Non, définitivement, le regard de sociopathe ne portait pas ses fruits. Cette fois, Kelly baissait son pouce, laissant cette responsabilité à Loan ; lorsque c’était lui qui s’y collait, les chauffeurs s’arrêtaient bien plus volontiers. Peut-être que c’était elle, le problème. Elle était plus douée pour déchiffrer la carte que pour faire preuve de ce genre de patience. Pourtant, elle n’en manquait pas, tant que les choses allaient dans son sens. Une contrariété ne saurait l’ébranler, mais deux, trois, quatre… Et elle ne comptait plus les voitures qui passaient leur chemin sous leur nez, sans même se demander où ils allaient. L’attrait de la caméra et du passage à la télévision trouvait ses limites dans cette ville. Alors Kelly et Loan continuaient d’avancer à pied, d’aller un peu plus loin. Les indications un habitant leur furent d’une précieuse aide, et ils s’accordèrent, tacitement, à se rendre au fameux garage qui était peut-être leur dernière chance de ne pas dormir dehors ce soir.

Au bout de la rue, à droite. C’était écrit en toutes lettres, “Chez Francis”, on ne pouvait pas le rater. Kelly inspira, se donnant du courage. Cette fois, ils n’avaient le droit de poursuivre autrement qu’en stop. Pas de vélos sans frein pour leur sauver la mise. “Il y a quelqu’un ?” lança-t-elle en entrant dans la boutique, découvrant le comptoir désert. Il n’y avait pas foule, et cela ne la rassurait pas quant à leurs chances de trouver de l’aide. “J’arrive !” on hurla depuis le fond du garage, là où l’atelier se trouvait. Apparut un homme d’âge mûr, les mains pleines de crasse qu’il essuyait vaguement à l’air d’un torchon tout aussi sale. “J’peux vous renseigner ?”

“Vous êtes Francis ?” demanda la sommelière afin de lancer la conversation poliment, sur de bonnes bases. “C’moi, ouais. - Je m’appelle Kelly, voici Loan.” Le refrain était définitivement su par coeur, et une fois encore, la brune livra toutes les explications de leur aventure au fameux Francis. “Auriez-vous, à tout hasard, une connaissance qui puisse nous mener jusqu’à Windorah, ou au moins nous en approcher ? -Pt’être bien.” Ce n’était pas la réponse espérée, mais cela était toujours mieux qu’un non ferme et définitif. L’homme décrocha son téléphone et parcourut ses contacts, puis porta l’appareil à son oreille. Au bout du fil se trouvait peut-être leur futur conducteur.

Au moins, le vieillard ne nous a pas menti. Il existe bel et bien ce garage et il semble en bon état en plus de cela. À l’extérieur, quelques voitures qui attendent d’être vendu. Je ne peux m’empêcher de regarder les prix affichés comme si on allait pouvoir se payer un véhicule avec les cinq petits dollars que l’on a obtenu ce matin. Je secoue la tête, moi-même épuisé de ma connerie et relève la tête lorsque Kelly s’aventure un peu plus loin à l’intérieur du petit magasin. Francis apparaît tel le mécanicien cliché, les mains emplis de cambouis qu’il étale un peu sur son front en voulant y essuyer la sueur. Je reste en arrière donnant toute sa chance au charme naturel de Kelly. « Je m’appelle Kelly, voici Loan. » Petit signe amicale de la main alors que l’homme nous dévisage. Il vient de remarquer les caméras et je crois que cela le stress un peu. Argh si je pouvais envoyer Parker paître loin dans le désert juste quelques minutes se serait parfait. Il nous avait bien aidé en ville, mais désormais, il inspire plus l’inquiétude qu’autre chose à nos interlocuteurs. Il n’a pas l’air très loquace Francis et il vaudrait mieux que l’on ne lui fasse pas perdre son temps. « On ne veut pas vous embêter, on aurait juste besoin d’être amené en direction de Windorah. » « M’ouais, attendez. » Et voilà qu’il disparaît à nouveau dans le fond de son shop. Je regarde autour de nous. Il y a une mobylette dans un coin, mais May Glitters a bien insisté sur les règles, seulement de l’auto-stop. On n’a pas vraiment le choix. Et voilà que le garagiste reviens, l’air toujours aussi bougon. « J’quitte pas le shop, mais y a Daryl qui viens livrer aujourd’hui. » Et voilà que l’espoir semble renaître tout à coup. « Va arriver, l’es pas loin. Faudra lui demander. » Il hausse les épaules et retourne plonger sa tête sous le capot d’une vieille Range Rover. Je me tourne vers Kelly alors que l’on observe déjà l’horizon comme deux âmes en peine. « Faut qu’on soit le plus convainquant possible. » que je plaisante un peu. Autant garder son humour et tout tenter alors que l’ami du garagiste semble arriver dans notre direction. Je croise tout mes doigts ensemble pour qu'il accepte de nous aider à faire les quelques kilomètres supplémentaires.

« Faut qu’on soit le plus convainquant possible. » Il était vrai. C’était leur chance, hors de question de la manquer. S’ils ne parvenaient pas à persuader le fameux Daryl, Dieu seul savait comment Loan et elle allaient parvenir à se sortir de cette ville perdue. “Je suis toujours très convaincante, voyons.” elle rétorqua en haussant les épaules, l’air malicieux. Elle avait surtout plus d’un tour dans son sac, et en dehors des flatteries, elle savait qu’une chose au monde mettait tout le monde d’accord : l’argent. Et pour gagner cette course, elle était prête à mettre le paquet.

