“Is anybody out there ? Can you lead me to the light ? Is anybody out there ? Tell me it’ll all be alright. You are not alone, I’ve been here the whole time singing you a song, ooooh. I will carry you”
Il y a des personnes avec qui le courant passe tout de suite. Avec qui on ressent comme une sorte de connexion inexplicable. Avec Eve c’est un peu le cas. Quand je suis arrivé à Paris, Victoria me l’a présenté comme étant une de ses amies donc forcément, il fallait que je me fasse apprécier par elle, parce que pour Victoria les amis c’était la chose la plus importante. Et je n’ai pas vraiment eu à me forcer parce qu’Eve, c’est difficile de ne pas l’apprécier. Elle est gentille et généreuse. On était bien loin d’imaginer que cette amitié naissante allait se transformer en quelque chose d’assez fort. On était loin d’imaginer qu’on allait tous les deux passer par la même épreuve ; la perte de la personne qu’on aime plus que tout au monde. Moi c’était Victoria, cet accident de voiture, ce stop que j’ai grillé et en quelques secondes celle qui devait devenir ma femme n’était plus de ce monde. Pour elle c’était Jacob, son mari, mort en Syrie à peine un an après la disparition de Victoria. Elle a essayé d’être là pour moi, même si elle aussi, elle venait de perdre une amie. Mais elle m’a soutenue. Même si je ne le méritais pas vraiment. Contrairement à elle, moi c’est de ma faute que j’ai perdu ma fiancée. Quand son mari est mort, je commençais à peine de ressortir la tête de l’eau. Un peu. Ça ne faisait qu’un an. Tout ça, c’était une sensation de déjà-vu pour moi. Sensation désagréable et qui m’a ramenée directement à mes propres démons que je n’avais pas encore fini de combattre. J’ai été là pour elle, comme je le pouvais. Mais ça a vraiment été dur. Parce que je savais ce qu’elle ressentait donc je ne pouvais pas la laisser toute seule. Quand une semaine après l’enterrement on dit « je vais bien », on ne va pas bien. Pas bien du tout. En disant l’inverse j’avais dans l’espoir que les autres me croient mais aussi qu’ils me laissent tranquille. Je pensais aussi qu’à force de dire que j’allais bien, ça finirait par être le cas. Maintenant je me rends bien compte que penser comme ça, c’est très con. Je suis sûr que c’était pareil pour elle. Surtout qu’au même moment elle a accouché de leur fils, Jacob. Elle est forte, Eve. Elle a réussi à bien s’en sortir. Elle peut être fière d’elle.
Aujourd’hui, je sais qu’elle travaille ou du moins je l’espère. Parce qu’on ne s’est pas beaucoup vus ces derniers temps. Je crois que nos vies sont pas mal occupées en ce moment. Ces derniers mois ont été assez intenses pour moi. Entre notre achat de la maison, le déménagement, les préparatifs pour l’arrivée des jumelles et le travail je n’ai plus une minute à moi en ce moment. Alex est fatiguée, elle dort cet après-midi, je pense qu’elle n’a pas très bien dormi la nuit dernière. Moi je ne travaille pas aujourd’hui alors j’ai assez vite eu dans l’idée de rendre visite à mon amie pour rattraper un peu le temps perdu. Parce qu’on doit en avoir des choses à se dire. Si elle sait que j’ai enfin accepté de refaire ma vie avec une nouvelle femme, elle sait également qu’Alex est enceinte mais elle a loupé les dernières informations : que je vais avoir des filles. Deux petites filles. Et nous n’avons toujours pas eu le temps d’organiser une rencontre entre Eve et Alex, parce que même si elles n’ont pas grand-chose en commun j’aimerais beaucoup qu’Eve puisse rencontrer celle qui partage dorénavant ma vie. C’est la raison pour laquelle je me retrouve dans ce musée cet après-midi ; retrouver mon amie et m’assurer que tout va bien pour elle, Lisa et Jacob. Je n’ai pas à attendre trop longtemps pour la trouver puisque je la vois au loin, à proximité d’un tableau. « Je ne te dérange pas trop ? » Je lui demande une fois arrivé derrière elle. Parce qu’elle travaille quand même, et je ne voudrais pas qu’elle ait des ennuis à cause de moi. C’est un sourire qui se dessine sur mes lèvres quand elle se retourne, nos regards se croisent et je la prends rapidement dans mes bras pour la saluer. « Ça fait longtemps. » Quelques semaines depuis qu’on ne s’est pas réellement vus, malgré quelques textos échangés. Mais ce n’est pas la même chose. Des messages envoyés rapidement pour prendre des nouvelles de l’autre ça ne vaut pas une vraie rencontre. « Et puis j’avoue que j’avais peur que tu m’aies oublié après ton passage à la télé. » C’est faux. Et le sourire qui accompagne cette phrase montre bien que je ne suis pas vraiment sérieux dans ce que je lui dis. « J’ai regardé un peu d’ailleurs, ton émission. Mais bon, tu sais bien que moi et ce genre de programme c’est pas vraiment le grand amour. » La seule raison pour laquelle j’ai même essayé de regarder c’est simplement parce qu’Eve participait. « Comment tu vas ? Jacob ? Lisa ? T’as l’air fatiguée. » Ses enfants sont adorables. Vraiment. Et je dois bien avouer que la petite Lisa avait réussi à me faire décrocher quelques petits sourires alors que personne d’autre n’y parvenait à une époque. Juste après la mort de Victoria.
I know it hurts. It's hard to breathe sometimes. These nights are long. You've lost the will to fight. Is anybody out there? Can you lead me to the light? Is anybody out there? Tell me it'll all be alright. You are not alone. I've been here the whole time singing you a song. I will carry you (Ruelle, Carry You)
☆ Caleb & Eve ☆
« Maman, c’est quand que Tonton Caleb, m’interrogea ma fille la bouche pleine de céréales. » Je la fixai durement avant de venir soupirer. Il est vrai que je n’avais pas beaucoup de temps à lui accorder, car lui comme moi avions des vies bien remplies. Je savais sa compagne enceinte, l’achat de leur maison, son restaurant. Mais je n’avais pas trop eu le temps de le revoir après le ROA. Après mon élimination en première semaine et surtout mon accident désastreux. Ajoutons à ça, une bonne cuite où j’ai déballé tout ce que je ressentais à Kieran et ce n’était pas vraiment positif. Non, c’était tout le contraire. C’était négatif. Mais il y avait de la lumière au bout du chemin puisque j’avais enfin trouvé une ferme que je pourrais retaper du sol au plafond et quelqu’un qui arriverait à supporter mon TDA et mon hyperactivité. « Tu veux qu’il vienne voir tes nouveaux insectes, dis-je en passant mes bras autour de la taille de ma grande fille. » Du haut de ses sept ans, elle en imposait tant elle ressemblait à son père. Ce père que Caleb n’avait pas connu puisqu’il m’avait abandonné avant que l’on ne se rencontre même si j’avais dû lui montrer à l’université. Tiens, voilà le prof qui m’a engrossé. J’étais si jeune quand j’y pense. Nous nous connaissions depuis si longtemps. Depuis Victoria. Victoria que je visitais quand j’allais voir Jacob au cimetière. Mes visites étaient hebdomadaires avant et puis avec l’arrivée d’Ezechiel dans ma vie, j’avouerai avoir lever un peu le pied. On ne vit pas avec les morts mais avec les vivants. Et lui était en chair et en os. J’essayai de passer chaque instant en sa compagnie, l’affichant ouvertement sur les réseaux sociaux et je vins me cogner le front bien fort. Je ne l’avais pas dit à Caleb mais j’avais envoyé une photo via Instagram pour Mira. Mais je ne voulais pas le déranger avec mon émoi d’adolescente. Car j’avais cette impression avec le grand brun, l’immense brun qui partageait ma vie. Je soupirai donc en m’engouffrant la tête dans ma tasse de café. Je dormais peu, je mangeai sur le pouce avec mes deux enfants. Et je ne cessai de perdre du poids. J’avais réussi à regagner un kilo récemment mais pour le perdre sitôt l’anniversaire de Kieran passé. Il faudrait que je vois avec Mira quoi faire le concernant. Devais-je cesser d’être son amie ? Ou bien continuer malgré les disputes et les non-dits ? Et le fait qu’il m’avait comparé à son ex.
Aujourd’hui, on m’avait expressément demandé de refaire un tableau. Moins stressant que ma fresque m’avait-on dit. J’avais donc mis ma playlist. Une aléatoire pour tomber sur celle de l’adaptation de mon Marvel préféré à l’écran. Deadpool. On ne croirait pas en me voyant ainsi. Une petite blonde du haut de ses trente-trois kilos. Oui, trente-trois à la place de quarante-six. Je devais prendre treize kilos afin de me sortir de cette spirale infernale. Et mon psychiatre m’avait demandé de noter tout ce que je mangeais. Pour le moment, rien. pas aujourd’hui en tout cas. J’avais encore fait une nuit blanche pour plancher sur les plans de la maison, essayant de trouver de bons aménagements avant de me rendre compte que le jour s’était levé. Zeke me manquait atrocement pendant mes nuits de solitude. Je ne dormais bien qu’en sa présence. Perdue dans mes pensées, je n’entendis pas mon géant de meilleur ami arriver derrière moi. Après tout, je pense que depuis toutes ces années à se cotoyer -et à me supporter- je pouvais décemment l’appeler ainsi. « Je ne te dérange pas trop ? » Mon pinceau vint s’échapper d’entre mes mains. Enième maladresse. « Si, tout le temps, ironisai-je en descendant de mon piédestal. » Je vérifiai que j’étais propre, pour une fois, avant de le laisser me prendre dans ses bras. Son odeur réconfortante m’apporta du baume au cœur alors qu’un sourire vint se coller sur mes lèvres. A ses côtés, je devais avoir l’air d’un farfadet. Et encore Caleb disait se situer dans la moyenne au niveau de la taille. C’est vrai que comparé à Zeke, il était dans la norme. Mais tout le monde paraissait petit aux côtés de mon arbre. « Ça fait longtemps. » Tu m’étonnes. Trop longtemps. Il n’était même pas au courant pour Zeke, le dernier update concernait Kieran et son « tu ressembles à mon ex ». On avait connu mieux pour le moral. « Trooooop. T’as plein de trucs à rattraper. Et je pense que moi aussi, n’est-ce pas, papa ? » Je ris à cette remarque car j’avais été surprise se de le voir rejoindre notre secte. La secte des parents. Celle où le parc est une prison et tu te lèves en pleine nuit pour accueillir ton enfant dans ton lit car il a fait un cauchemar. Pourquoi les enfants n’étaient jamais à la maison lors des brefs séjours de Zeke à votre avis ? « Et puis j’avoue que j’avais peur que tu m’aies oublié après ton passage à la télé. » Je levai les yeux au ciel. Tu parles, je ne suis restée qu’une semaine pour aller me terrer au fin fond de la campagne dans une ferme et ne plus en sortir. « Totalement, je suis devenue tellement célèbre. Sérieux pourquoi tu m’as pas empêché de faire cette… » Pas de gros mots. « Daube ? » Mère, je suis. Mère je resterai à vie sans avoir un langage châtié. « J’ai regardé un peu d’ailleurs, ton émission. Mais bon, tu sais bien que moi et ce genre de programme c’est pas vraiment le grand amour. » Je soulevai mes cheveux pour lui montrer la plaie qui cicatrisait lentement. Cela irait plus vite si je mangeai correctement. Mais je n’ai pas le temps pour ça. « T’as loupé Eve qui se fait renverser par une voiture et éjecter après avoir dit ses quatre vérités à Kieran. Ouais… » Je grognai avant de venir me poser sur le rebord de mon escabeau. « Il a fini par entendre que j’avais… euh… rencontré quelqu’un, murmurai-je entre mes dents, et donc ça a dégénéré en dispute. Mais j’avais bu. Oui, oui, je sais je bois jamais. Mais bref. Donc il m’a dit qu’il tenait à moi et nianiania. Et je lui ai dit que c’était trop tard. » Trop tard, oui. De quelques semaines en plus. Mais j’avais déjà eu du mal à avoir Zeke, vu comment je lui avais couru après. Je n’allais pas tout faire capoter même si Kieran a des yeux magnifiques. « Comment tu vas ? Jacob ? Lisa ? T’as l’air fatiguée. » Effectivement, je suis fatiguée vu que je ne dors plus. Mais ce n’était guère le moment pour lui faire savoir. « ça va. On sait toujours pas ce qu’a J.J et Lisa se porte comme un charme. Elle demandait des nouvelles de tonton Caleb ce matin. Et ô grand miracle, elle m’appelle Maman. » Il savait qu’à la maison, le sobriquet du petit robot blanc de Wall E était synonyme de Maman. « Et comme je te l’ai dit, je suis sortie du célibat. Donc, ouais, je suis un peu crevée. Et je dois prendre du poids selon le médecin. Et toi, ta compagne ? La grossesse ? Si t’as besoin de quoique ce soit, je suis là. Je l’ai vécu deux fois. » Et même si je voulais une grande famille, je n’étais pas prête à le faire une troisième fois. Je m’autorisai un sourire vers Cal alors que mon regard azur ne quittait pas le sien. « Tu m’as manqué, tu sais. »
“Is anybody out there ? Can you lead me to the light ? Is anybody out there ? Tell me it’ll all be alright. You are not alone, I’ve been here the whole time singing you a song, ooooh. I will carry you”
