Il était comme un gamin à Noël Jack, ce matin. On lui avait dévoilé le plan du jour entre deux cafés et une clope et demi, et déjà il rêvait comme un con de sauter littéralement dans le vide. C'était le genre de truc isolé qui n'avait rien pour l'effrayer, le genre de rêve jamais accompli qu'il allait pouvoir cocher sur une bucket list qui n'en avait que le nom tant elle était désorganisée, sa liste de vie quelle qu'elle soit. Il avait appris à sauter sur les occasions possibles mais à surtout toujours prendre que ce qu'on lui donne, et si l'opportunité de sauter à l'élastique n'avait pas été mise sur sa route aujourd'hui, il ignore quand il l'aurait fait. Sûrement qu'Ellie l'aurait inscrit, sur un coup de tête. À sauter à l'élastique comme elle l'a fait en l'inscrivant à l'émission de télé-réalité pour laquelle il est actuellement filmé.

Colleen est belle avec les cheveux qui volent d'un sens comme de l'autre, avec cet air mutin qu'il ne saurait cataloguer comme une crainte ou une poussée d'adrénaline. Il a confiance en elle, le type qui ne la connaissait pas y'a un mois de ça mais qui aujourd'hui n'imagine pas une journée passer sans lui raconter une blague de merde ou sans s'assurer qu'elle est heureuse, qu'elle a tout ce dont elle a besoin au mieux de ses capacités à lui. Ils forment une équipe incroyable et il ne le sait que trop, terriblement rassuré de l'avoir retrouvée pour la dernière partie de l'aventure. S'ils partent cette semaine ça lui est presque égal tant ils ont vécu, tant ils se sont promis qu'advienne que pourra, qu'ils profiteront de tout jusqu'à la fin peu importe quand soit-elle prédite.  

Et on lui met son harnais à Jack. Et on lui sourit, on lui explique les différentes règles de sécurité, au con qui n'écoute que d'une oreille, au gars pleinement en confiance pour une des premières fois de sa vie. Son regard est perdu sur l'horizon et il brûle d'impatience, le long fleuve tranquille désormais guidé par une impulsion euphorique de sauter. Dans le vide. Dans l'inconnu. Dans rien, rien du tout, et tout surtout. Un dernier coup d'oeil vers Colleen et il est prêt, il jure qu'il l'était.

Mais c'était sans compter la mauvaise blague du type chargé de finaliser ses noeuds, qui a la seconde où il lui dit qu'il peut y aller, il lâche la plus lourde et la plus horrible des vannes. Un NO, WAIT, DUDE! hilare, qui aurait pu faire frissonner d'horreur qui que ce soit sachant sa vie calée entre les mains de quelques bouts de nylons, quelques velcros et quelques dizaines de milliers de mètres trop haut.

my boy, it's your time to shine:

La demi-finale. Jamais Colleen n’aurait pu imaginer qu’elle parviendrait à l’atteindre, et pourtant elle figurait bel et bien dans l’ultime top trois de l’émission. Une véritable prouesse pour l’Anglaise dont l’unique ambition en début de course avait été de faire plus d’une semaine d’aventure. Jack et elle en étaient désormais à la cinquième, et ce constat arrachait à Colleen une intense satisfaction ainsi qu’une fierté rarement ressentie au cours de ses trente-huit années d’existence. Elle n’osait imaginer la réaction de Lou chaque dimanche soir, en constatant que sa mère ne la contactait toujours pas pour lui annoncer son retour imminent à Brisbane. C’était ce qui la rendait si fière, Colleen : imaginer le regard empli d’admiration de son enfant. Celle qui avait envoyé sa candidature à la boîte de production. Celle qui avait rendu cette aventure possible. Celle qui avait placé une confiance aveugle en elle, celle qui n’avait jamais douté de sa capacité à se dépasser et à intégrer une aventure telle que Race of Australia.

