« Même pas vrai-oh. » Et ce fut à cet instant qu’elle vint s’apercevoir que, même si la blague était bien glissée dans ses paroles, elle n’en était pas vraiment une. Ca en le dérangeait pas plus que ça, en réalité, Ginny équivalait à un poids plume à ses yeux et ses pieds ne craignaient pas grand chose si elle loupait un pas ou deux. Mais il ne pouvait s’empêchait de lui faire remarquer qu’elle avait eu raison de le prévenir de sa maladresse.

A la suite, la seule chose à laquelle ses oreilles eurent accès, ce fut au rire de la demoiselle. Qui se moquait d’elle-même, de la situation ou que pouvait-il en savoir - la seule chose dont il était certain, c’était que de l’entendre rire lui décupla son propre rire. Et que désormais, effectivement, certains regards se tournaient vers eux. Mais il n’en avait rien à faire, Ezra, car entendre rire celle qui faisait chanter son coeur était la seule mélodie dont il avait besoin. Entendre la voix de son beau-père-d’une-soirée juste derrière lui, en revanche, était une chanson dont il se serait volontiers passé. « Virginia, Ezra. » Et si toutes les cellules de son corps criaient au secours, et si tout dans cette scène lui indiquait qu’il aurait du partir en courant, il ne vint en rien céder à la panique, dégageant lentement son visage du cou de Ginny, venant relever son regard vers l’homme pressant sa main contre son épaule comme si toute cette scène était des plus normales. « On vous attend à la table. La cérémonie va commencer. » Il opina du chef brièvement. « On vous suit Isaiah. »

Sans que ce soit perceptible, sans que personne ne s’en rende compte en dehors de Ginny et de lui, il s’était détaché lentement du corps de la jeune femme et avait remonté sans vague sa main sur sa taille. Son sourire était parfait et ses joues ne portaient aucune marque de chaleur accentuée dans son corps - et, heureusement pour eux, la marque de rouge à lèvres laissée une minute plus tôt sur le début de la mâchoire d’Ezra se trouvait de l’autre côté de son visage, là où le père McGrath ne pouvait pas avoir accès. Ce dernier garda sa main quelque peu serrée sur l’épaule d’Ezra une seconde de plus avant d’hocher la tête à son tour et de fendre la foule dans l’autre sens. « T’as plus qu’à retirer la trace de rouge à lèvres, vile tentatrice du péché. » Ses mots avaient été murmurés pour qu’Isaiah ne les entende pas et que seule Ginny en soit la destinataire.

L’instant d’après, ne lâchant pas la main de la jeune femme cependant - ils se devaient de jouer au couple, même Matt vint rire un brin en les voyant et vint montrer leurs mains tenues comme un enfant de quatre ans -, ils venaient se tenir aux côtés de la table qui leur avait été attribuée. C’était Marianne qui plaçait les invités de leur famille, apparemment. « Virginia, tu es à côté de ton père. Et Ezra… » A côté de Ginny, à côté de Ginny… « A mes côtés, comme c’est fabuleux ! » Et le pire dans toute cette histoire, c’était qu’elle ne feintait même pas dans sa réaction, Marianne, elle était vraiment heureuse d’être aux côtés d’Ezra. Lâchant à contre coeur la main de Ginny pour venir faire le tour de la table, Ezra esquissa son plus beau faux-franc sourire. « J’ai payé le serveur pour qu’ils mettent nos prénoms à côté, j’avoue tout. » Et une fois assis, la seule chose qui vint faire en sorte que son faux sourire se transforma en sourire sincère, c’était qu’en face de lui se plaçait la plus belle femme de la soirée.

« On vous suit Isaiah. » sonne comme le glas, comme la conclusion dune scène qui n'avait même pas commencé. J'ignore comment il arrive à garder autant son sang froid quand mon sang à moi, il brûle contre mes tempes, mon coeur battant la chamade encore dès lors qu'il se détache pour reprendre contenance à une distance raisonnable de moi. « T’as plus qu’à retirer la trace de rouge à lèvres, vile tentatrice du péché. » ses murmures à mon oreilles déclenchent de nouveaux frissons auxquels on n'a pas le droit, absolument pas. Une inspiration pour le courage plus tard, je ralentis notre marche pour me hisser à la hauteur de sa joue, la traître, la nettoyant d'une serviette en papier lambda récupérée sur le plateau d'un serveur en n'y mettant pas autant de douceur que j'aurais voulu. « J'ai rien fait t'étais comme ça quand je t'ai trouvé. Ça vient de la part de la serveuse ou d'Amber, sûr de sûr. » ma main ébouriffe ses cheveux l'instant d'après, une énième tentative de jouer les gamines, les petites soeurs lourdes à ses côtés.