Son pinceau fini au sol ce qui me fait forcément un peu rire. C’est aussi toutes ces petites choses que j’aime bien chez Evie, dont sa maladresse. J’ai l’impression que ça fait très longtemps qu’on ne s’est pas vu, peut—être que ce n’est pas qu’une impression finalement puisqu’après cette accolade amicale elle me le confirme. « Trooooop. T’as plein de trucs à rattraper. Et je pense que moi aussi, n’est-ce pas, papa ? » Un grand sourire se dessine sur mes lèvres en entendant le dernier mot qu’elle vient de prononcer. Papa. C’est vraiment instinctif chez moi. Dès qu’on me parle de la grossesse, des filles ou de n’importe quoi qui peut m’aider à me rappeler que je vais être papa, je souris. Tout de suite. Parce que j’ai toujours voulu des enfants. Tout le temps. C’était une vraie volonté pour moi. Quelque chose qui était important à mes yeux. C’était prévu avec Victoria. Juste après le mariage, on devait commencer à fonder notre famille. Sauf qu’on en a pas eu le temps. À cause de cet accident. À cause de moi. Une main vient se nicher dans mes boucles quelques secondes avant de la redescendre vers ma nuque. « Je profite de mes derniers instants au calme et de mes dernières nuits complètes. » Avec un bébé je sais que c’est déjà compliqué mais alors deux … ça sera encore pire. Mas je m’y prépare mentalement. En attendant je commence par évoquer son passage dans cette émission de télé-réalité. Quand elle m’a appris qu’elle allait passer à la télé, j’ai été étonné mais j’ai regardé un petit peu. Pour la voir. Mais bien sûr que je n’ai pas réussi à regarder cette émission entièrement. De base, je ne suis même pas quelqu’un qui regarde souvent la télé. Sans elle je n’aurais même pas regardé une seule minute de cette émission. « Totalement, je suis devenue tellement célèbre. Sérieux pourquoi tu m’as pas empêché de faire cette… Daube ? » Une légère grimace prend place sur mon visage et j’hausse les épaules avant de lui répondre. « Je sais pas. T’étais toute mignonne et t’avais l’air si contente d’y participer. Je ne voulais pas casser ton délire. » Et en voyant la plaie qu’elle me montre en soulevant ses cheveux je me dis que finalement, j’aurais peut-être dû l’en empêcher. « T’as loupé Eve qui se fait renverser par une voiture et éjecter après avoir dit ses quatre vérités à Kieran. Ouais… Il a fini par entendre que j’avais… euh… rencontré quelqu’un, et donc ça a dégénéré en dispute. Mais j’avais bu. Oui, oui, je sais je bois jamais. Mais bref. Donc il m’a dit qu’il tenait à moi et nianiania. Et je lui ai dit que c’était trop tard. » Je l’écoute me faire un petit update des derniers événements de sa vie sans la couper. Elle parle beaucoup et moi j’écoute non sans cacher mon étonnement quand elle m’avoue avoir rencontré quelqu’un. Et si j’écoute réellement tout ce qu’elle me dit c’est vraiment cette partie-là que je retiens le plus – et aussi celle de l’accident, quand même. – Quand elle semble avoir fini, je laisse quelques courtes secondes de flottement avant de lui répondre dans un premier temps, un petit sourire aux lèvres. « T’as rencontré quelqu’un ? Vas-y raconte-moi. Je veux tout savoir. C’est un mec bien ? » C’est même sûrement ce qui me semble le plus important à retenir quand même. Et malgré la fatigue visible sur son visage, elle semble aller plutôt bien. Bien évidemment qu’elle va me dire que c’est quelqu’un de bien, sinon elle ne serait pas avec lui. « Et c’est quoi cette histoire ? Tu t’es fait renversée par une voiture ? » Là pour le coup c’est un peu moins cool et un peu plus inquiétant. Les sourcils légèrement froncés, je la regarde. Un peu inquiet. Parce que je suis comme ça. Je m’inquiète toujours beaucoup quand je suis face à une personne qui est réellement importante pour moi. « ça va. On sait toujours pas ce qu’a J.J et Lisa se porte comme un charme. Elle demandait des nouvelles de tonton Caleb ce matin. Et ô grand miracle, elle m’appelle Maman. » Encore une fois, un grand sourire apparaît sur mon visage quand elle me parle de Lisa qui demandait après moi ce matin, apparemment. « Elle me manque beaucoup trop tu sais. Je peux passer la chercher un jour dans la semaine ? Pour passer un peu de temps avec la plus mignonne des petites filles ? Je suis sûr qu’elle a aussi une tonne d’histoires passionnantes à me raconter. » Ou bien des histoires moyennement intéressantes mais qui vont forcément me captiver si elles sortent de la bouche de Lisa. Elle est adorable, cette petite. Et c’est l’une des seules qui a réussi à me faire sourire les semaines qui ont suivies l’accident, et la mort de Victoria. « Et comme je te l’ai dit, je suis sortie du célibat. Donc, ouais, je suis un peu crevée. Et je dois prendre du poids selon le médecin. Et toi, ta compagne ? La grossesse ? Si t’as besoin de quoique ce soit, je suis là. Je l’ai vécu deux fois. » Bien sûr qu’elle doit prendre du poids mais je ne vais pas lui dire moi aussi. Elle sait que je le pense et je me contente d’acquiescer d’un signe de tête. « Alex va bien, elle en est à très exactement vingt-cinq semaines de grossesse. Elle entre bientôt dans le troisième trimestre. Ça commence à être dur, elle est toujours fatiguée et en plus elles s’agitent de plus en plus. » Je viens de lui faire comprendre que j’allais avoir des filles. Et bien sûr, je parle de la grossesse alors il y a forcément de nouveau ce sourire qui est collé à mon visage et je suis incapable d’arrêter de sourire comme je le fais. Je sors de ma poche de jeans mon portefeuille dans lequel je laisse un cliché de la dernière échographie. Oui, oui. Je me balade partout avec une photo de l’échographie passée il y a quelques semaines. Cliché que je lui tends, d’ailleurs. « C’est deux filles. » Je lui dis, d’un air fier. « Lucy et Lena. » J’ajoute, toujours avec cet air fier qui ne me quitte décidemment pas. « J’ai tellement hâte de pouvoir les voir. Les prendre dans mes bras. Mais en même temps ça me fait peur. Je flippe de ne pas être à la hauteur et de ne pas y arriver. » Et si je suis déjà du genre à me balader avec un simple cliché d’échographie dont quasiment tout le monde se fout, je sais sans hésitation que dans quelques semaines ça sera une photo de mes filles qui aura pris cette place. « Tu m’as manqué, tu sais. » Mon regard plongé dans le sien, je lui souris. Parce qu’elle m’a manquée aussi. Beaucoup. « Toi aussi tu m’as manquée. » Même si en soit, je ne sais pas quand est-ce qu’on s’est vu comme ça pour la dernière fois. Mais on est tous les deux pas mal occupés ces derniers temps et quand je repense à ses mots de tout à l’heure, quand elle m’a dit qu’elle avait rencontré quelqu’un, je lui dis. « Je suis heureux maintenant. Toi aussi ? » Phrase qui peut sembler un peu bizarre mais qui est assez significative au fond. On a été tous les deux veufs bien trop tôt.
I know it hurts. It's hard to breathe sometimes. These nights are long. You've lost the will to fight. Is anybody out there? Can you lead me to the light? Is anybody out there? Tell me it'll all be alright. You are not alone. I've been here the whole time singing you a song. I will carry you (Ruelle, Carry You)
☆ Caleb & Eve ☆
Forcément que je suis maladroite. Une vraie calamité ambulante. Mes amis passaient leur temps à me courir après ou alors à me forcer à me reposer durant mes grossesses. En même temps, je risquai de me faire du mal et du mal aux bébés. Résultat : Jacob est né en avance et depuis je demeure maladroite. Je pense qu’on pourrait aisément mettre ma photo à côté de la définition dans le dictionnaire. Je ne peux donc pas retenir le pinceau qui finit au sol. Bon tant que ce n’est pas moi pour une fois. Je soupire avant de venir prendre mon meilleur ami dans mes bras. Oui, sept ans d’amitié, il est toujours là et ne s’est pas barré à cause de mes névroses. Il m’a supporté pendant que je pleurais devant la télé toute seule. A vrai dire, je pense qu’il était le seul devant qui je m’autorisai à craquer. Car nous étions passés par la même galère lui et moi. « Je profite de mes derniers instants au calme et de mes dernières nuits complètes. » Je hoche la tête. Je connaissais ça. Lisa et Jacob avaient peu d’écarts et je n’avais pas fait de nuits correctes depuis mes dix-neuf ans. Bien avant d’avoir ma première grossesse. « Ouais, faudra prendre le relais car je pense que ta compagne ne doit pas dormir des masses. » Après, je ne suis pas le genre de mère qui a mal vécu la grossesse. Bien au contraire. J’ai adoré être enceinte. voir la tête de mes amis contre mon ventre pour entendre bouger le bébé. A défaut d’avoir un mec. Caleb était interné quand Jacob senior est parti donc il n’a pas eu à me voir pleurer sur le tarmac en sachant au fond de moi qu’il ne reviendrait pas. Ou du moins pas debout. « Je sais pas. T’étais toute mignonne et t’avais l’air si contente d’y participer. Je ne voulais pas casser ton délire. » Je lui montre mes dents devant. Signe que j’étais gênée. « Nan mais moi, Evelyn, en pleine nature avec les bêtes, les rochers, les tallus. C’était danger assuré. Ils m’ont demandé de revenir mais plus jamais, je n’irai. » Plutôt me couper une couille comme dirait l’expression. Sauf que je n’en ai pas donc je prendrai celles que j’aurai sous la main. Quel mâle n’est pas susceptible de se reproduire dans les années à venir ? Y’a pas un dictateur dans le coin ? je commence donc à lui déblatérer sur Kieran en mentionnant vite-fait Zeke en espérant qu’il ne s’arrête pas dessus. « T’as rencontré quelqu’un ? Vas-y raconte-moi. Je veux tout savoir. C’est un mec bien ? » Je baisse la tête en me sentant rougir jusqu’aux oreilles. Soyons honnête, Cal et moi avons autant d’expériences que des bigorneaux en amour. Lui, il sort avec une belle femme qui semble avoir confiance en elle et porte ses futurs bébés. Alors que moi, je suis un chat noir qu’on laisse tout le temps tomber et qui a peur de se prendre un coup de journal sur la tête. « Oui. Il est… bah il est… trop bien pour moi. » Je sors donc mon portefeuille en faisant tomber au passage un pot de peinture qui est vide. Je déglutis. Il a l’habitude. « Tiens, c’est la vidéo que j’ai prise quand on a fait notre rencard à… au parc d’attractions. » Celle où l’on voyait mon copain tirer à la carabine. Il était si concentré à ce moment-là qu’il n’avait même pas vu que j’étais en train de le filmer. « Hm. Il m’a sauvé d’un désaxé au refuge et puis, ça s’est fait comme ça. » On passera l’épisode du serpent à la ferme. Je me sens rougir en trépignant sur place comme une enfant. « Et c’est quoi cette histoire ? Tu t’es fait renversée par une voiture ? » Je rentre ma tête dans mes épaules comme une tortue avant de venir mâchouiller ma lèvre intérieure. Encore un incident. Je soulève la mèche de cheveux pour montrer la blessure qui cicatrise. « On venait de partir et j’ai voulu faire du stop. Sauf que y’en a qui est passé à toute vitesse et j’ai fini dans le fossé. Mais c’est pas grave, je vais bien. Ezechiel était aussi en colère car apparemment la prod a mis ma vie en danger mais je vais bien. » Je vais bien. Je vais bien. Je ne dors pas assez. Je mange rarement. Mais je vais bien. Après, je prends souvent plus soin des autres que de moi-même c’est un fait. « Elle me manque beaucoup trop tu sais. Je peux passer la chercher un jour dans la semaine ? Pour passer un peu de temps avec la plus mignonne des petites filles ? Je suis sûr qu’elle a aussi une tonne d’histoires passionnantes à me raconter. » Forcément qu’il aimait ma fille. Il la connaissait. Et ils s’entendaient bien tous les deux. Pourtant Lisa est méfiante envers les inconnus mais elle a pratiquement toujours connu Caleb. Donc, il faisait parti de la famille. Un peu le frère que je n’ai jamais eu. « Ouais tu peux passer la prendre sans soucis. Tu l’emmènes au parc, elle adore les insectes. C’est la première chose qu’elle a demandé à Zeke. Et aussi tu peux lui offrir une baguette de fée. Elle est à fond dans sa période fée ou princesse. J’en peux plus de la reine des neiges, je songe à me suicider. » Je mime le geste avant de venir fredonner l’air qui donnait envie à tous les parents de se pendre. « Alex va bien, elle en est à très exactement vingt-cinq semaines de grossesse. Elle entre bientôt dans le troisième trimestre. Ça commence à être dur, elle est toujours fatiguée et en plus elles s’agitent de plus en plus. » Je plisse le regard. Elle ? Ma bouche s’ouvre alors que je sautille sur place comme une souris sous acide. Une fille. Oh il allait avoir une fille. Je me retiens de sauter dans ses bras car il se rendrait compte que je suis trop maigre. Mais lui, il méritait tellement le bonheur. Comme quoi les vœux d’anniversaire avaient fonctionné pour qu’il soit heureux. « C’est deux filles. » Je pousse un cri de cochon d’inde. Décidément. Mon cœur n’allait pas tenir. Je vais encore finir par terre avec toutes ses émotions. «Lucy et Lena.» Je n’y tiens plus et plonge dans ses bras en sautillant toujours. Il allait avoir deux filles. Deux filles dont ils avaient choisi les numéros. . « J’ai tellement hâte de pouvoir les voir. Les prendre dans mes bras. Mais en même temps ça me fait peur. Je flippe de ne pas être à la hauteur et de ne pas y arriver. » Je lui arrache l’échographie avant de venir regarder. « Je suis certaine que t’as chialé. Je me rappelle ta réaction quand je t’ai amené celle de Lisa et la dernière avec Jacob. Tu vas chialé. Je te préviens, je veux être la première prévenue sur la liste quand Alex accouchera ou je te jetterai un mauvais sort. » Je lui rends sa photo. « Je suis contente pour toi, mon chat. Tu le mérites comme ça. » J’écarte mes bras immensément, autant que je peux avant de venir m’asseoir. Toute essoufflée. Il fallait que je reprenne mon souffle. « Je suis heureux maintenant. Toi aussi ? » Je ne m’étais jamais posée la question. Je prends un air songeur avant de venir coller ma tête contre les barreaux frais de l’escabeau. « Je suis amoureuse. Donc oui, je crois que je suis heureuse. Dis-moi comment on sait qu’un mec nous aime ? Parce que Zeke est pas bavard, il a dit qu’il était pas indifférent et que j’étais un cadeau. Mais ça veut dire qu’il est amoureux ou… ? » Même si je ne me sentais pas comme un cadeau à cet instant précis.
