« Des envies de meurtre alors que tu t’endormais comme un bébé devant les films que l’on mettait ? » lui demandais-je pour répondre à ses remarques avant de feindre le soupir et de rouler des yeux. C’était tellement plus apaisant de pouvoir la taquiner sans craindre la moindre crise qui entrainerait forcément des haussements de voix pour finir en guerre de contestation. Je n’avais plus besoin de retenir mes gestes, de cacher ce regard si désireux ni même de ne pas entrer moi-même dans cette provocation qu’elle maniait presque à la perfection. Nous étions dans le jeu du chat et de la souris. Nous étions toujours en train de chercher la limite de l’autre dans l’espoir qu’elle ne cède avant moi. J’aurais aimé qu’elle ne me retienne en quittant ma chambre, mais je connaissais Danika parfaitement pour savoir qu’elle ne voudrait pas perdre, du moins pas aussi tôt. Pourtant elle ne l’avait pas fait, se retrouvant face à moi, sautillant sur place, geste qui m’arracha un sourire en coin. « C’est forcément bon, et tu le sais… » rectifiais-je avant de me raidir en la sentant me pincer. « AIE OH TU FAIS MAL LA ! » dis-je en venant taper légèrement sa main, me frottant le torse par la suite, l’air faussement douloureux. « Bien sûr que tu l’es… Une si petite chose, c’est forcément fragile… » lui répétais-je sans détourner le regard. « Un papy ? Tu ne disais pas ça la dernière fois… » lui dis-je sur un ton qui ne pouvait pas laisser autre place qu’à l’interprétation que je souhaitais lui donner. « Mais tu sais, il y a d’autres femmes qui sauront reconnaître le papy formidable que je suis… » lui dis-je avant de rire aux éclats en la voyant se couvrir. « Mamie met quand même sa petite laine… » dis-je en me redressant, l’aidant à débarrasser la table pour la transférer sur la terrasse. Je venais l’effleurer au passage, un regard joueur croisant le sien. « Moi exagérer ? Jamais… » lui dis-je en m’installant dehors. « Enfin, le papy que je suis va aller se couvrir, parce que je ne voudrais pas mourir d’un rhume… » dis-je en venant l’embrasser furtivement, avant de rentrer et de partir en direction de ma chambre, attrapant l’un des t-shirts qu’elle avait laissés pour l’enfiler et la rejoindre m’installant face à elle. « Toi ? Garder un secret ? » lui demandais-je en riant. « Ce n’est pas le souvenir que j’ai… Je te rappelle ton premier tatouage que tu tentais de cacher à ton père ? » Je lui souriais légèrement, finissant par rouler des yeux face à sa remarque qu’elle voulait innocente. « J’ai préféré observer autre chose, ne m’en veut pas… Mais si je l’ai raté, il va falloir que je vérifie… » dis-je en profitant de son départ pour commencer à la servir. Je laissais pencher ma tête sous son baiser, frissonnant au passage avant de reposer la cuillère, mon regard posé dans le sien. « Je veux cacher mes cicatrices… Parce que je ne supporte plus de les apercevoir chaque jour… Du coup, j’avais en tête de recouvrir tout mon torse, au moins on est sûr que je ne verrais rien… » ironisais-je pour tenter de masquer mon inquiétude. « En vrai, je ne sais pas trop ce qu’ils pourront faire… Je leur demanderais conseil après tout… » conclus-je dans un léger sourire avant d’attraper mes couverts. « Tu as un risotto courgettes crevettes et crémeux de parmesan et curry. » lui dis-je en haussant les épaules. « C’est meilleur que des plats cramés ou commandés… Enfin c’est censé, donc si ça ne l’est pas… J’ouvrirais le bureau des pleurs, mais plus tard, parce qu’à chaque fois que tu décides de râler, on en a pour trente ans après… » lui fis-je remarquer sous l’ironie, le tout accompagné d’un clin d’œil. « Et après, j’ai récupéré des films, des boîtes de mouchoirs, et tu pourras pleurer sur mon épaule avec un pot de glace… » continuais-je avant de me mettre à manger. C’est que c’était agréable ce genre de moment, c’était indéniable.

