Le coup est sec, il résonne dans l’immense pièce ouverte probablement parce qu’à sa suite y’a des éclats de verre qui s’envolent de tous sens tous côtés. J’aurais facilement tout entendu si j’avais pas laissé les vinyles tourner haut et fort dans l’atelier vide. Vide de tous étudiants mais pas vide d’une tête brune aux mèches emmêlées qui trace ses nouvelles lubies sur les dizaines de feuilles vierges étalées au sol à ses pieds. Il est beau Noah quand il réfléchit, quand il se concentre, quand il fronce des sourcils pour une seconde de suspens avant d’avoir un éclair de génie qui illumine son regard la minute d’après.

Ses doigts sont recouverts de pastel et de fusain, ses joues avec, il essaie de recopier ce que je peins depuis le petit matin sur ma toile à moi avec des teintes qui y ressemblent sur ses papiers à lui. Et il y arrive le gamin, il y arrive plutôt bien au même moment où une alarme de voiture se déclenche, et où mon attention dérive vers des cris qui s’y additionnent, dans la ruelle en bordure de la baie vitrée. “AUDEN ! DESCEND ! JE SUIS SÛRE QUE JE T’AI MANQUÉ !”

C’est certainement pas la première fois qu’on débarque à l’atelier pour menacer Auden, encore moins pour abimer sa voiture. Je les compte par dizaines les gens qui ont passé les portes de la galerie pour venir le pointer du doigt, le pousser avec violence au mur parfois. Il les cumule les avertissements morbides, les attaques avec, ça fait des années que c’est ainsi et même si tout s’est calmé depuis qu’on est revenu une énième fois de voyage pour reposer les pieds sur notre île du moment, n’en reste qu’aujourd’hui mon coeur se serre un peu plus fort que les fois précédentes. Pas que j’ai peur pour Auden - Aude non, ceux qui s’y attaquent oui - mais surtout parce que le regard que me lance Noah n’a rien de rassurant. Il est lui aussi habitué aux frasques et multiples dommages collatéraux du peintre sans jamais s’en étonner, n’en reste qu’il n’a jamais été mis autant au centre d’une situation du genre qu’aujourd’hui.

Forçant un sourire en coin, je passe à ses côtés pour lui ébouriffer les cheveux, lui chuchoter que son bleu n’est absolument pas le même que le mien et que c’est une horreur à régler vite et bien, espérant les doigts croisés derrière le dos qu’il reste à l’intérieur. Quand ma silhouette finit par apparaître dans l'entrebâillement de la grande porte principale, ouverte sur une blonde aux traits aussi définis qu’hargneux. « Qui le demande? » mes prunelles passent de l’expression extrême de la gamine aux idées furieuses à sa batte de baseball bien brandie, avant de finir leur course sur la voiture d’Auden fracassée, démolie. J’ignore qui elle est quand bien même je la connais, qu’on m’a dit qu’elle existait. La petite soeur, mais jamais je ne pourrais penser que c’est elle, son visage encore inconnu. « Parce que c’est pas comme ça que tu vas attirer son attention. » mon sourcil se hausse, doucement, mes bras se croisent sur ma poitrine constant l’état de destruction de sa voiture qui a déjà été bien pire auparavant, probablement pour des raisons similaires. Si elle veut lui parler, c’est probablement la meilleure façon de perdre tout son intérêt et toute son attention, en faisant ça.

« Maman, c’est qui? » l’assurance que je tenais à peine mais quand même, elle s’envole à la seconde où Noah apparaît entre mes jambes, descend le pallier pour faire un pas de plus vers elle, sous mon coup d’oeil désormais horrifié.

“Noah, rentre.” Ma voix tranche sans lui laisser le choix. Je ne donne jamais d’ordre au gamin parce qu’il n’est pas mon fils et que ce n’est pas mon rôle mais ce soir peut bien faire exception à toutes les règles qui soient. On parlera nuance de rose et de tout le reste plus tard, on parlera de tout ce dont il a envie plus tard mais pour le moment en tout cas je n’ai aucune confiance en ma propre soeur et le savoir aussi près d’elle ne me dit rien qui vaille. Je n’ai entendu que des mots éclatés de leur conversation, seule la voix de ma très chère soeur déchirant la nuit puisqu’elle est la seule à crier et à s’énerver, comme elle seule sait si bien le faire. Tous les muscles de Ginny sont contractés et elle déteste sûrement cette scène autant que moi, elle qui sait aussi que le danger est proche mais qui n’a pas assez de cartes en main pour le connaître réellement. Si j’avais su qu’elle déciderait un jour de venir se pointer devant chez nous la bouche en coeur alors j’en aurais informé Ginny, mais même mon cerveau pessimiste n’avait pas osé imaginer un tel scénario.

