Le Deal du moment : -55%
Friteuse sans huile – PHILIPS – Airfryer ...
Voir le deal
49.99 €

Aller à la page : 1, 2  Suivant

 heart with no companion (joseph)

Anonymous
Invité
Invité
  

heart with no companion (joseph) Empty
Message(#)heart with no companion (joseph) EmptyLun 15 Juin 2020 - 18:08


Olivia Marshall & @Joseph Keegan ✻✻✻ « Je te dépose si tu veux. » J’avais laissé échapper cette phrase sans bien y réfléchir et j’aurais pu jurer apercevoir ses paupières papillonner une ébauche de secondes, signalant le trouble ou la perplexité qu’il avait tenté d’effacer derrière son regard trop clair pour dissimuler quoique ce soit. Je te dépose si tu veux. Et cela ressemblait à une proposition, formulé ainsi, une qu’il pouvait décliner s’il en ressentait l’envie mais ma voix était restée stable, presque définitive et je pouvais comprendre qu’il en soit venu à douter. Je proposais ou j’imposais ? Les deux se confondaient dans mon esprit depuis un certain temps et je ne luttais plus contre mes mauvaises habitudes depuis bien plus. Je trouvais cela étonnant également, la surprise qui avait traversé son regard lorsqu’il m’avait aperçue revenir avec les clés de sa cellule dans une main, celles de ma voiture dans l’autre. Je ne me souvenais pas en avoir vu la moindre teinte la première fois que nous nous étions rencontrés, comme s’il s’attendait à voir surgir une adolescente à moitié perdue sur le terrain sauvage à l’arrière d’un restaurant à une heure tardive. Je ne me souvenais pas non plus l’avoir vu désemparé ce matin-même lorsque ma voix s’était élevée au centre de l’accueil du commissariat et qu’il s’y était raccroché comme à une bouée, s’attendant à me trouver là, s’attendant à ce que je l’enferme, moi, puisque les autres s’y refusaient. Mais je le libérais à présent et lui proposais ce qui ressemblait à de l’aide et le doute avait envahi ses prunelles délavées. Ce n’était pas grave, dans le fond. Je ne lui dirais pas et le cachais bien mais j’avais hésité moi aussi, finissant par faire taire mes réticences pour tenter de déchirer le voile qui nous séparait depuis des années, celui que je pressentais menaçant de s’appesantir sur nous de nouveau et à tout jamais si je n’essayais pas, si je ne le retenais pas. Je m’étais observée me retourner lentement dans sa direction, faisant clinquer mes clés les unes contre les autres comme si ces dernières me paraissaient mieux placées pour le convaincre que mes mots, fatalement trop sobres, toujours trop distants. Il avait finalement accepté et je quittai l’avenue du commissariat à présent, les grondements ténus du moteurs suffisants pour me guider dans mes divagations.

Et maintenant ? Maintenant, je le déposais puisque c’est ce que je lui avais promis. Je pensais me souvenir d’une motivation sous-jacente à ma proposition, une qui ne me paraissait plus aussi évidente à présent, plus aussi raisonnable mais mes instincts de rationalité semblaient s’étioler avec une douceur presque amère lorsque les nuits venaient à tomber et ces dernières devenaient longues, de plus en plus, en ces semaines d’automne. Bientôt, nous ne devinerons l’heure qu’à la densité de population dans les rues de la ville et je plissai les yeux en m’engageant dans la contre-allée. Déjà, Brisbane n’était plus qu’un horizon embrasé, le temps et l’espace confondus au sein desquels j’avais bien trop l’habitude de me perdre, cherchant à compter des étoiles lorsque celles-ci persistaient à se cacher derrière des nuages vaporeux. J’aurais pu le laisser en faire de même après tout. Mais à quoi me serais-je occupée à la place ? Je gardai une main sur le volant, laissant mon bras gauche s’accouder sur la portière et soutenir ma nuque un instant car je n’avais pas besoin de m’interroger pour le savoir. La nuit avait été longue et la journée tout autant dû à l’arrivée impromptue de Joseph. Qu’aurais-je fait d’autre que de me renfrogner dans ma lassitude, faisant mine de chercher un bar au hasard avant de retourner me glisser dans le même que d’habitude, tel un automate, levant deux doigts sans avoir à prononcer le moindre mot pour que le barman ne se souvienne de ma commande habituelle. Rien d’autre, non, que de la consommer sans frénésie, elle et toutes les autres jusqu’à ce que mon esprit s’évade et que la musique de fond soit plus facile à supporter. Ici, de musique, il n’y en avait pas hormis celle de la circulation extérieure et des prémices d’une vie nocturne au travers de nos fenêtres entrouvertes. Celle de nos voix manquait à l’appel alors que nous ne prononcions pas un mot depuis déjà plusieurs minutes. Le silence était ce compagnon avec lequel je ne me sentais plus mal à l’aise, auquel j’avais l’habitude de recourir pour ne pas faillir, ne pas fauter, ou le faire fauter, en l’occurrence. Je ne désirais pas le piéger, non, mais je doutais percevoir de sa part autre chose que de la méfiance s’il venait à comprendre que je les avais entendus. Lui et ses confessions à peine soufflées, lui et la jeune femme dans la cellule, lui et ses mots fragmentés parvenant à mes oreilles quelques heures plus tôt et que je laissais gire sous mes yeux depuis, refusant de les assembler pour leur donner leur plein sens.

Était-il conscient des efforts que je déployais pour ne pas l’appréhender sous le coup d’une interrogation déplacée ? Une que je n’aurais pas maitrisée, une que j’aurais regretté plus tard car elle n’aurait pas été celle que je désirais réellement lui faire entendre. Je ne dirais rien, alors. Pas tant que je ne l’aurais pas trouvé, ce bon angle, étrangement prête à accepter que celui-ci ne survienne jamais s’il ne le fallait pas. Si je ne nous sentais pas capables de nous laisser éclairer par une sérénité nécessaire, oubliant ce qui nous avait éloigné et le faisait encore, nous imposant la redondance sans faille et déformante de tous les reproches dressés entre nous il y a presque dix ans, solides comme au premier jour car nous n’avions jamais pris le temps de les effriter. Pas même un peu. Jusqu’à aujourd’hui. Je cillai lentement alors que je forçai le véhicule à suivre l’angle du boulevard nous ramenant face au commissariat au loin, désormais étrangement éclairé. Malgré l’heure avancée, la lueur étrangement ambrée baignant l’édifice paraissait laisser croire que le coucher du soleil venait d’avoir lieu, les ombres imposantes du bâtiment semblant nous rappeler à l’ordre en s’élevant dans le clair du ciel nocturne. « Tu as une adresse à me donner ou je fais un dernier tour du pâté de maisons ? » Les inflexions de ma voix vinrent briser le silence étrangement harmonieux, attentives à ne pas briser l’air profond en s’écoulant en rythmes retenus alors que je le ramenais à notre réalité, celle à laquelle je n’avais pas eu d’autre choix que de le contraindre en le libérant, l’antithèse saisissante mais compréhensible. J’avais l’air de le provoquer quelque peu mais il n’en était rien cette fois-ci. Cela faisait deux fois déjà que je prenais les mêmes allées attendant une indication de sa part. Je pouvais le faire une troisième fois s’il le désirait. Je ne disais pas que cela était facile car plus rien ne l’était à mes yeux, que je n’avais plus les gestes supposés accompagner, les mots censés apaiser ou préserver. Je n’étais pas celle qu’il aurait sans doute mérité au crépuscule de cette journée éprouvante mais je voulais penser, pour moi, que ne pas savoir être là, c’était tout de même être là.  





solosands
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
Invité
  

heart with no companion (joseph) Empty
Message(#)heart with no companion (joseph) EmptyMar 16 Juin 2020 - 13:18

La voiture roule, ses pneus épousent la ligne de la rue, son moteur gronde sous les fesses des deux passagers pour les bercer mais le cœur de Joseph est lourd. Les couleurs de la ville reflètent dans ses pupilles asséchées : il n’avait même plus la force de verser des larmes tellement la journée l’avait épuisé. Il n’avait pas mangé – n’avait pas ressenti la faim une seconde, il n’avait pas bu – n’avait pas ressenti la soif dans sa gorge pourtant sèche, n’avait pas dormi – ses pensées trop nombreuses l’en avait empêché. Son corps endolori se faisait lentement avaler par le cuir chaud du siège qu’Olivia lui avait prêté en attendant qu’il lui indique la direction à prendre pour se rendre chez lui.

Mais là se trouvait le problème. Il sait ce qui l’attend dans son appartement. Il tient fermement la clé dans sa main pour se rappeler la douleur que cela lui prodiguerait de présenter sa dépouille à sa meilleure amie. Celle qui s’inquiète quand il omet de la contacter dans la journée pour la rassurer. Celle qui a eu le courage d’ouvrir ses yeux pour lui faire comprendre qu’il ne guérira jamais s’il cache sa poudre magique en dessous de son matelas. Celle qui l’aime et qui n’a pas eu honte de s’attacher à un prisonnier au passé bien préservé dans une boîte de Pandore. Non. Elle ne mérite pas de le voir comme ça : et c’est pour cette seule raison à la fois égoïste et humble que Joseph laisse Olivia conduire sans jamais lui demander d’arrêter. Il n’est pas aveugle. Il a remarqué que la voiture trace des cercles depuis le début de la balade mais il n’arrive pas à récupérer assez de courage pour dire la vérité à celle qui lui a proposé de le ramener là où il se sentirait soi-disant mieux. Il attend qu’il soit presque trop tard pour lever la voix. Il se dit qu’il devra, dans un futur rapproché, lui demander d’arrêter près du trottoir. Il connait les ruelles comme le fond de sa poche et une nuit de plus sous les étoiles ne le fera pas pourrir davantage. Il vaut mieux côtoyer les rats plutôt que d’en devenir un aux yeux des gens qu’on aime.

Et puis, elle doit avoir quelque chose de mieux à faire, Olivia. Il y a peut-être un homme qui l’attend chez elle, le dîner devenu froid sur la table à manger. Il s’imagine une jolie maison ni trop grande, ni trop petite, à la décoration discrète mais agréable au regard. Joseph ose même espérer qu’elle a pu s’offrir une grande cour couverte d’herbe verte et qu’elle y passe ses soirées à observer le ciel en feuilletant des bouquins aussi bien écrits que le fil de ses pensées. Là était son rôle de prophète : conduire ses amis là où ils seront heureux. « Tu as une adresse à me donner ou je fais un dernier tour du pâté de maisons ? » C’est la seule voix qui peut briser le silence sans extirper Joseph de ses paisibles réflexions devenues machinales. Son corps mou ne bouge pas d’un centimètre dans le siège mais il cligne des paupières à plusieurs reprises pour se rattacher à la réalité qui semblait à présent si loin de lui. Réalisant que ses yeux sont aussi secs que le cratère d’un volcan éveillé, il se frotte les paupières, son visage s’étirant en une grimace de fatigue. Une longue inspiration douloureuse gonfle sa poitrine, il la contient plusieurs secondes avant de la souffler en un soupir. Il ne semble pas complètement là : son cerveau s’est décollé de sa boîte crânienne pour survoler la stratosphère. « Hum. » Il marmonne en se redressant dans son siège, posant enfin ses yeux sur la conductrice qui attend sa réponse, le pied enfoncé dans la pédale du frein. Il observe les traits de son visage pour tenter de lire ses pensées mais il n’arrive qu’à lire la fatigue – pas la même que lui, mais une fatigue puissante, elle aussi. Elle n’a pas envie de rester plus longtemps garée près du commissariat qui lui rappelle qu’ils tournent en rond depuis trop longtemps. Mais Joseph ne se sent pas prêt à franchir la dernière marche qui le contraindrait à se montrer aux gens qu’il aime dans cet état. Sa sœur a déjà eu l’exclusivité et la tristesse dans son regard l’a détruit de l’intérieur. Il n’y a rien de pire que de décevoir encore et encore les gens que l’on aime.

« Je… C’est… » Le jeune homme fatigué marmonne en serrant la clé de son appartement dans ses doigts. Il réfléchit longuement en mordant l’ongle de son pouce, grugé par la nervosité, puis il secoue la tête de droite à gauche pour officialiser sa réflexion : il enfonce la clé dans sa poche et la balaie de ses penser comme si cette possibilité n’existait plus. « C’est quatre rues plus loin, par là. » Désignant du doigt l’interception, il ajoute : « Tu pourras me laisser devant l’épicerie de quartier, ils sont ouverts jusqu’à minuit. J’ai besoin de m’acheter… Un truc. » Qu’est-ce qu’il pourrait bien s’acheter ? Absolument rien. Ce n’est qu’une excuse pour cacher sa véritable intention de passer la nuit là où personne ne pourra le voir ou lui demander ce qu’il a fait de sa journée et pourquoi son bras est roulé dans un bandage. De toute façon, il tomberait probablement dans les vapes avant de terminer ses explications mensongères. La nuit sera longue et douloureuse, mais ce n’est rien de bien spécial pour celui qui a l’habitude de se faufiler dans la poussière pour se faire ignorer.  