“Is anybody out there ? Can you lead me to the light ? Is anybody out there ? Tell me it’ll all be alright. You are not alone, I’ve been here the whole time singing you a song, ooooh. I will carry you”
Forcément, quand on parle de nouveau-nés, l’une des premières choses qui nous vient à l’esprit c’est le sommeil. Parce qu’il sera forcément impacté et pas forcément de manière très positive. Quand on a un bébé, on dort moins. Beaucoup moins. Sauf que nous on va en avoir deux alors oui, c’est encore plus flippant. « Ouais, faudra prendre le relais car je pense que ta compagne ne doit pas dormir des masses. » Effectivement, je sais qu’en ce moment elle ne passe pas de très bonnes nuits. Et si le deuxième trimestre de grossesse se passait plutôt bien – voire même très bien – jusqu’à présent, ces derniers jours le choses commencent à bien se compliquer pour elle. En même temps, on s’approche du troisième trimestre c’est-à-dire la dernière ligne droite et si je suis bien plus qu’impatient à l’idée de pouvoir rencontrer mes filles, je suis presque tout autant stressé. Parce que je sais que je ne vais pas être à la hauteur et que les premières semaines vont être très difficiles, je sais aussi qu’Alex attend beaucoup de moi et j’ai peur de la décevoir. « Tu sais très bien que jamais je ne la laisserai tout gérer toute seule. » Pour Alex la grossesse n’est pas facile depuis le début, je la soutiens et je l’aide comme je peux mais ce n’est pas toujours évident. D’autant plus que j’ai tendance à oublier que ce n’est pas sa première grossesse, mais moi c’est la première fois que je prends soin d’une femme enceinte. Alors je fais tout ce que je peux, même si j’ai toujours cette désagréable impression de ne pas faire assez. « Nan mais moi, Evelyn, en pleine nature avec les bêtes, les rochers, les tallus. C’était danger assuré. Ils m’ont demandé de revenir mais plus jamais, je n’irai. » Effectivement. Dit comme ça. J’aurais peut-être dû l’en empêcher. Elle est maladroite, Ève, mais c’est aussi sûrement ça qui la rend si drôle – involontairement de sa part malheureusement – même si ça doit être bien moins drôle pour elle. « Tu sais que c’est sûrement en partie à cause de ta maladresse qu’ils t’ont sélectionnés. » D’ailleurs elle me prouve une nouvelle fois sa maladresse quand je la questionne sur cet homme qui partage apparemment sa vie maintenant. Elle fait tomber un pot de peinture tout en me répondant. « Oui. Il est… bah il est… trop bien pour moi. » Trop bien pour elle ? Je fronce les sourcils, absolument pas d’accord avec ce qu’elle vient d’avancer mais je n’ai pas le temps de lui faire savoir parce qu’elle reprend assez vite la parole. « Tiens, c’est la vidéo que j’ai prise quand on a fait notre rencard à… au parc d’attractions. Hm. Il m’a sauvé d’un désaxé au refuge et puis, ça s’est fait comme ça. » Je regarde la vidéo qu’elle me montre. Elle est fière de me montrer qui est son nouveau compagnon, et puis elle rougit aussi. C’est mignon. « Evie, je t’interdis de dire une nouvelle fois que quelqu’un est trop bien pour toi. Tu mérites le bonheur. Tu sais que je vais demander à le rencontrer ? » Savoir qui est vraiment cet homme qui la fait rougir comme ça dès qu’on le mentionne, celui qui réussit à la rendre heureuse. Ou du moins elle a l’air heureuse. Celui qui a réussi à lui faire comprendre qu’elle aussi, elle avait le droit de continuer à avancer, même si la vie de son mari s’est terminée bien trop tôt. Et je sais que ça n’a pas dû être évident pour elle. Moi, il m’a fallu presque trois ans pour que je comprenne, que j’accepte, et que je me laisse tomber amoureux une nouvelle fois. « On venait de partir et j’ai voulu faire du stop. Sauf que y’en a qui est passé à toute vitesse et j’ai fini dans le fossé. Mais c’est pas grave, je vais bien. Ezechiel était aussi en colère car apparemment la prod a mis ma vie en danger mais je vais bien. » C’est à mon tour de grimacer. Elle a eu de la chance de ne rien avoir de grave et Ezechiel a raison d’être en colère, je le serai moi aussi. « Ouais tu peux passer la prendre sans soucis. Tu l’emmènes au parc, elle adore les insectes. C’est la première chose qu’elle a demandé à Zeke. Et aussi tu peux lui offrir une baguette de fée. Elle est à fond dans sa période fée ou princesse. J’en peux plus de la reine des neiges, je songe à me suicider. » Imaginer Lisa fan des insectes et en même temps de la reine des neiges c’est assez drôle, parce qu’on ne peut pas dire que les deux se ressemblent. Mais je ris quand elle me parle de la reine des neiges, parce que peut-être que je vais y avoir droit moi aussi dans quelques années. Ou un autre Disney avec une chanson qui rentre aussi facilement en tête. « Je passerai la chercher samedi vers 11h et je te la remmènerai en fin de journée, ça te permettra de souffler un peu. Elle a déjà un costume de princesse ? » Je suis déjà en train d’imaginer tout un programme pour elle. Il y aura sûrement au menu samedi midi des hamburgers – faits maisons bien sûr –, juste après je la laisserai choisi un dessin-animé au choix et quelque chose me dit qu’elle penchera sur la reine des neiges, si elle est dans cette période. Puis un petit tour au parc, ensuite préparer avec elle un gâteau au chocolat qu’elle pourra manger par la suite, et enfin il sera sûrement l’heure de la raccompagner chez sa mère. Evie parle beaucoup, et je me demande pourquoi j’ai tendance à traîner avec des filles qui parlent toujours autant. Alex. Eve. Il y avait Victoria aussi qui avait toujours quelque chose à dire. Je lui parle de la grossesse, du sexe des jumelles. Elle sautille, elle cri et elle saute dans mes bras. Elle semble vraiment heureuse pour moi et la connaissant, ce n’est pas vraiment très étonnant. Elle sait que j’ai toujours voulu des enfants et Victoria lui avait certainement fait part de nos projets de grossesse. De mon côté mon sourire est toujours plaqué au visage et je la sers contre moi juste avant de lui tendre le cliché de la dernière échographie. « Je suis certaine que t’as chialé. Je me rappelle ta réaction quand je t’ai amené celle de Lisa et la dernière avec Jacob. Tu vas chialé. Je te préviens, je veux être la première prévenue sur la liste quand Alex accouchera ou je te jetterai un mauvais sort. Je suis contente pour toi, mon chat. Tu le mérites comme ça. » Oui, j’ai pleuré mais ma fierté m’empêche de lui avouer même si elle le sait au fond. Parce qu’effectivement, quand elle m’avait montré les clichés de ses grossesses, j’ai toujours été très ému. Un sourire en coin sur les lèvres, je me passe une main dans les cheveux, les yeux brillants. « T’as pas des conseils à me donner pour aider Alex ? Je me sens tellement inutile quand elle est pas bien. » Parce qu’elle a déjà vécu ça deux fois, Eve. Elle sait ce dont une femme a besoin pendant une grossesse. « Je suis amoureuse. Donc oui, je crois que je suis heureuse. Dis-moi comment on sait qu’un mec nous aime ? Parce que Zeke est pas bavard, il a dit qu’il était pas indifférent et que j’étais un cadeau. Mais ça veut dire qu’il est amoureux ou… ? » Je grimace légèrement avant d’hausser les épaules. Je réfléchis, ne sachant pas vraiment pas quoi lui répondre. « Je pense que ça dépend vraiment du mec. T’es bien consciente que tu me demandes ça alors que je ne suis pas non plus hyper bavard ? » Je lui demande, amusé mais j’hausse les épaules essayant tout de même de lui apporter une réponse. « Il faut peut-être que tu lui laisses un peu de temps. S’il t’a dit que tu ne le laissais pas indifférent ça veut sûrement dire qu’il t’aime ou du moins qu’il est en train de tomber amoureux de toi. Fais pas les mêmes conneries que moi et prends ton temps. » Parce que moi, je sais que j’ai tendance à m’emballer. « Ça fait combien de temps que vous êtes ensemble ? » Autant commencer par le commencement parce qu’en soi, je ne sais pas grand-chose de leur relation.
