S'il joue, elle joue elle aussi. « Très drôle. Je voudrais pas te voler la vedette. » il éclate de rire parce que oui, même si elle a l'air presque furieuse, lui, il trouve ça marrant. Il se moque de sa bêtise, il se moque du monde entier qui pourrait taper du pied de le voir tanguer ses propres règles. Quand au final les musiciens ne sont qu'heureux de la voir rôder autour. Du sang neuf qui plus est fait sourire Jack de plus belle, elle a son golden ticket direct sans même avoir à forcer.

Le ukulele danse sous les yeux d'Elise, des fossettes se sont depuis longtemps creusé une place de choix sur les joues d'un Epstein ravi. « Tu as du mal comprendre le deal. Toi, tu joues. Moi, je mates. » de sa main libre, il tapote le banc à ses côtés. De l'autre, il fait mine avec un regard concentré et des sourcils froncés de finir d'accorder sa guitare. « Tu pourras très bien faire les deux, t'as une place juste ici, à côté de mon meilleur profil. » il n'est jamais requin, il n'insiste jamais non plus. Il est du genre à laisser la vie aller et à ne pas brusquer ; sauf peut-être maintenant qu'il redresse le menton vers elle, l'oeil brillant et le sourire qui l'est tout autant.

« Tu. Es. Horrible. » encore plus quand il se redresse tout beau tout fier de la voir prendre le ukulele et s'avouer vaincue. Elle est bien plus belle qu'elle ne l'a jamais été à cette précise seconde. « J'ai combien de temps pour devenir une pro du ukulélé ? » « Cinq minutes. Utilise-les bien. » il éclate de rire, sa paume désormais libre de l'instrument qu'elle a fait sien qui vient se nicher derrière sa nuque à elle pour lui voler un dernier et ultime baiser.

***

Le pire là-dedans, c'est qu'elle aurait facilement pu faire partie du groupe Elise. Elle s'est confondue au point où il est fier d'elle comme un con, comme un amoureux heureux qui ne la lâche pas des yeux. C'étaient des compositions faciles, relativement lentes, mais elle a su gratter la bonne corde quand il fallait. Et rien que pour ça, il la sent invincible le gars, il la sent reine du monde à défaut d'être drôlement vite devenue la reine du sien.

« S'ils te demandent un autographe, j'ai pas de stylo, trop désolé. » il se moque à son oreille, l'entraînant loin des autres et de la foule attroupée autour des musiciens pour l'amener vers les foodtrucks le temps d'attraper une petite bouchée.

Tu n'es pas à l'aise sur une scène. Encore moins en donnant une performance qui est loin d'être parfaite à tes yeux. Mais rien n'en paraît. C'est que tu as l'habitude de sembler parfaitement en contrôle quand ce ne l'est pas. C'est pas ta place ici. C'est ça place à lui. Et tu étais trop concentré à jouer la bonne note au bon moment pour pouvoir mater le bon profil de Jack. Vraiment désolant. Tu aurais assurément jouer une horrible fausse note si tu aurais osé lever les yeux vers lui.

Il y a ta main qui se glisse dans la sienne si naturellement qu'on dirait presque qu'elle y a toujours élu domicile. Oh ce qu'il va être brutale le retour à la réalité. « S'ils te demandent un autographe, j'ai pas de stylo, trop désolé. » Les mots qu'il glisse à ton oreille, le sourire qui apparait presque au même moment sur tes lèvres. Terriblement brutale. Encore plus quand tu l'arrêtes dans son élan de se rendre jusqu'au foodtruck, quand ta main parcours délicatement sa nuque et que tes lèvres retrouvent les siennes ultimement. « Merci de m'avoir invité. » que tu lui dis dans un souffle contre sa peau. Et c'est vraiment chiant que la réalité n'est pas ici, qu'elle est là-bas, ou c'est peut-être simplement parce que, justement, ce n'est pas la réalité que c'est si bon. Tu te surprends à te demander ce qu'aurait été ta vie si tu l'aurais choisis lui au lieu de Saül. Est-ce que ça l'aurait tuer, lui aussi, de ne pas avoir d'enfant ? Est-ce que vous auriez pu être heureux ?

« Pas touche ! » Sa main voleuse qui tente de piquer tes churros que tu repousses rapidement. Ton plat que tu mets égoïstement le plus loin possible de lui. Et bien sûr, tu sens une goutte de pluie te tomber en plein visage. Le ciel s'assombrit et bientôt ce sera le déluge et la température baissera d'au moins vingt degré - tu exagères à peine. Foutu Vancouver. « Trop. Pluvieuse. » Comme si le sol n'était pas déjà assez boueux comme ça.

S'il cherchait encore un signal pour confirmer à quel point ils étaient dans la merde, il vient à la seconde où Elise ancre son front au sien. L'une cherche les lèvres de l'autre, ou alors c'est Jack qui initie le prochain baiser - il a bien évidemment arrêté de chercher à compter. Quand elle le remercie de l'avoir invitée, lui, il trouve juste bon de sourire, juste bon de l'embrasser une fois et une autre encore. Autant qu'il voudra, autant qu'il faudra. Autant qu'il pourra.

« Pas touche ! » ne sert qu'à une chose, c'est-à-dire motiver Epstein à la ramener un peu plus vers lui, chatouillant chaque parcelle de ses côtes en tentant de trouver la bonne, celle qui baissera la garde d'une Elise qu'il voit lentement mais sûrement prendre ses marques dans un monde qui n'est pas le sien mais qu'il partagerait avec elle comme si c'était le cas sans hésiter une seule seconde. Pourtant, ses beaux discours de perdent entre ses éclats de rire et ses froncements de sourcils exagérés, le vieux gamin trop occupé à lorgner sur les churros pour voir le gros nuage noir qui - ironiquement - prend naissance au-dessus de leur tête. « Trop. Pluvieuse. » le gros nuage qui gronde et qui tonne, et les quelques gouttes de pluie qui se comptaient par dizaines en sont maintenant un infini.

