Je voudrais plaisanter sur un ton léger, mais tout me ramène à la raison de ma présence ici. Ginny, également, se rappelle à cela tant elle sait que je ne suis pas venu uniquement pour passer un moment en leur présence. Leur maison m’était apparu comme le refuge le plus certains. Celui où je ne serais jamais seul et où mes enfants seraient choyés alors que toutes mes forces semblaient diminuer. Elle est légitime sa question, ma réponse l’es tout autant qu’importe si elle paraît dure et distante. « Je peux pas te promettre de lui mentir si elle me pose des questions sur vous. » « Je sais. » Jamais je ne lui demanderais de mentir à sa sœur. Jill gagne toutes les compétitions tant elle est avant tout un membre de la famille. C’est normal. Je passe en second même si Ginny ne fera jamais de comparaison. Elle prendra tout ce qu’on lui donne, l’analysera sagement pour le redistribuer à sa manière. Faire bouger les pions de manière savante pour que l’idée semble venir de nous quand en réalité, c’est elle qui nous aura tout souffler. Pourtant, je refuse que Jill soit au courant de mon état. Sans jamais forcer sa sœur à lui mentir. Le dilemme me paraît immense, mais j’accepte les règles du jeu. « Simplement, si elle ne demande rien, alors elle ne saura rien. » J’en suis persuadé que ma femme ne posera pas de questions. Elle ne nous aurait pas abandonné aussi facilement si réellement elle se souciais de nous. « Mais je peux te promettre de garder tout ce que tu me dis ici rien qu'entre nous. » Elle n’a même pas besoin de promettre tant, je lui fais confiance les yeux fermés. « C’est pour ça que je suis là. » Matt aurait trop voulu se mêler, Ciara aurait voulu appeler Jill. Il n’y a que Ginny qui reste de marbre, qui écoute sans juger, qui distille des conseils sans jamais laisser fuiter le moindre mot que je pourrais laisser glisser au sein de cette cuisine. « J’ai toujours eu confiance. » En elle. Jamais vraiment en les autres.

Auden interrompt notre conversation. Tel un coup de vent il passe entre nous, mon fils entre ses bras, récupère un biberon et glisse un baiser sur la tempe de sa femme. « Ginny t’est passée sur la dernière marche de mon top trois au passage. » Un sourire se dessine sur mes lèvres alors que je profite de sa proximité pour venir caresser la joue de mon fils du bout des doigts. « Je viens après. » que je murmure au petit garçon, pour qu’il sache que papa est là, qu’il ne l’abandonne pas. Et déjà Auden s’en fuit vers l’étage. « Il est gaga. » Et si elle savait à quel point cela me rassure pour leur avenir à eux. Mais ce n’est pas le sujet du soir tant, nos déboires avec Jill prennent toute la place. « Tant que vous tentez d'aller bien, ça me suffit. » En rien, je ne vais bien et elle le sait parfaitement. C’est douloureux et je me sens sombrer à chaque nouvelle bouffée d’air sans la présence de Jill à mes côtés. « Je peux pas sombrer. Ils ont trop besoin de moi. » Ils sont devenus ma seule raison de vivre. Tout pour eux, le reste attendra. « Tu es ici chez toi. Les jumeaux aussi. » Mais elle sait déjà que l’on ne s’imposera pas. « On sera mieux à la maison. » L’excuse des affaires des petits qui se trouvent à la maison. Elle ne me croira pas, je le sais parfaitement, on fera comme si de rien était.

Le silence s’étire alors que je savoure mon plat de pâtes, une bouchée après l’autre. Je n’avais pas mangé un vrai repas depuis ce qui me semble être une éternité. Encore une fois, mon regard glisse sur le profil de mon amie. « Comment vous allez tous les deux ? » Elle et le bébé. Cette grossesse que j’ai suivie de loin, des nouvelles que je n’ai pas assez demandé ces derniers temps.

Auden s'égare dans la cuisine, il vogue et dérive, Bowie et lui ont le parfum de la sieste qui s'éternise. Au baiser du Williams sur ma tempe s'additionne celui, naturel, que je pose sur le front de mon filleul avant que tous les deux disparaissent de nouveau pour vivre en duo leurs multitudes de nouvelles aventures. « Il est gaga. » « Tu crois? » j'arque la nuque, moqueuse au possible, ma voix d'ingénue qui feint la surprise alors que la seconde suivante c'est un immense sourire solaire qui orne mes lèvres. Bien sûr qu'il est gaga. Bien sûr qu'on l'est tous les deux des petites boules d'amour qui viennent d'apparaître dans nos vies sans qu'on n'ait jamais pu pouvoir prédire les aimer autant. C'est pas une surprise pourtant ; c'est simplement que j'oublie chaque fois à quel point un enfant peut chambouler autant une vie que la rendre absolument parfaite d'imperfections. J'ai hâte, encore plus, qu'on ait le nôtre.  

