Décembre 2020
Brisbane > Melbourne. Un trajet que tu fais plus que de raison ces derniers temps. Cette fois ci c’est pour le boulot. Des bailles avec le label où t’as signé y’a pas longtemps et un festival où vous avez été ajouté pour un passage sur la scène acoustic. Ca va pas être beaucoup de boulot. Tu as aucune pression sur tes épaules. Vous avez sorti un seul titre. Ca n’a pas fait trop de bruit parce que vous êtes complètement retour à la case départ. T’es pas doué en réseaux sociaux, tu partages ce qu’on te dit de partager, tu postes ce qu’on te dit de poster, mais le compte de ton nouveau groupe Hurtwave c’est géré par quelqu’un du label pour l’instant.

Accompagné de Johnny, tu termines de mettre ta valise dans le compartiment au dessus de ta tête. Il est déjà installé au fond, côté hublot. Tu es au milieu. T’es en jeans avec un polo manches courtes sur le dos. Toi et tes cols. Tu te sens mieux comme ça que juste en tshirt. T’as ton casque soundproof aux oreilles. Tu vas écouter de la musique pendant tout le vol. Peut être tu te mettras un Podcast mais t’as pas trop la motivation. Tu sais pas trop comment va se passer. C’est votre première représentation en tant que ce nouveau groupe. C’est un nouveau label. C’est beaucoup d’éléments à gérer.  Ca va être de la gestion, pas de la pression. Tu sais ce que c’est de commencer un groupe, t’en as quand même déjà un dans les pattes qui a très bien marché jusqu’au drame qui a tout brisé. C’est pas facile de reprendre tout du début mais vous vous êtes enfin chauffé. Surtout parce que Johnny a envoyé vos chansons à un label sans te le dire et que la réponse a été vraiment surprenante. Ils ont adoré. T’aurais pas cru à ce point là.

Quelqu’un s’installe à côté de toi, tu as le nez dans ton téléphone. Tu lèves pas la tête mais tu reconnais un parfum familier. Hmmm. T’es intrigué du coup. Tu daignes lever la tête et prêter attention au type à côté et là… C’est ton coeur qui tombe dans ton estomac. T'as l'impression qu'on vient de te pousser dans le vide. Levi.

@Levi McGrath

Le mois d'août tire à sa fin et plus tu y songes, plus tu as le sentiment que cette année s'est déroulée comme dans un mauvais rêve. Les jours, les semaines, les mois se sont écoulés dans une façon lancinante, chacun d'entre eux étant différents mais aucun d'entre eux ne semblant réellement te correspondre. C'est comme s'il te manquait un instrument majeur pour rythmer la mélodie de ton quotidien, comme si tu voguais, désarticulé, sans sol sous tes pieds, comme si tu respirais sans air, parlais sans parole, écrivais sans mot.

Et pourtant, une fois ton divorce acté, tu t'es jeté à corps perdu dans deux volets de ton histoire qui constituent désormais tes priorités : ta musique et ta santé. Gagnant de The Voice Australia 2019, tu es déterminé à mettre en application tout ton talent et rendre à la population la monnaie de la confiance qu'elle t'a accordé en votant pour toi et en te soutenant tout le long de cette compétition. Un projet te tient férocement à cœur : celui de lancer un album en parallèle de la production qui incombe au contrat que tu as signé, ce premier étant composé de chansons qui représentent des bribes de ton existence, des fragments de ton cœur, des lignes directrices de ta vie. Il parle de ton passé et des gens qui l'ont tantôt coloré, tantôt assombri. Des individus qui t'ont façonné et en quelque sorte, c'est aussi un memento que tu souhaites laisser derrière toi, au cas où ton sort concernant ta santé ne serait pas favorable.

Aujourd'hui, tu prends l'avion pour Melbourne dans le cadre d'un festival. Cet événement t'enthousiasme, t'as toujours été friand de ces communautés qui se réunissent autour de la musique, pour le bon son. Tu aimes le public de ces endroits, camaïeux tout azimuts : des fans, des adaptes, des chercheurs de têtes, des amateurs, mais aussi des personnes qui sont là seulement pour passer le temps et n'y connaissent pas grand-chose aux artistes qui se produisent et ne demandent qu'à être subjugués de leur passion. Tu aimes l'innocence et le côté bonne franquette des festivals, les coulisses souvent frénétiques, les jeunes allongés dans l'herbe à savourer la vie et les stands de frites que t'asperges beaucoup trop de vinaigre à chaque fois.

Ton siège est côté allée. D'ordinaire, tu aimes être du côté du hublot mais depuis que tu es récidiviste, tu apprécies aussi être plus proche du couloir de sorte à aller aux toilettes si jamais tu en as besoin promptement. Côté hublot, tu te sens un peu moins à l'aise, même si une partie de toi est bien capable de vomir sur les genoux d'un inconnu sans scrupule aucun si besoin est. Lorsque tu t'approches de ta rangée, toutefois, c'est un haut-le-cœur inversé qui te saisit : il ne remonte pas, le tenace palpitant, mais sombre au fond de tes entrailles brusquement. Il se transforme en roche qui brise tout sur son passage et silencieux, tu considères le blond que tu connais à la fois trop et pas passez. Tu déglutis, te glisses sur le siège à la demande d'un steward et continue de scruter Asher comme s'il n'était qu'un mirage, un produit de ton imagination, un résultat de tes médicaments. "T'es encore là," tu finis par souffler, te retenant de toucher le jeune homme comme pour t'assurer que tu n'étais pas en plein rêve. T'es encore là, comme si tu ne pensais pas qu'il serait un jour de nouveau sur ton chemin, comme si tu t'étais fait à l'idée qu'il avait disparu de la surface de ton monde déjanté et disloqué, comme si tu tentais si fort de te résigner qu'il n'y aurait plus jamais aucune présence de Buckley dans ton histoire. Un soupir file entre tes lippes, et éhontément, un soulagement aussi. Comme si tu retrouvais un morceau égaré, le tempo manquant qui faisait jurer cette première partie d'année.

