Trois… Mon regard se perd sur tous les candidats en demi-cercle autour de la présentatrice. Nous voilà de nouveau en compétition les uns contre les autres, finies les conversations bien aimables et les verres échangés autour de conversation polie. Cette semaine, il n’y aura aucune alliance.

Deux… Les battements de mon cœur s’accélèrent considérablement alors que je repositionne le bandana que j’ai noué autour de mon front pour garder mes boucles loin de mes yeux. Il va falloir démarrer sur les chapeaux de roue, nous n’avons pas une minute à perdre pour trouver une voiture qui voudra bien nous emmener le plus proche possible de Windorah.

Un… Ma main vient chercher celle de Kelly pour lier nos doigts et l’attirer à contre-courant des autres. Comme la première fois.

Notre troisième place à réveiller en moi un véritable esprit de compétition féroce. Au diable l’esprit bon enfant, si le weekend en compagnie des autres candidats avait été des plus sympathiques, désormais, c’est chacun pour soi. Sac sur le dos, nous dévalons la rue d’un pas tout ce qu’il y a de plus rythmé. J’en profite pour sortir la carte de ma poche et la tendre à ma coéquipière. « Ô Maîtresse de la carte, donne-nous une stratégie. » que je taquine en me souvenant de ses paroles concernant son pouvoir d’orientation. Cette fois, on ne va pas se perdre, j’en suis certain, elle ne lâchera plus notre précieuse carte du regard. Déjà, mon regard se perd sur la route à la recherche d’un véhicule qui pourrait, potentiellement, nous avancer de plusieurs kilomètres. Sans aucune parole supplémentaire, chacun retrouve son rôle premier. Elle se concentre sur la carte et tente de nous dégager un chemin, tandis que j’arbore mon plus beau sourire au bord de la route, bras tendu, pouce en l’air, en parallèle au-dessus de l’asphalte. Je serais capable de danser là, sur la chaussée, pour attirer l’attention de qui que ce soit.

@kelly ward

Concentrée, Kelly sortait la langue sur le côté de ses lèvres, essayant de calculer le temps de trajet entre Charleville et Windorah à l’aide de l’échelle de la carte. Un pouce, deux pouces, trois pouces, cela faisait un bon 500 kilomètres, soit la distance qu’ils avaient parcouru en trois jours lors de la semaine précédente. S’ils voulaient rester dans la course, il était désormais primordial de faire encore mieux que cela. Cependant, si cela ne dépendait pas de leur volonté, il en allait du bon vouloir des automobilistes de les conduire à bon port -ou le plus proche possible. “Je pense qu’il faut y aller étape par étape. Personne n’ira directement à Windorah d’ici.” conclut-elle de ses estimations. C’était un trajet de quatre heures, il était improbable qu’un habitant de la région s’amuse à effectuer pareil trajet pile lorsqu’ils en avaient besoin. Ils pourraient tomber sur un routier, mais ils ne pouvaient pas seulement compter là-dessus. “La ville la plus proche sur l’itinéraire est Cooladdi. Je pense que si on dit aux gens que nous allons là-bas, la distance aura l’air plus raisonnable, et nous aurons plus de chances de les convaincre de nous y emmener.” Cela impliquait d’accepter de s’arrêter dans cette ville et de recommencer à y faire du stop jusqu’à la ville suivante. S’ils s’y prenaient correctement et que la chance était de leur côté, il ne leur faudrait pas plus de trois automobilistes pour remplir le contrat. Kelly était confiante. Le passage sur leur bout de route était assez régulier pour espérer que quelqu’un s’arrête. L’équipe de tournage avec eux n’avait pas changée, et Parker les suivant toujours à la trace. La présence de la caméra rendait les conducteurs curieux, et cela était un avantage. Il ne restait plus qu’à sourire et avoir l’air aussi aimables que possible afin qu’on leur fasse confiance. Ou alors tomberaient-ils sur un conducteur assez vénale pour que la simple idée de passer à la télévision le persuade de les emmener jusqu’à bon port.