@Olivia Marshall :l: :l:
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
Invité
  

heart with no companion (joseph) Empty
Message(#)heart with no companion (joseph) EmptyVen 19 Juin 2020 - 20:08


Olivia Marshall & @Joseph Keegan ✻✻✻ Il était toujours plus facile de s’alanguir dans l’espace engorgé des salles pourtant dispersées du commissariat, cellules communes saturées et bourbeuses dans lesquelles les prisonniers s’oubliaient tour à tour, reclus derrière des noms qui ne voulaient plus rien signifier en ces lieux et que l’on finissait par héler au travers de la pièce pour inciter au calme ou pour annoncer une sortie imminente. Joseph n’avait pas eu la chance du nombre aujourd’hui, seul et isolé au sein d’une pièce éloignée où le moindre de ses tourments était devenu visible et mis en exergue. Rien n'était plus douloureux que de devoir y faire face. Je l’avais vu se débattre contre chacun d’entre eux mais l’épreuve ne semblait pas terminée à présent qu’il retrouvait l’extérieur et je le devinais chercher une solution pour la relever de nouveau, attentif aux meilleures armes à empoigner pour ne pas éveiller les soupçons. Les miens étaient toujours en alerte, qu’il le faille ou non, cela me paraissait peine perdue de jouer du temps pour espérer les endormir mais il me semblait le lui avoir déjà signifié. Peut-être espérais-je me tromper également alors que j’attirais son attention, laissant la voiture glisser silencieusement sur le bas-côté de la rue animée. Ce fut sans surprise que je ne l’obtins pas aussitôt, le laissant s’extirper des songes dans lesquels il s’était enfoui, laissant mon regard s’échapper au travers de la fenêtre derrière lui car je ne pouvais m’empêcher de deviner si ses refuges ressemblaient aux miens. Si lui aussi parvenait à trouver son reflet dans les façades des immeubles et son ombre évocatrice sur la chaussée bitumée. Si lui aussi retrouvait dans l’air le parfum d’une existence perdue, mêlant les espoirs et leur fatalité comme deux étoiles d’une même constellation cachée par les nuages de la pollution. Si lui aussi s’agaçait de devoir en sortir lorsque le monde et sa réalité l’y forçaient avec trop d’ardeur comme je le faisais à présent. « Hum. » Peut-être bien oui, m’autorisais-je à penser alors qu’il semblait revenir à lui comme si ma voix lui parvenait d’un autre univers, se laissant le temps de parcourir mon visage comme l’aurait-il fait de celui d’une inconnue, entièrement à parcourir, entièrement à découvrir puisque le reconnaître, ça, je ne lui en avais pas encore laissé l’occasion.

« Je… C’est… » Si ses mains s’agitaient, se tordaient entre elles, l’objet en leur sein également, je ne quittais pas son regard de mon côté puisqu’il me semblait y lire ce qu’il ne se laisserait pas admettre. Il y avait la fatigue, peut-être, mais j’ôtais à cette dernière cette capacité à provoquer le reste, cette légère vitrification, l’approximatif interpellant, et cette absence aux autres que je lui avais déjà connue et que je retrouvais sur l'instant. Comme une manière de ne pas être là ou de souhaiter s’évader pour ne pas avoir à répondre sincèrement comme si l’honnêteté n’était pas la solution, que la vérité le tromperait, l’exposerait. « C’est quatre rues plus loin, par là. » Je hochai la tête simplement, laissant mon index enclencher le clignotant avant de regagner la voie en direction de l’interception qu’il m’indiquait sans certitude. « Tu pourras me laisser devant l’épicerie de quartier, ils sont ouverts jusqu’à minuit. J’ai besoin de m’acheter… Un truc. » L’idée d’acquiescer là aussi, sans chercher à commenter, consentant ainsi au faisceau lumineux qu’il dirigeait dans ma direction pour éblouir mes yeux d’aveugle n’eut pas le temps de m’effleurer cette fois-ci alors que je répliquai d’une voix presque basse : « Avec quoi ? » laissant mon regard s’égarer un instant dans sa direction comme s’il allait extirper d’en dessous de mon propre siège ses affaires personnelles, celles dont je l’avais vu dépourvu toute la journée. Ça ne t’intéresse pas, Liv. Cela sonnait faux, malgré tout. Ça ne te regarde pas, dans ce cas. Mais n’était-ce pas cette pensée qui m’avait empêchée autrefois de l’interroger de la même façon, de soulever ses incohérences, d’ouvrir les yeux sur l’air évasif de Joseph au moment de nous séparer le soir et tout le reste qui aurait dû, bien plus tôt, illustrer les difficultés d’une vie faite d’incertitudes quant à l’endroit où je pourrais le retrouver plus tard, celui où je pouvais venir le chercher si l’envie me prenait, celui où je finirais par le déposer ce soir encore, des années plus tard sans que rien n’ait changé.

Joseph avait raison de tenter de nouveau : mon ignorance d’hier pouvait être celle d’aujourd’hui. Et il me suffisait de fermer les yeux à nouveau, parcourant les derniers mètres supposés le conduire où il le désirait, acceptant de rentrer chez moi ensuite, l’image de sa silhouette s’étouffant dans le bitume de la nuit dans un coin de mon esprit que je ne tarderais pas à asphyxier d’autre chose comme je le faisais pour tout le reste. Pour tout ce que je n’arrivais pas à accepter, pour tout ce que je ne parvenais pas à oublier ou tolérer. Je pouvais, oui, mais m’observais à la place emmêler mes cheveux d’un geste trop instinctif, inspirant à peine alors que je brisais le silence de nouveau : « Quatre rues plus loin, ça nous rendrait presque voisins. » S’il ne mentait pas. Si j'acceptais de me laisser leurrer. Quatre rues plus loin et nous ne serions plus qu’à quelques autres de la mienne, celle au sein de laquelle j’avais du mal à m’engouffrer également tous les soirs car ce que j’y trouvais n’éveillait en moi qu’une succession de nouvelles blessures infimes ou invisibles : l’absence de mon mari ou sa présence, le résultat similaire pour des raisons éminemment différentes que je n’arrivais pas à formuler. Le déjà-vu me sautait aux yeux une nouvelle fois et je laissais un sourire sans joie et imperceptible étirer mes lèvres à cette pensée. Tellement de choses s’étaient passées mais nous nous retrouvions aujourd’hui comme nous nous quittions des décennies plus tôt : l’un sans foyer où s’endormir, l’autre sans désir d’y retourner. Il nous suffisait de nous arrêter un instant pour observer ce même poids peser sur les épaules d’autres âmes, triste succession d’individus se pressant dans la rue en droites parallèles si serrées qu’elle n’en formait plus qu’une fresque mobile de ce qu’était l’humanité. Et je pressentais l’obstacle au bout du chemin mais je l’empruntais tout de même puisqu’il s’agissait de dériver pour déroger à la règle. Celle qui lui imposait le silence et le retranchement sans que je ne sache réellement pourquoi n’étais-je pas prête à les lui accorder aussi facilement que je ne le faisais pour moi-même. « Tu vis seul ? » Je n’avais aucune idée de la réponse à imaginer à cette question que je laissais échapper simplement. « Là où tu ne veux pas rentrer ce soir. » Puisque cela, je le savais. Je l’avais deviné au bout de quelques minutes silencieuses à la suite de notre départ, en étais assurée désormais depuis qu’il avait enfoui ses clés au fond de sa poche comme il le faisait du reste et de tout ce qu’il ne voulait pas affronter.






solosands
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
Invité
  

heart with no companion (joseph) Empty
Message(#)heart with no companion (joseph) EmptyVen 19 Juin 2020 - 23:03

« Avec quoi ? » S’il y a bien une situation à laquelle Joseph est habitué, c’est de chercher au plus profond de ses poches les pièces de monnaie égarées qui lui sont revenu à la suite d’une transaction en argent papier. Certes, le jeune homme ne possède pas de compte en banque et de carte magique qui lui permet de dépenser plus qu’il possède mais il arrive toujours à s’en sortir avec le peu qu’il a : s’il n’a pas suffisamment d’argent, il trouve un moyen d’en trouver ailleurs ou il saute un repas. Sa nouvelle patronne n’est pas radine mais les sommes qu’il obtient en vendant de la drogue se dépensent rapidement. Ses besoins de junkie lui vident les poches avant même que l’idée de faire des économies n’effleure sa pensée. Il est coincé dans un cercle vicieux : plus ses besoins augmentent, moins il peut les satisfaire. « J’ai un peu d’argent dans mon sac. Celui que tu caches. » Le garçon répond enfin en gardant ses yeux rivés vers l’avant, bien qu’ils aient envie de se faire curieux et de se diriger là où ses effets personnels ont été dissimulés. Il a l’impression d’être à nouveau un gosse à qui on a confisqué un sac de friandises. Il ne devrait pas craindre de récupérer son bien mais, étrangement, même s’il connait depuis des années la jeune femme installée derrière le volant, il a l’impression de ne avoir le droit de la défier : elle représente aujourd’hui la justice et aurait le pouvoir de le condamner en un claquement de doigts. Mais elle ne ferait jamais ça, non ? Ils ont partagé bien plus que des sourires avant qu'ils ne se revoient dans cette situation délicate.

« Quatre rues plus loin, ça nous rendrait presque voisins. » Les lèvres de Joseph se pincent en un sourire forcé alors qu’il évite de croiser le regard de son ancienne amie, conscient qu’elle pourrait lire le mensonge dans son regard épuisé. Non seulement elle possède l’expérience d’une policière qui confronte des menteurs tous les jours et qui arrive à discerner le vrai du faux à travers un haussement de sourcil ou une bouche qui s’entrouvre, elle connaît aussi un peu trop le garçon installé sur le siège du côté passager. Elle a connu son cœur d’enfant, celui qui n’a au fond pas vraiment changé après toutes ces années. « T’habites dans un joli coin. » Il finit enfin par souffler, ayant au moins le mérite de connaître le quartier même s’il n’y habite pas. La ville ne renferme plus aucun secret pour celui qui a côtoyé ses rues matin et soir à la recherche d’un endroit où il pourrait enfin se sentir comme chez lui. Le bitume de Brisbane effrite la semelle de ses chaussures depuis vingt ans. Vingt années durant lesquelles les rues, les boutiques et les appartements ont changé sans que leurs fondations ne se fassent déformer par l’idéalisme moderne. « Tu vis seul ? » Il a l’impression qu’elle a des dons de télépathe. À moins que ce soit sa gestuelle qui l’ait trahit quand il a enfoncé la clef de son appartement dans sa poche pour oublier son existence. « Là où tu ne veux pas rentrer ce soir. » Un sourire nerveux étire ses lèvres, puis une sorte de ricanement mal à l’aise fait vibrer sa gorge fatiguée. Les interrogatoires ne l’ont jamais rendu confortable. Il faut dire qu’il n’a pas eu de très bonnes expériences entre des menottes trop serrées et la poigne d’un policier pervers qui s’est fait un malin plaisir à le faire gerber sur la table. « Ça se voit tant que ça ? » Il demande en se redressant dans le siège, préférant répondre à la question par une autre question afin d’éviter d’être à nouveau la source du sujet. Mais, devant le regard insistant de la conductrice, il lâche un soupir et se met à gratter le bandage autour de son bras. Parler de Deborah n’était pas dans ses plans pour ce soir et, pourtant, il se voit obligé de le faire. « Non, j’suis pas seul. Je vis avec mon amie. Celle qui a pensé pendant une année que j’avais arrêté d’me piquer. » Il pivote la tête et contemple la ville endormie par sa vitrine entrouverte. « Tu comprends que j’ai pas trop envie d’me montrer comme ça. » Réalisant qu’il vient d’admettre qu’il n’a pas l’intention de rentrer chez lui, il reprend rapidement la parole pour ne pas laisser Olivia s’imaginer le pire – la réalité : « Mais t’inquiète, j’ai l’intention d’me trouver un motel ou une auberge. » Et avec quel argent ? Cette fois, il se pose lui-même la question tellement celle-ci se glisse jusqu’à ses pensées de façon naturelle. Lorsqu’il prétendait avoir assez d’argent, c’était pour s’acheter un truc à manger, pas une nuit dans une chambre propre. Une étrange sensation de panique monte en flèche dans son crâne douloureux et il ferme les yeux pour mieux enfouir sa tête dans ses mains, glissant ses ongles entre les mèches de ses cheveux sales pour se tenir éveillé. Il a l’impression qu’il va tomber dans les vapes : son corps lui hurle de se reposer mais le cerveau de Joseph est encore assez réveillé pour comprendre que ce n’est pas encore le moment de fermer les paupières pour seulement les rouvrir plusieurs heures plus tard. Son instinct de survie ne s'est pas envolé pour autant.    
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
Invité
  

heart with no companion (joseph) Empty
Message(#)heart with no companion (joseph) EmptyLun 22 Juin 2020 - 18:38


Olivia Marshall & @Joseph Keegan ✻✻✻ « J’ai un peu d’argent dans mon sac. Celui que tu caches. » Je reconnaissais la fierté qui était la sienne, celle qui n’avait rien de frontal, rien d’impérieux, que je retrouvais pourtant en lui comme s’il s’agissait du premier jour, dans son regard droit, sa nuque raide qu'il empêchait de fléchir vers les endroits où pouvaient bien reposer ses biens malgré son désir de les récupérer. Il résistait à l’envie de demander ou d'espérer, comme s’il avait trouvé la manière de s’épargner le refus et le rejet s’il cessait d’attendre quoique ce soit de qui que ce soit. Même ce qui lui appartenait de toute évidence. « Je ne cache pas ce qui est à toi, Jo. » Je répliquai alors, la voix placide cachant les vestiges des souvenances me revenant sans que je n’y pense, le surnom trop facile au bout des lèvres lorsque les années s’étaient écoulées pourtant, de nombreuses durant lesquelles je pensais bien l’avoir abandonné plus qu’oublié, réduit au silence comme tout le reste. Il réapparaissait aujourd’hui car si le temps pouvait faire son œuvre avec application, estompant les attaches et les liens d’autrefois comme les couleurs d’une vieille photo, il était tout de même capable de nous surprendre sans prévenir, nous rappelant les contours comme s’il suffisait de ces derniers pour combler les flous et les approximations, pour rappeler ce que l’on aurait pu jurer avoir pensé dépassé. « Je n’ai pas regardé à l’intérieur non plus. » Mon signe de tête pointant brièvement vers l’endroit où il pouvait retrouver son sac accompagna mes paroles que je jugeais inutiles, qu’il semblait tout de même devoir entendre. Mes manquements étaient sans doute nombreux mais jamais ne me souvenais-je lui avoir donné l’occasion de m'entrevoir ainsi, capable de m’immiscer dans ce qu’il désirait caché, ignoré. Je saisissais autrement, avant que mon métier ne me fournisse de plus amples moyens, me contentant d’observer au travers de l’opacité de ceux dont je ne me détournais pas, dans leur secrets et leurs errances, ce qu’ils exposaient et ce qui se dérobait. Je n’avais pas regardé, non, puisque je débusquais autrement, peut-être moins subtilement qu’auparavant mais je n’allais pas m’en excuser car l’existence m’y avait forcée, elle et tous ceux qui étaient parvenus à me leurrer, pour ne pas dire berner. Et il en faisait partie, Joseph, même s’il semblait l’oublier, esquivant mes regards comme si j’étais celle capable de lui tendre un quelconque piège, un que je n’avais jamais su refermer autour de lui malgré tout ce que je pensais avoir deviné de la vie qu’il menait.

