La vanne sur son handicap fait rire personne. Je sais qu’elle est de mauvais goût, elle l’a même pas vraiment cherché en plus, Grace, mais c’est plus fort que moi. Je sais qu’elle m’en voudra pas, qu’on soit filmé ou non, elle se retiendra pas de me descendre à la moindre occasion elle non plus. La Coughlin sort un petit "connard" pour agrémenter sa rétorque, et je pense qu’elle a oublié le fait qu’elle était filmée. Dans tous les cas, je pense que c’est surtout moi qui passerais vraiment pour un connard, mais est-ce que j’en ai quelque chose à foutre ? Non, pas vraiment. Au final, elle trouve une alternative, se dirige vers la maison d’une marche déterminée, et enlace le mec qui vient lui ouvrir. Pas mal comme stratégie Grace. Un sourire étire mes lippes quand je vois que le chauve pine que dalle, qu’il nous laisse passer peu importe si on a carrément l’air louche avec nos gros sacs. Isy a l’air de suivre le mouvement lui aussi. Il parle pas beaucoup, mais il a l’air convaincu que Grace nous sortira de là. Il a pas tout à fait tort au fond, c’est l’infirme qui nous va nous trouver de quoi nous remplir la panse.

“On parie 5$ sur l'équipe qui trouve où nous loger en premier ?”

J’ai pas vraiment envie de risquer mes 5 dollars, c’est pas que je fasse pas confiance à Sienna et ses compétences en terme de baragouinage, mais c’est risqué quand même. Je force un rire pour faire genre que je suis d’accord alors que je pense tout le contraire, et je suis Sienna qui est déjà partie à la conquête de bouffe, abandonnant le Grace et Isy. « T’es bien obligé d’avouer que t’as belle-fille a sacrément bien joué. » Je hausse les épaules. Evidemment qu’elle nous a un peu sauvé la mise pour ce soir, mais j’ai pas forcément envie de m’avouer vaincu. Alors que je vois un mec sortir un paquet de tabac pour se rouler une clope, je me souviens que j’ai toujours pas eu la mienne. Ma binôme doit me voir lorgner parce qu’elle m’annonce qu’on pourra faire le plein de clopes. Putain, qu’elle est intelligente. Je détourne finalement les yeux du mec et de ses clopes pour lui sourire. « Tu sais me parler toi. »

Alors que je la vois regarder ailleurs, elle m’attrape par le bras (décidément on se touche beaucoup pour des gens qui ne se connaissent pas) pour me guider vers la table qui me fait saliver. Je m’empare d’une part de pizza pour en croquer la moitié d’une seule bouchée juste avant que l’alarme incendie se mette à gueuler, mais je finis ma part et en reprends rapidement une autre. J’ai la dalle. « Tant pis si je me chope une aspergillose aux yeux à cause de la fumée, je sais pas quand on pourra remanger de la pizza. » que j’annonce la bouche pleine, pas trop effrayé par le potentiel incendie. Sienna a l’air un peu plus apeurée, et c’est une voix de femme qui la rassure. Moi je suis trop occupé à bouffer. On se retourne en même temps, elle sa pizza dans la main, moi la mienne dans la bouche. « Pourquoi avez-vous de si gros sac à dos ? Êtes-vous des backpackers ? » Ma binôme et moi on se regarde en souriant. « Non, on fait partie d’une émission Race of Australia. Nous cherchons un endroit où dormir ce soir. » Elle va droit au but, c’est bien. En plus elle demande même pas vraiment directement, c’est tout en douceur. La femme regarde son mari (je suppose qu’ils sont mariés puisqu’ils ont tous les deux la bague au doigt), et d’un regard ils se comprennent. « Nous serons ravis de vous accueillir chez nous. Nous savons ce que c’est que de sillonner les routes sans savoir si on aura un endroit où dormir. » P’tain, quelle aubaine. Les extincteurs automatiques se déclenchent alors que tout le monde reste en alerte à cause de l’alarme, et je m’empare de 3 autres parts de pizza pour éviter qu’elles prennent la flotte. J’avale ma bouchée avant de les remercier, comme quoi, la chance est toujours avec nous. « Ce serait vraiment très aimable à vous, on se fera tout petit. Par contre, on est avec Josh, notre caméraman. » Je le cherche du regard, il est en train de parler avec celui qui suit Isy et Grace. « Il fera donc parti du pack. » finis-je par dire en riant. « On ferait peut-être bien d’y aller par contre, si on veut pas finir complètement trempés. » que j’ajoute pour sous-entendre qu’on sera peut-être mieux dans un endroit au sec.