I know it hurts. It's hard to breathe sometimes. These nights are long. You've lost the will to fight. Is anybody out there? Can you lead me to the light? Is anybody out there? Tell me it'll all be alright. You are not alone. I've been here the whole time singing you a song. I will carry you (Ruelle, Carry You)
☆ Caleb & Eve ☆
Voir l’un de mes meilleurs amis devenir père me donnerait presque envie de retenter l’expérience. Mais il faut remettre les choses dans leur contexte : les gens ont cette tendance à m’abandonner une fois qu’une nouvelle vie grandissait en moi. Et je tenais trop à Ezechiel pour le perdre. Je n’avais pas encore atteint l’âge des trente ans et il était peu probable que j’ai un nouvel enfant d’ici là. j’avais déjà eu cette chance d’en avoir deux, un garçon et une fille. Un de chaque et c’était très bien. Après mise à part la fin de ma dernière grossesse, elles se sont plutôt bien passées dans l’ensemble. Mais le fait que J.J soit encore si petit et malade n’aidait pas. « Tu sais très bien que jamais je ne la laisserai tout gérer toute seule. » forcément Caleb était un ange. Je l’avais rarement vu méchant et seulement après la mort de Victoria, ce qui avait été légitime. Pour ma part, la méchanceté ne faisait pas partie de mon vocabulaire. « normal, t’es un chaton. » Je lui dis ça avec un petit sourire. Parce j’avais cette mimique sur le visage constamment en présence de Caleb. Il était mon roc, mon pilier. Il m’a aidé à traverser l’enfer et nous allions tous les deux mieux. Certes, je passerai sous silence le fait que je n’avais pas décollé du musée depuis plusieurs jours ayant oubliée de me nourrir par la même occasion. Mais il me connaissait. Il savait comment je fonctionnais. La médecine du travail, non. « Tu sais que c’est sûrement en partie à cause de ta maladresse qu’ils t’ont sélectionnés. » Là-dessus, il n’avait pas tout à fait tort. Les sélections du ROA furent bizarres. « Nan, pour l’aspect maman je pense. » Il faut dire que j’étais célibataire avant cette connerie et après, j’ai rencontré Zeke. L’inattendu. Mon soleil dans la mer de grisaille qu’était ma vie. Qu’est-ce qu’on est con quand on est amoureux. Mais je n’ai jamais été aussi heureuse que maintenant. Je voulus prendre place sur l’échelle mais il ne valait mieux pas. Je risquai de tomber au sol. Comme souvent. Une godiche qui ne tenait pas sur ses deux jambes. Incapable de prendre soin d’elle-même. J’en viens à parler de mon amoureux à Caleb. Avec franchise. Je pensais sincèrement qu’il était trop bien pour moi. Il avait cette bonté d’âme, cette pureté que je n’avais plus. Déjà en rencontrant Caleb elle s’en était allée. Je n’étais déjà pas sociable à l’époque mais Victoria était si solaire. Et Caleb si doux que je n’ai pu que tomber en amour -platonique- avec lui. « Evie, je t’interdis de dire une nouvelle fois que quelqu’un est trop bien pour toi. Tu mérites le bonheur. Tu sais que je vais demander à le rencontrer ? » Je levai le nez avant de venir le froncer. « Bah quand tu veux. je peux nous organiser un repas avec ta madame. Après faudra juste que tu me dises ce qu’elle mange et je ferai ça avant le déménagement. Enfin même si je garde l’appart hein. C’est juste que je me mets au vert. » Comme d’habitude, j’avais parlé bien vite. Signe que je ne prenais pas ma médication pour le TDA et l’hyperactivité. Je n’en voyais pas l’intérêt. J’allais bien. Je lui souris avant de passer la main dans mes cheveux pour regarder le bazar que j’avais collé derrière moi. Un vrai bordel. Je le vois grimacer lorsque je lui décris mon accident et comme à mon habitude, je me mets à patasser, gênée. Incapable de tenir en place. Nous changeons bien vite de sujet pour parler de ma fille. Il faudrait que je songe à vérifier s’il est le parrain. « Je crois que c’est toi le parrain de Lisa. T’étais là à son baptême ? C’est flou cette période vue que c’est la post-Jacob. » La post-Jacob. Il n’y avait que moi pour mettre des noms sur les périodes de ma vie. Je pourrais faire des frises. Il y a eu la post-Pierre (rencontre avec Caleb, première grossesse) le mariage, la post-Jacob (naissance de mon fils, baptême de ma fille) et maintenant que je vivais la période Zeke. Et quand j’aimais quelqu’un je ne faisais pas dans le demi-mesure que cela soit en amitié ou en amour. « Je passerai la chercher samedi vers 11h et je te la remmènerai en fin de journée, ça te permettra de souffler un peu. Elle a déjà un costume de princesse ? » Je hochai la tête à l’affirmative. « Celui d’Elsa tu t’en doutes. » Et Jacob était Olaf. Mais cela voulait dire que j’étais la mère décédée dans le naufrage du bâteau ? Non mais je ne suis pas morte. Pas encore. Je le sers contre moi, réellement contente qu’il ait des jumelles avant de venir regarder l’échographie. Ça me rappelait tellement de souvenirs. « T’as pas des conseils à me donner pour aider Alex ? Je me sens tellement inutile quand elle est pas bien. » Je peux le comprendre. J’ai vécu mes deux grossesses, seule. « Je sais pas, c’est différent. J’avais pas d’hommes à mes côtés. Enfin t’étais là mais c’est pas pareil que d’avoir… Le coussin déjà. Après il faudrait que je la rencontre pour voir. Et je l’aiderai promis. » Me mettre de côté pour aider les gens ? Oui. Je sais faire. Je sais bien faire. La preuve, mon état actuel. Avec mes trente-trois kilos tout mouillés. Je me sens un peu vaseuse pour le coup avant de me mettre à déglutir. Je tente de poser des questions à Caleb car pour une fois que j’avais un homme sous la main. « Je pense que ça dépend vraiment du mec. T’es bien consciente que tu me demandes ça alors que je ne suis pas non plus hyper bavard ? » Je hoche la tête. C’est vrai que je le suis pour deux. « C’est quelqu’un de beau, Zeke. » Dans tous les sens du terme. Je me sens devenir de plus en plus pâle alors que les émanations de peinture me montent à la tête. « Il faut peut-être que tu lui laisses un peu de temps. S’il t’a dit que tu ne le laissais pas indifférent ça veut sûrement dire qu’il t’aime ou du moins qu’il est en train de tomber amoureux de toi. Fais pas les mêmes conneries que moi et prends ton temps. » Je le regarde avec un petit sourire avant de venir caresser son bras d’un geste tendre. Prendre son temps, c’est noté. « Je lui ai donné ma clé. Parce qu’il habite loin et je veux pas qu’il ait un accident. J’ai déjà perdu trop de gens. Donc, il va venir à la maison quand il travaillera en ville. » Je ne savais pas si j’allais trop vite ou non. Mais je prends une grande respiration avant de fermer un peu les yeux. Ça fait combien de temps que vous êtes ensemble ? » Je ne sais même pas. je ne suis pas le genre de femmes qui note les dates sur le calendrier. « Deux semaines avant le Roa, donc fin mai. Presque trois mois. On apprend doucement à se connaître. » Je me mets debout, consciente que c’était sans doute une mauvaise idée. « Tu vas me crier dessus si je te dis que ça fait 4 jours que j’avais oublié jusqu’à ma sombre existence ? » Je me tourne vers lui en déglutissant avant de m’accrocher à son bras. « J’ai du aller voir la médecine du travail à cause de ça. Je vais avoir une mise à pied car je dors bien quand Zeke est là mais sinon je dors plus. Et je mange pas trop. Mais c’est pas de ma faute, j’ai juste pas faim. » Et on passera sous silence le fait que je ne m’étais pas nourrie depuis presque une semaine. Histoire de ne pas me faire souffler dans les bronches. Je titube un peu avant de finalement être prise d'un énorme vertige pour m'affaler contre la porte. Est-ce qu'un jour, je serai capable de prendre soin de moi ? De déléguer ? Ou même de partager mes soucis de santé sans les banaliser ? Bien sûr que non.
“Is anybody out there ? Can you lead me to the light ? Is anybody out there ? Tell me it’ll all be alright. You are not alone, I’ve been here the whole time singing you a song, ooooh. I will carry you”
À l’heure d’aujourd’hui, Eve est sûrement l’une des personnes en qui j’ai le plus confiance. Elle a ce côté apaisant, attachant et amusant en même temps. Et notre amitié commence à remonter. Je me souviens encore de Victoria m’annonçant avoir quelqu’un à me présenter, une de ses meilleures amies. Une Allemande venant faire ses études à Paris avec laquelle elle avait eu un véritable coup de foudre amical. Le courant est tout de suite passé entre nous et en soi ce n’est pas vraiment étonnant, on se ressemble pas mal elle et moi. Et si elle me considère comme étant un chaton apparemment, elle l’est tout autant que moi. C’est une femme foncièrement gentille et qui mérite tout le bonheur du monde voire même encore plus que ça et elle n’a pas eu beaucoup de chance jusque-là et j’espère sincèrement qu’elle finira par trouver tout le bonheur qu’elle mérite. « Bah quand tu veux. je peux nous organiser un repas avec ta madame. Après faudra juste que tu me dises ce qu’elle mange et je ferai ça avant le déménagement. Enfin même si je garde l’appart hein. C’est juste que je me mets au vert. » Un repas tous les quatre, Eve, son nouveau compagnon, Alex et moi ? Cette idée est bien évidemment très plaisante et je souris doucement avant d’hocher la tête. Et pour une fois l’idée de laisser quelqu’un d’autre cuisiner et m’installer à table sans avoir à faire quoique ce soit me plaît énormément. « Elle est pas difficile elle mange de tout. Sauf tout ce que la grossesse lui interdit. » Et l’avantage c’est que je n’ai pas à lui dresser cette liste puisqu’elle a déjà été enceinte deux fois. Eve parle beaucoup – trop – et rapidement et ce n’est pas nouveau. Je sais qu’elle ne prend pas forcément très bien son traitement et si je pourrais lui faire la morale à ce sujet je m’abstiens parce que je sais très bien que ça ne servirait à rien. « Je crois que c’est toi le parrain de Lisa. T’étais là à son baptême ? C’est flou cette période vue que c’est la post-Jacob. » Cette période de flou après la mort de la personne qu’on aime, je la connais et quelqu’un qui n’a jamais vécu ça trouverait certainement sa question très étrange. Mais moi je peux la comprendre. Il y a plusieurs choses dont j’ai du mal à me souvenir après la mort de Victoria. « Oui c’est bien moi le parrain. » Et un an après la perte de ma fiancée ce rôle a été très important pour moi. Être le parrain de Lisa a été comme un véritable espoir pour moi alors que je ressortais tout juste d’une dépression qui a duré une année entière. Je prends ce rôle très à cœur et je passe beaucoup de temps avec Lisa, je la gâte comme si c’était ma propre fille et je ne fais pas ça par obligation mais tout simplement parce que ça me plaît. Eve me dit que sa fille a déjà le costume d’Elsa alors je le note dans un coin de ma tête pour lui en trouver un autre. « Je sais pas, c’est différent. J’avais pas d’hommes à mes côtés. Enfin t’étais là mais c’est pas pareil que d’avoir… Le coussin déjà. Après il faudrait que je la rencontre pour voir. Et je l’aiderai promis. » Eve n’avait personne avec elle lors de ses deux grossesses et l’entendre me dire ça me fait presque culpabiliser alors que je n’y peux rien, je le sais. Mais elle aurait mérité pouvoir vivre au moins une grossesse normale avec un homme à ses côtés. « Ouais c’est vrai. Désolé… » Je me pince les lèvres et je me promets de ne plus jamais lui demander des conseils parce qu’elle, elle a dû se débrouiller toute seule. « Je lui ai donné ma clé. Parce qu’il habite loin et je veux pas qu’il ait un accident. J’ai déjà perdu trop de gens. Donc, il va venir à la maison quand il travaillera en ville. » Il a déjà les clés de chez elle mais ses raisons me semblent assez justifiées. Et puis je ne peux pas vraiment me permettre de lui faire une réflexion de ce genre sachant que quand je tombe amoureux j’ai tendance à brûler toutes les étapes et aller bien trop vite. « Il travaille dans quoi ? » Je commence à lui poser des questions voulant réellement apprendre à connaitre cet homme qui partage maintenant la vie de mon amie. « Deux semaines avant le Roa, donc fin mai. Presque trois mois. On apprend doucement à se connaître. Tu vas me crier dessus si je te dis que ça fait 4 jours que j’avais oublié jusqu’à ma sombre existence ? J’ai du aller voir la médecine du travail à cause de ça. Je vais avoir une mise à pied car je dors bien quand Zeke est là mais sinon je dors plus. Et je mange pas trop. Mais c’est pas de ma faute, j’ai juste pas faim. » Quand elle commence à prendre la parole je remarque tout de suite la petite mine qui s’est accrochée à son visage. Je l’écoute mais je ne dis plus rien. Elle m’avoue clairement ne pas prendre soin d’elle, elle ne dort pas, ne mange pas et même si je sais que je lui faire la morale ne servirait à rien dire que je n’en ai pas envie serait mentir. Elle a le teint pâle, Eve, et elle semble être prise d’un gros vertige, elle se tient à la porte. Je la laisse quelques secondes, légèrement inquiet. « Tu vas bien ? » Question bête. Non. Bien sûr que non elle ne va pas bien. « Viens. Suis-moi. » J’attrape sa main pour l’aider à se redresser un peu. « Je vais te faire à manger, et c’est non négociable. » Je lâche sa main mais mon bras entour ses épaules pour ne pas la lâcher puisqu’elle ne semble même pas tenir sur ses jambes. Je m’avance avec elle vers la sortie, vu l’heure elle devrait bientôt avoir fini le travail et de toute façon elle vient de me dire qu’elle va être mise à pied. Une fois dehors je la traîne avec moi jusqu’à ma voiture, je lui ouvre la portière passager et une fois installée, je monte à mon tour. « Risotto ça te va ? Lasagne ? » Je m’attends à ce qu’elle réponde à la négative aux deux propositions mais de toute façon je viens de prendre la route pour l’emmener chez moi et je suis bien déterminé à la faire manger.
