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Message(#)a lasting blue note (amos) EmptyVen 10 Avr - 20:36


Olivia Marshall & @Amos Taylor ✻✻✻ Je levai lentement le menton vers l’imposant lustre en cristal qui ornait la réception du restaurant. L’hôtesse remontait, du bout de son ongle verni, la liste des réservations à la recherche de mon nom, à la recherche de la table auprès de laquelle Jacob m’attendait déjà, de l’autre côté des portes vitrées. Je pouvais apercevoir mon reflet dans le miroir au-dessus du comptoir sans que je ne parvienne tout à fait à reconnaître les traits qui se dessinaient sous mon regard. J’avais fait un effort, il ne pourrait pas me reprocher l’inverse. Mais il y avait tellement d’autres choses qu’il pouvait tenir contre moi. Je poussai un soupir en glissant une mèche derrière mon oreille, comme si arranger ma coiffure pourrait excuser mon retard à ce diner. À notre diner. À celui qu’il avait pris la peine d’organiser, prenant en compte mon emploi du temps, libérant le sien. Il arrivait une semaine après la réelle date de notre anniversaire de mariage, finalement. Mais il arrivait tout de même. Et j’avais hésité, au dernier moment. J’avais hésité longuement. Je pouvais d’ores et déjà prédire, à présent, que ce ne serait ni mon maquillage subtil, ni le tissu délicat de mon vêtement, ni même le parfum qu’il aimait tant et dont j’avais imprégné le creux de mes poignets qui sauraient excuser mon manquement à ses yeux. J’avais conscience, au plus profond de mon être, qu’il les aurait remarqués pourtant, mes efforts pour paraître plus soignée si j’avais pris la peine de respecter l’horaire que nous nous étions fixés. Qu’il s’agissait là de tout ce qu’il demandait, dans le fond : un gage de mon investissement, une attention destinée à démontrer que je prenais cela au sérieux, autant que lui. Et je m’y étais appliquée. Avant que le reste, tout le reste en moi, tout ce qu’il n’avait plus à supporter, ne réduise au néant mes bonnes intentions. C’était inévitable, pensais-je alors que les portes s’ouvrirent devant mes yeux et que l’hôtesse me précédait dans la salle principale. C’était inévitable. L’odeur fraîche des vaporisateurs d’intérieur, les fauteuils en cuir crème d’un goût distingué, l’ambiance toutefois chaleureuse de la décoration moderne me renvoyaient d’emblée au gouffre béant qui semblait nous séparer depuis des mois.

J’avais aperçu notre table dès l’instant où il m’avait été permis de pénétrer dans la salle, dès le premier pas amorcé à la suite de la jeune femme. Et à chaque pas dans sa direction, il s’agissait d’une nouvelle barrière supposée s’effondrer, d’une nouvelle défense à détruire, d’un nouveau mur à voir s’écrouler. Et mon cœur, caché derrière tout cela, ne demandait qu’à ressentir tout ce qu’il avait toujours ressenti en apercevant mon mari. Pourquoi ne le laissais-je pas s’exprimer ? Les efforts ne se limitaient pas à l’apparence, ce soir. Je m’étais promis de les appliquer au reste, au plus important, à l’essentiel. Je nous l’étais promis. Et pourtant, je le voyais enfin, levant un regard dans ma direction alors que je remerciai distraitement la serveuse qui s’éclipsait déjà, et je demeurais silencieuse, ne laissant paraître absolument aucune expression sur mon visage relevé. « Presque une heure de retard. » Précisément pour cela. Précisément pour celle qui ornait le sien, renfermée, et ce regard dont il m’avait privée immédiatement pour jeter un coup d’œil volontairement appuyé à la montre qui habillait son poignet. Sa voix s’était suspendue dans l’air et je m’étais raidis, aussitôt. Je suis désolée. « Je sais. » Il était là, l’effort à fournir. Il était là, l’effort demandé, le seul capable de mériter sa considération. Je suis désolée. « Je suis là maintenant. » J’ignorais ce qu’il fallait dire, en réalité. J’ignorais ce qu’il aurait été prêt à accepter comme excuses mais les miennes, les réelles, n’auraient pas suffi à le contenter, à le rassurer. Elles auraient fait tout l’inverse. Et cette idée me serrait le cœur car, il n’y avait pas si longtemps, il m’aurait suffi de m’asseoir et de lui raconter ma journée, riant au récit de la sienne qu’il avait toujours eu le don de rendre passionnante et drôle pour que la soirée débute et ne s’achève jamais. Jacob n’avait pas failli, une nouvelle fois. Il nous souhaitait les mêmes habitudes, la même tendresse. Je réalisais à quel point il restait attentionné et fidèle à notre histoire. Mais ce soir, son visage avait l’air fatigué. Ce soir, le creux de ses paupières marquées était voilé par une lueur que je n’avais toujours pas réussi à déchiffrer. « Et tu en as envie ? » Triste, peut-être. Et profondément irritée. Je fronçai les sourcils en prenant place sur la chaise. Ce n’était pas une question à poser. Elle n’avait aucun sens. Aucune finalité. « Jacob … » soupirai-je avec lenteur. C’était stupide, n’est-ce pas ? Stupide de ne plus savoir quoi dire, de ne pas oser justifier. La vérité était qu’il n’y avait rien à justifier et que je reconnaissais mes torts. Mes torts d’avoir laissé mon mari s’impatienter une heure durant, seul à cette table, sans lui donner la moindre certitude quant à ma venue ou non. Et le fait qu’il m’ait attendue, dans le fond, n’était pas surprenant car il était celui qui savait faire les bons choix. Il était celui qui continuait de prendre des décisions dans un calme déroutant parce qu’il savait qu’il avait raison. Il savait qu’il s’agissait là de la chose à faire pour nous préserver. Il avait su bien avant moi que mon comportement, à l’inverse, ne nous mèneraient nulle part et il m’avait prévenue. Mais je ne savais plus comment faire marche arrière désormais.

Je ne savais pas, non plus, quels accords jouer face à son expression taciturne et je laissai mes doigts emprisonner lentement l’espace entre nous pour approcher des siens. Ils se dérobèrent, presque aussitôt, et je me reculai sur ma chaise pour l’observer passer sa main sur son visage d’un geste machinal. Je m’y étais attendue et pourtant, l’appréhension s’ébranla en moi alors qu’il racla sa chaise pour se relever. « Où tu vas ? » « Où veux-tu que j’aille ? » Mes pensées se bousculaient dans ma tête alors que tout me paraissait évident, dans le fond. Il écartait les bras d’un geste las en se redressant pour me faire face, une lueur sévère dans son regard. « À la maison, Liv. » Je suis désolée, si tu savais. Et je savais qu’il les entendait, ces mots, même si je n’arrivais pas à les prononcer. Il les lisait dans mon regard comme il avait toujours su le faire mais les déchirures de son propre cœur, ce soir, l’empêchaient d’être clément envers mes erreurs et je pouvais le comprendre. Je le devais. « Mais reste, surtout. Tout plutôt que chez nous pour toi, j’ai bien compris. » J’avais hésité, une nouvelle fois. Une fois de trop. Trop longuement également puisqu’il venait de statuer pour nous deux, se penchant au-dessus de la table en s’appuyant sur son poing crispé sur la nappe. Sa voix était calme, basse, pour ne pas attirer l’attention. Mais aurions-nous été seuls qu’il ne les aurait sans pas tonné avec plus de véhémence. Il n’en avait pas besoin et en était conscient. Je détournai, quant à moi, mon regard sous la violence froide du reproche, sous la pertinence de l’incrimination. « Et pour ce soir, ça ira très bien. » Les derniers mots vinrent comme un coup de grâce mais il ne prit pas la peine de vérifier si j’encaissais le choc, de toute manière, s’éloignant déjà.

Je ne sentis ma gorge se desserrer, mes épaules se relâcher et l’air, l’air regonfler douloureusement mes poumons que plus tard. De longues minutes plus tard. Combien exactement à la suite de son départ, je n’aurais su le dire. Pas suffisamment pour que le serveur ne se soit encore impatienté, tourmenté car incertain quant à sa convenance de m’apporter le menu, et combien. J’avais le temps, encore. L’idée de le rattraper m’avait effleurée. Celle de le rejoindre à la maison également, s’il n’avait pas semblé aussi sûr de lui, aussi catégorique, aussi impérieux quant à son désir de rester seul. Aurait-il laissé paraître une faille, même la plus infime, même la plus imperceptible, que je m’en serais saisie. À tort ou à raison. À tort, sans doute. Mais il ne l’avait pas fait et je lui devais de respecter cette demande, celle-ci au moins. Cette exigence. J’ignorais, en outre, à quel instant précisément le glissement avait eu lieu. À quel moment ce restaurant, au sein duquel je m’étais sentie si à l’écart, si négligeable ; à quel moment cette envie subite de m’évader, de quitter les lieux, de m’évaporer dans la nature avait disparu. Je ne me sentais pas en sécurité, ici, entre les voilages des fenêtres de la salle. Je me sentais épargnée. Et je désirais le rester. Trop pour réagir, même un peu, même à peine, à la silhouette qui s’amorçait à présent dans mon champ de vision.

 


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Message(#)a lasting blue note (amos) EmptyDim 12 Avr - 9:25




A LASTING BLUE NOTE
Il était posé juste là, au milieu du pont sur lequel je me suis installé, en tailleur, une bouteille et un verre à portée de bras. Il est juste là, écrasé par le poids de mon regard et à bonnes distances de mes doigts qui ne résisterait pas d’y pianoter un message à destination de Raelyn. Peut-être réchaufferait-il l’atmosphère entre nous ou qu’il amorcerait la passion d’une véritable réconciliation, une qui ne me laisserait pas sur ma faim. Elle est apparue sur le pas de ma porte près de trois heures auparavant. Certes, elle affichait sa tête des mauvais jours, mais un mot doux, quelques baisers et une étreinte brûlante plus tard, j’étais conquis, à nouveau. J’étais prêt la flatter son corps de baisers la nuit durant ou à lui chanter des sérénades. J’étais prêt, à tout, assurément, sauf à répondre à cette question qui m’a sauté au visage, celle pour laquelle l’affirmative serait un mensonge. Je n’avais pas réfléchi sur notre querelle. Je ne la comprenais pas. Dès lors, j’ai manœuvré ma barque par habitude :  j’ai attendu. J’attends toujours d’ailleurs. Elle est partie et, depuis lors, je surveille mon téléphone et j’analyse, je juge, j’évalue mes chances de recevoir un appel, j’essaie de déterminer si elle espère ou non que j’en sois à l’initiative. Je perds sur le chemin des peut-être et je mets Paris en boîte en fumant cigarette sur cigarette. Mon paquet est presque vide, à mon image. A ce rythme, le train partira sans moi et je resterai comme un con sur le quai de la gare, seul, éperdument seul. Cette sensation, je l’ai éprouvée après ma dispute avec Olivia. C’était il y a combien de temps ? Trois semaines ? Un mois ? Un peu plus ? J’avais perdu le compte des jours alors que je réalisais l’âpreté de mon plaidoyer à décharge de mes acoquinements. Il était trop aiguisé et, bien que le but poursuivi ait été de me défendre de ces lourdes accusations, j’ai brisé les derniers morceaux de son cœur. Je l’ai constaté de mes yeux bleus brillants de rage et de frustration. Dieu seul sait combien elle manque elle aussi. C’est d’autant plus vrai que la solitude, jumelée à la culpabilité, me gagnent peu à peu. Suis-je trop tendre avec l’une quand je suis dure avec l’autre ? Devrais-je l’appeler, cette petite sœur d’adoption ? L’idée déplaît à mon orgueil, mais quelle est sa place au milieu du fatras qu’est mon quotidien ? Ces derniers temps, j’accumule les conflits à cause de ce dernier. Dois-je tirer la conclusion qu’il y a un bug dans le système ? Que ma carte-mère est HS ? Qu’il faut la remplacer de toute urgence ? Dans le doute, je vote pour l’abstention. Pour statuer sur l’avenir de ma relation avec Olivia, il est impératif que je règle mes soucis de cœur. Au contraire, l’issue de toute discussion nous sera fatale. Je ne peux pas me prêter aux jeux du dialogue si j’ai à combattre sur deux fronts. J’aimerais, mais l’exercice sort de mon domaine de compétences. Tandis que je déplie mes jambes engourdies et que je m’allonge pour sonder les étoiles, je renonce, provisoirement : demain est un autre jour.

Je me souviens que, l’endormissement étant proche lorsque mon téléphone vibra, en secouant la tôle. Le bruit fut effroyable. Perclus par l’espoir d’une bonne nouvelle, j’ai pourtant décroché à la hâte, enthousiasmé à l’idée que Raelyn revienne sur cette décision, prise un rien plus tôt, de rentrer chez elle. Avant aujourd’hui, ça n’était jamais arrivé. Il n’y avait rien d’idiot à imaginer qu’elle rebrousserait chemin afin de me retrouver. En revanche, ce qui l’était, c’est la déception que je n’ai pu cacher en reconnaissant la voix de Jacob. « Je te dérange ? » La relation entre nous était tendue tel un fil à étirer le linge, mais jamais il ne m’importunerait. « Du tout. Un souci ? C’est Liv ? » Je l’aurais parié. Sa voix trahissait une colère sourde, un agacement sans précédent et un réel soulagement que j’aborde moi-même l’objet de son appel. Il me raconta avec l’agitation des hommes meurtris par l’abandon qu’il avait organisé une soirée pour leur anniversaire de mariage, qu’elle s’est pointée avec une heure de retard, qu’il avait choisi de partir. Il ajouta que, lui, il n’ambitionnait plus de faire semblant que tout allait bien dans le meilleur des mondes. « Je ne sais plus discuter avec elle de toute façon. Rien de ce que je fais ne la touche vraiment. Rien de ce que je dis non plus d’ailleurs. » De mon point de vue, elle se trompait. Nous ne parlions jamais de l’état de son mariage, mais j’aurais mis ma tête à couper qu’elle n’avait pas envie que s’achève leur histoire d’amour. « Toi, tu as l’air de savoir quoi faire.» Nouvelle erreur ! Le dialogue s’était rompu il y a peu, mais il n’en savait rien visiblement. « Je n’ais pas envie qu’elle reste seule malgré tout. Est-ce que tu peux… » « J’arrive » Demander, lorsqu’on est pétri de fierté, c’est compliqué. Je l’ai donc préservé de ce supplice. Le temps de me rincer le visage et je grimpais dans ma voiture. J’ai retrouvé l’époux endeuillé sur un bout de trottoir, non loin de la devanture. Il m’a cédé sa place à contre cœur, réconforté, mais courroucé. Je crus reconnaître un soupçon de jalousie dans son attitude, une jalousie qui m’effara à moitié. En circonstances identiques, je n’aurais rien ressenti de plus noble. Je ne lui en veux pas vraiment. Je dirais même qu’il m’a fait de la peine. Je me suis retrouvé en lui et, s’il est un drame que j’aimerais éviter à ce couple, c’est celui du divorce.

Je me suis avancé dans le hall du restaurant et, tandis que l’hôtesse me conduisais à la table, j’ai songé que j’avais l’air fin dans mon t-shirt froissé, mes jeans élimés et le parfum de Raelyn collé à ma peau. Pris par l’urgence, je n’ai pas pris la peine de me changer, mais qu’à cela ne tienne, je ne suis pas là pour impressionner la galerie. Aussi, me suis-je assis en face de mon amie, le cœur battant d’appréhension qu’elle me renvoie dans mes buts et je me suis tu, aussi longtemps que nécessaire. Je me suis tu le temps qu’elle se familiarise à ma présence et que le serveur surgisse de nulle part. « Vous êtes prêts à passer commande ? Vous souhaitez un apéritif ? » Nous n’avions rien à fêter et pourtant, j’ai salué l’initiative d’un sourire à destination de celle à l’air penaud. Elle est jolie dans sa a robe. Elle s’est maquillée également. Elle avait fait un effort pour quitter le confort de ses fringues habituelles. Apprêtée, sa douleur et sa fragilité n’en étaient que plus perceptibles. « Maison. Deux. » Je n’avais ni le temps ni le désir de me plonger dans la carte : nous ne resterons pas longtemps. « Et je voudrais aussi des anchois sur une rondelle de banane, avec de la moutarde, du ketchup et une olive par brochettes. » ai-je réclamé sans perdre Olivia des yeux. Ils ne s’égarèrent sur le type en costume trois pièces, guindés au possible. « Pardon. » a-t-il demandé, de toute évidence médusé par la particularité de cette commande. Moi, j’ai répété, un sourire amusé rehaussant mes lèvres. Ce jeu n’appartenait qu’à Olivia et moi. Nous commandions des plats ayant pour particularité des associations rebutantes. Ça nous amusait terriblement et désespérait tout autant nos compagnons respectifs. « Tu te souviens ? Il faut goûter. » ai-je donc rappelé à cette amie qui n’en mène pas large. « A ton avis, mieux ou moins bon que les poires à la sauce au poivre vert ? » Inutile de se lancer dans la bataille de suite. Autant la laisser venir lorsqu’elle aura digéré qu’en face d’elle ne s’est pas installé celui qu’elle espérait retrouver pour la soirée.



