Ils ont mal. Ils ont mal et ils y associent des mots et ils se retrouvent dans la douleur de l'un, de l'autre. Le spectacle aurait pu être aussi beau que difficile, si on avait su à quel point l'un comme l'autre grattait les bribes de l'intérieur pour déjà détester les entendre résonner contre les vagues, contre le vent qui se gâte.

« Quand la mienne est née, j’étais un type lambda, sans histoire ou presque. » il aurait tout donné Jack, pour ne pas avoir d'histoire. Pour qu'on l'oublie, pour qu'on l'ignore. Pour qu'il ne soit pas le père musicien parti en tournée une semaine, parti dans les bras d'une autre que Jude la suivante. Il aurait tout donné pour être un type lambda qu'on définit par le plus simple apparat et non par ses frasques, et non par la drogue qu'il s'enfilait comme seule et unique raison de vivre quand il en avait deux, la mère et la fille, qui n'attendaient que d'être les siennes.

« Quand elle est… partie… » ses yeux retrouvent instinctivement ceux d'Amos, une seconde une seule avant de les lâcher au vol. Il comprend. Il comprend et il ravale, ses lèvres se pinceraient s'il n'était pas au même stade que lui. La femme de sa vie qui lui est partie, pourtant Ellie reste au tableau alors qu'il sait très bien qu'à choisir, ce serait son père qu'elle aurait voulu voir sur ce lit d'hôpital une dernière fois, et non Jude.

« J’ai perdu toute raison de le rester. » lui, il a trouvé toute raison de le devenir. Il s'est jamais demandé Epstein, ce qui se serait passé s'il avait resombré après le décès de Jude. Si tout ses efforts pour être un bon mari et un bon père n'avaient été que vains et qu'il était retombé dans ses mauvais plis à s'entretuer lui-même au passage. En espérant que la question ne se pose pas - ni à l'époque, ni maintenant.

« Et ça me déplaît, parfois. Je ne sais pas ce qu’il se passe après. » il aimerait tant savoir, lui aussi. Il aimerait savoir si Jude l'entend lorsqu'il lui chante ses chansons à demi-mot. Il aimerait savoir si elle le voit, qui tente plus fort et toujours mieux chaque jour. Il aimerait une confirmation, une seule et unique, qu'elle voit, qu'elle acquiesce, qu'elle encourage, qu'elle sache. Il aimerait autant, il n'aura jamais.

« Et, souvent, j’ai peur qu’elle s’en veuille… alors qu’elle n’y est pour rien. » « Elle n'y est pour rien. » qu'il répète et souffle et concède, qu'il précise aussi, irrévocable. Autant pour Amos que pour lui. « Elles le voient, les efforts. Elles le voient, ce qu'on fait chaque jour pour elles. » le pluriel passe crème à l'oral, il est lâche Jack, quand il aurait pu lui faire part de ses parallèles, autant qu'il reçoit ceux que Taylor lui dresse si avidement. Ou alors, il oserait? Il ose. « Ma femme est décédée y'a 3 ans. » il souffle, ces mots qu'il n'a pas dits depuis des années, qu'il ne se souvient même pas avoir articulés à qui que ce soit depuis une vie déjà. « Cancer. » quel argument de merde, quelle finalité édulcorée bâtarde. Il réduit au mot Jack, ses battements qui se précipitent une seconde pour ralentir la suivante. « Ce qui m'aide à le rester, c'est de me dire que si y'a un après, elles le voient, tout ce qu'on fait. »

L'un tente de trouver quand l'autre tente de cacher, on en oublie qui a quel rôle quand finalement leurs histoires concordent si bien ensembles qu'elles se mélangent toutes autant que leurs paroles, encore mieux leurs silences. « Evidemment qu’elle n’y est pour rien. » qu'il fasse bien attention Amos : Jack, il est pas aussi clément, il est un homme de peu de mots. Il les gratte et il les ménage, il partage très peu et encore à ses yeux il en a peu à dire de toute façon. « Qu’elles n’y sont pour rien. Mais, je crains par contre que, contrairement à toi, je ne fais que très peu d’efforts. » oh s'il savait. S'il savait à quel point ses efforts sont hypocrites à Epstein. Quand il lutte contre la drogue mais qu'il ne pense qu'à elle. Quand à l'époque il luttait contre ses désirs mais qu'il y succombait aussi vite n'est qu'un autre exemple de comment il n'arrivera jamais à mentir à personne mais qu'il sait très bien (trop) se cacher à lui-même.

« Peut-être que ce serait ça, ma motivation. Me dire que je pourrais le faire au moins pour elle, pour qu’elle soit heureuse dans cet après. » c'est beaucoup de pression, qu'ils se mettent tous les deux. C'est un étau qui se resserre sans possibilité d'issue, sans retour à l'envoyeur. Ils ne sauront jamais s'ils sont assez bons pour elles et à leurs yeux ils n'ont pas l'étoffe pour l'être ; abandonner la partie semble si alléchant, si évident. Les doigts de Jack se referment un peu plus fort sur un pauvre papier d'emballage qui craque et qui grince, qui n'a rien demandé surtout. À quoi bon? « La petite avait quel âge ? » grâce à ça.

