| MOLLY & AMOS ► A LIGHT, A WAY TO GO |
| | (#)Lun 1 Juin 2020 - 1:33 | |
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A LIGHT, A WAY TO GO
Rencontrer les amis et les connaissances de Sofia est une épreuve de taille pour mon cœur meurtri. Parler d’elle à l’imparfait, c’est douloureux, comme au premier de son décès, et pourtant, je m’y colle plus mal gré que bon gré. Je m’y colle pour le bien de cette vengeance que j’espère salvatrice. J’y consacre tant d’énergie que je n’ose envisager de mon échec ou, dans l’éventualité où elle aboutirait, qu’elle ne puisse me guérir de ma perte. Au contraire, je me serais infligé trop d’entretiens – fruit de mon enquête – pour rien, des queues de cerise et je doute d’être alors en mesure e me relever. Certes, pour l’instant, mon entreprise se porte plutôt bien. Rares sont les interrogatoires ayant mené vers des pistes inexploitables et celle que je suis actuellement semble particulièrement prometteuse, à mon grand soulagement. D’après le témoignage de l’ex-copain de Sofia – le détesté – elle se réfugiait régulièrement chez une certaine Molly de son prénom. Il ne connaissait pas son nom de famille, mais il avait son adresse. Ma fille le lui aurait confié au terme de leur séparation dans l’éventualité où il cherchait à la joindre. L’idée qu’elle puisse souffrir de son premier chagrin d’amour sans nous avoir à ses côtés me brisa le cœur. Je lui aurais par ailleurs volontiers cassé les jambes, plus encore pour qu’il me transmette d’autres éléments au sujet de ceux qui l’employaient. Rien n’y fit. Il n’a pas capitulé et j’ai tout essayé pourtant. J’ai tenté la douceur, la sympathie et la menace. Il avait bien trop peur. De qui ? Je l’ignorais, mais j’espérais que le bon samaritain qui prit ma fille sous son aile, celle qui essaya de l’aider, saurait m’en dire davantage. Estimant qu’il était cavalier de frapper à la porte de cette jeune femme, de m’inviter dans son intimité et de la questionner sur ma gamine, je lui ai écrit une lettre que j’ai glissée dans sa boîte. Par cette dernière, Je lui ai expliqué, en quelques mots, les raisons de ma démarche et, sur du papier cartonné, j’ai griffonné mon numéro de téléphone. Elle m’a rappelé et l’impression que le portrait peint par le pleutre qui l’a abandonné se confirma. La jeune femme avait une voix douce, agréable et rassurante. Elle devait être médecin ou infirmière. Elle s’exprimait avec une lenteur presque pédagogue. Elle paraissait également assez sûre d’elle pour me donner un rendez-vous, dans un parc, ce qui me convenait très bien. Quoiqu’il ne fasse pas particulièrement beau en cette période de l’année, c’était assez fréquenté pour qu’elle se sente en sécurité et néanmoins vaste pour nous mettre à l’abri des oreilles indiscrètes. Au téléphone, je l’ai remerciée d’être aussi pressée que je ne l’étais moi-même. Elle me fixa rendez-vous l’après-midi même. Le hic, c’est que j’ignorais ce à quoi elle ressemblait, si bien qu’un peu à l’avance, je me suis installé sur un banc et j’ai veillé à ne pas observer avec insistance tous les passants. J’étais convaincu que son instinct la guiderait naturellement vers moi, cette jeune femme.
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| | | | (#)Lun 1 Juin 2020 - 3:30 | |
| On m’a parlé de Sophia. Il y a de ça quelques jours. J’ai eu son père au téléphone. Il m’a d’abord envoyé une lettre, une lettre touchante. Je ne pouvais pas le laisser sans nouvelles. J’aimais beaucoup Sophia, je l’ai hébergé à plusieurs reprises. Je ne l’ai jamais jugé, c’était une fille géniale, mais du jour au lendemain je n’ai plus eu de nouvelles. J’ose espérer qu’elle va bien, qu’elle s’est tirée de tout ça et que je suis juste une personne qui lui rappelle une partie de sa vie qu’elle veut oublier. J’espère qu’elle vole de ses propres ailes et qu’elle est heureuse. Et si j’ai pu l’aider à s’en sortir, alors ça me suffit amplement.
