« C’est comme ça. » Qu’il rétorque en haussant les épaules, mais le regard d’Ivy l’inquiète, lui fait comprendre qu’il doit donner une véritable réponse s’il ne veut pas mettre à mal leur entente et il se reprend rapidement : « Je suis pas sûr de vouloir entendre les réponses. » Il s’explique, avec un sourire pincé, espérant mettre fin à la conversation, espérant surtout ne pas perdre l’attention d’Ivy. Mais cela semble compromis alors qu’elle admet être presque vexée par son attitude. « Désolé, c’est pas contre toi. » Mais contre tous ceux qui l’ont fait, un jour ou l’autre. Qui ont pris des parts de lui, sans jamais lui demander son avis. Qui se sont servis allégrement de sa gentillesse, de sa naïveté, de sa loyauté, de sa bienveillance et de tout ce qui fait ce qu’il est, pour mieux retourner ces qualités contre lui. Et le pire dans tout ça ? Il en redemande, encore et encore, bien trop habitué à ce schéma dans lequel il est coincé. C’est ainsi que cela doit fonctionner d’après lui ; il ne voit pas comment il pourrait en être autrement. Même Eve l’a fait, deux semaines plus tôt, utilisant ses confessions contre lui, même si elle ne pensait certainement pas à mal. Mais elle l’a fait, brisant la confiance d’un Kieran qui, pour autant, continuer de l’accorder à tout le monde sans jamais se questionner s’il peut se le permettre ou non. La jeune femme semble plus apaisée alors qu’elle rit – même si c’est pour se moquer de son manque d’imagination. Il n’a pas l’habitude de jouer à ce jeu, Kieran et même du haut de ses trente ans, il est encore bien naïf quant à ce qu’il peut se permettre ou non dans ces conditions. Il préfère ne pas aller trop loin, rester dans le domaine du basique, c’est plus sûr. Du moins, il le croyait, jusqu’à ce que la question d’Ivy malmène ses certitudes. Il s’imaginait pouvoir mentir, dissimuler des informations derrière une idiotie – il n’est pas compliqué pour lui de paraître stupide. Mais Ivy le piège, alors qu’il ne peut mentir sans la vexer. Or, il sait ce qu’il peut se produire s’il la vexe. Il est mal à l’aise, mais pas autant qu’il l’aurait pensé. Bien-sûr, sa réserve habituelle se charge de le déstabiliser, mais il parvient à formuler une réponse qui n’est pas trop personnelle et qui est néanmoins honnête. « Je suis sûr que tu, que tu plais à beaucoup de monde, Ivy, alors la réponse est pas, elle n’est pas surprenante. » Qu’il ajoute, constatant un fait. Elle a tout pour plaire de ce qu’il aperçoit, sa réponse positive n’en est qu’une parmi des centaines. Mais cela ne l’empêche pas d’être gêné, toujours les joues roses, alors qu’elle se satisfait de cette réponse. Bien, le drame est évité et il s’en satisfait aussi. Il affiche un sourire lorsqu’elle félicite son choix d’action, même s’il sait qu’il ne le mettra jamais à exécution ; hors de question d’agir ainsi. Alors qu’il demande une action en espérant ne plus faire face à une telle gêne, la jeune femme nage jusqu’à lui, son premier réflexe est de reculer, mais à l’entente de l’action, il comprend qu’il devrait s’abstenir. « Facile. » Qu’il murmure pour se donner une contenance, même si c’est le cas. Il l’a déjà fait dans ce café, il le refait aujourd’hui. Il plonge ses yeux bleus dans ceux d’Ivy, l’envie de détourner le regard présent plus d’une fois, mais il résiste. Il détaille ses yeux dans son esprit, s’imagine les choix des crayons qu’il utiliserait pour les coucher sur papier de la manière la plus fidèle possible et c’est ce qui l’aide à tenir, jusqu’à ce qu’elle reprenne la parole. Et il continue de soutenir son regard, Kieran, dans une envie surprenante de lui prouver quelque chose. Il ne sait pas exactement quoi, mais il y parvient, et lorsqu’il a l’impression d’avoir enregistré tous les détails de son regard, il baisse le sien, le temps de réfléchir à la question idéale. « Tu joues avec moi, Ivy. Est-ce que tu penses à mal quand tu le fais ? » Une question brutale de sa part, mais il se cache derrière le jeu, derrière la nécessité de poser une question suffisamment intéressante. Il en revient à ses craintes ; est-ce qu’elle se moque ? Est-ce qu’elle veut se servir de lui ? Il ravale sa salive, l’estomac noué face à cette question qu’il n’aurait pas dû formuler, mais il a besoin de le savoir, parce qu’il l’apprécie et il doit apprendre à se préserver dans ces cas-là. « Action. » Qu’il dit par la suite ; parce que la précédente lui a prouvé que cela lui permet justement de se préserver, contrairement à la vérité.