Le brun revient entre les bras de Ginny sans ajouter quoi que ce soit de plus, lui dont même la curiosité a ses limites. Il m’en veut sûrement d’avoir été aussi dur et avorté son jeu de la soirée mais je compte sur le fait qu’il oublie rapidement et qu’on puisse passer à autre chose. J’ai laissé ma main glisser dans le dos de ma femme pour la rassurer sans n’utiliser aucun mot ni même montrer à Ana à quel point la brune est importante et pas seulement un individu de passage dans ma vie comme il y en a eu tant d’autres. Je me promets de tout lui expliquer ensuite tout comme je me promets de venir dénouer un à un chacun des nœuds que j’ai senti contracter ses muscles. On a pas besoin de ça alors que la vie quotidienne est déjà bien assez compliquée ces temps ci. “Qu’est ce que tu fous ici ?” C’est enfin à elle que je m’adresse, la cinquième roue du carrosse dont mes yeux assassins ne quittent pas les siens un seul instant. Je me retiens de faire de son cas un exemple parce qu’il y a encore Noah dans les parages, mais à la seconde où il ne restera que la famiglia, elle regrettera chacun des décisions qui l’ont menée ici. Un pas en avant et un autre me placent entre elle et Ginny et son fils, bien décidé à protéger les seconds de la première et à ne surtout pas les laisser se mêler. Ils sont la famille que j'ai choisie, eux.

“S’pas tes oignons, ma grosse. C’est à lui qu’j’ai besoin d’parler. Il peut pas v’nir sauver sa caisse lui-même, c’te mauviette ? HEY AUDEN ! RAMENE TON CUL !” elle hurle et elle hurle encore, elle insulte avec et pendant une seconde une seule j'ai juste envie de refermer la porte et de la laisser passer la rage qu'elle accumule sans vouloir répondre à la moindre interrogation censée. Elle qui semble vouloir être celle qui a le rôle de questionner. “Mais t’es qui toi d’abord ? Il peut pas s’payer des gardes du corps plus baraqués avec ses peintures d’merde?” plutôt que de dire qui elle peut bien être elle renvoie à nouveau vers moi, ce qui dévoile bien plus ses cartes qu'elle ne le croit. Elle doit le connaître depuis longtemps, ils doivent avoir un historique, et elle doit particulièrement savoir qu'il ne sera pas content de la voir être dans le coin. Qu'il ne devait pas s'attendre à ce qu'elle apparaisse ici, aussi. “Il est pas là, c’est ça ? P’tain, mais même là il arrive à m’éviter, s’connard!”

Noah sort et se faufile entre mes jambes pour aller la rejoindre et mon monde s'arrête, directement. Seule et enceinte, j'aurais bien pu garder contenance sans le moindre plis. Mais que mon fils soit là alors qu'elle ne semble pas prête à arrêter de cogner la voiture déjà bien abimée de Auden est au-dessous de mon seuil de tolérance. “Euh, va voir ta maman, là ! T’es dégueu en plus gamin, il sort d’la cheminée ou quoi?” oui c'est ça Noah, scrute ses cheveux, demande la couleur et reviens mon gars, aller, tu peux le faire. “Récupérez vot’ gosse, là… Et vous aurez qu’à dire à mon connard de frère qu’Ana est passée…” “Noah, rentre.” la voix d'Auden dans mon dos m'occasionne le plus long et le plus soulagé des soupirs. Noah arrive vers moi à nouveau en grommelant, mes paumes le rattrapent aussi vite pour le distraire que pour lui faire des tas de noeuds dans les cheveux. « Tu crois quoi ? Qu’je suis une putain d’tordue ? Qu’j’vais frapper un enfant ? S’peut-être ça le plus dérangeant, tu sais même pas qui je suis ! » elle ne peut pas blâmer personne qu'on croit ça, à voir à quel point elle arrive en se la jouant aussi agressive que furieuse.