La musique dans les oreilles. Tu n’entends pas ce qu’il te dit. Tu as bien vu ses lèvres bouger. T’as Voicenotes de Charlie Puth qui passe. Tu venais tout juste de le lancer. C’est encore la première chanson qui passe alors que tu as remarqué Levi à côté de toi. Pas besoin de dire que tu n’entends plus la chanson qui passe. T’es perdu dans l’espace temps. T’es ailleurs. Il est là. A côté de toi. D’où il est installé à côté de toi dans cet avion. D’où ? C’est impossible ça. Pourquoi ? Pourquoi ???? T’avais pas du tout besoin de te savoir assis à côté de lui pour deux heures alors que ça fait plus de 12 mois que vous ne vous êtes pas vu. Pas entendu. Rien. T’as même arrêté de le suivre sur les réseaux sociaux. T’as eu besoin de te couper totalement de lui. Pour ça que tu es parti plusieurs mois à Melbourne. T’avais dans l’idée de t’y installer complètement mais au final c’est Johnny qui est venu à Brisbane. Et puis y’a Attention de Charlie Puth qui commence. Tu mets pause. C’est à ce moment là que Johnny se penche pour mieux regarder Levi. « T’es le gars de The Voice nan ? » Tu fermes les yeux en l’entendant. Presque saoulé que Johnny commence à parler à Levi. Qu’il le rende encore plus réel d’être là juste à côté de toi. « Tu vas jouer au festival aussi ? » Parce que ça coule de source pour Johnny apparemment mais toi t’y avais même pas penser. Tu sais tellement pas quoi dire ou faire ou rien du tout. T’es là. Entre eux deux. Ton casque sur les oreilles mais sans musique à présent. Il est soundproof mais la réalité c’est que tu entends quand même un peu quand il n’y a pas de musique qui tourne. Alors Levi ? Tu vas au festival toi aussi ? Tu prends soin de ne pas le regarder parce que déjà rien que son odeur est en train de te rendre fou. Tu veux pas jouer avec le feu. Tu ne sais pas du tout comment réagir, tu ne sais pas comment tu vas réagir non plus. Tu sens que tu vas perdre le contrôle d'une façon ou d'une autre. Parce que tout est toujours plus fort quand il s'agit de Levi. Visiblement ça n'a pas changé vu comment tu sens tes entrailles se retourner dans tous les sens. Et ton coeur...

T'es encore là, les mots se sont dérobés de tes lippes tels des bandits sans foi ni loi, ils se sont rués sur l'autoroute ultime menant de ton cœur à Asher et ils te semblent se mourir lorsque le blond ne te répond pas, quand il fuit ton regard et tu demeures tragiquement en suspens. Ton âme esseulée et rafistolée paraît se tenir sur un fil électrique, prête à sombrer ou à s'envoler vers l'apothéose, selon la mesure que ton palpitant battra.

Asher est là, il est bien présent. Tu as beau ciller, te pincer, te mordre la lèvre, être épris de la sensation de te situer dans les limbes, c'est votre réalité, votre vérité. Le Destin et ses dés que tu as qualifiés à d'innombrables reprises de pipés t'ont offert un réel jeu du sort et tu scrutes sans scrupule le Buckley. Tu le dévisages en appréhension, tu redécouvres ses traits avec manque, tu convoites de te plonger dans l'océan de ses yeux et ta cage thoracique peine sous les martèlements qu'elle encaisse. Tu inspires discrètement ; intérieurement, tu rêves de retrouver votre proximité, de le retrouver.

Tes sourcils se froncent dans une expression d'authentique désolation devant le mutisme et l'immobilisation de l'artiste. Tu as remarqué son casque sur les oreilles mais tu espérais - priais - pour que vous puissiez reprendre contact. Tu espérais tant un retour, une réponse, un geste. Tes doigts creusent inconsciemment le tissu du siège sur lequel tu es installé et tu finis par docilement mettre ta ceinture. S'il ne veut pas échanger avec toi, tu ne partiras pas pour autant. Tu donneras ce que tu peux pour obtenir une discussion avec le musicien. Tu ne peux pas cracher sur ce que tu interprètes tel un signe de la destinée. L'univers t'a offert un prodigieux cadeau, tu en tireras tout ce que tu pourras. Tu es buté comme ça.