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Message(#)a lasting blue note (amos) EmptyLun 13 Avr - 10:51


Olivia Marshall & @Amos Taylor ✻✻✻ Que faisait-il là ? La question restait coincée dans ma gorge. Il t’a appelé, n’est-ce pas ? Voilà pour l’évidence. Je sentais les soupirs qui l’avait poussé jusqu’ici glisser encore entre mes phalanges contractées. Mais la raison pour laquelle il avait répondu, pour laquelle il avait écouté, pour laquelle il était venu, demeurait indéchiffrable. Dis-moi que tu n’es pas venu m’achever. Dis-le-moi car je suis incapable de le demander. Il en aurait tous les droits, dans le fond. Je sentais son regard glisser jusqu’à moi alors qu’il prenait place à la table, observant pensivement ce qui nous entourait, comme pour redécouvrir alors qu’il me connaissait déjà par cœur. Il n’était pas étonné par l’allure de la soirée à laquelle il acceptait de prendre part. Il ne s’en moquait pas mais n’était simplement pas surpris que je puisse la vivre ainsi. Que sur cette nappe blanche se reflétaient mes songes. Qu’en l’absence de Jacob, je demeurais le seul témoin d’un mariage que nous n’arrivions de toute façon plus à célébrer mais que les souvenirs de ce dernier demeuraient gardés au fond de moi et non autour de nous. Que les remords s’entassent, habillés de poussière et d’usure mais toujours aussi lancinants. J’imaginais l’impression que je devais renvoyer. Les questions que ma présence, seule, à cette table était susceptibles de soulever. Il aurait été légitime de se demander, un instant, combien de temps avais-je passé ainsi, à attendre quelque chose sans même savoir s’il allait finir par se produire quoique ce soit. Peut-être avais-je renoncé à le faire, d’ailleurs, me persuadant en vain que je n’étais pas là pour moi, déçue d’une absence sans laisser paraître la moindre émotion sur mon visage tiraillé. Les apparences, à nouveau, étaient reines. Mais Amos ne posait aucune question. Il trouvait sa place sur un siège abandonné et se contentait de m’accompagner dans mon silence, comme un message secret : il savait. Aucune question ne valait la peine d’être soulevée, aussi tôt. Toutes les réponses semblaient se trouver dans mon incompétence absolue à garder près de moi l’homme que j’aimais. Les minutes passèrent, ainsi, et s’il m’avait semblé pouvoir aligner toutes les raisons opaques, obscures et douloureuses qui auraient dû lui donner envie de partir à son tour, le silence qu’il laissait planer inhibaient tous mes instincts de retranchement. Je ne le regardais pas mais, lui, semblait pouvoir sonder mon âme, la comprendre jusqu’aux tréfonds de sa solitude. Il savait, souvenez-vous. Et mes doigts, au fil des minutes, se détendirent comme mes pensées, crispés sur le rebord puis relâchant leur prise.

N’avions-nous pas toujours fonctionné ainsi ? Il ne s’agissait pas de feindre une compréhension plus élevée que celle des autres quant aux afflictions qui torturaient le monde, qui bouleversaient les relations, qui remettaient en cause les évidences. Simplement de prendre conscience qu’il nous était impossible de tout comprendre, dans le fond, nous donnant ensuite l’avantage de ne pas gaspiller nos efforts et nos mots à simuler le jeu des sophistes. Nous nous taisions et le silence, ainsi, parvenait à devenir réconfort. Et puisque nous avions comblé la distance qui avait siégé entre nous ces dernières semaines, nous ne laissions ainsi plus de place aux invectives pour gâcher le moment, comme elles s’étaient évertuées à le faire la dernière fois. Amos avait le visage fatigué, cependant. Je l’avais remarqué et, s’il m’était redonné également le droit de prétendre le connaître aussi bien que lui me connaissait, je n’aurais pu m’empêcher de me dire qu’il inspirait une mélancolie feutrée mais véritable. Une à laquelle je n’avais pas ma part. Une sur laquelle je n’avais plus le droit de m’interroger, non plus. Nous ne nous étions pas vus depuis notre confrontation et les souvenirs enfumés de cette dernière réveillaient encore des blessures invisibles que je ne pouvais qu’imaginer lacérer nos corps. Plaies qui n’avaient aucunement eu l’occasion de cicatriser car ni lui ni moi n’avions pris la peine, depuis, d’appréhender leur étendue ou leur gravité. Nous ne pouvions que les deviner, à présent, face à face sans l’avoir prévu. « Vous êtes prêts à passer commande ? Vous souhaitez un apéritif ? » La tierce voix s’éleva à nos côtés comme une intrus et je réagis à peine. Ce fut le sourire d’Amos qui m’interpella, sans que je ne bouge, un sourire aux milles significations que je n’étais pas sûre de comprendre dans leur entièreté. Un sourire peut-être pour une attente à un retour à des échanges spontanés, désireux de passer outre la complicité que nous avions laissé choir sur le pont de son bateau. Il n’avait pas oublié. Bien sûr que non. Je le lisais dans son regard bleuté qu’il ne s’attendait pas à ce que je le fasse également. Mais qu’il s’agissait à présent d’attendre, simplement, le moment opportun pour pouvoir en parler car nos cœurs étaient lourds. Que le sien semblait rempli d’une eau trouble au-dessus de laquelle il s’endormait tous les soirs et que le mien, changé en pierre, me réclamait du temps, conscient que je n’avais plus toute la force nécessaire pour savoir le soulever. Les temps étaient garants de la métamorphose des souvenirs, après tout. Les semaines que nous avions laissées s’écouler seraient-elles suffisantes pour nous ? « Maison. Deux. » Mon regard parcourut son visage avant de se relever finalement sur la silhouette distinguée et souriante du serveur, affable, trop pour que cela ait le don de m’agacer instantanément.

J’ignorais s’il s’agissait de son sourire rayonnant, de ce menton dont il se servait pour opiner du chef sous nos nez afin de saluer le choix d’Amos ou du simple fait que sa présence me rappela sur l’instant celle qui s’était évanouie en me laissant seule, mais j’eus la soudaine envie de me lever à mon tour et d’oublier cet instant. « Et je voudrais aussi des anchois sur une rondelle de banane, avec de la moutarde, du ketchup et une olive par brochettes. » Et ces simples mots me firent hésiter fatalement. Le serveur aussi, de toute évidence. Seul Amos semblait assuré, sûr de lui. Amusé, presque, de retrouver finalement une mélodie étrange que nous connaissions pourtant tous deux si bien. Son esprit s’y plongeait avec une familiarité rassurante et son regard posé sur moi semblait m’inviter à l’y rejoindre car il improvisait, peut-être, mais que cet air improbable avait été forgé des années auparavant, à deux, et qu’il n’était donné qu’à nous de pouvoir en accepter les échos comme des voix vibrant de nouveau entre nous, m’arrachant à l’échec que je venais de vivre pour m’offrir une autre perspective, plus chaleureuse. « Tu te souviens ? Il faut goûter. » Je passai une main sur mes lèvres avec lenteur, acceptant de soutenir son regard sans réellement hésiter, pour la première fois sans doute depuis son arrivée, avant de me redresser finalement, laissant le dossier du fauteuil épouser mon dos droit. Sa question était rhétorique, je le savais. Je m’en souvenais, oui, car il ne me semblait pas l’avoir oublié. Mais il avait raison. L’initiative n’aurait pas été de mon fait, ce soir, comme s’il avait su deviner cela aussi : mon incapacité à me raccrocher à ces choses ordinaires supposées alléger ma vie de ses fantaisies et insouciances. « A ton avis, mieux ou moins bon que les poires à la sauce au poivre vert ? » « Pire. Bien pire. » m’entendis-je rétorquer à la suite, désireuse de ne pas laisser à mon esprit l’occasion de se dérober par le silence, une nouvelle fois. La logique s’était effacée, oui, mais il s’employait parfaitement à la faire revenir puisque ses sourires étaient les mêmes et que ses regards amusés ne semblaient pas simulés. J’éprouvais du mal à la raisonner mais je me mordis l’intérieur de la joue en reprenant d’une voix basse mais catégorique. « Hors de question que je goûte à ça. » Pourtant, ce fut un sourire qui vint errer sur mes lèvres peu après mon affirmation. J’inspirai légèrement et finis par hausser les épaules quelques secondes plus tard également, comme si j’acceptais un compromis qu’il ne m’avait jamais l’occasion de trouver au long de nos longues années de défi. « Ou seulement les olives. Parce que tu t’es déplacé. » Parce qu’il était venu lorsqu’il avait toutes les raisons de s’y refuser. Parce que je voulais lui signifier que je m’en voulais, réellement, de m’immiscer dans l’espace que nous avions résolument laisser planer entre nous. Parce qu’il nous fallait peut-être, enfin, accepter de retrouver ces moments, péninsules creusées au cours de soirées plus chatoyantes que celle-ci, afin de privilégier ces dernières plutôt que la précédente.

 


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Message(#)a lasting blue note (amos) EmptyMer 15 Avr - 9:39




A LASTING BLUE NOTE
Le silence, profond, entrecoupé par les bavardages des tables voisines et par l’entrechoque des couverts, a toujours été un allié pour Liv et moi. Nous le considérions comme plus éloquent que les mots puisque, dans l’adversité, la seule présence de l’autre nous suffisait. Et aujourd’hui, je ne déroge pas à nos principes. Qu’importe nos désaccords, je suis là, assis en face d’elle, à la dévisager d’un regard compatissant. Je suis là parce qu’elle a besoin de moi et j’attends. J’attends qu’elle digère les actes de son mari, ceux qui sont l’expression de sa peine plus que de s colère. J’attends qu’elle lève les yeux sur moi, qu’ils m’interrogent, qu’ils m’invitent à prendre la parole, enfin. J’ai tout mon temps : je ne suis pas pressé et, dès lors, peu oppressant. Je lui concède de gré celui qui lui sera nécessaire à gommer son sentiment de honte puisqu’elle sait. Elle sait qu’elle dépasse les bornes du tolérable envers quiconque tient à elle. Jacob, ses coéquipiers, moi… elle nous loge tous à la même enseigne sans mesurer les conséquences, sans accepte tous ne feront preuve d’autant d’abnégation et d’empathie que moi. Aurais-je été blanc immaculé qu’à l’instar de son époux, j’aurais renoncé à la soutenir. Je ne peux sauver de la noyade celle qui n’en aurait pas envie. J’ai déjà fort à faire avec mes propres émotions quand mon capital d’énergie s’amenuise de jour en jour. Il me menace de faire banque route. Sauf que, moi aussi, durant notre altercation, j’ai outrepassé mes droits. Mes propos ont été durs, trop pour elle, trop pou nous. J’ai sous-entendu qu’elle m’était moins précieuse en tant que personne qu’en tant qu’arme d’espionnage ou de destruction. J’ai déposé entre nous ultimatum odieux puisqu’il exigeait qu’elle choisisse entre ses valeurs et notre amitié. J’ai dit : « tu es abjecte », mais sincérité est d’admettre que je ne le fus autant qu’elle.  Aussi, ai-je répondu à l’appel à l’aide de ce mari meurtri sans renâcler. J’ai affronté mes appréhensions d’être mal accueilli par sa compagne blessée et courroucée par ma relation avec Raelyn. J’ai poussé la porte de ce restaurant, fort de l’idée que ma place était bel et bien là, et je nous ai ramené, tous les deux, sur la voie de nos rituels d’antan.

Bien sûr, l’absence de deux des protagonistes, ceux qui s’irritaient de nos frasques, ternit l’expérience. Rien n’était plus drôle et plus hilarant que de les défier de se prêter au jeu des immondes associations culinaires et d’être témoin de leur grimace.  Mais, qu’à cela ne tienne pour ce soir, l’air ahuri du serveur fera l’affaire. La preuve étant, elle a quitté sa contemplation distraite des motifs de la nappe pour m’adresser un regard suivi d’un autre pour l'ouvrier en queue-de-pie. Perplexe, il a fini par nous délaisser, son carnet à la main, et moi, j’ai profité de ce qu’Olivia m’a semblé disposée pour lui rappeler les règles : goûter, grimacer, évaluer si c’est pire au meilleur que notre précédente commande, et rire surtout, rire aux éclats, rire à s’en décrocher la mâchoire, rire sur nos souvenirs de cette vie de miliaire à présent révolue, très loin, à des kilomètres de ce que nous sommes devenus. « Et encore, j’ai failli demander de la mayonnaise et un cornichon en plus, mais j’ai peur qu’on le perde d’une crise cardiaque. » ai-je affirmé en la braquant des yeux. Je la tiens, elle les soutient : je refuse qu’elle m’échappe à nouveau. C’est si facile que de se cacher derrière la douce indolence du « tout va bien ». Dans ces conditions, il n’est pas utile de se battre, pas utile de se relever non plus. On peut continuer à mourir lentement au fur et à mesure du temps passant. « Et pourquoi tu ne le ferais pas ? » Jusqu’ici, je l’avais couvée. À présent, je fais mine d’être offusqué. « Je t’ai connue moins peureuse et plus audacieuse. » Elle l’avait été dans la ruelle face à Raelyn. Elle l’avait bousculée, agressée physiquement, étouffée de ses doigts comme des serres autour de son cou. « Qu’est-ce qu’une brochette de banane, d’olives et d’anchois ? » me suis-je enquis en balayant ses craintes d’un signe de la main. « On n’en a vu d’autres. Et, parfois, on a été surpris. Fraise, basilic et betteraves rouges, c’était pas mal finalement. » À la condition évidente d’apprécier le terreux du tubercule. « C’est justement parce que je me suis déplacé que tu dois essayer. » Je la gratifie d’un clin d’œil, histoire de la rassurer sur la suite. Elle promet d’être moins agréable que ce cérémonial qui n’amuse que nous. Elle vient d’ouvrir une brèche et, telle de l’eau, je m’y infiltre. « Où voulais-tu que je sois de toute façon ? » Chez moi à m’apitoyer sur la visite écourtée de Raelyn ? Sur mon bateau alors que cette amie est en souffrance.

Sans verser dans le présomptueux ou l’égoïste, j’ai contribué à la remuer sur ces dernières semaines. Je n’ai pas provoqué cette dispute avec son mari, mais la possibilité que nous avions plus tôt signé la fin de notre union fraternelle l’avait tracassée elle aussi. « Liv » l’ai-je aussitôt interpellée, m’avançant vers elle et baissant la voix. « Qu’est-ce que tu as foutu ? Tu étais où ? » J’aurais adoré pouvoir lui dire que Jake exagérait, qu’il faisait d’un terril une montagne, mais je ne suis pas hypocrite. « Tu te doutes qu’il m’a appelé, que je ne suis pas arrivé ici par hasard. » lui ai-je soufflé comme une réponse évidente à ses questions imprononçables. « Regarde autour de toi. Il fait des efforts. Il a mal, doublement, comme toi, mais il essaie. Tu n’avais pas envie de fêter votre anniversaire de mariage ? » Mon timbre est doux, calme, dénué de tout reproche. Il ressemble à celui d’un père ou d’un grand frère qui explique à un plus jeune pourquoi il n’est ni bon ni correct de cracher sur le monde autour. « Pourquoi tu ne lui as pas dit ? Tu sais qu’il a le droit de savoir ce que…. » Ce qu’elle ressent ? Faux ! ça n’appartient qu’à elle. En revanche, il se doit d’être libéré de leur union si elle n’en veut plus. « Ce que tu veux pour vous deux. » ai-je conclu alors que le serveur nous interrompt. Il a, entre les mains, une assiette savamment décorée et deux apéritifs. Je l’ai remercié. Puis, sans toucher à mon verre – et Dieu si l’envie d’alcool me démange – j’ai observé mes brochettes. « Elles ont l’air appétissantes, tu ne trouves pas ? » Et déjà je pousse le plat vers elle. « À toi l’honneur. Je t’en prie. » Galanterie oblige.  





