Tout semble se balancer sur le fil du rasoir alors que l'on alimente la conversation au creux de sourires polis. Elle semble bien nerveuse parfois, ma compagne d'un soir et je ne voudrais pas provoquer un malaise. Il paraît évident que ce n'est pas dans son genre de partir avec un inconnu et c'est bien pour cela que je lui offre l'issue de secours un brin facile, consistant à ne pas mettre un pied chez elle. C'est franchir une étape que de ramener un étranger dans son appartement. Et si elle semble un brin gênée, je sens malgré tout dans ses réponses, une réelle envie de faire perdurer la soirée. L'idée du bateau semble lui plaire et si jamais elle veut s'échapper elle n'aura que l'embarras du choix comme excuse à trouver. « J’ai toujours eu un truc pour les uniformes. » Je retiens un rire tant on semble naviguer dans les eaux troubles des clichés entassés. « C'est vraiment quelque chose qui attire ? » Elle est emplie de naïveté ma question tant mes années passées au sein de l'Institution ont brisé le charme de l'uniforme. Certes, on ne va pas le cacher, il se dégage une certaine prestance lorsque l'on se doit de revêtir les habits blancs propres à la Navy. Cependant, ce que personne ne sait, c'est que tout cela est bien loin d'être confortable, on se retrouve restreint dans nos mouvements et la cravate manque toujours de nous étrangler avant la fin de la journée. « Je demande pour la science. » que j’ajoute en plaisantant quelque peu.

On s’enlise légèrement dans la tirade des clichés, lorsque je réalise que mon discours pourrait paraître complètement fabriqué pour l’attirer dans mes filets. Elle semble s’en amuser la blonde alors que je dois probablement rougir de cet enchaînement tout ce qu’il y a de plus maladroit. « Quel timing. » Un rire m’échappe alors que je lève les yeux au ciel. Vraiment, on ne pouvait pas faire mieux c’est vrai quand en réalité avec Thomas nous n’avions même pas encore eu le temps de sortir notre nouveau jouet pour un temps en mer. « C’est incroyablement cliché, pas vrai ?! » Autant prendre tout cela sur le ton de la rigolade. Elle doit avoir une image pré fabriqué du personnage que je lui présente depuis le début de la soirée. « Je t’assure que ce n’est pas une tactique de drague bancale. » Est-ce que ça sonne encore pire annoncer ainsi ? J’ai l’étrange sensation de m’empêtrer dans un domaine qui ne me ressemble pas. Je finirais probablement par prétendre à une chute pour mieux aller cacher mon embarras dans l’eau du port.

Une fois sur place, cependant, tout semble un peu plus aisé. C’est un endroit que j’apprécie réellement et où je me sens bien. Alors, tout paraît plus simple lorsque je l’aide à grimper sur le pont, lorsque je propose que l’on s’installe avec un verre en main. « Parce qu'un voilier c'est livré avec une cave? » J’aime son réponds et son esprit mordant. « Sur mesure même. » que je plaisante en retour, lui indiquant d’un geste de bras le minuscule frigo encastré sous le tableau de bord. « Ce que tu as, je ne suis pas difficile. » C’est simple, il n’est rempli que de jus de fruit pour les enfants de Thomas et des bières pour nous. « Le choix s’annonce difficile, brique de jus de pomme ou bière ?! » Je me contenterais d’une bière fraîche ne voulant pas m’attirer les foudres de Clara lorsqu’elle remarquera que l’une de ses briquettes à disparue. Mais pour Livia, on pourra faire une exception. « Le bateau, c’est pour… y vivre? » J’éclate d’un rire franc cette fois secouant la tête alors que j’entraîne la jeune femme à s’asseoir sur le canapé arrangé dans l’angle. « Absolument pas. » Je ne me verrais pas vraiment vivre dans une cabine aussi petite. On y passe déjà beaucoup trop de temps lorsque l’on est en mission. « Plutôt un caprice de gamin exhaussé avec mon meilleur ami. » On en rêvait depuis des années et c’est enfin devenu possible, rien de bien fou dans le fond. « C’est plus pour le loisir, je me verrais pas vivre à l’année dans une cabine si minuscule, j’ai assez expérimenté avec l’Armée. » Je me retiens de lui proposer un tour du propriétaire, elle me prendrait pour un dingue ou un séducteur de bas étage. « Et tu fais quoi dans la vie ? » Vraiment les rencontres dans un bar, c’est plus pour moi, j’ai la sensation d’être rouillé et de me contenter des formules d’usage. « Attends… Laisse moi deviner ! » Autant tenter de rendre cela amusant après tout. Une nouvelle fois, j’observe la jeune femme, tout en exagérant ma façon de penser, doigt sur le menton et sourcils froncés. « Hmmm… J’aurais dit soit quelque chose en rapport avec les enfants, soit… En rapport avec la cuisine ? » Et peut-être que je me plante complètement, mais bon.