Dos à la route, bras tendu à l’extrême, pouce en l’air, je regarde ma coéquipière se tordre les méninges au-dessus de la carte routière. Dès la première semaine, elle avait prouvé avoir une parfaites maîtrise de l’outil en papier, contrairement à moi qui suis capable de me perdre dans mon propre quartier à Brisbane. Je lance un clin d’œil à Parker, qui caméra au poing, nous suit avec le sourire. Je crois qu’il était assez content des résultats lui aussi. Il n’a pas passé la nuit chez un dingue pour rien au final. « Je pense qu’il faut y aller étape par étape. Personne n’ira directement à Windorah d’ici. » Mon attention se reporte immédiatement sur la brunette dont le regard ne décolle pas de la carte. D’où je me situe et si ses doigts écartés représentent la distance à parcourir il est certains que personne à Charleville ne partait pour parcourir une telle distance. Alors, autant fractionner notre route. « C’est une bonne idée. » que j’approuve avant de reporter mon attention sur la route. Une voiture semble ralentir peu avant notre petit groupe et je me redresse de suite, flashant mon sourire le plus sincère. Fausse alerte, elle tournait tout simplement à droite sans l’avoir indiqué. Je ne me dégonfle pas et continue à marcher d’un pas vif, le bras toujours aussi tendu. « La ville la plus proche sur l’itinéraire est Cooladdi. Je pense que si on dit aux gens que nous allons là-bas, la distance aura l’air plus raisonnable, et nous aurons plus de chances de les convaincre de nous y emmener. » Je hoche la tête et reporte mon regard sur Kelly. « Il y a une deuxième option dans le périmètre si jamais la personne est un peu réticente ? »

Et alors que je me tourne pour faire de nouveau face à la route, je croise le regard d’une femme au volant d’une Jeep. Elle me sourit. Je lui souris et la seconde d’après voilà qu’elle met son clignotant pour se garer près de nous. « Vous allez de quel côté ? » Je m’arrête au niveau de la portière pour lui répondre poliment. « Dans l’idéal à Cooladdi. » Le sourire de la jeune femme s’étire et me donne bon espoir. « Je vais rejoindre des amis à la Paroo River. Je vous emmène ! » Je n’en reviens pas de notre chance et me tourne vers Kelly, les yeux ébahis, comme pour m'assurer que je n’ai pas rêvé. Déjà, la portière s’ouvre et la jeune femme nous fait signe de monter dans son véhicule. « C’est génial merci ! »

@kelly ward

« Il y a une deuxième option dans le périmètre si jamais la personne est un peu réticente ? » Kelly secoua négativement la tête. Peut-être que de minuscules patelins de trois habitants et quelques ranchs ponctuaient la route, mais rien qui apparaisse sur la carte et puisse leur donner une direction. C’était Cooladdy, ou rien. “Pas vraiment, j’ai l’impression que Charville est un peu l’oasis de ce coin du Queensland.” L’Etat lui semblait d’ailleurs bien plus grand qu’elle ne se l’était imaginé, elle qui aurait pensé qu’en une semaine de course ils en seraient déjà sortis. Et pourtant, il leur restait des centaines de kilomètres à effectuer avant d’atteindre l’Etat suivant.

Le charme de Loan était toujours aussi efficace, et Kelly ne fut pas étonnée que la personne qui s’arrêta sur le bas côté soit une jeune femme. Loin des psychopathes dont ils avaient fait la rencontre, la conductrice paraissait aimable et civilisée. Sa voiture, un 4x4 à toute épreuve, était à l’épreuve des routes du bush australien dont elle semblait habituée. « Je vais rejoindre des amis à la Paroo River. Je vous emmène ! » La bouche de Kelly s’ouvrit en un rond parfait ; elle n’en croyait pas ses oreilles. La chance leur souriait du premier coup, c’était inespéré. “Oh mon Dieu, merci mille fois !” Et sans attendre, elle se jeta sur la banquette arrière, accompagnée de Loan, et Parker prit la place à l’avant.