“Qu’est ce que tu fous ici ?”« Mais je viens rendre visite à mon grand-frère ! Parler voitures… J’ai quelques conseils en la matière. » alors c'est bel et bien elle. Ana, la petite soeur fraîchement arrivée d'Italie sans que personne ne sache. « J’voulais juste te remercier d’m’avoir souhaité bienvenue ! Et surtout, merci de m’avoir toujours soutenue ! » elle continue son carnage, Noah rentre à l'intérieur, et un coup d'oeil un seul avec Auden suffit à ce que je sache exactement de quoi tout ceci en retourne. « Si tu laisses la batte de baseball dehors on a du café à l'intérieur qui vient juste de finir de couler.  » une chance une seule de rentrer, de faire amende honorable, de pas tout bousiller. Si elle refuse par contre, c'est à double tour que je refermerai la porte de l'atelier et je ne doute pas une seule seconde qu'Auden abondera dans ce sens lui aussi.

Qu’elle s’en prenne à moi est une chose mais que son espèce de vendetta se mette à toucher ma famille, là, ça devient un problème d’une toute autre ampleur. « Tu crois quoi ? Qu’je suis une putain d’tordue ? Qu’j’vais frapper un enfant ? S’peut-être ça le plus dérangeant, tu sais même pas qui je suis ! » C’est justement parce que je n’ai aucune idée de qui elle est que je fais renter Noah sans nullement lui donner toute possibilité de négocier. Il sait quand il le peut tout comme je sais qu’il aura deviné que ce soir n’est pas le bon moment pour ce genre de choses ; mon ton de voix lui faisant aisément comprendre. Le gamin est placé derrière moi et Ginny derrière lui encore, c’est le plan de table dont j’ai besoin pour respirer à peine mieux, les pensant ainsi tous deux un minimum en sécurité.

Mes yeux dérivent à peine en direction de la voiture lorsqu’elle en fait mention. Je suis loin d’être aussi passionné que Saül à propos de ce genre de choses et ne leur donne aucune importance. Qu’elle s’acharne sur cette carcasse inanimée si ça peut drainer un peu de sa colère contre le reste du monde. J’aurais pu l’aider, moi, si à son tour elle n’avait pas choisi de devenir une foutue droguée et de traîner dans les rues comme si tout lui était dû. Est ce qu’elle sait faire quelque chose de ses mains, à part se rouler des clopes et se faire des lignes ? Est ce qu’elle sait faire quelque chose de son cerveau, à part mâcher les mots et se demander comment est ce qu’elle peut bien plumer la prochaine personne sur son chemin ?

« J’voulais juste te remercier d’m’avoir souhaité bienvenue ! Et surtout, merci de m’avoir toujours soutenue ! » La voilà qui fait ce qu’elle sait faire de mieux en ce monde : se faire passer pour une victime. Mes yeux ne roulent que de plus belle en direction du ciel, pour mieux se reposer sur son visage la seconde qui suit et s’assurer qu’elle ne fasse aucun mouvement en la direction de Noah et Ginny. Ginny, d’ailleurs, dont je garde une main dans la mienne alors qu’elle reste cachée dans mon dos puisque je suis incapable de prévoir les actions de ma propre soeur cadette. Le plus jeune s’est dérobé de la scène, à mon plus grand soulagement. “Gin, tu devrais rentrer avec No - …” « Si tu laisses la batte de baseball dehors on a du café à l'intérieur qui vient juste de finir de couler. » Mon regard noir dévie en direction de ma femme, je fronce les sourcils tant d’incompréhension que d’exaspération. Je voudrais lui dire qu’elle n’a pas le droit de faire preuve de tant de mansuétude face à tous les agneaux égarés qu’elle croise sur son chemin, encore moins ceux qui sont de ma famille et que je rêve d’égorger. Pourtant, face à Anastasia, je ne peux pas la laisser penser qu’elle peut s'immiscer entre nous.

Un pas en avant et je lui laisse à mon tour une chance, sans pour autant croire une seule seconde qu’elle sera capable de tenir parole. “Donne la moi.” Paume tendue en sa direction, je crois que cela a tout d’un drapeau blanc temporaire.

“Gin, tu devrais rentrer avec No - …” je lui laisse une chance, une seule. Il sait que c'est mon rôle d'être la good cop, il le sait depuis des années sans que jamais ça ne l'étonne. Pourtant, c'est sa petite soeur qui fnit bel et bien étonnée quand j'offre le café, quand j'offre ce qui à mes yeux fait office de drapeau blanc acté.

