| | | (#)Sam 12 Sep 2020 - 12:38 | |
| « Ton caractère est pas mieux. » « Je t’emmerde. »
La ruelle plonge dans un silence instable. Il est là, le vrai Wyatt. Celui qui rage depuis des mois, qui bouillonne tant il est incapable d’aligner dix mots de sa création sur une feuille blanche. Ce n’est rien dix mots. À peine une phrase. Cela devrait être un claquement de doigts, un jeu d’enfant, mais c’était avant. Avant la prison, avant elle et cette histoire qui consume sans amener nulle part. Avant les tromperies et les mensonges, les insultes. Les on ne se voient plus pendant deux ans, cap ? Et son cap qui résonne encore comme un écho dans cette ruelle trop étroite qui m’assaille. « Tu t'es fait mal? » Un rire nerveux. Une nouvelle cigarette qui se glisse entre mes lèvres, poison nécessaire. « Mon égo se porte très bien. » Faux. Elle le sait, va le savoir. Je n’en sais rien. Prétendre de ne pas m’en soucier, reste le meilleur des exercices. L’objectif de ce soir est de la faire dessiner, pas de me faire écrire. « Mélange pas tout Ginny. » que je râle encore, que j’impose tant je voudrais que son regard quitte mon profil pour s’intéresser au mur de briques. Elle est têtue la gamine dans sa volonté de bien faire.
« Inventes-en une, alors. » « Non. » « La mienne. » « C’est pas ce qui t’aidera à te cacher des faux semblants. »
Énième coup de boots dans une flaque. Mon regard s’arrête sur l’une des bombes de couleurs, la ramasse et lui tends. On est là pour ça. Qu’elle s’évade avec ses dessins plutôt qu’avec mes mots. Pour la deuxième fois, aujourd’hui, je viens inscrire un point-virgule sur le mur. Le début d’un tout qu’elle pourra s’accorder sans se lier de chaîne qui la retienne et l’emprisonne. « Elle est là, ton histoire. » Entre les couleurs, les courbes et les lignes. Dans tout ce qu’elle mettra autour de son art. C’est là que tout débute selon moi. Là que tout finira, probablement, dans des années-lumières.
À nouveau la ruelle s’imprime d’une odeur de peinture, s’empli du bruit des sprays. Je tente avec elle quand en réalité, je ne sais que faire. Ajouter une ligne aux côtés des siennes, prétendre y mettre de la couleur quand en réalité, c’est le noir que je tiens entre mes doigts. Le silence qui dure, mais apaise parfois un peu. Les minutes qui défilent sans que quoique ce soit ne vienne perturber le rythme de nos souffles en synchro dans le froid qui s’installe. « Elle ne serait pas bourgeoise. » La Ginny de mon histoire. « Elle ne serait pas brune non plus. » Trop mainstream pour l’image que j’en ai. « Des mèches roses. » Ou pire, corail. « Des tatouages, un piercing au nez peut-être. » Je ne sais pas, je divague un peu, on essaye, elle a dit. « Elle n’aurait pas peur de dire ce qu’elle pense. » Contrairement à celle qui se tient à mes côtés, toujours dans la retenue. « Un brin rebelle, qui a grandi dans un quartier ouvrier, qui a toujours appris à se débrouiller par elle-même. » Toujours verser un peu de soi dans l’histoire. « Qui tag les murs d’une usine désaffecter la nuit avec un mec qui prétend écrire. » |
| | | | (#)Lun 14 Sep 2020 - 16:40 | |
| « Mélange pas tout Ginny. » « Laisse-moi une chance de le faire Wyatt. » il se ferme, il ne sait faire que ça. À une autre époque et sur un autre continent, j'aurais cherché son regard, j'aurais ancré ma main à son avant-bras. J'aurais tourné les mots, les pires comme les meilleurs, jusqu'à trouver les bons, pour lui. Pour un autre qui n'est plus lui, pour un autre que Wyatt m'inspire à chaque fois. Et je déteste le parallèle, je me déteste presque encore plus de le faire constamment alors que je voudrais le voir pour qui il est vraiment, et non pas pour un souvenir qui fait bien plus mal qu'il ne fait de bien, jamais.