La radio grésillait énormément et plus la Jeep s’éloignait de Charleville, plus la musique disparaissait au profit de la neige. La jeune femme au volant -Peggy, avait-elle dit s’appeler- lança un disque dans l’autoradio. Un vieux best-of de Queen était, pour Kelly, tout à fait approprié pour un road trip de ce genre. Après Radio Gaga et Bicycle, c’était à Bohemian Rapsody de résonner dans l’habitacle. “Mama, just killed a man…” murmurait Lee qui, comme tout le monde, connaissait la chanson par coeur et s’amusait à tenter de faire toutes les différentes voix du morceau. Peggy se joignit rapidement à elle, et au moment crucial, l’on pouvait les entendre en canon sur le fameux “Gallileo Figaro, Magificooo-oooh-ooooh!” avant de rire de bon coeur. La journée commençait si bien.

Ils arrivèrent à Cooladdy en une heure. L’aventure ne faisait que commencer. “Merci encore, vous nous avez été d’une aide énorme.” dit la brune à leur chauffeuse avant de claquer la portière de la Jeep. Et ils étaient de retour au point de départ, à faire du stop et croiser les doigts (et les orteils) pour que tout continue de se dérouler aussi bien. “C’est reparti, cette fois direction… Quilpie.”

« Pas vraiment, j’ai l’impression que Charville est un peu l’oasis de ce coin du Queensland. » Il se situe peut-être bien là, notre problème. Charleville semble être la dernière grande ville de l’Etat à des kilomètres et des kilomètres à la ronde. Si faire du stop ici semble encore tout ce qu’il y a de plus simple, je ne sais pas si la chance continuera à nous sourire lorsque l’on se sera de nouveau enfoncé dans le bush australien. On verra bien. Chaque chose en son temps après tout.

Aujourd’hui, la chance se présente sous la forme d’une énorme Jeep noire conduit par une demoiselle qui semble un tout petit peu plus jeune que moi. Sourire aux lèvres et visiblement plus que ravie de nous donner un coup de main sans vraiment se soucier des caméras que l’on traîne avec nous. Je laisse Kelly se glisser sur le siège passager, encore traumatiser par ma rencontre avec un tableau de bord, et me glisse sur la banquette arrière avec Parker. Kelly étale la carte sur le tableau de bord alors que Peggy nous explique que l’on ne risque pas de se perdre, il n’y a qu’une seule route une fois sortie de la ville. Et d’ailleurs, quelques minutes, plus tard, Charleville n’est plus qu’un lointain souvenir. Il ne reste plus que de la terre battue, rouge sang, à perte de vue.

Entendre Kelly chantonner sur Bohemian Rhapsody me fait sourire plus que jamais, elle se détends enfin la brunette. Je l’ai vu dans son regard sur la ligne de départ aujourd’hui et désormais à la manière dont sa tête dodeline en rythme avec la musique. Sans prévenir, je me joins au refrain, je n’ai pas chanté depuis un moment, mais on ne perd jamais la main après tout. « So you think you can stone me and spit in my eye. So you think you can love me and leave me to dieeeee. » Le temps d’un instant, Loan le showman est de sortie. C’est plus fort que moi après tout, la scène, le chant, cela coule dans mes veines depuis si longtemps. « Merde, tu chantes bien toi ! » s’exclame Peggy alors que j’éclate de rire en haussant les épaules et en rougissant plus que de raison.