« Virginia, tu es à côté de ton père. Et Ezra… » à côté de moi, à côté de moi... « A mes côtés, comme c’est fabuleux ! » « J’ai payé le serveur pour qu’ils mettent nos prénoms à côté, j’avoue tout. » papa hausse un sourcil, Matt roule des yeux, maman rigole de plus belle et Jill est nowhere to be found. « Oh qu'il est charmeur. » « Maman tu rougis, c'est gênant. » et dégoûtant, qu'il aurait ajouté, s'il n'avait pas eu les prunelles désormais ancrées sur une silhouette au loin, une des filles des associés de papa qui a l'air d'avoir remarqué Matt elle aussi. « Matt, mon verre est vide. » « Et le mien est plein ahah - ohhhh. » ses mots se pressent en une blague nullissime qu ine fait rire que lui, quand lorsqu'il détourne la tête pour retrouver le profil d'Amber de ses prunelles rieuses il réalise qu'elle ne faisait que vouloir ravoir son attention en râlant, en rageant. D'ici la fin de la soirée elle explose en une féroce dispute, c'est acté.  

On nous sert une coup de blanc qu'instinctivement je pousse du doigt vers Ezra. Ce n'est pas la première fois qu'il prend mes verres en public, là on n'est pas louche du tout. Ce qui l'est par contre, c'est ce qui se passe sous la table. Jambes ballantes, j'ai depuis longtemps retiré mes escarpins tout sauf confortables pour laisser respirer mes orteils tachés Dieu sait comment de peinture. Mes orteils, donc, tapotant distraitement sur ce qui, de longues minutes durant, je prends pour une patte de la table où nous avons élu domicile. More on that later. Un serveur vient s'assurer que le vin nous va, amène du pain et autres entrées variées. Il a l'air blasé, lui qui ne nous accorde pas plus d'intérêt qu’à quoi que ce soit d’autre le distrayant de la scène de ménage qui se joue entre Matt et Amber et leurs regards assassins. Mais quand il lorgne vers le dessous de la table vite fait, qu’il secoue la tête de désapprobation, et qu’une seconde plus tard je regarde moi-même ce qu’il a bien pu voir, mon visage se tétanise, mes joues passent au corail ascendant homard. C’est pas le barreau sous mes orteils agiles, c’est pas la patte de la table sur laquelle je laisse mes pieds se balader, mais bien la jambe d'Ezra. « Désoléedésoléedésolée... je pensais que… la table- » personne n’aura jamais vu quiconque ramener ses jambes vers soi en un temps aussi record, et additionner le geste de la plus longue gorgée d'eau possible de prendre avant l’étouffement.

« Oh qu'il est charmeur. » Bien sur qu’il l’était, calcul parfait. « Maman tu rougis, c'est gênant. » Bien sur que ça l’était, mais le principal n’était pas ici à noter. « Matt, mon verre est vide. » « Et le mien est plein ahah - ohhhh. » Ca permettra de le remettre un brin dans le droit chemin, le garçon - et Ezra ne put s’empêcher d’avoir un petit rire amusé lorsque Matt vint attraper la bouteille de champagne, vint en verser dans le verre de sa compagne du soir, et dans ceux aux alentours sous le regard noir de sa mère et celui pas forcément plus aimable de son père. Là, le Beauregard faillit s’étouffer avec son rire à voir Matt dans cette situation - les seules personnes capables de le recadrer de la sorte le toisant avec intensité, il s’en délectait.