« T’habites dans un joli coin. » Il le connaissait, oui, j’en étais persuadée pour l’avoir déjà retrouvé dans cette partie-là de la ville il y avait de cela une vie. Deux vies entières même, parallèles et dissemblables en tous points, sans qu’elles ne m’empêchent pour autant de lui rappeler simplement : « Pas loin du fleuve. » Et des quais sur lesquels je n’étais plus certaine de pouvoir l’imaginer se rendre encore sans que cela ne soit réellement important. J’y allais, moi, m’entraîner comme autrefois, y respirant toujours mieux une fois le crépuscule métamorphosant l’étendue d’eau en cette incandescence sombre et dérisoire, celle que je pouvais m’imaginer lueur dans l’obscurité dévoreuse d’espoir. Mais s’il n’allait plus sur les quais, qu’il ne désirait pas non plus rentrer chez lui, où se rendrait-il une fois qu’il claquerait la porte de ma voiture ? Une fois que je n’aurais plus qu’à ravaler ces questions que je n’aurais pas posées, celles qui arrivaient des années trop tard sans que cela ne me paraisse pour autant être une excuse suffisante pour les taire à nouveau. « Ça se voit tant que ça ? » L'interrogation, bien que rhétorique, inventa un sourire dont je n’aurais su expliquer la cause sur mes lèvres mordues, car les mots étaient cette entité que je pensais savoir manier mais qu’aucun supplémentaire ne me paraissait nécessaire, au contraire. Je le savais capable de s’en servir pour esquiver ou rebondir autrement. C’était bien ceux-là que je lui adressais, ceux-là auxquels il devrait pouvoir faire face sans difficulté aucune si ses intentions étaient affirmées, s'il était si sûr du choix qu'il s'apprêtait à faire. « Non, j’suis pas seul. Je vis avec mon amie. Celle qui a pensé pendant une année que j’avais arrêté d’me piquer. » Déjà, il détournait son visage grisé, glissant au travers de la vitre parmi les ombres informes du trop-plein extérieur, pesant ses mots en prenant son temps sans que je ne ressente la moindre envie d’éclaircir ce qui me paraissait demeurer flou et incertain. Ce que j’aurais eu besoin de savoir il n’y a pas si longtemps. Combien de temps avait-il réussi à arrêter ? Y était-il déjà parvenu, un jour ? Le sevrage d’un côté, laissant le goût des choses se perdre avec monotonie au fil des maux jusqu’à ne plus devenir qu’habitué à la vie faite de douleurs ou de chutes. L’addiction de l’autre, n’ayant jamais su s’éloigner des soupirs sporadiques et visions extatiques que lui procuraient ses substances quels que soit leurs écueils et autres pièges mortels. Avait-il déjà réussi à basculer vers le premier, à délaisser la seconde ? Peu importe, me répondrait-il sûrement : il avait replongé. Mais ça importait, pourtant. Plus qu'il ne le pensait. « Tu comprends que j’ai pas trop envie d’me montrer comme ça. » Que je le comprenne ou non, je l’avais vu prendre sa décision avant même qu’elle ne lui échappe d’entre les lèvres, l’expression sur son visage l’instant d’après comme celle affleurant aux visages de ceux révélant un secret destiné à rester enfoui, l’ayant été depuis si longtemps qu’ils semblaient s’en rappeler eux-mêmes au moment de le prononcer.

« Mais t’inquiète, j’ai l’intention d’me trouver un motel ou une auberge. » Je hochai la tête lentement, soupirant aussi silencieusement alors que je ne parvenais à donner à ses mots la résonance qu’il aurait aimé leur accorder. Il aurait fallu pourtant puisqu’il suffisait que j'accepte de croire sa voix confuse et ses vérités trompeuses pour en rester là. Il suffisait que j’accepte ses négociations pour nous contenter de rentrer chez moi pour ma part, le laisser se rendre devant les devantures de ces motels et autres auberges bien réels mais qui ne l’accepteraient pas s’il n’avait rien à leur donner en échange que ses regards hagards et ses mains trop fébriles pour soutenir son crâne alourdi de multiples déceptions. « Tu n’y arriveras jamais, pas vrai ? » soupirai-je finalement en un souffle, laissant le véhicule ralentir à l’embranchement nous éloignant passagèrement de l’agitation du centre-ville. « Demander ce qu’on serait prêt à te donner de toute façon. » De l’aide, puisque c’était sans doute ainsi qu’il percevait les mains tendues dans sa direction. Mais la dignité, honorable lorsqu’elle était cuirasse, revêtait ses formes néfastes et infécondes lorsqu’elle devenait bâillon. J’en savais quelque chose puisque je la laissais me censurer, moi aussi, trop souvent pour que le jugement n'ose pointer ses couleurs dans mes inflexions sur l’instant. Je fermai les yeux, les fis rouler un instant sous mes paupières lourdes avant de laisser échapper comme une évidence : « Tu as besoin de te reposer, sans avoir à regarder par-dessus ton épaule. » Il le réfuterait, s’en défendrait, je pouvais le prévoir. « J’ai besoin de me reposer sans avoir à me demander où tu te trouves et dans quel état. » J’abandonnai la route des yeux pour le regarder un instant. « Traite-moi d’égoïste si tu veux mais si mon canapé doit devenir le tien cette nuit pour qu'on y arrive, je suis prête à m’y plier. » Un sourire vague vint se dessiner sur mes lèvres devant la nuance que je lui imposais et qui pouvait paraître égoïste, oui, sans qu’elle n’en soit moins réelle. Qui le deviendrait s’il le fallait pour prétendre corriger les décrets d’une quelconque fatalité l’obligeant à s’imposer la solitude et l’absence de sécurité, cette nuit encore. Celle qu’il n’avait pas à subir, cette nuit au moins.






solosands
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
Invité
  

heart with no companion (joseph) Empty
Message(#)heart with no companion (joseph) EmptyMar 23 Juin 2020 - 21:15

« Je ne cache pas ce qui est à toi, Jo. » Pourtant, il a l’impression, même dans cette voiture qui n’appartient pas au commissariat, qu’il n’est pas complètement libre de ses mouvements, de ses envies. Depuis longtemps il aurait plongé sa main dans son sac pour récupérer son maigre paquet de clopes enfin de coincer l’une d’elles entre ses lèvres gercées. Mais, même s’il a connu Olivia avant qu’elle ne devienne la représentation du bien vis-à-vis du mal, il craint de faire le moindre faux pas qui le ramènerait réellement à la case départ – elle n’a pourtant pas montré le moindre signe de méfiance devant lui. Elle veut encore croire que le Joseph qu’elle a connu n’a pas été manipulé par le temps et les aiguilles des horloges, que sa peau ne s’est pas ridée sous la poussière et que son menton est resté complètement nu. Le désir de retrouver les souvenirs d’antan font peut-être battre son cœur alors qu’elle conduit son ancien ami là où il pourra fermer les yeux et s’endormir sans que la moindre turbulence n’agite ses rêves bientôt cauchemars. « Je n’ai pas regardé à l’intérieur non plus. » Il le croit sur parole sans même observer son regard. Elle ne lui a jamais menti contrairement à lui qui l’entraînait jours et nuits dans une danse de mensonges qui, au fond, n’auront fait du mal qu’à celui qui les employait pour se protéger. « J’en doute pas. » Il répond, franc. Il ne s’est pas beaucoup inquiété, de toute façon. Son sac ne contient que quelques besognes essentielles ; dentifrice, rasoir, menthes, portefeuille affamé, quelques fringues propres qui se comptent sur les doigts d’une main et l’unique coffre cadenassé au contenu illégal mais inatteignable sans permission ou sans bris. Les policiers qui lui ont confisqué ses effets n’ont jamais eu l’autorisation de fouiner dans sa vie privée : il n’avait commis aucun délit, sauf celui de déranger la tranquillité de la matinée au parfum de maux de crâne et de café.

Ayant dorénavant obtenu la permission silencieuse d’Olivia, il tend le bras en grimaçant pour atteindre le sac sous le siège. Il le tire jusqu’à lui en puisant dans ses dernières forces et, tout naturellement, il se met à observer son contenu pour s’assurer que ses maigres possessions n’ont pas disparu. « Pas loin du fleuve. » Il s’immobilise un moment en glissant machinalement ses doigts entre les quelques pièces de monnaie qu’il a trouvées et un mince sourire nostalgique étire ses lèvres. Il n’a pas eu beaucoup de maison au fil de sa vie mais cette étendue d’eau agitée l’a toujours bercé dans l’agréable sensation d’avoir enfin retrouvé son chemin après avoir tourné en rond pendant des heures. Le clafoutis de ses vaguelettes l’a accompagné dans son sommeil avant qu’il ne devienne ce qu’il est devenu, avant que le retour en arrière ne soit plus possible. Joseph aurait aimé s’endormir sur cette douce pensée mais il ne se permet pas de fermer les paupières avant d’avoir trouvé un moyen de rassurer Olivia, elle qui n’a pas l’intention de le laisser s’en sortir avec ses fausses raisons, ses escroqueries ne comptant que pour victime l’escroc. Il est le seul qui souffrira en ne s’octroyant pas le luxe d’un véritable lit : il ne manque jamais l’occasion d’accomplir sa fameuse prophétie.  « Tu n’y arriveras jamais, pas vrai ? » Il sait ce qu’elle veut dire mais il ne répond rien, le regard fermé : l’envie de débattre à nouveau ne l’intéresse pas. « Demander ce qu’on serait prêt à te donner de toute façon. » Maintenant qu’elle a précisé sa pensée, elle attend de sa part une vérité. C’est ce qu’il lui donne en laissant ses yeux se perdre sur les paysages soudainement moins urbains. « Non. » Il semble déjà chercher un endroit où se cacher pour attendre le lever du soleil. Il reconnait le coin, comme d’habitude, et attend patiemment que la voiture s’immobilise complètement pour en sortir et se débarrasser de ce sale sentiment qui bloque les artères. « Tu as besoin de te reposer, sans avoir à regarder par-dessus ton épaule. » Il la déteste d’insister, de lui faire comprendre que ses décisions sont complètement insensées même s’il le sait déjà. Il n’a cependant pas le temps de caser un seul mot qu’Olivia interrompt sa pensée. « J’ai besoin de me reposer sans avoir à me demander où tu te trouves et dans quel état. » La gorge du jeune homme se noue et il se permet enfin de jeter un coup d’œil à celle qui le regardait déjà, probablement pour noter sa réaction. Il n’est plus question de lui mais d’elle : ses émotions, ses craintes, ses inquiétudes vis-à-vis de cette image de rat que Joseph projette sans arrêt pour se défendre du mon extérieur. « Traite-moi d’égoïste si tu veux mais si mon canapé doit devenir le tien cette nuit pour qu'on y arrive, je suis prête à m’y plier. » Et elle sourit comme si c’était un moment qui méritait de se faire ponctuer par des sourires. Non, Joseph ne veut pas qu’elle se fasse un sang d’encre pour lui. Elle n’avait plus besoin s’argumenter pour qu’il lui donne la victoire, cette fois : « Tu n’es pas égoïste. Je ne penserai jamais le contraire. Tu ne l’as jamais été, tu n’le seras jamais. » Sa voix est formelle, on pourrait croire qu’il vient d’établir la règle la plus importante du jeu.  Les blancs jouent en premier, les loups-garous dévorent les villageois pendant la nuit, il faut acheter les propriétés pour se faire du pognon lorsqu’un joueur adversaire s’arrête sur la case. « Et puis… Nous ne sommes plus qu’à quatre rues de chez toi. » Il ajoute sur un ton détaché alors que la petite épicerie qu’il avait en tête passe à sa droite. Il lui a donné la permission de le ramener chez lui. Elle avait, maintenant, et pour le reste de la soirée, la contrôle sur la situation et les deux mains sur le volant.  
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
Invité
  

heart with no companion (joseph) Empty
Message(#)heart with no companion (joseph) EmptySam 27 Juin 2020 - 19:13


Olivia Marshall & @Joseph Keegan ✻✻✻ Le disparu et le réchappé, l’épuisement et l’endurance, l’inquiétude et la désinvolture se retrouvaient mêlés en moi de façon si étrange depuis de nombreux mois que j’avais cessé de vouloir en détresser les fils. Je pouvais être la douce mélodie de la rivière ou les bourrasques violentes du vent sans en manifester le moindre indice avant-coureur à ceux qui devraient ensuite y faire face. Ce n’était pas le cas ici alors que je tentais de dévoiler mes cartes à Joseph, celui-ci ne semblant plus avoir la force de mener un quelconque combat, statue de marbre se tenant immobile au milieu de la vie comme s’il était ainsi plus facile de résister à ses affronts, épuisé et ne désirant pas se fatiguer pour ce qu’il considérait être futilité : sa sûreté à défaut de son confort puisque ce mot n’aurait fait que l’irriter d’autant plus. Je laissai mon regard s’attarder sur son profil qu’il ne m’accordait pas, tout occupé à feindre l’intérêt soudain pour le contenu de son sac sans qu’il n’en ressorte pourtant rien, fronçant à peine les sourcils alors que le bandage entourant son bras sans doute engourdi attira ensuite mon attention, de nouveau. Aucune plaie lancinante en son dessous pourtant, j’avais eu l’occasion de la discerner le matin-même sans le laisser réellement paraître, aucune ne suggérant sa peau tranchée, son épiderme mutilé mais les nuances rougeâtres et violacées, teintées de brun et de bleu, suffisaient à deviner la douleur l’accompagnant, celle annihilant la seule physique et s’infiltrant plus profondément au travers de ses veines et de ses muscles, marquant le passage de la détresse telle que je ne lui avais jamais connue, telle qu’il ne m’avait jamais laissée l’occasion d’entrevoir en lui. Et nous ne nous étions jamais laissé l’occasion d’y poser réellement des mots mais je l’avais deviné capable de manier les revers de la douleur avec flegme et dextérité, le sourire aux lèvres pour ne pas sombrer, fort de son expérience d’avoir enduré son lot de souffrances qu’il taisait pourtant. Qu’en était-il de celle-ci dans ce cas ? Celle qui avait fini par hurler sa voix aujourd’hui, désespérée d’être maintenue au silence ? Il n’était pas en mon pouvoir de l’apaiser et j’en étais consciente, me rattachant au seul dont je semblais pourvu ce soir, celui de ne pas le laisser s’enfermer seul à ciel ouvert, ses maux comme seule compagnie.

