« T'es enceinte. » fuck fuck fuck, fu-ck. Si elle sait, maman va savoir. Si elle sait, la TERRE en entier va savoir et si pour le moment je vis très bien avec le fait que rien que mes deux frères et Saül étaient au courant, là, c’est chiant au possible. J’ai pas envie d’assumer ce qui vient avec, j’ai pas envie de devoir expliquer de qui et de comment et de pourquoi. J’ai pas envie, foutument pas. “On comptait vous apprendre la nouvelle mais vous avez été plus rapide.” et Swann est un idiot, un imbécile. Surtout, il est un être parfait en tous points qui a pas peur pour sa vie en passant son bras autour de mes épaules non pas parce que de base je casse des dents pour moins que ça, mais bien parce que grand-maman désormais n’a d’yeux que pour lui. Et son français approximatif. Foutu européen. “Elle est un peu fatiguée mais tout va bien.” je la sens, sa pression sur contre ma nuque, je la sens au point où je me plie au processus de me caler à nouveau dans la chaise roulante avec un demi-sourire presque pas acerbe au visage.

Y’a eu du thé, y’a eu des silences. Y’a eu des questions auxquelles il a répondu parfois pour moi sans trop que je fasse d’ecchymoses à ses mollets sous la table. Quand on part, elle a l’air rassurée mamie, elle donne presque l’impression de l’être en tout cas. « C’est pas celui qu’on déteste, le père. » que je me sens obligée de préciser, une fois que l’appartement de ma grand-mère est derrière nous et que l’hôtel est tout devant. Celui qu’on déteste étant large comme dénomination, je précise en dégageant les plis de ma robe pour montrer les quelques fines cicatrices qu’il connaît aussi bien que moi. Les miennes trônent sur mes cuisses, les siennes sur ses poignets. Elles, elles viennent du temps de celui qu’on déteste donc, celui-là du moins. « Je vais le garder. » et là, c'est moi qui semble si conne, si stupide, si naïve et toute autant imbécile de dire ça dans la ville où ma mère a eu les mêmes mots à propos de moi, et où mon père s’est tiré avec tout autant de vigueur quand il a su. Pour l’heure, j’ai pas encore la certitude que Saül fera pas la même. Passons. « Va falloir que tu travailles ton français et tes mensonges dans ce cas-là, tu sais ça? » parce que Swann lui, il va nulle part ; je le sais, l’inverse étant aussi vraie. McGrath, c’est la valeur sûre la plus chiante de l'histoire de l’humanité. Les grincements du fauteuil sur les routes en dédales ne le confirment que trop.

Il a ses doigts qui jouent doucement avec ses cheveux et se posent contre sa nuque, l’anglais et le nouveau père du jour. Il sait jouer la comédie et faire semblant d’être heureux, il n’y a rien de nouveau et encore moins de compliqué dans cette scène là, si ce n’est que tout tourne autour d’un bébé. Swann travaille son français rouillé, il comprend la moitié des choses et ils ne sont qu’un mensonge ambulant et pourtant il est heureux d’être là. Cette fois-ci, il l’est sincèrement. La France est un pays qu’il aime bien, finalement, et c’est assez étonnant à en juger par sa proximité avec la Grande-Bretagne. Ses lèvres n’ont jamais connu autant gommage à force d’avoir ingéré tous les bonbons sur la table, les macarons et tous les desserts allant avec. Pourtant tout a une fin, même les coups de pied d’Ariane qu’il va presque finir par regretter (non) - le pire dans tout ça, c’est que ça n’aide pas à sa guérison.

« C’est pas celui qu’on déteste, le père. » La question serait venue à un moment ou à un autre, l’anglais est plutôt rassuré qu’elle l’aborde d’elle-même. Beaucoup auraient eu peur de la lui poser mais dans son cas, il a déjà assez survécu à ses brimades pour pouvoir continuer à jouer avec le feu. Si ce n’est pas celui qu’ils détestent, pourtant, elle n’a pas besoin d’utiliser d’autres détails pour qu’il comprenne la personne dont il est question. Ses cuisses ne sont qu’une raison de plus pour le détester et le préférer mort, aussi loin d’Ariane que possible. Ses cicatrices à elle sont pires que les siennes. Ses cicatrices à elles ne sont présentes qu’à cause de ce gars là ; et c’est ce que Swann déteste. « Je vais le garder. » Ca aurait été sa première question. Il aurait demandé “on est contents ou pas du bébé ?” et ça aurait sous-entendu de se demander si elle voulait, ou non, le garder. Au fond, c’est bien sûr la réponse qu’il espérait entendre. Ce n’est que grâce à celle-ci qu’il esquisse un sourire aimant - qu’elle détestera. Heureusement au moins qu’elle a cédé à s’asseoir dans son fauteuil. Le prochain qu’il achète, il se promet d’y ajouter des sangles pour la maintenir en place. “Je l’aime bien, le père. Je pense.” Il l’aurait préféré s’il avait été aux côtés d’Ariane mais en tout cas, il le haïra toujours moins que l’autre. Tout ça repose bien sûr sur l’idée selon laquelle le père est son PDG et personne d’autre, sinon tout est aussitôt faussé. “T’en es à combien ? C’est pour savoir à partir de quand te faire les gros yeux si l’envie te prend de prendre l’avion.” Plus longtemps ce sera et plus une partie de lui vivra mal le fait de ne pas avoir été tenu au courant mais il ne changera jamais, bien sûr.

