« Fais pas cette tête-là Gin, c'est juste pour une soirée, ça va être drôle. »

Ah oui, très, très drôle. Quand il m'a suppliée de ne pas snobber le gala de charité où la firme de papa sera encore récompensée cette année, quand il m'a dit que non seulement c'était important pour les parents mais que ça l'était encore plus pour lui. Son internat d'été au cabinet d'architectes serait assurément mentionné qu'il disait, et j'avais soupiré. Fort. Pas parce qu'à l'instar de Jill je voulais le faire tourner en bourrique, mais bien parce que ce genre de soirée-là me rendait toujours particulièrement mal à l'aise. Il le sait pourtant Matt que je déteste les robes que maman choisit pour moi, que je déteste tout autant le rouge à lèvres qu'elle s'applique à appliquer sur mes lèvres en oubliant que la seconde suivante il sera sûrement effacé du revers de ma main ou étalé de mes joues à me oreilles.

Juste pour une soirée, donc. Et j'avais dit oui. J'avais dit oui pour lui, bien sûr que c'était que pour lui. Jusqu'à ce que je sache ce qui, à ses yeux, allait être drôle. Apparemment la famille en entier venait accompagnée et apparemment, il n'avait pas pensé à me le mentionner plus de quelques minutes avant que notre cortège ne quitte la maison pour se rendre à la grande salle où la soirée aurait lieu. Jill avait avec elle un rebelle aux cheveux teints en noir corbeau et aux yeux perçants rougis par l'herbe qu'il avait dû fumer dans le jardin avant d'arriver dans le hall. Matt avait à son bras une jeune première de sa classe, une blondinette aux yeux brillants et au sourire qui l'était tout autant alors que sa voix avait toujours l'air de chanter peu importe ce qu'elle disait entre des éloges ou sa liste d'épicerie. Et moi, oh, et moi.

« Tu le connais Ezra, il est chill, ce sera pas de prise de tête. » oh que oui, je le connais Ezra. Ezra en bas de l'escaliers, qui attend sagement que ma silhouette apparaisse derrière celle de Matt qui lui dévale les marches en deux par deux, son parfum d'adulte dans son sillage. Ezra qui est beau, tellement beau, même si la cravate lui donne l'air de sortir de nulle part. Ezra donc, devant qui je finis par me poster, les joues aussi rougies que les tissus de ma robe que j'ai réussie à négocier contre des Converse envers lesquelles maman n'arrête pas de loucher. « Tes cheveux ont l'air différents. » que je trouverai à dire, complètement pathétique en terme de discussion. Et surtout, assurément pâmée sur lui au point où sentir les regards de ma famille sur moi, sur nous, me noue le ventre presque instantanément.

« Tu fais quoi ce soir ? » Il avait haussé un sourcil, s'était retourné vers Matt qui se tenait sur le capot de la voiture d'à côté d'eux au garage. C'était pas rare qu'il vienne le voir bosser, une heure ou deux, histoire de se changer les idées - et aussi parce-qu'il était de plus en plus compliqué avec leurs emplois du temps respectifs de réellement passer du temps ensemble. Mais aujourd'hui, la présence de Matthew chez Mecanor avait quelque-chose de différent. « Tu veux quoi, toi. » La voix était autant sérieuse qu'amusée, désabusée que railleuse. Matt en profita pour lui lancer le premier chiffon sale à la figure qu'il put attraper. « Tu me parles pas comme ça, déjà, et - oui, j'ai besoin d'un service. »

Ce fut alors comme ça que, de fil en aiguille, Ezra vint à se pointer chez les McGrath en costume deux pièces - il n'avait jamais eu la troisième dans son armoire et le regrettait quelque peu ce soir. « Tu es tout beau comme ça, Ezra, tu devrais mettre le costume plus souvent ça te va bien. » Marianne qui vint se placer devant lui, un sourire presque fier sur le visage. Ils étaient rares avec ses propres enfants, ces moments là - et pourtant le Beauregard pouvait les compter sur les doigts de plusieurs mains pour son compte à lui. « Merci, Marianne, ça me fait plaisir de l'entendre de votre part. » Surement parce-qu'il savait parfaitement caresser dans le sens du poils, aussi.

« Tu le connais Ezra, il est chill, ce sera pas de prise de tête. » La voix de Matt qui se fit entendre depuis le haut de l'escalier, et le regard d'Ezra qui vint se porter jusque là bas. Bien sûr qu'il était chill, Ezra, et qu'il n'était pas prise de tête - tout le reste du temps. Ce soir en revanche, les choses risquaient d'être un brin plus complexes. En effet, le service que le jeune McGrath lui avait demandé de lui rendre, n'était ni plus ni moins que d'accompagner sa soeur à leur gala de la soirée. Et, bien sûr, la bonne soeur - mais il n'en savait rien de tout ça. Et pour pas que ça paraisse louche, il avait accepté. Et surtout, il n'avait pas prévenu Ginny. Elle aurait paniqué à la seconde et se serait retrouvée aux urgences du St Vincent en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire.