« T’es le gars de The Voice nan ? » Tes émeraudes passent d'Asher à son acolyte. Un rictus en coin apparaît sur ton minois et tu acquiesces fièrement. « C'est ça. Levi. » Tu tends une main à Johnny. « Tu vas jouer au festival aussi ? » Nouveau hochement de tête à l'affirmative. « Oui. Vous jouez quand ? » Car tu interprètes à ses propos qu'ils monteront sur scène et de toute évidence, tu ne vas pas manquer ça. Si tu peux obtenir un filon, tu le saisiras et l'exploiteras à outrance sans vergogne. Tu milites simultanément pour que tes prunelles ne recouvrent pas de manière flagrante le corps de Asher, même si tu te concentres indéniablement sur ta vision périphérique, aux aguets du moindre signe d'intérêt du blond. « Vous jouez tous les deux ? » Tu poursuis, intrigué et avide de rattraper le temps perdu, de quelque manière qui se présente, avec ou contre son gré. Tu es un salaud, tu le sais pertinemment et l'assumes, autant que tu es dorénavant intimement convaincu que si vos chemins se croisent avec une telle audace, c'est que vous avez encore des éléments à produire ou à régler ensemble.

« C'est ça. Levi. » Kill. Me. Tu l’entends. Sa voix. Son prénom. Tu sens presque son souffle venir jusqu’à toi parce que tu sens son regard sur ta peau depuis tout à l’heure. Toi t’es là. Tu sais pas encore comment réagir. T’étais pas prêt du tout. T’as besoin d’un moment.

« Oui. Vous jouez quand ? »
« Vendredi à 18h. Je me souviens pas le nom de la scène. »

Triple J stage. Parce que toi tu t’en souviens. Tu sais tellement pas quoi faire. Tu enlèves ton casque ? Pour montrer que tu leur donnes à tous les deux de l’attention. Mais ça fait trop longtemps que t’es comme ça à ton avis et ça serait bizarre de changer tout d’un coup non ?

« Vous jouez tous les deux ? »
« Ouais. »

Johnny te met un coup. « C’est le type de The Voice. Celui qui a gagné l’année dernière. » Tu fermes les yeux un instant avant d’enlever ton casque finalement. Tu tournes la tête vers Levi pour lui donner ton attention parce que visiblement c’est Johnny qui en a plus envie que toi. Non. Non, il t’a juste donné comme un feu vert pour te lancer sans que ce soit trop bizarre. « On joue sur la scène acoustic Triple J. » Ton coeur bat si vite tu sens ton pouls dans ta tête. Tes yeux qui entrent en contact avec les siens. Ton casque que tu tiens dans tes mains pour faire quelque chose de tes mains. Pour t’accrocher à quelque chose. « Tu voyages seul ? » Tu sais pas pourquoi tu lui demandes ça. Tu sais juste pas quoi dire. Ca fait trop longtemps qu’il est assis à côté pour lui dire bonjour. Est-ce qu’il a dit bonjour lui ? Peut être. Tu n’as pas entendu ce qu’il a dit un peu plus tôt. Comme il est bien entouré grâce à son contrat de gagnant de the voice, t’aurais vraiment cru qu’il serait avec quelqu’un. Tu sens le regard de Johnny sur toi. Sûr qu’il doit se demander c’est quoi ce genre de question quand on rencontre le gagnant de the Voice 2019. Tu ne lui as jamais parlé de Levi. Il est inexistant. Il est aussi toute l’inspiration dans vos nouvelles chansons. Il est tout. Il est rien. Il est tout.

Tes yeux sont rivés sur Johnny, beaucoup trop concentrés pour que ça semble sain, mais le garçon ne semble pas en être perturbé. De ton côté, tu milites pour ne pas dévisager de nouveau Asher. Tu meurs d'envie de parcourir de ton regard chaque centimètre carré de son être qu'il dévoile. Tes mains te brûlent de toucher son épiderme, de redécouvrir sa chaleur. Tu es avide de noter ses vêtements et les mémoriser comme à l'accoutumée, de te perdre dans les nuances de ses cheveux qui t'ont toujours laissé penser qu'Asher était un ange bafoué par la vie. Tu donnerais tout pour capter son regard, pour créer de nouveaux souvenirs avec lui, pour procurer les saveurs inexorablement effacées par le temps et la distance aux souvenirs que tu chéris pieusement faute de présents du présent.

« Vendredi à 18h. Je me souviens pas le nom de la scène. » Tu as assez d'informations, tu hoches la tête, affiches un sourire aussi satisfait que réjouit. « J'passerai vous voir, » tu promets, arborant un sourire facétieux, t'installant plus confortablement dans ton siège, comme si la perspective de pouvoir retrouver Asher te permettait de te décontracter davantage. It's a date, tu penses, bien que ce rendez-vous ne soit pas galant avec l'australien mais avec votre destinée, tu l'as décidé. Tu demandes par la suite s'il joue tous les deux, tu pars en quête des éléments qui entourent et façonnent désormais le quotidien du Buckley. Apparemment, ils composent un duo ; une alliance que tu juges optimale lorsque l'artiste vient donner un coup de coude à Asher qui s'extrait enfin de sa léthargie.

Tu n'entends même pas ce qu'articule l'artiste car au moment où ses prunelles croisent enfin les tiennes, tu subis un souverain black out. Il n'existe plus rien : ton souffle se coupe drastiquement, ton cœur manque un battement, tes méninges font grève. Tout ton organisme est simultanément en alerte et figé. Tu ne vois plus que lui, seulement lui ; et depuis longtemps, il n'y a rien d'autre qui existe que deux âmes : la tienne et la sienne. « On joue sur la scène acoustic Triple J. » Il articule, tes iris lisant sur ses lèvres en même temps que l'information rejoint tes tympans. Il a entendu, il écoutait tout, pourtant, il demeurait de marbre. Tes ongles grattent discrètement le tissu, tes paumes brûlent et le voilà qu'il te demande si tu voyages seul.

