Nuit noire, paisible, une nuit pleine d'étoiles. S'il n'y avait aucun nuage à l'horizon dans le joli ciel de Brisbane, il n'en était pas de même dans la maisonnée des Decastel. Quatre heures du matin, pleurs audibles et fatigue extrême, Tim n'avait pas fermé l'oeil depuis vingt quatre heures, les jumeaux se relayant pour ne pas lui laisser une minute de paix. Plus de maman dans le décor et il la méprisait pour cela parce que Timothy était convaincu que c'était ce que les jumeaux souhaitaient, leur mère. Ils avaient mangé, ils les avaient changé, lavé, chanté mille berceuses, joué mille scènes idiotes mais il n'y avait plus rien qui faisait effet. Si l'un des des deux petits s'assoupissait, le second se réveillait en trombe, à tel point que Tim dût les séparer et ne pas les faire dormir dans la même chambre. Le père était exténué et ses mains tremblaient alors qu'il tentait pour la centième fois de la soirée d'apaiser Willow, elle qui était si calme habituellement. Gabriel, lui, faisait une pause et Tim l'espérait longue, vraiment. Raté. Des hurlements dans la pièce voisine et il se sentait vaciller, complètement lassé par cette situation difficile à gérer tout seul. Charlie, tout cela, c'était de la faute de Charlie, de son égoïsme constant, de son envie de profiter des autres jusqu'à ne leur laisser rien d'autre que de la peau sur des os. Elle était comme un vampire, tuant tout ce qui avait de la vie et un tant soit peu de valeur et Timothy ne pouvait plus la voir franchement comme celle qu'il avait chéri il fut un temps. De toute évidence, il n'était même plus en mesure de ressentir autre chose que de la colère, portant Willow jusqu'à son berceau alors qu'il sentait un vertige le prendre. L'angoisse, la voilà qui revenait et le poing de Timothy attrapa son tee shirt alors que son autre main passait dans ses boucles indisciplinées dans l'espoir de conserver un quelconque contact avec la réalité. La vérité était terrifiante à constater mais le fait était là, Tim n'y arrivait plus mais la nuit grondait encore partout autour des toi Decastel et il était sans solution. Il tint le coup autant qu'il put, respirant difficilement, sentant des larmes couler le long de ses joues, réflexe nette de son stress mais il les ignorait toutes. Tim prépara toutes les affaires, réussit tant bien que mal à mettre les enfants braillards dans la poussette et s'élança jusqu'à Too Wong. Il s'en voulait par avance d'accourir vers Heïana en plein milieu de la nuit mais il savait qu'elle ne travaillait pas le lendemain, cela rattrapait un peu, non? Il dût s'arrêter deux fois sur le chemin pour reprendre son souffle, atterrissant bien des minutes plus tard dans le couloir pour toquer à la porte de la brune, Willow se faisant entendre dans toute la cage d'escalier alors que Tim murmurait des "chut" parfaitement inutiles. Il n'aurait même pas eu besoin de sonner vu le bruit qui résonnait mais le brun le fit quand même, voyant la porte s'ouvrir sur Heïana. "Ils dorment pas, Heï'. Ils dorment plus. Charlie les a abandonnés, ils le savent et ils s'en remettent pas. Je sais plus quoi faire, je... Je voulais pas t'embêter au beau milieu de la nuit, je..." Plus aucun mot n'arrivait à passer ses lèvres, juste des tremblements alors que Timothy se tenait à la porte, proche de l'évanouissement mais une part de lui était soulagé car Heïana était là et tout allait instinctivement mieux quand c'était le cas. Son ange gardien.
Ah ! Un sursaut, une goutte de sueur le long de la tempe droite. Des yeux écarquillés, un coeur battant à tout rompre. Des bras tendus, mains posées à plats sur les draps du lit. Un corps assis plutôt qu'allongé, mais dans une position ne laissant pas planer le doute : dix secondes plus tôt encore, Heïana était plongée dans un profond sommeil. Ça faisait longtemps, tiens... marmonna-t-elle en passant une main sur son front, ses yeux, jusqu'à ses lèvres, légèrement tremblante. Un cauchemar. Rien de grave en soi, ni d'insurmontable; juste très désagréable. Au vu du contenu de celui-ci, la brune n'avait plus qu'à se lever; elle ne se rendormirait pas de sitôt. Allumant la lumière la plus tamisée de sa chambre, la demoiselle soupira et s'étira longuement, tentant de reprendre totalement le contrôle d'elle-même et d'oublier ces images traumatisantes. Un café ne fera pas de mal, se dit-elle à haute voix. Seule, elle avait tendance à discuter avec elle-même. Marque d'intelligence, diraient certains; de folie, se récrimineraient d'autres; rien d'étonnant, supposeraient la majorité. Qu'importe; elle ne changerait pas ses habitudes ni sa manière d'être. Habillée d'une simple nuisette de satin blanc tranchant avec le caramel de sa peau, Heïana quitta ses draps devenus moites. Elle les changerait le lendemain. La brune passa dans la salle de bain pour se rafraîchir rapidement d'un gant d'eau bien froide, puis une fois séchée, elle ajouta une fine robe de chambre noire aux manches dentelées sur les poignets, histoire de ne pas tomber dans l'excès inverse à la chaleur. Sur cela, elle partit dans la cuisine faire couler ce café bien mérité.
Alors que le bruit apaisant du liquide amer coulant avait permis à la maïeuticienne de se poser quelques minutes avec rien d'autre à écouter que cela, son attention fut attirée par des bruits étranges, en provenance de la rue. Au début, elle crut que c'était son imagination qui lui jouait des tours. Pourtant, le tapage se rapprocha... Des pleurs de bébés ? Comment était-ce possible ? De ce qu'elle en savait, ses voisins n'avaient pas d'enfants ! Inquiète, elle ferma son déshabillé à la taille, par la ceinture douce dont il était paré, et se leva de sa chaise, alors que la cafetière finissait juste son oeuvre. Elle s'approcha de sa porte d'entrée, quand elle entendit frapper. Quatre heures du matin... Qui cela pouvait donc être ? Moins méfiante qu'il ne le faudrait, peut-être, la Tahitienne ouvrit. Tim ! Souffla-t-elle, étonnée de le voir sur le perron. A la lueur de la lumière du séjour passant par la porte désormais totalement ouverte, le jeune père semblait épuisé. Les deux petits dans leur poussette ne cessaient de pleurer. Les mots sortirent alors, flopée de désespoir et de fatigue entre les lèvres du Decastel. Heïana fronça une seconde les sourcils, totalement abasourdie par les nouvelles qu'il lui transmettait. Charlie aurait... abandonné ses propres enfants ?! L'heure n'était pas aux questions cependant; le brun n'était pas en état. La brune se décala d'un pas vif : Entre, je t'en prie. Elle referma la porte derrière lui, et s'approcha. Il semblait à bout de nerfs et de résistance physique, ce qui était beaucoup dire. Ses mains restaient crispées sur la poignée de la poussette. Heïana déposa ses doigts sur les siens. Lâche, Timothy. Je suis là. Ça va aller. Il semblait vraiment dans un état second. Délicatement, elle décramponna son emprise et passa un bras dans son dos. Viens t'asseoir. Elle le guida jusqu'à la chaise la plus proche, les petits pleurant toujours autant. La brune se dirigea instantanément vers eux, remerciant le ciel qu'ils n'aient pas réveillé Moana, qui ne se trouvait pas à la maison cette nuit-là. Quoi qu'une paire de bras supplémentaire n'aurait sûrement pas été de trop. Qu'importe. La jeune femme prit l'énorme sac d'affaires des enfants sur son épaule. Je reviens, rassura-t-elle le brun, alors qu'elle prenait la poussette avec elle pour la diriger à travers les couloirs de son intérieur. Heureusement que la maison avait une troisième chambre. Là, elle y déposa les jumeaux, qui s'époumonaient. Cela lui déchirait le cœur de les laisser pleurer, mais s'ils n'arrêtaient pas depuis des heures, il ne s'arrêteraient pas de suite, quoi qu'elle fasse. Or, Timothy avait besoin d'elle. Alors elle allait s'occuper de lui avant de gérer les petits. Elle laissa donc les enfants, tout de même confortablement allongés dans leurs landeaux roulants, ainsi que le sac de fournitures, dans la chambre, et referma la porte derrière elle. Merci la bonne isolation phonique.