Finalement, la jeune femme finit par descendre l'escalier à son tour et par venir se pointer devant le Beauregard - oh, qu'il se retenait de la voir ainsi parée. Qu'elle était belle. « Tes cheveux ont l'air différents. » Il eut un petit rire, alors que Matt tournait dans le couloir du bout, que Marianne s'élançait vers le garage, et que personne d'autre n'était plus avec eux présentement. Une seconde pour respirer normalement, une seconde une seule dans toute cette soirée où ils n'auraient pas à prétendre ne pas être proches. « J'ai du passer chez le coiffeur en urgence, j'espère que ça donne bien. Et... » Il se pencha pour venir effleurer les lèvres de la jeune femme du bout des siennes, plus rapidement qu'un soupire, pour que personne ne puisse avoir le temps de voir ou d'entendre. « T'es magnifique Gin, à couper le souffle. » Elle avait déjà les joues cramoisies de toutes façons.

L'instant d'après, Ezra laissa déjà ses pas s'éloigner d'elle - la distance allait être nécessaire ce soir entre eux, s'ils voulaient garder leur couverture intacte, alors qu'il n'avait qu'une envie c'était de la prendre dans ses bras. « Traine pas, on va être en retard. » Qu'il vint déclarer à la cantonade pour être sûr que tout le monde ait parfaitement entendu.

« J'ai du passer chez le coiffeur en urgence, j'espère que ça donne bien. Et... »
« T'es magnifique Gin, à couper le souffle. »

Une seconde, une seule. À battre des paupières, à autoriser mes prunelles à scruter un peu plus longtemps les siennes. C'est le simple temps qu'il prend Ezra pour être fourbe, pour se pencher à la hauteur de mon visage. L'attraper au vol de la plus naturellement des façons pour nous, de la plus impossible pour tous les autres. Mon coeur manque un battement quand c'est de son parfum que s'imprègne mes sens, mon coeur cesse tout simplement de battre lorsqu'il s'éloigne l'instant d'après. Si seulement ils savaient.

« Traine pas, on va être en retard. »
« La faute à qui. » que je pouffe, malicieuse pour une miette de moment encore. La pointe de mes pieds dont j'abuse, quand mes lèvres viennent plaquer un baiser tatoué de rouge sur sa joue à lui. C'est comme ça qu'on salue les amis de la famille, non?

La voiture est avancée dans l'allée quand Ezra et moi rejoignons le reste de la famille déjà sur le parking. Maman et papa vont à la soirée ensemble, Jill est déjà installée au dos de la moto de Trent (du moins, je crois que c'est ça, son prénom?), moto dont le moteur vrombit beaucoup trop fort pour que ce soit normal. Les voilà qui partent en vitesse sans que nous sachions si vraiment on les croisera à la soirée ou s'ils viennent de s'esquiver à jamais. « On prend ta voiture ou la mienne Ez? » Matt demande, jonglant avec les clés de sa voiture, ou plutôt de celle que papa lui a achetée au dernier bulletin comme récompense en réponse à ses notes parfaites. « La tienne a un toit ouvrant Matt, je ne veux pas abîmer ma coiffure. » la thématique de ce soir est donc les cheveux, entre nous les cavalières. Mon sourire en coin se fait un peu plus grand, les garçons savent bien que toit ouvrant ou pas, mes mèches à moi risquent d'être une catastrophe à peine la moindre brise impliquée. Mèches d'ailleurs que je glisse d'un doigt distrait derrière mon oreille, m'autorisant un regard en coin avec Ezra le temps que les négociations se placent entre l'autre couple de la soirée.

« La faute à qui. » Ses mots à elle se firent plus discrets que les siens, mais vinrent le faire tout autant sourire. S'il fallait que ce soit de sa faute à lui, ainsi soit-il - mais il leur faudrait trouver une raison officielle car celle de il m'a volé un baiser et j'ai pas pu résister à lui laisser en retour une trace de rouge à lèvre sur la joue pour l'embêter n'allait pas être recevable auprès des autres McGrath.