Arriver à Cooladdi, Peggy nous dépose dans la rue principale et nous souhaite bonne chance. « Merci, t’as été géniale. »[/color] Je lui fais un signe de la main alors que déjà Kelly est en train d’observer la carte à nouveau. « C’est reparti, cette fois direction… Quilpie. » « C’est noté captain ! » Et voilà que je reprends ma position favorite de ces derniers jours, bras tendu, pouce en l’air. La circulation est beaucoup moins dense ici, mais il y a du monde dans la rue et peut-être qu’avec un peu de chance. En riant, je pousse Parker en plein milieu de la chaussée. « Désolé, mais c’est toi qui attires le regard sur nous. » dis-je en lui lançant mon plus grand sourire. Peut-être que la curiosité des habitants nous portera chance.

@kelly ward

Spoiler:

Et elle leur porte chance. Cette fois, c’est un couple de retraités qui s’arrête. Leur voiture, à l’inverse de leur grand âge, semble quasiment neuve. Au volant de leur bolide qui doit atteindre les 130 km/h en une poignée de secondes, ils vivent leur meilleure vie- ou plutôt, leur meilleure retraite. Alors qu’ils se stoppent au niveau de Kelly et Loan, la sommelière remarque que c’est bel et bien la présence de la caméra qui les a attirés. “Bonjour, pourriez-vous nous conduire jusqu’à Quilpie, ou nous en rapprocher ?” demanda-t-elle à travers la vitre baissée de la portière du côté de la passagère. Celle-ci n’écoutait que d’une oreille, à première vue. “C’est pour la télé ?” s’interrogeait-elle en pointant Parker de son doigt ridé. Kelly pouvait sentir son parfum d’où elle était tant la vieille femme avait abusé sur le spray. Le tout se mélangeait à l’odeur du cuir neuf des sièges de la voiture. “Oui, Madame. Et si je peux me permettre, vous êtes ravissante.” s’enquit Kelly de flatter l’égo de leur potentiel sauveuse. Ce qu’elle sous-entendait, c’était qu’elle passerait parfaitement bien à l’image, avec sa mise en pli soignée et son collier vintage comme les hipsters se l’arracheraient dans les friperies de Brisbane. “Très belle voiture, Monsieur.” ajoutait-elle à l’intention du mari, derrière le volant, armée de son sourire le plus charmeur. Le couple se regarda, et finalement, accepta l’équipe à bord. “Mais attention à ne pas érafler le cuir, hein !” s’inquiétait l’époux. Il était clair que cette auto était particulièrement bien bichonnée, certainement un rêve de jeune cadre, une promesse qu’il s’était faite pour ses vieux jours, et Kelly respectait cela. Elle ne bougea pas d’un pouce tandis que la voiture démarrait en direction de Quilpie, où leur chance les menait. Le vieux couple disait y rendre visite à leurs petits enfants, ce que la brune trouvait adorable. Elle ne se lassait pas de les écouter narrer anecdote sur anecdote à leur sujet. Cela faisait passer le temps.

Je savais bien que Parker allait nous porter chance. Il est plutôt mignon, on ne va pas se le cacher, mais c’est plutôt la caméra qu’il trimballe à l’épaule qui attire le couple de retraités qui a accepté de nous emmener jusqu’à notre prochaine étape. Quilpie. La dame s’empresse de nous raconter tout un tas d’anecdote que ce soit sur la route que l’on est en train d’emprunter, autre fois la seule qui coupait le pays dans son entièreté ou bien sur sa très courte expérience en télévision lorsqu’elle n’avait qu’une trentaine d’années et qu’elle avait fait une apparition dans une petite émission de cuisine. Mon sourire ne cesse de s’agrandir alors qu’elle nous donne des conseils pour réussir une tourte à la viande. Et je manque de lâcher un petit couinement d’admiration lorsque son mari, Rob, lui rappelle ce merveilleux barbecue qu’ils ont réalisé ensemble pour une fête de famille. Parker tourne sa caméra vers moi et je lui mets un coup de coude dans les côtes. « Te moque pas, ils sont adorables. » que je murmure doucement. Je suis ému facilement et un couple qui s’aime depuis plus de 45 ans, ça me touche énormément.