Est-ce que c'est mal de s'imaginer, à cet instant précis, réagir de la manière la plus irrespectueuse qui soit et rompre cette fichue distance pour, en flagrant égoïsme, retrouver davantage d'Asher ? Il est si proche et si loin à la fois, ça te tue à petit feu tout en t'embrasant et redonnant un sens, une vibration, à ton existence. Tu déglutis, un sourire en coin apparaît, distant, désolé, déçu. Tu observes son casque qu'il tient solidement entre ses mains, te perds dans cette image, puis un rictus narquois emprunte enfin tes traits, se répercute sur ton regard qui brille de malice. « Oui. J'fly solo. » Même s'il y a des membres de ton équipe éparpillés dans l'avion, même si à Melbourne tu seras accompagné d'agents et de musiciens ; tu es seul, tu voyages seul. Pour l'instant ? « Vendredi 18h à la scène acoustic triple J alors, » tu annonces, satisfait, impatient, déterminé, promettant entre les lignes qu'il y sera. « Vous allez rester où ? » Tu poursuis, franchissant sauvagement et en pleine âme et conscience la ligne d'intimité. Est-ce que le destin serait aussi brutal de vous attribuer le même hôtel ? « Vous êtes avec qui ? » Tu poursuis, offrant une échappatoire à ta précédente question indiscrète. Quel artiste, quel groupe, quel agent ; quel lien pourrais-tu chercher pour garder son attache si jamais Buckley disparaît dans la nature ?

Tu as beaucoup trop de questions à lui poser. Beaucoup trop de moments à lui dérober. L'absence s'est installée une fois, tu ne le laisseras pas partir si facilement la seconde.

« Oui. J'fly solo. » Fucking. Hell. Parce que le son de sa voix sans rien pour bloquer la mélodie à l’état brute jusqu’à tes oreilles, ça te fait bien trop de chose. Sans parler de ses yeux. Il te regarde d’une façon, tu pensais pas qu’il ait cet air là. Tu ne sais pas mettre de mots sur son regard mais tu veux pas qu’il arrête. Et il a cet air de petit con qu’il a toujours. Son sourire en coin là. Il t’avait pas manqué. Si.  « Vendredi 18h à la scène acoustic triple J alors, » It’s a date. Ou en tout cas, c’est comme ça que tu l’entends dans ton esprit. Il a fait exprès. C’est sûr.

Tes yeux qui vont du dossier du siège en face de toi à ton casque puis qui retournent à Levi. Levi qui te regarde toujours. Levi qui est installé, prêt pour le vol. « Vous allez rester où ? » The fuck Levi. T’es surpris qu’il pose cette question genre, pourquoi ? Il a changé d’avis ? Il ne voulait plus te voir aux dernières nouvelles.

« Vous êtes avec qui ? »
« UNFD. Je me souviens plus le nom de l’hôtel. »
« C’est beaucoup de question tout ça. »

Tu dis ça en tournant de nouveau les yeux vers lui. Verrouillant ton regard au sien. T’as un air de qu’est-ce qui se passe? sur ton visage. Un petit élan de courage de dire le fond de ta pensée parce que cet interrogatoire, tu ne le comprends pas. C’est beaucoup de question. Continue. Parce que tu aimes beaucoup trop tout l’intérêt qu’il te prête d’un coup. Parce que vous êtes installé l’un à côté de l’autre comme un coup du destin. Mais y’a Johnny qui reprend au vol. « Ta gueule Ash. Levi, moi c'est Johnny. Enchanté. On peut prendre une photo avec toi ? On commence tout juste sous notre nouveau nom et tu serais un beau coup de pub. Tu vois je t’avais dit qu’on avait pas besoin que quelqu’un gère l’insta du groupe. » Johnny qui parle trop. Johnny qui passe de toi à Levi. Johnny qui est à moitié sur toi parce que le plus important à ses yeux là, c’est garder un contact avec Levi. Il est populaire. Il est médiatisé. Pas comme vous. Tu n’as pas quitté Levi des yeux, t’as tellement de questions à lui poser toi aussi. Y’a l’équipage de bord qui commence les démonstrations et tu attaches ta ceinture. Tu réfléchis tout le long si tu fais un mouvement plus grand ou non avec ta main, juste pour avoir la possibilité de toucher sa jambe.

« Hurtwave. » Que tu sors sans aucun contexte. Tu décides de ne pas toucher Levi physiquement. « Le nom de notre groupe. C’est Hurtwave. » Que tu mentionnes à Levi l’air de rien. Mais c’est tout. L’océan. Les vagues. C’est lui. Ta phobie personnifié. Sur beaucoup trop de levels.

A mesure des secondes qui s'écoulent depuis que Asher t'a adressé la parole, tu as la sensation de reprendre progressivement goût à la vie. Comme si précédemment, tu te trouvais placé sous respirateur artificiel, voguais dans une sorte de veille consacrée à deux éléments majeurs sans réel embrasement. Ça n'a sans doute aucun sens car la musique est ton exutoire et ta maladie te rappelle inlassablement à quel point tu fais encore partie du règne des vivants, mais aujourd'hui, enfin, tu as un souffle, une impulsion, un tambour battant d'anticipation et d'impatience pour la suite.

Parce que même si le Buckley parsemait tes songes, il n'en demeurait que tu te pliais au fait que vous ne vous reverriez pas. Tu l'avais décidé, acté, sans même lui laisser la moindre chance. Tu avais tout fait pour le repousser, tu t'étais senti soulagé qu'il quitte enfin ta vie. Jusqu'à ce que tu réalises qu'elle n'avait plus de véritable rythme sans lui.