Leurs pas les menèrent dans l'allée du garage et jusqu'aux voitures garées dans cette dernière. Matt et Amber les attendaient déjà, prêts à faire une apparition parfaite à cette soirée, là où Ginny et lui feraient tâche dans le décor. Elle, parce-qu'il y avait quinze chances à la seconde qu'elle se prenne les pieds dans le moindre tapis et lui, tout simplement parce-qu'il se contentait de faire de la figuration dans le monde des McGrath. « On prend ta voiture ou la mienne Ez? » « La tienne a un toit ouvrant Matt, je ne veux pas abîmer ma coiffure. » Retenant un petit sourire moqueur en coin, Ezra vint hausser les épaules, mimant de ne pas être dérangé de prendre sa voiture. En réalité, il lui aurait fallu une dose d'alcool assez conséquente pour pouvoir survivre à la soirée et elle venait de lui filer sous le nez. « Va pour la mienne et son toit ouvrant inexistant alors. » Et il vint ouvrir la portière à sa cavalière de la soirée, afin que la jeune femme puisse prendre place à ses côtés en tant que passagère - et non qu'elle soit relayée par son frère sur la banquette arrière. Matthew vint faire de même avec la portière pour sa cavalière, et lors que les portières de ces mesdames furent claquées, juste avant qu'ils ne montent eux dans le véhicule, Ezra vint faire les gros yeux au McGrath. « T'aurais pu prévoir ça, ma voiture est dégueulasse. » Oh, ce sourire qui donnait envie de lui arracher les yeux à Matt. « T'auras même pas le droit au valet si ça se trouve. » Ezra leva les yeux au ciel et Matt se réfugia à son tour à l'arrière de la voiture.

Le moindre courant d'air fut alors prescrit de tout le trajet et s'il n'était déjà pas tant à l'aise jusque là, la chaleur s'accumulant dans l'habitacle du véhicule ne venait rien arranger. « T'es sûre que tu veux pas juste un peu d'air, Amber ? » La voix qu'il avait pris pour s'adresser à la jeune femme n'était pas des plus aimables, mais elle n'était pas la plus mignonne des copines de Matt avec lui de façon générale. « Je vais pas ressembler à un épouvantail avant d'arriver. » Il vint serrer un brin les dents. « T'as raison. » Alors, il vint avancer sa main vers le bouton de l'air circulant dans la voiture, tentant de venir le mettre encore plus proche de la partie bleue de la courbe. Ginny avait du anticiper sa réaction et vouloir régler le soucis plus rapidement que lui car sa main à elle vint s'intercaler dans la course de la sienne. Peau contre peau, juste un instant et une seule seconde, et pourtant l'épiderme d'Ezra en vint à être tout électrifié.

Ce sont les détails que j'aime, que j'ai toujours aimés. Les détails comme son sourire en coin quand la copine de Matt fait déjà une crise à peine la voiture choisie. Les détails comme la vanne qu'il ajoute, trop sérieux pour l'être vraiment, mentionnant son absence de toit ouvrant. Absence qui ne m'a jamais dérangée ni aujourd'hui, ni toutes ces fois où il devait me raccompagner de l'Académie à la maison à la place de Matt et qu'on finissait par dériver au resto en bordure de la côte pour manger des frites sur son capot, réinventer le monde avec. Ce que je donnerais pour que la soirée en soit une comme celles-là, plutôt.

Les garçons se piquent dehors, Amber m'envoie un regard courroucé dans le rétroviseur. « T'as de la chance que ce soit lui ton cavalier forcé ce soir. » si seulement elle savait. « En plus ça doit être la première fois qu'il te porte autant d'attention, profites-en. » mes lèvres se pincent, un peu à cause de la remarque à deux doigts du déplacé, de l'irrespectueux. Mais surtout parce que justement, non, c'est tout l'inverse. Autant je suis rassurée qu'elle n'ait rien vu, autant je suis secouée qu'elle ait usé d'autant de moquerie en si peu de temps.

« T'es sûre que tu veux pas juste un peu d'air, Amber ? »
« Je vais pas ressembler à un épouvantail avant d'arriver. »
« T'as raison. »

Mes doigts se sentent utiles, quand ils se jettent presque désespérés sur le bouton d'air climatisé à actionner. Ce n'est que lorsqu'ils attrapent ceux d'Ezra au vol que je sens la panique me toiser. Celle que Matt voit, celle qu'Amber voit, celle que la Terre entière voit. Sa peau est brûlante quand la mienne est glacée, sa peau me rassure, aussi stupide la réflexion peut être. Je laisse mon pouce tracer des lignes imaginaires sur le revers de sa paume avant d'en repartir aussi vite.

« J'ai envie de pipi. »
« On doit arriver bientôt, non? »
« Oui, mais j'ai envie maintenant. »
« Oh, t'es tellement cute, Amber. Faut que t'arrête Ez, elle a les yeux presque jaunes là ça va pas. » Matt pâmé, Matt qui flirte, Matt qui joue les princes charmants, Matt en général. Quel calvaire.