Après avoir entendu tout un tas d’histoire sur Emily, Josh et Sara, leurs petits-enfants qu’ils semblent adorer plus que tout au monde. Rob et sa femme nous dépose à l’entrée de Quilpie. « Vous faites attention à vous les jeunes. Et bonne chance. » Je leur offre un dernier sourire, un signe de la main alors que la voiture s’éloigne et que je me tourne vers Kelly, des étoiles pleins les yeux. « Mon dieu… Ils étaient beaucoup trop adorables. C’est beau une telle histoire. » Et déjà, on sort à nouveau notre carte. On a bien roulé, la chance a été de notre côté. Et j’ai faim. « On fait une petite pause pour manger un bout ? » J’aperçois une petite supérette de l’autre côté de la rue et y entraîne Kelly. « Et prendre de l’eau, parce qu’on est parti avec presque rien. » Visiblement, on n’a pas appris de toutes nos erreurs de débutant. Il commence à faire chaud et on ferait mieux de rester hydrater pour garder les idées claires. « Prochaine étape Windorah ? »

@kelly ward

Quilpie était une ville adorable, songeait Kelly en observant les alentours à travers la vitre de la oiture. Ce n’était pas grand, mais on y trouvait un petit musée de l’armée, ce qui laissait présager que l’endroit avait une histoire bien à lui. Il y avait également un hôtel qu’elle se surprit à trouver tout à fait convenable -alors que celui-ci était bien en deçà de ses standards habituels. Un ancêtre de l’éolienne, une machine élévatoire âgée de plusieurs décennies, surplombait le tout en lui donnant une touche de vintage. La ville, globalement, paraissait figée au début du siècle dernier d’une manière bien moins glauque que Glenmorgan, et cela n’était pas pour déplaire à la sommelière. Loan et elle furent déposés par le couple de retraités qui reprirent la route jusqu’à leur réunion de famille après quelques remerciements de rigueur et bénédictions bienveillantes. « Mon dieu… Ils étaient beaucoup trop adorables. C’est beau une telle histoire. » s’émervaillait un Loan bien plus émotif que Kelly ne l’aurait cru. Ils lui auraient presque arraché une larme. “Une histoire comme on en voit plus.” ajoutait-elle en soupirant, le sourire à la fois triste et attendri. C’était à ce genre de romance qu’elle avait aspiré toute sa vie, ce qu’elle pensait avoir trouvé avec Chad. Jusqu’à ce que le rêve s’effondre comme un château de cartes. On fait une petite pause pour manger un bout ? » proposa son coéquipier, et elle approuva vivement. Vu leur chance jusqu’à présent, ils avaient certainement de l’avance et pouvait se permettre une courte pause. Direction la supérette de l’autre côté de la rue.

Ils firent des provisions, cette fois. De l’eau et de quoi grignoter si la roue de leur bonne fortune venait à tourner d’ici les prochaines heures -et ils n’étaient pas à l’abri d’un retournement de situation tel qu’ils en avaient fait l’expérience la semaine passée. Mieux valait faire preuve de prudence et ne pas crier victoire trop vite. A l’extérieur du commerce, assis sur le bord du trottoir, ils dégustaient leur maigre déjeuner. Kelly s’était offert un sandwich au thon qu’elle regrettait déjà d’avoir choisi ; celui-ci était un peu tiède, et finalement, le poisson et les oeufs n’étaient peut-être pas le choix le plus stratégique. Il ne lui semblait pas que le tout avait tourné cependant. « Prochaine étape Windorah ? » demandait Loan. “ ‘uais” elle répondit en oubliant que sa bouche était pleine. Un postillon accompagné d’une miette de pain fit le grand saut depuis ses lèvres sous son regard mortifié. “Pardon.” Voilà qu’elle passerait pour une malpropre à la télévision.