Revenant d'une démarche rapide au séjour, elle sortit deux tasses du vaisselier et les remplit de café. Elle les déposa sur la table, avec du lait et du sucre à disposition. La brune rapprocha un des mugs de son amie. Tiens, bois. Ça ne pourra que te faire du bien... Il faisait peur à voir. Un teint pâle, des cernes de trois kilomètres de long, le sillage séché de larmes, sûrement dues au stress, les yeux rouges. Tu as bien fait de venir, murmura-t-elle en posant une main sur un de ses genoux, dans un geste de sollicitude. Elle ne lui demanda rien de plus; s'il voulait parler, il déballerait tout de lui-même. Sinon, elle aviserait en fonction de ce qu'elle pouvait percevoir de son état. Soucieuse, elle ne le lâcha pas du regard, même en prenant sa tasse de café et en buvant une première gorgée.
Il n'y avait aucun désespoir plus profond que celui d'un parent ne trouvant plus la moindre solution pour veiller au bien-être de ses enfants. Tim avait passé des heures auprès d'eux, à donner tout ce qu'il pouvait pour les réconforter mais les bébés étaient beaucoup trop agités pour s'intéresser au moindre fait et geste de leur papa. Decastel ne pouvait que s'avouer vaincu après une nuit sans sommeil, à gambader à droite à gauche à travers l'appartement pour trouver le jouer parfait qui les calmerait sans qu'il n'ait encore à s'époumoner pour obtenir une seconde ou deux de silence. Quête vaine, qu'il dût finalement abandonner pour se rendre à l'évidence: cette nuit, au moins, il avait besoin d'aide car Tim n'était pas un super héros, il était à peine un ancien soldat avec ses quelques semaines de formation et elles n'avaient rien été à côté de deux bébés parfaitement enragés. Il aimait ses enfants de tout son coeur et c'était sûrement pour cette raison que son âme était brisée à ce moment-là, sentant son impuissance face à la situation. Heïana saurait aider, Heïana savait toujours quoi faire. S'il avait été dans son état normal, Timothy aurait sûrement tenu le coup encore un peu car il était hors de question de venir déranger son amie à des heures aussi indécentes. Et si elle était occupée? Si elle avait renoué avec son ex-mari? Tant de scénarios étaient possibles et Decastel n'en avait pensé à aucun, complètement obnubilé par cette recherche de silence. Sonner à la porte de le brune devait être son salut mais Tim ne répondait plus de grand chose, bégayant une semi explication, sans forcément faire attention au fait que sa main restait fermement accrochée à la poussette, la seconde posée contre la porte dans un espoir fou que la tempête au fond de son corps se calme. Ce n'était pas le cas, les petits n'arrêtaient pas mais le français sentit la main de Heïana se poser contre la sienne, l'invitant à lâcher du lest, à sûrement arrêter de se faire mal aux phalanges car Tim, dans ce genre d'états, ne ressentait plus la douleur physique. Il avait parfois des crampes abdominales terribles comme tantôt, des nausées mais le reste des signes vitaux ne lui répondait plus. Il ne put que suivre Heïana, clopinant entre deux frissons au creux de son échine, s'asseyant en sentant tout son corps lui demander de gigoter. Il perdit le fil, se ranimant uniquement quand il n'entendit plus le son d'aucun pleur. "Ils sont où? On peut pas... Faut pas les laisser pleurer, ils ont besoin..." D'un père vivant? Certainement, Tim, mais il n'était pas en mesure de rester totalement cohérent, la fatigue prenant le pas sur n'importe quelle pensée qui aurait eu du sens. Heïana était là,lien tangible avec la réalité et ses yeux si bleus se posèrent vers elle lorsqu'elle eut un geste rassurant contre son genou en lui présentant une tasse de café. Timothy s'en saisit, tremblant et risquant à tout moment d'en renverser sur sa peau. "Je voulais pas... Te déranger avec tout ça." Il ne voulait jamais déranger personne, une larme roulant le long de sa joue, il était usé par les événements, le trentenaire mais il savait qu'il ne pouvait pas continuer sur ce chemin. "Et si c'est moi qui les fait pleurer?" Lui, leur mère, peu importait les raisons finalement. "S'ils arrêtent jamais de pleurer? Je vais rien pouvoir faire, je peux pas faire revenir leur mère. Et je crois que je le veux même pas. Elle avait pas le droit de les briser, pas eux." Peut être qu'une part de lui ne le voulait pas d'ailleurs alors que Timothy fondit tout bonnement en larmes, sans chercher à contenir quoique ce fut car la fatigue avait eu raison de lui. De tout ce en quoi il avait jamais cru. Il avait changé et il avait peur, là, il avait juste besoin de Brook.
Si elle n'avait pas eu un tempérament lui permettant de faire face à des situations de crise, Heïana en aurait pleuré. Voir son ami dans un tel état lui brisait le coeur. Hagard, totalement désorienté, exténué et angoissé, le brun n'avait plus de pensée véritablement cohérente. Dans une telle condition, il n'aurait de toute façon pas pu s'occuper des jumeaux correctement, et ça avait été la meilleure idée qu'il eut pu avoir de venir trouver Heïana. Celle-ci avait déjà pu être témoin de bien des choses horribles survenues chez des parents pour qui on ne l'aurait pourtant jamais parié. Baby blues, syndrome post-partum, adultes au bord du gouffre, cas de bébés secoués... Alors oui, en tant que jeune papa, et encore plus isolé comme il l'était, avec la nouvelle qu'il venait d'apprendre, le mieux était encore d'appeler à l'aide une personne proche. D'ailleurs, le brun s'inquiéta automatiquement de ne plus entendre les vagissements de ses deux tornades, dont l'état émotionnel n'avait clairement pas arrangé celui de leur père. Ne t'en fais pas pour les petits. Je les ai installés dans la chambre d'amis. J'irai les voir après, et je m'occuperai d'eux. La voix d'Heïana restait ferme, car ce dont avait besoin de Timothy en cet instant, c'était d'assurance, d'un soutien, d'un pilier solide à ses côtés. Alors la maïeuticienne ne pouvait défaillir, quand bien même le chagrin du libraire la touchait en plein coeur. Elle lui tendit une tasse bien chaude d'or noir, qu'il prit en tremblant mais sans même y tremper les lèvres. Le trentenaire en avait gros sur la patate, et avait besoin de le faire sortir. Heïana était là, prête à l'écouter, à lui répondre aussi. Elle serait le réceptacle de ses pensées les plus noires, l'oreille attentive au tumulte de ses ressentis et de ses maux, et la réplique à l'ego du brun qui ne chercherait qu'à le faire descendre plus bas qu'il ne l'était déjà. Tu sais bien que tu ne déranges pas, répondit d'ailleurs la Polynésienne d'un ton prévenant. Quelques mois plus tôt, elle lui avait dit que son rôle de marraine des enfants, et d'amie par la même occasion, ne se cantonnerait pas qu'à leur acheter des cadeaux. Or, ce que la brune disait, elle le respectait. Elle n'était pas du genre à dire des paroles en l'air. Je te le redis, tu as bien fait de venir là. Je suis même contente que tu aies pensé à moi. Après tout, quelle preuve plus marquante de sa confiance envers elle que celle-ci ? Bon courage pour en trouver une. On s'était promis d'oser, tu te rappelles ? S'appeler. Se voir. Ne plus s'effacer, d'autant plus si on a besoin de l'autre. Et tu l'as fait. C'est bien, Tim. Tu as bien agi. La jeune femme l'abreuvait de paroles positives, pour panser même un tout petit peu son coeur si malmené, piétiné, poignardé, brisé. Elle ne pressentait que trop bien la chute qui allait suivre; le brun ne pourrait pas supporter longtemps la pression ressentie avant d'éclater dans son désespoir, et Heïana ne pouvait le lui reprocher. Seulement, avant que cela n'arrive, avant qu'il ne soit trop plongé dans son malheur pour entendre quoi que ce soit de mélioratif, elle essayait de le raccrocher à tout ça. A ce qu'il lui semblait être de petits riens, mais qui n'étaient que des actes supplémentaires montrant sa capacité à faire au mieux, quoi qu'il arrive.