Dire que l’italienne est parfaitement à l’aise serait mentir, tant la situation sort du cadre habituel dans lequel sa vie s’est plus ou moins cantonnée ces dernières années. Pourtant, l’homme a le don de détendre l’atmosphère - et c’est bien davantage son humour et ses airs propres sur lui qui l’ont attirée là, très loin du cliché qui voudrait que les femmes s’entichent uniquement de leurs exacts opposés aux airs peu fréquentables. “C'est vraiment quelque chose qui attire? Je demande pour la science.” Il plaisante, et pourtant la question paraît plus rhétorique qu’autre chose aux yeux de la blonde qui a eu plus d’une fois cette conversation avec certaines de ses amies. “Le fait que tu me poses vraiment la question me fait dire que tu dois passer beaucoup de temps en mer.” Beaucoup trop, même, et sûrement avec une présence féminine réduite - ou faisant partie des rares qui portent les uniformes elles-même et n’en ont plus cure une fois à terre.

Les clichés s’alignent et celui du bateau fraîchement acheté n’en est qu’un de plus, même si le timing paraît être trop parfait pour qu’il s'agisse réellement d’autre chose qu’une pure coïncidence nullement calculée. “C’est incroyablement cliché, pas vrai?!” Le regard amusé de la blonde couplé à la moue qui étire ses lèvres parlent pour elle, alors qu’elle se permet tout de même de ne pas venir briser l’illusion des clichés qui laissent pourtant flotter une atmosphère agréablement singulière. “Je t’assure que ce n’est pas une tactique de drague bancale.” “Si c’était le cas, ça aurait au moins le mérite d’être original.” Acheter un bateau pour mieux séduire les femmes, là où bien d’autres auraient sûrement opté pour la moto, le jacuzzi ou encore les fauteuils massants. Du reste, l’idée fait rire la jeune femme un peu plus lorsque la “cave sur mesure” lui apparaît, certainement aussi spacieuse que son frigo d’étudiante dont elle se souvient encore et qui arriverait pourtant presque à lui manquer. “Le choix s’annonce difficile, brique de jus de pomme ou bière?!” “Comme toi.” La bière a déjà roulé entre ses doigts et le choix de la blonde s’avère plutôt simple alors que les options ne sont pas illimitées. La plus sage reste encore celle qui lui permettra de se désinhiber encore plus pour oublier le rappel constant qu’elle se trouve sur le bateau d’un parfait inconnu sans réellement savoir où cette soirée la mènera.

Un instant Livia hausse un sourcil à la vue des briques de jus de pomme, curieuse de savoir pour qui elles peuvent bien être prévues, mais la question lui semble un peu trop personnelle et intrusive pour ne pas briser l’échange de regard qui se fait entre eux - alors, contre toute attente, elle saisit la bière et réfrène le reste de ses pensées alors que ses yeux se baladent tout autour de la cabine. “Absolument pas. Plutôt un caprice de gamin exhaussé avec mon meilleur ami.” “Pas mal le caprice.” Plus qu’un caprice, elle y voit là un projet entre amis qu’elle ne peut que comprendre, là où l’amitié a toujours été si importante pour elle - même si la vie l’a éloignée de sa terre natale et donc fatalement de ses anciens amis avec qui les liens se sont quelque peu distendus. “C’est plus pour le loisir, je me verrais pas vivre à l’année dans une cabine si minuscule, j’ai assez expérimenté avec l’Armée.” La cuisine n’est pas assez grande, qu’elle songe un instant, même si la préoccupation de Cian n’est sûrement pas la même, mais en revient à la même finalité. “Et tu fais quoi dans la vie?” Quelque chose de moins passionnant et aventureux que l’armée, si bien qu’elle hésite une seconde avant de se lancer, alors qu’il reprend. “Attends… Laisse moi deviner!” “Bonne chance.” Son ton se veut ironique et son sourire narquois, même si elle n’a pas une carrière suffisamment originale pour qu’elle soit inimaginable aux yeux du premier venu. Pire, elle a déjà parlé de nourriture et son naturel est revenu au galop bien trop rapidement pour réellement maintenir l’illusion de qui elle est vraiment - à croire qu’elle ne maîtrise plus vraiment ce jeu de dupes où le mystère est supposé être de mise pour maintenir l’illusion. “Hmmm… J’aurais dit soit quelque chose en rapport avec les enfants, soit… En rapport avec la cuisine?” “Si tu veux te reconvertir un jour, tu ferais un bon profiler.” Une manière comme une autre de dire qu’il l’a cernée un peu trop rapidement pour que ce soit vraiment amusant, même si elle se laisse aller à froncer légèrement le nez d’un faux air dépité avant de reprendre une gorgée de sa bière. “J’ai monté une épicerie bio il y a quelques années et j’aimerais y intégrer une partie traiteur, donc t’es pas très loin de la cuisine.” Pas très loin mais pas tout à fait bien tombé non plus, ce qui aurait été au demeurant plutôt inquiétant. “Mais j’ai été attachée de presse pendant longtemps, donc je sais pas si je t’accorde le point.” Point ou pas, la tension redescend peu à peu et Livia finit par se laisser glisser sur la banquette, les yeux un instant rivés sur l’eau, le suivant dans ceux de son compagnon d’un soir qui se révèle finalement d’une bien meilleure compagnie que ce qu’elle aurait imaginé en suivant un parfait inconnu dans la nuit.

@Cían Atwood