Qui disait cinquième semaine de compétition disait surtout de nouvelles péripéties pour les binômes encore en lice, et tout portait à croire qu’à ce stade de la compétition, on ne leur ferait pas de cadeau. Colleen s’était estimée heureuse jusqu’à présent : non seulement elle était encore en un seul morceau – grâce à Jack, son partenaire depuis le début de cette course, mais aussi Kelly dont elle avait partagé la dernière semaine de compétition – mais elle avait été rarement mise en danger. La course de chameaux qu’elle avait vécue la semaine précédente avait été la plus périlleuse, mais Kelly et elles s’en étaient finalement sorti sans trop de difficulté, parvenant même à s’offrir une deuxième place inespérée. Toutefois, il était peu probable que cette demi-finale lui permette de se reposer sur ses lauriers. Elle en avait la ferme conviction, et elle ne s’était pas trompée. May leur avait annoncé la couleur : la thématique de la semaine serait de repousser ses limites. Viser plus loin, frapper plus fort.

Puis le couperet était tombé. Un saut à l’élastique.

Des heures plus tard, après avoir écouté attentivement toutes les consignes de sécurité, elle était prête. Ou du moins le pensait-elle. Le harnais était en place. Le vide à quelques mètres de Jack et elle. Jack qui souriait comme un enfant à l’approche de Noël, comme un enfant qui s’apprêtait à recevoir le plus beau des cadeaux. Colleen aurait aimé que son assurance et son enthousiasme déteignent sur elle, mais la vérité était qu’elle espérait surtout ne pas se dégonfler au dernier moment.

Et c’est comme si sa vie venait de défiler brutalement devant ses yeux. Pauvre, pauvre gars et sa quantité astronomique d’adrénaline envoyée directement dans toutes ses vieilles veines, lui qui a cru à la mort, la vraie, quand l’étincelle espiègle dans le regard du type chargé de le sécuriser lui a presque donné envie de le tuer.

La boule de chaleur dans son ventre a pris place, elle y est forte et insidieuse, elle tangue vers la flamme la plus brûlante qu’il connaît. Les parallèles se multiplient  et il fait gaffe à ne pas réagir, à tout garder en lui, pourtant il est hyper facile de lire le mélange explosif de hargne comme d’intensité qui a pris place sur son visage de musicien fatigué. Ses ecchymoses se sont envolées suite aux bons soin de Colleen, le voilà qui a presque envie de s’en rajouter tellement la blague de merde de l’autre en est une justement, une blague de merde.

Il peut pas. Il peut pas le faire. Il voudrait le faire mais ses pieds sont comme cloués au sol. Il tremble le pauvre bâtard, il est tétanisé, et elle elle s'apprête à sauter. C'est dégoûté qu'il ravale son inspiration et maintenant, sa seule et unique priorité, c'est de rassurer Colleen à faire le saut. Lui, rien à battre, lui, il s'oublie facilement dans la balance tant il en a rien à foutre de son courroux, tant c'est elle la priorité. C'est pas parce que son saut est gâché que celui de la brune le sera et il se le jure.

"Ça va, c'est juste, je... T'es parfaite, t'es géniale, il est tout à toi le saut, tu peux le faire." et il la rassure, sa voix est douce, son regard est vissé vers elle. Il tremble d'un échec que comme un grand imbécile il n'avait pas vu venir, mais ça va, tout ira. Elle peut le faire, elle peut le faire pour eux deux. C'est tout ce qui compte.

Un saut à l’élastique. Quelle idée, aussi ! Colleen avait tenté de jouer la carte de l’auto-persuasion, en se répétant maintes et maintes fois que ce ne serait qu’une simple formalité. Qu’elle n’aurait qu’à inspirer un bon coup, fermer les yeux, imaginer l’immense satisfaction qu’elle ressentirait une fois l’épreuve passée. La fierté dans les yeux de Jack. Dans ceux de Lou quand elle rentrerait, aussi. Elle en était capable. Elle pouvait le faire. Après tout, n’était-ce pas pour repousser ses limites qu’elle s’était lancée dans Race of Australia ? Pour se prouver qu’elle était capable de faire des choses qu’elle n’avait même jamais osé imaginer ? C’était le moment où jamais de le prouver.