« C’est ça combien de fois tu t’endormais aussi, j’te rappelle des fois où c’était mon père qui nous réveillait au petit matin parce qu’on s’était endormi sur le canapé ? »  Cela lui manque ces soirées qu’ils avaient passé sur le canapé dans la maison de son père, après un diner où James avait passé le repas à faire l’arbitre entre leurs chamailleries, le regard rieur.  

Elle n’a aucun regret de lui pincer le téton, son sourire s’élargissant, ricanant, très fière d’elle.  Elle ne peut s’empêcher pourtant de le tirer vers d’elle par poches de son jean,  avant  de l’embrasser doucement. « Non il est à moi le papy. » elle gronde le sourire aux lèvres, avant de s’éloigner pour aller chercher son gilet, emportant ensuite la table vers l’extérieur. Il s’éclipse pour aller s’habiller un peu plus chaudement à son tour et elle installe les assiettes, la conversation allant sur ses tatouages. Son rire raisonne alors qu’elle va chercher les derniers éléments manquants sur la table, elle dit un peu plus fort « C’est bête t’as loupé ton occasion de vérifier toute à l’heure, une autre fois peut être. » Elle revient posant la bouteille sur la table. « Il n’a plus rien dit après le premier tatouage, il a dû se dire que c’était une cause perdue d’avance. » Elle mentionne son père doucement avec un air tendre, mais pas de tristesse dans les yeux cette fois. Elle se souvenait parfaitement de sa réaction au premier tatouage qu’elle avait fait, encore mineure. Lorsqu’il l’avait appris il avait menacé de la punir à vie et elle était allée se réfugier chez Keith comme toujours. Le secret n’avait pas duré bien longtemps, ça c’était sûr.

Danika lui demande alors ce qu’il souhaite faire comme tatouage et son regard se fait plus sérieux à sa réponse, ses yeux bruns se posant sur son visage. Ca ne la surprend pas qu’il veuille les cacher. Elle se doutait qu’il aurait voulu effacer tous les souvenirs de cette nuit fatidique qui l’avait changé à jamais.  Elle n’essaye pas de le convaincre que ces cicatrices n’ont rien d’hideux, qu’au contraire elles sont un signe qu’il a survécu, mais c’est lui qui doit les regarder chaque jour dans le miroir,  lui qui doit vivre avec ses souvenirs, alors elle se contente d’effleurer sa main. « Si c’est ce dont tu as envie et besoin, alors il faut le faire. » Elle lui sourit avant d’attraper ses couverts à son tour. « Je pourrais te recommander des salons. Que tu ne te retrouves pas avec un truc horrible où je ne pourrais plus jamais te regarder dans les yeux après. » Elle rit moqueuse, avant de planter sa fourchette dans le plat, goûtant ce risotto. Elle ne peut s’empêcher de rouler des yeux à sa remarque. « C’est bien avec toi j’ai toujours l’impression d’être insupportable. » Elle ronchonne mais les yeux pétillent. « Mais tant qu’il y a film et pot de glace je veux bien râler et verser toutes les larmes de mon corps sur ton épaule. » Elle lui fait un clin d’œil avant de reprendre une nouvelle bouchée. La plat fond dans sa bouche et elle se régale. « C’est délicieux Keith. Dire que j’ai loupé autant d’années de bons petits plats. Tu t’y es mis quand à la cuisine ? » Le ton est léger et pour la première fois elle ne parle pas de la coupure de sept ans comme une plaie béante, il est temps d’avancer et de passer à autre chose.