“Croise les doigts pour que la chance reste de notre côté.” déclara-t-elle, de retour en position de stop une fois leurs sandwichs ingurgités. Il ne leur restait qu’une étape, une seule. Mais c’était sur trois heures de route commune qu’ils tablaient, et peut-être le duo forçaient-ils un peu trop leur chance. Un détour par une ville nommée Eromanga était possible d’après la carte, mais Kelly espérait férocement qu’elle et Loan seraient parmi les premiers arrivés à bon port.

Quilpie semblait être une petite ville très tranquille. Je n’ai jamais entendu parler de cet endroit et je réalise de plus en plus, qu’en dehors des grandes villes, je ne connais pratiquement rien de l’Australie. L’excuse d’avoir vécu en Europe une majeure partie de ma vie me semble ne plus être une réelle raison valable. Je me promets de continuer à explorer le pays même lorsque le jeu sera terminé, car si c’est pour découvrir des endroits tout aussi charmant que cette ville cela devait valoir le coup non ? « Une histoire comme on en voit plus. » Je hoche la tête alors qu’avec Kelly, nous prenons la direction de la seule supérette de la petite ville. On vient de vivre une parenthèse enchantée avec ce couple et décidément cette journée se déroulait sous les meilleurs hospices pour nous.

Un énième sandwich triangle plus tard, voilà que l’on se retrouve assis à même le trottoir bien loin des standards que m’avait présenté Kelly au départ. Je la vois mastiquer en grimaçant et retiens un rire alors qu’elle me répond et qu’un bout de son sandwich atterris entre nous. « Pardon. » Je ris un peu, me moquant d’elle sans aucune honte. « Je sais pas si je vais pouvoir te pardonner cet affront. » Je tourne la tête à son opposé, prétendant bouder, mais je crois que les secousses qui font trembler mes épaules trahissant mon propre fou rire.

« Croise les doigts pour que la chance reste de notre côté. » La ville est beaucoup plus calme que tout à l’heure, mais peut-être que l’on pourra trouver un troisième carrosse pour notre journée. La présentatrice à parler d’auto-stop, mais elle n’a pas précisé la forme du véhicule que l’on pouvait emprunter. Même une calèche devrait pouvoir faire l’affaire, non ? Je tends le bras un peu plus loin lorsqu’une voiture se rapproche, mais la personne accélère pile lorsqu'il arrive à notre niveau, projetant de la terre sur nous deux. « Super… » Je soupire et secoue rapidement mes bouclettes. « Parker tu pourrait faire un effort. » que je plaisante tout en continuant à marcher aux côtés de Kelly. « On avance un peu a pied ? » La ville ne semble pas très immense, mais au vu de la position du soleil il est un peu plus de midi. « Faudrait trouver une station essence, on pourrait avoir de la chance avec un routier. » Je serais prêt à me taper un trajet sur des palettes une nouvelle fois, si cela voulait dire que l’on arrive à bon bord les premiers.

@kelly ward

Malédiction. Aucune voiture ne daignait s’arrêter. La chance avait-elle tourné ? Kelly ne désespérait pas, malgré les minutes qui défilaient. Ils ne pouvaient décemment pas être bloqués à Quilpie jusqu’à la fin de la journée. Il était à peine quatorze heures ; si seulement un conducteur prenait la peine de les aider, ils pouvaient espérer atteindre Windorah pile avant la fin du chrono de cette première journée de course. Et à quel point cela pourrait être royal, d’atteindre l’objectif donné pour quatre jours de voyage en un seul ? Seulement, le temps passait et cette perspective s’éloignait au fur et à mesure que les voitures les ignoraient.