Elle avança sur la plateforme, s’arrêta, considéra le vide qui l’attendait et fut prise d’une soudaine envie de faire demi-tour. Là, tout de suite, de prendre ses jambes à son cou et de dire adieu à la demi-finale. Son cœur tambourina dans ses tempes, elle sentit le rouge lui monter aux joues, la peur lui nouer l’estomac. En bas, il n’y avait rien. Absolument rien. Le courage qu’elle était parvenue à réunir s’envola en moins d’une seconde. Elle en avait envie de vomir.

En périphérie de son regard, elle constata que Jack non plus n’esquissait plus le moindre geste. Lui qui fanfaronnait une seconde plus tôt semblait à présent tétanisé par l’épreuve qui les attendait. Il l’encouragea, néanmoins. Sa voix s’éleva et il lui assura qu’elle en serait capable, qu’elle parviendrait à vaincre la peur qui la paralysait. Elle déglutit péniblement et secoua la tête, vrillant son regard vers lui, plantant ses yeux dans les siens pour mieux ignorer le vide qui la terrorisait. Elle était blanche comme un linge. Ses doigts tremblotants jouèrent avec son harnais. « Je ne peux pas, Jack. Je suis désolée, c’est plus fort que moi, je n’y arriverai pas ». Le constat était sans appel.

C’est une crise de panique qui le tenaille, c’est une angoisse de merde qui le cisaille. Il sent ses membres se contracter si fort qu’il ne les sent plus du tout en fait, au même moment et surtout au moment d'après. Le pauvre gars cloué au sol qui n’a rien demandé d’autre qu’un peu d’air, qu’un peu de patience. Il l’aurait fait, sûrement, le saut, il le jure qu’il le voulait. Il se voyait déjà voler dans le vide et il s’imaginait déjà être le roi du monde, un monde de merde qui lui donne désormais la gerbe ouais, rien qu’à voir l’étendue qui se décale sous ses pieds.

Le pire, le plus horrible là-dedans, c’est que par sa faute Colleen doit être terrorisée. C’est que son comportement de lâche a dû lui foutre la peur de sa vie, et qu’il vient de lui gâcher son expérience à elle aussi. Alors il se confond dans un discours qui ne fait aucun sens, il la rassure et il la complimente, il dit tout ce qui lui passe par la tête Jack, et tout est vrai, bien sûr que tout l’est. Pourtant ce n’est pas suffisant et il le sait, dans son for intérieur.

« Je ne peux pas, Jack. Je suis désolée, c’est plus fort que moi, je n’y arriverai pas » sa voix lui glace le sang, il est brisé bien plus qu'il ne le montre, lui le roc qui tente d'être solide, d'être son tuteur rien qu'à elle à défaut d'être un faiblard à chier pour lui-même.

La culpabilité le ronge et il réduit les quelques mètres qui les séparent pour la prendre dans ses bras, pour la ramener le plus égoïstement du monde vers lui. Il sent ses cheveux qui ont le même parfum que les siens à défaut de partager une bouteille de shampooing en commun depuis le début de la course. Et il la sent se secouer de soubresauts aussi, cruellement, frissons qui n’ont rien à voir avec le sourire qu’elle arborait une minute plus tôt, sourire dédié à l’intention du binôme de merde qu’il personnifie depuis une poignée de lourdes secondes déjà.