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☆ Caleb & Eve ☆
Je suis mais tellement une quiche en amitié. Ils sont rares les amis qui sont restés auprès de moi. Car je n’avais pas les codes sociaux. Je pourrais les avoir, j’aurai pu faire un effort depuis le temps mais je restai en marge de la société. Il n’était pas rare de me trouver avec une feuille de papier dans la main ainsi qu’un crayon, dessinant le monde qui m’entourait. Et pourtant, j’avais tout de suite senti une connexion avec Caleb puisque nous étions amis depuis des années. Sept ans, bientôt huit puisque j’étais enceinte de Lisa lorsque nous nous étions rencontrés. Victoria m’avait prise sous son aile juste après que je me sois faite jeter par Pierre et j’avais rencontré son copain avec une certaine timidité. Pour m’attacher à lui. Il était l’un des rares à avoir réussi à m’approcher avec Oakley après la mort de Jacob. Et depuis j’étais collée à lui comme une moule sur son rocher. Quoique non, c’est moche une moule. Nous étions plutôt comme deux koalas inséparables. Et j’étais contente de pouvoir parler avec lui de sa future paternité. Je me rappelle encore ma réaction quand il me l’a annoncé puisque j’ai sauté au plafond comme un personnage de cartoon. Et j’ai dû lui percer un ou deux tympans au passage puisque j’étais très expressive. Assez pour grogner quand la société me réclamait le troisième. Deux enfants, c’est bien. Très bien. Tout naturellement je proposais un repas entre nous puisque je voulais rencontrer sa madame. S’il voulait voir mon monsieur. A coups sûrs, cela ne gênerait pas Zeke quoiqu’il ne serait pas très causant pour le coup. J’allais devoir tout organiser et je n’omettrais aucun détail. « Elle est pas difficile elle mange de tout. Sauf tout ce que la grossesse lui interdit. » J’eus un rire jaune car je m’en souvenais. Bon, je ne suis pas trop friande de poisson cru mais la clope, l’alcool… Certes, je ne fumais pas comme un pompier, seulement on se rend compte de ce qui nous manque quand on le perd. Et je peux vous dire qu’en temps de grossesse, chaque moyen de décompression est le bon. Certaines femmes ont cette chance d’avoir un homme pendant cet évènement. A vrai dire, presque toutes les femmes. Je suis la seule qui s’est retrouvée à devoir pleurer dans la salle de bain à cause des nerfs. Non, on ne peut pas dire que j’ai gardé un super souvenir de mes deux grossesses. Et aucune envie de remettre ça pour la troisième. « Oui c’est bien moi le parrain. » Je me permis donc de hocher la tête comme le chien, le petit truc sur lequel on appuie et qui la bouge de haut en bas. Après tout, Caleb me connaissait, il savait que j’avais cette tendance à trop bouger et être trop expressive. « « Il me semblait bien que j’avais pas choisi Bobby du lavomatique. Ça me fait penser que J.J n’est pas baptisé. Mais bon comme chez Jacob, ils sont juifs, j’ai pas envie de me brouiller avec Ivana. » Ou ma sauveuse la plupart du temps. Elle prenait assez les enfants comme ça avec Paul, me laissant livrée à moi-même. C’est-à-dire à courir partout, sans manger ni dormir. Faisant mille et une activités pour m’occuper l’esprit. J’étais un peu plus posée quand Zeke était là. Quand il était ailleurs, c’était clairement la porte ouverte à toutes les fenêtres. « Ouais c’est vrai. Désolé… » Je me tourne vers lui en fronçant les sourcils. « Pourquoi tu t’excuses ? T’y es pour rien si Pierre était pas gentil et que Jacob est reparti. C’est la vie et je m’en suis pas trop mal sortie. » Tu parles, la seconde grossesse fut une véritable catastrophe. A part sourire et faire semblant quand j’allais le voir après la mort de Victoria, j’ai fait n’importe quoi. Et le résultat était assez évident puisque mon fils est né avec deux mois d’avance et malade. La totale. Je décide donc de changer de sujet car c’était un sujet sensible. J’avais même refusé de lui montrer Pierre lorsque je me suis retrouvée en face de lui, il y a huit ans et je ne comptais pas remettre le sujet sur le tapis. Je ne déteste pas mon ex mais disons que je ne vais pas lui faire des nattes non plus. « Il travaille dans quoi ? » Je mets du temps à retrouver mes esprits et ainsi la conversation. TDA à la con. « Il est ébéniste et il travaille à la scierie. Tu le verrais, il est immense. Genre un mètre quatre-vingt-dix et quatre-vingt-dix kilos au bas mot. Je suis en train de le peindre pour son anniversaire. J’ai dû trouver une toile immense mais ça commence à rendre quelque chose. » Après tout était-ce si étonnant quand on savait que je n’achetais Je jamais aucun cadeau ? Je me contentai de tous les fabriquer et Caleb pourrait l’attester. Les seules choses que j’achetais étaient pour mes enfants. « D’ailleurs il est du mois de septembre aussi. Donc ça me fait moi le 18, Lisa le 20 et lui le 25. » La coïncidence était énorme quand on y pensait. Je passe une main sur mon visage alors que le premier vertige me cloue presque au sol. J’en faisais trop et cela finissait toujours pareil. Mon corps se rappelait à mon bon souvenir en voulant se poser alors que mon cerveau était aussi actif que Beep Beep. Je secoue la tête en me tenant à la porte. La vache, il était gros celui-là. « Tu vas bien ? » Je lui réponds en levant le pouce (mensonge) alors qu’il s’approche de moi. « Viens. Suis-moi. » Je le laisse me prendre par la main, en le suivant avec un peu de mal. Nom de dieu, depuis combien de temps n’ai-je pas mangé ? « Je vais te faire à manger, et c’est non négociable. » Je grogne en baissant la tête. « Je dois prendre au moins quinze kilos. J’étais jamais descendue aussi bas, confiai-je d’une voix qui avait perdu de sa superbe, on dit merci le roa. » Aventure de merde, inutile au possible. Je n’avais même pas réussi à me faire des amis. Je parviens à monter dans la voiture pour poser ma tête sur l’appui-tête. « Risotto ça te va ? Lasagne ? » Je sens dans le ton de mon meilleur ami que c’est sans appel alors je me mords l’intérieur de la joue. « Du risotto tiens, ça changera. Je suis désolée chou, de plomber l’ambiance. » J’étais clairement un boulet. Mais un gentil boulet sur le coup.
“Is anybody out there ? Can you lead me to the light ? Is anybody out there ? Tell me it’ll all be alright. You are not alone, I’ve been here the whole time singing you a song, ooooh. I will carry you”
L’idée de pouvoir présenter Alex à Eve me met une certaine pression. Parce que son avis est important pour moi et qu’elle puisse ne pas apprécier la femme qui partage à présent ma vie me fait un peu peur. Mais j’accepte tout de même sa proposition, ça reste important pour moi et je veux qu’elles puissent se rencontrer et même pourquoi pas sympathiser. « Il me semblait bien que j’avais pas choisi Bobby du lavomatique. Ça me fait penser que J.J n’est pas baptisé. Mais bon comme chez Jacob, ils sont juifs, j’ai pas envie de me brouiller avec Ivana. » Lisa, cette petite qui a été ma bouffée d’oxygène pendant les moments les plus difficiles pour moi. C’est un ange, Lisa, un ange tombé du ciel. Elle est adorable, elle le tient de sa mère sans aucun doute. À l’instant même où elle m’a proposé d’être le parrain de sa fille, j’ai pris ce rôle très à cœur. Touché mais aussi réellement heureux qu’elle ait pensé à moi pour ça. Parce qu’à l’époque je n’étais pas de très bonne compagnie. Un an après la mort de Victoria je suis certes sorti de ma dépression mais ça ne voulait pas dire que j’avais déjà réussi à remonter la pente. Non. Pour ça, ça a été bien plus long et au final ça ne fait qu’un an que j’ai réellement réussi à tourner la page. Même si ce n’est pas facile tous les jours encore aujourd’hui. « Tu aurais pu choisir Bobby, mais je pense que tu as eu un peu pitié de moi. » Je lui dis ça sur un air léger, alors qu’en soit ce n’est pas réellement drôle. J’étais triste, déprimé, au bout du rouleau, ça n’a rien de drôle. Mais je préfère largement dédramatiser la situation parce que maintenant je vais mieux. Elle le sait, et elle aussi, elle va mieux puisqu’elle a rencontré un homme dont elle semble s’être vraiment attachée. « Pourquoi tu t’excuses ? T’y es pour rien si Pierre était pas gentil et que Jacob est reparti. C’est la vie et je m’en suis pas trop mal sortie. » Parce que je m’excuse tout le temps. Dès que je dis quelque chose de travers, dès que j’ai l’impression d’entamer un sujet de discussion qui ne plait pas vraiment à mon interlocuteur. Je m’excuse toujours, tout le temps. Parce que je ne veux pas déranger, je ne veux pas mettre mal à l’aise. Je suis comme ça. Et en guise de réponse j’hausse simplement les épaules, laissant couler le sujet. Aucune de ses deux grossesses n’a été facile à vivre pour elle, je le sais et je m’en veux d’avoir abordé le sujet. Je ne rebondis pas là-dessus et elle change de sujet ce qui prouve bien qu’il s’agit d’un sujet à éviter à tout prix. « Il est ébéniste et il travaille à la scierie. Tu le verrais, il est immense. Genre un mètre quatre-vingt-dix et quatre-vingt-dix kilos au bas mot. Je suis en train de le peindre pour son anniversaire. J’ai dû trouver une toile immense mais ça commence à rendre quelque chose. » En résumé, ce Zeke c’est le beau gosse par excellence. Encore un mec à côté duquel je vais me sentir bien ridicule. Mais pourtant quand elle me parle de lui, je souris grandement. Touché, et vraiment heureux de voir Eve qui semble elle aussi, de nouveau heureuse. « T’es adorable. » Je lui dis doucement alors que mon sourire n’a pas quitté mes lèvres. Eve a Presque des cœurs dans les yeux quand elle parle de lui, c’est mignon, c’est touchant. C’est ça, l’amour. « D’ailleurs il est du mois de septembre aussi. Donc ça me fait moi le 18, Lisa le 20 et lui le 25. » Ses mots me rappellent surtout que je n’ai toujours rien acheté pour l’anniversaire de ma filleule. « Il y a quelque chose en particulier qui ferait plaisir à Lisa cette année ? Je l’aurais bien emmenée à Disney mais je n’ai pas envie de laisser Alex toute seule plusieurs jours. » Les parcs Disney les plus proches d’ici sont ceux à Tokyo et je ne connais que Disneyland Paris, que Victoria m’a fait découvrir à de nombreuses reprises. Mais en tout cas s’il y a bien une chose qui ne change malheureusement pas, c’est le fait qu’Eve ne fasse pas assez attention à elle, elle ne mange pas et rejette sa perte de quinze kilos sur cette émission de télé-réalité à laquelle elle a participée. Sans réellement lui donner son avis je la prends avec moi dans ma voiture en lui annonçant que j’allais lui faire à manger, ce par quoi elle répond « Du risotto tiens, ça changera. Je suis désolée chou, de plomber l’ambiance. » J’hoche la tête pour le risotto et heureusement que je vis dans le même quartier que le musée. Vivre à Spring Hill, je ne le regrette pas et même si je sais qu’Alex se sentait bien dans son appartement à Redcliffe, on est quand même beaucoup mieux ici non ? Et c’est après dix minutes que je me gare devant mon garage, arrivé à destination. « C’est en plus l’occasion que tu puisses visiter un peu notre maison. » Maison achetée par Alex et moi il y a quelques mois, et maintenant depuis seulement quelques semaines tous les travaux que je devais y faire sont terminés et nous profitons alors du calme de la maison avant l’arrivée des jumelles. La porte à peine ouverte que Dobby court vers moi, ce chien est toujours débordant d’énergie et il a toujours beaucoup de mal à se poser. Il m’impressionne. « Fais comme chez toi. Tu veux boire un truc ? » Je lui demande tout en m’avançant vers la cuisine, et après m’être lavé les mains je commence sans plus attendre la préparation du risotto que je lui ai promis. Elle a quinze kilos à rattraper et même si ce n’est pas avec un plat qu’elle va les récupérer ça ne pourra que l’aider. « Tu veux que je te fasse un dessert après ? » Elle risque de me répondre par la négative, mais pourtant je suis bien décidé à lui faire un dessert après. Pas forcément quelque chose de très lourd, mais elle doit manger, elle a perdu quinze kilos et il est temps qu’elle prenne un peu soin d’elle.