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Message(#)a lasting blue note (amos) EmptyDim 19 Avr - 20:14


Olivia Marshall & @Amos Taylor ✻✻✻ Les murmures du passé pas si lointain s’invitaient à notre table, berceurs et familiers, tandis que les images d’anciens dîners aux protagonistes plus nombreux éveillaient nos mémoires avec douceur. L’image était troublante mais, si elle avait paru inaccessible il y a peu, Amos venait de lui redonner ses couleurs avec une juste subtilité. La mélancolie avait cette particularité d’être à double tranchant : chaleureuse mais toujours empreinte d’une certaine tristesse. Nous délaissions cette seconde sur l’instant, entendus sans un mot d’ignorer les revers et les regrets pour se concentrer sur leurs antinomiques. « Et pourquoi tu ne le ferais pas ? » Son indignation feinte vint étirer, légèrement, les commissures de mes lèvres. « Je t’ai connue moins peureuse et plus audacieuse. » « Appelle-ça de la maturité. » Je rétorquai, une sobriété dans les inflexions aussi simulée que le jugement dans les siennes. Peu à peu, nos habitudes raisonnaient avec quiétude dans la gravité latente de nos destins de vie. Il était évident que j’allais goûter. Cela avait été évident dès l’instant où je m’y étais refusée, appuyant mon désaccord à voix haute. Je m’opposais à ces inventions, par principe, le laissant me convaincre avec emphase afin qu’il ne puisse plus se rétracter lui-même lorsque son tour arrivait. Les années passant, ce stratagème avait été mis en lumière par Sarah, décidée à se venir en aide à elle-même, faussement lassée elle aussi d’entendre les plaintes de son mari plusieurs longues heures suivant nos dîners. En vain, cela ne nous avait pas encouragé à nous arrêter, bien au contraire. « C’est justement parce que je me suis déplacé que tu dois essayer. » Je levai une main près de mon visage, lui présentant ma paume comme un signe de capitulation, un qui survenait toujours.  « Tu finiras par le regretter plus que moi, ça finit toujours comme ça. » concédai-je, une étincelle amusée parvenant à venir se loger dans mon regard pour répondre à la sienne. Réelle mais incertaine, comment pourrait-il en être autrement ? La présence d’Amos semblait l’être tout autant, en outre, alors que je parvenais à peine à en comprendre les raisons. Comme si elle n’était pas réelle. Comme si l’on désirait me faire regretter ce que j’étais capable de perdre, comme si je m’étais finalement endormie contre la froideur de mon bureau, une autre nuit passée au commissariat. Mais ses railleries étaient véritables. Ses prunelles complices également. Et l’espoir qui siégeait à l’intérieur plus que jamais. « Où voulais-tu que je sois de toute façon ? » Je l’observai un instant avant de sourire tristement, incapable de savoir ce que sa rhétorique générait sous ma peau. Un sentiment particulier, certes. Où veux-tu que j’aille ? Les mots de Jacob, suivant presque le même enchaînement, me revinrent en mémoire et je laissais échapper un soupir las mais reconnaissant. Amos semblait soulever ainsi l’absence de possibilités mais ces dernières me paraissaient infinies. À la maison. Partout ailleurs qu’ici. Cela aurait été compréhensible. Je savais que mes reproches avaient fusé avec une dextérité que je m’acharnais à mépriser depuis notre dernier échange. Je savais également qu’aucun ne me serait venu en tête s’il avait décidé de se détourner ce soir, comme l’avait fait Jacob. Forçant mes doigts à se détendre, quelque peu, j’abaissai mon regard pour observer le plat de ma paume s’apposer sur le blanc opalin de la nappe. Je ne savais pas comment prendre ses paroles et préférais, alors, m’abandonner au silence plutôt que briser cet instant calme, ce repos empreint de sérénité que je ne pensais pas vouée à perdurer. Elle n’était peut-être, dans cet entre-deux, qu’une illusion mais je ne voulais rien gâcher. Elle n’était peut-être qu’une illusion mais je n’aurais imaginé pouvoir me sentir, un instant, apaisée au cours de cette soirée et je me moquais bien que cela ne soit qu’éphémère. Le frêle, le précaire devenait une assuétude, une accoutumance. Une seconde nature.

« Liv. » Sa silhouette taillée se pencha vers moi d’un air grave et je m’enserrai dans mon immobilité, pleinement lucide de ce qui allait survenir. Cette seconde nature ne seyait plus à personne d’autre que moi. « Qu’est-ce que tu as foutu ? Tu étais où ? » Je relevai mon regard dans le sien, cillant à peine lorsque mes pupilles attrapèrent les siennes, étrangement calmes derrière ses réprimandes. Les miennes le demeuraient également. Je les avais anticipés bien avant que mon prénom ne résonne sommairement d’entre ses lèvres. Je les avais entrevus dans l’ombre grise qui était venue voiler son regard. « Je suis là maintenant. » Et c’était la seconde fois, déjà, que je prononçais ces mots précis, dans cet exact ordre. Comme si cela devait compter pour quelque chose. Comme si cela excusait le reste. Comme si cet effort, bien qu’insuffisant, se devait d’être considéré à défaut d’être apprécié. Ce n’était rien, en effet, d’un point de vue extérieur. Mais dans ma tête, dans mon cœur, dans chacun des pores de ma peau, cela m’avait coûté une mise à mal de tout ce que je dressais entre moi et le reste du monde pour me protéger. Je n’attendais de personne d’autre la compréhension. Personne d’autre que Jacob mais même lui, ce soir, me l’avait refusée et avait préféré me confronter à l’incompréhension d’un ami plutôt que la sienne, infertile. « Regarde autour de toi. Il fait des efforts. Il a mal, doublement, comme toi, mais il essaie. Tu n’avais pas envie de fêter votre anniversaire de mariage ? » Je demeurai silencieuse, mes lèvres résolument closes et mes regards éloquents. Était-ce détestable de désirer, profondément, déceler une raison, n’importe laquelle, pour ne pas avoir à lui répondre. Pire, pour lui demander le droit de partir à mon tour. Certainement, comme tout l’était en moi depuis ce qui semblait être une éternité. Abjecte, plus que détestable. Il l’avait dit. Mais à part mes réflexions les plus profondes à propos de mes abaissements, je n’en trouvais aucune. Il avait le droit de m’interroger, et je n’en avais aucun de m’y soustraire. Dix-huit années passées l’un à côté de l’autre. Dix-huit années durant lesquelles l’amitié était devenue fraternité. Un ami ne s’immisçait pas dans ce que l’on désirait dissimuler. Un frère, lui, en possédait tous les droits. « Pourquoi tu ne lui as pas dit ? Tu sais qu’il a le droit de savoir ce que…. Ce que tu veux pour vous deux. » « Il sait. » laissai-je échapper laconiquement, d’une voix basse mais assurée. Il savait, même si tout paraissait indiquer le contraire. Il savait, parce que quinze ans, cela ne s’oubliait pas ainsi. Il savait, même ce soir. Il avait choisi cette soirée pour l’appeler, cette soirée où il s’était retrouvé captif d’une date qu’il n’avait pas réussi à oublier lui non plus. Je pouvais comprendre que tout tendait à prouver le contraire mais je demeurais persuadée qu’il savait. Mais que cela ne rendait rien de tout cela facile.

Je regardais à peine le serveur, incapable de trouver l’envie ou la force de le remercier à mon tour qu’il s’éloignait déjà, escorté du regard d’Amos qu’il ne tarda pas à reposer sur moi. Les assiettes semblaient nous narguer à présent qu’elles trônaient entre nous mais je pouvais discerner sur son visage, pourtant dénué de sourire, quelque chose d’étrangement paisible. Il ne cilla pas alors que je plissai les yeux, défiant mon regard de faire mieux, de peindre des émotions que le sien n’avait jamais rencontrées en croisant mes prunelles de jade presque inflexibles, de nouveau. « Elles ont l’air appétissantes, tu ne trouves pas ? » Elles avaient l’air inqualifiables, comme prévu, et cela semblait le contenter particulièrement. « À toi l’honneur. Je t’en prie. » Je me redressai lentement, inspirant avec précaution alors que je ramenai l’une des assiettes à moi, me retenant de laisser échapper quoique ce soit alors que l’odeur du sucré venait relever, sans harmonie aucune, celle du poisson fumé. Je me saisis de la brochette et vins porter à mes lèvres, lentement, une première olive. « Ce que je veux et ce dont je suis capable sont deux choses différentes. » Ma voix s’éleva finalement, de nouveau, entre nous, acceptant de laisser échapper plus de mots que je ne l’aurais cru. Plus de sincérité, tout du moins, alors que je connaissais mon habitude de dénier, de renier, de refuser ce qui était capable de m’apporter plus de nuances que je n’étais capable d’en supporter. Ces dernières mettaient en relief, révélaient, forçaient à assumer ce en quoi je ne croyais plus moi-même, ce que je ne voulais plus, ce que je m’évertuais à repousser, épuisée en fin de compte, incapable d’assumer le rôle de l’écorchée vive, s’éteignant au soleil et crachant sur ceux qui tentaient de déchirer ses liens. « Tu sais combien de semaines, aujourd’hui, séparent cette date de celle de leur accident ? » Je reposais le pic au creux de l’assiette creuse. « Quatre. » Quatre, c’était peu. Quatre, ce n’était rien. Je les couvais en moi ces quelques semaines, leur présence, comme un spectre dont le souffle ne cessait de chanter les échos de nos pas sur le marbre d’une nef d’église. Elles glaçaient mon corps et je peinais à retrouver le feu ardent d’une union que je ne savais plus vivre. « Qu’il y a-t-il à célébrer ? Comment ? » Lorsque toutes mes pensées se dirigeaient immanquablement vers ce que je ne parvenais pas à oublier. Et bien que consciente que cette quête ne devait pas rendre les autres tout aussi vaines et dérisoires, mon deuil restait une valeur incertaine devant laquelle j’avais fini par abdiquer. « Je n’en ai aucune idée mais je suis venue. Parce que, crois-moi, je sais ce qu’il fait et je sais ce qu’il ressent lorsqu’en face, il n’y a plus que moi. » Je m’interrompis car ce mot, ce simple mot, ne suffisait pas à résumer ce qu’il était supposé décrire, ce qu’il avait commencé à faire sur le pont de son bateau. « Ça n’a rien à voir avec nous. Je sais que ça devrait pourtant, tout avoir avec nous, entièrement. Mais je ne sais plus comment faire. » Et je taisais le reste, tout le reste, mais ces seuls mots étranglaient mon âme car le vertige de me heurter à l’incompréhension et aux arguments avisés m’enserrait la poitrine. Qu’il y avait-il de sensé ? Je craignais, oui, qu’il ne me comprenne pas, lui non plus. Incertaine également de pouvoir faire face à ses jugements, ils avaient toujours compté. « Est-ce que j’ai le droit de boire pour oublier à quel point cette invention entre dans le top 3 des pires associations jamais faites ? » soufflai-je finalement avant de fermer les yeux, une seconde, une seconde suffisante pour digérer le goût amer laissé sur mon palais, une seconde presque sans peine car le complexe, le douloureux, précédait déjà.

 


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Message(#)a lasting blue note (amos) EmptyMer 22 Avr - 8:36




A LASTING BLUE NOTE
Au moins a-t-elle souri : c’est prometteur. Je ne suis pas friand de mes propres associations culinaires. Elles me tordent l’estomac et, quelques unes d’entre elles m’ont parfois conduit jusqu’aux toilettes pour le vider. Or, je n’ai pas réveillé ce souvenir par hasard. Outre la nostalgie, je m’adresse surtout à la part fidèle et loyale d’Olivia, pas celle qui, courroucée, m’a giflé au milieu de mon bateau pour des mots malheureux, mais celle qui se souviendra que nous sommes promis du soutien mutuel, pour l’éternité que durera notre existence. Dès lors, je me ravis de sa grimace, qu’elle ouvre enfin la bouche et qu’elle capitule d’un geste éloquent de la main. La maturité, certes, c’est nécessaire, mais depuis quand joue-t-elle le rôle du frein au rituel ? Sous quel prétexte pourrait-elle nous interdire de renouer avec les plus beaux souvenirs de notre histoire ? Sarah, Jacob, Olivia et moi dans un restaurant, ça remonte à si loin que les contours du décor et des visages sont flous désormais. « Oui ! C’est vrai. Ma propre imagination me dégoûte. » ai-je ri de bon cœur, quoiqu’il n’y soit pas entièrement. Il est transi d’inquiétude pour la femme, pour la mère endeuillée et pour l’épouse. La première est dangereuse pour elle-même. Elle s’autodétruit sans réaliser que les terres ruinées par un incendies sont stériles, qu’elles ne donneront plus de fruits et qu’elles seront trop meubles pour supporter les fondations de la forteresse de renouveau. La seconde refuse de saisir à bras le corps sa douleur, de la laisser s’exprimer et de la transformer en moteur. Bien sûr, c’est compliqué. Je le sais pour avoir réalisé cet exploit. J’irais jusqu’à douter qu’il puisse en ressortir quoi que ce fut de bienveillant, mais n’est-ce pas mieux que l’inaction ou l’errance ? Elle déambule dans sa propre vie sans plus n’avoir aucun but, Olivia et de cette évidence naît ma troisième inquiétude. Son mariage par à vau-l’eau et, si je ne prétendrais pas que cette prochaine fatalité ne l’attriste pas, je soupçonne qu’elle ignore comment agir et réagir. Alors, elle se laisse porter par le courant de sa culpabilité, de ses peurs et de sa nostalgie. Elle boit le vin de patience à la coupe de Jacob jusqu’à plus soif. Il n’y reste plus que la lie et s’en contente. Elle se contente la saveur aigre du divorce que le destin lui mitonne et ça me déplait. Ça me crispe parce qu’elle en souffrira autant que du reste. J’ai peur qu’elle se réveille trop tard, quand elle aura tout perdu. Je suis effrayé à l’idée que la vacuité trop soudaine de sa vie ne lui saute au visage et que son cœur implose et je redoute de ne plus pouvoir lui être d’un quelconque recours. Alors, je m’autorise à aborder ce qui m’amène. Je ne fais pas état de l’appel de Jacob. Je ne lui rapporte pas les détails de notre échange. Elle les devine. Tout du moins, elle présume que les mots se sont teintés d’amertume et de désolation. A quoi bon enfoncer le couteau dans la plaie ? Nous n’y gagnerons rien, pas même de la jubilation : je ne lui en veux pas de m’avoir jugé et enfoncé la tête dans l’eau en évoquant Sofia. Je suis plus revanchard et rancunier, mais jamais avec elle. Jamais.

J’ai déballé mes questions avec la délicatesse d’un môme le matin de Noël, mais je n’ai pas regretté ma rudesse. A moins d’être sentimental, le papier cadeau n’a aucun intérêt. Seul importe le contenu et, celui qu’elle m’a offert, manquait cruellement de recherche. Elle est là, maintenant, certes, mais trop tard. Je ne suis pas bon cavalier. Je ne suis pas même un chevalier servant. Elle est arrivée trop tard et comment le justifie-t-elle ? Interrompu par le serveur, j’ai secoué la tête à plusieurs reprises. Ma langue a frappé contre mes dents à cause de ce sentiment que, discuter avec elle serait synonyme de mauvaise foi ce soir. C’est dommage et dommageable surtout, pour elle et pour moi. Je ne supporterais pas de retrouver mon bateau bredouille et frustré de n’avoir pu l’aider.  L’assiette à présent sous nos yeux, je l’ai invitée à goûter la première. Moi, je l’ai observée d’un œil scrutateur et déçu qu’elle croque à peine dans l’olive. « Le deal, c’est tout en entier. On sait qu’une olive, c’est bon. » J’adore ça, mais ce n’est pas le sujet. Celui qui nous occupe, elle le ramène au cœur de la conversation et j’obtiens aussitôt l’ébauche d’un indice. Son attitude découlerait-elle de sa rancœur ? Jacob était dans la voiture au moment de l’accident. Il tient lieu de responsable idéal, mais que fait-elle des intentions ? Il n’a ni souhaité ni cherché à ce que ce drame arrive. Il est autant victime que June. Son seul crime, c’est d’être vivant finalement. Doit-il s’en excuser ? Ne l’a-t-il pas déjà fait et bien assez ? Nul besoin d’être devin pour accepter que sa culpabilité l’empêche souvent de respirer. Il doit s’en vouloir chaque jour que Dieu fait et elle aussi. C’est naturel. J’ai maudis toute personne auquel j’ai confié mon bébé après son déménagement, en particulier Chad et Kelly. J’ai réussi à fustiger Sarah du regard de n’avoir su empêché son départ. Moi-même, j’ai baissé les yeux devant mon miroir de peur d’être assailli par mon imperfection. Dès lors, que dire ? Qu’ajouter si ce n’est un soupir ? « Il sait ? Quoi exactement ? Que c’est devenu la norme de t’attendre en vain ? » Je ne m’avance pas sur des hypothèses. Combien de fois ne m’a-t-elle pas réclamé asile quand rentrer chez elle lui était trop pénible ? Combien de fois n’ai-je pas eu envie de lui conseiller d’au minimum le prévenir qu’elle découcherait pour au final renoncer, incapable de statuer sur ma place au milieu de ce marasme ? « Je sais. Je sais que c’est peu, que c’est pas suffisant, mais ça ne le sera jamais, Olivia. » D’aucuns ne se relèvent de la perte d’un enfant. Certains glissent dans la dépression et d’autres, un peu comme moi, dans la folie de la vendetta. Ce qu’il adviendra de moi au terme ? Je l’ignore. Et, de Liv ? Que lui restera-t-il si elle persiste sur cette voix. « Si tu attends que ça se tasse et de guérir, ça n’arrivera jamais. Tu n’aurais jamais plus rien à célébrer. Tu n’aurais plus jamais le cœur à la fête, mais ça ne t’empêchera pas de sourire parfois et d’être surprise que c’est de bon cœur. Tu pourras ressentir aussi, des trucs qui vont te bousculer, qui vont réveiller ta culpabilité, mais qui seront là et avec lesquels tu vas devoir apprendre à composer. La seule question que tu dois te poser, c’est si tu as envie qu’il soit à ses côtés ou pas. Et, je répète, lui aussi, il a le droit de savoir. » Plus que n’importe qui d’autres. Plus que moi.