Le routier arriva enfin, après un bon quart d’heure d’attente. “Hé Daryl. C’la pair’ d’zozios qu’veulent s’rend’ à Windorah. C’ta route, hein mat' ?” Lee fronçait légèrement les sourcils en essayant de comprendre tout ce que les hommes disaient, mais leur accent du fin fond du bush n’était pas des plus simples à déchiffrer. “Ouais, prochain arrêt.” Daryl les dévisageait. Son attention se portait particulièrement sur Parker et sa caméra. Décidément, ils n’étaient pas fan de télévision dans le coin. “Est-ce que vous pourriez nous emmener ?” demanda Kelly, ingénue. “M’ouais. J’ai quoi en échange ?” Son regard se planta dans celui de Loan. C’était la première fois qu’on leur demandait quoi que ce soit contre une course. Et ils n’avaient pas grand chose à marchander. “... notre reconnaissance éternelle ?” qu’elle tenta tout d’abord, naïvement. Cela ne sembla pas le convaincre du tout. Elle soupira. “Et dix dollars.” Ils en avaient économisé plus que cela, mais ils devaient en garder autant que possible pour les coups durs. Dans l’idéal, ils auraient dépensé aussi peu que possible afin d’avoir les moyens de s’offrir un trajet en bus vers la fin de l’aventure -s’ils parvenaient jusque là. Cependant, la somme n’était visiblement pas assez généreuse pour Daryl. “Et vous allez passer à la télé, si vous nous aidez ça vous fera de la bonne publicité.” renchérit Kelly. L’homme semblait donner du crédit à ses paroles ; il n’avait pas pensé les choses sous cet angle. Enfin, l’idée le séduisait. “D’ac. Grimpez.”

Si elle ne s’était pas retenue, Kelly aurait sautillé sur place comme une enfant venant de gagner une peluche à la foire. Folle de joie, elle contenait son enthousiasme dans sa poigne, attrapant la main de Loan pour l’attirer à l’arrière de la camionnette. “On va arriver en un temps record.” s’extasiait-elle avec un sourire d’oreille à oreille. En une journée seulement. Ils allaient forcément être parmi les premiers à atteindre Windorah.

A condition d’arriver avant la fin du temps de course de la journée. L’équipe ne pouvait plus continuer d’avancer passé une certaine heure, et il était hors de question que le duo renonce à leur chauffeur si près du but. “Daryl ? Je ne voudrais pas trop vous en demander, mais nous avons jusqu’à 19 heures pour arriver à destination. Est-ce que vous pouvez appuyer sur le champignon ?” demanda Kelly en hurlant par dessus le bruit du vent, espérant que leur chauffeur les entende malgré tout. “Nope.” Voilà qui n’était pas très arrangeant. Hors de question d’un routier buté se mettre entre eux et leur victoire. “Pour cinq dollars de plus ?” elle proposa sans une once d’hésitation -puisque l’homme était sensiblement réceptif aux billets. Il se mit à rire. “ ‘vous vraiment arriver les premiers, hein ?” Et pas qu’un peu.

Windorah, dix-huit heures. Descendus de la camionnette, Lee leva haut la main pour échanger un high five avec Loan. Ils y étaient. Et ils avaient même le temps de visiter avant la suite de l’aventure. Définitivement, les planètes étaient alignées en leur faveur.

Elle a maîtrisé la négociation d'une main de maître Kelly et lorsqu'elle se tourne vers moi des étoiles pleins les yeux, je pourrais me jeter dans ses bras pour la remercier d'être aussi persévérante. Probablement les dix dollars les mieux dépensé de toute ma vie. « On va arriver en un temps record. » Toute son excitation se propage dans son sourire et c’est en sautillant comme des enfants que l’on grimpe dans la remorque un brin plus accueillante que celle de David. J’ai à peine eu le temps de m’asseoir le plus confortablement possible que Kelly se lève déjà. « Daryl ? Je ne voudrais pas trop vous en demander, mais nous avons jusqu’à 19 heures pour arriver à destination. Est-ce que vous pouvez appuyer sur le champignon ? » Je retiens un rire alors qu’il refuse et finit par craquer lorsque Kelly finis par avoir ce qu’elle voulait en proposant un billet supplémentaire. « T’es incroyable. »

Le voyage se fera dans une bonne ambiance, rassurer par notre sort, on a pris le temps de discuter de tout et de rien et surtout de faire un peu plus connaissance avec l’équipe qui nous suit depuis le départ. On a fait un jeu idiot lancer par Parker et c’était comme un voyage en direction de la colo lorsque l’on était gamin.

Dix-huit heures, on dépasse le panneau annonçant l’entrée de Windorah. « WE DID IT. » que je hurle alors que Kelly attend que je vienne frapper dans ses mains, ce que je fais rapidement. S’en suit une danse de la joie en plein milieu de ce qui semble être la seule place de cette minuscule ville. La production nous reçoit avec le sourire et nous donne le feu vert pour faire ce que l’on souhaite pour le reste de la soirée et le lendemain. Il est encore tôt, la journée a été stressante, mais je me sens plus en forme que jamais. « On va se boire un verre ? » que je demande en souriant. « Je t’invite, pour avoir convaincu Dylan et pour être une partenaire de folie. » que je renchéris en laissant mon sac à dos à l’une des personnes responsables de nous pour l’aventure. Plus d’obligation, plus de caméra, on va pouvoir se détendre encore un peu, il faut croire. « On va tellement pouvoir profiter de cette soirée. » Je me sens déjà bien plus calme et complètement détendue. « Tu crois qu'on va sortira de là diplômé en auto-stop? » que je plaisante d'humeur légère.

@kelly ward