Il rigole de plus belle, surtout en l'imaginant rager parce que le vent est glacial, parce qu'il la presse à courir, parce qu'ils ont de la terre poisseuse sur les mollets et parce que l'abri de fortune qu'il leur trouve réside en un parasol de stand à hot dogs graisseux menaçant de s'envoler sous la bourrasque. Ils sont détrempés quand ils se mettent à l'abri, lui rêvait de continuer à jouer dans les flaques d'eau mais il juge qu'elle aurait tué pour bien moins que ça. C'est qu'il commence à la connaître Elise, à mémoriser les détails, à les enregistrer autant qu'à se les rappeler lorsqu'elle n'est pas là. Être dans la merde, vous disiez? « La prochaine fois, c'est toi qui décide où on va. » ouais. Dans la merde. Bien plus que dans la boue.

Et entre deux éclats de rire, la pluie - le déluge plutôt - s'installe. C'était prévisible. C'est Vancouver. En quelques secondes seulement, vous vous retrouvez tous les deux complètement détrempés. Il y a le vent qui se lève, la fraîcheur qui te glace les os, tes cheveux qui te collent au visage. L'abris douteux de Jack qui, au finale, ne sert pas à grand chose. Gé-ni-ale Tes bras qui s'enroulent autour de lui, qui tente de lui voler toute sa chaleur. C'est peine perdue. Vos vêtements mouillés n'aidant en rien. Il y a tes dents qui claquent ensemble. « La prochaine fois, c'est toi qui décide où on va. » Ta tête qui se redresse pour le regarder. La prochaine fois, donc. Quelle idée insouciante que de parler des prochaines fois, d'un quelconque futur bâti ensemble, quand le présent ne devrait même pas avoir lieu. « Tu vas détester. » Il va détester ses voyages beaucoup trop luxueux. Ça va même probablement le surprendre à quel point ce le sera. Il va détester comme tu devrais détester être ici avec lui - okay, oui, en ce moment tu le détestes un peu. « On rentre ? » Quelle question! Bien sûr que vous partez d'ici. Il a intérêt à te trouver la douche la plus chaude qui soit.

* * *

Ça ne t'as pas surprise qu'il profite de son passage au Canada pour faire un arrêt sur la tombe de sa femme. C'est tout simplement logique vu le nombre de fois très peu élevé où il peut le faire. Ce qui t'as surprise par contre, c'est qu'il te demande de l'accompagner. Tu as eu envie de dire non, convaincu qu'elle ne voudrait pas que tu sois là, qu'elle n'approuverait sûrement jamais ce qui se trame entre vous deux - même si, au contraire, elle est (étais?) sûrement plus du genre à dire tant que tu es heureux, gnagnagna. Si tu n'as jamais vraiment compris comment Saül et Jack avait réussi à bâtir une amitié, ce devait être la même chose pour elle. Deux familles complètement opposés l'une de l'autre. Voilà ce que vous étiez. Alors, oui, tu as vraiment eu envie de refuser, mais tu as quand même accepté, parce qu'il semblait y tenir, parce que ça semblait important pour lui.

« Tu veux que je t'attende ici ? » que tu lui demandes juste devant l'entrée du cimetière. Tes mains que tu viens mettre dans tes poches tant tu ne sais pas quoi faire avec. Tu veux pas t'imposer. Tu veux pas briser leur moment à eux.

Le dernier arrêt - oh, comme l'appellation est crève-coeur. Il passe toujours ici Jack, quand il est en visite au pays. Il y vient et il s'arrête un temps, lui qui n'a pas pour habitude de rester stable et fixe sur ses pieds très souvent. Il est volage et il est éphémère, il s'envole pour mieux revenir en parfait petit solitaire qu'il a toujours été. Même avec elle.

Jude est de l'autre côté des grillages, par-delà la pelouse verte bien trop arrosée par les litres de pluies diluviennes des derniers jours. Il aurait préféré ne pas imposer ça à Elise, il aurait vraiment voulu qu'elle ne voit que le bon côté quand tout le reste est bien plus complexe, quand il n'arrive pas à mettre des mots sur rien et encore moins sur ce reste-là. Jude. Qu'il a aimée toute sa vie, qu'il aimera fort probablement jusqu'à ce qu'il en crève. Jude qui n'est plus et Jude qui lui manque à chaque jour.

Pourtant, il n'est pas inconfortable de venir ici avec Elise. Il n'est pas inconfortable d'avoir glissé sa main dans la sienne, de jouer avec ses jointures le temps de rattraper son souffle avant de le laisser se casser sur ses lèvres gercées d'avoir passé les dernières heures à chanter sur une scène et une autre.

« Tu veux que je t'attende ici ? » il connaît pas la procédure, il est un imbécile fini à ne pas savoir quoi dire et quoi faire en cet instant. Il veut qu'elle vienne, mais il a peur de la déranger, même si elle est là, même si elle ne bouge pas. Il veut être seul, mais il ne s'en sent pas la force, il veut tenter de se le prouver du moins. Évidemment que c'est pas gagné d'avance.  « Je reviens. » qu'il finira par souffler, une fois ses lèvres détachées de la tempe d'une Elise qu'il gardera dans ses bras autant pour se réconforter lui que la réconforter elle.

Il revient toujours Jack. Aujourd'hui comme demain.
Il a juste besoin de reprendre son souffle, il a juste besoin de faire la paix avec son premier amour. Comme si un jour il allait y arriver.