J’ai à mon tour récupérer une brochette dans l’assiette et, si je l’ai observée, c’était surtout pour ne pas l’assommer de mon regard inquisiteur. Je n’ai pas envie qu’elle s’imagine que je prends parti contre elle, que je ne suis à sa cause acquise. Elle se tromperait. Je ne l’ai jamais été plus qu’aujourd’hui puisque jamais, auparavant, je ne m’étais aventuré sur de tels sentiers. Je ne remue pas la merde. Je ne tourne pas l’opinel dans les plaies. Aujourd’hui, elle me prive de ma discrétion, et qu’à cela ne tienne, peut-être aurions-nous dû mener cette conversation il y a des années déjà. « Ça a tout à voir avec vous justement. Ne fais pas comme moi, Liv. Ne t’imagine pas que tu es la seule à souffrir aussi fort et que l’autre ne comprend pas. Ne fais pas comme si ce que tu ressens compte plus parce que c’est facile et parce que c’est un réflexe humain. Accepte qu’il te prenne par la main et mélanger le tout pour essayer d’en sortir grandi. Meurtri, abîmé, mais grandi et ensemble. C’est compliqué de le faire ? » Et derrière ma question ne se dissimule aucun reproche. Je m’interroge moi aussi. Je n’ai pas réussi à appliquer mes conseils. Je n’en avais pas conscience et nul n’a jugé bon de m’avertir. Elle avait cette chance, elle, et j’ai prié un Dieu auquel je n’ai jamais cru pour que l’idée fasse dans sa tête son petit bonhomme de chemin. « Attends-moi, avant de boire. » ai-je rétorqué tandis qu’elle nous éloigne du problème à l’ordre du jour. « Je vais me lancer. » J’ai respiré, profondément. J’ai fermé les yeux et j’ai gobé cette horreur qui m’a retourné l’estomac. D’un geste du menton, j’ai désigné son verre et j’ai avalé le mien d’une traite. « J’atteste : je préfère le ragoût en conserve dans les sacs de survie. » C’était immangeable, un coup à ce que ça pèse sur l’estomac la nuit durant. «  J’ai envie de dire. N°2. C’est pas aussi ignoble que le saumon fumé à la gelée du myrtille, wasabi et sauce archiduc. » Mais, ce n’était pas très loin.





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Message(#)a lasting blue note (amos) EmptySam 25 Avr - 18:01


Olivia Marshall & @Amos Taylor ✻✻✻ Les mots s’étaient confrontés à mes lèvres closes, les empêchant d’en sortir, de s’en glisser injustement, et je m’étais reprise en inspirant lentement. Cela faisait deux ans déjà que j’étais seule. Immanquablement seule. Et personne n’était responsable de cette solitude, ou personne ne devrait l’être. Personne n’avait le pouvoir, dans le fond, de me sauver de mes afflictions ou de m’extirper de mes pensées les plus tourmentées car le deuil était ancré à ma peau comme un compagnon que je n’étais pas certaine de vouloir abandonner sur le bas-côté de la route. Je le faisais et qu’arrivait-il ? Je le faisais et qu’advenait-il de ma fille ? Je m’imaginais rester ainsi, éveillée au sein d’une nuit sans fin, le visage maculé d’ombres et de visions imaginaires. Je n’ignorais pas que ma colère y était pour beaucoup et que le sentiment d’injustice qui l’accompagnait ne cessait de la conforter, de lui donner de la force, de l’ampleur, m’empêchant de quitter les chaînes de mon désert solitaire. Un rempart semblait s’élever, parfois, devant moi, me séparant du reste du monde sans que je ne sache comment le rejoindre. Sans être certaine de vouloir le faire car, dans le creux de mes nuits les plus chanceuses, je parvenais à l’apercevoir, au sommet de la plus haute des roches, l’ange que l’on avait ôté à ma vie. June montait la garde, quelques fleurs délicates et pastel éparpillées entre les mèches de ses cheveux tressés. Elle me regardait de ses expressions qu’elle m’avait toujours destinées, toutes entières, avant de sourire pour me demander de la retrouver, au sein de son allégresse. Et je savais que rien de tout cela n’était vrai mais je désespérais que cela ne le devienne. Et je m’imaginais me complaire dans cette solitude sans jamais vouloir que quiconque ne parvienne à franchir le rempart jusqu’à ce qu’Amos y parvienne. Toujours. Il ne l’avait pas fait seul ce soir et cela ne m’étonnait pas non plus. Car le cœur de Jacob s’était montré lourd de trop de choses à supporter, de trop d’erreurs à accepter mais qu’il n’avait pas failli, une nouvelle fois. Il ne le faisait jamais. Et si lui n’était plus capable de supporter mes incohérences, il avait appelé le second, imaginait-il, ne se résignant pas à m’abandonner entre les étaux d’une geôle que je m’étais créée moi-même sans y apporter tout de même une source de lumière. « Le deal, c’est tout en entier. On sait qu’une olive, c’est bon. » Un sourire vint s’esquisser sur mes lèvres, sans doute. Je l’écoutais à peine à vrai dire, mon esprit tout entier dédié à ses permissions. Celles qu’il ne s’était jamais permis ces deux dernières années. Celles qu’il laissait échapper ce soir. Ils étaient d’accord sur ce point, de toute évidence : j’avais franchi une ligne et il ne s’agissait plus de fermer les yeux. « Il sait ? Quoi exactement ? Que c’est devenu la norme de t’attendre en vain ? » Je fronçais les sourcils en remontant mon regard dans le sien, ne pouvant m’empêcher de l’interroger. « C’est ce qu’il te dit ? » Ce qu’il lui avait dit ce soir ? Au détour de leur conversation que je ne pouvais imaginer, que je n’étais pas sûre de vouloir imaginer. Alors pourquoi me laissais-je aller à le reprendre ? « Je sais. Je sais que c’est peu, que c’est pas suffisant, mais ça ne le sera jamais, Olivia. » Les mots écorchaient ses lèvres avant de virevolter autour de mes tempes et je me reculais lentement en essayant d’assimiler ses paroles. Cela n’aurait pas dû être difficile, dans le fond, car il avait raison. J’en avais l’impression, moi aussi, que ça ne serait jamais suffisant. Je pressentais un mais cependant, un mais que je ne désirais pas entendre.

« Si tu attends que ça se tasse et de guérir, ça n’arrivera jamais. Tu n’aurais jamais plus rien à célébrer. Tu n’aurais plus jamais le cœur à la fête, mais ça ne t’empêchera pas de sourire parfois et d’être surprise que c’est de bon cœur. Tu pourras ressentir aussi, des trucs qui vont te bousculer, qui vont réveiller ta culpabilité, mais qui seront là et avec lesquels tu vas devoir apprendre à composer. La seule question que tu dois te poser, c’est si tu as envie qu’il soit à ses côtés ou pas. Et, je répète, lui aussi, il a le droit de savoir. » Je dépliai mes doigts difficilement et les laissais venir s’attarder sur la nappe, une seconde, une seconde seulement, avant de se serrer de nouveau autour d’un couvert. Nous avions évité cette conversation, et si je ne possédais pas toutes les raisons qui l’avaient animé pour nous en préserver aussi longtemps, je connaissais les miennes. Jacob savait. Jacob savait déjà. Et je souffrais de l’image que je voyais dans son regard lorsqu’il le posait sur moi. Trop pour imaginer qu’Amos aussi finisse par se rendre compte de ce que j’étais devenue. Je ne voulais pas qu’il me regarde comme un désastre condamné, me doutant qu’il le pensait déjà, dans le fond. À moitié peut-être, avant l’autre jour. Définitivement, depuis. J’étais suffisamment lucide à présent pour noter la tristesse venue hanter son visage lorsque j’avais feint un sourire. J’avais été suffisamment lucide pour lire les pensées qui avaient effleuré son esprit, simplement en regardant ses traits lorsqu’il m’avait observée quelques secondes de trop. Et je ne pouvais rien dire, je ne pouvais rien faire, je pouvais laisser mon esprit se replier, comme à son habitude, se protéger sous les barrières qu’il érigeait, s’enfermant dans un monde où je demeurais la seule à connaître ce que je pensais de moi, la douleur et la déception. Mais ce n’était pas chose aisée maintenant qu’il était là. Maintenant qu’il méritait plus. « Et si je souris parfois et que l’instant d’après, c’est encore pire ? » Un sourire, triste, vint affleurer à mes lèvres pour ponctuer mes paroles. Ironique à souhait. Je restais, trop souvent, plongée dans les souvenirs de ce qui avait disparu, ceux-là même qui se mêlaient ensuite à l'instant présent, ne faisant que me rappeler ce temps où les choses étaient alignées, évidentes, frémissantes de bonheur. Et à quel point elles ne l’étaient plus. « Si j’en suis encore à ce stade et que lui ne l’est pas, comment lui dire quoique ce soit ? » J’inspirais lentement avant de poursuivre. « Quoique ce soit qui ne ressemblerait pas à des reproches parce que je ne veux pas que ça en soit. » Parce qu’il ne le méritait pas. Qu’il avait le droit, tous les droits, tout le mérite, de vivre son deuil comme il le faisait. De vivre son deuil en étant prêt à m’accompagner dans le mien. Tous les droits. Tout le mérite. Mais que je savais pertinemment que rien de ce que je parviendrais à lui dire ne serait capable de l’exprimer parce que je n’étais pas comme cela. Je n’avais rien des vertueux ou des courageux lorsque l’on en venait à cela, me montrant incapable de pardonner et d’embrasser la beauté de ce qui perdurait. « Mais ça y ressemblerait forcément alors en attendant ... » En attendant, je partais, ne rentrais pas quand il était là, me laissais aller à tout ce qu’il me reprochait silencieusement, et plus encore. Tout cela car je ne le disais pas mais je l’aimais encore. Je l’aimais tellement que s’il fallait cela pour y rester accrochée, je le faisais. S’il fallait cela pour survivre, encore, rien qu’un peu, puisque le reste ne semblait plus capable de survivre, alors je le faisais. C’est mieux que de le perdre pour toujours, Amos. Je soupirai en redressant mon menton, lentement.

« Ça a tout à voir avec vous justement. Ne fais pas comme moi, Liv. Ne t’imagine pas que tu es la seule à souffrir aussi fort et que l’autre ne comprend pas. Ne fais pas comme si ce que tu ressens compte plus parce que c’est facile et parce que c’est un réflexe humain. Accepte qu’il te prenne par la main et mélanger le tout pour essayer d’en sortir grandi. Meurtri, abîmé, mais grandi et ensemble. C’est compliqué de le faire ? » Et je le sentis ce nouveau sourire, le même qu’auparavant alors que j’inclinai la tête pour retrouver son regard avant d’hausser les épaules. « Tu sais que ça l’est. » Il le savait mieux que personne. Cela lui avait coûté son mariage, sans qu’il ne sache le rattraper. Je savais qu’il tentait de me mettre en garde pour cela justement, fort de son expérience, fort de ses propres blessures. Mais peut-être ne fallait-il pas attendre que j’accepte pour se saisir de ma main. Je le faisais rarement, accepter. Ma fierté serait la dernière à survivre, j’en étais persuadée à présent et ils le savaient également. Je refusais à mes fragilités de se transformer en faiblesses, me surprenant de trop nombreuses fois à confondre les deux. Je ne permettais pas souvent d’être soutenue, pas assez pour qu’on continue de me laisser le choix. Et le choix, je l’avais. Je l’avais, continuellement. Je l’avais, sans limites, sans confrontations. « Attends-moi, avant de boire. » J'acquiesçai presque par instinct, alors que mes doigts trouvaient déjà le contour de l’une des flûtes. « Je vais me lancer. » Je plissais les yeux en l’observant se saisir de l’une des brochettes, comme s’il s’agissait de mon tour de nouveau. « T’as plutôt intérêt. » répliquai-je tout de même, un éclat d’espièglerie logé dans la voix. Il fut plus rapide que moi. Plus rapide que moi également à grimacer et à dénaturer le goût de celles, plus douces, de notre apéritif. « J’atteste : je préfère le ragoût en conserve dans les sacs de survie. » Je laissai échapper un rire silencieux en levant les yeux au ciel avant de le rejoindre, portant le verre à mes lèvres. Tout avait commencé comme cela, oui. Oublier les frustrations de l’armée en s’en créant de nouvelles, s’en amusant pour les supporter. « J’ai envie de dire. N°2. C’est pas aussi ignoble que le saumon fumé à la gelée du myrtille, wasabi et sauce archiduc. » « C’était mon invention ça et elle est loin derrière. » rétorquai-je pour le principe, feignant le sérieux lorsqu’il parvenait à me faire sourire, à me faire oublier, l’espace d’un instant. « Pourquoi t’es venu ? » J’avais fini mon verre avant de l’interroger, avant de le reposer sur la table, au milieu des couverts disposés, des couleurs agencées, des lumières sophistiquées. Tout avait été réfléchi, oui. Tout sauf le fait que je n’arrive pas à temps. Tout sauf le fait qu’il allait partir à son tour. Tout sauf le fait qu’Amos serait celui à occuper sa place.


 


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Message(#)a lasting blue note (amos) EmptyMer 29 Avr - 20:20




A LASTING BLUE NOTE
Si j’avais souhaité lui rapporter les tenants et les aboutissants de ma discussion avec Jacob, je l’aurais fait sans attendre la question. Bien sûr, elle ne la formule pas aussi ouvertement. Elle se retranche derrière les suppositions, mais je ne suis pas né de la dernière pluie. Elle n’ose demander franchement parce qu’elle sait que de cette échange, elle sortira bredouille. La preuve étant, je hausse un sourcil et je tire une mine qui atteste que c’est un coup dans l’eau. « Tu penses vraiment que j’aurais besoin qu’il le dise ? » Try again, Liv, et cette fois, sans insulter ma clairvoyance. Cette ponctuation me brûle les lèvres, mais je n’en pipe mot. Inutile de tirer sur l’ambulance des balles de mépris. Son minois est défait. Elle est déconfite et ses sourires sont maigrelets. Ils seraient comparables à des enfants mal nourris du tiers monde et quand bien même, je n’en ressens aucun pour elle. Je n’ai pas encore sacrifié notre amitié sur l’autel de la rancœur. J’y tiens et mon affection, si tant est qu’elle en ait douté après notre querelle, se révèle ici-même, dans ce restaurant trop guindé pour mes frusques mal repassées et ma dégaine de repris de justice. Elle s’exprime là, sous ses yeux, parce que je me suis déplacé et que je réinstaure les règles d’un vieux jeu pour alléger notre conversation. Elle n’aura rien d’agréable. Je suppose sans grand mal qu’elle détestera chacun de mes mots, mais elle les entendra. Elle est intelligente, Olivia. Malgré sa peine, elle est encore capable de reconnaître la bienveillance dissimulée derrière les propos les plus rudes. Alors, je ne la ménage pas. A quoi bon la conforter dans l’idée de suivre cette voie qui ne la mènera nulle part ou jusqu’à sa perte ? Trop longtemps, je l’ai regardée s’enfoncer dans l’irresponsable, si bien qu’aujourd’hui, je trouve regrettable mon inaction d’hier et ma bousculade de ce jour. J’ai failli à ma tâche, dès lors je prie pour qu’il ne soit pas trop tard pour elle, pour son couple, pour sa santé mentale puisque le deuil est un poison indolent pour lequel il n’existe aucun antidote quoique Sarah assume que la foi est la panacée. Quelle foutaise. Dieu n’a jamais sauvé personne. Quant au destin, il n’épouse pas les indigents. Il ne  vaut pas mieux que l’argent : c’est une belle pute qui n’épouse pas les pauvres et les indigents du sentiment.

Je mentirais si je claironnais haut et clair que sa question ne m’émeut pas. Combien de fois ne me la suis-je pas posée ? Combien de fois n’ai-je pas culpabilisé pour l’ébauche d’une grimace heureuse ou un éclat de rire ? La mort d’un enfant laisse des traces indélébiles. Elle crée des habitudes peu réjouissantes également. D’antan, j’aimais écouter la radio dans la voiture. Je ne l’ai plus jamais allumée et je l’éteins d’instinct si l’un de mes éventuels passagers s’y risque et ce n’est qu’un exemple parmi une pléthore d’autres réflexes malheureux. « Et ça le sera dans un premier temps. » ai-je avoué tandis que se réveille la douleur de mes plaies à vif. « Toi, moi, et tous ceux qui ont vécu la même chose, nous sommes et nous resterons des écorchés vifs et sourire… n’a jamais pansé une quelconque blessure. » C’est ce qu’on chante aux gamines en proie à leur premier chagrin d’amour, mais ça aussi, c’est de la connerie. C’est du même acabit que l’amour éternel et gratuit du Tout-Puissant. « Continuer à vivre, au lieu de survivre, ce n’est pas toujours synonyme d’oubli ou d’abandon. » Je m’avance sans risque sur ce terrain. Cette crainte, elle résonne bruyamment en moi. C’est une porte qui claque et qui, parfois, me fait sursauter. C’est celle qu’elle a violemment fermée lors de notre dernière entrevue en réfutant l’éventuelle approbation de ma défunte fille par rapport à ma relation avec Raelyn. C’est celle que ma femme a claquemuré à chaque fois qu’elle m’a donné l’impression qu’elle se remettait plus vite que moi. « Admettons qu’il approche doucement de la phase d’acceptation ? » Personnellement, j’en doute. Sa voix, au téléphone, trahissait d’une souffrance qui dépasse largement celle de la perdition d’un mariage. « Hé bien, très bien. Soyons heureux pour lui. C’est ce qu’on pourrait lui espérer de mieux. Mais, tu crois vraiment qu’il en est là ou c’est ce que tu te dis parce que ça rend ta rancœur plus légitime ? » J’ai respecté un silence de rigueur, qu’elle puisse digérer l’hypothèse et j’ai poursuivi sur ce même ton rassurant, mais néanmoins ferme. « Il n’a pas besoin que tu lui parles de ce que tu ressens pour se reprocher ce qui est arrivé. C’est ce dont tu as peur ? De l’accabler ? Et que disent tes silences d’après toi si ce n’est une punition ? Du moins, je suppose. C’est comme ça que je les ai vécus, moi. » Le mutisme de Sarah accordait trop de place à mon imagination pessimiste et, comme Liv, j’ai fui ma maison, mes amis et ma famille. J’ai fui en attendant que le train passe, ce qu’il fit, à maintes reprises, en me laissant sur le quai. « Alors, j’entends que c’est difficile, en effet. » ai-je rétorqué parce qu’elle a visé juste. « Alors, je vais te poser la question autrement : est-ce si difficile d’essayer ? De réussir là où j’ai échoué finalement ? » Mes yeux, braqués dans les siens, ont tenté de les retenir, mais ils m’ont échappé à l’instant même où le serveur nous a interrompu. Et, qu’à cela ne tienne… elle est en bout de course, en queue de peloton : quel mal à lui permettre de respirer le temps de contempler mon chef d’œuvre culinaire.