L'effondrement fut des plus brutaux, effectivement. Ne dis pas ça, Timothy, trancha Heïana peut-être un peu plus durement qu'elle ne l'aurait voulu, lorsqu'il demanda si c'était lui qui faisait pleurer ses enfants. Elle ne voulait pas le blesser plus, mais il était hors de question qu'il nourrisse de tels doutes à son propre égard. Tu es un père merveilleux, et si les petits pleurent, ce n'est pas de ton fait, ajouta-t-elle d'un ton plus doux. L'instant suivant amena la fin de l'écroulement de Tim, qui parla à demi-mots de Charlie, lui reprochant d'être partie, mais se morigénant lui-même de ne pas pouvoir la ramener, et de ne pas le vouloir en fait. Il éclata en lourds sanglots, convulsant presque sous la violence de ses pleurs. Oh, Tim... murmura Heïana, sentant sa propre gorge se serrer. Elle posa sa propre tasse sur la table, avant de venir s'emparer de celle du brun, à laquelle elle réserva le même sort. Quand ils furent tous les deux libres de quelque objet que ce soit, elle se rapprocha de lui. Pour être au plus proche, car il en avait besoin, elle resta debout mais se mit au-dessus des jambes de l'ancien soldat, prenant doucement sa tête entre ses mains pour l'amener jusqu'à elle, jusqu'à son abdomen, où il pouvait se nicher et pleurer tout son soul. Elle le garda serré contre elle, longtemps. Restant un moment totalement immobile, la brune commença à jouer avec les boucles de Decastel, à passer ses doigts sur sa tête, à masser le haut de sa nuque, pour l'amener petit à petit à plus de calme. Shhh...
Il n'avait pas anticipé sa détresse, pas ainsi en tout cas. Après tout le travail que Tim avait effectué ces dernières semaines pour se remettre définitivement sur pied et ne plus jamais avoir à dérailler à cause de ses vieux démons, il s'avérait que le résultat n'était pas encore à la hauteur de tous ses espoirs. Au fond, la logique était respectée: dans un contexte pareil, comment aurait-il pu envisager une autre issue? Voilà des semaines que Decastel luttait contre les éléments qui s'acharnaient sur lui, faisant passer les enfants avant tout le reste et bien entendu, avant sa relative santé. Timothy arrivait sûrement au bout de sa force légendaire, il s'en remettrait néanmoins, il le faisait toujours. Pour le moment, ce qu'il lui fallait, c'était relâcher tout, ouvrir les vannes et croire que tout irait pour le mieux par la suite car il n'était pas seul pour une fois. Il pouvait compter sur Heïana, bien évidemment qu'il pouvait compter sur elle, la jeune femme lui assurant fermement qu'il était tout à fait à sa place parce qu'ils se l'étaient promis tous les deux, de se voir et d'agir pour qu'ils se sentent bien. Là, justement, Tim avait besoin de sa présence, il avait tout simplement besoin d'elle, comme il avait pu l'énoncer à Kapooka alors qu'il la regardait et l'admirait pour tout ce qu'elle était capable d'offrir à autrui, sans jamais rien attendre en retour. Tim, lui, ferait en sorte de tout lui apporter, dès qu'il serait de nouveau sur ses pieds, il ferait de la jeune Brook une de ses priorités car elle le méritait amplement. Pour l'heure, il ne pouvait que hocher la tête alors que Heïana trouvait les mots justes pour lui préciser qu'il n'avait pas à tout faire tout seul, qu'il n'était pas le pire père de ce siècle et que tout finirait par s'arranger. Toute cette compassion, cette force émanant d'elle, c'était le signe tout trouvé pour que les vannes s'ouvrent justement, que les sanglots débutent et qu'ils ne puissent plus cesser. Timothy laissa les larmes s'échapper, sentant son corps se relaxer au fur et à mesure alors que la brune se rapprochait de lui, posant sa tête contre son ventre en massant sa chevelure en bataille. Les bras de Tim entourèrent le corps de Heïana alors qu'il se laissait pleurer. Combien de temps? Il n'en savait rien. Est-ce que cela avait une quelconque importance? Pas vraiment. Ce qui en avait par contre, c'était de sentir la respiration de la belle brune, ses doigts pouvant relâcher peu à peu leur crispation pour que ses paumes s'ouvrent contre le dos de la sage femme, son visage rougi se relevant vers celui de Heïana. Il l'observait et il savait ce qu'il pensait à ce moment-là, il savait à quel point il était chanceux d'avoir rencontré cette belle brune au tempérament si doux et il remerciait le ciel pour tout cela. Pour cette affection qu'il lui vouait toujours un peu plus. "Merci, ça va aller, je crois... Je vais éviter d'en faire une habitude de m'effondrer devant toi." Elle méritait sa joie aussi, comme la dernière fois alors qu'ils avaient joué comme des enfants. Il s'écarta d'elle délicatement, sans la lâcher des yeux, se relevant finalement sur ses jambes flageolantes mais Tim était plus fort, son corps allait mieux maintenant. "Ils sont où? Tu veux bien m'aider à les faire dormir? Après, je reste pas dans tes pattes et je te laisse dormir, promis..." Il avait un sourire désolé sur ses traits alors qu'il remettait une mèche de ses cheveux en place, venant baiser la joue de Heïana en guise de remerciement, gêné. Il ne savait pas comment se comporter autrement, encore moins comment faire pour qu'elle comprenne à quel point il lui était reconnaissant. Pour l'an dernier, pour maintenant. Pour tout ce qu'elle était et qu'il appréciait. Sans limite.
Le monde ne semblait être certains jours que tristesse et déception. Pourquoi un homme aussi gentil que Timothy devait traverser tant d'épreuves et de souffrance ? Heïana y pensait distraitement, en arrière-plan de ses idées, alors que ses doigts passaient dans les boucles brunes du jeune homme. Croyante, elle osa espérer qu'il ne s'agissait que de difficultés laissées par Dieu sur le chemin de vie du trentenaire pour ne le rendre que meilleur au final. Pourtant, sans vouloir blasphémer, elle trouvait cette situation profondément injuste. Voir les lourdes larmes rouler sur ces joues d'albâtre l'attristaient profondément et la blessaient plus que de raison. Le brun faisait partie de ses plus proches amis après tout, et ce qu'elle qu'avait pu être la distance insinuée entre eux pendant près d'un an. Depuis qu'ils s'étaient retrouvés, pas une semaine n'avait passé sans qu'ils ne se téléphonent, s'envoient des messages ou ne se rencontrent. Alors oui, la détresse de Timothy la touchait, énormément. Alors que ses mains pressaient sa nuque avec autant de douceur que de sollicitude, ses pensées devinrent vers Charlie. Comment pourrait-on être aussi... irresponsable et cruelle à la fois ? Les mots, forts, méritaient tout à fait leur place dans l'esprit pensif d'Heïana. Par son travail, elle en avait vu des situations loufoques, terribles et incroyablement douloureuses pour les parents, enfants et proches concernés. Cela restait extrêmement différent de l'observer d'un point de vue extérieur et de le vivre. La Tahitienne en faisait l'expérience à cet instant même. Tentant avec toute sa volonté de panser les plaies du coeur à vif de Timothy, elle ne pouvait s'empêcher de se sentir particulièrement désemparée. Alors oui, irresponsabilité et cruauté étaient les bons mots. Autant envers Tim que pour les enfants. Pauvres petits... Pour métisse ayant du prendre la tutelle de sa cadette dans l'urgence, considérant qu'élever Moana était sa responsabilité, et même plus encore : son devoir. Alors abandonner la chair de sa chair, le sang de son sang... surtout après avoir décidé de les garder. Heïana avait vraiment du mal à le comprendre et à l'accepter.
