Ce soir, j’étais l’invité d’une soirée où nous étions bons nombres de vieux camarades de lycée. Désormais, nous avions tous la trentaine. Je m’attendais à une soirée où nous aurions passé notre temps à discuter, tous assis autour de la table basse du salon, de nos vies respectives : certains racontant leurs heureux mariages, d’autres l’enfer d’avoir des enfants ou encore des derniers qui auraient raconté leur extraordinaire carrière. La soirée se serait terminée par un bon vieux jeu de société. J’avais longuement hésité à m’y rendre car c’est ce que je craignais. Le genre de moment où tout le monde se tourne vers toi et te demande : alors Mia, tu as un mari ? Des enfants ? Des projets ? J’avais fait part à Knox de mes appréhensions mais finalement, il m’avait convaincu d’y aller, me disant d’en avoir strictement rien à faire de ce que les gens pouvaient penser. Il n’avait pas tort c’est donc pourquoi je me retrouvais … un verre à la main, la bouche à moitié ouverte par ce que je voyais : la quasi-totalité des invités était sous l’effet de l’alcool, il y avait je ne sais combien d’invités. Certains étaient même bien vieux pour avoir été au lycée en même temps que moi. Il devait y avoir une centaine de personnes dans cet appartement. Je me sentais à l’étroit, je ne reconnaissais personne. Je devrais me réjouir moi qui craignait qu’on finisse par m’interroger sur ma vie actuelle. Mais la soirée était vraiment …bizarre. Je me demandais si je ne m’étais pas trompée, au point que j’en vérifiais mon téléphone pour voir l’invitation que j’avais reçu deux jours plus tôt. Non, je n’avais pas louché, c’était bien ici. Je cherchais au moins la personne qui m’avait invité : impossible de la trouver. Après avoir bu deux verres, une envie pressante m’amena à me rendre dans la salle de bain… Ouvrant la porte, pensant que celle-là était libre : « Oh désolé ! » Je ressortis immédiatement me demandant vraiment où j’avais atterri.
Encore choquée par ce que je venais de voir, je sortais de l’appartement, pris les escaliers et me rendit sur le toit, histoire de prendre l’air. J’ouvris alors la porte, une fois arrivée sur le palier du dernier étage de l’immeuble. « Mon dieu ! » J’accourais alors vers la personne qui se trouvait au bord du vide, de peur qu’elle ne décide de sauter « Ne saute pas ! Je sais que la vie peut être merdique parfois mais ça ne veut pas dire qu’il faut en arriver à là ». La personne était encore de dos. J’étais une véritable pipelette, je n’employais sûrement pas la bonne manière pour empêcher quelqu’un de sauter mais je poursuivais « Si tu veux savoir je viens de voir un truc que, je pense, je n’étais pas censé voir : la mère du mec qui nous a invité était avec un ancien camarade de classe dans la salle de bain. Et ils n’étaient pas là entrain de se raconter leurs vies, non non… Enfin tu vois, je ne vais pas te faire un dessin. Mais je suis choquée. En plus, je connais très bien le père du pote et donc le mari de cette femme, je travaille avec lui au journal. Comment je vais faire lundi au bureau ? Salut, ça va comment va ta femme ? Et son nouveau mec ? Non je ne peux pas garder ça pour moi, tu ne peux pas imaginer combien c’est dur pour moi, je parle trop puis je suis journaliste ». Je marquais une pause pour reprendre un peu mon souffle « Pardon, je te raconte ça alors que t’es sur le point de faire une connerie, mais s’il te plait ne saute pas ! Puis je crois que j’ai eu ma dose de drama pour la soirée » Mes paroles étaient confuses, cela était sûrement dû à ce que je venais de voir mais aussi aux deux verres de vodka que j’avais bu avant de monter. La personne qui menaçait de sauter avait tourné la tête vers moi, sûrement subjuguée par ce que je racontais. C’est alors que je la reconnaissais : « Danika ? ». Enfin quelqu’un que je connaissais. Mais bon si elle allait s’écraser en bas de l’immeuble, ce serait de courte durée.
