Faire le choix qui est juste, c’était ce que tu avais essayé de faire depuis que Morgane était entrée dans ta vie. Quand tu disais à Alec que laisser une place plus importante à ton ex-mari était la bonne chose à faire, tu le pensais mais cela ne voulait pas dire que c’était le choix que tu aurais aimé faire. S’il n’y avait que toi qui étais impactée par cette décision, tu aurais refusé qu’Abel passe plus de temps avec votre fille tout comme tu n’aurais certainement jamais divorcé. Parce que c’était être mature que de se rendre compte que les choses que l’on veut ne sont pas les choses qui vous rendront heureux. Et encore aujourd’hui, ce n’était pas facile à accepter pour toi. Les regrets n’étaient certes pas pour toi mais il t’arrivait de regarder en arrière et de te demander si vraiment, tu avais fait le bon choix. « Désolé pour la question indiscrète, tu ne veux peut être pas parler de ça avec quelqu’un que tu viens de rencontrer. » Le problème n’était pas qu’Alec était un homme que tu venais de rencontrer. Tu n’aimais pas parler d’Abel, de la relation que vous avez eue, de son rôle dans la vie de Morgane avec personne. Pourquoi ? Car tu avais été habituée à voir les regards moralisateurs de ton entourage. Bien sûr que ce mariage était voué à l’échec Jessian, qui se marie après trois ans de relation Jessian ? Tu les entendais sans cesse, ressasser le même refrain et tu n’avais pas envie de te justifier. Alec ne pouvait pas penser cela, il ne connaissait rien de ton passé mais tu n’avais pas envie de lire ce genre de réflexions dans son regard. « Ne le prend pas personnellement, je n’aime pas en parler tout court. » Dis-tu en haussant les épaules. Et pourtant, c’était un sujet qui revenait tout le temps sur la table. Comme si cela fascinait les personnes de ton entourage que tu puisses gérer un ex-mari en plus d’une petite fille et d’une carrière ! Tu avais conscience que c’était peut-être beaucoup mais tu faisais du mieux que tu pouvais. Et le fait qu’Alec se soit retrouvé coincé à faire des pancakes ce matin était la preuve que des fois, tu trébuchais sur cette route pavée pleine d’obstacles. L’invitation d’Alec dans son restaurant était une surprise car tu avais considéré qu’elle était factice depuis qu’elle avait quittée ses lèvres. Mais apparemment, le beau brun en face de toi avait décidé qu’il serait ce soir pleins de surprises. Et tu n’allais pas t’en plaindre. Tu préférais de suite lui faire savoir que tu étais végétarienne ce qui ne sembla pas réellement le surprendre ou le déstabiliser et tu pouvais le voir déjà réfléchir à ce qu’il pourrait te préparer. La main qui vint effleurer la tienne à ta remarque taquine te fit frissonner. « J’ai bien une idée ou deux. » Quand vos regards se croisèrent, tu lus dans le sien que vous pensiez bien tous les deux la même chose. Il fut un temps où tu aurais pris des risques et où tu aurais adoré ça. Mais vous aviez pris bien assez de risques avec Morgane aujourd’hui pour que tu laisses tes désirs prendre le dessus de nouveau. Maintenant son regard, un sourire en coin se dessina sur ton visage. Tu ne savais pas si Alec et toi auriez l’occasion de remettre ça, probablement pas mais l’idée que ce soit une possibilité était alléchante.
Quand tu demandais à Alec s’il n’avait jamais eu envie d’être papa, tu compris rapidement que derrière la simplicité apparente du personnage qu’il t’avait présentait se cachait une complexité que tu ne faisais qu’effleurer. Il t’assurait ne pas vouloir d’enfants, avoir une vie peu adaptée à ces derniers et pourtant, quand tu le voyais avec Morgane, ses gestes et l’étincelle dans ses yeux le trahissait. Mais ce qui te brisa le coeur c’était de l’entendre dire qu’il ne serait pas un bon père. Tu ne croyais pas à cela une seule seconde et tu le lui fis savoir. Que la conversation à ce sujet s’arrête là ne te surprenait pas. Tu remarquais qu’Alec avait bien veillé à ne jamais relancer des sujets de conversation qui le touchaient de trop près mais il n’avait pas pu t’empêcher de lui demander ce qu’il aurait aimé avoir comme vie. C’était ironique que tu poses cette question quand tu ne savais pas vraiment la vie qu’il avait. Cette question le surprit car il te demanda : « La vie que j'aurais voulu avoir ? » Tu hoches la tête mais n’ajoutes pas un mot alors que tu le laisses réfléchir. Tu attrapes ton verre de jus d’organe et tu en bois une gorgée en l’observant. La lumière du bar dans lequel vous vous étiez rencontrés ne lui avait pas fait justice … Alec était un très bel homme et la beauté était toujours quelque chose qui t’avait attirée. « Un restau rien qu’à moi. Un petit restau sans prise de tête. Je suppose des enfants sans doute au fond. Une maison heureuse, où t’entend les rires des gamins et où les parents s’aiment. Je crois que ça, ça me plairait bien. Oui je crois que ça me suffirait. De la simplicité. C’est ça dont j’ai envie. Mais bon ça c’est une autre vie. » Dans ces quelques phrases, Alec vient de t’en dire certainement plus que ce qu’il ne pensait t’avouer. Déjà, tu apprends que le restaurant dans lequel il travaille n’est pas uniquement le sien. Il en partage la propriétaire avec quelqu’un d’autre. Son frère ? Un ami ? Tu ne saurais dire. Ensuite, mais ça tu l’avais déjà deviné, il avait grandi dans une maison où le bonheur ne transpirait pas des murs. Et enfin, il aspirait à la simplicité ce qui signifiait qu’il avait une vie compliquée ou qu’il considérait comme telle alors que de ce qu’il t’avait raconté, il semblait avoir une vie plutôt tranquille. Qui se cachait réellement derrière cet homme si proche de toi et en même temps qui te semblait soudainement si lointain ? « Une autre vie peut-être mais une vie que tu peux toujours avoir si tu le désires. » Tu ne vois pas pourquoi Alec ne pourrait pas arriver à avoir la vie qu’il désire. Cela te dépasse complètement mais tu te doutes que derrière cet homme doit se cacher des vérités qu’il vaut mieux que tu n’entendes pas. « Et toi tu as réalisé tous tes rêves? Après le mannequinat il y aura quoi ? » Tu ne savais pas si c’était un signe mais cette question revenait de plus en plus souvent dans la bouche de ton entourage et des personnes que tu rencontrais. Certes, le mannequinat était un milieu où la vieillesse n’avait pas sa place mais est-on réellement vieux à vingt-huit ans ? « J’ai réalisé le rêve qui était de réussir dans ce métier. J’ai quitté Brisbane à dix-sept ans et pendant deux ans, j’ai fait le tour du monde. C’était réellement magique. » En y repensant, tu te rendais compte de la chance que tu avais eue. « Je n’arrive pas encore à me projeter dans autre chose que le mannequinat. C’est plus qu’un rêve, c’est une passion. Alors je me dis que j’ai le temps d’y penser, qu’une proposition intéressante apparaîtra sans prévenir un jour et viendra tout changer ou alors il faudra que je prenne une décision mais j’ai un réseau assez important pour pouvoir me permettre de rebondir. » La question était plutôt dans quoi tu aimerais rebondir. Et là c’était le vide intersidéral. Plus parce que tu n’avais pas envie d’envisager la suite qu’autre chose d’ailleurs. Même si tu n’excluais pas l’idée de passer de l’autre côté de la barrière, du côté du management des talents de demain.