Ses réflexions n'en resteraient cependant qu'à ce stade pour l'instant. Il fallait parler au plus urgent, et en l'occurrence, il s'agissait de Timothy et de ses enfants. D'ailleurs, après un moment qui sembla aussi court qu'infini, l'homme se retira des bras de la maïeuticienne qui se recula alors d'un pas, détestant de ses doigts l'épaisse chevelure dans laquelle ils jouaient. Je préfère quand tu me souris, c'est certain. La demoiselle le regarda avec intensité. Mais je serai l'épaule sur laquelle tu pourras pleurer aussi souvent que tu en ressentiras le besoin. Ne t'en prive pas pour une question de honte ou de gêne. Il n'y avait pas besoin de ces considérations entre eux, et chacun le savait en son for intérieur. Elle posa, une seconde, un doigt sur les lèvres du brun alors qu'il promettait de la laisser en paix une fois les jumeaux endormis. Ainsi lui intimait-elle un silence qui se voulait propice à l'apaisement. Son index glissa pour que de sa main, Heïana prenne celle de Tim. Suis-moi. D'un pas lent et léger à la fois, elle le mena jusqu'à sa propre chambre. Tu me fais confiance ? Demanda-t-elle en se tournant vers lui. Si c'est le cas, alors va te coucher. Tu en as besoin. Je vais m'occuper de Gabriel et de Willow. Il leur faut un père reposé. Tant bien que mal, la brune saurait gérer les petits les heures à venir, jusqu'à ce que le libraire soit réellement en état de pouvoir répondre à leurs besoins. Elle ne le forcerait pas, pour autant, et main encore liée à celle du brun, elle attendit son assentiment pour quitter les lieux pour rejoindre les chérubins.
Tant de souvenirs le dépassaient. Tim n'arrivait pas toujours à chasser les images qui prenaient possession de son cerveau et le rendaient nauséeux alors, il se retrouvait à faire les cent pas, cherchant la moindre distraction pour ne pas avoir à s'y confronter mais que gagnait-il? D'intolérables insomnies, de celles qu'il ne pouvait plus se permettre d'avoir maintenant qu'il avait deux enfants à élever. Forcément, tout ceci ne faisait qu'agrémenter sa haine envers lui-même car Rome ne s'était pas construite en une seule journée, tout comme lui ne pouvait pas faire disparaître plus d'une décennie de traumatismes en une seule nuit. La frustration ne faisait donc que grandir ces dernières semaines et la disparition de Charlie n'avait rien arrangé au problème car, désormais, Timothy n'avait plus aucun coup de main. Il était le seul capitaine du navire et le lot de responsabilités qui lui incombaient paraissait beaucoup plus lourds également. Néanmoins, il avait de la force de caractère, l'ancien soldat, sinon comment aurait-il survécu à sa mère, à Kapooka, à tous les mots vicieux qu'on lui avait dits? Il n'aurait pas tenu plus d'une minute mais il était encore là, campé sur ses deux jambes, à donner le meilleur de son âme pour les quelques personnes qui avaient encore de l'importance à ses yeux. Ce soir-là, il fléchissait, comme tant d'autres l'avaient fait avant lui et tant d'autres le feraient à sa suite mais Decastel s'en relèverait cette fois encore, pas seul cela dit. Heïana était celle qui lui permettait de se remettre debout, encore un peu faible mais victorieux. Elle lui confirmait ce qu'il savait déjà en un sens, qu'il pouvait compter sur elle, qu'elle répondrait toujours au moindre appel, à n'importe quelle heure parce que c'était Heïana. Il ne pouvait pas la décrire aussi merveilleusement que par son simple patronyme car aucun mot n'était suffisant pour définir tout ce qu'il pouvait penser d'elle, ce moment là encore plus que les autres parce qu'elle le sauvait. Encore et toujours. Obstinément. Sans sourciller. Voilà la femme qu'elle était, avec une force incroyable et une douceur que Tim ne trouverait nulle part ailleurs. "Merci. Tu sais que la réciproque est vraie, hein?" Qu'il serait là, n'importe quand. Cette proposition n'avait l'air de rien car le pauvre brun ne lui avait pas été d'une grande utilité en un an mais il comptait bien s'améliorer sur la question. En attendant, il était celui à qui elle tendait la main et il la prenait, la suivant sans rien dire. Tim aurait pu protester, évidemment, mais toute force de caractère semblait le quitter maintenant que sa crise se retirait peu à peu. Après quelques mètres de marche, Heïana lui présenta sa chambre, lui intimant de se reposer pendant qu'elle maîtrisait les pleurs des jumeaux. Timothy conserva sa main dans la sienne, se crispant instantanément, il savait très bien pour quelles raisons. "Heï... Je peux pas dormir." Il se retourna clairement vers elle, sa main toujours calée dans la sienne, son regard brillant des pleurs de tantôt encore vivaces dans ses jolies prunelles. "J'aimerai. Vraiment. Je te fais confiance avec les enfants, c'est pas ça..." Il anticipait sûrement une réponse, apeuré qu'il était mais il n'était que fragilité ce soir-là. "Les cauchemars, ils sont... Vivaces depuis quelques temps. Je revis tout, dans les moindres détails et c'est normal, d'après la thérapeute, c'est une phase sauf que... J'ai mal, tu vois, quand je me réveille en panique et... J'ai peur. De pas me réveiller." Comme si c'était le coup de trop, l'humiliation de trop, la fin de son existence. "C'est ridicule, pardon. Je peux m'occuper des petits, je t'assure." Ou éviter le pire, ne pas se confronter au mal être, Tim était fort pour cela, ses doigts caressant la main de Heïana par réflexe, pour se rassurer autant que par besoin. Quand allait-il cesser d'avoir honte de lui-même?