Les festivités furent lancées, et les serveurs se mirent à déambuler dans la salle. Aussi rapide que l’éclair, aussi discret que la brume. Désormais, les verres ne seraient jamais vides et les assiettes garnies à ne plus en pouvoir. Ginny vint paraitre avec son verre plein dans sa main un instant, et celui d’après elle vint le glisser en direction d’Ezra de l’autre côté de la table. Un échange rapide de regards entendus, alors qu’il décalait son propre verre pour accueillir celui de la demoiselle à ses côtés - habitudes bien ancrées. « N’êtes vous pas venus avec ta voiture, Ezra ? » La voix de Marianne portant parfaitement l’inquiétude en voyant les quantités d’alcool que son genre d’un soir se prêtait à avaler. « On rentrera en taxi. » « Depuis quand ? » Ah, il n’avait pas perdu sa voix, lui. « Depuis que je sais que je pourrais pas conduire ce soir en rentrant. » Les yeux de Matt étaient presque effarés et Ezra vint lui faire un geste de la main d’oublier, de laisser tomber - comme si c’était la première fois qu’ils en venaient à prendre cette option là; et puis, rentrer en taxi permettrait à Matt de repartir sans Amber si elle le dérangeait de trop avant la fin de la soirée.

Un couteau fut lever pour faire tinter un verre et un toast fut porté. Ezra n’y porta cependant pas une attention très vive étant donné que, sous la nappe, quelque-chose de bien plus intéressant se passait. Son regard vint se porter sur la jeune femme de l’autre côté de la table, qui ne semblait pourtant pas vouloir accrocher ses yeux. Etrange - ce n’était pourtant pas le comportement habituel de Ginny. Alors, il ne vint pas la lâcher du regard, attendant qu’elle réagisse réellement. Ce fut un regard du serveur en direction du dessous de table qui vint attirer son attention, alors qu’un sourire discret mais malin se glissait sur les lèvres d’Ezra. « Désoléedésoléedésolée... je pensais que… la table- » Oh qu’elle était adorable lorsqu’elle agissait de la sorte, Ginny. D’ordinaire, ils n’étaient que tous les deux lorsqu’un événement de la sorte pouvait arriver, mais qu’il subvienne en pleine foule était d’autant plus adorable aux yeux d’Ezra. Heureusement, personne ne semblait avoir remarqué quoi que ce soit, Matt et Amber en étant déjà à la guerre froide et les parents McGrath accaparés par le discours qui continuait son cours.

« Hé. » Lentement, discrètement et pourtant sans se cacher, Ezra vint poser sa main sur la table, côté Ginny, incitant du doigt la jeune femme à venir poser sa main dans la sienne. Les prochains mots qu’il vint prononcer furent si faibles, à voix si basse, que personne d’autre qu’elle ne pourrait les entendre. « Moi qui pensait que je jouais avec le feu tout à l’heure, tu aimes plus le risque que moi apparement. » Les deux vivaient dans le risque présentement, désormais. Les oreilles pouvaient trainer et les yeux se déposaient dans des lieux qui ne les regardaient pas - mais ce ne fut pas pour autant qu’Ezra s’arrêta. Les personnes susceptibles d’être réellement dérangées par la situation préféraient paraître et jouer le jeu du parfait acteur plutôt que de comprendre l’évidence sous leurs yeux. « Je… » Il allait dire quelque-chose, Ezra, il allait parler et finalement le discours fut fini et tous les McGrath vinrent reporter leur attention sur le centre de la table. Alors, retirant lentement sa main de la table, glissant ses doigts sur la nappe, il en profita pour attraper son verre au passage, alors que ses jambes venaient se déplier sous la table. Ainsi, lorsque Ginny se déciderait à toucher de nouveau terre avec ses pieds, leurs jambes pourraient s’entremêler et le contact entre eux ne cesserait.

L'univers en entier a arrêté de tourner et pas pour les raisons habituelles, quand mon regard croise celui d'Ezra et que je manque fort probablement de lui casser la cheville tant mon pied sursaute lorsqu'il comprend son entreprise. « Hé. » sa main trouve la mienne et les discours tout autour servent de parfaite acouphène, une trame de fond comme une autre. « Moi qui pensait que je jouais avec le feu tout à l’heure, tu aimes plus le risque que moi apparement. » sa voix est douce, elle calme. Mes doigts ont depuis longtemps commencé à tracer des lignes imaginaire contre la peau de sa paume, un décompte de minuscules secondes avant qu'on nous voit, avant que les autres captent quoi que ce soit. « Je… » « Tu? » bien attrapé Ginny, bien essayé. La moquerie qui ne sert à rien alors que le visage de Matt se tourne vers nous et que déjà la main d'Ezra s'en est allée. « Oh. » oh, ah oui, c'est vrai. On vit cachés.