Je l’ai rappelé, bien évidement et je lui ai parlé pendant de très longues minutes. Il était calme, et il voulait juste parler de Sophia, en face à face. Alors j’ai accepté, je me suis dit qu’il pourrait me donner quelques nouvelles pas vrai ? Elle a peut-être retrouvé son père après tout ça. Alors je garde espoir et je souris. Je lui donne rendez-vous en espérant qu’il viendra, je l’attendrai pendant des heures même si il décidait de ne pas venir. Je garderai espoir, je l’ai dit.
C’est le jour J, je suis partie en avance du travail et je me dirige immédiatement vers le parc dans lequel je lui ai donné rendez-vous. Je stresse, je joue avec mes doigts et je marche vite. J’ai encore ma musique dans les oreilles. Le parc n’est qu’à 1km du refuge, j’y suis en quelques minutes seulement et déjà je cherche du regard une personne que je n’ai jamais vu de ma vie. J’ai oublié ce détail, on ne se connait pas, on ne s’est même pas dit comment on était habillé. Et je m’apprête à sortir mon téléphone quand je vois un homme assis sur un banc. Il a l’air d’attendre quelqu’un lui aussi, il a l’air stressé. Alors je m’approche sans vraiment y réfléchir. “Vous êtes Amos ? Je suis Molly.” Et si ce n’est pas lui, je n’aurais qu’à aller me cacher sous un buisson parce que j’aurais vraiment dérangé un inconnu en pleine réflexion.
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| | | | (#)Lun 1 Juin 2020 - 4:04 | |
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A LIGHT, A WAY TO GO
Evidemment que la situation me met mal à l’aise. Seul, dans ce parc en partie bondé, je sais qui j’attends, ce que j’espère obtenir de cette jeune fille, mais j’ignore ce que je vais obtenir. Est-elle si douce qu’il n’y paraissait au téléphone ? Et, a-t-elle seulement des informations valables par rapport à mon bébé ? Pourra-t-elle enfin faire avancer mon enquête ? D’après l’ex-petit copain de ma fille, cette dernière se confiait régulièrement à ladite Molly. J’ose donc souhaiter qu’elle a fait partie des secrets des yeux. Je suis tant et si bien gorgé de cet espoir que je n’arrive pas à dissimuler mon expression dès lors que l’inconnue me reconnait, m’interpelle, m’interroge et se confirme son identité. « Oui, c’est bien moi. Merci beaucoup d’être venu. » ai-je hésité à lui tendre la main pour la salue. Est-ce que ça se fait ? Dans le doute, j’ai préféré lui adresser un signe de tête pour l’inviter à s’asseoir. « Je sais que la démarche était étrange, que je n’ai pas dit grand-chose non plus dans ma lettre et que vous devez vous demander pourquoi. » J’anticipe les questions car, à mes yeux, c’est un miracle qu’elle se soit déplacée cette brunette qui m’inspire aussitôt confiance. Je suis convaincu qu’elle me rapportera ce qu’elle sait à condition que je ne l’effraie pas, que j’arrive à me montrer avenant également et, ça passe par le dialogue malheureusement. Ça me ressemble peu d’aligner autant de mots, mais je m’y colle pour le bien de mon entreprise, de ma vengeance, pour la paix de l’âme de Sofia. « Bien que vous ayez sans doute une petite idée… » La nouvelle de la mort de mon bébé avait forcément dû lui parvenir. « Vu ce qui lui est arrivé, son mode de vie, ou en tout cas, ce que les circonstances ont l’air d’en dire. » J’ai grimacé tant la douleur est encore vivace malgré les années.
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| | | | (#)Lun 1 Juin 2020 - 11:15 | |
| J’étais obligée de venir, j’aimais beaucoup Sophia. C’était bien plus qu’une amie. Elle était comme ma petite soeur. Celle que j’avais toujours envie de protéger. Elle était dans une mauvaise passe quand je l’ai rencontré, quand j’ai commencé à la fréquenter après l’avoir croisé au détour d’une ruelle. Elle était seule et il était tard, ça m’a paru normal de la faire venir avec moi, de l’héberger pendant quelque jours jusqu’à ce qu’elle retrouve ses forces. Et ce n’était que la première série de très nombreuses nuits. On était toutes les deux et on pouvait discuter de tout et n’importe quoi jusqu’à ce que le matin se lève. Elle n’a pas besoin de beaucoup de sommeil et moi non plus. Alors je rejoins son père que j’ai eu au téléphone, en espérant secrètement avoir des nouvelles de Sophia, et même la voir peut-être.