Pourtant, je ne bouge pas. Il se ferme oui, mais je m'ouvrirai pour deux alors. C'est ainsi que ça fonctionnera quand bien même je l'entends déjà rager et grogner, bouillir et brûler. Qu'il extériorise sa colère ne m'effraie pas, même s'il la diffuse effrontément sur moi.
« Non. » « Pourquoi pas? » « C’est pas ce qui t’aidera à te cacher des faux semblants. » « Tant que ça m'aide à les oublier un peu, je prends. » tant que ça m'aide, à oublier, un peu, je prends.
Elle est là, ton histoire. Elle est tracée de noir et d'un symbole que lui et moi, on comprend bien trop, auquel on attribue autant de torts que de vrai. Elle est là et elle me nargue, et je la hais, je la hais presqu'autant que je me hais moi-même. On n'en sortira jamais indemne.
« Elle ne serait pas bourgeoise. » thank God. « Elle ne serait pas brune non plus. » d'un geste, je repousse une mèche distraitement derrière mon oreille. « Des mèches roses. » corail. « Des tatouages, un piercing au nez peut-être. » « Elle n’aurait pas peur de dire ce qu’elle pense. » mes mains tremblent, qui ça étonne. « Qui tag les murs d’une usine désaffecter la nuit avec un mec qui prétend écrire. » il ne prétend pas. Il réussira.
« Ça serait quoi, son rêve? » à ses mots s'ajoutent les miens, bien trop tard, bien plus longuement après avoir d'abord laissé résonner le jet de peinture sur des briques encore vierges. Celles qui se retrouvent serties de mes idées, même les plus embryonnaires. « Sa plus grande peur? » qu'il m'en invente une autre, qu'il ne m'invente pas celle de me réveiller un matin à nouveau déracinée, ni celle d'être nocive pour la Terre en entier. « Je veux savoir son début. » de où elle part, de où elle arrive. « Mais je veux pas savoir sa fin. » autant que j'ai jadis voulu orchestrer la mienne. |
| | | | (#)Sam 19 Sep 2020 - 18:31 | |
| « Tant que ça m'aide à les oublier un peu, je prends. » « Ça n’aide en rien, c’est de la poudre aux yeux Ginny. »
C’est cette poudre qui me fait vivre, celle qui m’anime à chaque pas, chaque nouvelle découverte. La poudre aux yeux que nous auteurs offrons aux autres, celle dans laquelle on se plonge pour oublier la réalité qui nous entoure. Créer un monde meilleur ou bien pire. Créer de ses propres mains, y plonger des personnages tous un peu différents, tous avec leurs spécificités. Secouer et voir ce que ça donne. La recette n’est en rien magique. L’imagination est toujours aussi nourrie, je pourrais inventer des mondes en un claquement de doigt, ce n’est pas ce qui en rendra les phrases plus belles, la timeline parfaite.
L’exercice reste inné malgré tout, quand je dessine les contours de ce que pourrait être cette fille dans un bouquin. Une Ginny différente, celle qu’elle n’osera jamais être pleinement. Dépeindre le plus évident, grossir les traits, la voir frissonner tant tout sonne juste. « Ça serait quoi, son rêve ? Sa plus grande peur ? » Ce serait la heurter de pleins fouets avec les mots. « Je veux savoir son début. Mais je veux pas savoir sa fin. » « Continue à peindre. » Imposer la distance, c’est mettre avoue tout une sécurité.
De nouveau perché sur ma poubelle, j’attends. Le premier trait, celui qui déclenchera la parole. C’est le deal que l’on avait passé. Son souffle qui se fait si bruyant avant qu’à nouveau la bombe expulse sa couleur sur le mur de brique. Cette main nerveuse que je passe dans mes cheveux avant d’aller chercher ce carnet au fond de ma poche. Noirci de phrase sans queue ni tête. Une page vierge, un stylo et une respiration.