Elle a d’abord picoré une olive de sa brochette et j’ai protesté en brandissant les règles tel un fanion. J’ai écopé d’un sourire et, fort de notre routine, j’ai gobé le mélange qui pèse déjà lourdement sur mon estomac. La flûte de champagne – bouteille commandée et réglée par le seul cavalier de la demoiselle – que j’ai avalé cul n’a pas suffi à laver mon gosier du goût indescriptiblement écoeurant du cocktail. D’une œillade inquisitrice, j’ai vérifié qu’elle s’est réellement prêtée au jeu et j’ai commenté, jaugé, comparé et “craché“ mon dégoût. « C’est ignoble. » ai-je répété en attribuant à ces anchois une place dans le classement. « Tu te surestimes. Ce saumon était… » J’ai grimacé alors que l’évocation a chatouillé mes papilles et bousculer mon estomac déjà fragilisé. « De la myrtille et du wasabi. Plus jamais. » Nous aurions pu en rire quelques instants encore si elle ne m’avait pas surpris d’une question qui a avorté de mon rire sincère. Il s’est à peine envolé que j’ai penché la tête pour mieux la détailler, soucieux de comprendre le sens de sa question. Que veut-elle savoir ? Pourquoi je me suis déplacé alors qu’elle m’a giflé ? Qu’elle a insulté ma maîtresse ? Qu’elle m’a qualifié, en d’autres termes, de monstres égoïstes et d’homme primaire ou trivial ? « La bonne question, c’est pourquoi ne serais-je pas venu, Liv. » J’ai ramassé la fourchette sur la table et j’ai entrepris de récupérer les olives sur les brochettes. Elles seules sont restées comestibles. « Tu sais, Liv, il s’agit moins de lui que de toi en tant que maman et en tant qu’amie. C’est à elle que je m’adresse, pas à l’épouse, parce qu’il ne m’a pas appelé pour que je vous aide à régler vos problèmes, tu sais. » Evidemment. Il est bien trop fier et à raison : je ne l’en blâmerai pas. « Je le voudrais que je ne pourrais pas. » Nul ne pourrait porter cette croix à leur place. « Et si tu fais référence à l’autre jour… » Celui où, au milieu de la cabine de mon bateau, elle a montré ses talons plutôt que ses pointes, celui où j’ai présumé qu’elle n’y remettrait jamais les pieds. « Il y a du bon dans les disputes. Ça nous rappelle ce qui compte vraiment, même si je vais me permettre une question à mon tour. Tu m’as demandé comme Sofia réagirait de me voir l’absoudre. » Le pronom fait référence à Raelyn, mais j’ai pris soin de ne pas prononcer son prénom. Non seulement, la précision est inutile, mais qui plus est, elle n’est pas – ou pas encore – au cœur du souci actuel. « Comment crois-tu que June le prendrait si elle voyait ses parents courir à leur perte ? Si elle te voyait aussi malheureuse au quotidien ? » Cette fois, la pente est savonneuse et j’ai donc veillé à accompagner l’interrogation de toute la douceur que j’ai en stock. « Tu crois que tu serais prête à assumer que ce qu’elle avait de plus beau dans sa vie. » Des parents qui l’adorent, qui s’aiment et qui ne la bringuebalent pas d’un foyer à un autre. « Quand il te demandera de signer des papiers de divorce ? » Croit-elle que la honte n’a pas davantage retenu ma main que mon amour pour Sarah ?






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Message(#)a lasting blue note (amos) EmptySam 2 Mai - 20:39


Olivia Marshall & @Amos Taylor ✻✻✻ Un autre que lui et la porte aurait déjà été refermée, sans douceur aucune, brusquement, sèchement. Un autre que lui et je me serais déjà éloignée, étouffant dans l’œuf ses tentatives de m’approcher, de me faire entendre raison. Raison sur quoi ? Raison où ça ? Pour que la raison prime, il devait y avoir logique. Et je mettais au défi le monde de trouver cette dernière dans ce que nous évoquions, dans la mort d’un enfant. Un autre que lui, oui. Mais Jacob le savait, c’était pour cela qu’il l’avait appelé, qu’il avait abandonné. Et Amos ne l’ignorait pas non plus ou il ne s’y risquerait pas. Il savait, toujours, ce que ses paroles étaient capables de provoquer chez moi. Il m’avait vu grandir, m’apaiser, me battre. Il m’avait vu rire quand des milliers de kilomètres nous séparaient de chez nous. Il m’avait vu être heureuse et sombrer l’instant d’après. Il m’avait vu m’emporter lors de notre dernier échange, notre unique confrontation, avant que nous ne brisions le contact comme s’il était possible ainsi de l’oublier. Il savait, oui, que ses paroles pouvaient m’atteindre et à quelle puissance et je n’avais jamais été aussi peu certaine de désirer les entendre. Il allait savoir s’y prendre, lesquelles prononcer et de quelle façon, ne choisissant pas leur enchaînement comme un hasard mais avec attention, avec précision, anticipant que j’allais vouloir m’en emparer si je le pouvais car je le faisais toujours. Nous n’avions jamais voulu nous forcer à évoquer ce qui blessait, nous forcer à revivre ce que nous désirions peut-être garder pour nous et pour nous uniquement mais la résolution semblait prendre fin ce soir. Et je n’allais pas pouvoir lui reprocher ce que je reprochais aux autres car lui, n’était pas du genre à ralentir devant un accident de la route. Le drame restait fascinant, le commun des mortels impuissants face au réflexe de se demander jusqu’où était-il capable de s’étendre, jusqu’où leur curiosité était-elle capable de les amener. Mais ce n’était pas le cas d’Amos. Le drame, il le connaissait. Le drame, il ne s’en approchait pas par appétence morbide. Il le faisait par nécessité, par obligation et je détestais, profondément, l’idée d’en être devenue une. « Et ça le sera dans un premier temps. » admettait-il alors, la peine au fond du regard, celle qui ne vint pas se refléter dans le mien car je l’en empêchais déjà. « Peut-être que ce temps n’est pas supposé passer pour moi. » Peut-être que ce n’était pas une question de temps, en effet, mais d’envie. Peut-être que je continuais d’en avoir besoin, de mes souvenirs comme une réalité que je n’étais pas prête à abandonner ou à regarder avec nostalgie. Peut-être que je voulais me contenter de les garder dans un lieu qui n’appartenait plus qu’à moi afin de m’y plonger lorsque je le désirais. Je savais que cela n’avait rien de sain mais je ne cherchais plus à l’être lorsque, de plus en plus souvent, le passé semblait être la seule chose demeurant certaine. Lorsque, de plus en plus souvent, le passé semblait être la seule chose capable de me maintenir en vie.

« Toi, moi, et tous ceux qui ont vécu la même chose, nous sommes et nous resterons des écorchés vifs et sourire… n’a jamais pansé une quelconque blessure. Continuer à vivre, au lieu de survivre, ce n’est pas toujours synonyme d’oubli ou d’abandon. » Je secouai lentement la tête, ne faisant aucun commentaire malgré les pensées venant s’entrechoquer à mes lèvres. La raison s’exprimait à la place d’Amos. Celle que nous devrions suivre, peut-être, celle que nous aurions tout à gagner à écouter, sans doute. Mais celle qu’il ne respectait pas non plus, ne pouvais-je m’empêcher de penser. Sa vie entière se construisait aujourd’hui autour de la vengeance qu’il pourchassait. Sa vie entière était tournée vers la survie, celle de la mémoire de sa fille. Je n’avais pas cette possibilité qui s’offrait à moi et celle qu'il me proposait alors y ressemblait fortement, à l’abandon. « Admettons qu’il approche doucement de la phase d’acceptation ? » s’aventura-t-il sans y croire, sans que je ne sache non plus comment appréhender sa présomption. « Hé bien, très bien. Soyons heureux pour lui. C’est ce qu’on pourrait lui espérer de mieux. Mais, tu crois vraiment qu’il en est là ou c’est ce que tu te dis parce que ça rend ta rancœur plus légitime ? » Je demeurais impassible. Les expressions de mon visage tout du moins alors que mes doigts se refermèrent comme un poing sous la table, dérobés à son regard, celui-là même que je ne détournais pas car les mots qui allaient suivre seraient les plus sincères dont j’étais capable. « Je ne veux pas en parler. » Je ne voulais jamais en parler. Je m’y refusais, toujours, car peu importe ce que je me laisserais à dire, mes réponses ne se limiteraient qu’à ça : des mots. Des mots, vides, pour des émotions, fracassantes. Des mots incapables de faire avancer qui que ce soit. « Il n’a pas besoin que tu lui parles de ce que tu ressens pour se reprocher ce qui est arrivé. C’est ce dont tu as peur ? De l’accabler ? Et que disent tes silences d’après toi si ce n’est une punition ? Du moins, je suppose. C’est comme ça que je les ai vécus, moi. » Mais Amos poursuivait, ne m’écoutant pas, à tort ou à raison, ayant cessé de s’en préoccuper. Je réprimai un froncement de sourcils, consciente qu’il en avait fini avec le camouflage, le non-dit, les faveurs. Il me savait piégée et il en profitait, de ces moments d’aveux rares. « Alors tu sais que les silences se créent à deux. » rétorquai-je néanmoins, relevant le menton pour croiser son regard, stable. Le savait-il vraiment ? Lui ou n’importe qui d’autre ? Que je m’étais débattue, longtemps, avant de finir par me taire, incapable de savoir ce que mon mari ressentait de son côté, ressentait réellement même lorsque nous nous trouvions face à face ?  « Je ne sais pas où il en est, toi non plus. Personne ne le sait parce qu’il ne dit rien. Je n’ai pas peur de lui parler, j’ai peur qu’il ne trouve plus aucune raison de m’accabler, moi. » Plus aucune raison de ressentir quoique ce soit à mon égard. Ni colère, ni rancune. Ni compréhension, ni passion. Rien d’autre que sa patience jusqu’à ce que celle-ci disparaisse, elle aussi. Ce n’était pas ce que je désirais et je savais mon comportement méprisable en retour, condamnable à raison mais j’avais essayé de lutter contre ces prédictions, contre ces présages obscurs ayant empoigné notre vie à deux. J’essayais encore mais mes forces s’amenuisaient et mon combat n’avait plus rien d’honorable, plus rien d’acceptable, j’en étais consciente. « Alors, j’entends que c’est difficile, en effet. Alors, je vais te poser la question autrement : est-ce si difficile d’essayer ? De réussir là où j’ai échoué finalement ? » Il se redressait enfin, laissait à mon regard l’occasion de ne plus avoir à subir le sien n'ayant pourtant rien d’inquisiteur, se révélant uniquement trop sagace pour que je ne sache le supporter.

Il ne s’agissait pas d’une confrontation et il le savait, me le démontrait une nouvelle fois. Il menait la danse et je pouvais toujours m’en éloigner, me contentant de valser autour du feu d’un passé trop encombrant, il savait qu’il avait de son côté le temps nécessaire. Le temps d’un dîner qui ne faisait que commencer. D’un dîner déjà vécu et qu’il recréait de toutes pièces, à quelques différences près. « C’est ignoble. Tu te surestimes. Ce saumon était… » Je l’observai grimacer et décidai de lui venir en aide dans le choix des mots qui tardaient à venir. « Audacieux. Innovant. » ironisai-je doucement en reposant ma coupe. Et je m’en voulus, presque, d’être la cause de ce rire qui n’eut d’autre choix que celui de s’évanouir. « La bonne question, c’est pourquoi ne serais-je pas venu, Liv. » Un rire sans joie vint m’arracher un souffle et j’inclinai la tête en arquant un sourcil, laissant mes avant-bras se poser sur la table de nouveau. « Je peux voir une raison ou deux … » Ma main venant s’écraser sur sa joue d’une violence sans précédent entre nous me paraissait être l’une d’entre elles, en effet. Mais je me demandais si tout le reste, ce qui avait précédé et ce qui avait suivi ne m’était pas paru plus brutal, dans le fond. « Et si tu fais référence à l’autre jour… » Je relevai les yeux à ces nouveaux mots, me rendant compte que l’espace d’un instant, j’avais cessé de l’écouter, perdue dans ce que nous ne pouvions plus racheter. « Il y a du bon dans les disputes. Ça nous rappelle ce qui compte vraiment, même si je vais me permettre une question à mon tour. Tu m’as demandé comme Sofia réagirait de me voir l’absoudre. » « Je n’aurais jamais dû me servir de Sofia. » Je ne le coupais pas, me contentant de ponctuer presqu’aussitôt, le visage fermé, la voix tout autant. Et toi, de June. Le sous-entendu était palpable ou aurait dû l’être. Il ne l’arrêta pas cependant. « Comment crois-tu que June le prendrait si elle voyait ses parents courir à leur perte ? Si elle te voyait aussi malheureuse au quotidien ? » Je lui jetai un regard sombre, mais je ne le blâmais pas, pas réellement, de m’exposer à cette flagrante vérité, celle que je me surprenais à m’imposer un peu plus chaque jour. « June n’est plus là. » Et cette vérité ne vint pas permettre à mon regard de s’adoucir, bien au contraire. Cela me paraissait être la dernière chose à faire lorsque je l’évoquais, m’adoucir, m’affaiblir, me faire flancher. Qui pour me relever ensuite ? « Tu crois que tu serais prête à assumer que ce qu’elle avait de plus beau dans sa vie. Quand il te demandera de signer des papiers de divorce ? » « Je ne veux pas en parler. » Les mêmes mots, de nouveau. L’intonation différente, néanmoins, moins implacable. Je demandais réellement sans savoir implorer, je n’en avais jamais été capable. Mais mon regard, lui, vint trouver le sien calme et familier, espérant qu’il comprenne ce que je ne savais pas dire. Je t’entends Amos. Je ne peux juste pas en parler.


 


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Message(#)a lasting blue note (amos) EmptyLun 4 Mai - 19:42




A LASTING BLUE NOTE
À présent que de mes lèvres s’échappent aveux, confidences, conseils et avertissement, je réalise amèrement que cette discussion arrive peut-être un rien trop tard. Des années durant, nous avons fait le choix d’ignorer qu’au-delà de notre vie de militaires et de notre affection mutuelle, fraternelle, le drame qu’est la perte d’un enfant, les nôtres, nous a rapprochés de la plus ignoble façon qui soit. June et Sofia, elles ont été fauchées comme les blés par la mort et qu’avons-nous fait pour nous soutenir l’un l’autre ? Nous regarder en chiens de faïence, nous renvoyer au visage notre incompréhension, nous bercer de notre sentiment d’injustice, nous complaire dans la souffrance de l’autre. Nous avons sciemment refusé de mettre des mots sur nos maux et où en sommes-nous aujourd’hui ? Dans un restaurant trop guindé que je n’aurais pas réservé moi-même à déposer sur la table un éventail de non-dit ? À, pour ma part, verser dans le brusque propos qui la pousse aux révélations ? Liv, elle n’ose plus sourire sans se détester, aimer sans se haïr et, quoique je revête la soutane d’un père la morale dans l’espoir de souffler dans son dos le vent du changement, j’ai mal pour elle. J’ai mal parce que cette crainte, je la nourris chaque jour. J’ai mal de soupeser ô combien nous sommes deux hypocrites. Elle, elle supporte mon audace en cillant faiblement alors qu’il est évident qu’elle réprime son envie de m’envoyer paître vers de verts pâturages à mille bornes des rues de sa peine. Moi, l’ami défectueux de tous les instants, j’exige qu’elle réussisse là où j’ai échoué. Et, pour quoi ? Par bienveillance ? Pour racheter ma conduite à cause de ma liaison avec Raelyn ? Non ! Elle est différemment importante, beaucoup trop, de plus en plus, je ne regrette rien et je ne la remets pas en cause. J’accepte de jouer sans avoir toutes les cartes en main, parce que mon amante me réconcilie avec moi-même. Dans ce cas, chercherais-je à redorer le blason de ma conscience ? La laver de cette impression que mon influence lui a été néfaste ? Qu’elle a contribué à nourrir son deuil ? Est-ce tout ce que j’ai fait pour Olivia aujourd’hui : la tirer par le fond à chaque fois que j’ai découché pour me réfugier auprès d’elle ? Lui enfoncer la tête sous l’eau lorsque je l’ai autorisée à m’imiter, à fuir son mari, son chez-elle, comme je l’ai fait avec Sarah, quand je lui ai permis de s’endormir, sa joue sur mon épaule, celle-c pour oreiller, alors que ce n’est pas la mienne qui aurait dû l’aider à porter son fardeau ? Comment ne pas me sentir coupable quand elle déclare haut et fort que les cloches de la rédemption ne tintent pas encore en l’honneur de son salut ? Comment ne pas hocher de la tête avec contrition et consternation en signe d’approbation ? Et comment envisager de me taire sous prétexte qu’elle se ferme au dialogue ? Ne l’abandonnerais-je pas à nouveau ? Je ne l’ai que trop souvent encouragée dans ses travers. Je ne l’ai pas manipulée, mais j’ai usé et abusé de son affliction pour qu’elle serve mes intérêts. Plus triste encore, c’est que je sais que je reproduirai l’exercice par égoïsme, mais pas ce soir.