Il est assis sur un banc, et pas de trace de sa fille aux alentours. Je souris quand même en me rapprochant de lui, ravie de faire sa connaissance. “Merci à vous de m’avoir contacter.” Je hoche la tête avant de m’asseoir à ses côtés. Je ris un peu, effectivement la démarche est peu commune, mais j’ai trouvé ça original. “Prenez votre temps je suis pas pressée, et rester ici ne me dérange pas.” Il a l’air stressé alors je le rassure comme je peux. Moi je suis bien ici, et je veux savoir pourquoi il voulait me voir, mais je ne le brusquerai pas. Ce n’est pas mon genre. Je fronce les sourcils, qu’est ce qui lui est arrivé ? Je m’inquiète instinctivement quand je vois la grimace sur le visage d’Amos. C’est grave, je suis sûre que c’est grave et je dois lui demander ce qu’il s’est passé. Alors je prends mon courage à deux mains et commence à parler. “Qu’est ce qui lui est arrivé ? Elle ne va pas bien.” Et j’étais bien loin de me douter de ce que l’homme à mes côtés allait me dire. Je n’étais vraiment pas prête pour recevoir une telle information.
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| | | | (#)Lun 1 Juin 2020 - 12:20 | |
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A LIGHT, A WAY TO GO
Qu’elle me remercie m’interpelle aussitôt. Avait-elle eu envie, après le drame qui la priva de son amie, de se rapprocher de la famille de cette dernière ? Se pourrait-il qu’elle n’ait pas osé de peur de perturber notre deuil ? De nous rendre plus malheureux encore sous prétexte qu’elle détient des souvenirs qu’elle aura partagé avec Sofia ? Je ne sais qu’en penser, mais je lui souris de gratitude. Cette bienveillance est rare de nos jours. Cette confiance presque aveugle, et tandis qu’elle s’installe près de moi, je statue sur l’idée qu’il n’est pas utile d’aller droit au bout et de remuer le couteau de sa perte dans sa propre plaie. J’agirais de même sur la mienne et je n’ai pas envie de m’infliger ça trop tôt. Alors, je prends des gants pour faire allusion au décès de Sarah. Je parle : “de ce qui est arrivé“ non pour laisser planer le mystère, mais pour nous préserver d’une quelconque douleur. Sauf que je comprends à l’expression passant sur les traits de la jeune fille qu’elle n’a pas l’air au courant. Il semblerait que nul n’ait jugé bon de l’avertir que son amie n’était plus. Comment aurais-je pu ? Jusqu’il y a peu, j’ignorais son existence et Dieu que je regrette que ma fille m’ait laissé à l’écart de la sienne. Elle confirme mes soupçons, Molly, et j’ai un pincement au cœur. Ma gorge se serre, j’ai un nœud à l’estomac et je fais appel à mon reflexe de détachement pour me préparer à cette révélation. Devrais-je confier les circonstances ? Je le crains malheureusement, mais je ne suis pas prêt, pas pour un iota. « Elle est décédée. Il y a 2 ans mainteant. Je suis désolé. » ai-je avancé en fixant l’horizon, détournant mon regard de celui de la jeune fille. Si son cœur se brisait sous le choc de l’aveu, je ne sais pas si je l’assumerai comme on pourrait l’attendre de moi. « Je pensais que vous saviez. » Et je n’ose imaginer son inquiétude des suites du long silence radio de ma gamine, silence qu’elle n’a pas désiré. « Je suis désolé, j’aurais voulu que vous l’appreniez autrement et plus tôt aussi. » |
| | | | (#)Lun 1 Juin 2020 - 15:02 | |
| Je m’assois sur le banc. C’est beau ici, c’est grand et c’est vert. On peut respirer. Bien mieux que si on était simplement dans un café ou dans un appartement. Je suis contente d’avoir proposé l’endroit pour discuter. Même si je ne m’attendais pas à tout ce qui allait me tomber sur la tête. Je me pose des questions, je me demande où elle peut bien être depuis ces deux ans sans nouvelles. Mais je l’ai laissé partir. J’ai tenté de l’appeler une ou deux fois sans succès, alors je me suis vraiment dit qu’elle n’avait plus besoin de moi. Qu’elle était passée à autre chose pour une meilleure vie, loin de Brisbane et de toutes ces choses qui la détruisait à petit feu. J’étais contente pour elle au fond, jusqu’à aujourd’hui. Jusqu’à ce que je croise le regard détruit de son père.