« Si tu veux pas le faire, le fait pas. Jamais je douterai que t’es capable, mais jamais je te forcerai non plus. »

Colleen savait qu’elle était faible. Qu’en l’espace de quelques secondes à peine, elle réduisait à néant tout le travail qu’elle avait fait sur elle-même au cours de ces dernières semaines. Pour la première fois depuis le début de l’aventure, elle était terrassée par la honte et la culpabilité. Les caméras étaient braquées sur son visage, le regard de Jack rivé sur le sien. Tous attendaient qu’elle se lance, qu’elle prouve ce dont elle était capable. Que cette femme-là, celle sur qui personne n’avait misé un dollar au début de l’aventure, celle qui ne faisait pas de vague et préférait l’ombre à la lumière, que cette femme-là prouve qu’elle n’était pas là par hasard et que cette demi-finale, elle l’avait méritée.

Egal à lui-même, Jack se chargea de remotiver les troupes. Ou plutôt la sienne, de troupe. Il la prit dans ses bras, lui assura qu’il ne lui en voudrait pas si elle ne pouvait tout simplement pas le faire, qu’il comprendrait. Colleen se mordit l’intérieur des joues. Elle avait si honte de l’abandonner au pire moment, si honte de ne pouvoir se montrer à la hauteur. Jack ne méritait pas ça. Lui qui était là pour elle depuis le début, lui qui faisait tout son possible pour rendre son aventure exceptionnelle. Et c’était de cette manière qu’elle le remerciait ? En faisant preuve de lâcheté ?

Elle enfouit son visage dans son cou un instant, tenta d’y puiser le courage nécessaire. Une larme roula sur sa joue, symbole de sa détresse et de sa colère. Quand elle se dégagea de son étreinte, elle écrasa sa larme d'un mouvement agacé. « Merci, Jack. Merci d’être là, merci de ne jamais perdre patience. Tu vois, aujourd’hui, c’est moi qui ne te mérite pas ». Elle jeta un coup d’œil vers le bout de la plateforme, prit une profonde inspiration, serra les dents, puis pivota de nouveau son visage vers Jack. « Je vais essayer. Je ne te promets pas d’y arriver, mais je vais essayer ».

C’est quoi les chances, c’est quoi cette merde. C’est quoi ce carnage, et c’est quoi cette putain de connerie qui lui rend la bouche sèche maintenant, les mains moites.

« Merci, Jack. Merci d’être là, merci de ne jamais perdre patience. Tu vois, aujourd’hui, c’est moi qui ne te mérite pas » y’a rien qui fait du sens et encore moins quand il la sent contre son coeur qui bat la chamade, elle qui cherche son souffle, lui qui le retrouve à peine. La larme qu'elle perd au coin de ses yeux et qu'il essuie du bout du pouce, secoué, brisé. « Je vais essayer. Je ne te promets pas d’y arriver, mais je vais essayer » il ferait tout pour elle et il ne se le jure que trop bien, lui qui fait du drame avec rien. Colleen va mieux et il lui embrasse le front, la tempe, il sait plus trop où il embrasse en fait mais il y donne toute la douceur qu’il a l'intérieur et il prie pour que ça lui suffise.

Et le type aux harnais, oh le bâtard. Lui qui se mord l’intérieur des joues pour pas rire et pour pas perdre des dents en prime, lui qui a l’air de se trouve bien drôle, lui et sa blague de chieur. Véritable chieur ouais, qui aurait mérité d’être celui qu’on aurait poussé en bas sans le moindre regret et sans le moindre câble plutôt que de bousiller leurs chances à l’épreuve.

« C’est quand vous êtes prêts. »
« Osti de criss de sale, ferme don’ ta yeule tu vois ben qu’on est pas prêts sacrament. »
« Je vois. » il inspire, passe maintenant de l'anglais au français. Évidemment. « Prenez tout votre temps. »

Parce que vraiment, ça pouvait pas être pire. Quand il comprend le français apparemment, et qu’il le comprend assez bien pour justement se taire, et pour justement se décaler. Jack expire bruyamment, et ce sont les nerfs qui parlent maintenant, alors qu'il laisse sortir un rire nerveux, un rire qui semble être assez rassurant pour que son nemesis du jour en devient presque un allié.