Sur l’heure, je me concentre sur elle, sur l’impératif qu’est de la sauver de la noyade, et ce qu’elle qu’en soit le prix à payer pour la somme de nos erreurs. Un conflit, peut-être. Sans doute en éclatera-t-il un de plus entre nous. Peut-être que l’explosion sera plus violente que celle d’une bonbonne de gaz qu’on aurait oublié dans une chemine. Mais, qu’à ce ne tienne, nous y survivrons, nous survivons toujours. Nous sommes de la trempe des coriaces. Nous sommes les cafards pourchassés par le destin, des nuisibles dont il ne se débarrasse jamais malgré son acharnement à nous exterminer. Nous sommes Olivia et Amos : inséparables. « Je sais que tu ne veux pas en parler, mais il va pourtant falloir cette fois. » ai-je répliqué du ton ferme et autoritaire que l’on prête aux aînés emplis de sagesse. Je n’en ai pas une once en moi. Je ne jouis que de mon expérience pour faire contrepoids, de mon histoire, banale et triste à pleurer. « Si on ne le fait pas maintenant, ce sera quand ? Dans six mois ? Un an  ? Jamais ? Quand tu auras divorcé et que tu seras définitivement à terre ? Ce sera trop tard et tu le sais aussi bien que moi. » Plus tôt, j’avais fait preuve de délicatesse en m’adossant à ma chaise. À présent, les bras croisés sur la table, mes yeux braquent les siens et je me penche vers elle. « Les silences se créent quand on leur laisse trop de place. Il se tait ? Très bien ! Rien ne t’oblige à faire la même chose, car il les comble, par autre chose. » Des fêtes d’anniversaires de mariage par exemple. Je serais à peine surpris qu’il lui ait récemment fait envoyer des fleurs. « Si tu ne veux pas être battue, arrête de tendre le bâton parce que ça fait mal, un coup de bâton et crois-moi, je sais de quoi je parle. » Il assomme, il abîme, il blesse, il détruit, il altère : résumé parfait des supplices que j’ai enduré à chaque fois que je me suis vautré dans les draps de Sarah, que je me suis jeté dans ses bras à corps et à cœur perdus. À ce stade, l’apéritif n’est plus qu’un intermède, une parenthèse que je referme au terme d’un sourire. Il n’est pas lumineux, il est au contraire un facilitateur de courage. Dieu seul sait ô combien la bravoure me sera nécessaire dès lors que j’aborde June. Je pourrais la laisser reposer en paix et la tenir à l’écart de cette discussion à couteaux tirés. Sauf qu’elle en est la pierre angulaire : je n’ai donc d’autres options à disposition, d’autant qu’elle me tend une perche.

Parmi ces raisons qu’elle évoque en sous-entendus, il y a la gifle, certes, mais aussi – surtout – son aversion à peine voilée pour ma maîtresse. Pour m’en détourner, elle n’a pas hésité à utiliser Sofia. Elle l’a portée à bout de bras en étendard avec pour objectif de réveiller mon bon sens. Elle n’a simplement pas compris, à l’époque, qu’il n’était pas assoupi. « Mais tu l’as fait, je sais pourquoi et je ne t’en veux pas » ai-je pardonné, arguant que, sur l’instant, il n’y a pas de place pour les regrets. Pas plus pour le mutisme têtu d’ailleurs. « June est toujours là parce que tu refuses de la laisser partir. » Je me moque qu’elle serre le poing ou la mâchoire. Je me contrefiche également d’être incriminable de troubler perpétuellement le long sommeil de mon bébé. Il ne s’agit pas de moi. Il n’est question que d’Olivia, Jacob et ce couple qui, contrairement au mien, n’est pas encore fané. « Et j’ai compris la première fois que tu ne voulais pas en parler. Et, ce n’est pas une réponse. » Pas celle que j’attends. « Alors, je vais te reposer la question : comment tu crois qu’elle réagirait en voyant sa mère malheureuse comme la pierre ? En voyant ses parents se déchirer en silence ? Comment crois-tu qu’elle se sentirait ? En paix ? Est-ce que tu crois qu’elle se pense à l’origine de ce qu’elle voit ? De ce que tu es en train de devenir ? » J’aimerais ajouter : réveille-toi, ma grande. Je suis là, je ne partirai pas. Relève-toi, tu vaux mieux que ça, mais aucun de ses ordres ne l’atteindra autant que l’allusion à sa gamine. D’aucuns n’arriveraient à chambouler son cœur de mère si ce n’est les plus violents d’entre eux. « Soit tu en fais abstraction, soit tu en tiens compte. Il n’y a pas d’autres options possibles malheureusement. Elle ne peut pas être et avoir été à ta guise pour te donner une bonne raison de tout foutre en l’air, Olivia. Il faut choisir maintenant. » ai-je conclu, doucement, lentement, conscient d’être dans la position la plus détestable à claironner : faites ce que je dis, pas ce que je fais.  


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Message(#)a lasting blue note (amos) EmptyJeu 7 Mai - 18:42


Olivia Marshall & @Amos Taylor ✻✻✻ Ses yeux ne cessaient pas d’aller et venir, feuilletant mon visage lorsque mon corps, mon corps tout entier, semblait constituer un aveu se suffisant à lui-même. Je le laissais faire, pourtant, ne m’en offusquant pas. J’ignorais encore s’il s’agissait là d’une manière de ma part de l’y autoriser mais je ne lui refusais pas et cela comptait, plus que beaucoup d’autre chose. Je voulais me tenir à cette résolution mais les miennes avaient cette fâcheuse tendance à s’invalider sans que je ne puisse y faire quoique ce soit, date de prescription évoluant au gré de ce que l’on me forçait à entendre, à faire face, à accepter lorsqu’il n’y avait plus grand-chose pourtant que je continuais d’accepter. Amos, plus que tous les autres, était supposé le savoir, s’en souvenir. Amos était supposé savoir quelle ligne ne pas franchir, quel levier ne pas actionner, quel angle adopter pour réussir à m’atteindre et celui de l’offensive n’avait jamais, jusqu’à maintenant, porté ses fruits. Bien au contraire. « Je sais que tu ne veux pas en parler, mais il va pourtant falloir cette fois. » Je n’y voyais aucune obligation, pourtant. Aucune obligation nulle part, jamais, celles-ci ayant toutes disparu, celles-ci ayant toutes été abolies par moi-même il y a deux ans déjà. Mais je ne rétorquais pas, sachant pertinemment que l’inverse était aussi vrai. Il n’en avait aucune non plus, à m’écouter, à se taire parce que je le lui demandais. Soit. Je pouvais l’écouter, oui, choisir de ne pas lui répondre. Choisir de ne rien dévoiler susceptible d’altérer mes défenses, les seules me restant, les seules capables de me maintenir toujours debout. Il n’avait pas envie de savoir ce qui se dissimulait derrière. Personne n’en avait envie. « Si on ne le fait pas maintenant, ce sera quand ? Dans six mois ? Un an ? Jamais ? Quand tu auras divorcé et que tu seras définitivement à terre ? Ce sera trop tard et tu le sais aussi bien que moi. »  Jamais, alors. Trop tard, alors. Je n’arrivais pas à retenir un soupir sur l’instant. Je ne veux pas en parler. Les mots s’étaient échappés d’entre mes lèvres ce soir mais avaient été perceptibles et implicites combien de fois auparavant ? Combien de fois avant aujourd’hui ? Cent fois ? Mille fois ? Il les avait entendus, à chaque fois, les avait respectés également, demeurant toujours à proximité, veillant sur moi comme mon ombre sans jamais m’empêcher de faire les erreurs que j’accumulais chaque jour. Je ne pouvais m’empêcher de me demander ce qui avait changé désormais. Je ne pouvais m’empêcher de me demander si cela ne signifiait pas, dans le fond, qu’il était déjà trop tard. « Ce n’est pas parce qu’il t’a appelé que tu dois te sentir obligé de rattraper quoique ce soit, tu sais. » De me rattraper. Je le dédouanais sur l’instant, s’il le désirait. Je le libérais de tout devoir, voilà ce que je le désirais. Je portais en moi un deuil qui ne cesserait pas, puisant sa force dans la rancœur que je ressentais à son encontre et Amos n’était pas responsable d’atténuer la seconde, le premier encore moins lorsque le sien était déjà trop lourd. Peut-être était-il capable de changer, peut-être était-il capable de se sentir vivant à nouveau puisque tels avaient été ses mots, mais mes erreurs continuaient de creuser leur chemin dans mon esprit dépouillé sans que je n’y trouve, de mon côté, aucune issue semblable.

« Les silences se créent quand on leur laisse trop de place. Il se tait ? Très bien ! Rien ne t’oblige à faire la même chose, car il les comble, par autre chose. » Je n’avais plus la force de hausser les épaules mais il n’en avait pas besoin pour savoir ce qui pouvait être dit ou non, ce qui pouvait être souligné ou non, ce qui se voyait ou non. Il avait eu le temps d’observer, des mois durant, des mois durant lesquels il n’avait rien dit, n’en pensant pas moins néanmoins, je le découvrais à présent. « Si tu ne veux pas être battue, arrête de tendre le bâton parce que ça fait mal, un coup de bâton et crois-moi, je sais de quoi je parle. » J’haussai un sourcil en finissant la coupe de champagne sans en ressentir aucun effet, l’amertume supplémentaire venant se loger dans mes mots. « Tu ne te prives pas pour en donner, pourtant. » Je n’allais pas lui faciliter la tâche, j’en étais consciente. J’étais cette jeune femme trop fière qu’il avait connue au sortir de l’adolescence, j’étais cette jeune femme bornée dont les défauts avaient fini par se retourner contre elle-même, les années passant. Au fond de moi, je sentais les regrets ébouillanter ma poitrine mais les gardais enfouis. Amos méritait pourtant de connaître leur existence mais j’étais celle n’étant pas prête, jamais, à les accorder à qui que ce soit. Qu’étais-je supposée faire à présent ? Me défaire des reproches qu’il semblait me faire ? J’étais fière, oui, mais lucide quant à mes fautes. Rejeter ses dernières sur mon mari, espérant m’en dédouaner en retour ? Je ne m’en montrais pas plus capable. J’acceptais alors de devenir l’étrangère à ses yeux également. Je retrouvais entre les bruits stridents des couverts alentours une liberté complaisante et fuyante, éphémère, j’en étais consciente. « Mais tu l’as fait, je sais pourquoi et je ne t’en veux pas. June est toujours là parce que tu refuses de la laisser partir. » Pourquoi le ferais-je, Amos ? Je fermais les yeux, une seconde, ses mots étreignant mes songes écaillés avant de se mêler aux citations d’Anouilh. La laisser partir serait l’oublier. La laisser partir reviendrait à embrasser la tragédie. Et c'était reposant, la tragédie, "parce qu'on sait qu'il n'y a plus d'espoir, le sale espoir ; qu'on est pris, qu'on est enfin pris comme un rat, avec tout le ciel sur son dos, et qu'on n'a plus qu'à crier". Peut-être ne l’acceptais-je pas en effet, peut-être lui préférais-je le drame. Le drame toujours car l’on pouvait nous y débattre dans ce dernier, nous y confronter sans repos. Il se trompait, néanmoins. Ma fille s’en était allée malgré mon refus de la laisser partir. Toute ma hargne n’y avait rien changé. Et c’était tout mon être, à présent, qui refusait de pardonner mon impuissance.

« Alors, je vais te reposer la question : comment tu crois qu’elle réagirait en voyant sa mère malheureuse comme la pierre ? En voyant ses parents se déchirer en silence ? Comment crois-tu qu’elle se sentirait ? En paix ? Est-ce que tu crois qu’elle se pense à l’origine de ce qu’elle voit ? De ce que tu es en train de devenir ? » Tu vas trop loin, Amos. Tu vas trop vite. N’entendait-il pas ces mots s’effondrer à la barrière de mes lèvres sans que je ne trouve la force de l’interrompre. Chacune de ses paroles semblait destinée à achever, le coup déjà porté, l’intention à présent de le rendre létal. Et cette dernière trouvaille s’imposait à lui à présent, cette allusion n’ayant plus rien de voilée, ce chantage qui n’avouerait pas son nom, cette provocation qu’il me lançait comme si, la relever ou m’y opposer devenait à présent le seul rempart à ma chute imminente. « Soit tu en fais abstraction, soit tu en tiens compte. Il n’y a pas d’autres options possibles malheureusement. Elle ne peut pas être et avoir été à ta guise pour te donner une bonne raison de tout foutre en l’air, Olivia. Il faut choisir maintenant. » Ses dernières paroles portaient en elle le ton clair de la mise en demeure, de l’ultimatum, celui-là même qui vint froncer mes sourcils alors que le silence reprenait ses droits lentement, me donnait le temps de souffler un instant, tentant d’assembler de nouveau ce qu’il venait d’éparpiller autour de nous, morceaux de moi ne recréant aucune image sensée. Je ne voulais pas lui répondre car les blessures dont il s’emparait à pleine mains avaient l’habitude d’être retenues, coincées dans ma poitrine, refusant de faire surface. Je ne voulais pas lui répondre mais ma noirceur le fit pour moi. Elle le fit comme elle le faisait à chaque fois, chuchotant doucement au creux de mon oreille et peignant des choses lourdes et sombres au fond de mon esprit agité. Je la savais concentrée, attentive à l’instant où je baisserai ma garde afin de s’emparer de mes cordes vocales, satisfaite de me battre toujours à mon propre jeu. Une fois encore, je la laissai gagner. « Elle n’est plus là. Crois-moi, je le sais et il n’y a rien à choisir là-dedans. » Elle ne voyait plus. Elle ne souffrait plus, ne riait plus, n’aimait plus, ne pensait plus rien de nous. Ne pensait plus rien de moi. Ne croyait-il pas que ce terrain avait été exploré par mes soins une éternité de fois au cours de ces deux dernières années ? Ne croyait-il pas que je l’avais recherchée, cette foi qui semblait l’animer, celle qui permettait au disparu de demeurer, de me veiller, de m’obliger à m’élever pour ne pas la décevoir ? Je me redressai lentement, inclinant doucement la tête en arquant un sourcil. « Tu essaies de faire quoi, Amos ? Me réparer ? » Et le mot sonna comme un mensonge dans mon esprit tant il me paraissait illusoire. « M’ouvrir les yeux ? Ils sont ouverts. Ils l’étaient hier, ils le seront demain et c’est peut-être ça qui me fout en l’air parce que je n’arrive plus à voir quoique ce soit d’autre. » Je l’observai, pensive, car je m’en voulais. Je m’en voulais de ce regard qu’il me portait, semblant rechercher quelque chose en moi, quelque chose que je ne réussissais pas à lui offrir car je n’avais plus rien à offrir, dans le fond. Plus rien, à part cette douleur logée dans ma poitrine qui ne me laissait plus respirer. « Alors tu peux arrêter maintenant, je sais. Je sais que rien ne va. » ponctuai-je finalement en inspirant avec peine. Je sais que rien ne va chez moi. « L’addition. » La demande, cette fois-ci, était formulée à l’encontre du serveur, de retour, comme un répit qu’il avait senti nécessaire. L’addition, seulement l’addition. « On étouffe ici. » Et un regard envers Amos car je partais, oui, mais espérais ne pas avoir à le faire seule malgré tout. Je ne veux pas en parler. Ce n’était pas moi essayant de m’esquiver. C’était moi, tout simplement, capable de l’entendre, capable de l’écouter, mais incapable, toujours, de pouvoir lui offrir les réponses qu’il n’était pas le seul à désirer.