J’ai peur de la suite, de tout ce qu’il peut m’annoncer. Je tombe des nus à sa première phrase. Le choc coupe ma respiration, je ne m’attendais vraiment pas à ça. Pourquoi je n’étais pas au courant ? Pourquoi je n’ai pas vu que quelque chose clochait ? Je me pose des milliards de questions maintenant. C’est trop, mon coeur se brise mais je retiens les quelques larmes qui cherchent à faire leur chemin le long de mes joues. “Je savais pas… C’est moi qui suis désolée.” C’est son père, il a perdu sa fille. La sensation doit être horrible, je n’ose même pas essayer de l’imaginer. Je secoue la tête à la négative. Je ne connaissais pas vraiment l’entourage de la jeune femme. Instinctivement ma main se retrouve à presser la sienne une seconde avant que je ramène ma main sur mon genoux. Je suis brisée d’apprendre ça, je n’ai jamais été à l’aise face au deuil. Un deuil que je vais devoir faire aussi. Oublier l’idée qu’elle peut aller bien et me rendre à l’évidence. “Vous allez bien ?” Question idiote molly, tu devrais te taire des fois. “Non pardon, je sais bien que non pardon… Je suis un peu bouleversée je sais pas ce que je dis.” Et je souffle en gardant mes yeux ancrés vers le sol.
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| | | | (#)Lun 1 Juin 2020 - 15:19 | |
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A LIGHT, A WAY TO GO
“Pas tant que moi“ ai-je pensé à grimaçant. Ce rôle d’Hermès ne me va pas. Je ne devrais pas avoir à le supporter encore. J’ai trop souvent annoncé la nouvelle lorsqu’elle venait à peine de tomber pour m’infliger ça à nouveau. Mais, ai-je seulement d’autres choix ? Je ne peux pas mentir à cette jeune femme qui s’est déplacée dans le seul but d’obtenir des nouvelles de Sarah. Je le comprends à présent et je ne lui en veux pas de faire preuve d’autant de compassion alors que sa main se pose sur la mienne. Je ne l’aime pas habituellement et le contact m’aurait mis mal à l’aise. Sauf qu’elle nomme justement ce qu’elle m’inspire : le bouleversement. Elle est chamboulée par la nouvelle qui a difficilement quitté le rempart de mes lèvres. J’ai évité de la regarder de peur de la voir s’effondrer et si je lui suis reconnaissant d’être aussi pudique et de se contenir, je réfléchis à comment amener la suite. « Sofia était très secrète sur sa vie. » Elle tient ce trait de ma personnalité. Je ne me suis jamais épanché sur ce qui fait mes émotions ou mon quotidien. « Si j’avais su, je vous aurais contacté plus tôt. Je pensais que vous étiez au courant d’ailleurs. » Cet abominable jeune homme dont elle est tombée amoureuse n’aurait-il pas pu l’avertir puisqu’il connaissait son existence ? N’aurait-il pas pu avoir cette courtoisie ? « Alors, c’est moi qui devrais vous poser la question maintenant. Et ce n’est pas à vous à vous en excuser. » Après deux années, j’apprends à vivre avec la tragédie. Mon cœur est à sec, mais je fonctionne plus ou moins bien. J’ai bien conscience que je ne me remettrai jamais de ce drame. J’essaie simplement de composer avec ce dernier, de garder ma souffrance pour moi et d’avancer malgré les travers qui en découlent. « C’est son copain… enfin, son ex-copain. » Je n’ai pas réussi à cacher mon mépris à son égard, fruit de ma jalousie de père et de cette sensation qu’il a contribué à la chute de ma gamine. « Qui m’a donné vos coordonnées. Je pensais donc que… » Je ne me suis pas répété, je déteste ça. « Il m’a dit qu’il vous arrivait de l’héberger parfois, ce qui m’a surpris parce qu’on lui offrait un studio dans le coin, pour ses études. Alors, je me suis dit que vous pourriez peut-être m’aider à comprendre. » Ce qui lui est arrivé, évidemment, mais ça se passe de commentaires.
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| | | | (#)Mar 2 Juin 2020 - 15:40 | |
| J’ai du mal à respirer, c’est compliqué. Mais j’essaie d’en montrer le moins possible. Je sais que j’ai le droit d’être triste, j’aurais même le droit de pleurer quand je serai toute seule chez moi. Mais là, j’ai qu’une seule envie, m’assurer que cet homme, ce père, va bien. La mort de Sofia date déjà d’il y a quelques années, mais est ce qu’il est réellement possible de se remettre de la mort d’un enfant ? Je ne pense pas. Je n’ose même pas imaginer la douleur qu’il peut ressentir. Alors je serai là pour l'aider, même si je ne le connais pas encore. Parce que je partage un tout petit bout de sa tristesse. Et rien que ce petit bout me brise le coeur en mille morceaux. J’ai de la peine, et je ne peux m’empêcher d’exercer une légère pression sur sa main pour le réconforter, juste une seconde.