Ils vinrent s'effleurer un instant, réellement rien qu'un seul, et pourtant Ezra eut l'impression que le temps s'était arrêté pendant des heures durant. Le contact de la peau de la jeune femme contre la sienne faisait partie des sensations qu'il préférait au monde. Mais étant donné que ce n'était pas quelque-chose qui leur était permis - et surtout pas dans un endroit aussi clos et avec les personnes présentes -, l'instant d'après, ils retiraient tous les deux leurs mains avec ce sentiment d'urgence palpable dans l'atmosphère. Ils n'avaient plus qu'à prier pour que Matt n'ait rien vu - comme à son habitude - et qu'Amber ne fasse aucun commentaire sur ce qu'elle aurait pu potentiellement voir.

Alors, Ezra vint retenir sa respiration lorsque la jeune femme ouvrit la bouche sur la banquette arrière, elle qu'il ne pouvait voir qu'à travers le rétroviseur. « J'ai envie de pipi. » Il vint ravaler son soupire soulagé. « On doit arriver bientôt, non? » Etait-ce donc déjà la guerre entre les deux belles soeurs ? « Oui, mais j'ai envie maintenant. » « Oh, t'es tellement cute, Amber. Faut que t'arrête Ez, elle a les yeux presque jaunes là ça va pas. » Le regard noir qu'Ezra vint à la suite porter dans le rétroviseur était dirigé vers Matthew, désormais. Quel con bordel. « On est presque arrivés mais oui, je peux m'arrêter, sans soucis. » Le ton employé contrastait tellement avec ses paroles et le fond de sa pensée qu'il était à peu près sur que le McGrath le prenait à part à un moment dans la soirée pour venir lui en causer deux mots.

Une minute, grand maximum deux plus tard, Ezra venait se garer sur le parking de la première station service qu'ils vinrent croiser. A peine le moteur fut coupé que les deux tourtereaux vinrent s'éclipser de la voiture à la vitesse de la lumière. « Tu vas lui tenir aussi ? » Qu'Ezra eut à peine le temps de lancer à Matt alors que ce dernier était tout sourire, suivant à la trace sa demoiselle. Un soupire, et une deuxième, s'échappèrent d'entre les lèvres du Beauregard alors qu'il reportait son attention sur Ginny, toujours à ses côtés elle. « Si je décide de les tuer avant la fin de la soirée, tu m'aideras à cacher les corps ? »

C'est pas ma place, c'est pas mon monde. C'est tout sauf mon univers et si la robe se resserre contre mes hanches le regard accusateur d'Amber dans le rétroviseur semble être une autre horrible épée de Damocles. J'aurais simplement voulu passer la soirée à écouter des DVDs, emmitouflée dans le plus de couvertures possible, à tester toutes les marques de crèmes glacées au point où mon palais en serait devenu le meilleur goûteur toutes catégories confondues.  

À la place, ce sont des coups d'oeil en aparté qu'Ezra et moi on arrive à se lancer, entre deux feux rouges, entre deux remarques du couple fièrement affiché sur le banc passager. « On est presque arrivés mais oui, je peux m'arrêter, sans soucis. » j'aurais eu envie de rire, j'aurais eu envie d'attraper ses doigts des miens. J'aurais voulu trouver ses lèvres, j'aurais voulu laisser choir ma tête sur son épaule. À la place, c'est un fin sourire complice qui apparaît sur mes lèvres, à défaut du reste, toujours.

« Si je décide de les tuer avant la fin de la soirée, tu m'aideras à cacher les corps ? » la station service est probablement une excuse comme une autre pour Matt et sa conquête du soir d'aller se bécoter dans les toilettes sans plus de cérémonie. « J'ai pas regardé assez de documentaires sur les serial killers pour être une bonne alliée. » que je pouffe, heureuse dans mon malheur, la silhouette d'Ezra de laquelle je me rapproche sans jamais ne laisser moins d'un centimètre nous séparer l'un l'autre. « Une fois que les corps seront cachés, où est-ce qu'on s'enfuirait? » que je propose, mutine, amusée. L'idéal inatteignable et la fuite comme seule porte de sortie. « Parce que j'ai toujours rêvé de voir l'Argentine. » je pouffe de plus belle, usant de mes Converse pour jouer avec les cailloux éparses sur le parking. Le temps d'oublier mes quelques relents de gamine amourachée qui ne rêverait que de l'embrasser un peu plus, juste un peu plus encore.