Mais maintenant, tu as une nouvelle attache, tu ériges un réel lien entre le musicien et toi. Tu recueilles les informations tel un religieux chérissant chacune des perles de son chapelet, prêt à user de chaque détail renseigné pour ne jamais subir de nouveau la perte du blond. Tu es persuadé que la destinée t'offre une seconde chance avec le trentenaire et tu comptes bien ne pas la négliger. Tu es déterminé à lui dérober de son temps pour l'allier au tien. « C’est beaucoup de questions tout ça, » il commente quant à ton interrogatoire et un rictus aussi fier que provocateur s'affiche sur ton minois. Tu t'en plains, Asher ? tu penses lorsqu'il se détourne pour croiser ton regard et tu maintiens l'océan de ses iris sans scrupule aucun. Tu prends le risque de t'y noyer, direction son âme. Tu pars en quête des douceurs du passé et entretiens aussi religieusement ta fascination pour lui. T'en es où dans ta vie, Asher ? Tu te loves dans ce volet de ton histoire qui t’apparaît tel un refuge situé en parallèle de tes problèmes, tes tracas, tes négativités. Puis Johnny vous interrompt.

Tu émets un rire sincère lorsqu'il demande si vous pouvez prendre une photo tous les trois. La situation est cocasse, ça te semble surréel d'être considéré comme la star quand ta carrière est plus jeune que celle de ton interlocuteur.  « Quand vous voulez pour la photo, » tu acceptes avec un clin d’œil complice, qui évolue vers l'entendu en migrant au niveau des pupilles d'Asher.

Une hôtesse de l'air débute sa présentation des mesures de sécurité à l'intérieur de l'avion préalablement au décollage et tu te positionnes un peu plus confortablement dans le fauteuil, ne réalisant qu'à ce moment-là à quel point tu es décontracté. C'est comme si tu avais accompli quelque chose d'inespéré, ôté un poids épineux de tes épaules. Tu te sentais léger et choyé à la fois - était-ce là le goût des secondes chances ? « Hurtwave. » Tu entends le Buckley articuler à côté de toi. Tu détournes ton attention sur son portrait. « Le nom de notre groupe. C’est Hurtwave. » Je considère quelques minutes le garçon puis commente, tendre sourire aux lèvres : « C'est bien choisi. »

Ça te ressemble, tu étais prêt à dire mais n'a osé formuler, de peur de vendre une mèche qu'Asher ne souhaite peut-être pas exhibée devant son binôme. « Vous allez jouer combien de chansons ? Vous avez fait une setlist ? » Tu questionnes, avide de découvrir s'il y aura des compositions issues du cœur du Buckley et si elles seront dévoilées sur la scène du festival. Il n'y avait, à tes yeux, pas meilleurs moyens d'élucider ce qui s'était déroulé dans la vie du garçon ces derniers mois que par son art. Songeur, tu te remémorais le carnet qu'il tenait et qu'il t'avait présenté, une époque plus tôt. Oserait-il de nouveau t'intimer de la sorte ?

 « Quand vous voulez pour la photo, » Bien sûr. Vu l’intérêt qu’il te porte depuis qu’il s’est installé à côté de toi, ça aurait été bizarre qu’il refuse. Tu laisses Johnny géré cette partie là. C’est son idée. Il se démerde avec. Dans tous les cas tu sais que tu auras des photos de Levi ce weekend car il va jouer. Il va être photographié par des professionnels et tu auras de quoi te rincer l’oeil. Y’a rien de plus beau qu’un Levi dans son élément à tes yeux. C’est une mauvaise idée. Ouais. Mais tu vois aussi qu’il a l’air très enclin à reprendre contact alors laisse toi ressentir de nouveau Asher. « C'est bien choisi. » Bien sûr. T’as eu de quoi être très inspiré. Jamais mieux que quand on est misérable pour écrire et ça a été prouvé une nouvelle fois.

« Vous allez jouer combien de chansons ? Vous avez fait une setlist ? »
« Comment tu vas ? »

T’es guéri? Ton ton n’est pas froid, ni brutal, c’est une véritable question qui est de la plus grande importance là. Parce qu’une nouvelle fois, c’est trop de questions qu’il pose là. Il ne voulait plus de toi dans sa vie en étant malade. S’il prend la peine d’autant s’intéresser, c’est qu’il va mieux. Tu veux pas dire les mots ouvertement sur sa maladie alors qu’il y a Johnny à côté et tu ne sais pas si c’est connu ou non. T’as réellement arrêté de suivre quoi que ce soit à propos de lui car autant tu aimes te flageller, autant cette fois, t’avais pas besoin de ça en plus du reste. Tu le faisais très bien seul. Et y’a Johnny à côté qui commence à comprendre qu’il se passe un truc qui lui échappe. « Vous vous connaissez ? » Tes yeux sont toujours sur Levi parce que tu sais que tu pourras lire la réponse dans ses yeux si jamais il ne le dit pas. « Pourquoi tu m’as pas dit que tu connaissais le gagnant de The Voice ? Levi, tu crois qu’on pourrait faire une collab ? » Johnny qui est avide de popularité de nouveau après le fiasco de la fin de votre ancien groupe. Il te fait sourire avec son forcing. Passer d’une photo à une collab, il est trop. Tu te décides enfin à pousser physiquement Johnny au fond de son siège au lieu de l’avoir à moitié sur toi. T’es pas du genre à hausser le ton Asher, t’es pas le genre à trop parler non plus et tout dans ton langage physique fait comprendre à Johnny que là, il vaut mieux qu’il arrête de parler.

