Il y a un mouvement de recul lorsqu’il aperçoit les escaliers devant lui, tel un chaton qui refuse de mettre le coussinet dans l’eau et c’est une belle représentation de la vraie situation : il refuse de mettre un pied sur ces marches. Enfin, non, en l’occurrence il n’est pas possible pour lui d’être aussi catégorique, autant parce qu’il s’agit d’un jeu et qu’il doit tout accepter pour gagner que par le fait d’être incapable de se montrer aussi catégorique avec Elias. C’est la raison pour laquelle il se veut hésitant même lorsqu’il lui semble apercevoir un raccourci ; il aurait logiquement dû foncer en obligeant ainsi son binôme à le suivre plutôt que de s’arrêter pour avoir son approbation. Ce ne sont que quelques secondes de perdues, mais elles peuvent faire la différence en cas d’égalité. Elias approuve tandis qu’il court encore et toujours plus vite que le brun. Et même la perspective d’un hôtel et d’une piscine ne sont pas des éléments qui parviennent à lui donner l’impulsion nécessaire de puiser au bout de ses forces : il le fait, c’est certain, mais il ne peut simplement pas repousser les limites de son physique. Alors oui, il les connaît les beaux discours qui expliquent que c’est possible ; mais le corps n’est pas une machine et il ne peut aller au-delà de ces capacités. Celles de Kieran, compte tenue de la configuration (aucun entraînement sportif, une hygiène de vie peu recommandée, une incapacité à résister à la pression) sont à leur apogée même si Elias semble en douter. Il apprécie que son binôme ne cesse de le motiver et il voudrait vraiment que ses paroles fassent la différence, mais ce n’est pas le cas et, surtout, ce n’est pas ce qui leur permet de rattraper le temps perdu par la chute que Kieran vient de faire après avoir heurté un passant sortant de nulle part. Peut-être était-il trop déconcentré, peut-être le passant est-il un sadique, mais le résultat est le même : ils sont à terre et le temps qu’il se relève (sous les insultants du passant) pour reprendre sa course, l’autre binôme a su faire la différence. C’est ce qu’il constate quand il arrive en haut des marches lorsqu’il aperçoit au loin d’énormes drapeaux et une équipe de tournage. Cela le décourage, mais il ne veut pas qu’Elias le lui reproche et il ne s’arrête de courir qu’une fois la ligne d’arrivée franchie. Il lui faut bien deux minutes (vingt, en réalité) pour reprendre son souffle, ravaler sa déception et afficher un sourire qui ne soit pas déçu, mais seulement sincère. « Vous avez des moteurs dans les jambes. » Il s’amuse une fois qu’ils sont invités à aller plus loin et disparaître du champ d’arrivée. « Bravo, vous avez assuré. » Il le pense sincèrement et que ce soit ses adversaires n’enlèvent rien à leur mérite. « Dites-moi que vous avez croisé d’autres binômes avant nous. » Afin qu’il lui redonne un dernier espoir d’avoir échappé à la dernière place. Est-ce qu’il est pénible à avoir besoin d’être tout le temps rassuré ? Oui, complètement.

Allongée sur le sol (décidément s’étendre par terre devenait une manie chez elle), elle reprenait son souffle telle une asthmatique qui avait fait le marathon de New York. Greg l’avait complètement laissé tomber pour s’empresser de papoter à un de leurs concurrents. De toutes façons, elle s’en fichait de ce qu’il faisait à l’heure actuelle, tout ce qu’elle voulait, c’était récupérer ses poumons. Sa gorge lui brûlait et son coeur frôlait la tachycardie. La montée rapide de ses escaliers aura eu raison d’elle mais n’aura pas d’impact sur leur place dans le classement car ils étaient arrivés avant le binôme qu’ils avaient croisé en arrivant à Charleville. C’était sûr qu’ils n’étaient pas dernier, à moins que ces deux-là avaient eu l’immunité. Elle ne l’espérait pas en tout cas car elle n’avait aucune idée de ce qu’il en était pour Ivy et Martin ou encore pour Grace et Isaac. Après dix minutes de récupération (ou un respirateur artificiel n’aurait pas été de refus), elle se releva et suivit la production un peu plus loin du point de rendez-vous. Des stands de boissons et de nourriture étaient à disposition pour les candidats afin qu’ils retrouvent un peu d’énergie après cette semaine folle. « Vous avez des moteurs dans les jambes. » C’était un membre du binôme de tout à l’heure qui s’adressait à elle. Elle rit à sa remarque. « Je sais pas, mais je pense que c’est plutôt Greg mon moteur parce que sans lui je serais morte dès le premier palier de ces escaliers de l’enfer ! » Elle devait l’avouer, sans lui elle n’y serait jamais arrivée. Il lui avait pris le bras, l’avait poussé à dépasser ses dernières limites. Elle n’aurait jamais eu la force de monter toutes ces marches seule. « Merci… et même si on est arrivé avant vous, vous avez assurés aussi par le fait d’être arrivés à temps ici. » Dit-elle d’un ton sincère et rassurant. Elle aimait gagner mais n’aimait pas voir la déception chez la personne en face. Il semblait d’ailleurs cherché un ultime espoir, une raison de penser qu’ils ne seront pas derniers lui et son partenaire. Et Sienna ne pouvait pas lui mentir parce qu’elle n’en savait rien. « On a croisé des binômes cette semaine, mais aujourd’hui, seulement vous. Après rien est joué. Tu sais, ce n’est seulement que le milieu de l’après-midi. Je pense qu’il y a encore des binômes en course. » Elle se retint de poser une main rassurante sur son épaule, peut-être qu’il n’aimait pas les gens tactiles et qu’il pouvait être gêné par le fait qu’une inconnue se permette de lui toucher l’épaule. Mais elle voyait bien l’inquiétude dans son regard et elle avait juste envie de le rassurer. « On va boire quelque chose de frais ? Moi, c’est Sienna. »

@Kieran Halstead