”Et tu préfères vivre dans l’incertitude ?” Je détesterais ça à sa place. Il préfère ne pas savoir plutôt que de me poser les bonnes questions, auxquelles je ne répondrais pas forcément vrai, mais ça, il ne le sait pas. J’ai toujours été une professionnelle du mensonge, et il n’y verrais que du feu même si je décidais de lui raconter n’importe quoi à partir de maintenant. Mais ce n’est pas dans mes projets, alors je continue d’être plus ou moins naturelle, même si je suis toujours méfiante, c’est dans ma nature. “Je pensais pas que tu faisais partie des gens méfiants.” Je fronce les sourcils parce que c’est la vérité. Il n’avait pas l’air de se méfier du genre humain la première fois qu’on a discuté, mais finalement, on est peut-être semblable sur ce point là. Mais je note, je commence à comprendre de plus en plus comment il fonctionne, mais il n’est pas facile à cerner Kieran. C’est pour ça que je ne me suis pas encore lassée c’est certain.

Il a répondu sincèrement à ma question, et même si je le savais, ça me fait sourire de l’entendre. Je ne pensais pas qu’il répondrait, il aurait pu essayer d’éviter la question. Il continue d’être surprenant Kieran. “C’est toujours mieux de l’entendre.” Je hausse un sourcil en réfléchissant déjà à la suite du jeu. “Je sais pas, t’aurais pu être gay !” Je hoche la tête, je ne connais pas ce genre de détails sur lui. Et je continue de le mettre mal à l’aise, je crois que c’est devenu ma nouvelle passion. Et, plus je fais ça, plus il se laisse aller dans le jeu et dans le moment. Peut-être qu’il commence à s’habituer.

Mon défi est simple pour moi, pas forcément pour lui. J’ai remarqué à quel point il avait du mal à croiser un regard. Pourquoi ? Je continue de me poser la question. Ce n’est pas si difficile pourtant, et il serait bien plus facile à lire s’il était capable de regarder plus de 10 secondes dans mes yeux. Et il tient, je ne sais pas combien de temps, mais il tient même plus longtemps que ce que je voulais. Mes sourcils se froncent, il a l’air d’analyser quelque chose, mes yeux peut-être ? Je ne sais pas, mais je ne baisse jamais les yeux. Donc s’il ne le fait pas, on peut rester comme ça très longtemps. Sa question me surprend un peu. Il pose une vraie question. “Je joue pas avec toi, on joue ensemble.” Sur le moment, on joue à la même chose même si je suis bien plus expérimentée que lui. “J’ai pas de raison de penser à mal.” Je le fixe même s’il ne reste pas dans mon regard assez longtemps à mon goût. “Si tu me donnes pas de raison d’utiliser ce que tu dis contre toi je le ferai pas.” Peut-être que je le ferai un jour, mais ça, il ne le sait pas.

