous étiez ensemble et je ne comprenais pas pourquoi tu ne m’en avais pas parlé. C’est pour cette raison que je me suis sentie blessée. Du reste… Ce serait mentir que de dire que tu ne comptes pas pour moi, mais je répète que tu mérites de trouver le bonheur, et si c’est avec une femme aussi formidable que Livia j’en serais ravie  » Il était difficile pour toi de savoir quoi penser des paroles de Colleen. Tu pouvais lire dans son regard qu’elle était tout à fait sincère et qu’elle serait heureuse de te voir avec Livia si cela voulait dire que tu avais surmonté tes démons. Pourtant, tu ne pouvais chasser de ton esprit son regard peiné quand elle vous regardait quelques minutes plus tôt. Non, tu ne devais rien à Colleen et elle ne te devait rien mais c’était parce que tu avais envie de voir où tout cela pouvait vous mener que tu ne te permettrais pas de jouer avec ses sentiments. Parce que tu étais incapable de le faire, du moins pas consciemment. Mais une chose était certaine, il faudra vous laisser du temps pour envisager une quelconque relation et cela ne te dérangeait pas vraiment, tu ne courrais pas après une quelconque deadline. « Je suis conscient que nous ne nous devons rien l’un et l’autre. Cela ne veut pas dire que je n’ai pas quelques principes. Tu comptes aussi pour moi et c’est pour ça que je ne pourrais pas être avec Livia qui est une femme formidable, nous sommes tous les deux d’accord. » A ce niveau là, il n’y avait pas de débat. Voulant rassurer Colleen, tu lui dis : « Je veux que tu sois heureuse également, tu le mérites amplement avec ce nouveau départ. » Avec toi, sans toi, c’était une question qu’elle devra trancher de son côté. La place que vous étiez prêt à accorder à l’autre dans votre vie était une véritable question que vous n’aviez pas à aborder pour l’instant parce que vous n’en étiez pas là Et vous n’arriverez peut-être jamais là.

Livia revint vers vous avec son prix et son trophée et tu sautais sur l’occasion pour la féliciter. Son cheesecake était excellent et si les jurés lui avaient accordé ce prix, c’était qu’elle le méritait. «  Merci beaucoup ! Je ne m’y attendais pas vraiment mais je suis ravie ! J’aimerais vraiment goûter ton cheesecake crème brûlée par contre, il me donne trop envie » La compétition était terminée et tu pouvais voir que les deux femmes qui t’accompagnaient retrouvaient leur rôle de bonnes amies. « Avec plaisir, j’en ai un deuxième à l’appart – je l’avais fait au cas où il arrivait un malheur au premier. Je t’en amènerai une part » Le sourire de Colleen était redevenu plus franc et cela te rassura. Le calme semblait revenir après la tempête et même si Livia ne posait pas de questions pour l’instant, tu te doutais qu’elle t’interrogerait au sujet de son amie la prochaine fois que tu passeras à l’épicerie. Tu confiais ensuite à ton amie avoir pris des photos de son triomphe. « C’est vraiment gentil ! Avec un peu de chance ça me fera de la pub. Il faudra que tu me les envoies. Je vous aurais bien invité à la maison pour fêter ça, mais je rejoins quelqu’un pour dîner. Une autre fois ? Comme ça je travaillerai sur mes recettes salées plutôt. » Tu n’étais pas surpris que Livia rejoigne quelqu’un pour dîner. Tu jetais un regard en coin à Colleen qui avait bien elle aussi saisi cette information au vol. Cela te donnait la possibilité de poser quelques questions à Livia à ton tour quand elle cherchera à avoir trop de détails. Ouvrant ton téléphone, tu envoyais les photos rapidement à la jeune femme avant de lui dire : « Et voilà, envoyées ! Tu vas pouvoir fêter ton triomphe avec ton quelqu’un. J’espère qu’il sait la chance qu’il a. » Lui dis-tu avec un clin d’oeil avant que Colleen enchaîne : « Une prochaine fois avec plaisir  » Evidemment, tu ne diras jamais non à une invitation à dîner de l’Italienne voilà pourquoi tu hoches la tête quand Colleen lui répond affirmativement à son invitation. « Allez, file avant de faire attendre ce quelqu’un  » C’est amusés que vous la regardez s’éloigner vers la prochaine aventure. Dire que quelques minutes plus tôt Colleen pensait que Livia et toi étiez ensembles … Il était encore trop tôt pour en rire mais tu ne manqueras pas de taquiner un peu la jeune femme à ce sujet à l’avenir. « S’il reste un peu de cheesecake, que dirais-tu d’en goûter une part ? Promis, je ne te demanderai pas de faire un choix entre celui de Livia et le mien ! » Ayant promis à Colleen que tu goûterais son cheesecake, c’était une proposition que tu n’allais pas refuser. Et puis cela voulait dire un peu plus de temps avec la jeune femme alors tu ne te voyais pas dire non. « Je dirais que ce serait un plaisir ! Si en plus je peux y retrouver le goût de la crème brûlée … » Lui dis-tu sur un ton nostalgique. « Je suis persuadé qu’il est très bon également. » Ajoutas-tu avec un clin d’oeil en prenant la direction du cheesecake de Colleen. Cette après-midi ne s’était pas du tout passée comme tu l’avais imaginée mais ce n’était pas grave car tu passais une bien meilleure après-midi que prévue.


@Livia Visconti & @Colleen Sainsbury