Je soupirais en lui offrant un sourire presque heureux de voir que tout notre passé n’était pas que cris, disputes et silences. Il y avait eu de bons côtés avant cette fameuse nuit. J’avais pris l’habitude de me rendre à chacune de ses compétitions, de lui servir de bulle d’oxygène pour la sortir de la pression de son paternel. Et à repenser à son père je riais face au souvenir qu’elle évoquait. « Et qu’il t’engueulait parce que selon lui tu n’avais pas assez de sommeil pour assumer la compétition qui t’attendait… Oui je me souviens bien et je ne les compte plus… Tu étais une tête brûlée, tu aimais le contredire… on ne te changera pas. » lui dis-je en riant.  Le jeu de séduction entre nous était tellement fluide, tantôt elle riait, tantôt elle feignait le mécontentement et je me contentais de jongler avec cela, appréciant la taquiner sans aucun doute. Je roulais des yeux en tapant ses fesses au passage. « J’aurais d’autres occasions de vérifier ne t’inquiètes pas pour cela ! » ripostais-je dans un rire léger. C’était ça notre moment. De la légèreté. Je riais même un peu plus en entendant Dani évoquer le silence absolu de son père face à ses tatouages. « Il était résigné, je le comprends, j’étais pareil… en même temps, vaut mieux que tu te fasses tatouer plutôt que de fumer… » Je m’arrêtais un instant et j’esquissais un rictus. « Ha mais oui, tu fumes aussi, que suis-je bête ! » Je lui tirais la langue tel un enfant, avant de me concentrer sur mon plat, revenant à une conversation moins réprobatrice. Mais après tout, je ne lui cachais plus le fait que de la voir se tuer à petit feux ou à coup de fumée ne me plaisait guère. J’avais toujours l’espoir qu’un jour elle cesserait.

J’haussais les épaules en repensant à mes cicatrices, perplexe à l’idée de ne pas les recouvrir. « Je suis fatigué de les voir chaque jour. J’ai essayé de me dire qu’il fallait que j’en sois fier, que ce ne sont que les traces d’une mort à laquelle j’ai échappé… Mais elle me relie beaucoup trop à Andréa… » rajoutais-je comme pour justifier avant de commencer à manger. « Un truc horrible ? Non mais quand même j’ai bon goût hein ! Mais je pensais t’envoyer avant, te faire tatouer un peu plus, et selon le résultat j’y retournerais… » dis-je avant de reprendre. « J’ai déjà une idée du salon… Il faut juste que je décide enfin de m’y rendre et que je réfléchisse un peu à ce que je veux… Mais je n’ai pas vraiment le temps pour l’instant, l’idée devient plus pressante, mais je n’ai pas franchi le pas… » rajoutais-je avant de l’observer attentivement, espérant apercevoir le trait du plaisir que mon plat lui procure. « Ce n’est pas qu’une impression tu sais… » dis-je sur un ton taquin et du tac-o-tac. « Tant que tu pleures en silence, je voudrais profiter du son du film quand même tu sais… ». Je lui souriais, bombant le torse fièrement tandis qu’elle me félicitait pour le repas. « Tu as de la chance que ça ne me dérange pas de cuisiner… Tu vas peut-être pouvoir rattraper toutes ces années… J’ai commencé pendant ma convalescence alors que je tournais en rond dans mon salon… J’ai fais venir un chef à domicile pour prendre des cours… Puis c’est tellement bien passé qu’on a continué un peu et que j’ai pris du plaisir à confectionner ces plats… Bon je suis meilleur cuisinier que patissier je te le dis d’avance… Je te laisserais faire les gâteaux si tu me promets de ne pas les bruler, c’est pour une juste répartition des tâches… Je te sers du vin ? » lui demandais-je en attrapant la bouteille, venant remplir son verre avec rapidité avant de me servir à son tour, laissant les verres à côtés de ceux remplis de bière. « Tu n’as jamais eu envie d’apprendre ? Je te proposerais bien de faire des recettes à deux, mais d’une je serais probablement trop déconcentré et de deux on risquerait encore de se chamailler. » Car nous étions incapables de ne pas se chamailler pour tout et n’importe quoi, c’était indéniable. « Sinon comment s’est passée ta journée ? » lui demandais-je avec intérêt.