Je n'en doute pas, répliqua la brune avec un petit clin d'oeil complice. Elle avait beau eu plus des airs de pilier que de princesse éplorée dans leur relation jusqu'alors - quoi que le trentenaire avait su être l'épaule sur laquelle pleurer il y avait peu de temps - Heïana ne pouvait que croire en la capacité de son ami à être à ses côtés. Il traversait une passe difficile, et il aurait été injuste de lui reprocher une quelconque inaction ou un soutien incertain. Le but, cette nuit-là, ne pouvait qu'être de le rassurer, que ce soit dans son rôle de père comme dans celui d'ami. En proie aux mille incertitudes liées aux démons de son passés et aux soucis de son présent, Timothy ne pourrait pas encaisser des reproches en plus du reste. De toute façon, la Polynésienne ne voyait bien ce qu'elle aurait bien pu lui imputer, quoi qu'il en pensât lui-même. Alors qu'elle venait de le mener dans sa chambre en lui demandant de s'y reposer, l'homme lui confessa qu'il ne pouvait pas dormir. Comment cela ? Demanda-t-elle avec circonspection, alors qu'il avait un peu crispé la main qu'elle tenait. Était-il si épuisé que le sommeil ne viendrait pas, ou était-ce autre chose ? Heïana ne tarda pas à recevoir une réponse. Tourmenté, l'homme aux yeux les plus beaux au monde ne connaissait nul repos, ou pas de véritable. ... Je ne peux pas vraiment comprendre, ni imaginer ce que tu ressens, amorça la jeune femme. Pourtant, à peine eut-elle prononcé ces quelques mots qu'il s'excusa, traitant ses angoisses de "ridicules". Il n'y a rien d'absurde, Tim. Et tu as encore moins à te condamner pour ça. La jeune femme martelait cette vérité, une fois de plus, inlassablement. Elle le ferait, sans lâcher l'affaire, jusqu'au jour où enfin, le brun se révélerait pleinement et cesserait de se considérer d'un œil aussi critique. La Tahitienne le mena jusqu'à son lit, et l'y fit s'asseoir, délicatement, en le faisant basculer, posant le bout des doigts de sa main libre sur son épaule. On va aller chercher les petits, revenir s'installer ici et on va s'en occuper ensemble. Mais si jamais tu te sens le besoin de dormir, alors tu te laisseras partir, je serai là pour Gabriel et Willow. On a un deal ? Il s'agissait là de l'option la plus conciliante que pouvait lui proposer Heïana. La maïeuticienne ne voulait absolument pas qu'il se sente mis de côté, exclu tel un être minable qui ne saurait gérer sa progéniture. Non, tout sauf ça, ce serait le pire schéma envisageable. En revanche, il avait besoin de repos, de toute urgence. Alors, l'équation avait été rapidement établie dans le cerveau de la demoiselle : lui proposer une solution où il pourrait continuer à jouer son rôle de père, à se sentir actif dans une situation, tout en pouvant être dans un cadre plus reposant que seul chez lui. Elle serait à ses côtés pour l'épauler, et ne serait-ce que ça, quoi qu'il en soit des pleurs des petits, l'aiderait déjà à relâcher un peu de pression. Du moins, elle espérait que ce soit le cas.
Quelques minutes plus tard, les adultes revenaient donc en ces lieux, avec chacun un bambin dans les bras. Les petits pignaient encore, mais au moins n'hurlaient-ils plus à la mort; les instants passés vraiment seuls à pleurer tout leur soûl avait dû les fatiguer un peu. Le fait qu'on vint les chercher au bout d'un moment avait permis de les rassurer, sûrement. Heïana s'assit, dos contre la tête de lit, berçant le petit garçon qu'elle tenait contre elle. Bien qu'elle fût la marraine de Willow, elle ne comptait pas spécialement faire de différence entre elle et son frère. D'autant plus que, si Charlie avait vraiment abandonné les petits, et les autres parrains et marraines venant de son côté à elle, qui saurait dire s'ils continueraient à tenir leur rôle ? Maintenant qu'un calme relatif était revenu, la jeune femme s'autorisa d'ailleurs à poser la question à Timothy. Raconte-moi un peu. Que s'est-il passé ? Tu n'as pas réussi à avoir de nouvelles, ne serait-ce que par les autres parrains et marraines ? Son ton était doux et précautionneux, mais la brune avait besoin d'avoir plus d'informations en sa possession pour mieux comprendre l'ampleur de la situation.
Plus aucune nuit n'était paisible pour Timothy, depuis un long moment maintenant. Il pourrait tout mettre sur le dos de l'abandon de Charlie mais le brun savait que la blessure était encore plus profonde que cela, plus vive et plus tenace surtout. Les cauchemars n'étaient qu'un reflet supplémentaire des nombreux démons qui faisaient partie de lui depuis sa plus tendre enfance et il était surtout question d'y faire face, ces derniers temps. Ce n'était pas une décision évidente et avec les difficultés qu'il y avait également du côté des jumeaux, Decastel ne pouvait qu'être exténué. Au moins, il pouvait compter sur Heïana, elle qui était si douce et qui répondait forcément présente avec sagesse lorsqu'il se trouvait en mauvaise posture. Tim avait séché ses larmes et il tâchait de tenir le coup pour ne pas en faire couler à nouveau, pas après tout cela. Il s'extériorisa à la place, préférant expliquer pourquoi il ne dormait plus ou presque. Entre les jumeaux qui refusaient de dormir pour hurler à la mort et les mauvais rêves qui le tenaient éveillé de nombreuses heures, Timothy n'avait pas d'autres choix que de puiser dans ses réserves d'énergie pour pouvoir tenir les journées de travail. Jusque là, il ne s'en était pas si mal sorti mais chaque homme possédait ses brèches, ses limites et ce soir-là en était la révélation pour Decastel. Il hocha simplement la tête à la proposition de la sage-femme car le tout semblait être un bon deal, rester au lit mais garder les jumeaux non loin de lui pour ne pas culpabiliser de ne pas avoir été à la hauteur sur ce coup-là. "D'accord, j'essaierai." C'était déjà meilleur que tout ce qu'il avait promettre ces derniers temps, le grand brun se retrouvant en état de perdition plus qu'autre chose. Cette fois, ce fut Willow qui se cala entre ses bras alors qu'il se portait contre l'armature du lit pour être le plus à l'aise possible: Tim se doutait que Heïana avait pris l'enfant qui bougeait le plus pour le soulager un peu plus, il n'avait clairement jamais connu quelqu'un d'aussi généreux et proche des autres, notamment des enfants. Tim se mit à en sourire, même si la question de la jeune femme atterrit bien vite jusqu'à ses oreilles, le forçant à se confronter à cette nouvelle réalité dont Charlie ne faisait plus partie. "Rien. Le silence total. Elle les a juste abandonnés comme ça, du jour au lendemain. Elle est jamais repassée les prendre... Elle est juste partie, comme mon père." Inconsciemment, Tim avait serré le poing qui ne tenait pas sa fille mais il devait respirer, oui, reprendre son souffle et ne pas se laisser emporter par cette colère qu'il ne connaissait pas, lui, la douceur incarnée. "Je sais pas ce qui s'est passé mais le plus triste c'est que... Je suis pas choqué. On parle d'elle, elle sait faire que ça, fuir, mentir et blesser." En tout cas, c'était la technique qu'elle avait employé avec lui et maintenant, avec les enfants, pas sûr que tout cela puisse aboutir à un pardon un jour ou l'autre. "Oh, je crois que Willow s'endort..." Il n'osa même plus respirer durant un temps de peur de réveiller le petit bout d'humain qui avait fermé les yeux contre sa poitrine. Enfin, le pays des rêves arrivait pour les jumeaux, un soulagement pour un père débordé.