« Alors Amber, comment se passent tes - études? » la condescendance dans la question de maman est si piquante que ma prise sur mon verre d'eau se resserre de suite. « Elle est en sabbatique, elle veut voir le monde.  » Matt lui, prend le relais, plus du tout excédé par son rendez-vous du soir maintenant que son index et son pouce font la course l'un avec l'autre au creux de la nuque d'Amber. Elle rigole et bat des paupières, ils sont l'enfer et je ne les voyais plus, ne les entendait plus du tout, mes pieds occupés à jouer avec ceux d'Ezra. « C'est vrai? » plus du tout, jusqu'à ce que mon frère mentionne les plans d'Amber qui de suite la rendent bien plus intéressante à mes yeux. Une année de pause, un voyage autour du globe. Mes yeux brillent de nouveau, ce serait mentir que personne ne le remarquera. « Ouaaaaaais j'ai prévu partir vers les États-Unis d'ici une semaine ou deux. » « Mon coeur est brisé. » et le mien manque un battement, pas à cause de l'ironie nullissime de Matt. Mais bien parce que mes prunelles attrapent celles d'Ezra au vol. Et si on partait nous aussi?

« Alors Amber, comment se passent tes - études? » « Elle est en sabbatique, elle veut voir le monde. » « C’est vrai ? » « Ouaaaaaais j'ai prévu partir vers les États-Unis d'ici une semaine ou deux. » « Mon coeur est brisé. » L’échange redevenant animé à leurs côtés, Ezra avait retiré sa main d’au travers la table, avait attrapé son verre au passage, s’était adoré de nouveau contre sa chaise. Il n’y avait plus le discours pour venir les plonger dans leur bulle un instant et déjà, elle lui manquait, la gamine de l’autre côté de la table, la gamine qui vint plonger ses yeux dans ceux du blond. Oh, il comprenait tout, même sans le moindre mot prononcé. Il avait vu et interprété le changement dans le regard de Ginny, la façon dont il brillait différemment désormais. Amber et Matt parlait de tour du monde et la jeune femme avait désormais une envie qui s’en approchait au maximum - et si on partait nous aussi ? Les lèvres d’Ezra qui vinrent se fendre doucement d’un sourire alors qu’il venait boire une gorgée de son vin pour ne pas que cela se remarque.

Et il aurait voulu lui répondre de suite, à Ginny, seulement on vint leur servir le diner dans mille et une assiette, les hors d’oeuvres s’enchaînant aussi vite que le nombre d’assiettes et de serveurs qui défilaient sous leurs yeux. Autour du troisième verre de vin, alors que Isaïah se levait, Ezra vint imiter ses gestes. « Je vous accompagne. » Ca le tuait de devoir retirer ses jambes de sous la table alors que celles de Ginny s’y entremêlaient et qu’ils avaient réussi à être discrets jusque là, mais la tradition l’obligeait. En fin de repas, Isaïah sortait fumer un cigare, Matt et lui l’accompagnaient. S’il ne respectait pas ça, la couverture d’Ezra risquerait d’être grillée. Il vint du bout des lèvres, sans un bruit, décrire un je suis désolée à Ginny avant de s’éclipser de la table et que la jeune femme s’efface de son champ de vision.

« La soirée est une succès, jusque maintenant. Encore merci Ezra d’être venu compléter ce tableau de famille, à dire vrai, Ginny et toi êtes ceux sur qui nous pouvons le plus compter ce soir. » Ce n’était pas nouveau, que le père McGrath vienne approuver le comportement d’Ezra alors qu’il toisait son propre fils du regard. Ce n’était pas nouveau et si d’ordinaire, cela venait arracher un petit rire moquer au Beauregard, aujourd’hui il se contenta d’un sourire gêné alors qu’il attrapait le cigare que lui tendait son soit-disant faux-beau-père. « Ce n’est pas bien compliqué, j’ai l’habitude d’être avec vous. » Matt ne disait rien mais Ezra le voyait bouillir à ses côtés, alors qu’il attrapait le troisième cigare qu’avait son père. « Tu devrais peut-être montrer aux deux plus grands comment on fait, alors. » Il regardait Matt désormais, Isaïah. « Jillian a encore disparu, Matthew. »

L'espace d'une poignée de petites minutes ridiculement trop courtes, c'est comme s'il n'y avait que nous et ça me suffit. Même pas besoin de parler, même pas besoin d'écouter non plus. Les discours se cumulent et les assiettes avec, j'en viens à me demander dix fois et dix autres quelle est la bonne fourchette et quel est le bon verre. Ezra lui, respecte l'étiquette comme si c'était lui et lui seul qui venait d'une famille aux idéaux bien trop pompeux pour que je m'y retrouve, moi qui ai encore de la peinture sous les ongles et au bout des mèches.