Cela lui fait du bien de parler son père avec légèreté, sans se sentir assaillie par la tristesse. Les souvenirs de la tête de son père en voyant ses tatouages, en l’engueulant pour ses cigarettes la fait sourire un peu plus. Elle lui tire la langue en retour.  « Ca va Monsieur parfait ? Je te rappelle ton caractère de merde ? Ca vaut autant les tatouages et les cigarettes ça ! » Elle se moque, mais elle l’aime son caractère. Il complète bien le sien, elle a toujours aimé leurs joutes verbales.

Danika comprend son envie de recouvrir les cicatrices, elle aimerait pouvoir les effacer pour lui, faire disparaître de son esprit ce mauvais souvenir et à chaque mention du nom d’Andréa, une haine ne peut s’empêcher de brûler dans son regard comme si elle serait incapable de lui pardonner pour tout ce que cette femme avait volé à l’ancien lieutenant en face d’elle. Pourtant elle se force à faire de l’humour, à parler des tatouages et des possibles salons qu’elle pourrait lui conseiller. « J’ai hâte de voir ça en tout cas ! Un Keith avec des tatouages, c’est que j ne vais plus savoir te résister moi. » Un clin d’œil, comme si elle était déjà capable de lui résister.  Elle fait mine de vouloir le piquer avec sa fourchette quand elle lui conseille de pleurer en silence. « Le son de mes larmes sera un beau spectacle non mais oh ! » prétend-elle de s’offusquer, un sourire qui ne quitte pas ses lèvres témoignant de son plaisir face au jeu toujours présent entre eux.

« Avec plaisir ! » lui dit-t-elle pour le vin. « Franchement les gâteaux ça va encore je me débrouille, j’aime tellement le sucré. » Elle rit, avant de manger une nouvelle bouchée avec appétit. Le plat est délicieux et elle avait toujours été gourmande. « Apprendre si, mais disons que c’est jamais passé en priorité. Et puis avant quand je voulais des bons petits plats j’avais juste à aller chez mon père.  Mais faudrait que je m’y mette, au moins maintenant je sais cuisiner quelques trucs mais disons que c’est toujours des trucs simples jamais très élaborés. Je ne suis pas sûre d’avoir la patience. » Non clairement Danika était tout sauf patiente, du genre à vouloir tout tout de suite et encore plus quand il s’agissait de nourriture. Elle boit un verre de vin, qui est tout aussi délicieux tandis qu’il lui demande comment s’est passée sa journée. « Bien, j’ai fait une longue balade avec Pepsi, j’ai pris de belles photos. J’ai dit à Isaac que j’allais reprendre l’entraînement. Toute seule quand il n’y a pas grand monde. » Elle lui dit ça doucement, sans vraiment le regarder dans les yeux. C’était une décision qu’elle avait prise après leur entraînement au dojo. « Et je me dis que, je vais essayer de trouver un autre boulot. Swann, tu sais mon pote kiné, son frère bosse dans un coffee shop et m’a proposé de lui présenter. Je me dis que ça pourrait être une bonne idée, ça sera sûrement mieux que le bar dans lequel je bosse. » Elle sait que Keith n’était pas le plus grand fan de ses choix de carrière actuels, mais se dit qu’au moins la nouvelle devrait lui faire plaisir. Après tout le bar dans lequel elle bossait était tout sauf fréquentable et mal famé au possible.  C’est donc un progrès. Certes, ce n’était pas le dojo, mais elle était encore loin de se sentir prête à donner des cours.

Ils discutent ainsi longuement, la soirée continuant, le repas délicieux, le rire facile, ils retrouvent enfin la normalité qu'ils avaient perdu. Et elle finit par s'endormir dans ses bras le soir même devant le film, une confiance retrouvée.