Il choisit encore action, il a donc plus peur de la vérité que de ce que je peux lui demander. Est ce que c’est le moment de monter d’un cran ? Peut-être bien. “Ne recule pas.” Il l’a fait quelques minutes plus tôt. Je me demande s’il fera cette action, ou s’il va prendre peur et s’enfuir en courant. On verra bien, sinon ça ne sera que partie remise. Je reste debout en face de lui, je vais lui montrer à quoi sert réellement ce jeu, qu’est ce qu’on peut réellement poser comme action. “Touche la partie de mon corps que tu préfères.” Je souris légèrement, il va rougir, il va peut-être bégayer aussi. Ca ne m’étonnerait pas. Ce qui m’étonnerait par contre, c’est qu’il reste en face de moi et qu’il le fasse. Mais il est surprenant Kieran, alors pourquoi pas ?

« C’est pas une question de préférence. » Mais de nécessité, sauf qu’il ne le dira pas. Elle lui en demande trop, Ivy, plus qu’il ne concède à lui en fournir pour une connaissance de quelques jours ; elle joue avec lui, elle l’use et il ne sait pas sur quel pied danser avec elle. C’est déstabilisant, c’est agréable autant que c’en est perturbant. Il navigue d’un extrême à l’autre sans parvenir à se fixer, sans parvenir à jouer le rôle qu’il revêt d’ordinaire : celui qui vise perpétuellement à satisfaire son interlocuteur, à se rendre naïf à ses yeux pour que jamais il n’investigue au-delà de ce qu’il veut bien offrir. Mais elle investigue, Ivy, elle pose des questions sensibles qui demandent des réponses réfléchies ; elle le met face à ses contradictions, l’oblige à y mettre un peu de lui-même plutôt que de se contenter de se cacher derrière un masque et il en est perturbé. Il avait l’impression de maîtriser un minimum la conversation, de pouvoir l’orienter lorsqu’elle dérivait sur lui, mais elle en revient toujours à lui ; et il ne sait plus comment y échapper. Il sent son cœur qui s’accélère, le peu de contenance qu’il parvenait à maintenir s’échapper et il se mord la lèvre un bref instant face à son constat, hésitant quant à la réponse à donner. « Je n’en fais pas partie. » Il rectifie par la suite en tentant de soutenir le regard d’Ivy. À vrai dire, il ignore lui-même la réponse à cette affirmation ; une part de lui fait confiance à tout un chacun sans jamais émettre la moindre méfiance, une autre part ne peut s’empêcher de douter de toutes les intentions à son égard. Il se perd lui-même dans sa recherche d’identité et Ivy le pointe du doigt, rendant cette conversation inconfortable.

Il est interdit un bref instant à la question de la jeune femme, bégayant une réponse qui ne lui paraît pas trop personnelle, mais susceptible de lui convenir. Il n’a pas envie de s’épancher, mais il est vrai que s’il doit se montrer objectif, il ne peut pas nier le fait qu’elle est attirante. Toutefois, le simple fait de confirmer cela dans son propre esprit lui suffit pour sentir le rouge qui lui monte aux joues et être mal à l’aise. « Ça veut pas dire que je ne le suis pas. » Il songe à voix haute avant d’écarquiller les yeux. « Enfin, c’est pas ce que je... » Il n’est pas gay. Il sait que son discours pourrait sonner à tendance homophobe s’il le verbalise de la sorte, mais le fait est que Kieran n’a pas été élevé dans l’optique de se considérer ainsi, ni même de l’envisager une seule minute. Il a eu ces schémas toxiques autour de lui qui font qu’il ne peut se penser qu’avec une femme ; ce n’est pas une critique contre les autres, mais seulement contre lui-même. « Ma fiancée, non, mon ex-fiancée, elle était blonde aussi. Aux yeux un peu plus foncés que les tiens, mais je... Enfin, elle est toujours blonde, elle est pas morte et je... » Je ne sais pas pourquoi je te raconte tout ça. J’ai sûrement un truc pour les blonds, va savoir. Autumn, Eve, Ivy et d’autres. « Bref. » Qu’il conclut la conversation en plongeant son regard sur l’eau pour éviter le sien.