« Je vous accompagne. » je les vois, les cigares qui roulent entre les paumes d'un Isaïah fier comme pas un que le Beauregard le suive, Matt sur leurs talons. Je prétexte avoir entendue une blague absolument nulle d'Amber pour détourner la tête au moment où Ez passe à ma gauche, persuadée que si je croise son regard je serai incapable de rester pantoise sur ma chaise, préférant m'enfuir avec lui à la seconde où personne ne nous verra le faire.

« Je pense que j'ai des chances avec lui. »
« Hen? »
« Ezra. »
« Hen quoi? »
« Je pense que j'ai des chances avec lui. Tu surveilles mon sac le temps que j'aille le voir pour l'inviter à prendre un verre? »

J'y peux rien si j'écarquille les yeux suffisamment gros pour que ce soit à elle d'éclater du rire le plus faux que j'ai entendu depuis longtemps. J'ignore où elle se situe avec mon frère mais voilà qu'Ezra est devenu sa nouvelle cible, lui avec qui apparemment elle a des chances, lui vers qui elle se dirige après que j'ai pu articuler un bref « Oui, oui bien sûr. »  qu'elle entendra à peine dans son sillage. Amber est partie à la chasse, et maman roule des yeux, reprenant une portion de brandy avant de me chuchoter à l'oreille l'heure de mon couvre-feu. Elle s'envole elle aussi, me laissant seule à une table déserte.

Une table que je quitte finalement, le sac d'Amber sur l'épaule et le pas hésitant. Ils sont partis d'un côté alors je vais de l'autre, trouvant dans les dédales des couloirs bordant la grande salle une immense porte vitrée donnant sur ce qui semble être une terrasse privée. Un peu d'air, juste un peu, le temps de retrouver mes esprits loin de tout le monde. C'est la voix de Jill que j'entends hilare, heureuse. Elle qui résonne d'en bas, quand en ancrant mes mains aux rambardes et en me penchant à peine par-dessus je la vois qui court un étage plus bas, dans l'immense jardin bordant la propriété, son cavalier de malheur à ses trousses.

Jillian avait encore disparu et Ezra avait l’impression d’avoir déjà assisté des dizaines de fois à cette conversation. Elle disparaissait tout le temps, la soeur McGrath, c’était même sa spécialité. Elle le faisait tout autant pour profiter de la soirée que pour venir provoquer ses parents. Aujourd’hui, Ezra pouvait dire sans trop se tromper qu’elle le faisait pour les deux raisons à la fois et qu’une fois le moment passé, elle en serait fière et s’en vanterait pendant les deux prochaines semaines. « Elle retrouvera le chemin, t’inquiète pas. » Il en avait mis du temps à répondre à son père, Matt, tentant surement de se calmer un brin avant de dire quoi que ce soit - la suite de cette conversation, il la connaissait par coeur également Ezra. Et avant qu’Isaïah ne dise un mot de plus sur la jeune femme, le Beauregard s’autorisa à détourner la conversation. « Ils viennent d’où, ces cigares ? Je suis sûr que ça pourrait plaire à mon père. »

Et la conversation fila, un instant et un autre encore, autour des cigares, de leur origine et de s’ils étaient meilleurs que ceux de la dernière fois. Le contenu de la conversation importait peu Ezra, en réalité, mais il se devait de s’y accrocher. Le reste de la soirée en dépendait - en effet, si Matthew était de mauvaise humeur et qu’il décidait vouloir embarquer Ezra dans une aventure qui n’avait rien à voir avec le gala, ce dernier serait obligé de suivre pour ne pas ruiner sa couverture à Ginny et lui. Et c’était avec elle qu’il souhaitait terminer la soirée, non avec son frère. « Je vais aller serrer quelques mains. » Le père McGrath vint se retirer de l’équation, Matt gardait son tempérament, la soirée n’était peut-être pas fichue. « Viens, on va rejoindre les filles. » Il ne donna pas le choix à Matt, écrasant son cigare hors de prix dans le premier cendrier, se ruant presque dans la salle de bal.