« Je te laisse gérer la collab. »
« Ouais faisons ça. »

Tu ne le prends pas du tout au sérieux mais tu vas dans son sens pour qu’il te lâche la grappe. C’est ton Levi. Et puis tu reprends pour les choses importantes où tu veux une réponse plus que jamais. « Comment tu vas ? »

Tu te sens comme un boxeur sur son ring de la dernière chance, tous les sens aux aguets mais ta concentration imperturbablement rivée sur un seul et unique élément : Asher. Tes méninges tournent à plein régime dans l'objectif ultime d'emmagasiner le maximum d'informations sur le jeune homme de sorte à ne plus voir un monde s'immiscer entre vous. C'était à la fois si facile et compliqué de se séparer du Buckley : si aisé de prendre la décision de le chasser dans ta vie, si ardu de le voir néanmoins en disparaître ; si simple d'avoir ton vœu jadis exaucé et si complexe d'en tolérer la finalité. Le garçon composait tout un paradoxe, comme les sentiments que tu lui vouais indéniablement. Et pourtant, tes émeraudes sont irrésistiblement aimantées sur sa personne, avide de son âme. Tu n'oses pas regarder plus loin que son binôme qui est penché sur lui, comme si tu redoutais qu'un clin d’œil suffirait à ce que l'artiste s'évanouisse dans la nature.

Tu désires ardemment connaître la bande son de ses dernières semaines, et pour ce faire, il n'existe rien de mieux que son art. Toutefois, le blond te refuse toute notion de setlist et plutôt, te rappelle brusquement à la réalité. « Comment tu vas ? »

Ça aurait été indécent de commodité d'éviter ce sujet. D'oser prétendre que vous pourriez obscurcir la nature même de tes maux que tu avais fait ricocher sur les siens pourtant armé de l'ambition de l'en préserver. C'était si naïf de songer qu'il ne réclamerait pas de comptes, qu'il ne zapperait pas volontairement cette partie-là qui t'a incité à le rejeter de ton existence que tu percevais trop empoisonnée pour lui. Tu avais voulu faire au moins une chose bien, et pourtant, tu avais le sentiment d'avoir commis une des pires. « Vous vous connaissez ? » Johnny rompt le silence, un sourire en coin, sans joie ni facétie cependant, orne ton expression. « Pourquoi tu m’as pas dit que tu connaissais le gagnant de The Voice ? Levi, tu crois qu’on pourrait faire une collab' ? »

Tu conserves un rictus poli et t'enfonces plus confortablement dans ton siège. Si tu ne regrettais pas tes décisions d'antan, il t'aurait été spontané de le provoquer en appuyant la question de son duo. Mais plutôt, tu montres du respect et laisses le soin à Asher de définir le contour de vos relations avant de t'engager dans une collab'. « C'est à voir, » tu finis toutefois par prononcer, mystérieux, lançant un regard sournois au Buckley. Johnny est rappelé à son siège et comme s'il était vexé, le voilà qu'il lance : « Je te laisse gérer la collab. » Tu ne peux réprimer un sourire largement satisfait, qui s'accroît lorsqu'Asher approuve, bien que sur un ton détaché qui rime avec une volonté de paix.

« Comment tu vas ? » Il réitère et tu plisses les yeux, lutte contre la tentation d'exprimer un semblant d'exaspération. « Qu'est-ce que t'en penses ? » Tu rétorques sur un ton de défi, de jeu, n'ayant assurément pas perdu ta manie de répondre à ses interrogations par les tiennes. Comment penses-tu que je me porte, Asher ? Qu'est-ce que tu penses de nos retrouvailles ? Comment tu te positionnes par rapport à nous ? Est-ce qu'on se reverra vraiment, pour cette collab', qui promet bien plus que les pitoyables secondes nécessaires à appuyer sur le bouton d'un appareil photo ou à tapoter un écran d'un smartphone ?

« C'est à voir, » Levi qui dit pas non à la collab et Johnny qui se colle un peu plus à toi due à l’excitation que cela vient de créer. Etre au plus près de Levi c’est ce qu’il veut mais tu le recales dans son siège, prenant en charge la dite collab qui est inexistante pour l’instant. Tu sais comment ça s’est fini la dernière fois que vous deviez faire une collab tous les deux. Ca n’a pas fait long feu, il est parti du jour au lendemain en te lâchant la bombe de sa maladie. Visiblement il est toujours en vie. Mais tu veux une véritable réponse à son état de santé actuel. « Qu'est-ce que t'en penses ? » Fuck you. Tes mains qui se serrent fort sur ton casque. Comment t’as pu oublier son amour à répondre à des questions par d’autres questions. Ca t’énerves qu’il continue à jouer comme ça avec tes nerfs alors que c’est super important pour toi là. Rien à foutre de la collab, tu veux savoir comment il va.