Lorsqu'il est mis au défi, il soutient son regard avec plus de facilité qu’il ne l’aurait pensé – il suffit de se concentrer sur un détail et de ne pas penser à la situation. Et puis, ses yeux sont captivants, à Ivy. Bruns quand on les regarde sans s’y arrêter, avant de réaliser que des touches de vert entourent ses iris. Cela ne se décèle qu’à la lumière, il faut y prêter attention et il ne l’aurait pas vu s’il n’avait pas à soutenir son regard de la sorte. La question qui s’échappe d’entre ses lèvres est brutale et il le regrette aussitôt. Mais Ivy ne semble pas s’en offusquer. Il affiche un bref sourire à sa réponse, elle n’a pas tort : ils jouent ensemble. « Oh, je vois. » Son sourire disparaît, doit-il le voir comme une menace ? Est-ce que cela veut dire que s’il ne se comporte pas comme elle l’espère, tout ceci pourrait se retourner contre lui ? Et il en revient au même problème, à ne pas savoir comment se comporter avec la jeune femme. C’est perturbant, c’est détestable et pourtant il est toujours là ; alors que d’ordinaire il aurait fui depuis longtemps. « Je ne vais pas te donner de raisons de penser à mal. » Qu’il précise avec un léger sourire. Peut-être que s’il le verbalise, cela l’empêchera tacitement de retourner les informations qu’il transmet contre lui.

Alors il évite la vérité en choisit l’action et lorsqu’elle lui ordonne de ne pas reculer, il fronce les sourcils. Son cœur s’accélère à nouveau tandis que son regard se porte un bref instant derrière lui pour y déceler une issue de secours. Mais il ne peut pas le faire, il ne peut pas agir de la sorte ; il est coincé : elle l’a dit, si elle pense à mal, elle pourrait devenir une ennemie au lieu d’une alliée et il ne pourrait le supporter. Elle l’a piégé, il s’en rend compte. Elle l’a piégé et il ne s’en offusque même pas. Il a d’autres choses en tête, de toute évidence, alors qu’elle lui lance ce qui relève plus d’un défi qu’une action. « Qu-quoi ? » C’est un piège, il s’en fait une nouvelle fois la réflexion. C’est un piège et pourtant, il est toujours là. « Je... » Qu’est-ce que tu veux, Kieran ? Et surtout, qu’est-ce que tu veux toucher, Kieran ? Non. Non, la question ne doit même pas se poser. Il ne peut plus se retrouver conquis par des battements de cils et un joli sourire. C’est trop dangereux, il l’a expérimenté. « Je ne peux pas toucher tes yeux. » Qu’il admet avec un rire gêné, baissant le regard. Qu’est-il supposé faire, maintenant ? Est-ce une bonne justification ou est-ce qu’elle va lui reprocher de ne pas jouer le jeu ? Dans le doute, il s’avance dans un pas, tend son bras, dépose délicatement sa main sur le côté du visage de la jeune femme pour que son pouce puisse toucher sa pommette dans une tentative d’être le plus représentatif possible. Il reste ainsi une seconde, deux, cinq, suffisamment pour que le défi soit validé avant de se reculer, de lui adresser un bref regard avant de le reporter sur ses pieds ; c’est à son tour de jouer, mais il ne le dira pas, elle a réussi à lui faire perdre la parole.  