Heïana baissa les yeux lorsque son ami lui raconta le départ aussi soudain que terrible de la mère des jumeaux. Vraiment, elle ne pouvait comprendre cela. Certes, les premiers mois avec des enfants étaient réputés pour être les plus durs, et encore plus en tant que mère célibataire. Oui, Charlie était jeune. Mais... C'était sa décision, de mener la grossesse à terme et de garder les nourrissons, non ? Avait-elle des préjugés sur l'avortement ? Cela étonnerait un peu la sage-femme, quoi qu'on parlait de l'Australie; si Heïana n'était pas choquée par le processus de l'IVG, c'était en partie grâce à sa culture française, où le phénomène était accepté depuis longtemps. Dans cette partie du Pacifique, c'était tout autre chose après tout. En plus de cela, la rousse avait eu la chance, de ce qu'avait pu en apercevoir la brune, d'être entourée par de nombreux amis et de membres de sa famille, tant pendant sa grossesse qu'après. Alors, franchement, son attitude était inexcusable aux yeux de la maïeuticienne, qui sentit une bouffée de chaleur monter en elle. Il était rare qu'elle ressente de la véritable colère, mais abandonner sa propre famille, pour ce qu'elle était de bancale par avance par sa propre faute... Non, vraiment, ça ne pouvait passer. Alors, la Polynésienne se concentra sur le mouvement doux qu'elle imposait de ses bras pour calmer Gabriel, qui, même s'il ne pleurait plus, restait bien éveillé et faisait par instants porter sa voix. Ses yeux toujours fixés sur la couette sur laquelle elle s'était assise, elle remarqua le poing serré de son ami. Calant plus confortablement le tout-petit contre elle, Heïana vint poser sa main désormais libérée sur les phalanges du brun, si serrées qu'elles en blanchissaient. La jeune femme leva ses prunelles vertes vers le visage de Timothy, qui fixait un point dans le vide, les sourcils froncés, les traits durs, la mâchoire serrée à s'en briser. Heureusement que le cerveau humain avait cette formidable capacité à s'empêcher de se faire du mal par inadvertance. Très clairement, il tentait de se contenir, mais lui, le si doux soldat dont elle avait joué un temps les objectrices de conscience, avait besoin d'exprimer son ressentiment. Il le devait; hors de question de le laisser imploser. Tu as le droit d'être en colère, tu sais. Ne refoule pas les sentiments qui t'envahissent. C'est le meilleur moyen d'être rongé par eux. Accepte-les. Lorsque le jeune père parla de son ex-petite amie, Heïana haussa les épaules d'un air navré. Je ne la connaissais pas tant que ça, mais... Effectivement, elle ne semble pas répandre le bien là où elle passe. Pourtant, elle lui avait paru sympathique, les premiers temps où elles s'étaient connues; avant même que chacune sache qu'elles étaient toutes deux liées à Timothy. Rapidement, pourtant, la brune avait pu déceler des faits ne lui plaisant pas, et liés à l'homme à ses côtés. Le premier abandon de la rousse, juste après leur première nuit d'amour, qui avait traumatisé l'éphèbe au point qu'il parte pour Kapooka. Les cachotteries, les non-dits. Les mots si froids qu'elle avait eu envers Heïana, qui certes s'était peut-être un peu emportée, mais n'avait voulu que comprendre et aider, à la base. Toute l'histoire autour de sa grossesse, la prise de drogues, puis ce nouveau départ en arrachant tout autour d'elle, le coeur de Tim et de leurs enfants en premier lieu... Triste existence. Je crois que Gabriel se calme aussi, remarqua Heïana, bien que le garçon bougeait plus que sa soeur pour l'instant. Autant en profiter pour s'occuper du brun; en plus, le fait de se lever ne ferait que bercer un peu plus l'enfant qu'elle portait, donc pas d'inquiétude. Tu as bu ou mangé quelque chose ces derniers jours ? demanda la demoiselle avec sollicitude, ne remarquant que trop bien la pâleur de son ami, qui si elle était due au stress et à la fatigue, pouvait l'être d'autre chose aussi.
Timothy avait nettement perdu de sa superbe ces derniers jours, les émotions positives semblant l'avoir quitté sans la moindre hésitation. Les causes étaient évidentes: la fatigue et la frustration de ne pas forcément réussir à tout gérer de front avaient raison de sa patience légendaire. Le brun s'en voulait nécessairement parce qu'il avait toujours eu ce brin d'optimisme, ne se laissant jamais abattre malgré l'adversité. Les difficultés qu'il avait vécues l'avaient forgé pour le meilleur en ce sens et Tim avait conscience qu'il valait bien mieux que cette boule de nerfs qu'il retrouvait face à la glace ces derniers temps. Au moins, au milieu de cette tempête désolante, Decastel réussissait à trouver sa petite lumière et c'était toujours la même, la stature de la grande brune aux yeux verts l'aidant toujours à retrouver son chemin. Tout était si simple lorsque Heïana était dans les parages parce qu'elle avait ce charisme naturel, cette spontanéité que Tim n'avait connu chez personne d'autre et cette douceur, bien sûr, comment l'oublier? On parlait de cette femme qui tenait Gabriel entre ses bras et celle-là même qui venait poser ses doigts sur son poing pour qu'il s'apaise peu à peu. Dix secondes plus tard, l'effet passait à l'intérieur de ses muscles et Tim laissait sa crispation s'envoler, son regard bleuté revenant vers celui de la belle Brook avec une émotion non feinte. Comment une personne pouvait réussir l'impossible? Il allait se le demander un bon moment lorsqu'il était question de Heïana car cette femme arrivait toujours à le sortir de l'impasse et Timothy ne faisait que se sentir dès lors bien mieux de la sentir à ses côtés. Comme si c'était une évidence, qu'elle saurait toujours réparer les failles, non meilleur encore, les sublimer. Le brun resta un moment silencieux, tâchant d'assimiler le flot de ses pensées, ayant écouté distraitement le fond du discours de la sage-femme, constatant qu'elle trouvait toujours les parades idéales pour le concentrer à nouveau sur l'essentiel. "Tu as raison. Je suis en colère et je suis pas habitué à ce genre d'émotions négatives mais... Je veux pas continuer à ressentir tout ça parce qu'il y a une chose que je sais, c'est que c'est du passé tout ça. Le bonheur des enfants, je le trouverai quoiqu'il arrive." La formule serait vraisemblablement différente puisque Charlie était partie mais Tim ne doutait plus une seule seconde qu'il y arriverait parce qu'il donnait toute sa vie pour cet objectif. Sans rien garder pour lui. Il pourrait tout sacrifier, enfin, c'était clairement ce qu'il avait déjà fait ces derniers jours en ruinant son sommeil pour amener celui des jumeaux. Il arrivait enfin, la petite s'assoupissant et Gabriel se calmant peu à peu entre les bras de Heïana: ensemble, ils avaient réussi cet exploit-là. "Ne t'en fais pas, Heï, j'ai bu et je me suis nourri ces derniers jours, dès que j'ai eu un peu de temps. Promis. On les amène au lit? Et après si tu veux, je peux grignoter avec toi pour te prouver que je mange encore." Il lui sourit en se dirigeant vers la pièce voisine, laissant Willow sous la couverture, soufflant un peu maintenant que le silence occupait les lieux. "Qu'est-ce que papa ferait sans tata Heïana, hein?" Il indiqua cette simple phrase avant de déposer un baiser sur le front de chaque enfant, les joues rosies par cette déclaration à demi mots. Parfois, Tim ne se rendait pas compte de l'étendue de ses sentiments et à d'autres moments, il prenait conscience qu'ils existaient. Que leur réalité le dépassait totalement et irrémédiablement.
Les yeux forêt restaient bien éveillés, attentifs à tout, et pourtant aucune marque de pression ou de stress n'apparaissait en eux. Heïana veillait sur la petite tribu, tout simplement. Sur son ami, et ses enfants. Elle espérait simplement pouvoir être d'une aide utile, et que jamais le brun n'hésite à venir requérir ses conseils comme son soutien. Les petits étaient si beaux. Maintenant qu'ils commençaient à s'endormir, ils ressemblaient à des angelots. En même temps, tout bébé était un être de Dieu aux yeux de la Tahitienne, donc rien de difficile pour l'attendrir; mais tout de même. Elle se surprit un instant à penser qu'elle aimerait vivre cela. Le "cela" en question étant à la fois précis et flou dans sa tête. Juste une belle histoire. De l'amour. De la tendresse. Plus tard, des enfants, sans aucun doute. Alors même qu'ils parlaient séparation et abandon avec Timothy, elle s'étonnait à penser romantisme et foyer. Que de paradoxes déroutants, bien cachés dans un coin de sa tête, alors même qu'elle était occupée à donner la réplique au brun et à tenir son fils dans ses bras. Elle sourit alors qu'il parlait du bonheur de ses enfants. Ils seront heureux si tu l'es, Tim. Une vérité simple, qui pouvait sembler évidente, mais que l'on avait pourtant trop tendance à oublier : notre entourage ressent nos états, nos humeurs. Il subit nos troubles, nos inquiétudes et nos peurs, alors qu'il s'enrichit de notre épanouissement et de nos joies. A fortiori, les enfants, dont il est communément admis qu'ils sont des éponges à sentiments.