I know it hurts. It's hard to breathe sometimes. These nights are long. You've lost the will to fight. Is anybody out there? Can you lead me to the light? Is anybody out there? Tell me it'll all be alright. You are not alone. I've been here the whole time singing you a song. I will carry you (Ruelle, Carry You)
☆ Caleb & Eve ☆
Mon amitié avec Caleb était aussi ancienne que les œuvres que je restaurai. Du fait qu’il m’avait connu avant que je ne devienne Maman EvE, avant que je ne devienne le zombie Evie et même maintenant. Je n’avais aucun secret pour lui parce que je savais qu’il me comprenait. J’avais passé bon nombre d’heures à ses côtés après la mort de Victoria. A tenter de lui apporter un peu de joie dans cette période si sombre. Malheureusement, je n’avais pas le droit d’y amener ma fille donc je faisais passer des dessins en douce. Comme si je vendais des cigarettes en pleine incarcération. Puis cela fut à son tour de me porter secours après la mort de mon aimé. Celui que je pensais comme étant mon zing. Note à moi-même : ne pas regarder Hotel Transylvanie avec ses enfants. Il fut donc tout naturel que celui que je considérai comme un membre de ma famille bancale n’en vienne à être le parrain de ma fille. Je l’aurai bien choisi pour être celui de mon fils histoire de faire le doublé mais le souci étant que Jacob serait sans doute de religion juive. Je n’ai jamais rien compris aux religions comme à la politique à vrai dire. Véritable blonde à mes heures perdues. « Tu aurais pu choisir Bobby, mais je pense que tu as eu un peu pitié de moi. » Je tournai le visage vers lui avant de lui sourire. « Tout à fait et puis Li’ t’adore. » Pas vraiment par pitié non. Parce que Caleb était un peu comme le frère que je n’avais jamais eu. Du moins, je pense que mon frère serait un peu comme lui. Nous avions un peu vécu la même chose tous les deux. Sauf que sa vie prenait enfin un tournant heureux et par conséquent, je l’étais aussi. J’en viens donc à lui décrire Zeke comme le ferait une artiste. Avec les perspectives, le poids, les photos de notre rencard à l’appui. Sans doute étais-je trop niaise ? J’essayai pourtant de me réfréner en présence de Zeke parce que je ne voulais pas le voir me fuir au loin. Je ne sais pas si je saurai m’en remettre. En tout cas, je tentai car j’ai toujours eu cette tendance fleur bleue. A croire au romantisme, à espérer qu’on m’offre des beaux bouquets de fleurs et des chocolats. Quoique, vue ma maladie, les chocolats seraient plus pour les enfants que pour moi. Puis, j’avais de la cellulite. « T’es adorable. » Je lui tirai la langue avant de froncer le nez comme une gamine de douze ans. A croire que je ne grandirai jamais vraiment dans cette histoire. Mais la perspective de passer mon anniversaire en couple m’enchantait et m’effrayait à la fois. Car en somme, je ne savais pas trop faire ce genre de choses. Jacob était en détachement lorsque nous étions ensembles et Pierre oubliait à tous les coups. Donc, comment tout ceci pourrait-il se passer ? J’avais déjà prévu l’itinéraire sans cesser de bouger. Nous irions dans un parc naturel réputée pour ses piscines naturelles avec accrobranches et tout le reste. « Il y a quelque chose en particulier qui ferait plaisir à Lisa cette année ? Je l’aurais bien emmenée à Disney mais je n’ai pas envie de laisser Alex toute seule plusieurs jours. » Je pris mon menton à deux doigts avant de réfléchir. « Tu pourrais m’aider à monter la serre ? Car oui, je compte lui offrir une serre pour qu’elle y mette ses bêbêtes. En vrai, Lisa je lui offre une serre et Zeke, un totem et un tableau. » Un totem. Tout le monde en avait un. Des petites figurines ridicules que je sculptais dans de l’argile pour qu’ils ramènent les personnes du noir. « J’en ferai pour tes filles, dis-je avec enthousiasme. » je me sentis un peu nauséeuse cependant. Caleb connaissait bien l’affaire puisqu’il passait son temps à venir m’enguirlander car je m’oubliais. Mon anorexie n’était pas un tabou entre nous mais j’adoptais sans cesse le même schéma. Prise par ma vie, j’oubliais de la vivre plutôt que la subir. Et je me retrouvais amaigrie, cernée et affreuse. Bonne pour Halloween. Je soupirai donc en me retrouvant assise dans la voiture de mon meilleur ami, baissant la tête comme une enfant prise en faute. « C’est en plus l’occasion que tu puisses visiter un peu notre maison. » Je me contentai de hocher la tête avant de descendre une fois arrivés. Je restai un moment à admirer sa maison. La mienne, je la faisais construire. Ou plutôt je la bâtissais de mes mains comme une grande. Mais la sienne était jolie et je pouvais le voir élever ses enfants dedans. Je me baisse pour caresser Dobby, heureuse de voir son chien. Après tout, j’en avais moi-même trois. Amie des bêtes jusqu’au bout des ongles. « Fais comme chez toi. Tu veux boire un truc ? » Je me surprends à retirer mes chaussures, sans oser toucher quoique ce soit, couverte de peinture. « Un jus de fruits si tu as ? Sinon de l’eau ? Demandai-je d’une toute petite voix. » Puis, je suivis mon meilleur ami jusqu’à la cuisine avant de me poser près de lui, sans cesser de caresser le chien. « Tu veux que je te fasse un dessert après ? » Je sautillai d’un pied à l’autre, n’osant pas le regarder. « Si tu veux oui. Mais t’as pas peur… enfin j’ai replongé. Je sais pas pourquoi, je pense que c’est à cause de… de mon histoire avec Kieran. Depuis j’arrive plus trop à manger. » A Kieran. Ou mon crush avant de rencontrer Zeke. Le fameux « tu ressembles à mon ex » qui avait anéanti tous mes espoirs me plongeant dans une profonde dépression. Mais tout ceci était AZ. Avant Zeke. Le souci étant que le fait de lui avoir brisé le cœur : ça me foutait en l’air.
“Is anybody out there ? Can you lead me to the light ? Is anybody out there ? Tell me it’ll all be alright. You are not alone, I’ve been here the whole time singing you a song, ooooh. I will carry you”
Pendant longtemps, Lisa a été mon seul et unique rayon de soleil. Un véritable petit ange tombé du ciel, je l’ai vue grandir et j’ai toujours eu un peu envie de la protéger du monde extérieur et des potentielles déceptions. Alors oui, je prends mon rôle de parrain vraiment beaucoup à cœur et quand Eve me dit que Lisa m’adore, un sourire s’étire naturellement sur mes lèvres. Moi aussi, je l’adore ma filleule. « Tu pourrais m’aider à monter la serre ? Car oui, je compte lui offrir une serre pour qu’elle y mette ses bêbêtes. En vrai, Lisa je lui offre une serre et Zeke, un totem et un tableau. » De toute façon, Eve peut me demander n’importe quoi les chances que je lui refuse sont assez minces. Elle est importante pour moi, elle l’a toujours été mais elle l’est d’autant plus depuis le décès de Victoria. Elle m’a épaulé, elle m’a aidé, elle a été présente pour moi et elle me comprenait. Elle venait de perdre sa meilleure amie et moi la femme de ma vie. Ce n’est certes pas la même douleur mais elle aimait aussi Victoria. Et puis après elle a perdu à son tour celui avec qui elle voulait passer le reste de sa vie, très peu de temps après moi alors forcément, ça soude ce genre d’épreuve. « Je comprendrais jamais sa passion pour les bêtes. » Je lui avoue tout en grimaçant. Moi, je ne suis clairement pas un grand admirateur d’insectes ou tout ce genre de choses. Sauf les animaux. Je suis un amoureux des animaux en tout genre mais avec un petit faible pour les chiens. Eve va d’ailleurs pouvoir revoir Dobby puisque nous nous dirigeons à présent en direction de ma maison. Parce qu’elle n’a pas assez mangé, comme toujours. Et je n’aime pas ça. Je n’aime pas cette maladie qui la suit depuis bien trop longtemps maintenant. Je me sens impuissant face à son anorexie alors j’agis comme je peux ; je la nourris. Je la fais manger et je n’ai qu’à espérer qu’elle ne se fasse pas vomir en rentrant chez elle. Je suis peut-être un peu naïf en pensant qu’elle ne le fera pas, mais j’ai envie de croire. J’ai envie de croire en elle. « Un jus de fruits si tu as ? Sinon de l’eau ? » J’hoche doucement la tête tout en m’avançant vers le frigo pour en ressortir du jus de fruits que je lui sers dans un verre bien rempli. Et tout en commençant le risotto, je lui demande si elle voudrait un dessert et sa réponse attire mon attention. « Si tu veux oui. Mais t’as pas peur… enfin j’ai replongé. Je sais pas pourquoi, je pense que c’est à cause de… de mon histoire avec Kieran. Depuis j’arrive plus trop à manger. » J’épluche l’oignon, je l’émince et je le fais revenir dans une poêle tout en relevant les yeux vers elle à la fin de sa phrase. Oui, elle a replongé. Je l’avais compris, malheureusement. Maintenant elle a trouvé un homme avec qui elle se sent bien, avec qui elle est heureuse alors que peut-être grâce à lui elle va réussir à décrocher. Je l’espère, du moins. « Tu devrais en parler avec ton psy, Eve. » De Kieran, de Zeke, de sa rechute, de sa maladie et de ce que tout ça lui fait ressentir. Et je sais qu’au fond je suis mal placé pour lui donner ce conseil. Moi j’ai arrêté les séances avec ma psychologue il y a un peu plus d’un an alors qu’elle m’avait conseillé de continuer. Nous n’avions pas terminé tout le travail selon elle, et récemment je me suis rendu compte qu’elle avait raison. J’ai certes fait le deuil de Victoria, mais les choses restent toujours encore un peu compliquées pour moi. Je me questionne encore beaucoup, sur énormément de choses. Je me demande s’il est convenable d’avoir acheté une maison avec une autre femme, trois ans et demi après sa mort. Je me demande si les autres ne pensent pas que je l’ai oubliée bien vite. Sauf que je ne l’ai pas oubliée. Enfin pas vraiment. Parce qu’elle fera toujours partie de moi. Victoria sera toujours mon point le plus sensible. « J’ai recommencé mes séances il y a quelques semaines moi. » Je lui avoue cette fois sans vraiment oser lever les yeux vers elle. Même pas réellement par honte. Mais parce que lui dire ça c’est un peu comme lui avouer à demi-mots que je ne suis toujours pas sorti de mon passé avec Victoria et pour moi, ce genre de confessions n’est pas faciles à faire. En même temps comment est-ce que je pourrais passer à autre chose alors que je suis le responsable de sa mort ? C’est impossible et je me demande encore pourquoi et comment Eve a fait pour ne pas m’en tenir rigueur comme Birdie le fait. Mais je lui lâche cette information comme ça, sans réellement argumenter plus et sans la regarder. Je me concentre sur le risotto qu’elle m’a demandée. C’est mieux comme ça.