J’aime ce jeu, il sort de sa zone de confort Kieran, je le sens. Je ne le connais pas bien mais je sais que je ne suis pas le genre de personne qu’il fréquente en général. Et ça me plaît, j’aime être quelqu’un qui le pousse dans ses retranchements. Je fronce les sourcils mais ne renchérit pas, il ne fait pas partie des gens méfiants et ça m’étonne. Tout le monde devrait être un minimum méfiant, c’est une question de survie. Il est perdu quand on discute, il cherche constamment à se justifier et ça m’amuse. Je secoue la tête, ouvre de grands yeux étonnés quand il me dit ne pas être gay. “Oh…” Il l’est peut-être finalement. Je le laisse parler encore et encore en hochant la tête. Je ne rajoute rien et je me retiens d’éclater de rire. “C’est mieux si tu l’es pas.” Il va encore être gêné, je le sais. Mon regard cherche le sien alors qu’il m’évite. Je commence à être habitué à tout ce cinéma alors je ne dis rien de plus. “Ah donc encore accroché à son ex.” C’est un fait, je le vois dans sa façon d’en parler. C’est la pire des idées de tomber amoureux, de s’attacher de trop à une personne sans intérêt. Je mets la moitié de ma tête sous l’eau et ne le lâche pas du regard.

Il a l’air terrifié. “C’est pas dans mes plans de t’en vouloir ou d’être méchante avec toi tu peux respirer.” Je les vois les questions qui s’enchaînent dans ses yeux alors je tente de le rassurer comme je peux. Il ne me connait pas vraiment, et il ne sait pas de quoi je suis capable. Je reste l’amie gentille pour le moment, il se méfie un peu de moi et je m’en amuse. “J’en doute pas.” Il est bien trop gentil pour ça, il devrait s’endurcir un peu, et peut-être que je peux l’aider pour ça.

On joue toujours, je vais bien plus loin que lui et il ne s’attendait pas à une telle question. Je m’attends à ce qu’il s’enfuit ou qu’il finisse par se noyer mais il n’en est rien. Il ouvre de grands yeux étonnés, se demandant sûrement si je suis sérieuse. Je le suis. Il faut qu’il se détende, qu’il commence à jouer pour de vrai. “C’est le jeu.” Je hausse les épaules et je souris en tournant un peu autour de lui avant de me poser devant ses yeux. Mes sourcils se froncent quand il parle de mes yeux. Je baisse les yeux sur tout mon corps et le regarde, c’est à mon tour de me demander s’il est sérieux. “Vraiment ?” Il pose sa main sur ma joue et je ne bouge pas, le laissant faire à son rythme avant qu’il ne recule pour s’éloigner de moi. “Ne fais pas un arrêt cardiaque.” Je pouffe de rire. “C’est que des yeux.” Je souffle et mes lèvres se pincent. “Vérité ?” S’il veut continuer à jouer, mais là, je m’attends à ce qu’il prenne ses jambes à son cou.

La question de son orientation sexuelle ne s’est jamais posée – d’aussi loin qu’il s’en souvienne son hétérosexualité a toujours été présumée et assumée de la part de son entourage, puis de lui-même. Il n’a jamais remis celle-ci en question, parce que ses yeux (lorsqu’ils parviennent à croiser le regard de quelqu’un) se sont toujours posés sur des filles. Et de toute évidence, aucune autre préférence n’aurait pu être tolérée au sein de sa famille biologique. Même s’il a grandi loin d’eux, leur influence ne l’a jamais quitté et il n’imagine pas un seul instant la réaction de son père s’il lui avait avoué préférer les garçons. Mais, encore une fois la question ne se pose pas puisque ce n’est pas le cas. Les faits sont là ; ce fut Diana, Kiara, Autumn, Eve qui ont fait battre son cœur un peu plus que la normale et pour les deux dernières, c’est un amour sincère qu’il ressent pour elles. Néanmoins, il se sent obligé de se justifier – parce qu’être homosexuel n’est pas envisageable, ne serait pas toléré et Kieran ne peut s’empêcher de se défendre comme il est supposé le faire face à une telle affirmation. Et s’il semblait presque confiant dans son récit, il se décompense quelque peu à la précision apportée par la blonde. « Hein ? » Il marmonne tandis qu’il secoue légèrement la tête pour lui faire comprendre d’oublier sa réaction, il n’a pas besoin (n’a pas envie) de précision. « C’est cinq ans de ma vie. » Qu’il finit par justifier, ne sachant pas s’il doit affirmer ou infirmer les propos d’Ivy, ignorant lui-même où il se situe quant à son attachement pour Méduse. Un jour il est encore fou amoureux d’elle, le lendemain il la déteste de tout son être. Évoquer le poids des années lui semble la meilleure solution, laissant comprendre qu’il s’en détache, mais que cela ne peut pas se faire en quelques semaines.

