A mesure de mes paroles, le sentiment de greffer quelques onces d’espoir au sein de l’état d’esprit et l’optique de Jordan m’étreint. Le jeune homme hoche la tête lorsque je lui indique, confiant, qu’il trouvera un moyen de parvenir à ses fins, tant qu’il possède la volonté. Cette idéologie est l’une de celles qui régissent ma vie : je suis persuadé que lorsque quelqu’un est muni d’un moral d’acier ainsi que d’une détermination inébranlable, cet individu peut parvenir à ses fins. Tout comme j’estime que chaque peine mérite salaire et que le karma régule le bon et le mauvais de notre monde. J’ai conscience que certains rient au nez de ces croyances, mais elles me rassurent indéniablement, songeant qu'elles peuvent instaurer davantage de justice et de sens à nos histoires. J’espère que mes techniques pour passer chaque jour et combattre certains poisons pourront servir à ce jeune blessé.

Je lui propose mon aide, prêt à déployer les moyens nécessaires à dénicher de quoi répondre aux besoins primaires du patient. Je recueille maigrement, laborieusement, des éléments sur son quotidien et celui-ci m’inquiète au fil qu’il se précise. J’apprends que sa petite amie, soutien manifestement indéniable dans sa vie, est présentement hospitalisée en service de réanimation, ce qui n’améliore pas le tableau que je me peins de l’existence du blond. Néanmoins, mon portrait demeure neutre ou encourageant. Je conjecture que les deux amoureux doivent être du même âge, ce qui procure des chances supplémentaires de s’en remettre à l’infortunée, quand bien même se retrouver en service de réanimation n’est jamais de belle augure. J’encourage ainsi le vingtenaire à passer autant de temps que possible avec celle qui fait battre son cœur, jugeant cruel que ces précieuses minutes soient gaspillées par quelconque égo. Fisher a l’air de tenir énormément à sa copine, je m’imagine naïvement que la réciproque est au moins un minimum vraie pour répondre à une telle ampleur d’affection, et tout patient apprécie entendre la voix d’un proche. Mon interlocuteur fronce les sourcils en guise de réponse et je lui propose de procéder pas à pas : d’abord, qu’il prenne soin de lui et que les plaies qui l’ont mené jusqu’ici soient qualifiés hors état de nuire à sa santé, ensuite, songer à la nuit à venir et potentiellement les prochaines.

« You’re sure I can go in her room like right now? I’m not lying she’s here. » Je jette un coup d'œil à la pendule, affichant presque les deux heures du matin, et retiens un rictus devant le peu de chance que le responsable du service accepte un visiteur à une telle heure, si au moins est-il sur place. « Her name is Rosa Mendez. She’s in room 1313. » J’acquiesce, affirmant d'une voix posée : « I believe you. I’ll see what I can do. » Peut-être que selon l’état de santé de la Mendez et des collègues en poste, je pourrais lui obtenir un passe-droit. Malgré son visage tuméfié, je crois au fait que le garçon se comportera dignement dans ce service qui appelle au calme et au stricte pour favoriser la convalescence de ces patients en état critique. « Have you already visited her? » Je questionne toutefois, précautionneux que l’éventuelle image que rejette sa copine dans cet état, s’il ne l’a pas déjà vue auparavant, puisse le choquer. Si tel est le cas, il faudrait qu’il soit accompagné au moins les premières minutes de ces retrouvailles. « The doc is coming. I’ll go phone my colleagues, » je lui annonce après avoir aperçu l’interne en direction du brancard. Je transmets les informations relatives au patient au professionnel de santé et m’oriente vers le téléphone de la salle de repos des infirmiers.