« Non. » Je ne pouvais pas le forcer à se confier, me contentant de ce simple assentiment car j’anticipais déjà son objection prochaine, celle qu’il formulerait sans même hésiter si je lui proposais refuge, pour lui, répit pour lui, repos pour lui. Il n’en aurait pas besoin, me dirait-il. M’en voudrait de ne pas croire en son mensonge mais il ne fallait pas qu’il le fasse, je reconnaissais celui-ci au son des voix le portant à l’intérieur, aux mots disant le contraire des sentiments. Je lui reconnaissais le talent, pour l’avoir exercé toute une vie, à affirmer le contraire de ce que j’arrivais à lire dans ses yeux, à percevoir dans sa voix lorsqu’il forçait pourtant l’assurance, à renier des assertions qu’il balayait d’un revers de la main. Ne le fais pas pour toi, alors. Et je notai son regard lancé en biais, s’échouant sur mon visage que je maintenais rivé en direction de la route devant nous. Fais-le pour moi. J’osais la ruse qui n’avait rien de subtil s’il fallait celle-ci pour le convaincre, s’il fallait y recourir pour le rallier à la cause, la sienne. Je l’osais si celle-ci lui permettait d’oublier, le temps d’une nuit, la solitude à laquelle il s’apprêtait de nouveau à se condamner, la perte et cette sinistre vision de la réalité du monde et de toute son imperfection, solitude accentuée par le bruit du vent entourant son corps endormi on-ne-savait-où, l’élancement des oiseaux d’acier au-dessus de sa tête comme seul espoir d’ailleurs. « Tu n’es pas égoïste. Je ne penserai jamais le contraire. Tu ne l’as jamais été, tu n’le seras jamais. » Et comme cela aurait été rassurant de pouvoir le croire sans réprimer l’instinct de le contredire, de me rattacher à la vision que je tentais de retrouver de lui : lui ne mentant jamais, lui ignorant seulement les vérités le démasquant, façonnant les répliques pour parfaire son histoire. Mais cette version de moi ne m’était plus familière et je doutais de l’expression objective qu’il me portait sans désirer entendre la voix me soufflant que la réciproque pût être vraie le concernant. S’il se trompait sur moi, me trompais-je sur lui ? Il ne s’agissait pas d’une énigme que je souhaitais éclaircir tout de suite, comme ça, ici. Je choisissais à la place de ne lui accorder que la véracité de mon silence, ce dernier étant le seul à m’inspirer lorsque je devenais le sujet, sans doute trop lasse de sentir mes travers et vices grimper en moi comme le venin sournois d’un serpent, désireux de s’échapper de ma gorge pour souffler à Joseph qu’il avait tort. « Et puis… Nous ne sommes plus qu’à quatre rues de chez toi. » Je ne me souvenais plus du déclencheur, finalement, le poussant à l’accord. Un haussement d’épaules peut-être. Un froissement de muscles de sa part lui rappelant qu’il n’était pas en état de s’opposer davantage. Sa nature tout simplement, rappelée à l’ordre lorsque je lui avais demandé de me prendre en compte, moi, plutôt que lui. « Deux maintenant. » me contentai-je de répondre sur le même ton, laissant la voiture suivre avec fluidité l’angle de l’avenue nous rapprochant de chez moi, s’imbriquer dans la suivante en ralentissant car nous y étions, finalement, qu’il m’avait fait confiance pour l’amener là où il avait besoin d’être, et que je l’avais fait, nous conduisant tout droit à l’endroit au sein duquel je n’arrivais plus moi-même à rentrer, plus aussi souvent qu’il ne le faudrait.

Je relevai les yeux, en claquant la portière derrière moi, sur la façade endormie de la maison, l’absence de lumières jaunes et apaisantes au travers des vitres assombries témoignant, sans que je n’eusse besoin d’un quelconque rappel, de l’absence de Jacob. Les marches oubliées derrière nous, je tournai la clé dans la porte tout en interrogeant soudainement Joseph du regard. « Tu ne t’es pas mis à avoir peur des chiens depuis le temps ? » Que sa réponse fût positive ou négative, je ne lui laissais guère le temps de reconsidérer son avis alors que la porte s’effaçait et que les piétinements impatients de l’animal ne puissent s’exprimer avec plus d’euphorie en me voyant m’avancer dans la pièce, éclairant l’intérieur d’une simple pression à l’entrée. « Du calme, Loki. » soufflai-je en laissant mes doigts s’égarer entre ses oreilles, le retenant au dernier moment et le forçant à s’asseoir pour ne pas le laisser filer tout droit vers Joseph. Je gagnais déjà le salon en me dirigeant vers la baie vitrée pour l’entrouvrir, laissant à la brise tiède de la nuit l’occasion de se faufiler au travers de la pièce, apportant avec elle le parfum des acacias et autres effluves mêlées à l’air nocturne. « Il a du mal à laisser rentrer les inconnus. » Quand son maitre n’est pas là. Je retenais ces mots, marquant une pause après celui que j’avais laissé échapper sans y réfléchir, sans réellement le penser. Inconnu. « Mais viens, je lui laisse cinq minutes avant de t’accepter. » Il n’y avait pas une once d’agressivité chez Loki, sinon de méfiance, celle qui ne tarderait pas à s’atténuer sitôt Joseph prenant ses marques comme je l’invitais à le faire, sitôt Joseph lui apparaissant comme l’inconnu qu’il n’avait plus à être.






solosands
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
Invité
  

heart with no companion (joseph) Empty
Message(#)heart with no companion (joseph) EmptyMar 30 Juin 2020 - 19:53

« Deux maintenant. » Sa future hôte répond pour conclure le pacte silencieux : il dort chez elle ce soir et il n’a plus son mot à dire car il le fait pour la rassurer, elle. Elle lui offre son canapé et elle saura que la pluie ne tombera pas sur sa tête si le ciel se met à pleurer. Les mains qui définissent les rues sont de plus en plus invitantes tandis que la voiture s’élance dans le dernier kilomètre avant de se garer devant une baraque moderne. Joseph n’y porte pas particulièrement attention : il n’a jamais été intéressé par les biens matériels et il se sent plus à l’aise à l’étroit dans une petite chambre séparée du monde plutôt que dans un manoir où l’écho des pas percute les murs. Il ne peut toutefois pas manquer une information importante que lui présente la maison : Olivia n’a visiblement pas de problèmes financiers. Elle a pu s’offrir un endroit aussi grand que son cœur et, évidemment, cette seule pensée étire un sourire discret sur les lèvres de Joseph quand il fait claquer la portière de la voiture derrière lui, glissant son sac sur son épaule. Il remarque rapidement que l’endroit semble endormi, comme si personne n’attendait le retour d’Olivia, du moins, personne qui n’a besoin de lumière pour se trimbaler dans les pièces sans rencontrer le mur et les cadres de porte. « Tu ne t’es pas mis à avoir peur des chiens depuis le temps ? » La surprise se lit sur le visage du garçon qui n’a pas le temps de réagir avant que la porte d’entrée ne s’ouvre. Aussitôt, un son qui ne lui est pas familier surprend son oreille et, par réflexe, il reste immobile en attendant de voir la grosseur du molosse – il préfère tout de même s’assurer qu’il ne tombera pas nez à nez avec une bête qui fait la taille d’un ours. Les chiens ne l’effraient pas mais il sait que certains n’apprécient pas les inconnus et c’est exactement ce qu’il est. « Du calme, Loki. » La lumière éclaire enfin la pièce et Joseph peut découvrir un animal de taille moyenne à la gueule sympathique. Il ne saurait nommer sa race, n’ayant jamais vu une telle morphologie svelte et lissée, mais sa crainte s’efface rapidement lorsque le chien pose ses fesses sur le carrelage du hall d’entrée. Il entre enfin dans la maison en refermant à l’aveuglette la porte derrière lui mais il ne se permet pas tout de suite de retirer ses chaussures, de se débarrasser de son sac, ou de séparer son regard de celui de l’animal sont les pattes avant sautillent d’impatience. Olivia se laisse porter par ses pieds jusqu’à ce qui ressemble à un salon, laissant son invité et l’animal seuls et immobiles. Il est surpris, Joseph, il s’attendait à ce qu’il lui saute sur les épaules dès lors que sa maîtresse aurait disparu de son champ de vision. « Il a du mal à laisser rentrer les inconnus. » L’interpelé redresse enfin la tête, s’extirpant de ses pensées, et ses yeux se mettent à dessiner les lignes des murs, les contrastes qu’apporte la décoration parfaite, l’absence de poussière dans les recoins qui ont tendance à en accumuler. Le jeune homme se laisse enfin guider par sa curiosité et, retirant ses baskets à l’aide de ses orteils, il fait quelques pas vers l’avant, la main tendue devant lui. Loki se dandine davantage et sa truffe s’écrase contre les doigts de l’inconnu pour mieux les analyser. Il doit humer des parfums étranges qu’il ne reconnait pas. Ce n’est pas que du tabac que Joseph a tendance à coincer entre son index et son majeur, et il ne serait pas surpris que la bête puisse le confondre avec un morceau de viande saignant. Il a vraiment besoin de se doucher et d’attendre que le lendemain sonne. « Mais viens, je lui laisse cinq minutes avant de t’accepter. » Rassuré de constater que le chien n’a pas envie de lui arracher les membres, Joseph pénètre plus profondément dans l’énorme baraque, la bouche entrouverte par un mélange de surprise et d’ahurissement. La dernière fois qu’il est entré dans une maison aussi grosse, c’était il y a de cela plusieurs mois, quand il habitait encore chez Gabriel le millionnaire qui se lave les cheveux avec de l’or en bouteille. Malgré sa familiarité avec l’aisance financière de son patron, Joseph ne s’habituera jamais à flotter dans une étendue aussi vide. Il a l’impression que le plafond va le gober. « Il est mignon. » Admet enfin le garçon en se tournant vers Olivia qui venait de libérer dans la pièce des effluves florales provenant de l’extérieur. « Tu habites avec quelqu’un d’autre ? J’ai toujours pensé que les chiens ne supportaient pas de passer une journée entière seuls. » Et que c’est pour cette raison que les chats devenaient des animaux de plus en plus populaire.

Joseph se surprend à envier le confort d’un canapé moelleux longeant le mur. Toutefois, il réalise rapidement qu’il n’est pas en état de s’installer sur un meuble aussi soigné : il a l’impression que la terre et la poussière se sont collées à ses bras, ses jambes et ses mains moites qui ont traîné toute la journée dans une cellule grise sans personnalité. « Est-ce que j’pourrais utiliser ta douche ? J’ai pas l’impression d’avoir le droit de toucher au moindre de tes meubles. » L’endroit et si propre, si organisé. Ça pourrait presque l’effrayer. Il espère simplement que, si Olivia le guide jusqu’à sa salle de bains, il aura assez d’énergie pour ne pas s’écrouler dans le fond de la douche. Triste fin de vie que serait la noyade pour un mec qui glisse trop souvent l’aiguille dans ses veines en espérant se réveiller par la suite.  
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
Invité
  

heart with no companion (joseph) Empty
Message(#)heart with no companion (joseph) EmptyDim 5 Juil 2020 - 19:33


Olivia Marshall & @Joseph Keegan ✻✻✻ Un emploi stable et une maison sur le bord de la mer. Je me souvenais de ces quelques mots échappés d’entre les lèvres du jeune homme de dix-sept ans, un rêve formulé à demi-mots comme si l’énoncer trop haut reviendrait à le voir s’évanouir, comme s’il ne fallait pas trop en dire pour se permettre d’être surpris par ce que la vie se chargerait ensuite de nous emmener. Je m’en souvenais, persuadée d’avoir réussi à l’oublier pourtant comme je le lui avais promis, la dureté dans la voix quelques années plus tôt, la distance imposée par la suite se chargeant de tenir le serment. Il n’avait fallu que quelques heures pourtant, quelques heures contre des années écoulées, pour que certains détails ne me reviennent, témoins de ce que la déception et la colère étaient capables de nous faire dire en prenant le contrôle, ce dernier n’ayant que très peu de valeur ou de parole lorsque le poids de ce qui leur avait précédé se chargeait de remonter à la surface. Je n’avais jamais fait ce vœu-là me concernant, bien au contraire lorsque nous nous retrouvions à flotter à la surface d’une eau bien plus claire qu’elle ne l’était aujourd’hui. La carrière dans l’armée prédestinée et ne m’offrant rien d’autre que l’instabilité la plus totale, l’inconstance séduisante. La maison en bord de mer enfouie sous les tonnes de sable ne tardant pas à envahir à la place les bivouacs militaires rapidement adoptés au fil des missions assignées. Prétendre aujourd’hui que l’habitation que je lui présentais mienne ne nous offrait, en réalité, aucune vue sur l'océan autrefois convoité ne suffirait pas à éteindre le regard que je le sentais porter sur mon environnement. J’étais incapable de déceler néanmoins, dans la réserve qui était la sienne, immobile à l’entrée, écrasant ses doigts contre sa mâchoire interdite, si cela changeait la vision qu’il se faisait de moi. Ce n’était pas la maison, pourtant, qui avait fait de moi la personne que je lui présentais aujourd’hui. Cette maison avait été mon foyer et ce foyer disparu s’était chargé d’éteindre le reste, ensuite. Bien plus tard. Ne restaient plus que les souvenirs aujourd’hui de celle que j’avais aimée devenir, de tout ce que nous avions réussi à construire et à protéger, apparaissant et disparaissant comme portés par des vagues inexistantes au gré des convulsions de la pierre constituant les façades de la demeure. Ils ne l’assaillaient pas, Joseph, comment auraient-ils pu ? Je le ressentais pourtant dans mon dos, hésitant à s’avancer, le corps un peu oblique, retenu par une ancre profonde sur laquelle je n’avais pas de main. Pas d’autre que celle de le mener ici, en espérant qu’il y trouve, le temps d’une nuit, le répit que la maison n’offrait plus à ses propres résidents.