“Ce n’est pas de votre faute.” Je n’étais pas au courant, et je n’en voudrais à personne pour ça. Sofia était la seule personne de ce monde de laquelle j’étais proche. Et c’est moi qui ai pensé que tout allait bien pour elle, et soudain, je m’en veux. “Ca va aller pour moi, j’ose même pas imaginer ce que vous avez pu ressentir.” Je soupire en observant mes pieds. J’ai peur de me briser un peu plus si je croise son regard. Je me souviens un peu du copain de Sofia, elle m’en avait parlé. Elle était très amoureuse, et très perdue dans cette relation aussi. Mais je me demande pourquoi cet homme avait encore mes coordonnées. Je vais lui parler de tout ce que je sais, je n’ai rien à cacher à cet homme. “Elle m’a déjà parlé de vous, mais elle m’avait dit qu’elle n’avait plus de contact avec ses parents depuis des années.” Et je me rends compte qu’elle m’a menti. “Elle avait besoin de parler, et de compagnie. J’ai essayé de l’aider à sortir de tout ça, à remonter la pente et je pensais que ça avait marché…” Mais non, Sofia est morte, et il va falloir que je me fasse à l’idée.
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| | | | (#)Mar 2 Juin 2020 - 16:00 | |
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A LIGHT, A WAY TO GO
Sans doute ! Rien ne l’était vraiment. Mais, face à ce genre de perte, la culpabilité est le sentiment qui s’impose. On se sent impuissant. On l’a été d’ailleurs. Et on s’empêche alors de rire parce que nous sommes responsables de tout, y compris de respirer quand l’autre n’est plus. Je m’en veux de ne pas avoir été informé de l’existence de Molly plus tard, parce que cette ignorance est le fruit de mon inaction durant ces dernières années. Sans elle, je l’aurais retrouvée plus tôt. Elle n’aurait pas vécu pendant ses années en se demandant pourquoi cette gamine, qu’elle a vraisemblablement hébergée, a disparu sans laisser d’adresse. « Je ne vais pas vous dire qu’on s’y fait, mais on apprend à vivre avec. On n’a pas vraiment le choix. » On se cherche des buts et on en trouve, quoique les miens soient profondément malsains. Je ne dirais pas que c’est moins douloureux, on s’habitue simplement à ne plus être que la moitié d’un tout, un tout qui n’existera plus jamais. Et puis, parfois, une information nous surprend et réveille la souffrance tapie en nous. « Elle vous a dit quoi ? » Était-ce un mensonge ? Pensait-elle vraiment, Sofia, que je n’arriverais pas à l’aider sans la juger ? La juger de quoi d’ailleurs ? Ce qui lui est réellement arrivé est toujours un mystère à ce jour et je me demande sérieusement si ce n’était pas grave au point qu’elle en ait honte et qu’elle a craint que la jeune femme ne cherche à nous joindre, Sarah et moi, ses parents. « J’ai entendu dire oui, que vous avez essayé de l’aider, mais… son problème ? C’était quoi exactement ? Car si elle vous a menti, elle nous cacher qu’elle avait des ennuis. Sinon, je serais intervenu. » Je me justifie de peur de paraître parent indigne. Or, j’aurais tout fait pour Sofia. Tout. J’aurais donné ma vie.
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| | | | (#)Mar 2 Juin 2020 - 16:53 | |
| J’essaie d’être là pour lui, de rester calme et de discuter sans le brusquer. Je ne veux pas qu’il se sente obligé de me parler de tout ce qu’il ressent juste parce que je n’étais au courant de rien il y a encore quelques secondes. J’ai l’impression qu’il cherche des informations. C’est sûrement pour ça qu’il m’a contacté, il a besoin de savoir ce que faisait sa fille à Brisbane. Je ne pense pas que la réponse va lui plaire, mais je ne vais pas lui mentir. Je garde un rythme de respiration calme, je hoche la tête. Si je l’avais connu un peu mieux je l’aurais surement pris dans mes bras. Mais je me retiens, je reste de mon côté du banc et j’écoute ce qu’il a à me dire, je réfléchis à des réponses à ses questions. J’aimerais tant l’aider à aller mieux. “Je suis tellement désolée.” Parce que je n’ai rien d’autre à dire. Je ne dirais jamais que je comprends ce qu’il ressent, je n’oserais même pas lui dire que ça va passer. Parce que je n’en sais absolument rien.