Les deux shots de vodka que j’avais pris avant de monter sur le toit m’avait bien retourné la tête en plus des deux autres verres que j’avais bu avant, certes moins fort mais tout de même. Et ce que je venais de voir m’avait retourné. Ce que j’avais dit à la personne qui se trouvait au bord du vide n’avait aucun sens et il est clair que cela ne la dissuaderait pas à sauter. Du moins, si c’est ce qu’elle comptait faire. Au contraire, cela l’aurait peut-être encore plus poussé à sauter. Entendre des conneries pareilles était certainement encore plus désespérant. Mais alors que la personne que j’essayais de dissuader de sauter se retournait, je la reconnaissais : Danika Riley. Elle et moi étions amis étant petites. Nos pères se connaissaient et nous avions grandi dans le même quartier, fréquentant ainsi la même école. Nous étions très proches mais lorsque j’ai changé du fait du divorce de mes parents, sombrant dans l’alcool et les mauvaises fréquentations, nous nous sommes éloignés. Elle avait pourtant essayé de m’aider mais je n’avais rien voulu entendre. Nous nous étions donc perdus de vue et plus jamais nous nous sommes revus depuis. Nos retrouvailles se faisaient sur ce toit pour la première fois depuis de très longues années « Mia ? ». Elle se souvenait elle aussi de moi. Je ne savais trop comment réagir, sourire ou rester de marbre. Disons que je n’avais rien contre elle mais elle en revanche pouvait m’en vouloir encore. « C’est comme ça que t’empêches les gens de se suicider toi ? En leur racontant ta vie ? ». Je ne pus m’empêcher de sourire me rendant compte des conneries que j’avais pu dire « J’avoue, c’était pathétique. Mais tu m’as fait flipper puis je suis tellement choquée par ce que j’ai vu en bas. Bref, si jamais je vois une personne qui veut sauter à l’avenir, j’éviterai d’intervenir. Je ferai qu’empirer les choses ». Je riais doucement puis la regarder sauter pour redescendre et atterrir sur le toit « Pour ton information, j’allais pas sauter hein ». Cela me rassurait « Tu me rassures. Mais tu faisais quoi au juste ? Tu te mettais un petit coup d’adrénaline ? ». La jeune femme me tendit un paquet de cigarettes pour m’en proposait une « Tu fumes toujours ? » Je fis un signe de la tête pour refuser « Non, j’ai arrêté tout ça. Puis j’étais plus branchée alcool que clopes ». Je marquais une pause en ajoutant : « Cela dit l’alcool, je t’avouerai que ça j’ai pas arrêté… Bon, maintenant je me contrôle et je maitrise un peu mieux les effets … Enfin, j’ai des doutes avec les conneries que je t’ai dites ». J’éclatais de rire en y repensant « Ça fait bizarre de te voir. Ça fait combien de temps qu’on s’est pas vue ? ». Je réfléchissais alors, faisant un rapide calcul dans ma tête « Ca doit faire quinze ans… On prend un sacré coup de vieux du coup… ». Je regardais le sol quelques instants « Mais c’est de ma faute si on s’est perdue de vue. D’ailleurs, je sais que ça n’a sûrement plus d’importance maintenant et que j’aurai certainement dû le faire avant mais je m’excuse pour ce que j’ai fait. J’ai brisé une belle amitié pour… rien. ». C’est vrai j’avais foutu ma vie en l’air pendant un an, perdus des amis qui m’étaient chers et proches, avait même failli redoubler… Bref, un passage dans ma vie dont j’étais pas très heureuse. « Tu étais invitée à la soirée toi aussi ? C’est moi ou … cette soirée est vraiment bizarre ? Ca te dit qu’on s’en aille et qu’on aille boire un verre quelque part toutes les deux ? ».