A l’aise comme un poisson dans une rivière polluée, Grace s’infiltre dans la soirée sans la moindre gêne ; salue les convives comme des vieux amis et se glisse près du buffet sans ménagement : stocker, et vite. Se nourrir sur le coup, en tout cas - on verra pour après, parce que son sac n'est pas exactement fait pour transporter des paquets de chips ou des pots de Vegemite et que voler directement sur la table risquerait bien de tous les foutre dehors. Équipée d'un verre de vin et d'un toast, elle se glisse au milieu des convives, espère passer inaperçue malgré l'énorme bagage qui lui barre le dos. Elle capte le regard d’Isaac, à quelques mètres de là : “Tu connais l’osmolarité ? Ben là, c’est pareil : tu te glisses dans la foule et tu t’y intègres. Personne pose jamais de questions, à ce genre de trucs.” Alors c'est ce qu'elle fait : elle s'intègre dans les groupes les plus ouverts, rigole de bon cœur des plaisanteries et se présente quand on lui demande. Elle se lie rapidement à une femme de la quarantaine, sensible à ses plaisanteries et à ses charmes exagérés, et enchaîne quelques verres de vin avec elle, à parler de tout et de rien. L'objectif est clair : rentrer avec elle, garantir un toit et un sommeil réparateur pour elle, Isaac, et l'équipe de trois qui les suit – si Greg et Sienna peuvent se glisser, tant mieux, mais demander à une bonne âme d'héberger dix personnes sans contrepartie, c’est un non assuré et un rejet total qu'elle n'est pas prête à envisager. Pour garantir son coup, elle multiplie les oeillades et le côté tactile : main sur le bras, sur l'épaule, à l'occasion dans le dos, Grace aurait pu à n'en pas douter être embauchée chez les Charlie’s Angels en tant que caution handicapée.

L'alarme incendie, c’est ce qui menace de tout foutre en l'air : les invités se ruent dehors, la dénommée Ava d'abord et Grace sur ses talons, laquelle cherche du coin de l'oeil l'autre moitié de son équipe. Poignée de toasts en main, la photographe entreprend de faire signe à Isy pour qu’ils se regroupent avec leur caméraman : “Tout va bien ?” lance-t-elle, un peu plus par réflexe que par réelle inquiétude : à l’intérieur, les douches anti-incendie se sont déclenchées, mais aucune fumée ne sort de nulle part et les convives sortent simplement pour éviter de finir rincés. “Isy, je te présente Ava. Ava, voici mon partenaire de route.” Si elle n’a pas confié à Ava qu’elle s’était incrustée à la fête, l’intéressée sait au moins que Grace fait partie d’une émission dont le but est de traverser l’Australie. “Enchantée. Vous avez quelque part où aller, si la fête est annulée…?” Le vous comprend tout le groupe mais c’est sur Grace que ses yeux restent. Tant mieux : “Non, pas vraiment. On espérait trouver un truc pas trop cher, pour cinq, tu sais, c’est un peu délicat, mais… T’as des adresses ?”  Elle agite une main outrée et offre son plus beau sourire au petit groupe, auquel l’autre caméraman et l’infirmier se sont greffés : “Pas de bêtises. J’ai de la place chez moi, je récupère ma fille vendredi soir.”

dé positif : Ava héberge tout le petit groupe d’Isy et Grace : trois dans la chambre de la gamine, au doux parfum de fraise et aux nombreux posters de Noah Centineo, et deux sur un clic-clac relativement confortable dans le salon.
dé mitigé : Il y a des lits, mais seulement pour quatre. Grace dort avec Ava, c’est très étrange, mais à la guerre comme à la guerre.
dé négatif : C’est dans le salon avec le chien sur des matelas de camping et des draps troués - Grace avait qu’à pas faire le chien de la casse et draguer tout le monde.

L'alarme incendie résonne, Dylan me dévisage avec des yeux ronds comme des soucoupes comme si j'en étais responsable et était doté d'un don de télékinésie. Un autre garçon, paquet de doritos épicées en mains, me fourre ses victuailles entre les bras pour se précipiter vers le salon. “Tiens, prends ça !” Il m'ordonne, alarmiste. Je fourre les chips dans mon sac à dos, persuadé que toute nourriture était dans tous les cas bonne à prendre dans le cadre de l'escapade au sein de laquelle je m'étais lancé, et le referme juste à temps pour éviter de jouir d'une carte prodigieusement trempée suite à l'enclenchement des extincteurs automatiques.