« Il est mignon. » Sa voix résonna finalement et la formule de politesse, puisque cela y ressemblait, étira mes lèvres d’un sourire en coin à peine perceptible. Ne te sens pas obligé. Voilà ce que mon regard en biais dans sa direction sembla lui souffler à la place de mes lèvres. Je ne cherchais pas sa conciliation, ses compliments à l’égard de Loki venant loin derrière lorsque tout en lui semblait désespérer d’autre chose que ces simples convenances. Il avait du mal à le dissimuler, quoiqu’il en pense, ses jambes lourdes peinant à le porter et son regard embrumé. « Tu habites avec quelqu’un d’autre ? J’ai toujours pensé que les chiens ne supportaient pas de passer une journée entière seuls. » C’était lui pourtant qui ourdissait la trame des premières confessions, celles qui viendraient bien assez vite puisque l’idée de le cacher ne m’avait pas effleurée, celle de le lui révéler sans raison non plus puisque s’en suivaient inévitablement les autres ensuite, les questions plus intimes, les réponses plus douloureuses. Je ramenai mes cheveux emmêlés sur l’une de mes épaules, laissant mon regard sonder sans y penser l’extérieur où la silhouette du chien ne se laissait plus que deviner. Il n’était pas seul avant. Ou pas aussi souvent. Quand Jacob et moi faisions concorder nos horaires avec ceux de June, l’un s’arrangeant toujours pour l’amener à l’école, l’autre se chargeant d’aller la chercher. Les jours les plus heureux étant ceux où nous parvenions à faire toutes ces choses à trois. Ou à quatre comptant Loki. Les chiens n’étaient pas faits pour passer des journées entières seuls, non. Aucun de nous ne l’était. « J’essaie de l’emmener courir avec moi tous les jours. » répondis-je simplement, balayant mes pensées d’un haussement d’épaules ne trahissant rien de la vérité qu’il venait d’effleurer. « On s’arrange comme on peut. Jacob travaille autant que moi mais gère ses journées comme il l’entend. » Je marquai une pause en lui faisant face finalement, consciente d’être évasive lorsque rien ne le méritait. « Mon mari. » précisai-je alors simplement, comme s’il ne s’agissait pas là certainement de la chose la plus personnelle me concernant qu’il lui ait été donnée d’entendre depuis des années. « Tu ne le verras pas ce soir. » Sans doute serait-il venu la veille ou le lendemain que ce seul état de fait serait resté le même, l’imperturbable, l’amèrement constant. L’inverse et je ne serais sans doute pas rentrée. Je n’en laissais rien paraître pourtant, l’attention dirigée sur Joseph et son corps demeurant bancal, peinant à relayer les informations à son esprit.

Je fronçai les sourcils légèrement en appréhendant son regard semblant chercher une issue, n’importe laquelle, même un précipice pour s’y reposer, la fuite de l’énergie soudaine à présent que les endroits pour s’écrouler paraissaient se proposer à lui sous diverses formes. « Est-ce que j’pourrais utiliser ta douche ? J’ai pas l’impression d’avoir le droit de toucher au moindre de tes meubles. » Un rire sans joie m’échappa silencieusement alors que je laissais mes pas me porter vers le couloir, mon regard s’égarant sur les meubles en question. Sur l’intérieur tout entier, désespérant d’être habité, animé, perturbé par autre chose que l’absence de ses propriétaires. « Ça me fait le même effet parfois. » avouai-je à voix basse, le sourire vague aux lèvres. Et je n’évoquais pas ma maniaquerie révélée à la sortie de l’armée, celle que Jacob avait su apaiser durant des années avant qu’elle ne resurgisse depuis peu. C’était le reste désormais qui m’étreignait, les meubles comme absorbeurs des joies passées et ne désirant plus les relâcher, ceux dont je m’éloignais le plus possible en oubliant de rentrer, les laissant languir dans un coin, vibrants de mélancolie. « Ça n’a pas toujours été comme ça. » Silencieux. Rangé. Le mot évoqué par Lex quelques jours plus tôt me revint en mémoire avec moins de violence que le jour même. Elle avait eu raison, néanmoins. Ça avait été vivant, ici, bien plus longtemps que l’inverse mais le formuler ne suffirait pas à le ramener à cet état et je n’en dis pas plus, m’arrêtant au seuil du couloir pour lui indiquer d’un signe de tête. « Troisième porte au fond. Tu trouveras des serviettes propres dans le placard. » Mon épaule rencontra le chambranle de l’encadrement et je me laissais l’observer une seconde sans même y penser, analysant sans doute les probabilités étant les nôtres que je ne le retrouve inanimé dans un coin de la douche. À partir de combien de temps étais-je supposée m’inquiéter de son retour tardif ? Je ne me laissais pas aller à admettre ces pensées-ci, me contentant de me décaler en secouant lentement mon téléphone entre mes doigts. « Je te dirais bien de prendre le temps qu’il te faut mais … tu raterais la pizza. » Je prononçai ces mots, à la place, avec détachement presque, celui maitrisé depuis de si nombreuses années qu’il était compliqué de percevoir en son sein l’illusion même de l’indifférence.  






solosands
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
Invité
  

heart with no companion (joseph) Empty
Message(#)heart with no companion (joseph) EmptyVen 10 Juil 2020 - 17:31

La maison est grande mais vide. Joseph s’attendait peut-être à découvrir des centaines de meubles et décorations futiles mais il se retrouve à confronter un portrait plutôt désertique. C’est à se demander à quoi bon acheter une aussi grosse baraque si c’est pour y collectionner l’air. Non, cet univers de richesse – ou seulement d’aisance financière – ne parle pas à celui qui n’a besoin que d’une petite pièce pour respirer confortablement. L’extérieur lui offre toute la liberté nécessaire pour se dégourdir les jambes : certes, il ne possède ni les arbres, ni les rues, ni les parcs mais à quoi bon écrire un nom sur un objet ? « J’essaie de l’emmener courir avec moi tous les jours. » Il sort de sa contemplation, croisant ses bras sur sa poitrine pour se sentir plus en sécurité. Il se sent comme une pauvre gazelle en plein milieu d’un champ dégagé. Le chien derrière ne l’effraie pas mais lui rappelle au combien il n’est pas chez lui, ce soir. Mais c’est ce qu’il a demandé, non ? De fuir ce qu’il connait le mieux pour ne pas le décevoir une énième fois. « D’accord. » Il répond simplement pour faire comprendre à Olivia qu’il n’est pas un membre de la SPA et qu’elle peut gérer Loki comme elle le désire. C’est son animal, il n’a donc pas son mot à dire : et puis, il ne semble pas être à l’agoni dans ses propres excréments. « On s’arrange comme on peut. Jacob travaille autant que moi mais gère ses journées comme il l’entend. » Ah ? Il hausse un sourcil, soudainement plus intéressé par l’information qui chatouille le bout de la langue de l’inspectrice. Il ne s’attendait pas à ce que le prénom d’un homme se joigne à la discussion. Il n’y avait qu’eux deux et le chien dans le salon, pas le moindre fantôme d’un inconnu n’avait dressé les poils de Joseph. « Mon mari. » Son premier réflexe est de baisser les yeux à la hauteur des mains de la jeune femme. Il cherche une alliance comme celle qui décorait l’annulaire de sa sœur et qui cognait contre les barres en métal pour résonner dans la cellule. À première vue, il ne trouve pas le moindre signe d’un mariage et il réalise que c’est pour cette raison qu’il n’a jamais pu s’imaginer qu’elle partageait cette maison avec un homme. « Tu ne le verras pas ce soir. » Il entend une sorte de lassitude dans le ton de sa voix. Lorsque Lily parlait de son fameux Matt, mari parfait qu’elle a rencontré à la télévision, elle voyait ses yeux briller et entendant l’amour dans sa voix. Mais qui serait-il pour s’immiscer dans la vie privée d’Olivia ? Il le fait déjà bien assez depuis qu’il a pénétré dans son nid douillet et depuis que le museau de son chien s’est plongé entre ses doigts. « D’accord. Je n’ai pas à avoir peur d’me faire jeter par la fenêtre, alors. » Il répond enfin après avoir réfléchi trop longuement, et pas seulement parce que son esprit est fatigué. Quelle étrange sensation que d’entrer dans la vie d’un couple qui a réussi à atteindre le but ultime selon toutes les petites filles qui se déguisent en princesse en espérant attirer le prince charmant. Tout semble trop normal, ici. L’absence de poussière, l’espacement entre les meubles, le tapis parfaitement centré entre les canapés, les ampoules des lampes probablement changées dans les derniers mois.

Malgré son embarras, il n’oublie pas le plus important : il a absolument besoin de se doucher pour se débarrasser pour de bon de cette mauvaise journée qu’il vient de passer. L’odeur de la cellule s’est imprégnée dans ses vêtements. Il serait presque tenté de ne pas les retirer en se glissant sous le jet d’eau chaude. « Ça me fait le même effet parfois. » Qu’Olivia répond, à la surprise de Joseph. Il se pince les lèvres en l’interrogeant du regard, conscient que cette remarque a volontairement été relevée. Elle a quelque chose à dire. Ce ne sont pas des pensées brouillées qui se sont échappées de ses lèvres. « Ça n’a pas toujours été comme ça. » Donc, cette perfection que renferme cette pièce ne plaît pas à sa propriétaire. Lunatique, le jeune homme laisse ses yeux se balader dans les recoins des murs et il esquisse un léger sourire nostalgique. « Tu as peut-être besoin de changement. » Il répond, la voix basse, lucide quant au manque d’information qu’il possède pour faire des constats finaux. Mais il a absolument besoin de se réfugier dans la salle de bains pour nettoyer la saleté sur sa peau et sur son âme. « Troisième porte au fond. Tu trouveras des serviettes propres dans le placard. » Il la remercie d’un signe de la tête et tourne des talons avant de laisser ses pas endormis le guider vers le corridor. Par réflexe, il jette un dernier coup d’œil à son sac pour s’assurer qu’il n’a pas disparu par magie. C’est à ce moment qu’Olivia lui avoue qu’une pizza l’attendra à sa sortie et un gloussement secoue sa poitrine : il pivote la tête pour la regarder et lui offre un pouce en l’air, n’abordant évidemment pas son manque d’appétit perpétuel qui le fera longuement loucher sur les pointes triangulaires trempées de sauce tomate.

Il passe devant trois portes et s’arrête devant la quatrième. Son cerveau n’est pas assez alerte pour faire de simples mathématiques. Il pose la main sur la poignée et ouvre doucement le battant. Une odeur de pièce fantomatique atteint ses narines et il constate en seulement quelques secondes qu’il ne se trouve pas dans la salle où il trouvera une douche. Longuement, il observe le lit inerte en plein milieu de la chambre, le coussin en forme de dauphin qui repose parfaitement près de l’oreiller, puis les décorations florales qui parsèment les murs. Oui, il est surpris. Il n’est pas assez stupide pour ne pas lier A et B. C’est une chambre d’enfant, une fille, certainement, mais, surtout, ce n’est pas une salle de bains. Il referme donc la porte derrière lui et trouve la bonne pièce, ne verrouillant pas derrière lui : il sait que Deborah se fait un sang d’encre lorsqu’il disparaît trop longtemps sous la douche.

Il ne tarde pas trop longtemps, préférant éviter de s’endormir sur place. L’eau qui retombe dans le fond de la douche est brunie et lui rappelle son excursion dans la forêt le matin-même. Il ne touche pas au bandage que lui a fait sa sœur, préférant laisser un peu de temps à ses plaies pour se refermer. Il tend le bras vers une bouteille de shampoing, puis la seconde à l’allure plus masculine. Il y a bel et bien un homme qui habite ici – pas qu’il ne croyait pas Olivia, mais sa voix avait semblé tant détachée quand elle a mentionné son mari. Quinze minutes plus tard, il ressort de la salle de bains, libérant un nuage de buée chaude dans le corridor. La serviette attachée autour de la taille, il se dirige vers la cuisine à la recherche de son amie. « Je n’ai pas de fringues de rechange. Je dois laver les autres dans mon sac, aussi. » Parce que, le jeudi, c’est la journée de la lessive à un dollar à la lavomatique. Un moment fort ennuyant pour celui qui doit attendre une heure en se laissant bercer par le son mécanique des machines. « Je pourrais… Emprunter un truc ? » Il demande, légèrement embarrassé de faire une telle requête intrusive, mais bien décidé à dissimuler son dos sous une couche de tissu qui le protégera plutôt mentalement que physiquement.  

Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
Invité
  

heart with no companion (joseph) Empty
Message(#)heart with no companion (joseph) EmptyJeu 16 Juil 2020 - 18:19


Olivia Marshall & @Joseph Keegan ✻✻✻ Serein et triste comme l’est le calme d’un champ de bataille après une guerre, voilà le paysage semblant se présenter à moi les soirs où je me laissais aller à pousser la porte de ce qui avait été notre foyer. La guerre n’avait pas eu lieu pourtant, isolés tous deux, chacun dans son silence profond, hantés par un cauchemar similaire, habités de sentiments, de pensées et d’espoirs ne se rencontrant plus, ces derniers contraints désormais de se cogner aux murs impeccables, aux voilages noués de non-dits, métrages de tissus et meubles délaissés absorbant les soupirs pour n’en expirer qu’un écho ouaté. Loki, lui, restait l’ancre de vie au milieu de tout cela, celui qui n’avait pas changé, celui qui avait peut-être ressenti le changement dévastateur pour ses maitres mais qui s’était repris sans peine, forçant peut-être même davantage son euphorie lorsqu’il nous retrouvait. Celui dont l’enjouement parvenait toujours à m’arracher un sourire en le sentant se presser contre moi pour quémander la caresse ou la sortie. Je pouvais répondre pour lui sans peser mes mots, sans avoir à les chercher, sans m’interroger sur les réponses pouvant être énoncées car n’ayant pas besoin de s’élever au niveau de quelconques expectatives. Loki allait bien et il s’agissait sans doute là de tout ce que j’étais capable d’affirmer sans avoir l’impression de mentir ou d’omettre. Le reste, lui, paraissait déjà capable d’entraîner Joseph sur une piste plus intime, une que je n’avais eu aucun mal à prédire en l’amenant ici mais qui me demanderait plus d’efforts, plus de précautions envers moi-même : deviner ce que j’étais capable d’admettre ou révéler sans désirer le reprendre aussitôt, jamais de la meilleure des manières. « D’accord. Je n’ai pas à avoir peur d’me faire jeter par la fenêtre, alors. » Sa remarque m’arracha un sourire en coin alors que je lui lançai un regard en arrière. « Je n’ai pas dit ça non plus, c’est lui le plus raisonnable de nous deux. » Et cela paraissait ironique, s’échapper pour la plaisanterie, pour la menace à ne pas prendre au sérieux mais ne le fallait-il pas pour toutes me concernant ? Liv. Joseph le savait car nous en avions fait les frais, les subissions toujours aujourd’hui des années après la déchirure que je nous avais imposée. L’avais-je regrettée ? Cela aurait été mentir que de prétendre m’être déjà posée la question avant ce matin. J’étais bornée. Je prenais une décision un jour, dont je ne me souvenais plus de l’enfantement, et cette décision gagnait en indocilité pour ne plus suivre que sa propre force d’inertie. Puis avec chaque jour, chaque année, il devenait un peu plus difficile de la changer. Il le savait, oui. J’avais continué, jusqu’à ce matin, de lui en vouloir. Un moment de dissidence et de férocité envers ce que j’avais été, ce que j’avais moi-même commis avait ensuite suffit pour que je me permette de ne pas le laisser disparaître finalement, pour l’amener ici, où tout le reste se taisait pour enfin nous laisser parler.

Cette dernière éventualité demeurait encore en pourparlers, de mon côté comme du sien pour des raisons différentes certainement, l’une d’entre elles pour Joseph ne demandant qu’à être soulagée, oubliée au fond d’un bac de douche, l’odeur de la cellule remplacée par une autre plus agréable mais éphémère car superficielle. Une trompeuse, voilà tout ce qu’il se donnait sans doute le droit d’espérer alors que je le laissais justifier son besoin par l’embarras provoqué par la propreté des lieux. Je discernai le sourire venant s’esquisser sur son visage, ce dernier ressemblant étrangement au mien, fugueur et instinctif avant de retrouver sa mélancolie et sa réserve. Il semblait souligner chez nous deux les pensées ou souvenirs que nous voulions taire. « Tu as peut-être besoin de changement. » Ou que tout redevienne comme avant. Mais non, le reste du monde continuait de m’intimer à avancer, à tourner la page, à oublier. Je retins un froncement de sourcils désabusé mais finis par hausser les épaules dans un mouvement invisible, frôlement de l’air hiératique ayant déjà entendu et recueilli bien pires conclusions de ma condition que celle-ci. Le changement comme remède, puisqu’il en fallait un, pour que dans cette maison, pas un endroit, pas un bruit ne continue de me rappeler la présence de ma fille. Un remède, puisqu’il en fallait un, pour qu’il ne me suffise pas de fermer les yeux pour la retrouver, pour l’entendre, retardant ainsi le moment où il me faudrait de nouveau les ouvrir pour affronter la réalité, confronter son absence creusant à chaque fois de nouveaux sillons de douleur au plus profond de mon être. Il avait raison bien entendu, ils avaient tous raison mais depuis quand décidais-je de me rallier aux opinions des uns pour leur seul bon sens ? Aujourd’hui ne faisant vraisemblablement exception, je me contentais de lui indiquer la présence de la salle de bain au fond du couloir devant lequel nous nous étions arrêtés, suggérant la présence d’une pizza à son retour à laquelle, sans surprise, il ne fit qu’adhérer en silence et à l’aide d’un pouce levé dans ma direction. Je laissais mes doigts habitués pianoter sur l’écran de mon téléphone en revenant sur mes pas pour passer commande. Depuis quand n’avait-il pas mangé ? Il mentirait sûrement si je le lui demandais, l’envie de l’interroger me manquant de toute façon car rien ne me paraissait plus hypocrite aujourd’hui qu’une misérable tentative de ma part de donner la leçon. Depuis quand n’avait-il pas eu l’occasion de se doucher comme il le faisait à présent ? À cela aussi, je ne réfléchissais pas. De sa vie, je ne connaissais plus rien. Ce qui avait précédé son arrivée au commissariat me demeurait inconnu et seul le visage pourtant familier de l’inconnue l’ayant rejoint dans sa cellule semblait aller et venir dans mon esprit désireux de passer outre le reste, ce que j’avais entendu et deviné.

D’une impulsion, je délaissais mes chaussures, retrouvant le sol tiède sous la plante de mes pieds dénudés alors que je retrouvais mes habitudes nocturnes, délaissant ma veste à l’entrée pour retrouver ensuite le cœur de la maison. Les lumières du réfrigérateur éclairèrent la cuisine durant quelques secondes avant que je ne la referme distraitement dans mon dos, ramenant une bouteille avec moi jusqu’à l’interrupteur que j’actionnai au passage, à la recherche du décapsuleur. Joseph se déplaçait silencieusement, je pouvais le lui reconnaître comme je l’avais toujours fait. Cela ne m’empêcha pas de percevoir sa présence derrière moi alors que la bière s’emparait sur l’instant de mon palais, s’écoulant dans ma gorge et me paraissant glacée, presque brûlante, ironie douceâtre tant le tabac ne semblait, lui, plus capable du moindre effet. « Je peux t’en proposer une ou non ? » lançai-je simplement en lui tournant toujours le dos, relevant simplement la bouteille en arrière dans ce que j’imaginais être sa direction. Les addictions qui semblaient être les siennes s’étendaient-elles à l’alcool ? Peut-être aurais-je du m’interroger avant de succomber à la mienne. Peut-être, oui. « Je n’ai pas de fringues de rechange. Je dois laver les autres dans mon sac, aussi. » Je me retournai finalement pour constater ses dires, laissant le comptoir s’appuyer dans mon dos alors que je retrouvai son regard embarrassé, la serviette nouée autour de sa taille à laquelle ses doigts se rattachaient par réflexe. « Je pourrais… Emprunter un truc ? » Je portai le goulot à mes lèvres une nouvelle fois, à peine quelques secondes, bien trop peu certainement pour me permettre de trouver la réponse adéquate, celle qui prendrait en compte mon mari et ses ressentis, celle qui ne lui donnerait pas envie de ; qu’avait-il dit déjà ? ; le jeter par la fenêtre. « Suis-moi. » statuai-je finalement en acquiesçant doucement avant de quitter la cuisine pour retrouver une pièce presque adjacente qu’il devinerait être la buanderie à la vue de la machine à laver et des vêtements propres pliés n'ayant pas encore eu le temps d'être rangés. J’abandonnai la bouteille sur l’un des meubles pour me saisir d’un t-shirt au milieu des chemises soignées, la chance me souriant d’y trouver à ses côtés un jean pourtant souvent délaissé par Jacob au profit de ses costumes habituels. Depuis quand ne l’avais-je plus vu vêtu ainsi ? Depuis quand ne l’avais-je plus vu autrement que sur le départ pour le travail ou l’un de ses voyages d’affaires ? Je chassais ces pensées sans rien laisser paraître, me contentant de tendre les habits à Joseph, mon regard ne s’égarant pas mais attrapant pourtant sans ciller le trajet de ses veines violacées à certains endroits, le souvenir d’anciennes plaies également se confondant à la douleur plus aiguë des inattentions qu’il s’infligeait de nouveau. « Ça devrait t’aller. Tu n’auras qu’à y mettre le reste de ton linge, si tu veux. » indiquai-je en désignant simplement d’un signe de tête la machine vide. Je m’arrêtai après quelques pas pour le contourner, m’arrêtant finalement sur le pas de la porte, à quelques mètres de lui. « Comment tu te sens ? » demandai-je finalement calmement, en plissant les yeux. Tous les lieux se valent pour souffrir, Liv. Ici ou ailleurs, il avait mal certainement mais je précisais déjà pour ne pas le laisser avoir à énoncer clairement le mal-être physique puisque je l’interrogeais sur l’ailleurs. « Parce que tout le but de ta venue ici réside dans ça. La journée a été longue et je ne prétends pas effacer les dernières années mais … » Je m’interrompis une seconde avant de soupirer, presque : « C’est moi, d’accord ? » Et je soupirais, oui, parce que je n’oubliais pas ce que je lui avais dit le matin-même, ce que j’avais démenti sans pitié : comment pouvait-il savoir ce que cela signifiait aujourd’hui ? « Pour ce soir au moins, alors arrête d’avoir l’air si gêné. » Car les mots de l’aube étaient sortis une fois et avaient fini par sonner faux le reste de la journée. Ils devraient continuer à sonner ainsi ce soir et je les reniais concrètement à présent, refusant de leur permettre de rester présents dans les silences que nous nous imposions. Pour ce soir au moins.







solosands
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
Invité
  

heart with no companion (joseph) Empty
Message(#)heart with no companion (joseph) EmptyMar 21 Juil 2020 - 18:51

« Je peux t’en proposer une ou non ? » Ce sont les premiers mots que lance Olivia lorsqu’elle sent derrière lui la présence de celui dont la peau était rougie par la chaleur de la douche. Le regard de Joseph se pose en biais sur la bouteille de bière qu’elle désigne et il glousse en se pinçant les lèvres. L’alcool n’a jamais fait partie de ces poisons qu’il avalait trop souvent pour chasser certains souvenirs : il a essayé à plusieurs reprises et s’est rapidement rendu compte que sa mémoire ne pouvait se faire déjouer par l’ivresse. Si ça avait été le cas, depuis longtemps il aurait oublié son nom de famille, d’où il vient et où il va. Il ne verrait plus le visage de sa sœur quand il ferme les paupières, ni l’alliance brillante à son doigt, ni l’expression hypocrite qui noue son visage jusqu’à ce que le mensonge ne soit plus la solution. Il serait seul dans ce monde et ne craindrait plus cette solitude avec laquelle il est né. « Oui. » Qu’il répond donc sans s’expliquer davantage. Elle lui a dit qu’elle lui faisait confiance. Cet alcool ne fera qu’hydrater sa gorge asséchée, rien de plus. Il ne sera ni émotif, ni violent, ni excité. De l’eau au goût de fer, c’est ce qui s’accumulera dans son estomac vide qui ne crie plus famine depuis des semaines, ayant préféré gruger ses forces dans les muscles que Joseph avait bâtis derrière les barreaux.  

Un corps dont il n’a cependant pas honte, si ce n’est que pour son dos recouvert des fossiles d’une enfance tourmentée. Ainsi, il se présente devant Olivia seulement vêtu d’une serviette enroulée autour de ses hanches. Cela fait trop longtemps que la pudeur ne fait plus rougir ses joues. Malgré tout, il se permet de pousser sa chance en demandant à la jeune femme si elle n’aurait pas quelques vêtements à lui prêter. Il est conscient qu’il lui demande de fouiner dans les habits de son mari. « Suis-moi. » Elle répond après avoir réfléchit plusieurs secondes en se rinçant la bouche avec de la bière. Docile, il suit son hôtesse jusqu’à ce qui s’apparente à une buanderie. Il ne peut empêcher ses yeux de noter le moindre détail dans cette pièce qui paraît si grande pour seulement contenir des machines à laver. Alors qu’Olivia glisse ses fins doigts entre des fringues à l’allure masculine, il porte sa propre bière à ses lèvres et détourne le regard pour mieux apprécier le goût amer qui l’avait tant dégoûté la première journée qu’il a trempé ses lèvres dedans. Il faut dire que de commencer avec de la vodka n’avait pas été le meilleur moyen pour laisser à sa langue le temps de s’y faire. « Ça devrait t’aller. Tu n’auras qu’à y mettre le reste de ton linge, si tu veux. » Sa voix sort le garçon de ses pensées et il tend le bras pour attraper les fringues qu’elle lui présente. Il note subtilement dans sa tête l’information selon laquelle lui et son mari possèdent une carrure semblable. « Merci. Je ferai ça. » Il lui offre un sourire bienveillant, coinçant le t-shirt et le jean contre son torse dans le but de dissimuler les veines violettes sur lesquelles les yeux d’Olivia avait timidement divagué. Il remarque le plus discret des regards : il en a l’habitude maintenant qu’il capte la moindre attention rivée sur lui dans la rue. Il sait que son corps ne correspond pas à celui d’un homme qui a su s’engager sur la bonne route sans jamais dévier de son objectif. Il sait aussi que ce dernier n’attire pas la pitié. Parce qu’il a été étiqueté, Joseph, et il n’est rien de plus qu’un camé, pas vrai ? « Comment tu te sens ? » Une fois sa salive avalée, Joseph hoche la tête comme à toutes les fois qu’on lui pose cette question. Il ne saurait plus décrire ce qu’il ressent. Des dizaines d’émotions se percutent, se renversent, se heurtent dans sa poitrine sans que le jeune homme ne puisse déterminer l’inspiration d’une seule. Il a fini par ne plus les écouter, ces guerrières. Il a lu des milliers de roman mais ne pourra jamais trouver les mots pour s’exprimer. « Ça va. J’ai un peu froid mais ça ira mieux dans quelques secondes. » Il désigne les vêtements qu’il tient encore contre lui en soufflant un rire discret. « Parce que tout le but de ta venue ici réside dans ça. La journée a été longue et je ne prétends pas effacer les dernières années mais … C’est moi, d’accord ? » Il respire doucement, profitant un moment du silence pour remettre ses idées en place, quoi que ce soit un casse-tête plus compliqué que prévu. En s’offrant une seconde gorgée de bière, il hoche la tête. C’est difficile, pour lui, de délier Olivia de son métier. Ils sont le froid et le chaud, l’eau et le feu, le bien et le mal. Cela paraît ironique pour celui qui a été invité dans la baraque d’une femme qui passe sa journée à glisser les menottes aux poignets de ceux qui ont commis les mêmes fautes que Joseph. « Ce n’est pas de la gêne. » Il affirme rapidement quand Olivia le prétend. Le temps s’est écoulé rapidement et les a séparés. Posant son corps contre le machine à laver, il scrute le carrelage uni, l’utilisant comme écran pour projeter l’un de ses plus beaux souvenirs. « Tu te souviens de cette fois-là, dans la rivière. » Ses yeux se plissent légèrement comme s’il sentait à nouveau les rayons du soleil aveuglant contre ses pupilles fragiles. Il revoit les feuilles danser au-dessus de sa tête et entend à nouveau les cliquetis des vagues contre ses oreilles à moitié submergées. « Je me laissais flotter à la surface de l’eau et tu m’as dit que jamais nous ne serions obligés de devenir ce que les gens veulent nous voir devenir. » Il marque une pause, les yeux humides, la gorge nouée. Et il relève enfin la tête pour plonger le bleu de ses yeux dans celui d’Olivia, noisette. « J’aurais dû t’embrasser à ce moment-là. Parce que tu avais tellement raison. J’aurais dû m’accrocher à cette simple idée, pas devenir le contraire de ce qu’on attendait de moi simplement parce que je voulais prouver au monde que personne n’avait d’emprise sur moi. » Silence, puis haussement l’épaules. « Mais il est trop tard, pas vrai ? Je ne l’ai pas fait alors tu es partie parce que j’ai complètement merdé. Tu avais raison de le faire et je suis tellement désolé. » Et, derrière ses paupières closes, il voit le visage de la jeune Olivia qu’il a connue disparaître, comme si même ses propres souvenirs ne lui permettaient pas de modifier un passé fictif.            
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
Invité
  