« Je suis partagé. » Parce que malgré tout. Tu ne perds pas ton sang froid. Rien que le fait qu’il soit à côté de toi, ça te permet de réfléchir dans une toute autre mesure. Mais t’as pris un instant là à reprendre tes pensées, détournant tes yeux de lui qui n’aide jamais à ce que tu aies une réflexion optimale. C’est fou comme sa présence change absolument tout en toi. Comment tu détestes qu’il fasse ça mais comme tu adores que ce soit synonyme de proximité. Tu continues ton explication, relevant ton visage vers le sien. « Si tu m'accordes autant d'intérêt c’est que tu vas mieux, mais de ce que je vois t’as pas l’air d’avoir changé. » L’avion qui commence à rouler pour un décollage imminent. La vitesse qui est prise te donne presque l’impression d’avoir le droit de t’accrocher à lui pendant ce moment là. Comme si c’était coupé de la réalité. Comme si prendre sa main pour faire passer ce moment était ok. Mais tu n’as pas peur en avion Asher, ça n’aurait aucun sens de faire ça. Tu continues de t’accrocher à ton casque parce que la vérité là, c’est que t’as autant envie de lui mettre une droite que de prendre son visage dans tes mains pour l’embrasser. Il te fait toujours tellement perdre la tête ce mec. Rien n’a changé. Tu as cru, mais non. A la seconde où il se trouve à côté de toi, tout ton monde change.

C'est évidement plus fort que toi de lui renvoyer sa question en pleine poire, sans scrupule ni cérémonie. Tu perçois une pointe d'énervement jaillir des perles claires de ton interlocuteur et tu ne peux réprimer un sourire en coin, à la fois joueur et satisfait. La vérité, c'est que tu refuses d'aborder ce sujet, quand bien même Asher est en total droit d'obtenir des réponses quant à ton état de santé. Après tout, c'est ce dernier qui, entre autres, t'a incité à le rejeter de ton quotidien. Si tu étais jadis muni des meilleures attentions, aujourd'hui, la sensation de n'avoir su agir doté d'une vision véritablement limpide te happe toutefois. Tu ignores si tu pouvais être en mesure d'agir différemment si la situation se présentait de nouveau. Tu es incapable de déterminer si tu tenterais de préserver le garçon d'une façon différente qu'en l'éradiquant purement de ton quotidien. Ta tactique avait été brutale, radicale, et il te fallait l'avouer : tu t'étais senti cruellement amputé d'un accord majeur suite à la disparition du Buckley dans la mélodie de ta symphonie existentielle. Dans les partitions aux clefs de sols ébranlés narguant un ciel fissuré d'innombrables bris qui sombrait sur ta tête et t'étourdissait ainsi impitoyablement, tu n'avais trouvé mieux, paniqué, que d'arracher les pages qui concernaient Asher de ton monde qui s'écroulait, s'empoisonnait, se pourrissait. Il méritait mieux, après tout. De plus, tu lui avais promis de le protéger pour que sa vie soit belle et ton cancer, à ce moment-là, mettait à mal ta parole envers lui.

« Je suis partagé. » Il a détourné le regard et tes doigts jouent nerveusement avec un pli de ton short. Tu le scrutes, le fixes, le dévisages sans vergogne, comme si tu t'éprenais de la mission de posséder chaque parcelle de son visage à force de les brûler de tes pupilles. Il est partagé et ton cœur martèle ta poitrine en anticipation, en appréhension, comme si tu t'attendais à recevoir un coup. Tu te sens comme sur un fil, prêt à vaciller selon les prochaines paroles de l'artiste. « Si tu m'accordes autant d'intérêt c’est que tu vas mieux, mais de ce que je vois t’as pas l’air d’avoir changé. » L'air se fait moins dense, tu soupires discrètement, inspires profondément. Tes muscles se décontractent contre le dossier de ton siège et l'avion commence à prendre de la vitesse sur la piste en prévision du décollage imminent. « J'ai changé, » tu le corriges. Ces derniers mois avaient été aussi inanimés que productifs. Des volets de ta vie avait épousé l'inertie, tu t'étais dédié corps et âmes à d'autres. Tu avais grandi et avais fait de l'ordre dans ta tête, dans tes sentiments, dans tes affaires. Tu avais changé.

Tes oreilles s'adaptent à l’apesanteur, tu déglutis pour les déboucher et tu te sens plus que jamais en équilibre périlleux. Tu ne romps pas le contact visuel avec son profil et tu finis par articuler, poursuivant les contradictions : « Mais tu m'as manqué. » "Mais", car ce vide, cette absence, ce trou béant qu'Asher laissait derrière lui lorsqu'il se dérobait ton champ de vision, bon gré mal gré, faisait partie des éléments qui n'avaient pas changé. Qui ne changeaient pas. Les mesures de ta vie souffraient des portées arrachées.

Il jubile de te voir te tendre suite à sa réponse qui ne te convient pas du tout. Il n’a vraiment pas changé et tu ne perds pas de temps pour le lui dire clairement. Il te facilite pas du tout la tâche à te scruter sans honte. Il ne te lâche pas des yeux. Tu prends tout ton courage - non - et tu soutiens son regard également. Pas seulement parce que t’as besoin de graver ce moment dans ta mémoire. Ca fait bien trop longtemps qu’il n’était pas devant toi en chaire et en os. « J'ai changé, » Tiens. Une affirmation. Tu sais pas en quoi il a changé mais rien que de ne pas avoir une question en réponse. Juste pour le plaisir de t’énerver. Il sait que ça marche à tout les coups, tu viens de le lui prouver une fois de plus. L’avion est à présent en l’air et tu le regardes, essayant de déceler le moindre indice sur son état de santé. Il se passe comme une partie de qui va cligner des yeux en premier ou quelque chose comme ça parce qu’il ne rompt le contact à aucun moment. « Mais tu m'as manqué. » S’il y avait eu un trou d’air là tu ne l’aurais pas senti parce que ton coeur est tombé dans tes trippes. Tu pensais pas que tu aurais le droit à ce genre de mots venant de lui. « Putain mais vous vous connaissez vraiment. » Johnny qui est à côté et qui te fait revenir un peu à la normale. Mais pas trop parce que tes joues s’empourprent légèrement et vraiment, t’es dég que ton corps t’expose comme ça. Tu ignores totalement ton ami que tu imagines bien en train d’halluciner à côté.