« C’est un peu comme les montagnes russes, en un peu moins sécurisé. Je faisais toujours ça quand j’étais gamine, de moins haut bien sûr. Ca t’apprend l’équilibre à la dure ». Drôle de façon de se faire des sensations ou d’apprendre l’équilibre. Ce n’est pas quelque chose qui m’attirait spécialement, surtout ayant une peur bleue du vide. Je grimaçais alors « Ok, ne compte pas sur moi pour le faire, surtout avec les verres que je viens de m’enfiler ». Je pense que je finirais en bas, aplatit comme une crêpe. Danika allume une clope alors et me demande depuis combien de temps nous ne nous étions pas revues. En y rependant, cela faisait une quinzaine d’années. J’avais eu ma période rebelle, à seize ans, j’en avais trente désormais. Danika et moi étions amis à l’époque mais suite à mes conneries, notre amitié s’était brisée. Je m’excuse alors, vaut mieux tard que jamais. Et ça me tenait à cœur « Ca fait quinze ans Mia, c’est pas bien grave. T’avais pas eu une année facile et même moi je t’ai vite mise de côté quand j’aurais pu essayer de comprendre. Donc je sais pas si tu devrais être la seule à t’excuser ». Je souriais. J’étais contente qu’elle entende mes excuses et passe même outre toute cette histoire. Elle pensait même devoir s’excuser à son tour pensant qu’elle aurait pu être plus présente pour moi « Je ne t’ai pas rendue la tâche facile non plus. J’ai rejeté pas mal de monde suite à ça et tu en faisais partie… même si ça fait quinze ans, ça me tient à cœur de te faire des excuses. Et, même si je pense qu’elles n’ont pas lieu d’être, j’accepte les tiennes ». Je souris alors, la regardant en lui tendant la main « On fait la paix alors ? ». Je riais doucement, l’effet de l’alcool me faisait dire parfois des conneries. Ou alors était-ce parce qu’au fond, j’étais toujours une grande enfant ? La fête à laquelle nous avions été invitées ne me mettait clairement pas à l’aise. Je proposais donc à Danika de nous barrer de là et d’aller boire un verre ailleurs « Ecoute, pourquoi pas, il y trop de monde, je ne connais pas la moitié des gens et ça fait longtemps qu’on ne s’est pas vues ». Nous étions d’accord sur ce point « Parfait ».
Nous nous dirigions toute deux vers la porte pour quitter le rooftop et quitter l’immeuble « Me dit pas que t’as fermé la porte ? ». Mes yeux s’écarquillèrent, j’en devenais bègue « Bah… euh… non. Fin … j’en sais rien en fait ». Je prenais la place de Danika pour actionner la poignée mais rien n’y faisait non plus. Comme si ça allait changer quelque chose que ce soit moi ou elle « J’étais tellement paniquée en te voyant au bord du vide, pensant que tu allais sauter que… Ouais j’ai pas retenu la porte… » Un coup de chaud parcouru mon corps « Y’a quelqu’un ? » Je tambourinais frénétiquement la porte, espérant que quelqu’un nous entende et vienne nous ouvrir… Rien. « Bon…Je crois que cette soirée va être pourrie jusqu’au bout… ». Je m’éloignais de la porte, attrapant la bouteille de vin que Danika avait laissé « On se boit le verre ici et on rattrape le temps perdu en espérant qu’un chevalier servant vienne nous sauver… Un jour ? » fis-je en grimaçant et brandissant la bouteille en sa direction.
Danika et moi avions une relation assez fusionnelle dans le passé. Nous avions deux ans d’écart mais fréquentions la même école. Je me souvenais de nos petits jeux dans la cour de récréation ou encore de nos discussions dans la cour du collège. Le fait que ma descente en enfer nous ait séparées me faisait m’en vouloir. Au fond, en y repensant désormais, c’était stupide. Nous avions certainement toutes les deux nos torts, mais j’estimais que j’en avais davantage qu’elle « Je peux t’avouer un truc ? Je l’ai jamais avoué à personne mais je crois qu’à l’époque j’étais un peu jalouse que t’ais le droit de péter un plomb comme ça. Je crois que j’avais qu’une envie c’était de te suivre au fond. J’étais jeune quand ma mère est partie. Je pense que si elle était partie un peu plus tard, j’aurais choisi la même voie que toi à ce moment-là. Il y avait une part de moi qui t’en voulait d’avoir une excuse, quand moi c’était plus le cas. Comme si ça n’aurait jamais été accepté que je pète un plomb quatre ans après tu vois ? ». Je fus surprise par ses révélations. Je n’aurais jamais imaginer qu’il y avait une part de jalousie dans cette rupture amicale. Surtout venant de Danika. J’étais au courant du départ de sa mère, cela n’avait pas été évident pour elle à l’époque. Mais elle avait fait preuve de courage là où moi j’avais décidé de baisser les bras « Franchement, je suis ravie que tu n’as pas suivi mes pas. Je pense que j’aurais préféré être courageuse comme toi tu l’as été que baisser les bras comme je l’ai fait. Avec le recul, cette période noire de ma vie ne m’a rien apporté de plus que de la souffrance. J’ai manqué d’y passer en plus et tout ça pour quoi ? Mon père n’est pas revenu et ma mère ne m’a pas accordé plus d’importance. Toi au contraire, tu es toujours proche de ta famille et ça c’est admirable ». Je voulais montre à Danika que la jeune fille de quatorze ans qui m’enviait à l’époque n’avait vraiment pas de quoi finalement. Je pense que la jeune femme qu’elle était désormais en était consciente. Après ces révélations à cœur ouvert, nous décidions de faire la paix comme … deux gamines « D’accord ». Je souriais, trouvant la situation amusante alors que Danika attrapait ma main pour la serrer.