heart with no companion (joseph) Empty
Message(#)heart with no companion (joseph) EmptyVen 24 Juil 2020 - 17:36


Olivia Marshall & @Joseph Keegan ✻✻✻ Si ce n’était qu’une histoire d’entailles ou de balafres, sans doute ne les comptait-il même plus. Ou peut-être connaissait-il, comme moi, l’emplacement exacte de chacune, capable de définir leur forme, leur taille, leur origine et la douleur qu’elles avaient provoqué au moment de leur naissance. Je m’en étais défaite, finalement, détachée car elles avaient su s’apaiser au fil des années mais que cela ne semblait pas être le cas de Joseph, face à moi. Les séquelles attirant mon attention n’étaient probablement pas celles qu’il imaginait alors qu’il s’emparait des vêtements que je lui proposais comme si ces derniers étaient capables de dissimuler ce qui transpirait pourtant de chacun des pores de sa peau. Peu importe les cicatrices qu’il chercherait à cacher aux regards indiscrets, lignes brisées inscrites sur sa peau au travers desquelles était-il possible de lire toutes ses carences, Joseph semblait s’en infliger de nouvelles, chaque jour, lacérant son esprit de souvenirs et de remords jusqu’à ce que son cœur ne le supporte plus. Je l’imaginais s’être rendu compte, depuis longtemps déjà, que cette douleur était égale au rasoir tranchant la chair, incapable pour autant de s’abstenir et de trouver la force de se préserver. Je n’étais pas dupe, je n’avais rien ; rien pour l’apaiser, rien pour le préserver, rien pour le protéger, rien pour qu’il se pardonne ce qui l’avait poussé aujourd’hui à s’enfermer au fond même d’une cellule. Rien d’autre que ce semblant de repos cahoteux et fragmenté qui ne durerait que le temps de quelques brisures de nuit, rien d’autre que des miettes d’un passé sans doute chaotique mais toujours plus lumineux, toujours plus chaleureux que ce présent pesant avec fracas. Rien d’autre que quelques heures de répit dans l’affrontement inexistant qui avait été le nôtre toutes ces années avant que demain ne resurgisse, nous arrachant ainsi à cette permission d’absence. « Ça va. J’ai un peu froid mais ça ira mieux dans quelques secondes. » Je l’écoutais à peine, cette réponse, car elle n’en était pas une, car il brodait comme à son habitude, donnait le change car il ne savait plus faire autrement. Peut-être était-ce avec tout le monde, ou peut-être avions-nous légitimement perdu la familiarité quelque part au sein de la décennie de silence dans notre sillage. « Ce n’est pas de la gêne. » Non ? Je voulais bien le croire cette fois-ci, la négation se précipitant à ses lèvres trop rapidement pour être calculée, enveloppée d’ornements supposés tromper ou rassurer. Pas de la gêne, d’accord.

« Tu te souviens de cette fois-là, dans la rivière. » Je fronçai imperceptiblement les sourcils en quittant le seuil de la porte, avançant de nouveau de quelques pas lents au sein de la pièce pour ne pas interrompre les souvenirs dans lesquels il se plongeait de nouveau, ceux qu’il essayait de me partager. Des fois, il y en avait eu plusieurs, des souvenirs également. Déjà pourtant, je permis à mes pensées de plonger de nouveau, absorbées par la musique ondulante des vagues fraiches et du rire de Joseph. Déjà pourtant, je me revoyais suspendue à la surface de l’eau, les cheveux flottant en couronne autour de mon visage apaisé car, l’espace de quelques heures, les angoisses du domicile familial se noyaient en son fond, emportant avec elles l’ombre arrimée à mon corps. « Je me laissais flotter à la surface de l’eau et tu m’as dit que jamais nous ne serions obligés de devenir ce que les gens veulent nous voir devenir. » Je m’étais arrêtée finalement, à quelques mètres de lui, le sèche-linge dans mon dos sur lequel je ne pensais pas à m’appuyer, trop occupée à l’écouter, à prendre garde aux émotions traversant le visage de celui que je revoyais adolescent l’espace d’une seconde, à celui qui semblait prendre son temps pour revivre l’instant décrit. « Cette fois-là, oui. » repris-je d’une voix basse puisque je m’en souvenais, oui. Je me souvenais de la lumière du soleil montant au-dessus de nos silhouettes, celle des promesses d’un avenir imaginé ce jour-là, un qui n’était pas encore écrit et qui ne demandait encore qu’à devenir. Je m’en souvenais mais peut-être n’était-ce pas là une chose que j’aurais aimé me permettre car la distance s’amenuisait, celle que je m’acharnais à instaurer entre moi et le reste du monde, persuadée que du manque d’empathie survenait le contrôle et l’efficacité, parasitée par les sentiments associés à toute réminiscence. Le regard de Joseph, pourtant, laissait d’ores et déjà affleurer l’empreinte d’une vie antérieure que nous avions en commun et je ne l’interrompis pas tant l’incandescence de cette dernière semblait brûler ses lèvres. « J’aurais dû t’embrasser à ce moment-là. Parce que tu avais tellement raison. J’aurais dû m’accrocher à cette simple idée, pas devenir le contraire de ce qu’on attendait de moi simplement parce que je voulais prouver au monde que personne n’avait d’emprise sur moi. » Les mots arrivaient et je les entendais tous, les recevais sans ciller malgré le silence que je n’arrivais pas à rompre à présent qu’il le laissait de nouveau s’installer. Il était trop tard à présent puisqu’il me semblait que ma réponse aurait dû survenir des années plus tôt, cette fois-là, et qu’à mes mots l’ayant marqué auraient dû suivre ceux lui promettant que son courage ne dépendait pas de la foi placée en lui par autrui, par moi, par n’importe qui, mais de lui seul.

« Mais il est trop tard, pas vrai ? Je ne l’ai pas fait alors tu es partie parce que j’ai complètement merdé. Tu avais raison de le faire et je suis tellement désolé. » Il était trop tard, puisqu’il reprenait mes pensées comme si celles-ci se lisaient en filigrane de mon regard voilé, caché l’instant d’après par mes paupières que j’abaissais l’espace d’une seconde sur ce qui nous entourait, ce qu’il avait semblé jauger, juger sans même s’en rendre compte, ce qu’il ne comprenait pas quoiqu’il en dise, quoiqu’il s’imagine. L’ordre environnant tant recherché, tout à coup insupportable, dissocié de l’image fracassée, décomposée de ce qu’était devenue cette vie étant la mienne, cette vie de laquelle je cherchais tant à m’éloigner sans jamais réussir à m'en arracher. « Tu as bien fait de ne pas le faire. » Mon regard vint se poser sur lui de nouveau, à l’instant même où ces paroles s’échappèrent de mes lèvres. De tous les regrets qu’il semblait porter en lui, je pouvais lui ôter celui-ci. « Je n’aurais pas su rester, je n’aurais pas pu t'empêcher, peu importe ce que tu penses deviner de moi en me voyant aujourd’hui ou que j’aie pu avoir raison à cette époque. » Peu importait puisque les miens de remords voguaient aussi autour de moi, multiples et mouvants, compagnons loyaux qui jamais ne m’abandonnaient, leurs crocs plantés dans ma chair, avivée par chaque mouvement. « Regarde où ça m’a menée. » J’écartai mes mains d’un geste vague et sans emphase, consciente néanmoins qu’il lui manquait les éléments nécessaires à la compréhension du tableau que je peignais devant ses yeux fatigués. « Je n’ai pas su pardonner aux personnes qui le méritaient. J’ai un insigne que je ne pense plus honorer, une maison qui ne sait plus m’accueillir. Mon mari ne prend plus la peine de rentrer parce qu’il me croit ailleurs, ou avec un autre, n’importe qui, et ma fille … » Jusqu’à l’effacement, ma voix s’était amenuisée, soudain pesante, l’envie pourtant lancinante de m’acquitter de cet aveu, celui-là aussi ; celui-là surtout. « Ma fille, je l’ai enterrée et ne me suis jamais relevée depuis alors tu vois … J’ai eu une vie, voilà ce que j’en ai fait. » reprenais-je après m’être interrompue un instant en inspirant, l’air s’infiltrant dans mes poumons de la plus douloureuse des manières alors que je retrouvais mes inflexions profondes quoiqu’éraillées, comme à leurs habitudes. « Tes regrets, je les entends aujourd’hui mais celui de ne pas m’avoir embrassée ce jour-là ne devrait pas en être un. » Parce que s’il avait merdé selon lui, j’avais fini par échouer moi aussi, lamentablement. À la différence près que j’avais attendu de tout posséder, attendu d’être heureuse, attendu d’être comblée pour ensuite tout abandonner, incapable d’appliquer mes conseils d’adolescente à l’adulte que j’étais aujourd’hui, incapable de rattraper ce qu’il me restait de précieux lorsque l’essentiel à mes yeux, l’essentiel à ma vie m’avait été enlevé. Des sourires et du soleil, voilà l’image que je gardais de cette fois-là, à la rivière, il ne devait pas l’assombrir d’autre chose.







solosands
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
Invité
  

heart with no companion (joseph) Empty
Message(#)heart with no companion (joseph) EmptyVen 24 Juil 2020 - 19:06