Cependant, il n’eut pas le temps de revenir jusque la table le Beauregard, que quelqu’un vint lui barrer la route. « Amber ! Quelle surprise. » S’en était une, étant donné qu’ils ne pouvaient pas se voir en peinture et qu’elle était venue accrochée au bras de Matt comme une sangsue. « Ezra. Viens ! » Matt dut se croire fou lorsqu’il revint vers la table autour de laquelle ne se trouvait plus personne, tout le monde embarqué à droite et à gauche dans de nouvelles aventures - celle d’Ezra était, apparemment, de se faire kidnapper par une Amber pouffant à s’en casser les cordes vocales. « Il t’arrive quoi sérieux ? Matt est derrière, il me suivait pour revenir à la table. » Elle râlait déjà, levant les yeux au ciel. « Oui oui, Matt, on a compris, y’en a toujours que pour lui. » Elle vint ouvrir une porte, une fenêtre, une baie-vitrée - il avait du mal à suivre le mouvement tellement elle allait vite, Amber. « C’est avec toi que je veux parler, seuls. » Parler incluait donc d’avoir leurs lèvres collées ?

La nuit était belle. Y'avaient des tas d'étoiles qu'on arrivait facilement à voir tapisser le ciel, la température était parfaite et la salle où ils avaient organisé le bal de ce soir était assez entourée de nature pour que j'ai l'impression d'être à l'autre bout du monde. Ça me suffisait, un temps. Un temps suffisant pour reprendre un souffle normal, un temps suffisant pour ne pas oublier le pourquoi du comment de ce soir. Avec Ezra, c'était toujours compliqué, ce n'était jamais facile ; pourtant, une part de moi continuait éternellement à s'accrocher en se disant que ça valait la peine. Que de faire tout ceci et que d'endurer tout cela n'étaient que les bases d'une idylle qui un jour serait vraie de vrai. Un jour.

« C’est avec toi que je veux parler, seuls. » mais pas ce soir. Ce n'est pas à mon bras qu'Ezra apparaît sur la terrasse où j'étais depuis déjà plusieurs minutes que je n'ai pas comptées, ce n'est pas non plus à mes côtés qu'il viendra admirer les étoiles. Amber par contre, est en bien meilleure posture, elle qui fabule et elle qui jubile. J'ai à peine le temps de laisser échapper un « Oh. » précipité avant de trouver la première plante immense et décorative derrière laquelle je peux aller me cacher sans qu'ils ne me voient une seule fois. « Tu peux pas nier qu'il y a quelque chose entre nous deux, Ez. »

Elle est langoureuse, celle qui devait être avec Matt mais que je devine s'approcher encore un peu plus d'Ezra. C'est lorsque je discerne entre les feuilles ses bras se lovant de chaque côté de la nuque du Beauregard que je détourne la tête, yeux fermés. Ce n'est pas à moi de voir ça et ce n'est pas à moi d'être là, ce n'est pas pour moi non plus qu'il refusera. Elle est tellement plus drôle et plus belle que moi, elle est tellement plus audacieuse aussi, elle n'a rien de la gamine effrayée en permanence que je suis, faible petite poupée recroquevillée derrière des fleurs qui menacent de la faire éternuer à tout moment.

« Amber tu fous quoi là?! » et Matt apparemment, n'a pas fait dans la subtilité comme moi quand il apparaît furieux sur la terrasse. Ses accusations volent vers Amber et pas Ezra. La confiance qu'il lui porte me brise le coeur autant envers Amber qu'il stigmatise tout de suite comme la fautive, mais surtout envers moi pour lui avoir menti autant de fois déjà. « Ginny? » moi d'ailleurs, qu'il voit tout de suite, quand les deux autres avaient l'air de parfaitement pouvoir m'ignorer.

Tout avait été très vite, trop vite, et Ezra n’avait rien pu anticiper. Là où il s’était échappé d’Isaïah après que ce dernier soit allé fumer son cigarette plus loin avec d’autres personnes, là où Matt semblait même traîner la patte pour revenir à l’intérieur du bâtiment, il s’était fait kidnapper - il exagérait presque un brin - par Amber alors qu’elle l’avait intercepté dans son chemin pour retrouver Ginny. Le tenant par le bras, le faisant cavaler dans le dédale que représentait la lieu de réception du gala, Amber avait fini par le faire atterrir sur une terrasse à part, quelque peu plongée dans la pénombre, et par poser ses lèvres sur les siennes.