« On avance un peu a pied ? » proposait Loan en désespoir de cause. Au fond, cela ne pouvait pas être une mauvaise idée. Peut-être trouveraient-ils des chauffeurs plus coopératifs vers la sortie de la ville. « Faudrait trouver une station essence, on pourrait avoir de la chance avec un routier. » Kelly approuvait, cependant, ils n’avaient aucun moyen de savoir où se trouvait l’air de repos la plus proche. “Ce n’est pas indiqué sur la carte, on pourrait aussi bien commencer à errer dans le désert de bonnes heures avant d’en trouver une…” Elle ne se voulait pas défaitiste, mais elle ne voulait pas non plus prétendre qu’ils ne courraient pas le risque de se retrouver à monter la tente avant d’atteindre le prochain signe de civilisation. "Enfin, ça ne coûte rien d'essayer" reprit-elle en soufflant un coup, gardant le sourire coûte que coûte. Dans le pire des cas, ils vivraient leur première nuit à la belle étoile. Tant pis s'ils n'arrivaient pas les premiers, au fond, tant qu'ils n'étaient pas les derniers.

Une nouvelle voiture approchait. Allez, c’est la bonne, se persuadait mentalement Kelly. Allez, viens. Arrête-toi. Je t’en prie. Si elle le pensait assez fort, si elle le voulait de tout son être, si elle fixait assez intensément le conducteur comme pour briser ses barrières psychiques, cela ne pouvait que marcher, n’est-ce pas ?

Il était certain qu’en s’enfonçant dans les terres, faire du stop allait devenir de plus en plus compliqué. La production avait trouvé là un moyen de les bloquer a un endroit pour un moment si la chance ne tournait pas. Quilpie est une ville de taille très moyenne, voir même minuscule. Vu l’heure, les habitants doivent tous se trouver au travail et j’ose imaginer que notre seule chance réside dans l’espoir de trouver un routier qui voudra bien nous rapprocher de la prochaine ville. Mais les minutes défilent et les voitures que nous croise ne dégaine même pas s’arrêter à notre hauteur. Il faut croire que les caméras ont perdu de leur charme dans cette ville de campagne. Je soupire quelque peu à la deuxième voiture qui nous passe sous le nez en moins de cinq minutes. « Ce n’est pas indiqué sur la carte, on pourrait aussi bien commencer à errer dans le désert de bonnes heures avant d’en trouver une… » La production avait trouvé là un moyen de les bloquer a un endroit pour un moment si la chance ne tournait pas. Il faut que l’on puisse continuer à avancer le plus possible avant 19h. Cela doit être jouable même si l’on n’atteint pas la ville finale ce soir. Il faut avaler le plus de kilomètre possible mettre de la distance entre nous et les autres. « Enfin, ça ne coûte rien d'essayer » J’entends une voiture arriver derrière nous et me tourne pour marcher à reculons, sourire aux lèvres et le pouce qui s’agite pour bien indiquer notre présence. Mais la voiture ne ralentit même pas une seconde, passant son chemin sans même hésiter. « On pourrait demander. » finis-je par dire à Kelly en lui indiquant un vieil homme assis devant le perron de sa maison. Aller qui ne tente rien n’a rien Loan. « Monsieur excusez-moi, est-ce qu’il y a un air de repos dans le coin ? Ou une station essence ? » Le vieil homme semble un peu craintif des caméras et je fais signe à Parker et son acolyte de ne plus bouger tandis que je m’avance seul vers l’homme sans cesser de lui sourire. « Ça nous aiderait beaucoup, vous voyez on participe à ce jeu et on doit faire du stop. » Il crache à mes pieds le vieil homme avant de soulever sa casquette pour essuyer son front. « Faut descendre la grande rue là. Pis tu tournes à droite, mate. Là, t’as le garage de Francis. Peut-être pourra t’aider le petiot. » Je hoche la tête en souriant de plus belle. « Merci monsieur. » Je lui adresse un petit signe de la main et retourne auprès de Kelly qui était resté près de l’équipe technique. « Direction chez Francis alors. »

@kelly ward