Une seule bouteille de bière ne sera pas assez pour aider Joseph à tenir debout. Alors qu’il trempe ses lèvres dans l’alcool, encore et encore, ce dernier n’a aucun effet. Joseph reste toujours aussi lucide : ses souvenirs semblent aussi clairs que l’eau de la rivière dans laquelle lui et Olivia se laissaient bercer pour laver les restes de la journée passée. Les coups, les ecchymoses, les regards hautains, les insultes, l’estomac vide, les doigts tremblants sur le téléphone, l’odeur métallique de la minuscule pièce de monnaie trouvée sur le bitume chaud. Il n’y avait que le rire de la jeune femme qui arrivait à masquer le grincement des pneus des voitures empruntant le petit pont de pierres sous lequel Joseph fermait les yeux en sachant que le sommeil ne viendrait pas. « Tu as bien fait de ne pas le faire. » Gorge nouée, surprise contenue sur son visage, il redresse enfin la tête pour croiser le regard de celle qui s’est légèrement rapprochée pour mieux entendre son histoire. Il observe ses lèvres pour deviner les mots avant qu’ils ne soient prononcés. Ce n’est pas une peine d’amour parce que, l’amour, il n’a jamais su l’apprivoiser au même titre que la haine. Olivia était là quand il n’y avait personne. Elle lui a tendu la main en ignorant la saleté sur celle de Joseph. S’il l’avait embrassée, il l’aurait fait pour la remercier, pour lui promettre de ne plus faire d’erreurs. Et peut-être pour lier leurs destins à la fois similaires et différents. Il ne serait pas parti ; du moins, il croit que les choses ne se seraient pas passées de la même façon. « Je n’aurais pas su rester, je n’aurais pas pu t'empêcher, peu importe ce que tu penses deviner de moi en me voyant aujourd’hui ou que j’aie pu avoir raison à cette époque. » Silencieux, il la laisse exprimer ce qui compresse son cœur. Il aimerait hurler qu’elle n’en sait rien, que la suite de l’histoire n’aurait pas emprunté les mêmes pages du roman. Que, lui, il n’aurait pas senti le besoin de trouver quelqu’un d’autre, ou, même, une famille entière à aimer. Parce qu’il aurait eu Olivia. « Regarde où ça m’a menée. » Entraîné par le mouvement ample des mains de la jeune femme, il détaille la pièce qui l’entoure, incapable de comprendre où ses propos souhaitent le mener. Il voit une salle assez grosse pour contenir deux machines à laver, des armoires et une planche à repasser. Une salle qui aurait pu l’héberger quand la pluie coulait sur son front. Il perçoit dans le ton de sa voix le regret mais, sa source, il ne peut la deviner. « Je n’ai pas su pardonner aux personnes qui le méritaient. J’ai un insigne que je ne pense plus honorer, une maison qui ne sait plus m’accueillir. Mon mari ne prend plus la peine de rentrer parce qu’il me croit ailleurs, ou avec un autre, n’importe qui, et ma fille … » La pause marquée attaque le cœur de Joseph qui se met à battre rapidement, précipitamment. Il a l’impression de déjà savoir la suite. Cette chambre était inanimée, claire mais sombre, propre mais sale. Plus personne ne se glissait sous ses draps ou prenait dans ses bras le coussin en forme de dauphin pour chasser les cauchemars. Incapable de supporter la suite, Joseph baisse les yeux et serre contre sa poitrine les vêtements empruntés comme s’il souhaitait disparaître avec eux. La mort est une énigme pour lui. Un concept à la fois si clair et si incertain. Un destin qu’il n’a jamais désiré mais qu’il n’a jamais craint. Mais, s’il y a une seule chose qu’il sait à son propos, c’est qu’elle devrait être condamnée lorsqu’elle emporte avec elle l’âme d’un enfant trop jeune. « Ma fille, je l’ai enterrée et ne me suis jamais relevée depuis alors tu vois … J’ai eu une vie, voilà ce que j’en ai fait. » Le silence est pétrifiant. Joseph expire doucement afin de contenir les larmes qui couvrent ses yeux. Il cligne rapidement des paupières pour calmer la brûlure même si cette dernière est plus supportable que la vérité qui vient de se libérer des lèvres d’Olivia. Il se déteste de ne pas savoir quoi dire, quoi faire. Il a eu tort de penser égoïstement qu’il a été le seul à écoper. « Je suis désolé. » Ce sont les seuls mots qu’il arrive à prononcer. Pas parce que sa gorge est nouée ou parce que sa langue est asséchée, mais bien parce qu’il se répugne. Il l’a vue, la chambre. Il a senti l’odeur de l’absence entre ses murs mais jamais il n’aurait pu la lier à la perte d’une petite fille. « Désolé de ne pas avoir vu ta peine. » Enfin, il se permet de la regarder à nouveau pour découvrir son visage démoli et ses membres tremblants. C’est un spectacle auquel il ne pensait pas assister et c’est pour cette raison qu’il le pétrifie autant. « Tes regrets, je les entends aujourd’hui mais celui de ne pas m’avoir embrassée ce jour-là ne devrait pas en être un. » Les choses se seraient passées autrement. Ou elle aurait fui. Il ne sait rien de cette autre dimension dans laquelle il a posé ses lèvres sur les siennes lorsque son front et ses longs cheveux protégeaient ses yeux du soleil. « Tu n’as pas choisi de perdre ta fille, ou de ne plus voir ton mari rentrer tous les soirs. Je t’interdis de penser le contraire. Tu as fait de ton mieux, j’en suis certain. Regarde où tu en es. Tu veilles sur la ville, tu aides un pauvre type qui, lui, a choisi de perdre ce qu’il avait de plus précieux. » Il secoue la tête de droite à gauche, gonfle sa poitrine d’un air difficile à inspirer et souffle tout avant de laisser sa curiosité prendre le dessus. Parce qu’il veut savoir son histoire. Il veut savoir pourquoi elle s’en veut autant. « Je vais te rejoindre dans quelques minutes. » Il désigne son accoutrement plutôt inexistant et lui offre un minuscule sourire qui se veut réconfortant mais qui ne le réconforte pas lui-même. « Je ne crois pas que c’est une discussion à avoir avec une serviette autour de la hanche. » Parsemer ses phrases d’humour est sa seule défense contre la peur de la suite.

Cinq minutes. L’aiguille des secondes n’a fait le tour que cinq fois quand il revient dans le salon vêtu d’habits très légèrement trop grands pour son corps musclé mais affamé. Il a ramené ses cheveux encore humide en chignon sur sa tête. Il retrouve Olivia et se permet enfin de se poser sur le canapé qu’il ne peut plus salir. Quelques secondes plus tard, les ongles de Loki tapent contre le plancher et l’animal vient s’assoir sur les pieds de Joseph qui esquisse un sourire timide. « T’avais raison. Il m’a rapidement accepté. » Puis, reprenant rapidement une expression compatissante, il demande enfin : « Qu’est-ce qu’il s’est passé ? » Quelle horreur t’a contrainte à enterrer ta propre fille ?          
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
Invité
  

heart with no companion (joseph) Empty
Message(#)heart with no companion (joseph) EmptyVen 31 Juil 2020 - 17:19


Olivia Marshall & @Joseph Keegan ✻✻✻ C’était peut-être injuste mais je ne pouvais m’empêcher de ne pas prendre au sérieux ses quelques confessions, ses regrets qui n’en étaient pas vraiment, ses espoirs d’un avenir différent qui ne me semblaient pas reposer sur quoique ce soit de tangible puisqu’il les plaçait en moi justement, en un baiser qui n’avait pas eu lieu, en un baiser que je ne le pensais pas avoir véritablement désiré à cette époque, dont il regrettait l’inexistence aujourd’hui qu’afin d’y déplacer le reste de ses remords. Ce n’était pas moi qu’il regrettait d’avoir vu partir, de ne pas avoir su saisir. C’était sa vie, telle qu’il l’avait imaginée ce jour-là dans la rivière ; n’est-ce pas ? Et comme l’eau de cette dernière, les déceptions cuisantes revenaient aujourd’hui se faufiler jusqu’au sein des creux les plus infimes, dégorgeant afin de revenir sous une autre forme, une qu’il me laissait entendre, une que je ne pouvais faire autrement que de renier car ce qui était fait était fait et que chacune de nos actions demeurait sans retour. Elles l’étaient et je reviendrais, en un cillement, sur chacun des instants que je lui décrivais à mon tour, sur chacune des décisions qu’un seul et même évènement avait provoqué, deux ans plus tôt. J’ignorais encore ce qui me prenait de lui dévoiler cela, de lui révéler l’intime sans qu’aucune interrogation ne l’ait précédé. Peut-être était-ce plus compliqué de feindre avec Joseph, quoique j’en dise, quoique je m’étais laissée aller à essayer de lui faire comprendre ce matin. Peut-être était-ce plus facile de continuer à dissimuler ou à taire ce qui me brûlait pourtant de l’intérieur lorsque je n’avais en face de moi que le visage de personnes n’ayant eu à faire qu’avec celle que j’étais devenue aujourd’hui. Mais Joseph avait eu droit à toute la palette de mes émotions depuis nos premiers souvenirs, celles que j’apprenais à peine à l’époque à surveiller, à contenir, à discipliner. Il ne rendait pas les choses faciles, non, mais plus rien n’était supposé l’être, nous touchions à la vérité. Je pouvais le voir, à présent, lutter contre mes démons se mêlant aux siens et j’aurais pu m’en vouloir de les lui infliger si je ne détournais pas déjà le regard, soudainement épuisée. Il cherchait les mots à venir, ceux qui n’allègeraient rien, ceux qu’il fallait trouver néanmoins pour ne pas laisser au silence le soin d’amplifier les précédents. Je comprends, tu sais. Je comprends qu’il n’y ait rien à dire.

Mais Joseph n’était pas comme cela, quoique j’aurais aimé en penser, quoique j’aurais aimé l’oublier ; sa conscience demeurait déployée, son cœur ne demandant qu’à pouvoir se montrer aussi courageux qu’au premier jour. « Je suis désolé. » Je secouai lentement la tête, épargnant à mon regard la tâche d’affronter le sien, brillant. « Ne le sois pas. » Il n’avait pas à l’être, pour cela. Pour le reste, ses excuses avaient déjà été entendues, peut-être même acceptées sans que je ne me sois encore laissé aller à lui faire comprendre autrement que par sa présence ici. « Désolé de ne pas avoir vu ta peine. » Il le savait pourtant, que l’inverse m’aurait éloignée, presqu’aussitôt. Il l’avait su des années plus tôt, lorsque nous n’étions encore que des enfants. Il l’avait su lorsqu’il m’avait accueillie à chaque fois, un sourire aux lèvres et des aventures plein la tête pour me faire oublier les hématomes dissimulés. « Si tu l’avais vue, je t’en aurais voulu. » Et cela grinçait, cela sonnait comme un sarcasme qui n’avait rien d’amusant et tant mieux car cela n’était pas destiné à l’être, car rien ne me semblait plus réel que cette bataille que je voulais mener contre le reste du monde, celle consistant à ne jamais armer qui que ce soit de faits pouvant altérer ce que je laissais paraître, pouvant révéler ce qui se cachait en-dessous. « Tu n’as pas choisi de perdre ta fille, ou de ne plus voir ton mari rentrer tous les soirs. Je t’interdis de penser le contraire. Tu as fait de ton mieux, j’en suis certain. Regarde où tu en es. Tu veilles sur la ville, tu aides un pauvre type qui, lui, a choisi de perdre ce qu’il avait de plus précieux. » Je fronçais les sourcils, passais sans doute une main désinvolte sur mes paupières abaissées, simplement pour ne pas avoir à le regarder lorsque je le repris à voix basse : « T’es pas un pauvre type, Joseph. » S’il avait tort sur cela, il pouvait bien avoir tort sur tout le reste, n’est-ce pas ? Bien sûr. Je le pensais, néanmoins. Car je m’étais autorisée à penser qu’il n’avait plus rien à voir avec l’adolescent que j’avais connu et aimé, mais qu’il semblait également n’avoir plus rien à voir avec celui que j’avais fini par découvrir sous un autre jour plus tard. Peu importaient les délits commis et l’ayant mené au bord du gouffre, peu importait lorsqu’un autre du sort s’était également emparé de ma vie depuis, me forçant à changer d’angle ou de convictions. « Je vais te rejoindre dans quelques minutes. Je ne crois pas que c’est une discussion à avoir avec une serviette autour de la hanche. » Il n’avait pas besoin d’en dire plus pour que mes doigts accoutumés ne retrouvent déjà la forme familière de la bouteille froide, s’enroulant autour du goulot alors que j’acquiesçai silencieusement en retrouvant le seuil de la pièce, laissant simplement mes ongles clinquer contre le verre de la bière. « Il y en a d’autres d’où elles viennent. » Cela valait pour tout. Mais en attendant de voir ce que nous accepterions finalement d’approcher, d’affronter, je retrouvais le salon éclairé, le canapé usé de nombreuses nuits passées en son sein, l’identité de son occupant comme seule inconstance.

Ce soir, comme de nombreux autres, aurais-je pu m’y laisser tomber au versant le plus noir de la nuit ouverte, savourant en vain ces moments de solitude dans lesquels les défaites continuaient de résonner, attendant de me redresser dans la lumière verticale d’un matin indifférent pour recommencer, sans rien changer. J’eus à peine le temps, cette fois-ci, de finir ma bière que j’aperçus la silhouette de Joseph, dissimulée dans des vêtements trop familiers, retrouver la place qu’il n’avait pas eu l’envie de faire sienne quelques instants plus tôt. Il n’en fallait pas plus pour que Loki ne prenne cela comme un signal, un indice quant à la méfiance n’ayant pas lieu d’être et je l’observais, pensive, venir reposer ses quelques dizaines de kilos à proximité de Joseph. « T’avais raison. Il m’a rapidement accepté. » Son sourire vague provoqua le mien plus lointain encore et je hochai simplement la tête, comme s’il n’y avait pas eu de raisons d’en douter alors que celles-ci avaient été multiples et ombrageuses. « Qu’est-ce qu’il s’est passé ? » Comment faisait-il pour ne pas se décourager lorsque n’importe qui, moi la première, aurait sans doute préféré ne pas s’obstiner à rassembler les pièces du puzzle, préférant demeurer à l’écart tant la noirceur de ce tableau-ci semblait aussi opaque que l’eau coulant certainement au fond du fleuve à cette heure-ci. « Une voiture a heurté celle de mon mari, il y a deux ans. Ma fille était à l’arrière. » finis-je par laisser échapper en m’appuyant sur mes genoux, le regard ne dérivant pas de la silhouette apaisante du chien à ses pieds. « L’autre conducteur n’a jamais été retrouvé. » L’autre conducteur n’a pas encore été retrouvé ; voilà ce que j’aurais dû dire, voilà ce qui aurait été mes paroles quelques temps plus tôt encore. Sans doute me mordis-je l’intérieur de la joue avec plus de véhémence que je ne l’aurais imaginé à cette pensée, mes doigts retrouvant le paquet de cigarettes égaré sur la table basse alors que je poursuivais, presque lointaine. « Ils rentraient du cinéma, la première fois pour elle, une manière de lui faire oublier que je travaillais ce soir-là, que je rentrerais tard, je ne sais plus. » C’était faux, je m’en souvenais. Tellement que je portais déjà une cigarette à mes lèvres sans me soucier de soigner cette dernière, d’en épargner le filtre car les rôles ne devaient pas être inversés ; c’était à elle de me ménager. « Elle n’avait pas quatre ans alors tu sais … c’était peut-être plus pour moi que pour elle finalement. Elle ne m’en aurait pas voulu, j’aurais pu aller la voir simplement dans son lit en rentrant, la border. Essayer de faire mieux le lendemain, comme tu l’as dit. » De mon mieux, avait-il dit. Mais mon mieux n’avait pas suffi et ne suffisait plus jamais depuis. Mes doigts fébriles se crispèrent autour du bois de l’allumette et je ne parvins pas à faire naître la flamme, me résignant après quelques tentatives vaines à abandonner, un soupir vaguement inexistant aux lèvres alors que je relaissais tomber le paquet sur la table. « June. C’est son nom. » Il le restait, le resterait à jamais.







solosands
Revenir en haut Aller en bas

Contenu sponsorisé
  

heart with no companion (joseph) Empty
Message(#)heart with no companion (joseph) Empty

Revenir en haut Aller en bas
 

heart with no companion (joseph)

Aller à la page : 1, 2  Suivant