Heïana hocha positivement la tête lorsque son ami lui proposa d'aller coucher les enfants, alors même qu'il lui assurait avoir tout de même pris le temps de manger ces derniers jours. D'une moue dubitative, plus joueuse que réellement sceptique, elle répliqua : On est jamais trop sûr. De toute façon, tu ne tomberas jamais sur un frigo vide ici ! Ou une autre manière de dire que si elle le trouvait un jour trop affaibli, elle le nourrirait jusqu'à mort s'ensuive... Ou presque. Disons, jusqu'à ce qu'un délicieux décès de l'estomac survienne. Elle se leva et, ce faisant, dénoua les liens de sa fine robe de chambre noire, dont le bébé dans ses bras semblait s'être entiché, révélant un peu de sa chemise de nuit blanche en satin qu'elle portait dessous. Le cordon de coton retomba de chaque côté de ses hanches, empêchant l'enfant de s'exciter dessus davantage. C'est l'heure de dormir bonhomme, pas de jouer, murmura Heïana à son oreille. Ils se dirigèrent donc vers la chambre, et la brune tendit Gabriel à son père pour qu'il lui embrasse le front avant qu'elle ne le dépose dans le lit servant de berceau improvisé. Heureusement que celui-ci était très grand, bas et que les jumeaux étaient encore trop petits pour chavirer trop loin dans leur sommeil. Au pire des cas, ils ne se feraient pas mal de toute façon. La Tahitienne se félicita un instant d'avoir eu cette lubie d'acheter des futon à poser directement sur le sol. Elle entendit son ami susurrer à l'oreille de sa fille une phrase la concernant, et la maïeuticienne du se retenir de pouffer de rire. Heïana arriva dans le dos du beau trentenaire, et répondit dans un chuchotement : Il retournerait des montagnes, qu'elle soit là ou non. Toute son admiration, son respect et son affection pour lui en quelques mots. Elle eut l'impression, un instant même, de se sentir bête, comme si elle en avait trop dit, mais sans comprendre pourquoi. La jeune femme se détourna et fit quelques pas pour quitter la chambre la première, troublée d'une émotion qu'elle ne pouvait définir. Rapidement, elle rejoignit la cuisine. A voix un peu plus haute, légèrement vacillante - la fatigue, sans doute - sachant que Timothy ne tarderait pas à la suivre, elle proposa : Tu veux que je réchauffe un autre café ? Ou bien autre chose ?
Le bonheur était compliqué à obtenir mais plus complexe encore à conserver. Heureusement, en un sens, Tim n'avait jamais eu la prétention ne serait-ce que le frôler. Il s'était contenté de fort peu toutes ces années, circulant naïvement entre les stèles de son vieux cimetière comme si sa vie se dessinait entre deux épitaphes bien orthographiés. Timothy avait bien failli y rester à cet état de stagnation totale, sans avoir l'espoir de voir quelque chose de nouveau et surtout, de ressentir quelque chose d'extraordinaire. Tout s'était délié peu à peu: il comprenait mieux ce qui se passait, sûrement parce que le lien qu'il avait avec ses deux enfants valait tout l'or du monde et qu'il n'aurait pas pu espérer mieux. Alors, le brun s'épanouissait dans toutes ces nouveautés, même s'il s'exténuait à la tâche, qu'il ne voyait pas toujours de résultats positifs à tout ce qu'il entreprenait, il avait au moins un but. Ce n'était pas rien de se décider à être père, adopter cette nouvelle cape sur les épaules quand il n'avait même pas eu la chance d'avoir celle d'enfant à transporter. Tim avait tant raté par le passé mais il ferait en sorte de ne passer à côté de rien à l'avenir: fini l'attente, l'inaction et la patience quand il s'agissait d'instants importants. Non, de personnes capitales. Il savait que Heïana faisait partie de cette liste réduite, même s'il avait été beaucoup trop absent au sein de son existence ces derniers temps: oui, le grand brun avait tout raté en la matière et il s'en voulait terriblement pour cela alors que la jeune femme avait toujours répondu présent pour lui. Elle était si pure, ne demandait jamais rien en retour, juste qu'il fut heureux apparemment. Decastel ne put que lui sourire en retour, lui promettant silencieusement d'essayer parce que les enfants ressentaient absolument tout ce que leurs parents avaient sur le coeur et Timothy avait conscience qu'il n'était pas toujours le plus doué pour cacher ce qui le tracassait. Rien de grave maintenant que les enfants s'endormaient peu à peu, que la vie reprenait son cours. "C'est une invitation pour que je revienne le frigo rempli?" Il souriait, sa joie l'assaillant à nouveau, probablement parce que Tim observait Gabriel qui se battait avec le tissu que portait Heïana. Le fleuriste ne voulait pas apparaître comme un homme qui regardait de trop près alors il releva les yeux dès lors qu'il capta le regard de la jeune Brook, la suivant jusqu'à la pièce qui allait accueillir le sommeil des jumeaux. Timothy était toujours particulièrement sensible quand il les couchait, allez savoir pour quelle raison, et cette nuit-là ne fit pas exception, la fatigue devant aider en la matière. Il s'entendit parler et se choqua certainement mais les mots avaient été prononcés, un silence court s'ensuivant avant que la voix douce et légère de Heïana se fit entendre juste derrière lui. L'échine de Tim en frissonna parce que c'était un message fort qu'elle osait clamer et tout cela mit le cerveau du Decastel à terre, sans qu'il n'ait le temps de lui répondre quoique ce fut. A la place, il marcha derrière elle, laissant les enfants à leur fin de nuit de repos bien méritée alors qu'il se sentait tout bizarre une nouvelle fois. "Pour dormir, le café, c'est peut être pas idéal. De l'eau, ce sera très bien, Heï." Effectivement, il entra dans la cuisine, passa juste à côté de Heïana, ressentant de nouveau le trouble de tantôt qu'il tâcha de balayer en remplissant deux verres d'eau, en tendant un à la jeune femme le plus naturellement du monde. "Tu sais, je suis franchement pas certain que je retournerais la moindre montagne sans toi, l'histoire nous l'a prouvé, non?" Il l'avait dit avant même d'y avoir réfléchi, comme si son cerveau était sur pilote automatique, à moins que ce ne fut autre chose, Tim n'avait pas de moyens de le savoir. Il ne savait qu'une chose: qu'il se devait de se fier à son instinct. Toujours.
Tu n'as pas besoin d'invitation pour venir ici, répliqua la brune avec un large sourire. Si de manière générale, la moindre des politesses voulait que l'on prévienne, voire que l'on demande pour venir chez quelqu'un, les Brook voyaient les choses différemment, et d'autant plus pour leurs cercles proches. Venez à l'improviste, tant qu'il s'agit d'une heure à peu près décente et qu'elles sont là, elles se feront un plaisir de vous accueillir. Une mentalité assez développée à Tahiti, dans leurs communautés polynésiennes, et qu'elles se plaisaient à appliquer en Australie tout de même. Alors, autant dire que pour Timothy, qui importait tant aux yeux d'Heïana, la question ne se posait même pas. Qu'ils ne se soient rencontrés qu'un an et demi plus tôt, et qu'ils aient passé de longs mois sans se donner de nouvelles n'était pas un obstacle dans la profondeur de leur relation, quoi que c'eut pu l'amoindrir quelques temps. Comme certains diraient, "la valeur n'attend pas le nombre des années" ; cette citation, souvent utilisée pour désigner l'âge, pouvait tout aussi bien fonctionner pour un laps de temps quelconque. L'important ne s'y trouvait pas. Il se cachait plutôt dans les centaines de détails que les deux amis avaient déjà pu parsemer dans le lit de leur amitié, comme les pierres dans celui d'une rivière.