« À peine 15 ans. » elle en avait 14 en fait, Ellie. Il est nul avec les jours et il est nul avec son anniversaire, il sait pas compter et encore moins les dates qui comptent comme celle-là. Quel raté. « On vivait au Canada. Et j'ai fait ce que je sais faire de mieux ; on a fuit ici.  » un raté trouillard, un raté lâche, mais un raté honnête. Faut au moins lui donner ça. « Elle s'y adapte mieux que moi au fait que Jude soit plus là. » et c'est comme ça qu'il la présente, sa femme. L'amour de sa vie, celle qu'il n'a jamais méritée, celle qu'il ne méritera jamais. Celle qui ne lui dira jamais non plus, si ses efforts valent quoi que ce soit. Un bordel, son chemi nde croix quotidien. « Je sais même pas si je vais m'y habituer, un jour. » et il ne sait même pas s'il veut, s'y habituer. Il est là, le drame.

« C’est si jeune. » is it, really? Parce qu'il l'a toujours trouvée bien plus mature pour son âge que n'importe quelle autre gamine, Ellie. Il a toujours été impressionné par sa confiance et sa prestance, par tout ce qu'elle dégageait sans jamais broncher, sans jamais craquer. Elle est bien plus forte que lui, bien plus qu'il ne le sera jamais. « Moi aussi. J’ai fui pendant trois ans dans la boisson. J’ai fui jusqu’à Brisbane. » ah, tiens, en voilà un information supplémentaire qui s'ajoute au lot de toutes celles qu'ils ont en commun. « Brisbane est accueillante. » pour ne pas dire qu'elle offre un magnifique renouveau. Il sait pas, si en fuyant il voulait faire table rase ou non. Lui-même l'ignore.

« Ma femme s’est adaptée aussi. » alors non, il est venu à deux. Il est venu avec sa femme et ce ne sera certainement pas Jack qui lui demandera de faire état d'elle, et de Rae. Rien à battre de comment il gère ses relations, ni ses draps. Tout à battre de comment il gère le reste, toutefois. « La religion l’a aidée. Moi, je n’ai jamais voulu croire qu’un Dieu capable de nous arracher ceux qu’on aime puisse m’être d’un quelconque soutien. Ça nous a séparés. » Dieu, quelle connerie. Et la voilà son épilogue. « Et je n’y suis toujours pas habitué. Elle est toujours là. » veut-il vraiment qu'elle parte?

« Il paraît que ça rend plus fort. »
« Il paraît, ouais. »

Et il souffle, il soupire, il attrape son regard aussi, insiste d'un silence dans lequel ils semblent tous les deux bien plus confortables que le reste. « Il paraît aussi qu'on est des humains. » et il se transforme à nouveau en sage, apparemment. « Il paraît qu'on doit apprendre de ses erreurs pour ne pas les recommencer. Qu'on doit évoluer aussi, et que c'est en faisant éclater tous les morceaux qu'on peut les recoller dans la forme qu'on veut vraiment. » les beaux discours le font chier, parce qu'il donnerait tout pour y croire.

« J’étais meilleur quand Sofia était là. »

Il n'ose pas se poser la question à l'inverse. Était-il meilleur, quand Jude était là? Est-il pire maintenant? Est-ce qu'il réussit, est-ce qu'il échoue? Est-ce qu'il a changé? Il résiste mieux, il résiste déjà. Mais il ne s'améliore pas. Sa rage lui fait mal, celle d'Amos. Celle de Jack il la couve d'un silence de mort, oh l'ironie, qu'ils tiennent si bien l'un l'autre qu'on a toutes les raisons de se demander s'ils vont parler à nouveau.  

« C’est vrai pour les gosses qui veulent mettre leur doigt autour d’une tasse bouillante, mais pas pour nous. » et il laisse échapper un rire sec, mais un rire tout de même sur ses lèvres gercées. Gercées de les avoir trop mordues dans sa contemplation d'un vide, d'une plage de plus en plus nettoyée par les démons qu'ils utilisent comme métaphore de merde pour purifier une part du monde qui ne leur fait ni chaud ni froid. « Tu n’as rien voulu. Moi non plus. On apprend quoi comme leçon de la fatalité ? Qu’on est impuissant face à la maladie ? Face à la folie des porcs ? » il touche un nerf, le sien, il dévoile une carte de plus et il est attentif le musicien. Il écoute, il apprend. « Et quand où tout est détruit, tu la trouves où la force de tout rebâtir quand tu n’as plus rien qui vaut la peine de se battre. » « C'était pas la maladie, hen? » il tâte, il tente, il gratte, il désenchante. Il a pas le droit de le demander mais il le fait quand même. Il sait, pas besoin de préciser non plus. Sofia n'est pas partie naturellement quand bien même la nature aurait été une garce, et c'est ça, le démon qu'il n'arrivera jamais à s'expier.