Quelle ne fut pas la surprise d’Ezra, lui qui n’avait pas compris un instant ce qui l’attendait - naïf, il était. Et là où tout autre homme sur terre aurait envié sa position, aurait payé peut être même cher pour avoir une femme comme Amber pendue à ses lèvres, le Beauregard ne désirait rien de tout ça. Les seules lèvres dont le goût lui manquait étaient celles de Ginny - Dieu merci elle n’était pas là pour voir cette horreur. « Amber tu fous quoi là?! » Deux secondes tout au plus s’étaient écoulées depuis le moment où la jeune blonde s’était jetée sur Ezra et l’instant où Matt s’était exprimé. Il avait dû les voir sortir de la salle de réception, et Dieu merci lui était là pour voir ça. Cela vint surprendre Amber, qui se recula d’Ezra comme si elle venait de se brûler les mains. Lui ne comprenait toujours pas ce qui se passait réellement, comment il avait pu se retrouver dans cette situation, mais était bien content de se retrouver à pouvoir respirer l’air libre de nouveau. « Ce n’est pas ce que tu crois... » Qu’elle commençait déjà a dire, Amber, marchant d’un pas rapide vers Matt alors que l’attention de ce dernier était concentrée ailleurs.

« Ginny ? » GINNY ?! S’il n’arrivait pas à remettre ses neurones en état de comprendre la situation jusque maintenant, Ezra revint à l’instant présent en un claquement de doigts, son regard cherchant la silhouette de la jeune McGrath la seconde qui s’en suivit. Il aurait voulu courir dans sa direction, se précipiter à ses côtés, aller la prendre dans ses bras et la couvrir de mots doux pour annuler l’horreur qu’elle venait de voir - et si son premier pas vers elle fut pressé, les autres furent ralentis pour ne pas gâcher leur couverture. Ce fut donc la mâchoire serrée et frustré de ne pas pouvoir agir comme il le voulait qu’il arriva aux côtés de la jeune femme et de son frère. « Ça va ? » Ses yeux qui venaient chercher les siens, qui voulaient s’y accrocher de toutes ses forces, qui voulaient la rassurer sans pouvoir prononcer les mots qu’il pensait.

« Elle est trop jeune pour voir des faux adultes se comporter comme ça. » Le rire de Matthew était présent, railleur mais pas tant faux que ça. Ezra pouvait facilement deviner la suite de sa conversation avec Amber et très honnêtement, il n’avait guère envie d’y assister - surtout qu’il n’avait rien à y faire. Se mordant l’intérieur de la joue d’avance en sachant la réponse qu’il allait donner, il vint étirer un petit sourire presque amusé. « Avec des frère et sœur comme les siens, elle devrait avoir l’habitude pourtant. » Pardonne moi Gin. Il vint, sans attendre un instant de plus à la suite de ses paroles, tendre une main en direction de la jeune femme pour qu’elle puisse s’y accrocher pour se relever. « Aller viens, on va laisser les faux-adultes parler entre eux. » S’il te plaît Gin.

« Ça va ? » entre la voix excédée de Matt, celle fluette de Amber et celle paniquée d'Ezra, il y a beaucoup trop de bruit pour moi. La tranquillité de la terrasse n'est plus, l'impression d'y être seule et de pouvoir y récupérer le plus d'air possible me semble particulièrement difficile à gérer maintenant et même si les prunelles d'Ezra sont vissées sur mon profil, c'est le regard de mon frère que je tiens au mieux. J'aimerais m'excuser de toutes les façons possible, j'aimerais tout lui expliquer comme tout lui confier, mais ma gorge se serre et les mots s'y bloquent, encore.

« Elle est trop jeune pour voir des faux adultes se comporter comme ça. »
« Avec des frère et sœur comme les siens, elle devrait avoir l’habitude pourtant. »

Qu'ils parlent de moi comme si je n'étais pas là m'horripile, mes doigts se triturent les uns les autres quand je vois les regards de chien de faïence qu'Amber nous attribue tous, elle qui tape du pied et elle qui a son rouge à lèvres étalé sur ses joues. Il était parfaitement en place il y a peu, et même si je n'ai pas vu la cause de son maquillage défait parce que j'étais bel et bien cachée derrière les plantes qui maintenant ne servent plus à rien, les pièces du puzzle s'alignent les unes aux autres lorsque mes iris dévient une seconde de trop sur les lèvres d'Ezra. Oh.