La colère lui montait en jets dans sa bouche, alors que ses yeux ne lâchaient plus Matthew et sa copine - ou sa conquête d'un soir, il n'avait pas encore eu accès aux détails de l'histoire - se dirigeant vers la boutique. Sa mâchoire se serra un brin davantage avant de venir reporter son attention sur Ginny. Ca, au moins, c'était facile et c'était doux, c'était tout le contraire des scénarios qui défilaient dans sa tête pour se débarrasser d'Amber. Et de Matt, il le méritait toujours un peu tout le temps, déjà à l'époque. « J'ai pas regardé assez de documentaires sur les serial killers pour être une bonne alliée. » Ses lèvres se décrispaient un brin à entendre la voix de la demoiselle, alors qu'il mourrait d'envie de venir la prendre dans ses bras pour alléger son coeur et dissiper ses noires pensées. « Une fois que les corps seront cachés, où est-ce qu'on s'enfuirait? Parce que j'ai toujours rêvé de voir l'Argentine. » Il vint allonger le bras afin de replacer l'une de ses mèches rebelles, de celles qui auraient peut-être été remises en place toutes seules avec la décapotable. « L'Argentine, la Russie, c'est toi qui choisi. Du moment qu'on finit tous les deux dans l'histoire. » Quelle ironie que de prononcer ses paroles sans connaître la suite de l'Histoire, avec le grand H.

Les bruits produits par les lèvres de Amber sur celles de Matt se firent de nouveau entendre et le réflexe prit le dessus, vint retirer Ezra de la proximité de la jeune McGrath, vint lui faire remettre son masque de circonstance - autant celui qui lui était imposé de porter auprès de Ginny et des regards indiscrets, mais également celui qu'il s'appliquait à porter auprès du second couple de nouveau à bord du véhicule. « J'espère que vous avez rien oublié. » Genre ta dignité Matt ? « On est repartis. »

***
Cela devait faire peut-être la soixantième personne à qui Ezra venait serrer la main sans avoir aucun indice de qui cette personne pouvait bien être. De temps à autres, Ginny venait lui indiquer quelques informations lorsqu'elle en avait, mais le reste du temps, ils pourraient tous s'appeler Jack que ce serait la même chose à ses yeux. « On a le droit de venir boire combien de coupes de champagne, déjà ? » Tant pis pour la voiture, il appellerait un taxi et dirait à Matthew d'aller voir ailleurs s'il s'y trouvait pour rentrer. Il avait besoin de boire pour oublier le service qu'il était en train de lui rendre - pas tenir compagnie à Ginny; ça ce n'était que pur bonheur de faire semblant d'être son petit-ami lorsqu'il était, en réalité et en secret, vraiment.

Matt et Amber reviennent, les joues rosées les lèvres rosies. Tout porte à croire qu'elle n'avait pas vraiment envie de faire pipi si je me fie à la lueur d'amusement qui brille aux creux des prunelles de mon frère. Lui il doit être fier de son subterfuge alors qu'il ignore que les pires stratagèmes, ils ont été mis en place par Ezra et moi depuis des mois déjà. L'un d'entre eux sera ma silhouette qui passe à la hauteur de celle du Beauregard avant d'entrer de nouveau dans la voiture. Mes doigts trouvent à nouveau les siens rien que pour y chercher un peu de chaleur sur ma peau glacée.

Dans un autre monde et dans une vautre vie, je l'aurais embrassé.

***

« On a le droit de venir boire combien de coupes de champagne, déjà ? » « Aucune si tu es moi et qu'on t'en coupe le droit, autant que tu veux si tu es Matt et que tu charmes la serveuse avec ton sourire d'ange. » ma silhouette a fini de se perdre dans la salle, elle finit toujours par revenir graviter autour de celle d'Ezra de toute façon. Du bout de l'index je pointe, impolie, mon frère qui est encore à une moue de charmer l'univers en entier, le personnel y compris. « Et une bouteille au complet si tu es Jill. » de mon frère, mon doigt file s'ancrer vers le profil de mon aînée qui s'allonge par-dessus le bar sans s'inquiéter de si on la remarque ou non, volant son dû avant de s'enfuir avec son rencard du soir en riant goulument.

« Est-ce que je peux goûter? » que je finis par demander, dans un murmure de plus. Si on me gronde pour quelque chose ce soir, ce sera pour ça. Mes doigts n'ont pas encore retrouvé ceux d'Ezra, ils comptent sur l'échange de flûte pour le faire. Naïve gamine amoureuse prise au piège dans une salle où personne ne la voit, où ironiquement je ne vois que lui.