Cette rencontre, en février 2017, qu'Heïana n'oublierait jamais. Toute de noir vêtue, respectant la tradition du deuil de sa famille paternelle, la brune était revenue sur la tombe de ses parents, seule. Moana n'avait pas eu la force ou l'envie de se recueillir, c'était trop tôt. L'aînée, elle, avait voulu présenter ses respect et témoigner de ses pensées aux corps enterrés, qui pourrissaient depuis des années. Elle n'avait pas eu le courage d'affronter cette épreuve depuis 2012, depuis leur départ à Tahiti. Ainsi, sa dernière rencontre avec le caveau familial datait des funérailles. Alors, toute forte qu'elle soit, la brune s'était effondrée, devant la pierre tombale, à peine après avoir commencé à réciter un "Je vous salue Marie". Elle était tombée à genoux sur la première marche, et le visage caché dans ses mains, avait éclaté en sanglots. Elle n'aurait su dire depuis combien de temps elle pleurait, mais soudainement, il était arrivé. Un ange aux cheveux bruns et aux yeux bleus, qui avait tout autant sa place dans ce cimetière qu'il n'aurait jamais dû y être. Ce jour-là, il avait su aider celle qui avait l'habitude de porter le poids du monde sur ses épaules, et la relever. Sans même la connaître, et bien qu'elle s'en soit excusée après coup, trouvant cela inconvenant, il avait été la meilleure épaule sur laquelle pleurer. Il l'avait invitée dans sa petite cabine de gardien, lui avait offert un thé. De là était partie leur amitié.
C'était pourtant loin d'être tout. Leurs prières en commun, du temps où Timothy allait à l'église. Leurs rires étouffés pour ne pas se prendre un sermon du prêtre, les fois où les offices les intéressaient moins que ce qu'ils pouvaient avoir à se raconter. Les quelques fois où ils s'étaient retrouvés pour papoter, dans un parc, ici ou là. Ou juste pour bouquiner, l'un à côté de l'autre, en commentant par intermittence leurs lectures respectives et en montrant à l'autre l'objet de leurs remarques. Puis, l'épisode épistolaire, et la venue d'Heïana à Kapooka. Le reste était bien connu d'eux. Les SMS échangés ces derniers mois, bien plus nombreux depuis qu'ils s'étaient retrouvés pour une balade en forêt. Des confessions, des sourires, des pleurs et des pancakes-sourires. Leur relation se résumait par la simplicité, mais pas de celle qui dénude un pauvre hère, non; celle qui donne une forme d'accomplissement, et de sérénité.
Alors oui, vraiment; ils avaient beau se connaître depuis peu, les deux amis marchaient sur une route déjà bien riche de souvenirs partagés, et d'émotions les accompagnant. Heïana crut ressentir comme un frôlement, qui la fit frissonner. Elle jeta un regard à sa droite, et comprit que l'étoffe composant la chemise du trentenaire était la cause de son tressaillement. Réaction physiologique des plus normales, non ? Le brun venait d'arriver à ses côtés, et il avait eut le bon sens de proposer de l'eau plutôt que du café, pour mieux dormir par la suite. Déjà, il faisait couler le liquide transparent, raison de sa présence si près de la jeune femme. La brune haussa un sourcil, argumentant : Le café ne m'a jamais empêchée de dormir. Mais tu n'as sans doute pas tort. Elle accepta le verre translucide avec un sourire bref, et en but une gorgée. Ils s'étaient retournés l'un face à l'autre pour déguster la plus hydratante des boissons, Heïana gardant sa main gauche appuyée légèrement en arrière d'elle, sur le plan de travail. Elle rougit un peu devant le compliment, et répondit, confuse : C'est gentil de dire cela, mais je crois que tu surévalues mon influence. Cela aurait pu être quelqu'un d'autre et... Heïana ne finit pas sa phrase, qui resta en suspens; avait-elle réellement besoin d'une conclusion ?
Il se sentait vraiment à sa place dans cette pièce, dans ce lieu de vie que pouvait être l'appartement de Heïana, sinon comment expliquer que Tim puisse se lancer dans une telle expédition pour des verres d'eau? Il ne s'imposait jamais, c'était un principe de base avec lui et le brun était, de toute façon, instantanément gêné à l'idée de déranger un ordre établi puisque chaque maison avait ses règles et ses principes. Là, Timothy n'avait aucune idée de ce qui était déjà mis en place chez les Brook, le jeune femme n'ayant en sa possession que des informations éparses sur la relation que Heïana partageait avec sa petite soeur. Tout n'avait clairement pas été facile pour les deux femmes, Decastel ayant pu être témoin de la détresse de son amie à quelques occasions, dans un coin de son ancien cimetière. Il n'avait pas toujours su trouver les mots pour réconforter la tahitienne comme il se devait mais il avait eu l'audace d'être présent, de poser une main délicate sur son épaule alors qu'elle en terminait avec son flot de sanglots. Tim n'avait jamais apprécié la voir ainsi, c'était une vision qui lui déchirait les entrailles, Heïana triste, comment la faire sourire à nouveau? A cette époque déjà, il aurait aimé être un homme en mesure de répondre à ce type d'attentes, mais il n'était pas tout à fait le garçon d'aujourd'hui. Encore beaucoup trop timide, clairement peu à l'aise dans sa position, Decastel choisissait bien trop souvent le silence plutôt que des mots réparateurs et importants. Il avait fini par changer avec le temps, se laissant emporter par le flux d'émotions nouvelles parce que sa situation avait changé, qu'il était désormais père en plus d'être un homme doux et généreux. Aujourd'hui, il pouvait le dire, Tim avait beaucoup plus à apporter à autrui. Non, il avait beaucoup plus à apporter à Heïana, lui qui avait su l'aider au moment de l'annonce de son divorce et qui espérait pouvoir le refaire si un instant difficile s'amorçait pour la jeune femme à l'avenir. Il espérait que ce ne serait pas le cas, avalant une gorgée de son verre d'eau, ne relâchant son regard sur la sage-femme que brièvement cette fois parce qu'il l'avait interrogée sur les mot qu'elle avait prononcées tantôt. L'ambiance prenait une nouvelle teneur, quelque chose d'intense se jouait dans cet air étrange mais Timothy s'y complaisait sans bouder son plaisir, peut être parce qu'il savait inconsciemment de quoi il s'agissait avec le peu d'expérience qu'il avait de la vie désormais. "Je vais tout de même essayer d'éviter de revenir à cinq heures du matin en ruinant ton stock de café et de verres d'eau les prochaines fois." Il se voulait plaisantin, même si l'essentiel n'était pas dans ces mots-là mais dans ceux qui venaient jute après, portant un message beaucoup plus profond qu'il en avait l'air. Il savait que c'était une réalité pourtant, que la présence d'Heïana au sein de son existence l'avait porté sur une toute nouvelle planète, le sauvant ainsi de lui-même à des moments désespérés. Sans elle, il ne serait pas là pour en parler certainement et aucun enfant n'aurait traîné dans la pièce voisine non plus. "Non. Crois moi, ça aurait pu être que toi. Seulement toi." Son sourire était fin mais s'étirait peu à peu sur ses lèvres alors qu'il s'appuyait à son tour contre le lavabo, trouvant un équilibre le rendant plus assuré dans sa démarche et sûrement dans sa volonté par la même occasion. "Personne d'autre aurait envoyé ces lettres. Personne d'autre serait venu jusqu'à Kapooka. Personne aurait fait ça à l'hôtel non plus. Personne aurait fait tout ce que tu fais pour mes enfants. Il y a juste personne d'autre qui n'est toi." Il conclut moins formellement et avec moins de suspense que la jeune Brook parce que Tim avait conscience de tout ce que Heïana apportait à sa vie depuis qu'elle y était entrée. Il espérait sincèrement qu'elle partageait un minimum ce point de vue le concernant, mais Tim n'oserait jamais le demander. Non, il ne lui demandait rien du tout, il lui donnait parce que c'était le contrat entre eux. Et là, il lui donnait un joli sourire et tant d'évidence dans ses yeux bleus pétillants.