« Aller viens, on va laisser les faux-adultes parler entre eux. » j'hoche docilement de la tête, Matt me presse à quitter la terrasse avec Ezra comme s'il s'agissait en effet de la meilleure idée qu'on ait pu avoir en l'instant. S'il savait. En silence, je passe à ses côtés, suivant les pas d'Ezra jusqu'aux vestiaires où je récupère mon manteau et le reste de mes affaires. L'air frais n'est pas le même, n'est pas aussi salvateur qu'il l'était sur la terrasse. « Est-ce que tu peux me raccompagner chez moi s'il-te-plaît? » que je m'entendrai dire, usant de sa couverture d'escorte une dernière fois, ma silhouette postée à côté de sa voiture. J'ignore s'il a trop bu ou s'il peut conduire, en tous les cas je peux très bien nous appeler un taxi si c'est le seul soucis notable. Le seul qu'il me reste aussi, quand je nie lâchement tout ce qui a bien pu se passer au-delà de la façon abrupte dont la soirée s'est terminée. Même avec Amber il n'avait pas besoin de se cacher. C'est moi le problème, ça l'a toujours été.

Il vint lui tendre la main, il vint accrocher son regard au sien. Il ne voulait plus la lâcher, Ginny, alors qu’il voyait clairement qu’elle n’était pas dans le meilleur des états. Déjà que toute la soirée en elle même n’était pas son fort ni son aise, la tournure des événements récents n’engageait rien de bien meilleur. Alors, lorsqu’elle vint hocher la tête et attraper la main d’Ezra pour le suivre, le jeune homme se permit de laisser échapper un soupire quelque peu soulagé. Et, présentement, il n’en avait que peu de choses à faire si Matthew voyait sa réaction et la trouvait louche ou déplacée - de toutes façons, ce dernier était en train de les presser à la fois dans les gestes, la parole et le regard vers la sortie de la terrasse. Les deux tourtereaux ne se firent pas prier pour lui obéir, cette fois ci, au doigt et à l’oeil.

Il ne leur fallut pas plus de deux minutes pour quitter la terrasse, repasser par le vestiaire et atteindre la porte principale de la résidence. « Est-ce que tu peux me raccompagner chez moi s’il-te-plaît? » La voix de la jeune femme n’était qu’à peine perceptible, juste assez forte pour que quiconque y prêtant attention puisse l’entendre. Et Ezra, lui, y prêtait tout le temps attention. « On va appeler un taxi, viens. » Ses mots étaient doux et sa voix l’était plus encore, alors qu’il ne lâchait plus la main de la demoiselle, l’entrainant dans son sillage vers la zone dédiée à l’attente des taxis. Une des voitures était justement libre, et après une discussion rapide avec le chauffeur, le Beauregard vint ouvrir la porte à Ginny.

La nuit défilait sous leurs yeux, mais pourtant aucun d’eux n’avait pipé mot quand à ce qu’il s’était passé quelques instants plus tôt sur la terrasse. Ezra ne savait trop ce qu’elle avait vu et surtout ce qu’il y en avait à interpréter. Amber était venue fourrer son nez quelque part où ça ne la regardait pas, mais il connaissait suffisamment Ginny pour savoir que ce n’était pas rien à ses yeux - si jamais elle avait effectivement vu quelque-chose. Mais l’alcool et la fatigue n’aidant pas, les circonstances de la soirée ne faisant qu’ajouter une couche supplémentaire, et Matthew qui ne tarderait pas à appeler Ezra pour continuer la soirée ailleurs, il préféra ne pas entamer cette discussion de suite, se contentant de respecter le silence dans lequel s’était murée Ginny, traçant des cercles sur le dos de sa main avec son pouce. Lorsque le taxi vint se garer devant la propriété des McGrath, juste avant que la jeune femme ne vienne en descendre, Ezra attrapa délicatement son visage du bout des doigts pour venir déposer un baiser léger, rapide, presque chaste, sur ses lèvres. « C’est tout ce qu’il y a à savoir. » Ils discuteraient plus tard, lorsque l’instant ne serait qu’à eux et à personne d’autre menaçant de les interrompre.