« Aucune si tu es moi et qu'on t'en coupe le droit, autant que tu veux si tu es Matt et que tu charmes la serveuse avec ton sourire d'ange. » Les yeux d'Ezra vint suivre le mouvement du doigt de Ginny, lui montrant un Matt bien trop hilare pour que ce soit quelque-chose de naturel. Et dire que la serveur n'y voyait que du feu - le Beauregard vint laisser échapper un petit soupire. Amber devait être la femme la plus heureuse du monde en ce moment même, elle qui pensait l'avoir à ses pieds depuis le début de la soirée. « Et une bouteille au complet si tu es Jill. » D'un McGrath à l'autre, le regard d'Ezra ne lâchait pas une miette de la scène de Jillian venait voler une bouteille de champagne. Là, ce fut un petit rire qui s'échappa d'entre ses lèvres - comportement typique d'une soirée normale pour la jeune femme, en réalité, et Ezra n'était en rien étonné de la voir agir de la sorte.

« Est-ce que je peux goûter? » Le murmure de Ginny qu'il était le seul à pouvoir entendre, ses prunelles à lui qui vinrent rencontrer les siennes. Un de ses sourcils vint s'hausser sur son visage, quelque peu surpris. « Pour vrai ? » Il n'avait pas l'habitude que l'alcool se transmette dans ce sens là entre elle et lui, en général il était plutôt celui qui finissait ses verres dans les grandes occasions car, comme elle le disait, personne ne s'attendait réellement à ce qu'elle boive du champagne mais tout le monde s'attendait à la voir avec un verre à la main. Il finit finalement par hausser les épaules, lui tendant son verre, laissant ses doigts accrocher ceux de la demoiselle un instant de plus avant de lui céder. « Je te porterai pour te ramener s'il le faut. » Sourire taquin au bord des lèvres.

« C'est pas le meilleur de ceux que j'ai pu gouter à ce genre d'événement par contre. Sois pas trop déçue si le goût te plait pas. » Car ce n'était pas la première fois que Matt en venait à le trainer à ce genre d'événement. En règle générale, il se contentait de lui promettre boissons à volonté et buffet digne de ce nom et Ezra était directement partant. La partie où il devait jouer au chevalier servant pour Ginny, c'était nouveau, mais c'était aussi le petit quelque-chose qui rendait la soirée d'autant plus intéressante. « Quand tu auras fini de te rebeller au champagne, m'accorderais-tu une danse ? »

« Pour vrai ? » « Pour vrai. » que je pouffe, quand il finit par me tendre la flûte de champagne sans hésiter une seconde de plus. « Je te porterai pour te ramener s'il le faut. » la moquerie est totalement légitime, surtout quand on sait à quel point une simple gorgée d'alcool avait le pouvoir de laisser mon corps relativement secoué tant il n'était pas habitué. « Tu as si peu de foi en ma capacité à jouer aux adultes? » rien dans ma voix ne sonne comme un reproche, rien dans ma voix ne sonne comme autre chose qu'un grand sourire.

C'est ce que je lui dédie d'ailleurs, le sourire parfait de la gamine moqueuse, la coupe que je porte l'instant qui suit à mes lèvres. « C'est pas le meilleur de ceux que j'ai pu gouter à ce genre d'événement par contre. Sois pas trop déçue si le goût te plait pas. » qu'il avertit Ezra, le fantôme de la chaleur de ses doigts contre les miens glacés restant encore en suspens. La soirée entière me donne cette impression, à chaque fois où mes prunelles s'accrochent aux siennes. Et ce moment ne fait pas exception. « Je suis terrassée. » un rire de plus après avoir feint l'outrage, et je lui rends son dû. L'alcool n'étant définitivement pas au programme, ni ce soir, et certainement pas maintenant.

« Quand tu auras fini de te rebeller au champagne, m'accorderais-tu une danse ? » « Attention, je garantis pas la survie de tes pieds. Champagne ou pas. » gagner du temps, c'est tout ce que je tente. Mes joues elles, ne tentent même pas de se cacher quand elles rougissent à vue d'oeil compte tenu de la demande derrière les blagues d'enfant. Bien sûr que je veux, bien sûr que je n'attends que ça, bien sûr que mon regard brille et mon sourire tout autant. L'instant d'après d'ailleurs, c'est vers la piste que mes pas suivent les siens, ou est-ce l'inverse?, la foule noyant le duo qu'on forme officiellement ce soir, officieusement depuis des semaines déjà. « C'est louche si je mets mes mains ici? » rien n'est louche ce soir, et ça fait du bien, tellement. Mes paumes l'assument avant moi, se posant docilement de parts et d'autres de sa nuque.