T’es trop perturbé par les mots de Levi et ses yeux qui ne te quittes toujours pas. « Mais t’allais pas m’appeler. » Que tu réponds en reprenant la même formulation que lui. Tu veux pas commencer à te faire des films pour rien. Il est en train de te faire rêver avec ses mots, ses yeux qui te lâchent pas et ses putains de sourires de petit con. Il fait exprès. Il sait très bien comment jouer avec tes nerfs, mais tu veux des réponses plus claire ou tu ne rentreras pas dans son jeu.

Tes termes se sont élancés à la dérobée, tranchant l'atmosphère tendue qui vous étreint, vous unit. Tes prunelles, déterminées, avides, ne le quittent plus. Tu oses à peine ciller, ton désir ultime demeurant d'emmagasiner un maximum d'informations à son sujet, comme si tu produisais des réserves pour la suite, pour les indéterminées heures qui suivront l’atterrissage à Melbourne. Tu refuses d'y penser, tu te confortes en te remémorant telles des prières les indications de leur performance au festival où vous vous rendez tous les trois, les esquisses de projet de photo voire de collaboration qui tiennent manifestement à cœur à Johnny. Tu ignores si tout ceci composera davantage que du vent, tu n'es pas certain de ta place dans le présent d'Asher, mais tu aimes te rattacher à ce dernier, aussi maigrement soit-il. Ça te donne l'impression qu'il fait de nouveau partie de ton histoire. Ça te laisse croire que tu as retrouvé le pouvoir sur sa présence dans ton existence. Ça te rend heureux, ça offre un nouveau sens à ta vie, d'éclatantes couleurs, de mélodieuses notes, un goût délicieux.

« Putain mais vous vous connaissez vraiment. » L'artiste s'étonne et un sourire amusé s'installe sur ta bouche. Vous faites tourner en bourrique le compère musical du Buckley et honnêtement, ça te plaît. « On se connaît, oui, » tu lui confirmes sur un ton étonnement neutre, ne dévoilant pas pour autant la nature de vos échanges, de votre relation. On a beau s'être fréquenté, tu ignores encore le positionnement du blond vis-à-vis de toi. Tu rêves d'une discussion, alcoolisée ou pas, selon ses règles, peu importe, tout t'ira. Tirer les choses au clair et te rabibocher avec lui constituent tes nouveaux objectifs, teintés de rêve ou pas.

« Mais t’allais pas m’appeler. » Il te rappelle à la réalité et ta gorge se noue, ton cœur se serre, ton estomac tressaille. Les regrets vocifèrent, les remords pincent, un rictus s'affiche ; tu attires de nouveau ton attention sur lui. Ces paroles-là, tu ne veux pas les prononcer autrement qu'en contemplant son âme. « T'aurais répondu ? » Tu l'aurais voulu ? Elle s'accélère, la cadence de ton palpitant, alors que des perturbations s'annoncent et qu'il est prié aux passagers de conserver leur ceinture de sécurité attachée. « Tu l'aurais voulu ? » Après les SMS ignorés, les appels manqués, la distance imposée, le silence forcé ?

Il répond à Johnny comme si ça coulait de source mais non. T’as jamais rien dit de toi à Johnny. T’as pas non plus envie que vous commenciez à dire des choses qui pourrait mettre la puce à l’oreille à Johnny quant à la nature de ta relation passée avec Levi. Tu oses espérer qu’il ne dira rien de compromettant mais la tension est si palpable que si Johnny se doute pas… Il est juste très con. Mais tu n’as jamais montré d’intérêt envers la gente masculine. Il t’a vu en couple avec des meufs au fil des ans. T’es pas bien depuis que votre premier groupe s’est séparé, t’es seul, ça n’est pas louche. Non. En tout cas tu veux le croire fort. Parce que depuis que t’as approché les 30 ans tu as décidé d’arrêter de te forcer dans des relations avec des gens que tu n’aimes pas. Qui t’attirent pas. « T'aurais répondu ? » T’es même pas surpris que ce soit une question qui en ressort de ses lèvres. Tu roules même un peu les yeux et même pas à cause du fond de la question en elle même. « Tu l'aurais voulu ? » Il continue. Il veut une réponse.

« J’ai prévu de faire des trucs pendant ces deux heures de vols. » On en parlera plus tard. T’es saoulé et t’as peur de dire trop de trucs à côté de Johnny. Il a l’air d’avoir mis ses écouteurs mais t’es sûr que sa musique est sur pause. Tu mets ton casque sur tes oreilles, supposément pour mettre un podcast en route mais concrètement, il va être impossible pour toi de te concentrer sur quoi que ce soit avec Levi à côté. Tu vas mettre de la musique à la place. Tu vas mettre du metal parce que ça te font du bien à l’âme quand t’as envie de crier fort mais que t’es dans un lieu public et c’est socialement pas correct. C’est très dommage.