« T’la rendras à Cosimo, elle prenait la poussière dans sa chambre, s’fou le nombre de merdes inutiles entassées là d’dans... » elle lui tend la batte de baseball et j'esquisse un pas de côté, m'en éloignant le plus possible. Qu'elle mentionne Cosimo me fait ravaler ma salive un peu plus durement, espérant qu'au moins avec ce Williams-là elle n'ait pas des plans de destruction massive quand bien même il n'aurait jamais rien fait pour mériter ça. Je suis persuadée qu'Auden ne se gêne pas pour faire de la vie de sa soeur un enfer s'il le décide. Mais le benjamin de la famille la porte, cette même famille, sur ses épaules depuis si longtemps que je ne cautionnerai pas la moindre violence envers lui. Passons.

Elle dérive dans la galerie, je file vers la cafetière. « J’espère que vot’ café est meilleur qu’vos peintures. » les tasses glissent sous mes doigts, j'en choisi distraitement trois dont deux que je remplirai de café noir fraîchement infusé et une d'eau bouillante, d'écorces de gingembre et de miel. J'ignore comment elle prend son café - Auden dira supplément mort-aux-rats - j'improvise alors en le préparant pour elle comme lui l'aime. Elle serait douce l'ironie qu'ils aient les mêmes goûts pour ça, au moins.

Quand je les rejoins finalement leur tendant leur tasse respective, mon élan ralentit au point de presque s'arrêter à sa nouvelle attaque qui pour une fois je suis persuadée, n'en est pas une à ses yeux. « Putain, j’ai failli oublier ! Félicitations au fait ! Dommage qu’mon faire-part se soit perdu dans l’courrier... » elle l'est pour nous par contre. On garde des tas de volets privés précieusement, depuis des années et depuis toujours finalement. On a tant multiplié les doigts et les regards pointés des autres sur le moindre de nos faits et gestes que désormais tout ce qu'on peut garder strictement pour nous fait du bien, est nécessaire. « C'était pas contre toi. » que je commence, retournant chercher ma tasse de thé qui me brûle la langue l'instant d'après. « Tu es arrivée en Australie il y a un moment? » la conversation que je dévie malhabilement, mais que je dévie tout de même.

Je ne m’attendais pas qu’Anastasia obtempère si rapidement face à ma demande mais n’ai pas le droit de me plaindre qu’elle l’ait fait. Mon regard ne quittant pas le sien ne prend pas la peine de cligner des paupières en signe de remerciement. Après tout, ce n’est que le début et elle vient simplement de me donne une batte de baseball qui, en plus de ne rien avoir à faire ici, n’est même pas la sienne. « T’la rendras à Cosimo, elle prenait la poussière dans sa chambre, s’fou le nombre de merdes inutiles entassées là d’dans... » La batte fait un tour sur elle même avant que je ne la pose au sol. “Si tu veux parler à ton neveu, tu te débrouilles.” Il est hors de question que je serve de pigeon voyageur à qui que ce soit, surtout si c’est pour faire passer de telles choses entre deux adultes en pleine capacité de converser l’un avec l’autre. J’estime avoir assez fait d’efforts avec elle pour toute une vie et surtout pour cette soirée, elle n’obtiendra rien de plus de ma part.

Ma femme entre la première, ma petite soeur à sa suite. Je m’occupe de fermer la marche, la batte toujours entre les mains et mes yeux posés sur chaque fait et geste de ma cadette. Ce n’est pas parce que je l’ai autorisée à entrer que je lui fais moindrement confiance et ce n’est pas ma voiture qui pourrait tenter de me faire croire le contraire. Le petit jeu d’Anastasia ne m’importe que peu puisqu’elle a de toute façon toujours eu un don pour tout dramatiser et se faire passer pour la victime. « J’espère que vot’ café est meilleur qu’vos peintures. » Dans la famille, tout le monde a un don pour choisir les bons mots une fois en public, j’ai l’impression. Certains plus que d’autres. “Lui, au moins, est dans tes moyens. Un merci aurait suffi.” Je réprimande comme si elle n’était qu’une enfant encore peu habitué aux politesses. C’est tout ce qu’elle est, de toute façon : une enfant. Elle ne sait pas comment se comporter en public tout comme elle ne sait pas être autonome. C’est bien la définition que j’en ai.

