C'est qu'il est plein d'espoir, Epstein. Lui qui ne se contente pas de rester pieds ancrés et jambes infusées de fourmis, le voilà qui profite de leur virée en mer pour en planifier une nouvelle. « Peut-être. » il est une caricature de lui-même et il ne s'en barde même pas, bien trop occupé à rêvasser à ce à quoi ressemblera leur fuite si elle prend vraiment forme. « Mais ta gosse me déteste. » c'est dans un rire qui goûte les beignets, le café et le bonheur retrouvé qu'il lâche, rassuré. « Moi aussi, t'en fais pas. C'est pas un traitement de faveur. » et plus que tout, Ellie détestera que son père ait fait des plans autant pour lui que pour elle. Un jour, il espère qu'ils puissent en faire ensemble ; quelle douce utopie.

« Je ne viendrais pas seul. » il s'en doutait, de ça. Pas que la blonde ne le dérange le moindrement, leur moment isolé bien loin dans sa mémoire lui qui est évidemment passé à autre chose depuis longtemps sans douter une seule seconde que c'est le cas pour elle aussi. « Mais, elle n’est pas toujours une mauvaise influence par contre. » « Faut qu'elle laisse la drogue ici. » il est catégorique, pour ça. Le reste, il s'en fiche, limite que sa fille fume des joints ne l'étonnerait même pas. C'est de lui qu'il a peur, si elle traîne ses fameux cachets. Ceux de l'autre fois auxquels il pense encore, parfois. « En conclusion, tu auras compris que ça dépend plus de toi que de moi. Moi, je n’ai rien qui me retiens ici… ou en tout cas, rien que je ne peux pas emmener avec moi. » il le fait rire de plus belle, le Taylor, quand il somme le sérieux de la chose. On dirait qu'ils sont quelque part pris entre une adolescence volage et une vie d'adultes où tout est permis. Laissons-les y croire encore un peu, que le large leur fera du bien à tous les quatre, que ce n'est pas l'orage qui les attend. Ils le réaliseront bien vite chacun de leur côté, de toute façon, en temps et en heure. « Et je ne pars que si on va chez toi… Je n’ai jamais vu le Canada. »

Le Canada ce sera, alors. Sans grande surprise d'un côté, mais d'une grande excitation de l'autre. « On part. Avant les Fêtes. » à son tour d'apporter une conclusion le sourire aux lèvres. Ils en ont bien besoin.

« Avant les fêtes, pourquoi pas... » c'est si facile, finalement, de retourner de l'autre côté du globe rien que pour vivre quelque chose qu'on y a laissé y'a une poignée d'années déjà. C'est aussi facile que ça en sera douloureux sur place, et il ne se voile pas la face Jack en sachant très bien que son coeur se serrera à la seconde où il remettra les pieds au Canada, Ellie à ses côtés.

« Je connais Molly. Je sais qui elle est. »

Ellie et Molly?

« Un voyage au Canada, c’est long. Et elle a sa vie, mais… vous en avez une entière à rattraper. »

La question ne remonte pas, étonnamment, à savoir d'où ni de comment Amos la connaît. Il fait confiance Jack, sait que les intentions de son ami sont plus qu'honorables. Molly a sa vie oui, et il a tellement longtemps voulu en faire partie qu'il en restera fort probablement brisé de savoir qu'elle a continué d'avancer quand lui on l'a toujours forcé à reculer. Il aurait voulu être auprès d'elle, il aurait voulu qu'on lui laisse la chance de l'être. Il aurait voulu bien des choses et aujourd'hui, il ne récolte que ce que les autres ont semé à sa place.

« Les filles apprennent à se connaître. C'est pas toujours facile, mais juste qu'elles tentent, c'est déjà beaucoup. » il sait que Molly est passée à la maison et qu'Ellie a fait de son mieux pour ne pas lui envoyer une assiette (plusieurs, soyons honnêtes) à la tête. Il sait aussi que chacune a le sentiment d'avoir une existence entière à avoir été mises de côté tant elles ont grandi comme des lignes parallèles trop longtemps sans jamais arriver à se croiser.

Et pourtant. « Je lui en parlerai. » parce qu'il veut faire les choses bien, Epstein. Il veut le faire pour l'une et l'autre des gamines, toutes les deux bien plus importantes à ses yeux que son historique de père pour elles ne semble être en mesure de le confirmer. « Leur. Je leur en parlerai. » qu'il se reprend, une gorgée de café froid plus tard. S'habituer à les mentionner toutes les deux lui fait autant de mal que de bien. Ça doit être ça, réaliser qu'on a tout à apprendre d'être père au final.

Il s'est perdu dans la contemplation des nuages à un moment. Jack qui refait le trajet inverse d'un sens comme dans l'autre dans sa tête, à imaginer l'adolescence de ses gamines et leur enfance, à voir comment elles s'approchent de l'âge adulte et comment finalement, elles n'ont jamais eu besoin de lui tant elles ont réussi. « C’est justement parce qu’elles apprennent à se connaître que je ne sais pas s’il faut LEUR en parler. Ou en tout cas, les inviter toutes les deux. » il est sûrement trop tard pour s'impliquer à ce point, n'en reste qu'il est de plus en plus à l'aise d'espérer pouvoir se creuser une place dans leurs vies, maintenant. De pouvoir se justifier du moins. « Ellie est une ado. Elle a besoin de toi. Molly a surtout besoin de comprendre. » et lui il a besoin d'arrêter de laisser la vie et le temps couler et d'enfin prendre ses responsabilités. Entre autres. « Peut-être que les tentatives seraient fructueuses si tu partageais quelque chose d’important avec la plus fragile des deux » Amos apporte des points par dizaines, joue à l'avocat du diable pour le bien-être de tous mais surtout de toutes. « Rien que tous les deux. Enfin, plus ou moins.» et Jack lui, il inspire les idées et les suggestions, il prend tout ce qu'il lui donne sans la moindre équivoque. « Un jour je les mériterai toutes les deux. J'espère. » ce qui sonne comme un "un jour, je serai un bon père, j'espère" l'est totalement. Il espère autant qu'il y aspire ceci dit.

« Je ne sais pas. Je ne sais pas ce qu’il y a de mieux finalement. Je pense que tu es le seul à savoir ça.» les deux hommes paumés par excellence, qui partagent un regard de plus avec tous les secrets du monde qui s'y accrochent. Ils ont merdé des dizaines de centaines de fois et des deux, c'est seulement Jack qui aujourd'hui a la chance de pouvoir réaligner les tirs. Il donnerait tout, absolument tout pour qu'Amos l'ait aussi, cette chance-là. Ça lui brise le coeur de le voir se mettre dans tous ses états, pourtant il a raison et jamais il ne le brusquera à passer à autre chose. Le deuil, ils le vivent ensemble. En plus de tout le reste. « Mais tu sais bien...» oui, il sait. Il sait et il apprécie, et son « Merci, vraiment. » est obsolète, est complètement ridicule. Quand il souffle une dernière fois avant de quitter les prunelles voilées d'Amos pour fixer le ciel de nouveau, il se jure de mieux faire. Pas juste pour ses filles, mais pour Amos aussi. Il le lui doit bien.