“Elle m’a dit qu’elle avait toujours été proche de sa famille. Elle vous aimait beaucoup. Mais elle m’a dit qu’elle avait préféré rompre tout contact quand elle est arrivée à Brisbane pour n’embarquer personne dans ses histoires.” Je me souviens de tout ce dont elle m’a parlé, et je me demande donc si son père est au courant. C’est délicat comme discussion, mais je vais prendre mon courage à deux mains et lui parler. Je me tourne vers lui après sa question. “Vous êtes au courant de quoi exactement ? Qu’est ce qu’elle faisait à Brisbane pour vous ?” Je ne veux pas lui répéter des choses qu’il aurait déjà entendu, parce que ce que je sais n’est pas facile à entendre. “Rien n’était de votre faute…” Je veux bien qu’il le comprenne. Ce n’est pas à cause de ses parents que Sofia a fait quelques mauvais choix. “Vous pouvez me tutoyer.” Parce que ça m’a toujours perturbé les gens qui me vouvoient alors que j’ai souvent encore l’impression de n’être qu’une enfant.
@Amos Taylor |
| | | | (#)Mar 2 Juin 2020 - 17:43 | |
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A LIGHT, A WAY TO GO
Elle ne doit pas l’être. Elle n’a rien fait et n’a rien à se reprocher concernant Sofia. La rumeur raconte qu’elle a donné son maximum pour lui venir en aide d’ailleurs. Mais, pourquoi ? Curieux et intrigué – voire blessé – par les mensonges de Sofia, je touche mon but du bout des doigts. Je l’effleure, peut-être un peu trop tôt pour elle qui digère à peine, mais j’ai besoin de savoir. J’ai besoin de comprendre ce qui a motivé ma fille à cacher mon existence et ce pour quoi Molly a dû intervenir. Qu’a-t-elle fait, ma gamine, pour se retrouver dans une situation où elle s’est terrée ici plutôt que dans l’appartement que sa mère et moi lui offrions gracieusement ? D’instinct, j’ai pivoté mon corps en direction de la jeune femme et j’ai répondu à ses questions sans hésiter. Elle inspire confiance, cette petite. Elle respire la bienveillance. « Des études. Elle s’est installée avec son copain pour entamer un cursus en histoire de l’art. » Je n’étais pas chaud pour son choix, mais j’avais tenté de les respecter au mieux. « Je suis allé voir le recteur. Elle suivait bien ses cours, était toujours inscrite, mais sur la fin, elle s’y rendait moins souvent. Elle avait décidé d’arrêter ? » L’avait-elle fait ? Mais, pourquoi l’avoir tu ? De peur que je la force à rentrer auprès de moi ? « Je sais qu’elle avait de mauvaises fréquentations. Les circonstances de sa mort ne laissent aucun doute. Mais… à quel point elle était dans la merde ? Que sais-tu, toi ? » Je la tutoie avec son autorisation, autorisation que je lui retourne d’ailleurs. « D’après son ex, il lui arrivait de dormir chez toi et plus d’une journée. Je peux te demander comment tu l’as rencontrée ? » À la fac ? Non ! Elles n’ont pas le même âge. Molly devait avoir fini depuis longtemps. L’aurait-elle ramassé au bord de la route tel un chien errant ? « Tu sais, je suis prêt à tout entendre. » J’ai vu le pire…je n’oublierai jamais ce corps sans vie qui m’a agressé la rétine et m’a poursuivi dans mes cauchemars.
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| | | | (#)Mar 2 Juin 2020 - 23:41 | |
| Je sais que cette conversation va être compliquée. Je ne pense pas qu’il soit prêt à entendre tout ça. Mais personne n’est jamais prêt à apprendre ce genre de choses. Sofia s’est beaucoup confiée à moi, sans me donner de noms ou trop de détails pour ne pas me mettre en danger. Je savais qu’elle était dans un monde vraiment sombre, et je savais comment elle se sentait. Mais je ne l’ai jamais suivi. Elle m’a toujours dit qu’elle gérait la situation et que c’était temporaire. Je voulais lui laisser sa chance et son indépendance même si j’essayais de l’aider au maximum quand elle me laissait de la place dans sa vie et son entourage.