En parlant d’enfants, d’ailleurs, elle a le don de trouver la meilleure comme la pire transition qui soit. « Putain, j’ai failli oublier ! Félicitations au fait ! Dommage qu’mon faire-part se soit perdu dans l’courrier... ». Le regard mauvais qu’elle m’envoie est aussitôt renvoyé dans le sien, tout aussi mauvais. C’est un jeu qu’on pratique depuis la tendre enfance chez les Williams et on sait l’un comme l’autre que personne ne lâchera. “Personne n’était au courant, garde ton numéro pour plus tard.” Elle trouvera bien autre chose pour se plaindre, je ne me fais absolument pas de soucis à ce sujet là et Ginny, elle, elle est bien plus envieuse de parler d’autre chose que de nous et pour ça je ne peux que la comprendre.  Tu es arrivée en Australie il y a un moment? » “T’as voulu casser une des voitures de Saül aussi ou j’étais le premier sur ton dead pool ?” Chacun ses questions, j’imagine. Si je suis le premier, il sera au moins ravi de rentrer ses voitures au garage.

“Personne n’était au courant, garde ton numéro pour plus tard.”
« Comment ça personne n’était au courant ? C’est Saül qui me l’a dit. Ok t’as invité personne, mais t’aurais pu me mettre au courant, bordel ! Du genre, "Allo Ana, au fait j’me suis marié avec Gina. Et sinon, tu t’en sors avec les connards de parents ?"… Prendre des nouvelles, j’sais pas... »
“T’as voulu casser une des voitures de Saül aussi ou j’étais le premier sur ton dead pool ?”
« T’es le seul de la liste, mais clairement c’est une technique qui aurait mieux fonctionné sur Saül... »

Et c'est maintenant le moment où je trouve parfaitement pertinent d'aller faire autre chose. Y'a des tasses à laver, des toiles à redresser, des dates d'expositions à confirmer. J'entends Noah jouer à l'autre bout de la galerie et ce serait mentir de dire que je ne suis pas foncièrement jalouse du bonheur que je l'entends relâcher entre un rire et un autre. Ici, ça fonctionne d'une attaque et d'une autre et à un moment, je sais rendre les armes quand le combat ne m'appartient pas.

Puis, Ana redresse le regard vers moi. Ce sont ses prunelles que je sens se visser sur mon profil, ses mots qui viennent une poignée de seconde après. « Ca fait deux semaines qu’il est au courant si c’est ça ta question… Et pas beaucoup plus qu’je suis arrivée. » « Tu as un endroit où dormir? » et de quoi te payer à manger, et de quoi t'occuper, et des gens qui sont là au cas où tu aies besoin et et et et - et je m'arrête dans mes tentatives de sauver qui que ce soit, sachant très bien que lorsqu'on s'adresse à un Williams, on a tout un processus à passer avant d'être prise à la clé.

« Peut-être que vous feriez mieux de vous reconvertir et d’ouvrir un café... » un fin sourire vient se loger sur mes lèvres alors que je sens que peu importe ce que je pourrai dire, le fin mot de l'histoire leur appartient. La seconde d'après, c'est vers Noah que mes pas dérivent, jugeant que j'ai fait tout ce que je pouvais faire, ici.

Peu importe ce qu’elle peut dire je l'interpréterai mal. Peu importe ce que je peux dire, ce sera le phénomène inverse. On se ressemble parce qu’on a le super pouvoir de autant merder l’un que l’autre, voilà tout. Je ne décoche que des regards noirs parce que je ne lui fais absolument pas confiance, sur aucun point, et qu’elle vient en plus de pénétrer aujourd’hui dans mon chez moi - ce qui n’augure rien de bon à mon sens. Les bruits que Noah fait ne sont qu’une raison de plus pour que je reste alerte, parce qu’en parfait grand frère de merde que je suis, je reste incapable d’anticiper la moindre de ses actions. Elle me ressemble bien trop et justement, il est là tout le problème. Je la déteste autant que le reste du monde me déteste aussi mais jamais ô grand jamais cela ne me viendra à l’esprit de nous allier pour faire front commun. Je n’ai besoin de personne et Anastasia, elle, doit apprendre à justement ne se reposer sur personne.