« Cool. » Qu’il verbalise, quatre lettres utilisées à profusion quand il ne sait que répondre, quand il est mal à l’aise. Mais il réapprend à respirer à cet instant, tandis qu’elle lui confirme à demi-mot qu’il n’a pas de raison de la craindre. Pas méfiant, Kieran ? Quel mensonge qu’il se dit à lui-même et aux autres. Le problème est qu’il apprécie Ivy, autant qu’il a bien conscience que leurs caractères sont diamétralement opposés et qu’elle est l’exacte représentation de ce qu’il tend à fuir au quotidien. Elle est de ses personnes en qui il ne pourra jamais avoir confiance, parce qu’elles semblent toujours prêtes à frapper au moment le plus opportun, le plus douloureux. Comme lorsqu’elle finit par lancer le jeu après quelques questions presque innocentes et qu’il entre dans une sphère qu’il n’avait même pas imaginé. « Je-je sais. » Qu’il confirme tandis qu’ils ont regagné la terre ferme et qu’il réfléchit à la réponse appropriée. Celle qui lui évitera d’être trop gêné ; mais celle qui saura également la flatter. Il ne peut pas être trop réservé, ni trop direct. Alors il s’épuise à réfléchir, car s’il veut toujours apparaître sous son meilleur jour auprès des autres, elle ne lui facilite pas la tâche alors qu’il s’agit d’un cas de figure qu’il n’a jamais imaginé et, par conséquent, pour lequel il n’a pas de réponse toute prête. « C’est la plus belle chose qu’un individu possède, selon moi. » Qu’il se contente de préciser face à sa question qui relève de la surprise. Kieran a toujours eu une préférence pour les yeux, parce qu’il s’agit de la première chose qu’il a voulu apprendre à dessiner plutôt que de seulement les gribouiller. Au-delà de ça, même s’il prend soin de fuir le regard des autres dès que possible, c’est bien dans les yeux qu’on lit le plus de choses et qu’il parvient à trouver les réponses aux questions qu’il se pose à l’égard d’autrui. Sa main se pose sur sa joue un bref instant à défaut de ses prunelles, avant qu’il ne recule pour marquer la distance entre eux qui lui est nécessaire. « Je suis pas cardiaque. » Il précise, le plus sérieusement du monde, tandis qu’elle lui retourne la question. « Euh non, je dois-je dois retrouver Elias, je lui avais promis. » Il s’excuse, tandis qu’il recule d’un nouveau pas. La parenthèse est agréable, mais devient trop dangereuse pour lui, raison pour laquelle il se doit de quitter la partie au plus vite. « Mais c’était chouette, vraiment, merci ! » Flatter l’autre, toujours. « On continuera avec plaisir la partie à l’occasion, promis. » Qu’il dit, conscient que sa promesse n’ira pas au-delà de cette émission ; car pourquoi seraient-ils amenés à se côtoyer à nouveau ? Alors c’est une promesse qu’il peut faire, puisqu’il sait d’avance qu’il n’aura pas à la tenir. Faisant un geste de la main, s’excusant une dernière fois du regard, il finit par lui faire dos pour partir d’un pas empressé qui contraste avec la légèreté qu’il ressent.