 


solosands
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Message(#)a lasting blue note (amos) EmptySam 9 Mai - 17:25




A LASTING BLUE NOTE
Ce soir, je transgresse les règles tacites que nous avons convenues d’un regard après la mort de Sofia et d’un autre quand le glas sonna pour June : j’en parle. Je dépose sur la table de ce restaurant l’entrelacs de non-dits. J’entreprends de dénouer les fils, mais Olivia ne me simplifie par la tâche. Elle se borne à saboter le fruit de mon travail par des silences ou des aveux qui, elle l’espère, me rendront muet à mon tour. Quel gaspillage d'énergie. Nous le savons tous les deux :  je suis long au démarrage et têtu comme une mule. La force nécessaire pour trancher dans la chair à vif de ces drames m’a manqué. C’est vrai. Aujourd’hui, dès lors que j’avance à grands pas vers ma vengeance et que la plume de ma victoire me chatouille les pieds, je retrouve la vigueur qui m’a fait défaut après l’accident de ma filleule et je décide de réinvestir les rôles de confident, d’ami ou de frère après de Liv. Je me moque qu’elle veuille ou non m’entendre. Je suis lancé et je constate à peine qu’une fois de plus – c’est coutumier lorsqu’il s’agit de mes relations humaines – j’attaque le fond du problème par le mauvais angle. Il y a un contentieux entre cette amie et moi, un contentieux dont elle prend la responsabilité tandis qu’à mon sens, les torts sont partagés. Peut-être aurais-je dû commencer par régler la question de Raelyn et de notre liaison avant de me lancer dans une diatribe du comportement de la mère endeuillée. Peut-être aurais-je dû lui rappeler que Jacob n’est ni sera ma priorité. Nous nous entendons par la force des choses, mais nous ne sommes pas les meilleurs amis du monde, son mari et moi. Il me fait l’honneur de ne pas verser dans cette jalousie trop évidente qui nous aurait tous abîmés et, en échange, je lui sers avec sincérité tout mon respect. A contrario, je ne me serais pas substitué à sa présence et je ne plaiderais pas sa cause avec objectivité, au détriment de l’affection et de l’émotionnel. Si j’écoutais la part sensible de ma personnalité, celle qui voit dans son interlocutrice l’oisillon de dix-sept ans que j’ai récupéré au pied du nez et que j’ai pris son mon aile, je ne piperais plus mot. Je lui offrirais sur un plateau d’argent une paix royale, mais qu’y aurait-elle gagné ? Et quel bénéfice en aurais-je tiré ? Des remords si sa vie périclitait ? Des regrets si les fondations de son existence s’écroulaient ? J’en ai déjà bien assez au compteur pour prendre le risque d’en ajouter encore. Beaucoup trop. « Ce n’est pas parce qu’il m’a appelé que je me sens obligé de rattraper quoi que ce soit. » l’ai-je répétée, lentement, que chaque mot la percute, qu’elle réalise leur violence. « Je me sens obligé parce que ça fait des années que j’aurais dû le faire pour toi… Il est plus que l'heure aujourd'hui. » Le quart d’heure académique est dépassé depuis une éternité. Il est grand temps que je la secoue et, si mon propos lui fait l’effet de coup de bâton, dès lors tant pis. Je ne peux que hausser des épaules et plisser les lèvres par dépit. Quoi qu’elle en dise, elle m’écoutera, m’entendra, qu’importe qu’elle choisisse de se taire puisqu’il s’agit de son droit le plus strict… mais elle a fait mieux !

En toute franchise, je n’ai pas ambitionné qu’elle tombe la tête sur ses coudes, eux-mêmes posés sur la table, pour pleurer tout son saoul., qu’elle claironne que je représente aujourd’hui la voix de la raison, qu’elle m’applaudisse avec mépris ou qu’elle me jette un regard courroucé sans que son timbre de mezzo soprano ne vienne titiller mes tympans. J’aspirais plutôt à de la colère, une ire pondérée, qui n’aurait rien de surjoué et dont les mots, choisis sans parcimonie, crieraient ces vérités mises à nu :  j’ai mal. J’ai mal et je souffre. Je souffre et j’ai peur. J’ai peur et je te déteste. Et j’ai visé juste – ou presque - le mile de la cible. Elle a opté pour l’éloquence, celle que je lui envie souvent, mais le résultat est satisfaisant. “Elle n’est plus là“ argue-t-elle avec humeur. Et, moi, j’ai grimacé un sourire affligé. Elle se trompe, liv. June vit à travers elle, son père et ceux qui l’ont aimée, choyée, adorée. « Je pensais comme toi, moi aussi. » Je l’ai hurlée à Sarah, cette phrase injurieuse. Je l’ai insultée à chaque fois qu’elle entonnait le refrain de sa chanson sur l’au-delà et sur le Christ. D’après moi, elle ne raconte que des foutaises. Elle n’est qu’une berceuse qu’on fredonne à l’oreille des mômes confrontés à la rudesse de la mort, de l’absence infinie. Je n’ai pas changé d’opinion. Je n’ai pas expérimenté un miracle sacré : j’ai simplement rencontré Lola, l’artiste qui, le temps d’un pèlerinage sur Kilcoy, m’a appris que la résurrection n’est pas l’acte tangible et spirituel vendu par la Bible. Mais, elle existe néanmoins. A chaque souvenir partagé et à chaque évocation de ma défunte fille, nous l’avons relevée d’entre les morts pour instant. Alors, rire et sourira ne m’auront jamais paru plus doux que depuis ce funeste jour. Comment l’expliquer à cette âme en peine cependant ? Comment lui confier les clés de ce renouveau si elle détourne la discussion pour accuser et non pour avancer ? « Personne ne te demande de ne plus le voir, je te propose de le regarder autrement. » me suis-je défendu en veillant à ne pas hausser le ton. Il se doit d’être tendre, car déjà elle se braque, ma partenaire. Elle se referme comme une huître sans se soucier de biaiser son jugement. On ne répare pas les gens tels que nous. On n’essaie pas non plus de recoller les morceaux. « Arrêter quoi ? » ai-je rétorqué sans espérer obtenir réponse. Elle est hors d’elle. Elle tente de le dissimuler, mais elle ne réclame pas l’addition au serveur, elle l’exige. Elle aurait presque tressailli tant elle a négligé la politesse. Quant à moi, je l’observe et je patiente, d’abord inquiet d’être exclu par sa fuite et, par la suite, réjoui d’y être invité.

Une demi-heure. Nous avons foulé le trottoir de notre pas lourd de peine près de trente minutes sans nous adresser la parole et sans que ça ne nous dérange. Côte à côte, c’est au cœur de ce mutisme que nous nous comprenons le mien. Nos silences sont évocateurs, bien plus que le verbe. Cette parenthèse, je l’ai mise à profit pour ordonner les idées qui se pressent sur les sentiers tortueux de mon esprit et j’ai statué sur la manœuvre suivante. Inutile de revenir sur l’impensable. Si je me fie à mon instinct, il convient d’essuyer l’ardoise de notre querelle. Sauf que les limites de mes talents d’orateur s’imposent dès lors que le cœur du sujet n’est autre que moi. « On se ressemble tellement. » ai-je remarqué en tournant vers elle un visage amusé. « Et, j’ai l’impression de faire tout de travers. » J’ai ricané sans grande joie. « Je ne t’en veux pas, pour la gifle. Je suppose que je l’ai méritée et je commence à m’y habituer. En fait, cette dispute, elle est déjà derrière moi. Je ne t’en veux de rien. Mais, j’aurais voulu que tu comprennes. » Quoique je lui accorde que mes explications n’ont pas rendu pleine justice à ma liaison avec ma maîtresse. « Et je regrette de t’avoir posé un ultimatum. Tu n’es pas mon soldat, Liv. Tu ne l’as jamais été. » Et tu ne le seras jamais. « J’aurais dû m’y prendre autrement, te raconter autrement. » Et, le cas échéant, je suis à ta disposition si, d’aventures, tu as des questions, ai-je jugé vain d’ajouter. Elle sait !  
 


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Message(#)a lasting blue note (amos) EmptyMar 12 Mai - 19:38


Olivia Marshall & @Amos Taylor ✻✻✻ Il y avait en moi une sombre fidélité à laquelle je n’avais pas voulu renoncer lorsqu’il en était encore temps, à laquelle j’étais condamnée à présent, même dans la fulgurance évidente de l’urgence que Amos décidait pourtant de me dépeindre ce soir. L’expérience d’avoir souffert était sans usage, continuais-je de penser. Je me retrouvais tout de même au seuil de cette nouvelle vie que le monde entier semblait prêt à aborder, ne me sentant rien d’autre que démunie, dénuée de talents pour y faire face. Il se rendait compte, lui, de ce qui me tourmentait car mes maux étaient les siens. Pire, il se rendait compte désormais que je m’y accrochais, craignant véritablement ce qui se cachait en-dessous. Je continuais d’entendre les promesses, les espérances de l’après, du deuil accompli, de la sérénité retrouvée, de la douleur lancinante laissant sa place à une décente tristesse, celle-là seule étant légitime aux yeux des autres. Je continuais de tourner le dos à ces serments si plein d’espoirs et d’acuité que je ne pouvais m’empêcher de les trouver fallacieux et effrayants. Les maux disparaissaient et apparaitraient le reste. Ils s’évanouissaient et se profileraient ensuite les fissures et les gouffres car rien ne venait combler celles et ceux que l’absence de June avait créés. Et lorsque j’imaginais le reste, lorsque je me risquais à les croire, alors l’issue, la délivrance, la lumière de l’acceptation venaient à me tordre le cœur tant je ne m’y sentais plus autorisée, tant je ne m’en sentais plus méritante. « Ce n’est pas parce qu’il m’a appelé que je me sens obligé de rattraper quoi que ce soit. Je me sens obligé parce que ça fait des années que j’aurais dû le faire pour toi… Il est plus que l'heure aujourd'hui. » Je haussai les sourcils, n’ignorant pas à quel point ses mots ne me laissaient ni perplexe, ni songeuse. Je les avais déjà entendus, les avais déjà rejetés, les avais déjà anticipés également dans la bouche de celui qui n’avait jamais encore jamais osé les prononcer. Amos changeait son angle d’attaque ce soir, refusant de me rejoindre dans la fosse que je m’étais créée, celle annihilant le déni et les illusions. Il est plus que l’heure aujourd’hui. Peut-être était-ce trop tard. Peut-être me regardait-il en imaginant le pire, en craignant que ce dernier ne se soit déjà produit. Endeuillée obstinée, aimant déjà ses cicatrices. Consentant déjà à la douleur. Refusant déjà de guérir. Je n’étais pas une obligation. Je me refusais à le devenir pour qui que ce soit, me répugnais à devenir ce nouveau poids venant s’ajouter à la longue liste des siens déjà imposants et dont il n’arrivait pas à se délester par soucis de responsabilité. Je sentais l’envie gronder en moi, celle de le remercier d’avoir été cette figure durant de si nombreuses années, celle de lui témoigner à quel point il avait été important, à quel point sa présence avait su m’accompagner à chaque étape de ma vie. Celle de lui souffler qu’il n’était pas obligé, non, de le faire pour celle-ci. Pas si cela signifiait le retenir, lui, en arrière.

« Je pensais comme toi, moi aussi. » Je l’avais vu faire, ignorante de ce moment où le sens commun était parvenu à le toucher en plein cœur, finalement, après des années d’égarement. Le sens commun, Liv ? Je sentis le goût métallique du sang envahir mon palais une seconde avant de me rendre compte que je venais de mordre l’intérieur de ma joue pour m’empêcher de le penser. Mais bien entendu. Bien entendu qu’il avait raison, lui et tous les autres. Bien entendu qu’il valait mieux occulter les souffrances du passé plutôt que de vivre avec au quotidien, plutôt que de les porter en bandoulière, ne s’en débarrassant pas comme on exposerait un butin, malsain. Bien entendu que, pour triompher, il fallait savoir les dépasser, aller au-delà, qu’il s’agissait là encore du plus sûr des moyens. Mais triompher de quoi ? J’en revenais toujours ici, consciente d’avoir déjà vécu le plus dévastateur de mes échecs. « Personne ne te demande de ne plus le voir, je te propose de le regarder autrement. » N’avait-il pas eu peur de le faire lui-même ? N’avait-il pas senti son cœur s’emporter et son corps ne plus le porter au moment où il s’y était employé ? L’entreprise me paraissait vertigineuse à simplement l’imaginer. Je refusais de me pencher au-dessus du gouffre qu’était devenu ma vie, refusais de tenter de déchiffrer les affres et la vie qui en avait découlé dans leurs contre-jours, leurs détours et leurs points de suspensions. Je ne pouvais m’empêcher de lui signifier, coupant court aux possibles qu’il m’évoquait et me braquant un peu plus à chaque seconde passant. « Arrêter quoi ? » Arrêter de me pousser dans mes retranchements lorsque l’on savait ce que j’étais prête à faire pour m’en dégager. Arrêter de provoquer mes propensions aux confits pour échapper aux chagrins. Je voulais prendre sur moi, contrôler mon souffle saccadé, fatigué. Je voulais m’empêcher de dire quoique ce soit d’autre qui aurait pu nous blesser car nous l’avions déjà fait. Il n’aurait servi à rien de le contredire de nouveau, je ne désirais pas briser ses nouvelles convictions, briser ce qui lui permettait de se relever, enfin. Je me demandais, dans le fond, s’il avait hésité à me le montrer avant, si cela avait pesé dans la balance de ses confessions n’étant jamais venues, s’il avait attendu le pire des moments pour me révéler sa liaison pour cela également : ne pas m’accabler davantage. Il ne savait plus comment me dire qu’il allait bien, qu’il allait mieux. Il ne devrait jamais avoir à s’en excuser, mais c’était pourtant le cas. Si tu vas bien, je vais bien. Cette phrase n’était pas un mensonge, cette phrase résumait notre relation. Pourquoi ne la croyait-il plus ? Pourquoi n’étais-je plus capable de la lui rappeler ?

Je fermai les yeux en haussant les épaules, renversant mon visage vers le ciel ardoise alors que la porte de l’établissement se refermait derrière nous. Mes cils humides effleuraient mes joues tirées par la fraicheur nocturne de cette fin d’automne et se chargeaient de me maintenir dans l’instant présent. Amos s’était déjà avancé sur le large trottoir illuminé et je le suivis, arrivant à sa hauteur car il m’en laissa l’opportunité, oubliant l’un et l’autre ce qui s’était produit l’instant d’avant, à l’intérieur de ce que nous abandonnions déjà, oubliant la réalité durant quelques minutes. Combien, je n’aurais dû le dire et nous nous en moquions certainement. Je me souvenais avoir eu le réflexe de chercher une cigarette, une seconde, avant de me souvenir ne pas les avoir emmenées ce soir-là et demeurais silencieuse, ne ressentant pas même l’envie de lui demander s’il avait les siennes. Lui aussi ne rompait pas le silence. Lui aussi semblait soulagé de retrouver le nôtre au rythme de notre marche, celui au sein duquel nous avions toujours su évoluer, celui que nous avions toujours privilégié car il permettait les confessions que nous n’aurions su exprimer autrement. Je croisais son regard au moment où il accepta de me l’accorder et un sourire vint s’esquisser sur ses lèvres, ni contrit ni assombri, amusé peut-être sans vouloir le laisser paraître. « On se ressemble tellement. » finit-il par avouer sur le même ton. C’est vrai. Je n’avais pas besoin d’acquiescer pour qu’il sache avoir raison. « Et, j’ai l’impression de faire tout de travers. » Je laissai échapper un souffle rieur, silencieux et sans joie, comme le sien. « Toi aussi alors. » Nous n’eûmes pas à nous arrêter pour que mon épaule vienne rencontrer la sienne, recréant une complicité que nous n’avions pu faire autrement que délaisser au cours des dernières semaines.

« Je ne t’en veux pas, pour la gifle. » Je ne réagis pas, demeurant impassible en continuant d’avancer, comme s’il me fallait un instant pour me remémorer l’évènement, celui qui ne disparaîtrait pourtant jamais de mes souvenirs, celui sur lequel je ne m’étais pas laissée me retourner car je savais. Je savais que je ne m’excuserais jamais, de mon côté. « Je suppose que je l’ai méritée et je commence à m’y habituer. En fait, cette dispute, elle est déjà derrière moi. Je ne t’en veux de rien. Mais, j’aurais voulu que tu comprennes. » Lui et moi savions, dans le fond, que peu importe la manière, l’issue aurait eu peu de chance d’être différente. « Et je regrette de t’avoir posé un ultimatum. Tu n’es pas mon soldat, Liv. Tu ne l’as jamais été. » Je revis un instant son visage déformé par le courroux, son regard éteint et mon cœur se voila d’une brume plus sombre, celle des nuages recouvrant les étoiles de cette nuit. « J’aurais dû m’y prendre autrement, te raconter autrement. » Je laissai mon regard croiser le sien et atténuai ses regrets des miens à la suite. « J’aurais dû demander autrement. » reconnus-je d’une voix basse et adoucie. Nous n’en avions pas reparlé, avions préféré laisser au silence la possibilité d’éteindre cela également, mais peut-être nous fallait-il nous en charger nous-mêmes pour une fois car le poids de cette dispute se maintenait en équilibre sur nos épaules, basculant d’un côté à l’autre sans choisir de victime et que je désirais simplement qu’il n’y en ait aucune. « Pour la gifle, je suis désolée. » Je fis un bref signe de main, l’interrompant avant qu’il ne souligne l’inutilité de mes excuses. « Même si tu dis ne pas m’en vouloir, tu mérites de l’entendre. » Pour la gifle. Je suis désolée. Et pour le reste, Liv ? J’inspirai lentement, laissant le bruit de nos pas, des miens surtout, résonner quelques secondes sur les pavés de la ville. « Sarah m’avait appelée quelques jours plus tôt, tu sais. » laissai-je finalement échapper calmement avant de poursuivre. « À propos du divorce. » Et des papiers qu’il avait signés. Il le comprendrait sans que je n’aie besoin de le préciser. Je n’avais pas été au courant de cette avancée de son côté avant que sa femme, ou son ex-femme, ne juge utile de m’en informer. Peut-être était-il nécessaire de remonter à l’origine pour comprendre nos positions, nos réactions, pour pardonner ce qui nous avait opposés, ce jour-là.