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☆ Caleb & Eve ☆
Caleb a été pendant longtemps mon unique repère dans cette ville de fou. Dans ce pays où je ne me sentais pas à ma place parce que les gens étaient différents. Les australiens étaient peu tactiles, peu enclin à se laisser approcher. Tout était si grand alors que je demeurai si petite et ce monde a commencé à m’effrayer. J’ai commencé à avoir peur de sortir de chez moi et à plonger dans mes propres démons. Seuls Oakley et Caleb arrivaient à m’approcher, à me faire sourire de temps en temps. Mais j’ai continué à observer le monde du haut de ma tour d’ivoire sans en sortir. Je n’étais qu’un être paradoxal car dans le fond, j’ai toujours rêvé de me sortir de la prison dans laquelle j’avais grandi. Pour au final, m’y enfermer après qu’on m’ait pris Jacob. Je savais que Caleb verrait que mon état de santé déclinait un peu plus chaque jour. Il verrait mon état de fatigue et mon inquiétude. Mais alors que sa compagne était enceinte, je ne voulais pas entacher ce bonheur qu’il avait longuement mérité. Je ne voulais pas lui parler de la maladie de Jacob qui gagnait du terrain, des séjours incessants à l’hopital et de cette envie de m’éffacer car je connaissais le bonheur et que je culpabilisai. Lisa était mon rayon de soleil depuis sa naissance. D’une franchise à toute épreuve, elle disait souvent ce qu’il se passait par sa petite tête blonde -comme la mienne- et représentait une véritable bouffée d’air frais dans ce monde si étouffant. J’ai toujours eu un lien si spécial avec mes enfants. Les couvant trop, surtout Jacob, tenant à tout faire toute seule. mais je savais tout l’amour que vouait mon meilleur ami à sa filleule. Et la réciprocité de celui-ci. « Je comprendrais jamais sa passion pour les bêtes. » Alors qu’il grimace, j’éclate d’un rire franc. « Moi non plus. et dernièrement, elle s’est prise d’amitié pour les lézards. Je vais sans doute lui en acheter un pour son anniversaire. Elle me dépasse totalement. Des fois, je me dis qu’elle tient plus de Pierre que de moi. » Je ne m’autorisai à prononcer le prénom du père de mon ainée qu’en présence de Caleb car il l’avait déjà vu de loin. Et que comme tout mon entourage, il ne le portait pas dans son cœur. Bien au contraire, Pierre était un peu devenu l’homme à abattre m’ayant laissée seule alors que je portais son enfant. Mais nous voilà sept ans plus tard, je jugeai ne m’en être pas trop mal sorti. Même si au passage, je me suis oubliée. Mon ami était le seul, et j’accentue sur ce point, à connaître tous mes tocs, tous mes défauts et cette fâcheuse tendance à vouloir me rendre invisible aux yeux du monde. Il savait également la relation qui me liait à Kieran. A savoir que je l’avais aimé avant même de l’avoir rencontré mais qu’il avait fini par me comparer physiquement à son ex copine. Et que cela m’avait replongé dans mes propres angoisses. Je me sentais mieux cependant au contact de Zeke. Même si ma dernière entrevue avec Kieran me fut fatale au moral. Je n’oserai pas en parler à mon compagnon car on ne parlait jamais de nos ex en présence des nouveaux venus dans nos vies sentimentales. Une sorte de tabou qui régissait cette sphère. Mais je pouvais en parler à Caleb. Lui demander conseil puisque Victoria était une ombre de son passé et qu’Alex était son présent. Et même si leur relation était compliquée, tortueuse, je ne jugerai pas car il l’aimait. Et Caleb me ressemblait beaucoup là-dessus : il donnait tout lorsqu’il aimait sans réfléchir à ce qui pourrait lui arriver. « Tu devrais en parler avec ton psy, Eve. » Je fis tourner mon jus de fruit dans mon verre, admirant ce dernier comme s’il s’agissait d’un liquide recouvert d’or et non un simple mélange fruité. « Déjà fait. Il m’a conseillé de parler de mon anorexie avec Zeke et de prendre mes distances avec Kieran. » Je me postai près de Caleb, ridicule à ses côtés tant par notre écart de taille. « Il m’a dit qu’il m’aimait. Kieran. J’ai fini par lui dire que j’étais malade. Je ne pense que cela soit de sa faute mais… » Mais je culpabilisai de refaire ma vie alors que mon mari reposait entre quatre planches. Et Caleb savait ce que je ressentais puisqu’il était en proie aux mêmes troubles. Nous étions tous les deux à l’orée d’une nouvelle vie mais saurions-nous faire fi du passé ? Je ne serai le dire à l’instant T mais le futur s’annonçait étincelant pour l’un comme pour l’autre. « J’ai recommencé mes séances il y a quelques semaines moi. » C’était inévitable. Alors, je tournai la tête vers lui. Pour voir qu’il fuyait mon regard. « Je ressens la même chose que toi, tu sais. » Je posai mon verre sur le comptoir avant de m’approcher de mon meilleur ami. Doucement mes mains passèrent autour de sa taille alors que je posai ma tête contre son dos. J’avais besoin de ce contact autant que lui. « Ils ne nous en voudront pas, tu sais, murmurai-je d’une voix fêlée par la tristesse, je suis… je suis allée lui parler au cimetière. » Ce cimetière où reposait un cercueil vide. Ce cimetière où je me stoppais également de longues heures devant la tombe de celle qui fut jadis ma meilleure amie. « Vicky n’aurait pas voulu que tu te coinces dans le passé, Cal. Elle aurait voulu que tu avances dans la vie, que la vives, que tu la ressentes. » Mes mains caressaient distraitement ses flancs comme pour l’apaiser. « Elle aurait voulu qu’on vive pour elle. Et je sais que cela fait peur. Je sais que cela fait du mal. Mais ce n’est pas de ta faute. Cela ne sera jamais de ta faute. » Je le tournai vers moi pour le forcer à me regarder. Ma voix n’était que tendresse et douceur alors que mes doigts vinrent se loger contre sa joue. Notre lien était si fort qu’il suffisait que l’on se regarde pour comprendre l’autre. « La vie est un arc-en-ciel et nous n’avons pas fini de mettre des couleurs dans nos vies, Caleb. Tu comprendras ce que je veux dire quand tu les tiendras dans tes bras. A cet instant, plus rien d’autre ne comptera. » Je rompis le contact pour le laisser faire à manger avant de replonger dans mon verre. Je n’avais pas bu une seule goutte mais la fraicheur du verre me ramenait vers la réalité. Celle où nous étions tous les deux brisés. Mais que nous étions brisés à deux. Et qu’Alex ainsi que Zeke recolleraient les morceaux. J’avais foi en eux.
“Is anybody out there ? Can you lead me to the light ? Is anybody out there ? Tell me it’ll all be alright. You are not alone, I’ve been here the whole time singing you a song, ooooh. I will carry you”
Eve était importante pour Victoria, c’était sa meilleure amie et je me souviens encore le jour où elle m’a annoncé qu’elle avait une personne très importante pour elle à me présenter. Bien sûr que rencontrer Eve m’avait fait peur sur le coup. Je savais que je devais faire bonne impression, que si elle ne m’appréciait pas cela pourrait potentiellement avoir un impact sur ma relation avec elle. Victoria accordait une certaine importance à ses amis, et je pense même qu’elle a toujours été plus proche de son cercle d’amis que de sa famille. Alors rencontrer Eve avait été aussi stressant que la première rencontre avec mes beaux-parents. Pourtant celle-ci avait été plutôt folklorique. Ses parents ne parlaient pas très bien anglais donc les conversations devaient se faire obligatoirement en français. Et puis ils parlaient vite. Tellement vite et je vous assure qu’ils n’articulaient pas du tout, alors je comprenais un mot sur deux. C’était presque la même chose au début avec Eve. Elle savait parler anglais, certes, mais en présence de Victoria, elle utilisait la langue natale de son amie. Au début de mon arrivée en France, je parlais français. Je pensais que je me débrouillais même bien mais à force d’être en lien avec des personnes parlant vite sans prendre la peine d’articuler je me suis rendu compte d’une chose : j’avais un niveau assez scolaire. Pas mauvais, mais pour que je comprenne tout il fallait prendre le temps de bien parler en articulant. Je me souviens d’une soirée passée avec Victoria et Eve, elles parlaient de Pierre, l’ex d’Eve qu’elle ne portait pas dans son cœur et elle en avait toutes les rasions du monde : cet homme l’a quitté alors qu’elle portait son enfant. Eve parlait de lui avec son amie en le qualifiant de con. Mot que je ne connaissais pas, parce que très honnêtement je ne connaissais pas beaucoup de gros mots en français au début. Et en me voyant perdu dans la conversation Victoria n’avait pas pu s’empêcher de se foutre ouvertement de moi, Eve m’expliquant par la suite la signification de ce mot en me disant simplement ’c’est un gros mot’ La plupart de mes souvenirs avec les deux jeunes femmes sont bon. Très bon même. Elle mérite de trouver le bonheur, Eve. Parce que c’est une personne en or. Elle a vingt-sept ans et elle a déjà perdu sa meilleure amie et l’homme de sa vie. « Déjà fait. Il m’a conseillé de parler de mon anorexie avec Zeke et de prendre mes distances avec Kieran. » Il a raison, tout ça me semble même logique. Elle ne peut pas prétendre commencer une relation avec Zeke si elle ne compte pas lui parler de sa maladie. Ce n’est pas une honte, ce n’est pas non plus de sa faute, elle est malade et elle doit se faire soigner se faire aider et pour ça, il faut qu’elle en parle à celui qu’elle a choisi pour partager sa vie. « Laisse-le t’aider. » Parce que tu en as besoin. Et que pour certaines choses, l’aide d’un thérapeute me semble assez inutile. Rien ne vaut la présence et le soutien de la personne qu’on aime. « Il m’a dit qu’il m’aimait. Kieran. J’ai fini par lui dire que j’étais malade. Je ne pense que cela soit de sa faute mais… » Mais elle culpabilise de refaire sa vie alors que celui qu’elle voyait comme étant l’homme de sa vie n’est plus de ce monde. Je lâche un léger soupir et me tourne vers elle pour la regarder avant de lui répondre. « Je sais... » Je sais oui, je comprends ce que tu voulais dire. Je ressens toujours la même chose. Même plus de de trois ans après. Presque quatre. Les rares fois où nous évoquons Jacob et Victoria, on n’a même pas besoin de parler. On sait. On se comprend. On ressent la même chose. Puisqu’on a vécu la même tragédie à une année d’intervalle. Je lui avoue alors avoir recommencé mes séances chez mon psy il y a peu. Je pensais vraiment en avoir fini. Je le pensais vraiment. Mais avec Alex tout s’est accéléré et même si je sais que mon deuil est fait, même si j’aime Alex plus que n’importe quoi, ça n’en reste pas moins dur. La culpabilité est toujours là. Double culpabilité pour ma part. Coupable d’être celui qui a causé l’accident qui lui a coûté la vie. Coupable de refaire ma vie alors qu’elle n’est plus là. Par ma faute. Et Eve me montre son soutien, comme elle sait si bien le faire, beaucoup trop tactile à mon goût, comme elle l’a toujours été. « Ils ne nous en voudront pas, tu sais je suis… je suis allée lui parler au cimetière. » Je sais que Victoria ne m’en voudrait pas. Je sais qu’elle voudrait que j’avance dans ma vie et que je ne laisse surtout pas son fantôme m’empêcher de vivre. Ce cimetière dans lequel je me rends encore assez régulièrement, sans trop savoir si je dois le dire à Alex. Alors je ne lui dis pas, je préfère garder ça pour moi. C’est mon petit jardin secret, parce qu’avec elle j’ai déjà beaucoup partagé sur mon ressenti. « Vicky n’aurait pas voulu que tu te coinces dans le passé, Cal. Elle aurait voulu que tu avances dans la vie, que la vives, que tu la ressentes. Elle aurait voulu qu’on vive pour elle. Et je sais que cela fait peur. Je sais que cela fait du mal. Mais ce n’est pas de ta faute. Cela ne sera jamais de ta faute. » Je me retrouve maintenant face à elle mais en entendant ses dernières phrases je secoue la tête. Elle est là, la différence entre Eve et moi. Elle n’est absolument pas fautive dans la mort de Jacob. Moi je suis clairement en tort pour la mort de Victoria. « C’est de ma faute, tu le sais tout aussi bien que moi, Eve. » C’est moi qui conduisais, ce stop, c’est moi qui l’a grillé. Pas intentionnellement, certes mais quand même. Ça ne change rien. « La vie est un arc-en-ciel et nous n’avons pas fini de mettre des couleurs dans nos vies, Caleb. Tu comprendras ce que je veux dire quand tu les tiendras dans tes bras. A cet instant, plus rien d’autre ne comptera. » Elle rompt le contact et recule de quelques pas en arrière alors que je me concentre à nouveau sur la nourriture. J’ai le regard baissé, je réfléchis à tout ce qu’elle m’a dit et je sais qu’elle a raison – sauf en me disant que la mort de Victoria n’est pas de ma faute, – mais pourtant. « Tu sais, Alex je l’aime. Je l’aime vraiment et je ne pensais même pas que je serais un jour à nouveau capable d’aimer comme ça. Mais pourtant quelque fois, il m’arrive de me dire que j’ai pas le droit, ou bien que ce n’est pas correct vis-à-vis de Victoria. Sauf que quand je pense à elle et quand il m’arrive de me dire qu’elle me manque, je culpabilise parce que je me dis que ce n’est pas bien vis-à-vis d’Alex. Mais je l’aime. Je l’aime tellement, mais je n’ose pas lui dire tout ça parce que je sais qu’elle le prendra mal ou qu’elle ne le comprendra pas. » Mais toi, tu me comprends n’est-ce pas ?