Je suis le mouvement à l'extérieur de la maison puis retrouve Grace et notre petit trio du tournage. “Tout va bien ?” J'acquiesce pour ma part, jette un coup d’œil aux autres en bonne étude de la situation. “Isy, je te présente Ava. Ava, voici mon partenaire de route.” “Enchanté, Ava.” “Enchantée. Vous avez quelque part où aller, si la fête est annulée…?” C'est que le charme de Grace est ravageur. “Non, pas vraiment. On espérait trouver un truc pas trop cher, pour cinq, tu sais, c’est un peu délicat, mais… T’as des adresses ?” “Pas de bêtises. J’ai de la place chez moi, je récupère ma fille vendredi soir.” Un large sourire reconnaissant apparaît spontanément sur mon minois. Désormais, il ne nous manquait plus qu'à ne pas perdre la trace d'Ava pour rejoindre son domicile et profiter de son hospitalité lorsqu'elle déciderait de quitter la soirée qui tombait de plus en plus à l'eau - sans mauvais jeu de mot. “Promis. C'est super gentil, merci beaucoup,” je lui réponds, sincère.

Plusieurs groupuscules se sont formés sur la pelouse devant la maisonnée. Je perçois, au travers des fenêtres, quelques individus déambuler à l'intérieur du domicile, cherchant manifestement la cause de l'alarme. Je me pince les lèvres et balaye les alentours du regard question de déterminer si Sienna et Gregory sont également dans les parages. Certains fêtards optent déjà pour rentrer chez eux, d'autres sont étendus dans l'herbe, la plupart considère la situation en se demandant comment réagir. Les lumières des résidences autour ne tardent pas à s'allumer, le voisinage s'inquiétant des circonstances.

dé positif : L'alarme incendie s'arrête et les fêtards sont invités à rentrer dans la maison ; un fût est brandit, secoué puis ouvert sans cérémonie pour arroser davantage la situation comme la populace.
dé mitigé : Les pompiers arrivent, constatent l'absence de feu, grondent sévèrement l'assemblée bien qu'en particulier les propriétaires de la demeure.
dé négatif : La police rapplique suite aux plaintes des voisins concernant leur paix réduite à zéro.

« Tu sais me parler toi. » Sienna avait travaillé dans le monde associatif depuis des années. Elle savait cerner les besoins de son interlocuteur et donc, entre autres, utiliser les bons mots pour apaiser et convaincre. Avec Greg, ce n’était pas bien compliqué. Il suffisait de lui parler du moi « nicotine » et il débarquait directement dans la conversation. C’était fou à quel point la clope pouvait tant régir la vie des individus. Elle rythmait les journées et pouvait être considérée comme un substitut de l’horloge. Elle posait les règles de sociabilité et rendait totalement de mauvaise humeur lorsque l’on oubliait de prévoir un paquet pour une soirée. Bref la cigarette était une grosse merde déguisée en quelque chose ayant pour effet de soulager les émotions les plus virulentes. Alors qu’en réalité, la cigarette nous la mettait à l’envers et c’est à ce moment-là où tout devient difficile pour s’en détacher. « Tant pis si je me chope une aspergillose aux yeux à cause de la fumée, je sais pas quand on pourra remanger de la pizza. » Greg était décidément un énorme ours gourmand et glouton. L’alarme incendie avait beau rugir dans toutes les pièces de la maison, ce n’était pas pour autant qu’il arrêtait d’enfiler les pizzas une par une dans sa bouche. Pendant qu’ils discutaient avec le couple d’inconnu, il ne se gênait pas pour parler la bouche pleine. Sienna en avait presque honte mais il la faisait tout d’abord marrer. « Nous serons ravis de vous accueillir chez nous. Nous savons ce que c’est que de sillonner les routes sans savoir si on aura un endroit où dormir. » Un espoir ! Elle jeta un regard complice à Greg. Ça sentait peut-être bon pour eux. S’ils comprenaien, c’est qu’il y avait potentiellement des chances d’être hébergés par ce couple, qui avait l’air si sympa. Greg ne perdit pas l’occasion de voler deux ou trois parts de pizzas au passage. Greg avait l’air d’être le type en soirée qui consomment tout, sans penser aux autres. « Ce serait vraiment très aimable à vous, on se fera tout petit. Par contre, on est avec Josh, notre caméraman. » Ils étaient déjà sortis dehors et tout s’est enchaîné rapidement. Une suggestion, une négociation parce qu’il y avait quand même Josh. Mais le couple ne résista pas longtemps. Ils acceptèrent de les héberger seulement et seulement s’ils passaient à la télé. Décidemment, le syndrôme Ivy ne touchait pas seulement les habitants de Brisbane. Ils avaient fini par suivre le couple, sans avoir eu le temps de chercher du regard Grace et Isy. Greg n’en avait rien à foutre mais Sienna aurait aimé leur souhaiter bon courage. C’était tout de même grâce à elle qu’ils en étaient là ce soir. « On va bien dormir, ce je sens. J’ai hâte »

Elle s’extasie de la facilité avec laquelle il est facile de se faire des amis, parfois. Quelques boutades et une fausse impression de complicité vous emmène n’importe où, y compris dans la maison d’une jeune mère célibataire de la quarantaine à Dalby. Elle s’empresse de présenter sa conquête slash salvatrice à Isy, pas peu fière de son coup de maître (décidément, le bagout, c’est vraiment son truc et si elle avait su, elle aurait continué des études pour devenir avocate, parce que c’est certainement à ça que ça sert) : le jeune homme a l’air aussi impressionné que reconnaissant envers Ava, et ça ne manque pas de lui tirer un sourire. Logement : fait. Maintenant, contourner l’alarme incendie et, si possible, sauver quelques vivres avant de repartir avec Ava chez elle.