Nous décidions de partir de là avec la jolie brunette. La fête à laquelle nous avions été conviées était minable et nous préférions nous éclipser plutôt que de rester là une minute de plus. C’était sans compter sur une seconde boulette de ma part. Après un discours désastreux pour dissuader Danika de sauter (bien que ce n’était pas son projet), voilà que je nous avais enfermées sur le toit. Je n’avais pas retenu la porte et, dans la précipitation, celle-ci s’était refermée « Mais Mia !!! ». J’aurais ri à cette exclamation si je n’étais pas désespérée par … moi-même. Je continuais à m’acharner quelques instants sur la porte « Je suis désolé » fis-je en grimaçant. On ne pouvait rien faire de plus mis à part attendre, qu’éventuellement quelqu’un vienne nous ouvrir. J’attrapais alors la bouteille de vin que Danika avait apporté avec elle, lui proposant de rattraper le temps perdu ici même « J’crois qu’on a pas trop le choix. Heureusement que j’ai pensé à prendre la bouteille de vin avec moi ». Je m’assois à ses côtés « J’avoue que tu gères plus que moi ce soir. M’enfin reconnais que tu es aussi un peu responsable non ? Non, bon ok je me tais ». J’avalais alors une gorgée du vin et fila la bouteille à Danika qui en fit de même « Tu deviens quoi du coup après quinze ans ? ». Uhm, comment résumer ma vie en quelques mots. C’était compliqué. Mais bon, étant donné que nous étions coincées sur ce toit et surement pour un bon moment, j’avais tout le loisir de lui raconter ma vie en détails « Et bien depuis, je suis devenu journaliste et écrivain. J’ai d’ailleurs sorti mon premier roman il y a peu. Qui raconte ma vie. Je pourrais t’en passer un exemplaire. Enfin si ça t’intéresse. Et toi ? Professionnellement tu en es où ? ». Je marquais une pause, le regard un peu ailleurs « Et sinon, personnellement, je suis célibataire. Pas de mecs, pas d’enfants, pas de grande maison avec jardin. Les histoires ne sont pas faites pour moi je pense ».
Nous étions bloqués, il fallait se rendre à l’évidence et les responsabilités étaient partagés « C’est vrai que sans mes acrobaties prises pour une tentative de suicide on n’en serait pas là ». Je riais avec Danika puis nous allions nous installer contre un mur pour discuter en attendant. Nous parlions d’abord de nos vies professionnelles « Je bosse dans un café. J’ai eu une belle carrière sportive. Compétitions partout dans le monde… Mais c’est terminé ». Je tournais alors mon regard vers elle, impressionné « Je me souviens que tu étais une adepte des arts martiaux, tu as aussi fait dans le karaté ? Ou une autre discipline ? ». J’hésitais un petit moment avant de finalement prendre le risque de lui demander « Et pourquoi cela c’est terminé ? Enfin, si ce n’est pas trop indiscret… ». On venait tout juste de nous retrouver, je ne voulais pas la froisser ou la mettre mal à l’aise. « Un livre, je suis impressionnée. Tu l’as toujours eu en tête ou ça t’est venu récemment ? ». « J’avais ce projet depuis toujours. Mais l’écriture de ce roman m’est venue surtout après une douloureuse rupture… Disons que ça a été l’élément déclencheur ». Je n’aimais pas trop parler de cette rupture qui avait fait qui j’étais désormais. Certes. Mais pour autant, je restais une femme de trente ans, encore paumée dans sa vie sentimentale. « On est jeunes en même temps. Pas de grande maison non plus. Un chien par contre, Pepsi. Et puis il y a Keith, je ne sais pas si tu te souviens… » Je m’en souvenais très bien, il n’y avait pas une conversation sans que Keith soit évoqué. Et il traînait aussi avec nous , lui et Danika était toujours fourrés ensemble, tout comme moi je l’avais été et l’était toujours avec Knox, mon meilleur ami « Bien sûr que je m’en souviens. Le beau Keith » fis-je en lançant un clin d’œil taquin à Danika, accompagné d’un petit coup de coude. « On s’était pas vu pendant plusieurs années et disons qu’on s’est retrouvés depuis peu. C’est le début. On verra bien. J’ai toujours pensé que les histoires n’étaient pas faites pour moi non plus ». Je comprenais alors qu’une histoire commençait entre eux « Tant mieux si Keith est celui qui te fera croire à nouveau en l’amour. Il ne s’était jamais passé auparavant entre vous ? ». J’étais curieuse de savoir si, pendant toute ces années, il y avait eu quelque chose entre eux ou non. Si c’était la première fois qu’ils s’établissaient comme vrai couple. « Peut-être que je finirai par trouver mon Keith aussi. Je te cache pas que j’ai envie d’un côté aussi d’une belle histoire. En attendant, je papillonne » fis-je en haussant les épaules. J’attrapais alors la bouteille de vin et en but une gorgée.