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☆ Caleb & Eve ☆
Caleb et moi étions passés par des épreuves que personne ne voulait vivre. Si nous avions dû évoluer dans le monde d’Harry Potter, je pense nous aurions vu les sombrals tous les deux. Pour cause que j’ai vu la femme qui représentait pour moi, une mère, rendre son dernier soupir juste devant moi. Et lui avait perdu celle qu’il a longtemps considéré comme l’amour de sa vie. Victoria était unique mais j’étais certaine qu’Alex devait l’être tout autant. Il ne faut surtout pas en venir à comparer les relations. Car je pensais qu’une relation qu’elle soit amicale ou amoureuse était unique. Je n’aimais pas Zeke comme j’ai pu aimer Pierre ou encore Jacob. Chacun a eu un pan de mon cœur de manière différente. Et certes, je suis tombée malade. J’ai mis du temps avant de le dire. Jacob n’avait pas encore un an quand j’ai atterri à l’hôpital, à bout de force, amaigrie et épuisée. Caleb étant la personne qui comptait le plus pour moi était (et l’est encore) mon contact en cas d’urgence. Il a donc vu l’ampleur des dégats et il m’a pris par la main métaphoriquement parlant. Il n’y avait pas que mon cœur qui était brisé, la fracture était plus grande, plus puissante. Un véritable abime. Puisque mon esprit était morcelé en tas de petits bouts qui ne font que s’étioler. J’ai commencé par oublier sa voix, ne cessant de regarder la vidéo de mon mariage pour me la rappeler. Allant même jusqu’à enregistrer un message vocal sur mon smartphone que je me repassais de temps à autre. Les plaques ne quittaient jamais mon cœur, énième rappel avec mon alliance. Mais depuis peu, je respirai autrement. Je vivais autrement. Je n’étais plus le pantin qui traversait les mois comme on traversait des portes. J’étais une personne qui recouvrait la vie comme après un long sommeil. Comme si on m’avait cryogénisé. Seulement, ma culpabilité était telle concernant Kieran, que mon corps a pris le dessus. J’ai cru que nous aurions pu former un nous. Et j’avais même un plan tout établi dans ma tête. Le premier baiser, la première étreinte. Et Ezechiel a débarqué dans ma vie. Il a défoncé la muraille qui entourait mon cœur. Pas avec des mots, mais avec des gestes. Une ultime phrase : bats-toi. Je ne saurai dire exactement à quel moment, je suis tombée amoureuse de lui. Mais tombée la tête la première. Ne voulant pas toucher le fond. Mon amour pour lui était pur, simple. car nous n’avions pas besoin de mots pour communiquer. Un simple regard suffisait. Sa beauté autant physique que mentale m’a séduite. Il avait une belle âme et je ne voulais pas l’ennuyer avec mes problèmes. Avec l’obscurité qui ne cessait de revenir comme un monstre voulant dévorer la lumière que j’avais emprisonné. Face à Caleb cependant, je pouvais laisser tomber les armes. Car il savait. Il a vu. Il sait comment je suis. Que je fais passer les autres en premier, que tout le monde passe avant moi. « Laisse-le t’aider. » Mon cœur commence à s’emballer alors que mon cerveau essaie de reprendre le dessus. Je le sens. La boule qui se forme dans ma gorge, les mains qui commencent à étreindre mon cœur pour le broyer. Que toutes couleurs quittaient mon visage. « Mais… » Ma tonalité vocale était cassée, brisée sans que je n’en ai le moindre contrôle. « et si… et s’il me trouve cinglé. Parce que je suis cinglée. J’essaie d’y palier mais… » Mais je ne suis pas une belle personne et je ne mérite pas le bonheur qui m’était dû. Car je ne le méritais pas. Je commençai à l’oublier. Je commençai à voir les contours de son visage qui s’effaçait. La nuit, ce n’était plus son visage que je voyais dans mes cauchemars. Les rêves m’ayant quittés depuis près de trois ans. Les visages de Caleb ou Jacob s’étant juxtaposés pendant deux ans. Pour laisser la place à Zeke depuis peu. J’écoute Caleb alors qu’il me confie reprendre le chemin de son psy, de sa thérapie. J’étais de celles qui ont pensé que l’arrêter était une mauvaise idée. De même que j’étais de celle qui pensait qu’il n’y était pour rien. « C’est de ma faute, tu le sais tout aussi bien que moi, Eve. » Je vins raffermir ma prise autour de lui, comme pour essayer de démentir. Comme pour lui dire que je restai là. que j’étais là. que je le comprenais. Et que je ne lui en voulais pas. « Je t’aime Caleb, tu le sais ça non ? Peu importe ce que tu as fait, peu importe ce que tu feras. Je serai toujours là. » une personne extérieure à la situation pourrait se méprendre sur cette déclaration purement platonique. Mais il avait besoin de l’entendre. Il avait besoin de savoir que malgré ce qu’il pensait avoir fait, malgré ce qui se passera, je ferai toujours partie du paysage. Alors, je parle. Comme à mon habitude. Je dis ce qu’il me passe par la tête. car je ne réfléchis pas forcément avant de parler. et que c’est sans doute un énorme défaut. « Tu sais, Alex je l’aime. Je l’aime vraiment et je ne pensais même pas que je serais un jour à nouveau capable d’aimer comme ça. Mais pourtant quelque fois, il m’arrive de me dire que j’ai pas le droit, ou bien que ce n’est pas correct vis-à-vis de Victoria. Sauf que quand je pense à elle et quand il m’arrive de me dire qu’elle me manque, je culpabilise parce que je me dis que ce n’est pas bien vis-à-vis d’Alex. Mais je l’aime. Je l’aime tellement, mais je n’ose pas lui dire tout ça parce que je sais qu’elle le prendra mal ou qu’elle ne le comprendra pas. » Alors qu’il me parle, je me mets en hauteur. Pour palier à notre manque de taille. « Tu n’aimeras jamais Alex comme tu as aimé Vicky. C’est différent. Tout comme je n’aime pas Zeke comme j’ai aimé Jacob ou Pierre. » Je hochai la tête avant de prendre une prendre une profonde inspiration. « C’est pour ça que je suis malade. Je culpabilise d’être… d’avoir des étoiles dans ma vie. Je culpabilise de ne pas avoir su aimer Kieran par peur de ressembler à son ex copine, je culpabilise que Jacob soit malade et si petit et je culpabilise d’aimer Zeke si fort que j’en ai retiré les plaques. » J’ai toujours eu ce besoin d’avoir un totem pour me ramener vers la réalité. Alors, je dévoilai la petite chaîne qui ornait mon cœur avec la petite figurine en bois. « C’est Zeke qui me l’a fait. Quand… quand je doute, quand j’ai peur, je le touche. Et alors je me rappelle. Je me rappelle que j’ai quelqu’un de merveilleux dans ma vie. Et que j’aime plus que je ne m’aime moi. » Tu me diras, ce n’est pas bien difficile. « Il est où celui que je t’ai fait ? » Caleb connaissait ma passion pour les toutes petites figurines ridicules. Tout comme le fait que je n’achetais jamais de cadeaux mais que je les fabriquai. « Prends-le et parle-lui. Dis-lui tout bas ce que tu voudrais dire à Vicky tout haut. Mais le dis pas à Alex. Les gens comme eux, ils ne nous comprendront jamais. Et ils n'ont pas besoin de ça. Tu culpabilises car tu vas passer une énorme étape. Etape que tu étais prêt à passer avec Vicky. Mais quand tes filles seront là, ça ira. » Et surtout qu’il fallait y aller petit à petit. Un pas après l’autre. même si ça nous prendrait du temps. Nous guérirons lui et moi. J’avais foi.
“Is anybody out there ? Can you lead me to the light ? Is anybody out there ? Tell me it’ll all be alright. You are not alone, I’ve been here the whole time singing you a song, ooooh. I will carry you”
Mon amitié avec Eve est spéciale. Elle l’est d’autant plus depuis que nous avons tous les deux perdus la personne qui partageait notre vie. Elle me comprend, je la comprends. Elle a été là pour moi quand j’étais au plus bas. Quand mon humeur dépendait des médicaments que j’ai dû prendre quotidiennement pendant une longue année. Parce que réussir à s’en sortir après une dépression c’est sans aucun doute la chose la plus difficile que je n’ai jamais eue à faire. Quelques mois après la disparition de Victoria, j’avais envie de m’en sortir. Je voulais essayer d’avancer. Je n’étais pas sûr d’y arriver mais j’avais au moins envie de tenter. Sauf que mon corps ne me suivait pas. J’avais envie d’y arriver, j’avais envie de reprendre le cours de ma vie mais mon corps et mon esprit n’étaient pas sur la même longueur d’onde. Mon humeur était toujours au plus bas, je fonctionnais toujours au ralenti et cette situation a duré longtemps. Beaucoup trop longtemps à mes yeux. Mais Eve a été là, du début à la fin. Dès le jour des funérailles, en passant par mon hospitalisation, mes semaines passées enfermé chez moi sans réussir à sortir de mon lit, jusqu’au jour où je lui assuré aller bien, et cette fois c’était la vérité. Un peu plus d’un an après. J’allais bien. Un peu mieux. Plus déprimé mais toujours avec un petit fond triste, parce qu’elle me manquait, parce que je culpabilisais, parce que je pensais à elle tous les jours. Et puis ça a été au tour d’Eve. Perdre son mari. Un événement dévastateur pour elle, pour Lisa et Jacob né beaucoup trop tôt. Mais aussi un énorme coup dur pour moi. Une impression de déjà-vu beaucoup trop rapide. Parce que j’étais encore fragile au fond. Mais c’était à mon tour d’être fort pour nous deux. Elle avait besoin de moi et je devais lui rendre toute la force qu’elle m’avait donné l’année d’avant pour m’aider à passer cette terrible épreuve. Parce qu’elle en avait bien plus besoin que moi. On a retrouvé l’amour tous les deux. Presque en même temps. Peut-être que c’est à notre tour d’être heureux ? « Mais… et si… et s’il me trouve cinglé. Parce que je suis cinglée. J’essaie d’y palier mais… » La tonalité de sa voix me brise le cœur. Si j’avais été plus démonstratif je l’aurais prise dans mes bras. Mais je suis bien plus à l’aise avec les mots plutôt qu’avec les manifestations physiques. « Je t’interdis de dire que tu es folle, Eve. » Le ton de ma voix est plus directif mais pour être certain de réussir à capter son attention. « C’est une maladie, c’est pas toi qui l’as choisi. Et s’il ne le comprend pas alors c’est qu’un con qui ne te mérites pas. » Mais elle doit lui dire. Il faut qu’elle lui en parle parce que ce n’est pas le genre de chose qu’elle va réussir à lui cacher très longtemps. Et s’il est si incroyable qu’elle me le dit, il le comprendra et il fera même tout pour l’aider et l’accompagner. Et puis dans le pire des cas, moi je suis là pour elle. Même si ce n’est pas la même chose. « Je t’aime Caleb, tu le sais ça non ? Peu importe ce que tu as fait, peu importe ce que tu feras. Je serai toujours là. » Ce que j’ai fait. On ne parle pas d’une petite erreur, j’ai causé un accident. J’ai tué une personne. Sa meilleure amie. Ma fiancée. Et je pense que je n’arriverais jamais à me le pardonner. C’est d’ailleurs la première raison pour laquelle j’ai recommencé une thérapie. Même si je ne lui dis pas, moi aussi je l’aime, Eve. Comme une amie. C’est un lien fort amical qu’il y a entre nous. Mais je ne lui dis pas. Parce que je suis très pudique sur mes sentiments, je l’ai toujours été. Ces mots, il n’y a que deux personnes qui l’ont entendu venant de moi. Deux personnes. Dont une seule encore en vie. « Je mérite pas tout ça. » Je lui réponds simplement en haussant les épaules. Parce que j’ai tué quelqu’un. Involontairement, certes. Mais j’ai tué quelqu’un et je ne pense pas avoir le droit à ce bonheur. « Tu n’aimeras jamais Alex comme tu as aimé Vicky. C’est différent. Tout comme je n’aime pas Zeke comme j’ai aimé Jacob ou Pierre. » Je la regarde, je l’écoute, je déglutis Je le sais. Je l’ai même déjà dit à Alex, ça. Je l’aime comme je n’ai jamais aimé Victoria. Et j’ai aimé Victoria comme je n’ai jamais aimé Alex. Ni plus. Ni moins. C’est simplement deux amours différents. « C’est pour ça que je suis malade. Je culpabilise d’être… d’avoir des étoiles dans ma vie. Je culpabilise de ne pas avoir su aimer Kieran par peur de ressembler à son ex copine, je culpabilise que Jacob soit malade et si petit et je culpabilise d’aimer Zeke si fort que j’en ai retiré les plaques. » Je ne l’interromps pas, je la laisse parler. J’aimerais pouvoir la rassurer mais je ne sais pas comment le faire. En lui disant qu’elle ne devrait pas culpabiliser de tout ça ? Je pourrais mais ça serait inutile, je le sais. Elle me montre une chaîne autour de son cou, avec une figurine en bois, m’expliquant sa signification et son utilité. Encore une fois, je l’écoute, je ne dis rien, j’observe, je réfléchis. « Il est où celui que je t’ai fait ? » Je relève les yeux vers elle. « Dans ma chambre. » Je lui avoue, alors qu’elle reprend la parole à nouveau. « Prends-le et parle-lui. Dis-lui tout bas ce que tu voudrais dire à Vicky tout haut. Mais le dis pas à Alex. Les gens comme eux, ils ne nous comprendront jamais. Et ils n'ont pas besoin de ça. Tu culpabilises car tu vas passer une énorme étape. Etape que tu étais prêt à passer avec Vicky. Mais quand tes filles seront là, ça ira. » Elle est bien plus positive que moi, Eve. J’aimerais tant avoir sa force mais j’en suis pourtant bien loin. « Je vais au cimetière de temps en temps. Quelque fois je lui parle. C’est peut-être con mais ça me fait du bien. » Je lâche un petit rire nerveux, laissant ma main glisser dans mes boucles avant de retomber sur ma nuque pour la regarder et continuer. « J’ai l’impression de tourner la page trop vite. » J’ai peur que tout le monde se mette à penser que je n’ai pas perdu de temps, que j’aurais dû attendre encore un an ou deux. « Je suis vraiment heureux avec Alex mais quelque fois il m’arrive de penser à Victoria. Ou même de me dire qu’elle me manque… » Et ça me fait culpabiliser vis-à-vis d’Alex. J’en viens même à me demander si j’ai le droit de ressentir tout ça.