Bienveillant, je demande à Jordan s'il a déjà rendu visite à sa petite amie hospitalisée en chambre 1313, située dans l'aile consacrée notamment aux malades relevant de soins intensifs. Je ne m'intéresse pas aux circonstances malheureuses qui ont terriblement conduit la jeune femme à une telle infortune et me focalise entièrement sur mon patient. S'il n'a jamais connu la vision de la femme à qui il tient clouée à ce lit, il m'apparaît opportun qu'il soit pris en charge, de sorte à ce qu'il soit a minima accompagné et mentalement préparé. Bien que je voue un intérêt particulier à prodiguer des soins et apporter mon aide, quelle qu'elle soit, à toutes les personnes qui franchissent le seuil du centre hospitalier, j'ai toujours mis un point d'honneur à prioriser mon patient avant celui des autres, car il s'agit de ce dernier qui se trouve sous ma responsabilité, et c'est par cette dédication entière que je suis convaincu mieux le soutenir au cours des événements ardus qu'il traverse.

« She’s been there for the past 8 months. » Le blond m'indique et je lis dans son regard clair une grave lueur de profond désarroi et d'immense tristesse. Je lui souris avec sympathie et compatie. Je promets faire ce que je peux pour lui, bien que ne puisse pas non plus émettre la moindre promesse ni aller à l'encontre du fonctionnement de ce service rigoureux et pointilleux. Mentir à un patient ne figure pas dans mes cordes. Je m'oriente toutefois, armé de bonne volonté, vers l'office infirmier en vue de passer un coup de fil à mes collègues.

La réponse est mitigée, voguant néanmoins nébuleusement vers le négatif. J'ai compris à la voix de Maisie qu'elle n'osait pas me répondre franchement par la négative, favorisant me prier de patienter qu'elle puisse en discuter avec ses collaboratrices et surtout, son cadre, au préalable. Je lui indique de ne pas déranger sa supérieure pour cette requête, sachant pertinemment que ça nous attirera indéniablement des ennuis. Si le jeune bagarreur pouvait voir sa petite amie, ce serait grâce à la complicité des infirmiers et aides-soignants, non pas à l'altruisme d'un cadre qui songerait en premier lieu, j'en étais persuadé vu la personne, aux conséquences qui pouvaient incomber à une visite qui tournerait mal. J'assurais au téléphone, en ultime argument, que Jordan ne poserait sans doute aucun problème et qu'il désirait uniquement soutenir la patiente à qui il tenait fortement et raccrochais avec la promesse de la soignante qu'elle me rappellerait.

Maisie n'a pas rappelé, toutefois. Les patients ont afflué, des rushs sont survenus. Je suis passé à quelques reprises devant un Fisher ensommeillé que je n'ai pas souhaité extirper des bras de Morphée, jugeant que cette récupération lui serait bénéfique. Son brancard n'était pas nécessité, aucun responsable ne pressait son départ, bien que son état invitait à son congé de l'établissement de santé. La nuit se déroule ainsi, ma garde s'achève, les transmissions avec la relève ont été réalisées. Je reviens auprès du garçon, les traits davantage tirés par la fatigue causée par la nuit animée. « Do I still need to see the doctor? I’m feeling ok. » J'offre un sourire à mon interlocuteur et hoche doucement la tête en signe de dénégation. « You're good. You can go. » Je jette un coup d'œil à la pendule qui affiche presque les huit heures du matin. « You'll be able to visit Rosa soon enough. You can go up there if you want to and wait for the nurse to let you in. » Je laisse quelques secondes filer, examinant le jeune adulte se mouvoir sur le brancard. « Don't hesitate to stop by, » je ne peux m'empêcher de lui formuler, soucieux du monde dans lequel il retournera ce soir, inquiet de ce que la destinée pourrait avoir en réserve pour son compte. Je tiens à ce qu'il sache que le service des urgences, du moins quand je suis en poste, compose un endroit sécuritaire pour lui, où il peut recevoir de l'aide et du soutien, quel qu'il soit, sans jugement. « Take care. » Je lui adresse avec un sourire encourageant. J'espérais qu'il fasse attention à lui, reprenne confiance en sa personne dont il semble cruellement manquer, et s'engage davantage pour son avenir, afin que ce dernier soit plus lumineux, en dépit de la noirceur au sein de laquelle il me paraissait s'être désastreusement embourbé.