« Surtout dans le karaté, après j’ai touché un peu à tout ! ». Sa carrière professionnelle avait suivi celle de son père, je me souvenais très bien de ce point là de sa vie. « Ton père doit être fier de toi » lançais-je sans me douter que je touchais à un sujet très certainement douloureux pour la jeune femme. Je continuais à aborder les sujets houleux mais ma langue était d’accoutumée bien pendu et encore plus quand j’avais de l’alcool dans le sang. Je lui demandais en effet les raisons de la fin de sa carrière sportive. Danika ne sembla pas se braquer suite à ma question « La compétition ? J’arrivais vers la fin, et puis je me suis blessée assez gravement au genou, assez pour qu’on me conseille d’arrêter. Et disons que j’avais envie d’une pause récemment, voir un peu ce que je suis sans ça je suppose ». Elle avait donc subi un peu ce que Dylane elle-même avait vécu pour la danse. Je n’imaginais pas à quel point cela devait être frustrant. Mais elle me faisait part aussi d’une autre raison « Quand tu as fait le tour de quelque chose et que ça ne t’apporte plus autant de plaisir, je pense que c’est aussi bon d’envisager autre chose. Tu sais un peu ce que tu as envie de faire ? Ou tu as peut-être déjà trouvé ? ». Elle avait peut-être une toute autre perspective de carrière toute tracée ou du moins une petite idée en tête. Le dialogue entre nous deux se faisait naturellement, comme s’il n’y avait jamais eu de coupure dans notre amitié. Peut-être qu’à la suite de cette soirée, celle-ci renaitrait pleinement.
« Tu es restée longtemps avec quelqu’un ? » Voilà que le sujet houleux de la relation qui m’avait mis en miettes fut abordé. Je n’allais pas jouer les langues de bois et lui répondit sincèrement « Une relation de trois ans avec un type que j’ai rencontré à la fin de mes études à la fac. Nous avons fait le tour du monde pendant deux ans ensemble. Un an à Brisbane… Et notre histoire s’est arrêtée du jour au lendemain ». A mon grand désespoir. Du moins à l’époque. Une histoire qui avait eu raison de ma vision de l’amour et qui m’avait brisé depuis, au point que je n’avais plus en foi en tout ça. Danika, quant à elle, semblait commencer une histoire et avec un ami de longue date Keith. Ils avaient toujours été proche et je ne savais pas s’ils étaient déjà passé quelque chose entre eux « Disons que ça a toujours été compliqué. Et pendant longtemps ça n’a pas été réciproque. On s’est engueulé, perdus de vue pendant sept ans. Là c’est tout nouveau. On va déjà voir si on se supporte ». Là aussi, elle avait connu une coupure de plusieurs années et finalement, ils s’étaient rabibochés. Je souriais alors « Dis donc ça nous donne de l’espoir pour nous deux. On s’est perdus de vue aussi, on va peut être réussir à se supporter cette fois » Je lui lançais un clin d’œil complice « Plus sérieusement, j’espère que cette nouvelle histoire ira loin et que tu seras heureuse à ses côtés ». C’était sincère, je n’étais pas du genre à dire des choses que je ne pensais pas.