« Elle rêve de quitter ce monde en ayant fait sa part, en étant certaine que l’air qu’il y a dans ses poumons, l’énergie qu’il y a dans son corps et la passion qu’il y a dans son cœur auront amplement servi. Elle rêve d’être libre, ne pas se plier aux diktats de la société, mais plutôt n’avoir de compte à rendre à quiconque. » Et mon crayon qui gratte déjà les lignes au fur et à mesure que j’inspire. « Elle ferait le tour du monde, mais pas pour la tendance, pas pour rendre les autres jaloux ou se prouver quelque chose. Ce serait sa conviction, tout essayer, tout vivre à cent pour cent. » Je me perds dans les idées qui fourmillent, mon regard qui se relève pour dessiner les traits de sa silhouette. Elle serait comment Ginny dans un autre monde ? « Elle n’aurait peur de rien si ce n’est de dépendre de quelqu’un, de perdre cette liberté qu’elle s’est offerte. » Le cœur battant je note les derniers éléments sur ce bout de papier. Elle ne peint plus, la ruelle est plongée dans un silence presque déstabilisant.
« Tu vois… Juste de la poudre aux yeux. » Vraiment ? Ou la possibilité d'un futur qui ne dépends que d'elle ? |
| | | | (#)Lun 21 Sep 2020 - 13:39 | |
| Et elle est vide, la ruelle. Au loin, on entend les voitures qui passent, faisant voler les flaques d'eau éternellement posées au creux des routes anglaises. Mêmes flaques qui doivent être reliées à la pluie de la veille ou à celle de fin de journée - ici, il pleut tout le temps de toute façon.
« Continue à peindre. » « Commence à écrire. »
Je devrais pas mais je le fais tout de même, profitant du fait qu'il s'éloigne pour lui tirer la langue sur la distance. Il ne pourra pas la pincer et encore moins me menacer de l'arracher ou de la couper avec son canif et ça, c'est déjà rassurant. Pour moi, pas pour le reste du monde pourtant.
La voilà qui lui fait dos maintenant, ma silhouette. Je ne lui ferai pas l'affront de le fixer quand il imagine et quand il crée, encore moins le détailler du regard même si mes prunelles brûlent de voir si les siennes ont enfin chassé les quelques bribes de démons qui y sont toujours logées.
« Elle rêve de quitter ce monde en ayant fait sa part, en étant certaine que l’air qu’il y a dans ses poumons, l’énergie qu’il y a dans son corps et la passion qu’il y a dans son cœur auront amplement servi. Elle rêve d’être libre, ne pas se plier aux diktats de la société, mais plutôt n’avoir de compte à rendre à quiconque. » ses mots font mal. Ceux qu'il énonce autant que ceux que je l'entends gratter sur ses feuilles mobiles. Ils blessent parce qu'il sait sans même que je ne le lui ai jamais dit exactement tout ce que je n'aurai pas. Tout ce à quoi j'ai dû dire adieu en emménageant ici. « Elle ferait le tour du monde, mais pas pour la tendance, pas pour rendre les autres jaloux ou se prouver quelque chose. Ce serait sa conviction, tout essayer, tout vivre à cent pour cent. » ma bonbonne gribouille par-dessus ses lignes à lui, son noir que j'efface de mon corail comme un acte de rébellion qui n'en a que le nom tellement c'est puéril, tellement ça ne sert à rien. « Elle n’aurait peur de rien si ce n’est de dépendre de quelqu’un, de perdre cette liberté qu’elle s’est offerte. » il tombe par terre, l'aérosol. Mes mains le lâchent entre le début et la fin, je ne sais pas, je ne sais plus. Il tombe et il grince et il roule, à ses pieds ou à l'autre bout de la ruelle, j'en ai absolument rien à faire. « Tu vois… Juste de la poudre aux yeux. »
Juste de la poudre aux yeux et je suis essoufflée, je ne le capte que maintenant. J'ai peint et j'ai tout donné, j'ai tracé tout ce que je pouvais même si ça ne fait aucun sens. Ma cage thoracique presse et mes expirations brûlent, et Wyatt, il écrit encore. Je ne sais même pas depuis combien de temps, j'ignore il est quelle heure et n'y accorde même plus la moindre importance. « Est-ce que je peux dormir chez toi cette nuit? » ils blessent, ses mots. Ils blessent parce qu'ils représentent tous ceux à qui j'ai dû dire adieu en emménageant ici.
Lui. |
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