| Chloé & Amos #1 ► KARMA POLICE |
| | (#)Dim 14 Juin 2020 - 5:35 | |
| Il continue de ramasser ses déchets autant qu'il continue d'étaler ses mots et elle, elle reste stable dans un sable qui s'éparpille, s'égraine à ses pieds. Elle lui laisse tout le temps qu'il veut, tout le temps dont il a besoin, bien loin d'avoir le moindre horaire ni même d'agenda à suivre aujourd'hui tant sa priorité est claire et précise. Elle veut l'écouter ; et au-delà de ça, elle veut l'entendre. Lui, et personne d'autre, le lui d'avant et certainement le lui de maintenant.
« Est-ce que tu as déjà eu l’impression que certains endroit te débarrassaient de tous tes soucis du quotidien ? Que là-bas, plus rien ne t’atteint ? Que les responsabilités sont loin ? » s'il savait. S'il savait à quel point elle en a peu, mais qu'elle en a, des endroits comme ça. S'il savait à quel point elle en a besoin aussi, la fuyarde, celle qui cherche le cocon de confort, de secrets, celle qui en a dramatiquement besoin. « L’eau a cet effet sur moi. Le sel sur ma bouche. » elle sourit, il souffle. Elle apprend, il souffre. « Et, quand tu vas voir ce qui se passe là-dessous, tu as l’impression d’avoir trouvé un secret que la majorité du monde ignore et tout s’efface, parce que c’est plus grand que tout le reste, parce que tu es tellement petit quand tu plonges, parce que tes emmerdes sont moins lourdes à porter. » parce que c'est plus grand que tout le reste, parce qu'ils le veulent, ils le veulent éperdument. S'oublier, être un vulgaire grain de sable dans l'univers parfois. Les problèmes sont encore plus petits en ce temps-là. « Et des emmerdes, on en a tous. »
Sa tête se redresse, ses yeux brûlent des siens aux reflets glacés. « On en a tous. » alors donc, c'est à elle de parler.
« On en a tous. » elle déglutit difficilement ses mots à lui, mais elle inspire si doucement qu'on ne le remarquera à peine, sauf si on s'y attarde. « T'as déjà cru pendant très, très, très longtemps que tu voulais quelque chose? Que c'était exactement ce dont tu avais besoin, que c'était le scénario que tu attendais, le seul et l'unique qui pourrait fonctionner pour toi? » il parle de ses soucis, elle s'avance à définir les siens. Son coeur se serre mais ses prunelles ne défaillent pas - elle ne se l'autoriserait jamais. « Et lorsque tu l'as, lorsque tu l'atteins, ce n'est plus du tout ce que tu voulais? » le mariage, l'enfant, la maison, la carrière, le plan logique auquel elle avait aspiré sans vraiment le désirer. Le plan logique qu'elle a volontairement totalement bousillé. « Ce sont ça, mes emmerdes. » à quel moment ont-ils décidé qu'ils s'ouvraient à ce point? |
| | | | (#)Dim 14 Juin 2020 - 14:21 | |
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KARMA POLICE
J’aurais pu ajouter quelques mots sur la révélation induite par mon explication, mais je ne l’ai pas fait. Je la digère à peine, je n’ai pas encore eu le temps de réellement encaisser qu’une des raisons qui m’empêchent de plonger aujourd’hui est proche de celle qui prive Olivia de rire, de sourire, de vivre. J’ai peur d’oublier. J’ai peur que la mer engloutisse mes tracas et de minimiser ce pourquoi je suis venu jusqu’à Brisbane, pourquoi j’ai infiltré le Club et pourquoi je me bats, simplement. J’ai peur d’être soudainement si léger de ne pas avoir envie de remonter à la surface, un peu comme ces soirs où j’ai si mal que je me laisse emporter par les méfaits de l’alcool avec l’espoir qu’il m'emmène pour un aller sans retour. Et, ce n’est pas avouable. Ce n’est pas à penser non plus et je refuse de donner à cette hypothèse plus de consistance qu'elle n'en a réellement besoin. Or, Chloe gratte et grattera encore si je ne la détourne pas de son objectif, si je ne lui rappelle pas que le principe d’un échange n’est pas de filer un coup d’éperon à un cheval pour qu’il parte au galop. Il faut être deux pour que ça marche. Il faut savoir donner avant d’espérer recevoir et j’en ai déjà trop dit sans rien n’exiger en retour à mon sens. Alors, je la houspille. Je la chatouille. Elle affronte mon regard et je vois qu’elle est déstabilisée. C’est la première fois depuis le début de notre discussion qu’elle a l’air aussi ébranlée et je m’en sens mieux. Je ne jubile pas. Je me dis qu’enfin, elle est dans mes baskets. Je lui ai refilé celle qu’elle m’a apportée plus tôt. « Oui ! J’ai déjà connu ça » ai-je répliqué en hochant de la tête en réponse à sa question. Je ne l’interromps pas cependant. Je ne lui dis pas que, souvent, je me suis demandé si je m’étais marié pour moi ou pour ma mère et ses principes. Je l’écoute au contraire avec une attention monacale. « Je vois. » ai-je commenté en reprenant notre marche dans le sable armé de nos pince et sac poubelle. « Et, tu te sens prisonnière de ta propre vie. » Je renchéris parce que je sais de quoi elle parle. Pas besoin d’être devin. « Quoi ? Etude ? Bébé ? Mariage ? Profession ? » Qu’est-ce qui lui donne l’envie de fuir au loin, loin de la pression sociale ? « Pour faire plaisir à papa ou à maman ? »
