Hier, je me serais sans doute réjoui d’avoir récupéré une alliée, aussi antipathique peut-elle me paraître. Aujourd’hui, je ne suis pas certain d’avoir envie de l’engager dans cette fois par égard pour Jack, pour Ellie et de son bambin qui a assurément besoin de sa mère. Mais, ne dit-elle pas qu’avec ou sans moi, elle l’aurait tout de même fait ? Ne précise-t-elle pas qu’en soi, je ne suis pas son moteur ? Que ce qu’elle pourrait trouver ne sera transmis parce que je serais comme une espèce d’interlocuteur indirect ou collatéral ? Je ne suis personne pour l’interdire de mener sa mission comme elle l’entend. En revanche, j’estime cohérent de lui précise qu’elle ne sait rien, River. Elle n’a aucune idée de ce dans quoi elle va fourrer le nez. Même moi, qui vivote à l’intérieur de l’organisation, je n’ai pas réussi à lever le voile qui recouvre l’entièreté de son mystère. « Ce sera sans doute un travail d’une vie que de tout déterrer. Et méfiez-vous, c’est un requin autrement plus dangereux qu’un politicien aux mœurs détestables. » Je me répugne à prononcer le mot adéquat, comme tous les pères sans doute. Mais, qu’à cela ne tienne, elle comprendra. « Et si vous en avez envie, dans ce cas… » Aucune piste n’est à négliger quoique, sans remettre en cause ses compétences, je serais surpris – agréablement néanmoins – si elle se trouvait dans la position de celle qui m’apporterait une information capitale. En attendant, je me contente de ce qui ressemble à une promesse par rapport à Raelyn. « L’intermédiaire, j’en fais mon affaire en revanche. » ai-je répliqué plus incisif que jamais. J’y tiens. Je ne cracherais pas sur plus d’informations qu’un prénom, mais je me sentirais amputé de mon droit légitime à ce que justice soit rendue si elle le dénonçait à Zheri par exemple. « Commencez déjà par Strange. Je vous dis : c’est le travail de toute une vie que vous envisagez là. Quant au système, c’est quoi la question exactement ? Est-ce que je veux faire tomber tout le monde ? » Est-ce que j’ambitionne de voir les prostituées libres et les dealers de Raelyn sous les verrous ? Je n’en sais rien. Mes projections sont devenues floues à cause de mes sentiments. Plus ils prennent de la place, plus ma vendetta recule sans que je ne sache réellement qu’en penser. « Je ne suis pas le défenseur de la veuve et de l’orphelin, River. Je n’accorde pas tant d’importance que vous à la vérité. » Ce n’est pas mon métier. « Je vous l’ai dit : mes intentions sont juste personnelles. Alors, je ne sais pas. » Et je crois qu’elle l’a saisi puisque la suite ressemble à une promesse, le serment qu’elle respectera notre accord préalable : elle restera éloignée de Raelyn. « Mais je présume que nous aurons l’occasion d’en reparler le moment venu. »ai-je conclu avant qu’elle ne m’interroge plus allant sur ce que je sais, ce que j’ai découvert sur le responsable indirect de ma fille. Et, je pourrais ! Je pourrais le lui dire. Je pourrais lui en apprendre des choses sur son compte. Mais, je me tais. Je me tais par déférence envers Lou, envers Raelyn, envers moi-même également. Je n’attellerai pas la charrue avant les bœufs. « Vous m’avez dit avoir rendez-vous avec un flic. Laissez-le vous expliquer. Je suis certain qu’il le racontera mieux que moi si ce qui s’est dit lors d’un tête à tête pour vous attirer dans un lit ou par souci d’honnêteté. »
Tout porte à croire que la conversation est close désormais. J’ai creusé un peu pour affiner l’ébauche de sa personnalité, celle que j’ai brossé en conséquence de nos trois précédentes rencontres et, quoique nous ne soyons pas toujours tombé d’accord, Il semblerait néanmoins que cette dernière, qui touche vraisemblablement à sa fin, s’achève sur une notre plus positive. Je lui ai donné quelques tuyaux et me suis attardé en conseil. Nous avons échangé autour de Mitchell et de ses manigances et autour de ma fille également. A priori, mon histoire semble l’avoir ébranlée. Est-ce en lien avec son rôle de mère ? Est-ce d’avoir Liberty sous les yeux qui justifie sa proposition d’aide ? Son envie d’enquêter non pas pour moi, mais pour elle et avec moi ? Est-elle touchée par le sort funeste de mon bébé et par ce que mon deuil inachevé, celui que je peine à cacher, ait réveillé en elle de la pitié ? J’ai cru en voir. J’ai songé que je m’étais trompé. Dans le doute, je ne l’ai ni repoussée ni rejetée. Mais, je ne me sens plus à ma place désormais. J’entends sa question, celle qu’Ellie et le marmot interrompt, et si j’esquisse un sourire alors qu’elle m’assure ne pas en avoir pour longtemps, je prends la décision qu’il est l’heure pour moi de partir, de rentrer chez moi, de repasser par Redcliff pour cacher mes clichés et de retrouver Raelyn au Loft ou au Club selon son emploi du temps. Je n’ai plus à intercéder au milieu de la complicité qui lie cette famille et son amie. J’attends pourtant. J’attends que la tresse soit attachée par l’élastique et, reportant mon attention qui s’était égarée sur les quelques animaux de son non-zoo, j’ai précisé que le drame de mon existence s’est déroulé il y a : « Trois ans. » Son prénom ? Je l’ai gardé pour moi. Je ne le partage plus. Le prononcer et l’entendre, ça me fait un mal de chien. « Je vais vous laisser, River. Et, merci. Pour ça. » J’ai tapoté ma poche, je me suis levé et, un signe de tête plus tard, je disparaissais au milieu de la foule.