« Je suis désolé. »
« Canadien? »
« Oui, c’est si évident ? »
« Le "I’m sorry" vous a vendu. »

Et il s’assure maintenant, de la fermer, de leur laisser leur air. Il s’assure surtout que Colleen est en sécurité, quand Jack respire un peu mieux et quand il vient la rejoindre maintenant qu’elle semble prête pour la suite de l’aventure.

Debout sur la plateforme, face au vide, Colleen ferma les yeux. Elle posa une main sur sa poitrine, pressa ses doigts tout près de son cœur pour tenter d’en ralentir la course. Elle inspira, expira. Mit à profit les nombreuses séances de yoga prises depuis son arrivée à Brisbane. C’était le moment ou jamais. Elle fit le vide dans sa tête, captura chacune de ses angoisses pour les déposer consciencieusement dans un compartiment. Sa peur du vide. Sa peur de l’inconnu. Sa peur de l’échec. Son appréhension. Son malaise. Elle inspira encore, et referma le compartiment, le poussant virtuellement dans un coin de son esprit. Et puis elle se concentra sur toutes les bonnes choses, toutes les raisons qui l’avaient poussée à se lancer dans Race of Australia. Elle visualisa l’enthousiasme de Lou, l’estime de Marius, la fierté de Jack.

Elle pouvait le faire. Il suffisait d’un pas, un tout petit pas, rien qu’un pas. Pour se prouver qu’elle avait eu raison de se lancer dans l’aventure, qu’elle méritait les encouragements répétés de Jack et sa confiance. Ce saut dans le vide était une métaphore de ce besoin irrépressible de liberté qu’elle ressentait depuis son arrivée en Australie. Si elle ne sautait pas, elle donnerait raison à tous ses détracteurs. Elle ne pouvait pas se le permettre.

Concentrée, elle n’entendit même pas ce qu’il se passait autour d’elle, ni la conversation de Jack, ni les vibrations des caméras, ni toutes les personnes agglutinées derrière ces dernières. Elle ouvrit les yeux, les plissa. Elle récita une petite prière intérieure, avança de telle sorte que le bout de ses pieds dépassait de la plateforme. Et puis elle se lança. Sans attendre, sans perdre de temps, sans risquer de changer d’avis. « AHHHHHHHHHHHHHHHHHHHH ». Elle hurla à pleins poumons, les yeux grands ouverts, prise par l’apesanteur. Puis son corps s’immobilisa, son cri se stoppa. Et elle réalisa. Qu’elle y était parvenue. Qu’elle venait littéralement de se jeter dans le vide.

Elle va le faire. Elle va sauter et il se sent si fier d’elle que le monde entier a cessé d’exister. Elle inspire et elle est zen, elle retrouve contenance et c’est si beau à voir qu’il fait pas gaffe Jack, qu’il fait confiance à la Terre entière à nouveau.

Terre qui n’a d’ailleurs pas fini de le décevoir, quand dans un élan, il s’apprêtait à supplier le caméraman de le laisser filmer le saut de l’ange de sa binôme, de la parfaite amazone qui a été jumelée avec lui.« AHHHHHHHHHHHHHHHHHHHH » qu'il l'entend au loin, l'écho de sa victoire à elle et par alliance, sa victoire à lui. Il se sentait artiste le musicien, il se sentait réalisateur, il voulait immortaliser le tout en brandissant la lentille vers elle et on lui a rigolé au nez, il l'a pas mal pris.

Ce qu’il a mal pris par contre, c’est la-main-du-connard-sur-le-dos-de-Colleen. Le bâtard au harnais de son doux surnom, donc, qui s’est investi de la mission de la pousser dans le vide, quand elle vient à peine de retrouver le sang-froid nécessaire pour le faire.