« Ça se passe comment aujourd’hui avec tes parents ? » Il n’y avait plus de barrières entre nous, plus de difficultés à se parler ouvertement. Là, elle attaquait un deuxième sujet houleux. « Je vais en avoir besoin » fis-je en attrapant la bouteille de vin de ses mains. J’en bu une longue gorgée avant de la poser entre nous « Mon père ne me donne plus de nouvelles depuis son départ de Brisbane, mis à part pour mon anniversaire où j’ai quand même droit à un petit message pour me le souhaiter. Quant à ma mère… Et bien c’est plutôt moi qui la fuit… Mais je n’arrive pas à lui pardonner et puis, elle m’agace… Je sais que c’est ma mère mais je me porte bien mieux loin d’elle ». C’était assez direct et catégorique mais je considérais qu’elle était fautive face au départ de mon père. A cause de cela, je n’avais plus de contact avec lui, il m’avait délaissé alors que j’avais toujours été sa petite fille chérie. J’attrapais à nouveau la bouteille pour en boire une gorgée.
"Peut-être qu'il l'a été à un moment". Je sens que la jeune femme est sceptique de la fierté de son père à son égard. Je me souvenais qu'enfant, elle était très proche de lui et je ne pensais pas que les choses aient pu changés en vieillisant. Je me disais qu'elle était sûrement dure avec elle, manquant de confiance en ses capacités, chose qui se traduisait sur l'expression de son visage. Je n'ajoute rien de plus, après tout, je n'en savais rien, nous venions juste de nous retrouver. "Je t'avoue que j'en ai aucune idée, j'ai passé ma vie dans le dojo de mon père, j'ai rien fait d'autre. Le bar où je bosse, c'est pas une passion. Non...peut être la photo". Mon regard se tournait immédiatement sur elle. Elle me tendait alors son téléphone portable pour me montrer les photos qu'elle faisait. Je faisais défiler celles-ci "Mais j'pense pas que ça pourrait devenir un métier". Je posais alors ma main sur mon bras, impressionnée par la qualité de ses photos : "Tu plaisantes? Tes photos font si pro! Danika, si tu aimes vraiment ça, il faut aller jusqu'au bout!" Je continuais à regarder les photos sur son téléphone avant de lui rendre à nouveau "Je travaille pour le Brisbane Times et on est en manque de photographe. Si tu es d'accord, je peux montrer tes photos dès demain au rédacteur en chef et au PDG du magazine. Je peux appuyer ta candidature sans problème. Ce serait dommage de ne pas exploiter ton talent". J'étais sincère et je serai ravie d'aider la jeune femme dans son projet, si elle le souhaitait "Et, on pourrait même travailler en bînome de temps en temps" fis-je en lui souriant. Mon enthousiasme était toujours exacerbée mais encore plus avec l'alcool qui circulait dans mon organisme.
On continue à se parler de nos vies respectives et là en l'occurence, de nos vies amoureuses. Je lui racontais la fin de mon histoire avec Lukas qui n'était pas des plus glorieuses. "Ca a pas du être facile". Je tournais la tête de gauche à droite pour confirmer ses dires. Je n'en gardais aucun bon souvenir et je préférais ne pas m'étaler davantage sur ce sujet. En revanche, Danika semblait épanouie avec sa nouvelle relation avec Keith. J'étais heureuse pour elle et peut être qu'au fond, je l'enviais. Vivre une relation passionnelle me manquait et, même si j'étais volage et que je faisais de nombreuses rencontres, aucune n'aboutissait à autre chose qu'une histoire sans lendemain.
Je racontais à Danika ma relation conflictuelle avec ma mère et inexistante avec mon père "Aux parents absents". Je grimaçais alors tandis que Danika reprend la bouteille de vin "Mon père est mort, en février. Cancer". Elle m'annonce ça de but en blanc, mon regard se pose aussitôt sur elle à nouveau. Un moment de silence s'installe. Je vois qu'elle essaye de sourire mais la tristesse se lit dans ses yeux. "Désolée pour le cassage d'ambiance". "Je suis sincèrement désolée je l'ignorais. Je comprends mieux certaines de tes paroles plus tôt...". J'avais envie de lui demander comment elle le vivait mais à quoi bon c'était évident non? "Je regrette de ne pas avoir été là pour toi... En tout cas, si tu as besoin, sache que désormais, je serai là". Je lui fais un sourire sincère, voulant lui montrer que, si elle l'acceptait, notre amitié pouvait à nouveau renaitre et qu'elle pouvait compter sur moi en cas de besoin.
J'entendis quelqu'un trafiquait la poignée de la porte. Mon regard se posa instinctivement sur celle ci et je me levais d'un bond. Deux personnes firent irruption "Ne refermez surtout pas la porte !" fis-je en leur hurlant dessus "Je crois qu'on est enfin sauvés !".