« Tu as si peu de foi en ma capacité à jouer aux adultes? » « Si j’étais honnête, je te dirais même que j’ai aucune foi en ta capacité à jouer aux adultes avec un coup dans le nez. » Il avait le sourire taquin et le regard allant de paire, parce-qu’elle avait lancé les hostilités et que c’était ce dont ils étaient le plus forts, lorsqu’ils étaient tous les deux. Et que, également, pour une fois, ils pouvaient se permettre d’être juste eux-mêmes sans qu’on ne vienne juger le moindre de leur geste. Et ça faisait du bien, le plus grand des biens. La coupe de champagne vint donc passer de la main d’Ezra à celle de Ginny, non sans qu’il ne vienne profiter un instant plus longtemps de ce contact. Il vint observer la moindre de ses mimiques alors que ses lèvres trempaient dans l’alcool - et vint retenir un petit rire entre ses lèvres lorsque la jeune femme vint lui rendre son du. « Je suis terrassée. » « Et ton acte de rébellion n’a pas fait mouche en plus, ton père a rien vu. »

Par contre, ce que ce dernier pourrait voir, c’était Ezra entrainant sa plus jeune fille sur la piste de danse. « Attention, je garantis pas la survie de tes pieds. Champagne ou pas. » Il vint terminer sa coupe de champagne d’une traitre d’une seule, avant de la poser sur le plateau d’un serveur passant auprès d’eux. « J’ai mis des chaussures solides t’en fais pas, je suis prêt à toute épreuve. » Ezra vint lui faire un petit clin d’oeil avant d’attraper sa main pour l’attirer avec lui au milieu de la foule, là où ils seraient autant exposés qu’invisibles. Se mélanger au reste des hôtes de la soirée, se laisser porter par l’ambiance. Que ça sonnait doux, par rapport au programme initial. Et aussi, parce-que désormais perdus parmi d’autres couples danseurs, les yeux des autres membres de sa famille ne les regarderaient plus.

« C'est louche si je mets mes mains ici? » Disait-elle, alors qu’elle vint apposer ses mains contre la nuque d’Ezra, alors que leurs pas commençaient à se laisser porter par la musique et que ses joues ne cessaient de rougir. Il eut un petit rire Ezra, et après avoir jeté un regard à la ronde - il n’était pas si fou que ça -, il vint lui laisser glisser ses mains le long de la taille de Ginny, les laisser se placer au creux de ses reins. « Beaucoup moins louche que si je fais ça. » Et il vint déposer son visage dans sa nuque à elle, s’enivrent de son parfum. « Toujours moins que ça également. » Il jouait avec le feu mais au milieu de temps d’inconnus, leur jeu d’acteur frôlait la perfection.

Les mises en garde volent entre le champagne et la valse. C'est à croire que tous les deux, on arrive bien plus facilement à jouer un rôle lorsqu'on nous l'impose. Il est triste, le constat que tout ceci aurait pu véritablement être notre vie, dans un autre monde. Matt aurait tout autant fait les yeux doux à l'entièreté de la salle, Jill aurait volé des tas d'autres bouteilles et probablement un portefeuille ou deux. Papa aurait quand même gardé son air hagard vers moi, maman n'aurait pas manqué une occasion de venir replacer ma robe, ou la cravate d'Ezra. Mais à peu de détails près, ceci aurait pu être notre quotidien ou ce qui s'en rapproche le plus.

« J’ai mis des chaussures solides t’en fais pas, je suis prêt à toute épreuve. »
« Ça sonne comme un défi Ezra Beauregard. »

Je pouffe, secouant la tête de la négative pour chasser la nostalgie qui n'a pas lieu d'être, passant le tout sur une fausse exaspération qu'il gobe l'entièreté de notre flûte presque commune au passage. De ses mains, les miennes finissent par dériver à sa nuque, se logeant timidement sur ses omoplates. « Beaucoup moins louche que si je fais ça. » sa paume à lui trace la descente de ma colonne vertébrale, réveillant chaque terminaison nerveuse en égrainant les secondes au fur et à mesure du mouvement. « Toujours moins que ça également. » son nez au creux de ma nuque laisse papillonner de la chair de poule sur l'épiderme dégagée, de mes épaules à mes clavicules. « Ez... » ils sont décuplés, les points de contact, ils le sont bien plus quand tout le monde et personne ne nous regarde.

« J'ai envie de t'embrasser là. » mes mots murmurent à son oreille, mes doigts se resserrent un peu plus sur le tissu de sa veste, cherchant naïvement à toucher sa peau par-dessus ses vêtements. « Vraiment beaucoup envie. » et c'est mauvais, très mauvais signe. C'est tout sauf possible, c'est tout sauf raisonnable, c'est tout sauf a bonne réponse. C'est tout sauf ce à quoi je pense finalement, aux restrictions, quand mes lèvres se perdent sur la naissance de sa mâchoire, seule parcelle de lui à laquelle je me donne l'accès.