Elle s’est envolée Colleen, elle a crié de joie et de peur et de courage et d’authenticité, elle a hurlé à la décente et lui Jack, il a tout manqué. Quand son poing s’est violement écrasé sur la gueule de celui en charge des harnais et en charge de recevoir toute la hargne du canadien oui, bien sûr qu’il est canadien. Bien sûr qu’il s’excuse à tout vent mais que pour ça il s’excusera pas.

Il sait même pas si le gars saigne mais il sait surtout qu’on ne l’y reprendra pas à faire le malin quand son boulot serait et est strictement de rassurer les gens. Il sait pas s’il va encore user de son sens de l’humour de connard avec les autres qui passeront aujourd’hui, s’il sera effronté au point de leur jouer des tours de merde pour leur donner une "dose d’adrénaline" de plus quand ils n’en ont clairement pas besoin. Du moins, il espère que l’élancement sur son arcade nasale lui rappellera qu’on se moque pas des participants de Race of Australia.

sérieux jesus t'es pas cool :

Ils avaient survécu : voilà ce qui passe en boucle dans sa tête depuis son réveil. Ils avaient réussi à affronter la terrible semaine passée à dos de chameau et autres conneries absolument impossibles à imaginer en-dehors de shows comme celui-ci, et ce malgré la mauvaise volonté que mettait très clairement Dalas à l’oeuvre, malgré le changement de binôme soudain et déroutant, et malgré sa propre fatigue qui devenait toujours plus oppressante. C’était incroyable. Ils avaient survécu, sans que Grace n’ait de problèmes de santé. Un mois sans kiné, sans visites à l’hôpital, sans anxiété écrasante que quelque chose puisse lui arriver, et tant pis si elle n’arrivait pas au bout, tant pis si son élastique venait à se détacher maintenant ou qu’elle finissait par être éliminée à cette semaine-là : elle s’était prouvée exactement tout ce qu’elle était venue se prouver, et le reste lui importait bien moins. (Sauf, évidemment, si elle clamsait d’un second AVC en sautant à l’élastique ou même plus tard, de retour dans le camion d’un vieux gâteux avec une passion pour le porno furry : dans ce cas, oubliez tout ce qu’elle vient de dire. Ce serait un sacré sort de merde.)

Quoi qu’il en soit, Grace a résisté, et elle est la première surprise d’être arrivée jusqu’à ce pont duquel ils doivent chuter en pic. C’est qu’elle ne paie pas de mine, la petite estropiée, mais elle a quand même dépassé le Bigard australien qu’était son beau-père : si quelque chose méritait un trophée, c’était bien ça. Ceci étant, elle est ravie de retrouver Jack, Colleen, Kelly, Loan et surtout Isy, qu’elle couve d’un sourire chaleureux alors qu’ils sont tous en harnais et armés de leurs petits casques bleus ou rouges. C’est le pire moment, sans doute, pour proposer un câlin général à l’équipe : aussi s’abstient-elle, demeurant aussi sobre que possible dans sa conduite, alors qu’on leur récapitule les règles principales. Jack et Colleen ont l’air pressés de se lancer et prennent leur tour en premier et Grace, désireuse de participer à l’aventure de manière collective, envoie son plus beau regard de gamine en direction d’Isaac : dis, on y va, nous aussi ? Coup d’oeil entendu à l’homme qui s’occupe des harnais : c’est leur tour, maintenant. “Euh, mais ça va, votre nez ?” amorce-t-elle, inquiète de la pulpe de tomate qui tient lieu de nez à l’employé. “Quelqu’un a pas voulu sauter et s’est raccroché à votre nez ?” Ca la fait marrer. Lui, moins.

On les attache, enfin, on les emmaillote dans toutes les protections du monde et enfin, après avoir tapé son casque du poing comme dans les films, Grace tend la main à son partenaire : “Ensemble ?”