« Où est l’humanité dans toute cette merde qu’on brasse ? »
« Elle est dans tout ce qui fait mal, je pense. » il n'a pas la vérité, il ne l'aura jamais, n'arriverait pas à gérer la pression de l'avoir de toute façon.

« C'est elle qui aide à cicatriser, aussi, je crois. » encore il diminue, encore il élabore. Il s'en veut d'extrapoler quand bien même il n'arrivera jamais à lui donner la vraie réponse parce que personne en la connaît réellement.

« C'est elle qui donne l'espoir, même quand tout est foutu, même quand tout est brisé. » parce qu'on se trompe. Parce qu'on ressent, parce qu'on a mal, mais parce qu'on s'en sert malsainement comme moteur parfois.

Elle avait 21 ans. Elle avait 21 ans et elle avait toute la vie devant elle et lui il a sa vie qui s'est arrêtée. Il l'écoute Jack, il l'écoute et il ne fait que ça, il est attentif comme bien peu de fois dans sa vie. Chaque détail est enregistré, mémorisé, noté et répété, tant il se brise le coeur, tant ils le marquent au fer rouge. « Peut-être. Je ne sais pas. » personne sait, et c'est autant une bénédiction qu'une malédiction. C'est une horreur sans nom qui flirte avec une absence complète de remords, de regrets, de et si, parce que justement, ils servent à rien. « Mais ça me va. »

Le pire là-dedans, c'est qu'Epstein le croit. Il le croit parce que ça lui va à lui aussi. De se cacher derrière des paroles quand les gestes les ont tant fracassés. Ils sont démolis et ils avancent encore, qu'on imagine qu'il s'agisse là d'une force qu'ils ne se connaissent pas serait totalement véridique, qu'ils ne le voit jamais le serait aussi. Ils n'ont rien d'autre à faire que ça, ils n'ont rien d'autre à attendre de la vie quand on leur a tout pris. Qui est assez idiot pour sacrifier quoi que ce soit quand il n'a plus rien à miser? « J’espère en avoir assez pour faire de vieux os. » il n'est pas plus vieux que moi qu'il pense Jack, ses prunelles voilées pour l'éternité qui scrute le profil d'un Amos fatalement un peu plus léger. Ils auront mal, toujours, mais étrangement qu'ils se soient trouvé diminue l'apport, resserre les ressemblances. Au moins, quelqu'un à qui ils peuvent en parler sans lutter contre un putain de regard de pitié.

« Dans le cas contraire, je continuerai à apprendre à vivre avec. Avons-nous le choix de toute façon? »
« Non. Pas le choix pour ça, et pas le choix pour le reste. »

Et s'ils le prenaient, le choix, pour la suite? « Ils disent toujours que les groupes de parole ça aide. C'est de la foutaise, j'veux pas parler de ça à un groupe.   » mais, mais. « Mais je peux en parler à toi. » et lui, il peut aussi apparemment. « T'appelles quand tu veux. Écouter, je peux faire même au beau milieu de la nuit.   » et le papier gribouillé avec son numéro, qui suit.

« Je n’en parle jamais tout court, ni à un groupe, ni à personne, mais moi aussi, je peux t’en parler à toi. » et elles viennent d'où, leurs confidences? Elle vient d'où la confiance qu'ils se portent l'un en l'autre quand d'office les regards de faïences et les soupirs excédés auraient eu tôt fait de se gratter précédemment une place entre eux?

Jack inspire pourtant, il soupire pas. Il écoute, il sait faire que ça, et Amos a apparemment les mêmes intentions non sans qu'ils se comprennent de peu de parole. Y'a rien de plus stressant que des mots qui paniquent, que des excuses qui flippent. Y'a rien de plus fâchant que de rester devant l'inavouable, encore faut-il qu'ils soient à l'aise d'avouer. Et eux, ils le sont l'un avec l'autre apparemment. « J’ai un bateau sur la Marina. Emplacement 33B. Il est fonctionnel. Si tu veux te perdre un soir, en mer. La nuit est plus belle depuis le pont d’un bateau. » il pense à son père, il pense au voilier familial. Il pense à toutes les fois où les conversations étaient bien moins rageuses lorsqu'ils étaient en duo sur l'eau, l'aîné buté et l'adolescent rebelle qu'ils ont toujours été. Il y pense et il relaxe, tant qu'il peut.

« J’écoute aussi, tu sais. »
« J’apporterai des donuts. » qu'il se moque de sa voix d'idiot, son humour de merde qui fait le relais.

Ils disent que le sucre surpasse l'alcool etl a drogue, ils disent que le sucre aide à calmer une addiction dune autre. Connerie. Il veut du whisky. « Tu te perds souvent? » qu'il s'entend demander, oser aussi. C'est pas ses affaires pourtant, de savoir si Amos en a autant besoin que lui. Chacun ses démons, chacun ses problèmes. Chacun ses épaules, aussi. « Oublie. Je viendrai. » et ça, c'est tout ce qui compte.