« Ez… » Et il ne vint pas seulement enfouir son visage dans le cou de la jeune femme, il vint également y déposer un baiser, un seul, léger. Effleurer sa peau du bout de ses lèvres. « J'ai envie de t'embrasser là. » Son sourire à lui qui vint se faire autant sentir le long de son épiderme, à la gamine, alors qu’il resserrait ses bras autour de son corps. » Hmhm. » Il se pensait malin, il venait rajouter de l’huile sur le feu. Oh, lui il avait envie de l’embrasser depuis des heures déjà, mais il savait que cet acte n’était pas possible dans les conditions qu’ils partageaient jusque là. « Vraiment beaucoup envie. » Le souffle de son petit rire vint se répercuter dans le cou de Ginny, alors qu’il ne bougeait pas d’un millimètre, et que ses lèvres à elle venait effleure sa mâchoire.

Il ne bougeait pourtant pas, Ezra. Il se connaissait assez pour savoir que s’il cédait rien qu’à venir relever son regard pour le plonger dans celui de la jeune femme, s’en était fini et il ne saurait retenir son envie de poser ses lèvres sur les siennes. En revanche, ça l’amusait grandement de voir qu’elle était dans un état similaire au sien et que l’idée de franchir la dernière barrière lui tiraillait l’esprit. « Sauf que tu peux pas faire ça, Ginny. Tu sais bien que ce serait dangereux. » Ses mots étaient sérieux alors que ses paroles étaient murmurées, susurrées, contre la peau de sa bien aimée.

« Surtout qu’à jouer avec le feu de la sorte, tu me marches sur les pieds. » Qu’il était moqueur, et chiant, et railleur, le Beauregard. Parce-qu’il la menait en bourrique en la gardant tout près de lui, son nez se frottant contre sa peau, lorsqu’elle lui marchait sur les pieds car les siens ne sauraient suivre la danse sans s’emmêler. Ils formaient surement le couple le plus maladroit de la soirée, sur cette piste de danse, et pourtant il restait celui le plus investi dans la danse. Pas dans les pas, bien sûr, mais dans l’instant, le moment. Qu’importe qui les regardant présentent voyait l’amour qui s’échappait par tous les pores de leur peau - quel bon jeu d’acteur devait se dire les quelques impliqués dans cette supposée supercherie.

La musique arrive à peine à remonter à mes oreilles quand ce sont seuls ses murmures que j'entends. Bloquée à se fréquence à lui et à lui seul, je laisse mes lèvres s'égarer autant de baisers que de secrets. Elles qui sont bien plus audacieuses que prévu quand au final, tout ça fait bien plus de mal que je l'aurais cru. Pourquoi on n'a pas le droit? Pourquoi on ne l'aura jamais, on dirait?

« Sauf que tu peux pas faire ça, Ginny. Tu sais bien que ce serait dangereux. »
« Hmhm. »

Plutôt que de crier à l'injustice par contre, c'est avec la voix la plus espiègle dont je suis capable que je le relance, usant de sa propre réponse comme porte de sortie. Il joue l'ingénu à la perfection et je tente de rivaliser avec lui, il resserre l'étreinte et je parierais avoir senti ses doigts se tendre un peu plus contre les coutures de ma robe. Rien ni personne n'entendra la suite, simplement la voir ne dévoilera absolument rien d'autre que ce à quoi on a accès. Le meilleur ami de mon frère qui lui fait en fleur en accompagnant la gamine de la famille toujours esseulée, toujours délaissée durant ce genre de soirées.

« Surtout qu’à jouer avec le feu de la sorte, tu me marches sur les pieds. » « Même pas vrai-oh. » l'ambiance est plus douce ou du moins je vois bien que c'est ce qu'il tente de faire, une blague à la fois. Blague qui n'en est pas vraiment une puisqu'en effet, mes pieds ont pris en otages les siens. J'éclate de rire en voyant le résultat grotesque, grimpe même sur ses orteils pour rendre le spectacle encore plus ridicule.

Ce ne sont pas nos baisers perdus ni même nos murmures amoureux qui nous feront remarquer là, en l'instant. Mais mes rires qui n'en finissent plus et les siens qui s'y ajouteront sans que j'en doute une seule seconde. « Virginia, Ezra. » papa fend la foule, pose durement sa main sur l'épaule d'Ezra, dégageant la mienne au passage. J'ai probablement manqué un battement cardiaque et cinquante autres entre son arrivée à nos côtés et ses mots. « On vous attend à la table. La cérémonie va commencer. » qu'il avertit et qu'il presse, patientant visiblement à ce qu'on se détache pour lui-même rejoindre les places assignées.