“Oui elle suivait ses cours, je me souviens l’avoir accompagné plusieurs fois alors qu’elle avait dormi chez moi la nuit d’avant.” Je hoche la tête, elle ne lui a pas menti. Même à la fin de sa vie à Brisbane elle essayait de suivre ses cours. C’était quelque chose qu’elle aimait beaucoup. Quelque chose qui lui permettait de garder un pied dans la réalité tant qu’elle en était encore capable. Il est prêt à tout entendre, je cherche la confirmation dans ses yeux, je n’ai plus le choix de toute façon, ce n’est pas le moment de faire machine arrière. “Je vais vous dire tout ce que je sais sur elle, mais ça va pas être plaisant.” Je veux qu’il soit préparé, et pas qu’il se mette à me crier dessus quand j’aurais tout déballé. “J’ai rencontré Sofia dans les rues de Brisbane. Elle était pas bien dans le coin d’une ruelle alors je me suis dirigée vers elle et je lui ai proposé de venir passer la nuit chez moi. Au final elle est restée plusieurs jours, jusqu’à se remettre d’aplomb. Elle était terrifiée et défoncée quand je l’ai trouvé.” Je soupire fort, ça doit être horrible d’apprendre ce genre de choses sur ses enfants, et je déteste qu’il l’apprenne de moi. “Elle ne m’a pas donné de nom ni d’endroit. Ce qu’elle m’a dit c’est qu’elle avait des dettes et qu’elle était obligée de travailler pour rembourser.” Travailler me fait grimacer, je sais qu’elle se prostituait même si elle ne me l’a pas dit clairement. “Je sais pas si ça vous aide…”
@Amos Taylor |
| | | | (#)Mer 3 Juin 2020 - 0:01 | |
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A LIGHT, A WAY TO GO
Les propos recueilli jusqu’ici corrobore tous entre eux. Sofia rejoignait bien ses auditoires. Elle a réussi à valider son premier trimestre avec brio. Le second était moins bon. Le troisième, elle n’a jamais eu le temps de l’achever. Elle était moins souvent présente selon les dires de certains de ses professeurs. J’ai tanné tant de gens pour comprendre que je me suis préparé à tout entendre. J’ai déjà des hypothèses, des suppositions qui me tordent l’estomac, qui me serre le cœur et qui, parfois, me donnerait envie de vomir. Alors, je ne suis pas surpris d’entendre la suite. J’accuse le coup. J’encaisse, mais fièrement. J’étais prêt ou presque. Je m’y attendais aurait été l’expression la plus juste. « Tu l’as trouvée défoncée dans une ruelle. » J’ai hoché la tête et j’ai souri, amèrement, tristement, avant de fixer un point dans l’horizon et me taire pour lui permettre de continuer. Je me souviens toutefois m’être fait la réflexion qu’elle avait été douce pour elle. Molly n’était pas obligée de recueillir ce chat errant et l’adopter pour quelques nuits jusqu’à ce qu’elle déserte. Pourquoi ? Avait-elle le choix ? « Est-ce qu’il t’est arrivé de devoir la soigner ? Elle était blessée ? Elle t’a dit ce qu’elle prenait ? Quand ? En dans quelles circonstances ? » me suis-je enquis sans doser mon effort. J’aurais dû. Je la matraque et j’ai peur de l’oppresser, alors je me reprends. « Je suis désolé, Molly. Je sais que ça fait beaucoup en une fois et, tu sais, je te suis reconnaissant de ne pas l’avoir laissé tomber. » C’est sincère. Je le pense du plus profond de mon cœur et malgré mon émotion, je me permets de presser son épaule une seconde. C’est un geste de reconnaissance et de soutien également. « Tout ce que tu pourras me dire m’aidera. Tu sais… est-ce que tu sais quel genre de travail elle faisait ? » Etait-ce celui que je soupçonnais ? Avais-je envie qu’elle prononce ce mot répugnant pour tous les pères de la création ? « C’est ce que je pense pas vrai. C’était son choix ? » Non ! J’en étais convaincu, mais ça, j’avais besoin de me l’entendre dire.