“Ils sont partis, Sienna et Greg ?” se demande-t-elle à haute voix.

Dehors, les petits groupes ont repris leurs conversations comme si de rien n’était, ignorant les dispositifs incendie qui douchent la maison et gardant leurs verres à la main. Ca laisse le maigre espoir à Grace qu’à l’intérieur, quelques denrées alimentaires ont été préservées de la pluie. En revanche, pas de Greg ni de Sienna à l’horizon : ils ont dû trouver leur bonheur et repartir avec lors des premières cohues, de peur de s’en faire chasser ensuite. Ils n’ont même pas proposé de les aider, ces petits cons. Grace grince légèrement des dents en rehaussant son sac sur une épaule : pas le temps de s’attarder sur ça, elle le revaudra à Greg plus tard (comme toujours). Les pompiers ne tardent pas à arriver dans leur vacarme habituel, et un rapide tour des lieux leur fait comprendre qu’il n’y a aucun danger : un petit groupe de trois, dont le grand chauve de leur arrivée, se fait alpaguer et essuie les remontrances des professionnels du feu. “C’est peut-être le signe qu’on doit filer”, fait-elle savoir à Isy, les cameramen et Ava. “Je vais juste passer aux toilettes.” Elle se faufile à travers la foule, chope quelques carottes rincées sur la table et une bouteille de vin - le genre de trucs qui sert toujours.

“Ils sont partis, Sienna et Greg ?” interroge Grace pendant que je balaie du regard la pelouse cramée par le soleil australien. Les quelques fêtards qui s'étaient étendus dans l'herbe, nullement préoccupés par l'alarme et les extincteurs automatiques irritant les tympans et arrosant sans vergogne la maison, se redressent enfin lorsque le camion aussi écarlate qu'étincelant des pompiers de la caserne de Dalby fait leur entrée. Une inspection des lieux se tient, sous l’œil accusateur des voisins accoudés à leur fenêtre. Une dizaine de minutes plus tard, l'un des soldats du feu annonce un domicile sans trace de foyer dangereux, bien que les conséquences aux jets d'eau continus risquent de coûter cher aux propriétaires. “C’est peut-être le signe qu’on doit filer” suggère Grace pendant qu'un pompier aux innombrables tâches de rousseur passe ardemment ses nerfs sur le chauve qui leur avait plus tôt ouvert les portes de la propriété. “Ouais, t'as sans doute raison,” J'enchéris, question de convaincre Ava de leur ouvrir les portes de son propre paradis. Tel un homme beaucoup trop sage, je ne peux m'empêcher de compter le repos que l'on peut grignoter de sorte à être de la meilleure forme possible pour la suite de leur trajet vers Charleville. “Je vais juste passer aux toilettes.” “Ça marche,”  je lui adresse tout en portant mon attention sur Ava. “Est-ce que tu bosses ici ?” Je débute, amical et souriant, mon interrogatoire à la recherche d'une piste pour prendre la route aux aurores. Je pose mon regard vert sur la quarantenaire, saisis le relais au jeu du charme. “Oui, je suis barista.” “C'est cool ça ! Tu dois rapidement te faire des amis et avoir l'avantage de garder contact avec les gens de la ville, et suivre l'évolution de la nucléarité des familles.” La quantité de personne à proximité s'amoindrit, l'intervention du camion de pompier en ayant incité certains à quitter les lieux et d'autres à tenter de raviver la flamme de la fête tout en savourant le fameux fût. “Est-ce que vous êtes beaucoup à devoir faire de la route pour aller bosser ? Dans la ville d'où je viens, y'en a pas mal qui doivent faire du covoiturage parce que y'a pas énormément d'emploi...” L'hameçon est lancé, et tandis que j'écoute attentivement les propos de la jeune maman et nourris indéniablement un espoir exponentiel de bien dénicher un conducteur pour nous déposer plus loin sur la route menant à Charleville, Grace nous rejoint. “C'est parti ?” Je lui demande, œil brillant de complicité, sourire amical. A nous deux, j'avais vraiment l'impression que nous formions une belle équipe et je m'estimais chanceux d'avoir été associé à la photographe. “J'pense que tu lui as tapé dans l’œil,” je murmure discrètement, malicieux, à l'attention de mon binôme, ayant bien remarqué les coups d’œil incessants que lui lançait Ava et sa détermination à guetter son retour des toilettes.