« Ça fait deux semaines qu’il est au courant si c’est ça ta question… Et pas beaucoup plus qu’je suis arrivée. » Et j’imagine que là je devrais la féliciter d’avoir tenu au moins deux semaines avant de vouloir foutre ma vie en l’air. Deux semaines sans tuer quelqu’un, aussi, cela me semble un délai assez raisonnable pour une Williams. Nul doute qu’elle va s’occuper de se rattraper dès maintenant, même si Ginny tente au mieux d’empêcher l’inévitable. « Tu as un endroit où dormir? » Ma tête ne bouge pas mais mes yeux si, ceux là même qui toisent le profil de ma femme avec un amour voilé. Fut un temps, le regard noir de jais lui aurait lancé des flammes. Aujourd’hui, elle sait très bien ce que ma mâchoire contractée résume à elle seule et toutes les pensées qui en découlent. Il est hors de question qu’elle dorme chez nous, voilà tout. Surtout pas alors que Noah sera ce soir sous le même toit et qu’elle aussi. C’est une histoire qui ne regarde que les Williams et par là je veux surtout dire que si dommages il doit y avoir, nous devrons être les seuls à en pâtir.

« Peut-être que vous feriez mieux de vous reconvertir et d’ouvrir un café... » “Peut être que c’est ta gueule que tu pourrais fermer, juste pour voir ?” Je ne céderai pas de terrain tout comme je ne ferai cadeau. La stratégie a été approuvée rapidement mais elle restera inchangée, pour ce soir au moins. Elle gagnera une batte confisquée et un café de Ginny, c’est bien assez pour une seule soirée et maintenant que ma femme s’éloigne doucement, je me sens déjà respirer un peu mieux à ne pas avoir à m’inquiéter pour elle en plus de tout le reste. “Si t’as rien d’autre à me dire, tu devrais rentrer chez toi.” Peu importe où est son chez elle ou ce que c’est, elle devrait partir. Au plus loin c’est et mieux ce sera.

Ce n’est un secret pour personne si j’annonce qu’Anastasia avait déjà dépassé la ligne rouge une première fois. C’est un secret si, par contre, j’ajoute qu’elle vient de trouver de nouvelles lignes à dépasser et qu’elle les piétine de son ego de merde et de sa grande gueule qui ne sait lui attirer que des problèmes. « J’ai plein d’autres choses à te dire et s’tu veux pas les entendre va falloir me mettre dehors. » Mes yeux sont bien plus assassin que les siens encore alors qu’elle pense que c’est le bon moment et le bon endroit pour avoir une telle discussion, surtout après avoir ainsi démoli ma propre voiture à coup de batte. Batte que je rêve de lui renvoyer au visage de toutes mes forces, si jamais vous vous posez la question. Je fais un pas en arrière, pourtant, poussé par la paume de sa main. « Alors, vas-y fous-moi dehors ! Ou alors t’as pas les couilles ? Allez assume qu’tu veux déjà plus voir ma tronche ! » Il y a un second pas qui s’amorce dans le même sens sans que je ne cherche à lui résister pour le moment encore, gardant toute ma rage pour exploser dans quelques secondes - et ce n’est pas une bonne nouvelle pour personne, qu’elle marine aussi. « Au pire, vous avez qu’à partir tous les trois et me laisser seule, ça a pas été trop difficile la première fois, j’suppose qu’c’est comme le vélo, ça s’perd pas. » Il n’y a pas de troisième pas en arrière, pas alors que j’ai anticipé son misérable dernier coup contre mon torse et que mes propres mains se sont nouées autour de ses avant bras sans que cela n’ait absolument rien de fraternel. Sa peau est mise à mal autant que ma mâchoire est contractée alors que je l’emmène une nouvelle fois dehors sans lui demander son avis, sans non plus me soucier de savoir si elle a mal ou non. J’aimerais. Je n’oublie pas qu’à quelques dizaines de mètres de là Ginny est en train de s’occuper de Noah et le gamin n’a pas à être témoin d’une scène pour laquelle il n’a pas à se sentir visé puisque ce n’est bien sûr pas le cas.

La marque de mes doigts est ancré sur son avant bras lorsque je prends la peine de la lâcher pour prouver ma maigre bonne foi. Je n’aurais pas hésité une seule seconde à la frapper à mon tour, qu’on soit clairs, et si jamais elle réitère les mêmes gestes envers moi, elle s’en rendra alors compte douloureusement. “Dehors.” La tête baissée vers elle, l’ordre est sans équivoque et aucunement négociable. On ne tirera rien de cette entrevue et c’était à prévoir, de toute façon. “Maintenant !” Je n’ajoute pas de sinon, mes poings déjà fermés et hargneux parlant pour moi.