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| | | | (#)Jeu 4 Juin 2020 - 12:56 | |
| Je parle et ça me brise le coeur. Je parle et j’ose même pas tourner la tête vers lui parce que je sais que chacun des mots que je vais prononcer sur sa fille va le briser, l’attrister encore un peu plus. Mais je ne peux pas le laisser comme ça en lui disant simplement que je ne sais rien ou que je n’ai pas envie d’en parler. Il en a besoin, vraiment. Et c’est moi qui dois m’adapter, savoir retenir ma peine et mes larmes pour essayer d’arranger les choses autant que je le peux. Je n’ai pas réussi à réparer la fille, je l’ai laissé filer entre mes doigts et aujourd’hui elle n’est plus de ce monde. Peut-être que je suis capable de l’aider lui, à faire son deuil, à évoluer et essayer de vivre avec ça.
Il répète mes mots et j’attends qu’il assimile, je lui laisserai tout le temps qu’il lui faudra. Je ne veux pas le presser ou le brusquer plus que mes mots le font déjà sans que je le veuille. Il pose des tas de questions et j’ai envie de lui dire de respirer, je peux répondre à toutes ce qu’il veut si il me laisse le temps de placer quelques mots. “On peut pas dire que je l’ai déjà soigné, je l’ai juste aidé de temps en temps à se remettre d’aplomb après qu’elle ait passé de grosses soirées. “J’ai essayé de la protéger et de la sortir de tout ça, j’ai vraiment essayé.” Et je pensais avoir réussi. Je tourne la tête vers lui quand il me demande quel travail elle faisait. Et là j’ai peur de sa réaction, parce que je sens qu’il sait, comme moi je l’ai su au moment où Sofia avait refusé de prononcer ces mots. Je hoche la tête, je valide, je ne lui mens pas je l’ai promis. “Elle me l’a jamais vraiment dit mais elle n’a pas eu le choix et elle n’a jamais voulu de mon aide financière.” Ce n’était pas faute d'avoir proposé, mais elle ne voulait pas m’embarquer dans ses histoires. Elle ne m’en parlait pas, me disait que c’était mieux que je ne sache rien, qu’elle ne voulait pas me mettre en danger. Mais c’est elle qui se mettait en danger. “Elle avait des dettes qu’elle devait rembourser, elle n’a pas eu le choix.” Et ça, c’est quelque chose dont je suis plus que certaine.
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| | | | (#)Jeu 4 Juin 2020 - 14:59 | |
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A LIGHT, A WAY TO GO
Je déteste ce que je suis en train de faire. À la soumettre à cet interrogatoire sans mesure, elle se sent mal à l’aise, Molly. Elle se sentirait presque coupable de ne pas avoir réussi à venir en aide de ma fille. Résultat, je n’ose plus formuler ce qui me travaille dans son discours. Ça veut dire quoi : une grosse soirée ? Sans doute parle-t-elle de débauche. Je ne suis pas idiot. J’ai bien compris. Mais, de quel genre ? Drogue ? Prostitution ? Je pourrais entendre qu’elle ait trempé dans le premier. Le second, j’ai du mal à y croire et pourtant, s’il est question d’argent, je serais hypocrite de jouer les surpris. Quel père rêverait d’un tel destin pour son enfant ? Lequel ? Je n’en veux pas à Sofia. On pardonne tout à son bébé. Je regrette simplement de ne pas avoir pu lui intimer assez de foi pour qu’elle m’envoie des SOS. Qu’ai-je raté avec ma poupée ? La question restera sans réponse, contrairement à d’autres. « Je n’en doute pas. Je sais que tu as fait ton maximum et tu n’étais pas obligée en plus. Tu n’as pas à te sentir responsable. Je ne suis pas là pour ça. » Loin de moi l’idée de transférer sur elle un seul morceau de ma culpabilité. Pas même lorsque mon cœur se vautre dans mon torse : il est brisé, déchiré. J’ai baissé la tête, froncé les sourcils et serré les dents. J’ai refoulé mon émotion à l’aide d’un silence un rien trop long, un silence que Molly a fini par rompre. J’ai respiré profondément avant de lui répondre : «Tu ne sais pas qui l’a obligée ? » Car cette hypothèse, elle se tient. C’est celle avancée par Olivia et moi au regard du dossier dressé par la police. « Elle n’a jamais reçu un coup de fil quand tu étais là ? Tu n'as pas entendu un nom ? N’importe quoi. Quelqu’un qui l’aurait déposée chez toi et que tu aurais aperçu par exemple. » Le moindre indice me sera utile, car ma peine s’est mue en rage désormais.
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| | | | | | | | MOLLY & AMOS ► A LIGHT, A WAY TO GO |
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