Si Clyde s’était par plusieurs fois posé la question de savoir si la brune avait déjà songé aux mêmes interdits que lui, il avait désormais la réponse sous les yeux sans même avoir besoin de l’entendre. Pourtant, la brune avait un tel talent pour ne jamais laisser filtrer ses réelles émotions que le doute avait été présent jusqu’au dernier instant, jusqu’à aujourd’hui-même - le jour de son mariage, ce qu’il convenait tout de même de rappeler malgré les apparences trompeuses. En réalité, la question restait la même, et c’était cette simple hésitation, ce doute insidieux que tout ceci ne soit qu’un jeu aux yeux de la brune qui empêchait Clyde de franchir le peu de distance qui les séparait encore. Que leurs yeux parlent pour eux et brûlent de désir était une chose, mais commettre l’irréparable pour cette seule raison n’était pas suffisant - pas après tant de temps à élever des barrières entre eux qui avaient une réelle signification. Leur duo fonctionnait à la perfection, justement car ils avaient jusque-là maintenu une distance - ou du moins son illusion très savamment entretenue - qui leur permettait de ne pas se laisser influencer par la moindre émotion. Alors, si Halsey ne voyait chez Clyde qu’un pion dont elle pourrait dicter les faits et gestes dans le simple but de gagner, il se savait encore capable de ne pas céder s’il ne s’agissait là que d’une bataille d’influence entre eux.

Le jeu était pourtant terriblement tentant, et ce n’était qu’au prix d’un grand contrôle sur lui-même que Clyde se retenait de ne pas fondre ses lèvres sur la brune sans jamais plus détacher ses mains de son corps. A défaut, son verre était son option la plus sûre - ironiquement, considérant ce qu’il contenait et le peu d’intérêt qu’il y accordait habituellement. Clyde aurait menti s’il avait prétendu ne pas se sentir grisé plus que de mesure par la tension qui s’était irrémédiablement installée entre eux et qu’il entretenait autant qu’Halsey - jusqu’à flirter avec cette limite qu’aucun des deux ne semblait oser réellement franchir. Le jeu valait trop gros, avait bien plus de conséquences qu’une simple attirance charnelle et des souvenirs oubliés au petit matin - et tant que Clyde n’aurait pas la certitude qu’Halsey n’était pas en train de le manipuler lui aussi dans ses filets comme tous les autres, il ne céderait pas. Car les émotions véritables avait fini par prendre le pas sur tout ce qu’il prétendait en permanence, et même si le regard amusé qu’il destinait à la brune ne déviait pas de celui qu’il lui avait toujours offert, quelque chose dans son sourire avait changé et signifiait à quel point ce n’était plus comme avant. Désormais, c’était tout ou rien. La chute de leurs artifices et de leurs mensonges, de leurs faux-semblants et de leurs calculs - ou rien, et les jours finiraient peut-être par leur faire oublier qu’ils avaient un jour failli franchir la limite.

“J’en sais rien Wakefield, et si tu venais vérifier par toi-même?” Le regard qu’il avait alors posé sur elle s’était étiré durant de longues secondes chargées d’une tension électrique, avant qu’il ne décide enfin de reposer son verre et de se pencher vers elle. Halsey pouvait prétendre autant qu’elle voulait, les réactions du corps ne mentaient pas - et il n’attendait que les siennes alors qu’il faisait courir une main sur son épaule, avant de descendre lentement dans la courbe de ses reins, pour venir frôler délicatement le fameux jupon dont l’existence n’était plus que le dernier obstacle tangible entre eux. “Non, pas d’autre jupon.” Il avait tenté de maîtriser le ton de sa voix, le rendant le plus calme possible, comme si quiconque était encore dupe qu’il s’agisse là d’une réelle réponse à une interrogation pourtant absolument fictive. Puis, sans prévenir, il se pencha encore davantage vers la jeune femme pour se rapprocher dangereusement de ses lèvres… avant de venir se saisir de la bouteille de vodka qui se trouvait derrière elle. Il n’avait cure de cette bouteille, et l’aurait lâchée dans l’instant si elle le lui avait demandé - et c’était précisément ce qu’il cherchait à savoir par ce geste. Devait-il s’éloigner lentement et se resservir un verre en se soustrayant au magnétisme que ses yeux avait déclenché sur lui, ou devait-il lâcher l’objet comme si rien d’autre ne comptait plus désormais que ses prunelles dans les siennes et ses mains sur son jupon bientôt oublié. A elle de décider. A elle de le convaincre. “C’est pas un jeu, Blackwell” qu’il murmura au creux de son oreille, n’attendant plus qu’un signe de sa part. Et si elle le voulait vraiment, il la laisserait gagner, quand bien même ce n’était presque pas un jeu.

Si Clyde avait dû imaginer sa fin de soirée, il ne l’aurait pas décrite telle qu’elle se déroulait sous ses yeux désormais, et aurait même réfuté l’idée qu’Halsey et lui se retrouvent une position qui ne laissait plus de place aux sous-entendus. Mettre le doigt sur le jour ou la raison qui avait fini par faire déraper leur complicité purement professionnelle était complexe, tant que cela semblait s’être joué sur des mois et même des années. Néanmoins, ce à quoi tous deux s’apprêtaient à céder ne pourrait pas être oublié, du moins dans son esprit à lui, et marquerait un tournant irrémédiable dans leur relation. C’était pour cette raison et uniquement celle-ci qu’il résistait encore à la brune alors que ses lèvres étaient désormais si proches - car il se refusait à prendre un tournant si Halsey n’y voyait là qu’une étreinte passagère et sans conséquences. Alors, il espérait que les frissons qui parsemaient la peau de la jeune femme n’étaient pas qu’une réaction éperdermique mais cachaient en réalité bien plus chez elle aussi. “Je ne joue pas.” Halsey était bien trop douée pour mener son monde à la baguette pour que Clyde puisse être certain d’une telle affirmation, mais le regard qu’elle posait désormais sur lui était d’un genre nouveau - celui qu’il n’avait jamais observé dans ses yeux lorsqu’elle regardait Jack. Il aurait voulu être certain de son geste, le brun, s’assurer qu’il ne regretterait rien et que cette soirée n’avait peut-être pas l’importance qu’il lui donnait, mais toutes ses barrières finirent pas s’envoler la brune vint à nouveau frôler sa peau. Clyde ne réussit pas à détacher son regard du sien, cette fois, alors qu’elle laissait sa main courir sur sa nuque pour l’attirer à elle, avant de se refuser à ses lèvres au dernier moment. Un instant, il crut à un jeu, celui qu’elle niait et qu’il n’excluait pourtant pas de l’équation, mais le regard d’expectative qu’elle lui lança parlait pour lui. Elle ne comptait plus s’arrêter et n’attendait là que son accord pour sceller ce à quoi tous les deux songeaient depuis bien longtemps sans jamais l’avoir pourtant avoué. Alors, plutôt qu’ajouter des mots qui n’avaient désormais plus aucun sens alors que leurs frissons partagés parlaient pour eux, il vint réduire la distance qui le séparait encore des lèvres d’Halsey, dans un baiser passionné qui dépassait tout ce qu’il avait jamais imaginé. Le reste du monde s’effaça en un instant, tandis qu’il attrapait la taille de la brune et faisait glisser le jupon de soie au sol avant de l’attirer sur lui pour ne plus la lâcher. Jamais.

Un battement de ses paupières,
et elle me regarda sans me voir,
et ce fut la gloire et le printemps
et le soleil et la mer tiède
(Belle du Seigneur, Albert Cohen)