 


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Message(#)a lasting blue note (amos) EmptyVen 15 Mai - 15:52




A LASTING BLUE NOTE
Marchant côte à côte dans un silence plus à propos que les joutes verbales précédentes, je profite de cette accalmie pour recentrer mes idées. Au restaurant, je me suis exprimé trop vite et sans réfléchir au préalable aux conséquences. Résultat ? Liv s’est braquée au point que je considère à présent cette balade comme un privilège. Elle n’était pas obligée de m’accepter auprès d’elle maintenant que nous accumulons les contentieux. Bien sûr, je ne regrette rien de ce qui s’est produit hier ou aujourd’hui. Si un adage prétend que « toutes vérités ne sont pas bonnes à dire », mais je ne mange pas de ce pain-là ou pas avec tout le monde. Il n’est pas envisageable, de mon point de vue, de m’armer de pincettes avec celle que j’accompagne depuis l’adolescence. Je n’aimerais pas e que la démarche révélerait sur nous. Ceci étant, je lui concède à sa mauvaise humeur que mes conseils ont manqué d’élégance. J’aurais pu formuler les mêmes idées autrement, en les saupoudrant d’un peu de sucre par exemple. Le brut de pomme est aigre et difficile à digérer, mais que puis-je faire contre ma nature ? Ma franchise est l’essence de ce que je suis. De ma vie d’antan, c’est le seul trait de caractère intact malgré les épreuves de ma vie. Aussi, suis-je convaincu que je suis remercié, compris et déjà pardonné pour mes indélicatesses. Au contraire, elle aurait fui sans demander son reste. Elle est là, cependant. Elle est prête à m’écouter à nouveau puisqu’elle sait que je n’ai pas terminé. Quant à moi, je devine que les évidences ne me dispensent pas d’essuyer notre ardoise. Discuter de June, de son décès, de l’impact de cette tragédie sur son mariage exige que je cueille la pomme pourrie de la discorde de l’arbre avant qu’elle ne le gâte entièrement. Ainsi, me suis-je lancé, penaud, constatant nos ressemblances étant donné que, si le silence nous sied au teint, je n’ai d’autres options à disposition que de le rompre. Je me suis lancé et elle m’a arraché un éclat de rire alors que nous remarquions, ensemble, que le Dieu hypothétique nous a oubliés lorsqu’il a distribué les dons pour les relations humaines. « Ouais. En ce moment, c’est un peu mon leitmotiv. » J’en tiens pour preuve l’état de ma relation avec Raelyn qui, sur l’heure, frôle la décrépitude. Certes, nous trouverons un arrangement. J’en suis convaincu. Mais, quand ? Comment ? À quel sacrifice devrais-je me plier ? Qu’importe ! J’y penserai plus tard.

Mes bras, tandis qu’elle me bouscule de l’épaule, ont entouré son épaule pour la serrer contre moi durant un temps. Il fut bref puisque sonne déjà l’heure de trancher dans le vif de notre dernière polémique. « Autrement ? Comment, Liv ? Vu ce qu’il s’est passé et ce que tu as vu… » Je n’oublie pas qu’elle a passé la nuit en planque non loin du bateau. « Tu aurais voulu dire quoi ? » À mon sens, c’est moins la façon dont elle a abordé la question que sa nervosité, sa fatigue et sa frustration qui ont alimenté le problème. « Tu étais furieuse. Je me suis senti pris au piège. » J’ai haussé les épaules, car la suite n’a pas lieu d’être prononcée à voix haute. « Je ne sais même si c’est bon d’être désolé. Tu ne dois pas l’être. On dira qu’au-delà les raisons, c’était un donné pour un rendu.» Je n’avais pas hésité à frapper son tendon d’Achille pour la réduire au silence devant mon amante. Ce genre de coup, c’est douloureux. Et que dire des preuves de ma violence pondérée sur ses bras ? Je n’avais pas besoin de fermer les yeux pour les visualiser. J’y pensais, souvent, l’amertume au cœur, mais les remords supplantés par mon affection pour Raelyn. « Mais, si ce sont des excuses et si tu ressens le besoin de m’en faire. » Je sous-entends cependant qu’elles ne sont pas utiles. « Alors, je les accepte. » ai-je ponctué d’un sourire rassurant, une grimace engageante que j’ai troquée pour celle de la surprise. « Elle t’a appelée ? Sarah ? » Qui d’autre , Amos ?

Evidemment que ma femme a cherché de l’aide auprès de celle qui fonctionne selon des mécanismes similaires au mien et qui avance sur le même terrain miné. Pourquoi se serait-elle abstenue ? Déçue de ne pas avoir trouvé auprès de Talia, des mois auparavant, les explications qu’elle estime dues, elle s’est rabattue sur celle qui fonctionne selon des mécanismes similaires aux miens et qui avance sur le même terrain miné. Jacob lui-même, aussi fier soit-il, n’avait pas hésité. Rien, à ma connaissance, n’aurait dès lors pu l’arrêter, pas même la décence depuis qu’elle soupçonne que mes envies de divorces sont motivées par une rencontre amoureuse. « Elle t’a appelé au sujet du divorce. » ai-je répété en baissant la tête. J’ai instinctivement ralenti la cadence. « Et qu’est-ce qu’elle t’a dit ? » Est-il de bon ton de demander ? Est-ce qu’obtenir réponse présuppose que, moi aussi, je devrai rapporter dans les moindres détails ma conversation téléphonique avec son mari ? « Et toi ? Qu’est-ce que tu lui as dit ? Qu’elle a eu ce qu’elle méritait ? Que c’est trop tard pour s’insurger après qu’elle m’ait tanné pendant des années pour que je signe ? » Croit-elle, elle aussi, que mon choix écoule de ma liaison avec Raelyn ? À l’arrêt, je l’ai intimé de pivoter son corps vers le mien que je puisse cadenasser mon regard aux siens. « Tu crois que je fais une erreur. » Je n’interroge pas : j’affirme. « Tu crois que je le fais pour elle, pas vrai ? » Et, derrière le pronom, se cache ma maîtresse. « Si c’est ce que vous pensez toutes les deux, alors, vous n’avez pas compris. Et, peut-être que ça explique sans doute pour quelles raisons tu es arrivée aussi en colère. » Et, en définitive, peu disposée à construire un véritable dialogue. « Je fais ce qui est bon pour moi, Liv. Je suis fatigué de m’accrocher à ce qui est mort et enterré depuis des années. » L’armée, ma vie de famille, mon mariage, ma relation avec ma famille de manière générale. « Je n’ai de place que pour Sofia… » C’est la seule tombe que je fleuris en songe. Les autres sont les laissées-pour-compte : j’ai trop donné.    


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Message(#)a lasting blue note (amos) EmptyLun 18 Mai - 20:14


Olivia Marshall & @Amos Taylor ✻✻✻ Sur le granit lisse du trottoir, les ombres de nos silhouettes semblaient esquiver avec facilité et nonchalance les remords et les griefs dépassés. Ceux d’il y a plusieurs semaines comme ceux d’il y a quelques minutes à peine évoqués, à peine assumés, aussitôt relayés en arrière-plan pour ne pas avoir à s’attarder sur eux, aussi.  Je lui en avais voulu et cela m’avait inquiétée car je ne savais que trop rarement, à présent, passer au-dessus. Je lui en avais voulu de ce qu’il avait osé extraire du silence si précieusement gardé. Je lui en avais voulu de m’avoir jugée comme il l’avait fait, de m’avoir jugée comme tous les autres alors qu’il avait été le seul à ne l’avoir jamais fait, s'en rendant compte mais décidant que cela n’importait pas. Je lui en avais voulu mais c’était passé, déjà. Parce que le rythme avait été ralenti et qu’il me laissait le temps, cette fois, de me hisser à cette nouvelle cadence. Et si nous n’avions jamais eu l’habitude de revenir sur ce qui nous faisait souffrir, peut-être avait-il raison à présent de s’attarder sur le brasier qui nous avait opposé car les flammes de ce dernier n’avaient finalement pas suffi pour lécher nos incompréhensions. Toutes n’étaient pas capables de s’éteindre avec le temps, en outre. Certaines pouvaient s’aiguiser à l'inverse, le charbon de leurs cendres consumant ensuite les franges de nos ambages et de nos reproches non maîtrisés. J’étais soulagée de constater que les nôtres n’appartenaient à aucune de ces deux castes. Soulagée de constater que, malgré la violence de nos mots et de nos gestes, nous parvenions à limiter les dégâts, à réparer les fêlures en quelques regards et paroles acceptées aussitôt prononcées. « Autrement ? Comment, Liv ? Vu ce qu’il s’est passé et ce que tu as vu… » Une grimace imperceptible vint déformer les traits de mon visage. Je me souvenais, oui, des scènes et des mots, bien précis, bien nets, ceux que je n’avais pas su lire, que je n’avais pas su comprendre avant que la réalité ne me frappe au visage. Avant de penser que les suivants, tous les nôtres, allaient être les derniers que nous allions décider de nous adresser.

« Tu aurais voulu dire quoi ? » Je haussai les épaules car sa question était rhétorique mais que je ne pus m’empêcher de préciser. « Je n’aurais rien pu dire d’autre. » Parce que j’avais pensé chacun des mots, à son sujet. Celle dont il évitait soigneusement d’évoquer le prénom depuis le début de la soirée. Celle sur laquelle je n’avais aucun désir de m’arrêter davantage. Ma relation avec Amos était celle que je tentais de réparer, de préserver. Mon opinion de celle qui semblait partager dorénavant son lit n’était pas à prendre en compte. « Mais la manière dont je l’ai fait par contre … » Les mots avaient été acerbes, mauvais. Je m’excusais pour cela, pas parce qu’ils reflétaient mes pensées au sujet de sa maîtresse. Je m’excusais car il avait été celui qui avait dû faire face à mes attaques quand aucune d’entre elles n’auraient dû être dirigées contre lui. « Tu étais furieuse. Je me suis senti pris au piège. Je ne sais même si c’est bon d’être désolé. Tu ne dois pas l’être. On dira qu’au-delà les raisons, c’était un donné pour un rendu. » Mon regard remonta brièvement sur son profil sans que je n’aie besoin, dans le fond, d’apercevoir la sincérité sur son visage pour l’entendre dans sa voix. Un donné pour un rendu. Un affrontement comme il n’y en avait jamais eu entre nous. Il était inutile de revenir dessus, en effet, toutes les leçons pouvant en être ressorties me paraissaient forgées dans le même moule avant d’en ressortir : coupantes, minces et infécondes. Les excuses avaient été acceptées avant même que je ne les prononce, son bras fraternel autour de mes épaules en avait été l’indice le plus chaleureux alors que mon corps était venu se presser contre le sien l’espace d’une seconde. Mais j’avais tenu à ce qu’elles s’affranchissent de mes lèvres, tout de même.

Et le reste avait suivi également, tout aussi naturellement. Car les non-dits avaient parsemé notre relation depuis de trop nombreux mois déjà pour que les habitudes ne soient pas rompues aujourd’hui. « Elle t’a appelée ? Sarah ? » La surprise dans sa voix ne put être dissimulée et je ne pris pas la peine d’acquiescer. Il n’en avait pas besoin. « Elle t’a appelé au sujet du divorce. » Il ne l’avait pas su, bien entendu. Bien entendu qu’elle ne s’en était pas vantée auprès de son mari, de son désespoir, de ses tentatives auprès de ses proches. « Et qu’est-ce qu’elle t’a dit ? » Mon regard chercha le sien, rivé sur le sol, ses pensées ailleurs alors que ses pas ralentissaient à l’inverse de ses interrogations. « Et toi ? Qu’est-ce que tu lui as dit ? Qu’elle a eu ce qu’elle méritait ? Que c’est trop tard pour s’insurger après qu’elle m’ait tanné pendant des années pour que je signe ? » Un sourire sans joie, mince, vint s’esquisser à la commissure de mes lèvres alors que je penchai la tête d’un air songeur. Je ne lui avais pas dit ça, non, ce n'était pas ma place. Et il le savait. « Amos ... » Il connaissait déjà toutes les réponses à ses questions, dans le fond, alors qu’il forçait subitement notre arrêt, son ombre imposante venant se placer devant la mienne. « Tu crois que je fais une erreur. » Je n’abaissai pas mon regard sur ses mains placées presque fermement sur mes épaules, soutenant le sien sans ciller car il n’avait pas fini de parler, en ressentait encore le besoin, je le savais. « Tu crois que je le fais pour elle, pas vrai ? » Je crois que tu le fais pour toi. Je crois qu’elle t’a aidé à le faire plus rapidement. Et que plus rapidement ne signifie pas plus facilement.  « Si c’est ce que vous pensez toutes les deux, alors, vous n’avez pas compris. Et, peut-être que ça explique sans doute pour quelles raisons tu es arrivée aussi en colère. » Ma main se releva lentement, cherchant la sienne sur mon épaule afin de la presser délicatement. Il restait dans l’obscurité l’humidité de la chaleur du jour, soulevée faiblement par la brise comme une lourde draperie l’accablant soudainement. « Je fais ce qui est bon pour moi, Liv. Je suis fatigué de m’accrocher à ce qui est mort et enterré depuis des années. » À ce moment précis, il me semblait mesurer chacun de ses mots, conscient de les laisser s’échapper comme une vague glacée n’en finissant plus de lui rappeler qu’il avait connu pire, qu’il avait connu l’enfer et désirait s’en extraire. « Je sais. » Il n’avait pas besoin de l’expliciter, il le portait en lui comme une cicatrice indélébile dont je souffrais aussi. « Je n’ai de place que pour Sofia… » Je m’interrompis en inspirant lentement, laissant ma main sur la sienne témoigner de nouveau de ma compréhension, désireuse d'atténuer les ombrages de son regard. « Je sais. » répétai-je simplement car j’avais osé le remettre en question, sous le joug de la colère, mais que je n’en avais jamais douté.

« Elle m’a appelée parce qu’elle souffrait. Vraiment. » Je savais la reconnaître, la douleur. Peu importait, dans le fond, si elle ne faisait qu’obtenir ce qu’elle avait longtemps assurer vouloir. Tout devenait différent à la minute où cela se produisait. « Elle voulait des explications. » Savoir ce qui l’avait fait changer d’avis, ce qui l’avait convaincu, lui aussi, que tout était fini, qu’ils n’avaient plus aucune chance. « Elle pense qu’il y a plus derrière tout ça, quelque chose que tu ne lui dis pas. » Quelque chose qu’elle avait su percevoir avant moi, en réalité, à des kilomètres d’ici, avais-je ensuite pensé avec amertume. Je m’étais contentée de noter les changements et de les mettre sur le compte de l’avancée de sa vengeance. J’avais noté ces changements sans réussir à deviner ce nouvel élan prenant place en lui, de nouveau permis, de nouveau accepté, l’emportant bien au-delà de ce que quiconque aurait pu penser. Lui compris, je voulais bien le croire. « Et elle pensait que j’étais au courant, ce que je n’étais pas. Et que je le lui dirais, ce que je n’aurais pas fait de toute façon. » Avait-il besoin de l’entendre de nouveau ? Ma loyauté. Ma constance à garder des secrets, les miens bien entendu, ceux qui ne l’étaient pas, encore plus. « Mais c’est Sarah. » Et y avait-il besoin d’en dire plus ? Plus que son simple prénom en sachant qu’il saurait entendre le reste. Son ex-femme s’il le désirait. Les mariages se terminaient, les mariages fanaient, ce n’était pas une erreur. Mais la mère de son enfant, la mère de Sofia. Ça. Ça ne disparaissait pas. Elle ne disparaîtrait pas de sa vie du jour au lendemain. « Et si elle souffre de t’imaginer avec une autre, ce sera pire quand elle apprendra son identité. » laissai-je échapper en un souffle presque doux, consciente de la dureté de mes mots, de leur nécessité également. « Pour le divorce, tu fais ce qui est bon pour toi. Ça me suffit. Ça me va. » Je savais son couple avec Sarah, non pas fragile et incertain, mais éteint et suranné. J’assurais, aussitôt après, ce qui aurait du paraître évident, ce dont il avait pourtant douté.


 


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