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| | | | (#)Mar 23 Juin 2020 - 4:41 | |
| « Je vois. » vraiment? Ou dit-il ça strictement pour qu'elle le lâche, qu'elle y voit une ressemblance, qu'elle perde pied pour mieux le réaligner? « Et, tu te sens prisonnière de ta propre vie. » non. Il les connaît, ces comportements, il les connaît, ces questions. Ils les connaissent même - tous les deux, définitivement trop pour que ce soit viable de garder ça muet. « Quoi ? Etude ? Bébé ? Mariage ? Profession ? »
Oh Amos, si tu savais. « Toutes ces réponses. » Les études, vers lesquelles elle est allée strictement parce qu'elle cherchait quoi faire pour arriver à aider les autres, à véritablement changer le monde, un peu, juste un peu. Le bébé, qu'elle a tant voulu, tant désiré. Le bébé qu'elle a abandonné quand elle s'est elle-même abandonnée au passage. Le mariage, qui semblait être l'issue à tout, pour tout, la réponse à des dizaines de questions qu'elle laissait volontairement muette, trop effrayée de leurs réponses. La profession, qu'elle exerce chaque jour comme énième justification qu'elle n'est pas si mauvaise, qu'elle n'est pas si nocive, qu'elle vaut mieux que le reflet que le miroir lui renvoie.
« Pour faire plaisir à papa ou à maman ? » « À la Chloe gamine. » elle répond au taquet, prend l'entière responsabilité de ses actes dans une conversation qu'elle a elle-même amenée et qui d'office signifie qu'elle doit arriver à le mener de front, totalement l'assumer. « Celle qui n'avait encore rien vu, rien vécu. » celle qui croyait que la marche à suivre était si simple à suivre, justement. Celle qui s'est cassé le nez des dizaines de fois depuis, et qui continue encore quotidiennement.
« Et toi? Tu veux faire plaisir à qui? » qu'elle tente, revers de question, retour à l'envoyeur. Si elle s'ouvre autant, si elle lui en dit plus à lui qu'à qui que ce soit d'autre, il est tout indiqué qu'il fasse de même. |
| | | | (#)Mar 23 Juin 2020 - 17:43 | |
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KARMA POLICE
Choisir, c’est renoncer et, par conséquent, pour peur que l’on se soit trompé ou que l’on soit victime d’une désillusion, on finit prisonnier, prisonnier de sa propre existence, prisonnier avec pour geôlier nous-mêmes, la force de l’habitude, la peur du changement, d’avoir à tout recommencer. Le temps est un poison dans ses conditions. On a le sentiment de l’avoir perdu et on n’envisage pas une seconde que, finalement, l’erreur et l’échec nous ont permis d’avancer. Le plus triste, finalement, c’est que ni Chloé ni moi ne sommes des exceptions. Je suis convaincu que nul n’est pleinement épanoui. L’être humain est simplement doté d’un instinct de préservation qui lui permet de s’adapter, mais le phénomène n’est pas sans douleur. Il ne nous libère en rien de nos émotions et, tandis que je renverse la vapeur, que je l’oblige à parler comme elle l’a fait avec moi – a la différence qu’elle est plus légitime dans le rôle que je ne le serai jamais – j’éprouve ses frustrations qui font écho aux miennes. Elle, elle a mené sa vie pour satisfaire ces rêves d’enfant. Moi, je n’en avais pas beaucoup à l’époque où je courais en culottes courtes dans le ranch familial. Je me contentais de ma petite vie sereine. Sans Sarah et sa grossesse, j’aurais sans doute continué à vivoter dans ma quiétude insouciante en aidant mon père. Sans doute aurais-je récupéré l’affaire familiale. Je m’y sentais destiné depuis mon plus jeune âge. « J’ai fait des choix pour mon ex-femme. » Qui ne l’est pas tout à fait, mais la qualifier en ces termes rend la possibilité d’un divorce sans bataille plus concrète. Je ne me mens donc pas, je m’encourage. « Avant ça pour mes parents. » L’armée pour les uns, le travail de la terre pour les autres. « Et les seuls choix que j’ai fait pour moi. » Quitter l’armée de terre pour la RAN. « A provoquer des conflits, des reproches et des emmerdes. » Des échecs que je n’ai toujours pas digérés aujourd’hui. «Et voilà où j’en suis. J’ai déçu tout le monde, moi le premier. » Parce que je suis inconséquent et que j’oublie parfois de réfléchir. « Et je ne sais pas encore ce que je vais faire de mon avenir. » Et pour cause, je réalise seulement que j’en ai un, que ce n’est pas un crime de se projeter dans le futur malgré la perte de ma fille ; que rire n’est pas synonyme d’oubli. « Qu’est-ce que tu referais ? Si tu avais la chance de revenir en arrière, qu’est-ce que tu changerais, Chloe ? » Et moi ? Me renverrait-elle la question que la jugerait trop vaste pour y répondre avec précision, mais je trie déjà. Je trie et j’essaie par équité.