La conversation flirte entre le sérieux et la blague, j'y vais à tâtons et lui aussi. Personne ici n'a besoin qu'il se presse, et même s'il semble encore épuisé je sais qu'à la seconde où il aura fini de manger ses pâtes et de boire son café il prévoira déjà s'en aller. « Je peux pas sombrer. Ils ont trop besoin de moi. » je les connais par coeur, ces paroles auxquelles je m'étais rattachée des dizaines de milliers de fois au sujet de Noah. J'avais pas le droit d'aller mal, j'avais pas le droit d'être faible, j'avais pas le droit à l'erreur, pas la moindre, tant il méritait d'avoir le pilier le plus solide du monde à ses côtés. Aujourd'hui, j'ai bien appris que telles pensées ne font que précipiter l'inévitable, et qu'à user de toutes ses forces quand on n'en a plus aucune n'amène absolument rien de bon. « Ils ont besoin de toi en santé. » j'insiste, sa santé allant bien au-delà d'un petit microbe à soigner. Ils ont besoin d'un père reposé et d'un père heureux, ils ont besoin d'un père solide qui pourra se battre pour eux tous les jours qui viendront. Ils ont besoin qu'il sache que prendre un temps d'arrêt pour assimiler toute la nouvelle situation et ses divers éléments à apprivoiser n'est pas un abandon ni même un échec, mais bien une nécessité.  

Il est ici chez lui, les jumeaux aussi. « On sera mieux à la maison. » je ne le crois pas du tout, il le sait, on fera tout comme. On ravalera quand il apparaîtra sur le porche avec eux parce qu'il passait à l'improviste dans le quartier, on niera quand il me proposera de venir à la maison juste pour écouter une de ses nouvelles compositions. Il peut inventer tous les prétextes et toutes les excuses du monde, il sait que je serai toujours à ses côtés coûte que coûte. Ses enfants sont le plus naturellement du monde devenus les miens, de toute façon.

« Comment vous allez tous les deux ? » parlant d'enfants. Ma main se loge instinctivement sur mon ventre, habitude ridicule qui me fait éclater de rire, rouler des yeux aussi. « On rage de ne pas pouvoir boire notre poids en café ou manger nos émotions en gâteaux quotidiennement - la routine, quoi. » un sourire de plus, et je lui ajoute une lampée supplémentaire de café, une louche additionnelle de pâtes. Encore un peu de temps, juste un peu avant qu'il n'ait à retrouver le monde, dehors. Avant qu'il le retrouve seul, quand bien même je serai toujours là.

Personne ici ne m’imposera quoique ce soit, je le sais. La conversation est simple, elle oscille entre sérieux et plaisanterie. Je me sens mieux d’avoir un peu dormi, mais surtout d’être entouré de gens comme eux. Auden veille sur mes enfants, Ginny, elle veille à sa façon. On retrouve cette dynamique d’antan quand les longs discours étaient inutiles, mais que parfois, on se devait d’imposer à l’autre un certain bon sens. « Ils ont besoin de toi en santé. » Mes yeux cherchent à fuir les siens, se plongent dans ma tasse de café noir. « Je sais. » que je murmure lentement. Me détruire la santé, vouloir tout gérer seul ne sera pas viable à terme. Je m’en rends compte après avoir perdu pied quelques heures plus tôt. J’ai honte d’avoir agi de la sorte, mais je sais également que personne ne m’en tiendra vigueur. Surtout pas elle. Rien de ce qui sera dit dans cette cuisine ne sortira d’ici. « Ils sont devenus ma seule raison de vivre. » Je ne fais que statuer sur l’évidence. En rien, il ne sera nécessaire d’épiloguer là-dessus. Quoiqu’il arrive, je sais que cette maison pourra toujours être un refuge, lorsque j’aurais atteint ma limite. Même si, pour le moment, je sais que je vais avoir besoin de retrouver mon cocon, malgré les souvenirs que ce dernier comporte. Elle ne m’en tient pas rigueur Ginny. Et déjà, je sais, que demain, elle se présentera à ma porte.

Je préfère me concentrer sur elle, le temps d’un instant, sur les formes qui se dessine sous son nombril. « On rage de ne pas pouvoir boire notre poids en café ou manger nos émotions en gâteaux quotidiennement - la routine, quoi. » Un sourire se dessine sur mes lèvres alors que l’on échange un regard. « Tu es radieuse. » Elle illumine la pièce même. Je ne l’avais jamais réellement côtoyé cette Ginny là, mais elle me plaît. Elle cherche à gagner du temps en remplissant mon assiette. Je la remercie dans un sourire, pour la énième fois ce soir.

Et lorsque le temps est venu de repartir chez moi, mes deux enfants sous le bras, c’est le cœur un peu plus léger que je franchis cette porte. Grace à eux.