« Va falloir que tu travailles ton français et tes mensonges dans ce cas-là, tu sais ça? » - “Pourquoi on commencerait pas par dire la vérité ?”

C’est ironique, venant de lui. Il serait prêt à la suivre dans n’importe lequel de ses mensonges si besoin il y avait mais sur celui-ci, il sait déjà que d’ici quelques mois, ils n’y pourront plus rien. A ses yeux, aussi, il ne veut pas prendre le risque que Lucia apprenne ce stupide mensonge et que cela ne complique les choses entre eux - la vérité seule est déjà difficile à aborder, parfois. “Tu sais que je mentirai pour toi mais tu sais aussi que je déteste.” Et l’inverse est vrai, bien sûr, rien de nouveau là-dedans.

“Je l’aime bien, le père. Je pense.”
« Je lui passerai tes meilleurs vœux alors. »

Oh que j’ironise, au possible. Je l'aime bien aussi le père, quand bien même il est pas dans les parages et qu’il commence doucement à me glisser entre les doigts. Pour le moment tout va et il fait des efforts, j’pense, pour accélérer son divorce ou je sais pas quoi. En soit, j’en ai rien à faire qu’il signe des papiers ou pas. Je veux juste pas qu’il tourne le dos comme ils le font tous, mon paternel à moi le premier. Swann sait tout ça, Swann dit rien non plus et c’est probalbmement pour cette raison-là et rien qu’elle que je laisserai les valves complètement ouvertes à la moindre question qu’il pourrait me poser concernant tout ça. Il a gagné le droit presqu’autant que j’ai décidé de moins vouloir lui crever les yeux la prochaine fois où il me pointera du doigt le fauteuil en mode tu t’y installes ou je te casse un truc pour que t’aies pas le choix de le faire.

Les rues défilent de nouveau, on prend l’air et ça fait du bien, mieux en fait. “T’en es à combien ? C’est pour savoir à partir de quand te faire les gros yeux si l’envie te prend de prendre l’avion.” je rage de pas lui avoir dit sur le coup, maintenant. « Un peu plus qu’un mois. Je l’ai su juste après l’accident. » parce qu’il aurait dû savoir rien qu’à voir comment il réagit bien mieux que mes frères à l’hôpital. Ceci explique cela et la fuite à Grenade, le fait que Saül soit devenu turbo suffocant après – oh l’ironie, maintenant qu’il est même plus dans le coin à respirer fort comme un creep derrière mon cou. N’en reste que dans le coup d’œil que je lui dédie, il le verra que c'est vraiment pas contre lui, que c’est pas une connerie de pas lui faire confiance mais pas du tout. La grande Ariane avait besoin de regrouper ses forces avant de foncer en plein dans un mur, dirons-nous.

On dira aussi qu’à partir de maintenant et jusqu’à nouvel ordre, il est celui qui est nominé pour rassurer ma grand-mère – et fuck, ma mère aussi risque de l’apprendre via sa matronne, merde – le temps que je trouve l’angle d’attaque (ou juste que le vrai père daigne revenir dans mes pattes). “Pourquoi on commencerait pas par dire la vérité ?” un soupire et un roulement d’yeux pour la forme. Il a raison, mais pour l’heure je suis pas du tout prête à faire autre chose qu’à être la reine des hypocrites le sourire aux lèvres. Blablabla les hormones de grossesse m’épuisent. Ne dit-on pas qu’on ne peut rien refuser, à une femme enceinte? « Je t’aimais mieux quand t’écorchais la langue de Molière. » ouais, pour ça aussi il gagne des points. Grand-maman était pâmée sur son français, mais si je lui dis ses chevilles vont exploser. Chaque chose en son temps.

“Tu sais que je mentirai pour toi mais tu sais aussi que je déteste.”
« J’ai faim. Toi? »

Et c’est comme ça que la conversation est close, du moins jusqu’au prochain Facetime avec la famille. Il savait dans quoi il s’embarquait Swann, quand il est entré dans ma vie presqu’aussi abruptement que je suis entrée dans la sienne.