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| | | | (#)Mer 24 Juin 2020 - 3:58 | |
| Elle inspire, elle en a tant dit, elle en a tant partagé, elle ravale, déteste s'être confiée. « J’ai fait des choix pour mon ex-femme. » elle n'est pas là pour juger, ni pour le rassurer. « Avant ça pour mes parents. » elle n'est pas non plus là pour le laisser mettre la responsabilité de ses gestes sur la faute des autres. « Et les seuls choix que j’ai fait pour moi. » elle n'est là que pour l'écouter, que pour être véritablement présente, quand il semble avoir tendance à repousser qui que ce soit souhaite l'être. « A provoquer des conflits, des reproches et des emmerdes. »
Et pourtant, il est là, il y est et il y reste. «Et voilà où j’en suis. J’ai déçu tout le monde, moi le premier. » son coeur se serre, mais elle le respecte bien trop dans ses cassures pour en montrer le moindre signe. « Et je ne sais pas encore ce que je vais faire de mon avenir. » son visage comme son regard restent impassibles. « Qu’est-ce que tu referais ? Si tu avais la chance de revenir en arrière, qu’est-ce que tu changerais, Chloe ? » « Rien. » elle est catégorique Cohen, définitive. « Tout est là pour une raison. » elle se veut vieux sage, elle est simplement honnête, le plus vraie possible. « Mais j'aurais voulu savoir plus tôt ce que je voulais vraiment. » ainsi, elle aurait probablement répété les mêmes erreurs, mais gaspillé beaucoup moins de temps.
« C'est assez, pour aujourd'hui. » elle signera ses papiers, elle règlera les détails. « Tu veux que je te raccompagnes? » elle se chargera qu'il revienne à un autre moment, pour l'instant elle le dédouane. Peu importe s'il a besoin ou non, elle se chargera de l'amener chez lui en sécurité. Aussi simple. |
| | | | (#)Jeu 25 Juin 2020 - 15:57 | |
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KARMA POLICE
Semblerait-il que, si Chloe aime cuisiner ses interlocuteurs, elle est plus frileuse à l’idée de passer à table. Parler d’elle paraît plus compliqué pour elle et je jugerais que, comme pour moi, ça relève d’une épreuve qu’elle n’aime plus tenter. Se pourrait-il d’imaginer qu’aider les autres – ça reste l’essence même de son métier malgré la réputation des travailleurs sociaux chez les bornés de mon genre – soit une façon de ne pas affronter ses ennuis ? Ses emmerdes ? Ses déceptions ? Ses frustrations ? On dit qu’on ne choisit pas sa voie par hasard et si j’endosse volontiers le rôle de l’exception, je ne serais pas surpris que la jeune femme au teint laiteux la confirme. Notre conversation, elle l’a avortée dès lors que j’ai entamé de creuser sur son terrain. Autant dire que ce n’est pas tomber dans l’oreille d’un sourd. Je saurai m’en resservir si, d’aventures, elle cherchait à me rencontrer à nouveau. Elle le fera, j’en suis certain. Elle va me coller des heures chez les AA sans se soucier que j’en aie besoin ou non. Elle voit en moins une façon d’agréer à son tempérament de sauveuse. Elle s’épuisera avec moi, mais je ne suis pas en position de lui conseiller de laisse tomber. Je crois au contraire que je nourrirais son obsession. Alors, j’ai souri. Je lui ai souri en dodelinant de la tête : je n’insisterai pas. Je me contente simplement d’un assentiment. « C’est ce qui se dit et j’ai tendance à le penser moi aussi. » Quoique j’avancerais également qu’il est des expériences que nul ne devrait vivre. La perte d’un enfant en est une. Ce n’est pas dans la normalité des choses que de survivre à ses mômes. « Au moins, vous savez maintenant. On dit qu’il n’a jamais trop tard pour se lancer. » ai-je conclu finalement conclu en refusant sa proposition de me ramener. « C’est gentil, mais je vais marcher. Ça ne peut pas me faire de mal. A bientôt Chloe. »
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| | | | | | | | Chloé & Amos #1 ► KARMA POLICE |
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